Autour du divorce - Ligaran - E-Book

Autour du divorce E-Book

Ligaran

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Extrait : "Un salon chez les D'ALALY. M. D'ALALY. Âge incertain. Élégant, physique agréable. M. D'HAUTRETAN. Soixante ans; bien conservé; en habit. Un petit bouquet à la boutonnière. M. DE DOURGAR. Trente-cinq ans, en habit. MADAME DE DOURGAR. Vingt-cinq ans. Robe décolletée. Ils sont assis, dans des attitudes accablées, sauf M. D'ALALY qui arpente le salon d'un air sombre, en regardant la pendule. Il est minuit et demi."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.

LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants :

• Livres rares
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Seitenzahl: 260

Veröffentlichungsjahr: 2015

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À MONSIEUR HECTOR CRÉMIEUX

SOUVENIR BIEN AFFECTUEUX

DE SON COLLABORATEUR

GYP

Juillet 1886.

IPrologue

Un salon chez les D’ALALY.

M. D’ALALY.Âge incertain. Élégant, physique agréable.

M. D’HAUTRETAN. Soixante ans ; bien conservé ; en habit. Un petit bouquet à la boutonnière.

M. DE DOURGAR. Trente-cinq ans, en habit.

MADAME DE DOURGAR. Vingt-cinq ans. Robe décolletée.

Ils sont assis, dans des attitudes accablées, sauf M. D’ALALY qui arpente le salon d’un air sombre, en regardant la pendule. Il est minuit et demi.

 

M. D’HAUTRETAN.– Je commence à être réellement inquiet… Vous êtes sûr qu’elle n’était pas en toilette du soir, lorsqu’elle est sortie ?

M. D’ALALY.– Absolument sûr… Je l’ai vue monter dans le fiacre qu’elle avait envoyé chercher.

M. D’HAUTRETAN.– Et il était ?…

M. D’ALALY.– Cinq heures et demie, à peu près… Mon Dieu !… Mon Dieu !…

M. D’HAUTRETAN, très agité aussi. – Voyons, mon cher ami, calmez-vous… il n’est probablement rien arrivé à Paulette.

M. D’ALALY.– Mais alors, où est-elle ?… J’espérais qu’elle avait dîné chez vous ou chez madame de Dourgar…

MADAME DE DOURGAR.– Non… Nous l’avons quittée à la Sortie du Concours hippique… Elle se sauvait au milieu de la foule, comme si elle avait été poursuivie.

M. D’ALALY, amer. – Parfaitement ! Elle cherchait à me perdre !… mais je l’ai rattrapée au moment où elle montait dans le coupé ; j’y suis monté avec elle, et c’est en rentrant que nous avons eu une explication…

M. D’HAUTRETAN.– Aïe ! Aïe ! Aïe !… Vous abusez de l’explication, vous !…

M. D’ALALY.– Vraiment !… Ah ! bien, je voudrais vous voir à ma place !… Vous en parlez bien à votre aise ; ma belle-mère est une sainte !…

M. D’HAUTRETAN, convaincu. – Une sainte, effectivement…

M. D’ALALY.– C’est même à cause d’elle que j’ai épousé sa fille, espérant qu’elle lui ressemblerait…

M. D’HAUTRETAN.– Oh !… pas du tout !… Paulette est beaucoup plus d’Hautretan que Recta.

M. D’ALALY.– Eh ! malheureusement !… (Avec explosion.) Pourvu qu’elle ne se soit pas fait écraser !… elle qui ne sort jamais à pied !…

M. DE DOURGAR.– Mais puisqu’elle était en fiacre !

M. D’ALALY.– C’est vrai, mais… où est-elle ?… Où a-t-elle pu dîner ?… Il n’y a que chez vous qu’elle aille ainsi à l’improviste… J’étais convaincu que j’allais l’y trouver…

MADAME DE DOURGAR.– Quand nous sommes rentrés de l’Opéra et qu’on nous a dit que vous étiez venu chercher Paulette, nous avons été stupéfaits…

M. D’HAUTRETAN.– C’est comme moi !… J’avais promis à ma femme d’aller la retrouver au concert des Rechampy, à minuit. Je passe à la maison en sortant du cercle, et j’apprends que d’Alaly est venu demander si Paulette avait dîné avec nous… et qu’il semblait bouleversé. Alors, j’arrive ici…

M. D’ALALY, désespéré. – Mon Dieu !… Mais où est-elle !… Où est-elle !… (À madame de Dourgar.) Si elle était chez vos parents ?

