Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Analyse pertinente des débuts du sionisme
À PROPOS DE L'AUTEUR
Léon Pinsker, né en Pologne le 13 décembre 1821 et mort le 9 décembre 1891, est un médecin et un militant sioniste qui milita toute sa vie pour l'intégration des Juifs russes en créant notamment la Société pour la promotion de l'instruction qui encourage l'apprentissage de la langue russe.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 92
Veröffentlichungsjahr: 2024
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Avertissement d’un Juif russe à ses frères
Si je ne suis pour moi, qui serait
pour moi ? et si ce n'est aujour
d'hui, quand donc ?
Hillel (1)
De pitoyables et sanglantes exactions ont été suivies d’un court répit, si bien que chasseurs et gibier disposent d’un instant pour reprendre haleine. On en profite pour « rapatrier » les réfugiés juifs au moyen des fonds mêmes recueillis en vue de leur émigration ! Cependant, les Juifs d’Occident ont réaccoutumé de patienter au cri de « hep-hep »(2), de « mort aux Juifs », exactement comme leurs pères aux jours d’antan. Devant l’outrage, l’indignation a pris la forme d'une éruption incandescente ; à présent elle s’est muée en une pluie de cendres qui, peu à peu, voile le sol embrasé. Allez, vous pouvez fermer les yeux et vous cacher la tête comme l’autruche - il ne sera pas de paix durable pour vous si vous n’employez ce répit fugitif à inventer remède plus radical que ces palliatifs de rebouteux qu'on prodigue depuis des millénaires à notre malheureux peuple.
Septembre 1882
8
Aujourd’hui encore le problème si antique posé par la question juive cause dans les esprits le même trouble que jadis. On n’y a pas plus trouvé solution qu’à la quadrature du cercle, mais, à la différence de ce rébus, il s’agit ici, sans rémission, d’un brûlant sujet d’actualité. La raison en est que, loin d’offrir un intérêt purement théorique, notre problème est une réalité de l’existence et que ces données, en quelque sorte rajeunies de jour en jour, commandent de plus en plus impérieusement un choix.
À notre sens, voici en quoi consiste le nœud du problème :
Les Juifs forment, en fait, un élément hétérogène au sein des peuples parmi lesquels ils vivent. Aucune nation ne saurait les assimiler.
En conséquence, aucune ne saurait aisément les supporter.
Dès lors, notre tâche consiste à juxtaposer cet élément irréductible et la confédération des peuples, en procédant de manière telle qu’il n’y ait plus jamais prise pour la question juive.
Certes, dans cet ordre d’idées, nous ne saurions rêver d’une harmonie absolue qui, sans doute, ne règne pas non plus parmi les autres peuples. Il est loin, le jour messianique où l’« internationale » disparaîtra et où les nations fusionneront dans l’humanité. Dans l’intervalle, les aspirations et les idéaux des peuples doivent se borner à la création d’un modus vivendi supportable.
Il faudra bien de la résignation avant l’arrivée de la paix universelle et éternelle ; dans l’intervalle, il y a des chances que les relations entre nations trouvent un règlement passable moyennant un accord conditionné par le droit des gens, les pactes et surtout par une certaine parité des rangs et des obligations dans le respect mutuel.
Au regard des relations entre les peuples et les Juifs, on ne peut tabler sur pareille parité
des rangs. Le fondement de ce respect mutuel qu’on a coutume de régler par le droit des gens et les pactes fait ici défaut. C’est seulement à la double condition que ce fondement soit jeté et que la parité entre les Juifs et les autres nations prenne efficience, qu’il sera permis de tenter la conclusion du problème posé par la question juive.
Malheureusement, si, à une époque reculée et oubliée depuis longtemps, semblable parité (3) a existé réellement, il faut en reporter dans un tel lointain tous espoirs de retour que l’admission du peuple juif dans la catégorie des autres peuples apparaît illusoire dans les conjonctures actuelles.