MADAME DE DOURGAR.– Oh ! je ne crois pas !

M. D’ALALY.– Elle aime beaucoup votre père… elle a une grande confiance en lui… et dame… elle est peut-être allée lui demander conseil comme ami et… même comme avoué… Avec une toquée comme elle… on ne sait pas…

MADAME DE DOURGAR.– À cette heure-ci ?… Mais papa est couché depuis trois heures !

M. DE DOURGAR, qui ne s’amuse pas et désire aller prendre l’air. – Je puis toujours courir chez M. Bonavy… (Bas, à sa femme.) Je ne reviendrai pas, je vous renverrai la voiture… (Il s’esquive.)

M. D’HAUTRETAN, regardant la pendule. – Dire qu’en ce moment, ma femme est convaincue que je reste à la partie au lieu d’aller écouter madame Lalo et mademoiselle Weber… Heureusement elle ne sait pas la vérité !… et j’ai défendu qu’on la prévienne quand elle rentrera… Ah ! bien, il ne manquerait plus que ça !

M. D’ALALY, la tête plongée dans ses mains. – Mon Dieu !… Mon Dieu !…

M. D’HAUTRETAN, très inquiet, mais surtout très énervé. – Au lieu de gémir, vous feriez mieux d’être une autre fois plus… adroit avec votre femme… Une nature comme celle de Paulette a besoin de ménagements… Vous la taquinez sans cesse pour des riens…

M. D’ALALY, les yeux au ciel. – Des riens !… Seigneur !

M. D’HAUTRETAN, bourru. – Des riens, je maintiens le mot. Eh bien, elle s’ennuie, cette enfant !… Elle est écœurée de la vie qu’elle mène… et… (Avec hésitation.) il ne serait pas impossible qu’elle voulût en finir, par quelque… coup de tête avec cette existence…

M. D’ALALY, bondissant. – Oh !… (Il prend son chapeau qui est posé sur un meuble.)

M. D’HAUTRETAN.– Où allez-vous ?

M. D’ALALY.– À la Morgue !

MADAME DE DOURGAR, effarée. – Comment à la Morgue ?… Pourquoi ?

M. D’ALALY, tragique. – Pour voir si elle n’y est pas !

M. D’HAUTRETAN.– Ah ! ça ! Vous devenez fou !

M. D’ALALY.– Mais c’est vous qui, à l’instant, disiez qu’elle voudrait en finir avec une existence que…

M. D’HAUTRETAN.– Eh ! vous avez mal compris ma pensée !… (À part.) Pas à la hauteur de sa femme, mon gendre !…

M. D’ALALY, soupçonneux. – Mais alors, quelle est-elle donc, votre pensée ?

M. D’HAUTRETAN, un peu embarrassé. – Elle est… complexe… C’est assez difficile à dire…

M. D’ALALY, pointu. – Si complexe qu’elle soit, je tiens à la connaître… et je vous prierai de vouloir bien me l’expliquer ?…

M. D’HAUTRETAN.–… Eh ! laissez-moi tranquille !… Je ne vous expliquerai rien du tout !… Vous êtes assez grand pour comprendre tout seul !…

M. D’ALALY.– Je comprends une chose, c’est que, si votre fille avait été mieux élevée…

M. D’HAUTRETAN.– Comment, mieux élevée ?… Quand il n’y a pas cinq minutes encore, vous disiez l’avoir épousée parce que les exemples qu’elle avait eus sous les yeux vous rassuraient pour l’avenir…

M. D’ALALY.– Eh ! je ne parlais pas de vous !…

M. D’HAUTRETAN.– Vous aviez tort, Monsieur !… je n’ai jamais donné que de bons exemples à ma fille…

M. D’ALALY.– Vous !… Allons donc ! Quand je pense qu’à votre âge, vous faisiez la fête avec moi…

M. D’HAUTRETAN.– Plaignez-vous en donc !… C’est grâce à ça que vous avez connu Paulette et que vous l’avez épousée !

M. D’ALALY.– Ah ! parlons-en !… Une jolie affaire que j’ai faite là !

(La porte s’ouvre, et Paulette paraît. Elle est ravissante. Toilette de pékin gris, capote de paille anglaise à botte de lilas. Elle porte sur son bras une grande pelisse et tient à la main plusieurs morceaux de gaze de différentes couleurs. Cris, exclamations diverses.)

M. D’ALALY, transporté. – Enfin ! ! !

MADAME DE DOURGAR, joyeuse. – Paulette !…

M. D’AUTRETAN, plus calme. – Ah ! te voilà, toi !

PAULETTE, répondant à son père. – Me voilà ! (À madame de Dourgar.) Bonsoir Geneviève. (Elle ne regarde pas M. d’Alaly).

MADAME DE DOURGAR.– Est-ce que Jacques t’a trouvée chez papa ?

PAULETTE, surprise. – Chez ?… (Elleéclate de rire.) Non !… ce n’est pas de chez M. Bonavy que je viens !

M. D’ALALY, d’un ton sévère. – Ah !… Et d’où venez-vous ?

PAULETTE, le regardant par-dessus l’épaule. – Vous ne le savez pas ?…

M. D’ALALY, anxieux. – Comment… cette menace ?… c’était sérieux ?…

PAULETTE.– Tout ce qu’il y a de plus sérieux…

M. D’ALALY, suffoqué. – Et vous osez…

PAULETTE.– Et j’ose. – Bonsoir papa !… Bonsoir Geneviève !… Je vais me coucher, car je n’en peux plus !

M. D’ALALY, furieux. – Pas avant d’avoir expliqué votre conduite…

PAULETTE, tranquillement. – Elle est inexplicable !…

M. D’ALALY.– Je vous forcerai bien à parler… Il faut que votre père sache… (ÀM. d’Hautretan.) Imaginez-vous que tantôt… en sortant du ; Concours hippique, où votre fille avait la tenue la plus indécente…

PAULETTE, montrant sa robe. – Cette robe-ci !… Vous pouvez juger…

M. D’ALALY.– Ce n’est pas de la toilette que je veux parler… vous me comprenez…

PAULETTE.– Non !… je ne vous comprends jamais ! (À madame de Dourgar qui fait un mouvement pour se lever.) Reste donc… tu ne me gênes pas !…

M. D’ALALY, s’adressant toujours à M. d’Hautretan. – Donc, j’ai fait à Paulette des observations au sujet de la façon dont elle se tient, se laissant faire la cour par une foule d’imbéciles, plus compromettants les uns que les autres…

PAULETTE.– Pas ma faute, ça !…

M. D’ALALY, continuant. – Montespan, Fryleuse, Gaillac, le petit d’Ignar, du Helder, et surtout ce vieux ramolli de duc de Grenelle… et cet affreux prince de Calabre, qui traîne partout, dans tous les coins, comme une petite loque défraîchie.

PAULETTE, narquoise. – Défraîchie est inutile, loque suffisait…

M. D’ALALY.– Alors, au lieu de s’excuser…

PAULETTE.– S’excuser de quoi ?

M. D’ALALY.–… Elle me répond : « Ah ! c’est comme ça !… Je me conduis très bien et vous me soupçonnez, vous me réprimandez, vous m’ennuyez tout le temps !… Ah ! vous me parlez de Gaillac, de Fryleuse, de Montespan, du prince, du duc de Grenelle, et du reste… et vous savez bien qu’ils flirtent avec, moi… innocemment… jusqu’à présent… Eh bien, vous allez voir !… » Je demande quoi ? elle se met à rire, envoie chercher un fiacre, et y monte sous mon nez, en me criant : « J’y vais ! »

M. D’HAUTRETAN.– Où çà ?…

M. D’ALALY.– Je n’en sais rien… mais vous pensez bien que, depuis ce moment-là…

M. D’HAUTRETAN.– En effet… Voyons, Paulette… réponds ?… Ton mari a le droit d’exiger de ta conduite une explication…

PAULETTE.– Je vous l’ai dit : elle est inexplicable, ma conduite !… Enfin… si vous y tenez… je veux bien vous raconter ce que j’ai fait… ça en vaut vraiment la peine !…

M. D’ALALY, la tête dans ses mains. – C’est affreux !…

PAULETTE.– Je suis donc partie, disposée à… mériter les reproches de mon mari… j’ai été chez un de ceux qu’il accusait… Oh ! je n’ai eu que l’embarras du choix !… tous m’avaient suppliée de leur accorder des rendez-vous… et, naturellement, je faisais celle qui n’entend pas… mais j’entendais tout de même… heureusement !… puisque, – grâce à mon mari, – ça devait servir !… Quand je dis servir… enfin !…