En effet, il ya absence chez le peuple juif de la plupart des attributs qui forment le critère indispensable d'une nation ; absence de ce profond « exister » qui, sans la communion du langage et des mœurs, sans la contiguïté spatiale, est franchement inconcevable. Le peuple juif, maintes fois fils d'un pays-mère, d’une « matrie », ne possède pas de pays-père, de patrie. Il n'a ni point de convergence, ni centre de gravité, ni gouvernement propre, ni représentation. Il est partout présent, il n'est nulle part chez lui. Toujours les nations ont affaire à des Juifs, et non à une nation juive. Et il n'est pas de nationalité juive parce qu’il y a absence chez les Juifs de cette caractéristique du groupe difficilement définissable, mais qui est inhérente à n'importe quelle autre nation en vertu de la cohabitation de ses membres sur le territoire d’un seul État. Naturellement cette caractéristique du groupe n’a pu se développer dans la dispersion. Bien au contraire, tout souvenir de l’ancienne patrie commune paraît anéanti chez les Juifs. Grâce à la souplesse de leur faculté d’adaptation, ils n'en ont que mieux réussi à s’approprier les particularités des peuples parmi lesquels le destin les a lancés, particularités à quoi leur naturel ne les disposait aucunement. Bien plus, s’imaginant plaire à leurs « patrons », ils ont souvent renoncé entièrement à leur originalité traditionnelle. Ils se sont approprié certaines tendances cosmopolites ou en nourrissent la chimère, avec le résultat que d'autres jugent de mauvais goût ce qui ne leur procure à eux-mêmes nulle satisfaction.
Dans la mesure où ils ont essayé de s’amalgamer à d’autres peuples, ils ont, en quelque sorte, fait fi de leur propre nationalité. Cependant, nulle part ils n’ont obtenu de leurs concitoyens la reconnaissance de l’indigénat en qualité de pairs.
Mais ce qui retient le plus les Juifs de désirer une existence propre, c’est le fait qu’ils n'en ressentent nul besoin. Bien plus, ils n'hésitent pas à désavouer la légitimité de pareil besoin. Quand un malade ne manifeste plus le besoin de manger, ni de boire, le symptôme est alarmant. On ne réussit pas toujours à traiter efficacement l’anorexie qui risque d’être fatale ; et même en cas de succès, il y a lieu de craindre que le malade ne puisse absorber la nourriture qu’il se reprend à désirer.
Les Juifs sont dans la triste situation d’un malade de cette espèce. Il nous faut insister absolument sur ce point capital entre tous. Il nous faut faire la démonstration que l’infortune desJuifs a pour cause première l’atrophie du besoin d’autonomie nationale, que nécessairement ce besoin devra être stimulé et entretenu s’ils ne veulent être voués éternellement à une existence d’ignominie ; bref, il nous faut démontrer qu’il leur incombe de devenir une nation.
Au jugement des peuples, les Juifs ne sont pas une nation autonome ; c’est de cette circonstance apparemment futile, que relève, en partie, le mystère de leur statut d’exception et de leur interminable misère. La seule appartenance à ce peuple constitue un stigmate indélébile qui est aussi répugnant pour le non Juif que pénible pour le Juif lui-même. Et cependant il y a là un phénomène profondément ancré dans la nature de l’homme.
Au milieu des nations vivantes de la terre, les Juifs représentent depuis longtemps une dépouille. La privation de leur patrie les a frustrés de l’autonomie, et abandonnés à une décomposition incompatible avec le principe d’un organisme homogène et vivant. Terrassé sous la domination romaine (4), leur État disparut aux yeux des peuples. Toutefois, pour autant qu’il abdiquait matériellement toute existence, toute signification politique temporelle, le peuple juif n’a pas été libre de s’abandonner à l’anéantissement total, il n’a pas cessé de rester une nation dans la durée spirituelle. C’est sous l’aspect sinistre d’un mort qui marche avec les vivants qu’il réapparut à la vue du monde. Ce spectre d’un revenant en marche, d’un peuple sans unité ni ossature, sans sol ni lieu, qui a cessé de vivre et qui pourtant chemine parmi les vivants, cette figure étrange sans aucun analogue dans l’histoire, sans modèle et sans réplique, il est évident que l’imagination des peuples ne pouvait manquer d’en être impressionnée, d’en contracter une sensation spécifique, bizarre. Et si la peur des revenants est un mécanisme inné que la psychologie des peuples justifie dans une certaine mesure, comment s’étonner du déclenchement aigu de cette peur, face au spectacle d’une nation morte et néanmoins vivante ?