M. D’HAUTRETAN.– Paulette !… je t’en prie… songe à ce que tu dis ?…

PAULETTE.– J’y songe !… (Comme se parlant à elle-même.) Oui ! ça a été plus fort que moi !…

M. D’ALALY.– Oh ! elle est cynique !…

M. D’HAUTRETAN.– Mais… mon enfant… on se domine…

PAULETTE.– Pas moi !… Je ne peux pas !…

M. D’HAUTRETAN, à part. – C’est une vraie d’Hautretan !…

PAULETTE.– Oh ! j’ai fait mon possible !… Je suis retournée cent fois sur mes pas, me raisonnant… me répétant que je n’étais pas la première dans cette situation là… qu’il fallait prendre sur moi…

M. D’HAUTRETAN.– Eh bien ?

PAULETTE.– Eh bien, va te faire fiche !… impossible, je n’ai pas pu !…

(M. d’Alaly tombe anéanti sur un fauteuil. Madame de Dourgar consternée, examine craintivement Paulette qui semble très calmé).

M. D’HAUTRETAN, ému. – Paulette !… tu n’as pas l’air de te rendre compte… C’est grave, très grave…

PAULETTE.– Parbleu ! je le sais bien, que c’est grave ! C’est même, très embêtant !

MADAME DE DOURGAR.– Ah ! tu regrettes ?…

PAULETTE.– Ah ! je t’en réponds !…

M. D’ALALY, menaçait, mais relativement satisfait de ce regret. – Chez qui êtes-vous allée ?…

M. D’HAUTRETAN, s’interposant. – Mais… il serait préférable… Tout à l’heure… quand vous serez plus calme…

M. D’ALALY, le repoussant. – Non… je veux tout savoir… (À Paulette.) Répondez ?… Chez qui êtes-vous allée ?…

PAULETTE.– Chez le duc de Grenelle, d’abord…

M. D’HAUTRETAN, M. D’ALALY et MADAME DE DOURGAR, saisis. – Comment, d’abord ?…

PAULETTE.– Oui… parce que, à ce moment-là, je n’étais pas encore absolument décidée à… justifier les craintes de…

M. D’ALALY, haletant. – Tandis qu’après ?…

PAULETTE.– Ah ! après, j’étais résolue !…

M. D’ALALY, tremblant. – À quoi ?…

PAULETTE, très calme. – À tout… Mais si vous m’interrompez tout le temps !… Voulez-vous, oui ou non, que je vous raconte ce qui m’est arrivé ?

M. D’HAUTRETAN, vivement. – Non, non…

M. D’ALALY.– Laissez-la parler, au contraire… (Amer.) je suis curieux de connaître les… aventures de ma femme…

PAULETTE.– Ah ! le fait est que c’est raide ! j’arrive chez le duc… il s’habillait pour aller dîner au cercle… On me fait attendre dans le salon… C’est très joli, chez lui !… des bibelots… sans abus… pas l’air bric à brac du tout… Tout en attendant, je réfléchis et je me dis : « Non, décidément, pendant que j’y suis, j’aime mieux ne pas faire les choses à demi !… je vais aller chez Montespan… seulement, il faut le prévenir… » Alors je m’installe au bureau et j’écris un mot… (Mouvement de M. d’Alaly.) Oh ! pas de phrases… un mot… tout simple… « Irai vous voir à neuf heures » et je signe… « Hautretan-Alaly », parce que, « Paulette », je trouvais ça un peu intime…

M. D’ALALY, anéanti. – Oh ! ! !

PAULETTE.– Le duc paraît ; beau comme un astre… bichonné… parfumé… sanglé… On ne m’ôtera pas de l’esprit que ce vieux met un corset…

M. D’HAUTRETAN.– Paulette !… va donc au fait…

PAULETTE.– Au fait… au fait… ça vous est bien facile à dire… Enfin, j’explique au duc, qui me souriait béatement, qu’il se méprend sur mes intentions… et je le prie de remettre à Montespan ce petit mot très pressé…

M. D’ALALY, indigné. – Et il accepte ?

PAULETTE.– Sans enthousiasme… mais il accepte tout de même… et il me dit : « Justement Montespan dîne ce soir au club, je vais lui donner ça dans cinq minutes… » Je le remercie et je file… Je mourais de faim !… J’entre au café Anglais où on me connaît bien, et je me fais servir à dîner dans un cabinet… ils étaient ahuris de me voir comme ça toute seule !…

M. D’ALALY, de plus en plus navré. – Moi qui n’ai pas dîné !…

PAULETTE.– Après ça, je me mets en route… J’avais toujours mon fiacre, mais comme il était venu me chercher ici, j’aimais mieux en changer ; je me fais conduire à la Madeleine, où je monte dans un autre fiacre ; alors, celui que je quitte se met à m’injurier. J’étais très ennuyée… À quelques pas de chez Montespan… rue Marignan, je renvoie mon second fiacre… Et puis, la peur d’être reconnue me prend, et je retourne au faubourg Saint-Honoré acheter un voile… mon premier voile… (Elle montre un des morceaux de gaze qu’elle a posé sur un fauteuil avec sa pelisse.)… le marron !… Heureusement, les boutiques étaient encore ouvertes !… En passant devant une glace ; je m’aperçois… je ne me trouve pas suffisamment méconnaissable. J’achète alors un second voile, le bleu marin… (Elle montre un autre morceau de gaze.) et je reviens chez Montespan…

M. D’HAUTRETAN, au supplice. – Assez, assez…

M. D’ALALY, sévère. – Je vous ai prié de la laisser parler…

PAULETTE, à son père. – Il a raison, vous ne savez pas le plus drôle !…

MADAME DE DOURGAR, consternée. – Paulette… en vérité…

PAULETTE.– Je reviens donc… et, en approchant de la maison de Montespan, voilà que je suis prise d’une peur !… Elle est pareille à toutes les maisons de la rue Marignan, cette maison, eh bien, elle me paraissait énorme !… le double plus haute que les autres… plus noire aussi… et puis, je me sentais des jambes en coton… J’allais, je venais, sans oser entrer sous la voûte… J’ai bien fait cent fois la longueur de la rue… Enfin on a fermé la porte-cochère… il ne passait, plus personne !… et je n’osais toujours pas !… Encore moins… il aurait fallu sonner ! Et Montespan ?… Montespan qui est si gentil me faisait peur aussi ! Est-ce assez cocasse, hein ?… C’est bien plus difficile qu’on ne croit de se mal conduire !… puisqu’il est convenu que ça s’appelle se mal conduire ! Et pourtant, je me raisonnais, je m’activais… Ah ! ouiche !… Impossible de me décider !…

M. D’ALALY, anxieux. – Après ?

PAULETTE.– Tout à coup, j’aperçois quelqu’un qui marche derrière moi, tout près… Je marche plus vite… le quelqu’un presse le pas… je cours… il me poursuit, j’arrive ici affolée, toujours suivie… Eh bien c’était…

M. D’ALALY, menaçant. – Montespan ?…

PAULETTE.– Non !… Mon ombre !… Quel trac ! Seigneur !…

M. D’HAUTRETAN, ravi. – C’est ça ton… aventure ?

PAULETTE.– Oui papa !… Ai-je été bête, hein ?…

M. D’ALALY, ironique. – Paulette ne nous raconte que ce qu’elle veut bien que nous sachions…

PAULETTE.– Avec ça que je me gênerais !… Quand je vous dis que mon plus vif désir était que vous fussiez trompé… Ah ! mais là ! bien !… (D’un air désolé.) Je n’ai pas pu !… et j’ai été rudement étonnée, allez !… Imaginez-vous Listz, se mettant au piano et ne se trouvant plus de doigts !… Quel saisissement !…

M. D’HAUTRETAN.– Ainsi tu me donnes ta parole que…

PAULETTE.– Ma parole ! Ça t’épate, papa ?… Que veux-tu… on n’est pas parfait !…

M. D’ALALY, ragaillardi. – Ainsi, Paulette, ma Paulette chérie…

PAULETTE, énervée. – Oh ! vous, laissez-moi tranquille ! vous pouvez rentrer vos appellations tendres !… C’est vous qui êtes cause de tout !… Vous m’embêtez tellement, que je n’ai même plus l’entrain nécessaire pour me venger… Ah ! mais je trouverai bien autre chose… je ne veux plus vivre comme ça !…

(Un domestique introduit un grand monsieur, gros, frais, souriant, les cheveux blancs, les yeux vifs.)

MADAME DE DOURGAR.– Ah ! voilà papa !