L’horreur du fantôme juif s’est transmise et fortifiée de génération en génération, de siècle en siècle. Elle a conduit à une prévention qui, à son tour, par le concours de circonstances ultérieures qu’il nous faudra analyser ci-dessous, a fait place à la judéophobie.
Conjointement avec toutes les autres représentations inconscientes et superstitieuses, les instincts et les idiosyncrasies, la judéophobie, elle aussi, a pleinement acquis droit de cité chez les peuples de la terre fréquentés par les Juifs. La judéophobie est une variété de la démonopathie. On les doit distinguer uniquement par la particularité que le fantôme juif est l’apanage de tout le genre humain et non seulement de peuplades isolées. Ajoutons qu’au rebours d’autres fantômes, ce n ‘est pas une forme irréelle, mais bien un être de chair et de sang. Tout le premier il endure les pires souffrances lorsqu’il est en butte aux sévices exercés par la masse affolée.
La judéophobie est une psychose. En tant que psychose, elle est héréditaire, et en tant que maladie transmise depuis deux mille ans, elle est incurable.
Mère de la judéophobie, la peur des revenants a suscité cette haine abstraite, je dirais platonique, qui rend commode d’imputer à la nation juive tout entière les infractions relevées isolément à la charge effective ou prétendue de ses ressortissants, cette haine qui expose si habituellement la nation juive tout entière à la multiplicité des calomnies et à l’opprobre des gifles.
Du côté ami comme du côté ennemi, on a de tous temps entrepris d’expliquer ou de justifier la haine du Juif. On a émis à l’égard des Juifs une série d’accusations, on leur a reproché d’avoir crucifié Jésus, bu du sang chrétien, empoisonné des puits, pratiqué l’usure, exploité le paysan, etc. Ces accusations collectives et mille autres encore se sont avérées sans fondement ; l’énormité même de leur nombre, indice suffisant de leur inanité, fait apparaître la manœuvre qui permit aux persécuteurs des Juifs d’abord de faire taire leur propre sentiment de culpabilité, ensuite de donner des attendus collectifs à l’arrêt de condamnation solidaire et enfin, par ces motifs inéluctables, de brûler le Juif (plus exactement : le fantôme juif). Mais qui veut trop prouver ne prouve rien. Sans doute peut-on formuler certains griefs à l’adresse des Juifs ; en tout état de cause, il ne s’agit point de vices d’envergure, ni de crimes passibles de la peine capitale et autorisant un verdict de culpabilité à l’encontre de toute la nation. Au contraire, il y a des cas concrets de contact étroit entre Juifs et non Juifs, où nous voyons jouer le phénomène contraire d’une entente assez acceptable, voire souvent d’une franche amitié entre eux et la gentilité (5) avoisinante. Par voie de conséquence, les accusations proférées sont, à l’ordinaire, des généralités ; la plupart du temps, on les fabrique de toutes pièces ; il y a là une sorte de génération a priori sans aucun rapport avec la collectivité nationale ; seules quelques espèces isolées peuvent servir de prétexte.
Ainsi le judaïsme et la haine du Juif cheminent ensemble, indissolubles à travers l’histoire depuis des siècles. Tout comme le peuple des Juifs, cet éternel Ahasvérus (6), la haine du Juif, elle non plus, ne semble pas pouvoir mourir. Il faudrait être frappé de cécité pour nier l’évidence : les Juifs sont le peuple élu par la haine universelle (7)