PAULETTE, courant au-devant de lui. – Bonsoir, monsieur Bonavy !…

M. BONAVY, surpris de voir Paulette. – Ah ! ça !… qu’est-ce que mon gendre est venu me chanter…

M. D’HAUTRETAN.– Mon ami, Paulette est retrouvée ! Nous avions eu l’idée qu’elle était peut-être chez toi…

M. BONAVY, étonné. – À une heure du matin ?

M. D’ALALY. Paulette est partie à la suite d’une légère discussion…

PAULETTE.– Une légère discussion !… Si vous aviez entendu ça !…

M. D’ALALY.– Peu importe !… elle est partie comme une petite folle… et je craignais… ou plutôt j’espérais… Enfin, nous pensions qu’elle était peut-être allée chez vous !…

M. BONAVY.– Pourquoi faire ?

M. D’HAUTRETAN. Pour te demander un conseil, parbleu !

M. BONAVY, surpris. – Comment… Est-ce que Paulette veut divorcer ?

PAULETTE, bondissant sur M. Bonavy. – Divorcer !… Eh bien, mais la voilà, l’idée !… C’était si simple !… Et moi qui ne songeais pas à ça !… Ah ! mon bon monsieur Bonavy… que je vous remercie de m’avoir aidée à trouver ce que je cherchais !…

M. BONAVY, effaré. Comment, c’est moi qui… Ah ! bien, voilà qui est fort !

PAULETTE. C’est sans le faire exprès !… Mais vous me rendez tout de même un fier service,… allez !

M. D’ALALY. Paulette !… vous ne pensez pas sérieusement à…

PAULETTE, avec explosion. – Non ?… Eh bien vous allez voir ça !… Divorcer ! ! ! c’est-à-dire être libre ! avoir la paix, pouvoir aller, venir tranquillement, parler à celui-ci ou à celui-là sans être accusée de… fornication !…

M. D’HAUTRETAN. Voyons, Paulette…

PAULETTE, exaspérée. – Il n’y a pas de : « Voyons, Paulette », je divorcerai !… car je n’en peux plus, à la fin ! La séparation, c’était bête ! C’était une demi-mesure !… tandis que le divorce !… À la bonne heure !…

M. BONAVY.– Mais on ne divorce pas comme ça, ma chère petite… il faut des motifs sérieux…

PAULELTE.– J’en ai…

M. BONAVY.– Ceux que vous croyez avoir ne suffiront pas pour que le tribunal…

PAULETTE.– Je lui parlerai, moi, au tribunal, et nous verrons bien !…

M. BONAVY, souriant malgré lui. – Mon enfant, c’est de la folie !…

PAULETTE.– Mais qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Sapristi !… Mettez-vous à ma place !… J’ai essayé de… sauter le pas… (Mouvement de M. Bonavy.) Oui… ce soir, j’ai essayé… Je n’ai pu m’y décider… ça vous étonne… c’est pourtant comme ça !…

M. BONAVY, protestant. – Mais… ça ne m’étonne pas le moins du monde…

PAULETTE.– Si !… je suis sûre que vous croyez que c’est tout simple, de jeter son bonnet par-dessus les moulins ?… Eh ! bien, pas du tout !… moi, je n’y arrive pas !… Pourquoi ? je n’en sais rien… Est-ce le moulin qui est trop haut, le bonnet qui tient trop bien, ou le biceps qui me fait défaut ?… Toujours est-il que ce soir, je suis restée en route… Tout dégénère !…

M. BONAVY, ne prenant pas la chose au sérieux. – Ma chère enfant, nous reparlerons de ça une autre fois… il est, depuis fort longtemps, l’heure d’être tranquille… Allons, viens, Geneviève !… As-tu ta voiture, d’Hautretan, ou veux-tu que je te reconduise ?…

PAULETTE.– Pardon… je vous demande de m’accorder encore un instant ?… (À sonmari.) Voulez-vous nous laisser, je vous prie, j’ai un mot à dire en particulier à… (Appuyant sur maître avec intention.)… à maître Bonavy…

M. D’ALALY, protestant. – Mais…

M. D’HAUTRETAN.– Allez-vous en donc, mon ami !… elle ne cédera pas… et il est deux heures du matin !…

(M. d’Alaly se lève et s’en va.)

PAULETTE, à M. Bonavy. – Dites-moi un peu ce que c’est que les motifs sérieux desquels vous m’avez parlé tout à l’heure ?…

M. BONAVY, agacé. – Pas maintenant… un autre jour…

PAULETTE, câline. – Non, tout de suite, voulez-vous ? Vous comprenez, je tiens à me les procurer sans perdre de temps…

M. BONAVY.– Quoi ?

PAULETTE.– Les motifs sérieux !… Je me souviens que… autrefois… quand je voulais me séparer, on m’avait déjà parlé d’eux, mais j’ai oublié ce qu’on m’en a dit…

M. BONAVY.– De qui ?…

PAULETTE.– Eh bien, des motifs sérieux… C’est pourtant clair, ce que je vous demande…

M. BONAVY, ahuri. – Vous trouvez ?…

PAULETTE.– Je vous en prie, soyez gentil… Dites-moi bien ce qu’il me faut pour obtenir le divorce ?…

M. D’HAUTRETAN, navré. – Et quand je pense que ta mère croit que c’est parce que je suis resté à m’amuser, que je n’ai pas été la chercher chez les Rechampy !…

PAULETTE.– Bah !… pour une fois qu’elle se trompe !… (À M. Bonavy.) Je vous écoute !… (Madame de Dourgar se rasseoit.)

M. BONAVY.– Mon enfant, il faut, pour obtenir le divorce, des choses impossibles… Quand on a un mari comme le vôtre…

PAULETTE.– Mais quoi, par exemple ?…

M. BONAVY.– Par exemple,… qu’il ait été condamné à…

PAULETTE, joyeuse, interrompant. – Il l’a été !…

M. BONAVY.– Vous dites ?

PAULETTE.– Il a été condamné, pour avoir donné un coup de poing à un cocher de fiacre, qui lui avait enfoncé son chapeau sur la tête avec le manche de son fouet… (M. Bonavy hausse les épaules.) Ça ne suffira pas ?… Autre chose, alors ?…

M. BONAVY.– Il faudrait que d’Alaly se fût livré sur vous à des excès, sévices ou injures graves…

PAULETTE.– Est-ce que l’injure grave suffit ?

M. BONAVY.– Entre gens de votre monde, oui… mais comme votre mari vous adore… (Il se dirige vers la porte.)

PAULETTE, ravie, le retenant. – Vous m’affirmez que l’injure grave suffira ?…

M. BONAVY, riant. – Injure-grave devant témoins…

PAULETTE.– Devant témoins, c’est embêtant, mais enfin !…

M. BONAVY.– Jamais d’Alaly n’a rien fait de semblable…

PAULETTE.– Non, mais je le lui ferai faire !… Soyez tranquille, monsieur Bonavy, je vous aurai le nécessaire…

M. BONAVY, sautant en l’air. – Vous m’aurez ! ! ! Mais jamais je ne m’occuperai de ça, entendez-vous !… Ah ! bien !… moi qui empêche toujours de divorcer… même des clients dont je ne me soucie pas ! par principe, d’abord,… et puis parce que je trouve que c’est idiot, le divorce !…

PAULETTE.– Alors, j’irai trouver un autre avoué !… quand j’aurai mon motif sérieux ! Merci de m’avoir renseignée, mon bon monsieur Bonavy !… (Elle lui saute au cou.)

M. BONAVY, la repoussant. – Je ne vous ai pas… renseignée… et je ne vous laisserai pas faire cette folie !…

M. D’HAUTRETAN.– Quand vous aurez fini de dire des bêtises, tous les deux, nous pourrons peut-être aller nous coucher !… (Ils se lèvent.)

PAULETTE, les reconduisant. – Des bêtises !… Mais je suis absolument décidée à divorcer !… puisque je ne suis pas capable de faire autre chose !… Enfin, on ne peut pourtant pas exiger que je tourne mal… si ça m’est désagréable !

IIComment on fait son droit

La chambre de Paulette.

Tentures de quinze-seize citron pas mûr et argent ; tapis d’ours blanc. Pour lit, un cygne formant gondole ; les rideaux drapés par des cordages d’argent ; sièges moelleux et profonds. Air parfumé. Roses et violettes dans des vases de cristal irisé.

PAULETTE achève de s’habiller. Costume de drap de soie mastic ; chapeau Récamier à couronne de roses.

M. D’ALALY, tenue du matin.

 

M. D’ALALY, regardant Paulette qui met son chapeau. – Tiens !… tu sors déjà !…

PAULETTE, sèchement. – Oui…

M. D’ALALY.– Est-ce que tu as commandé la voiture ?…

PAULETTE.– Naturellement… Je ne prends pas de fiacre aujourd’hui !… (Pliant.) Ça n’est pas tous les jours fête !…

M. D’ALALY.– Je ne comprends pas comment tu peux plaisanter en rappelant cet affreux souvenir d’hier… Quelle soirée j’ai passé grand Dieu !…

PAULETTE.– Eh bien, et moi donc !…

M. D’ALALY.– Enfin, tout ça est fini, n’est-ce pas ?… Bien fini… Tu n’y penses plus ?…

PAULETTE.– Oh ! que si !…

M. D’ALALY, s’approchant d’elle. – Non… je veux croire que toutes tes vilaines idées sont parties… pour ne plus revenir… (Il veut l’embrasser.)

PAULETTE, l’évitant. – Vous auriez tort de croire ça !…

M. D’ALALY.– Voyons, ne sois pas méchante… Tu sors ? Veux-tu m’emmener ?

PAULETTE.– Ah ! non ! Par exemple !

M. D’ALALY soupçonneux. – Je te gênerais !

PAULETTE.– Allons, bon ! voilà que ça recommence !

M. D’ALALY, à part. – Cependant, puisqu’elle sort dans la voiture, elle n’a rien à cacher… D’ailleurs, elle ne mettrait pas une pareille toilette, si…

PAULETTE, à part. – Il ne s’en ira pas !…

M. D’ALALY.– Tu as une bien jolie toilette… Mais un peu voyante…

PAULETTE, à part. – Vlan !… J’attendais ça !… (Très énervée.) Pardon, mais je suis pressée et…

M. D’ALALY.– Tu veux que je te laisse ?…

PAULETTE, gracieuse. – Je ne demande pas autre chose…

M. D’ALALY, voulant l’embrasser. – Eh bien, à tantôt…

PAULETTE, l’évitant encore. – À tantôt… (Entre ses dents.) Hélas !…

M. D’ALALY.– Tu dis ?… (À part.) Elle est toujours fâchée !… elle n’a pas voulu m’embrasser… Enfin, je ne peux pourtant pas lui demander pardon parce qu’elle est restée dehors jusqu’à une heure du matin !… (Il sort.)

PAULETTE.– Ouf !… Voyons… M. Bonavy a dit : « Excès, sévices, ou injures graves devant témoins. » Qu’est-ce que c’est au juste que l’injure grave ? J’ai demandé si ça suffisait, mais je n’ai pas pensé à demander en quoi ça consiste ?… Et les « excès et sévices » ?… quels mots !… quel accouplement !… Je ne vois pas trop la différence qu’il peut y avoir entre les deux ?… Il faut que je m’informe exactement, ma résolution est bien prise… Moi qui m’étais mariée pour avoir ma liberté !… pour n’être plus toujours surveillée, car je ne me suis pas mariée pour autre chose !… La voilà, la guigne… la guigne noire !… Voyons… Comment vais-je me renseigner sur les excès, sévices, etc… Faut-il que je retourne, comme autrefois, consulter des avocats… qui se moqueront de moi ?… C’est pas amusant !… si je pouvais… Dans des livres, je trouverais peut-être ce que je cherche ?… Ça doit être écrit !… Des livres… c’est fait pour tout le monde… tout doit y être prévu… même les maris comme le mien !… et je serais sûre de mon affaire… on ne me tromperait pas…

(Elle sort de sa chambre, descend l’escalier et monte en voiture.)

PAULETTE, au valet de pied qui tient la portière. – À la Librairie Nouvelle… (À elle-même.) Comment vais-je demander ça ? On va deviner pourquoi… Bah ! il faudra toujours bien qu’on le sache, ainsi !… Je vais expliquer ce qu’il me faut à Achille… il me trouvera ça tout de suite !… Comment !… Nous arrivons déjà ?… C’est bête !… ça m’intimide !…

(Le valet de pied ouvre la portière ; elle entre à la Librairie Nouvelle et cherche des yeux Achille, qu’elle n’aperçoit pas d’abord.)

PAULETTE, au jeune homme qui s’avancepour la servir. – Est-ce que M. Achille n’est pas là ?…

LE JEUNE HOMME.– Si, Madame… (Il démasque Achille, qui est au fond du magasin, absorbé par la confection d’un énorme paquet de livres.)

PAULETTE, s’approchant. – Je viens chercher… plusieurs livres… (Voulant gagner du temps.) Vous faites un paquet ?… (Achille fait un mouvement pour abandonner son paquet.) Non… non… continuez donc… je ne suis pas pressée… En attendant, je vais regarder les nouveautés, fureter… (Elle examine attentivement Achille, qui découpe des morceaux de carton pour entourer les volumes, puis colle, ficelle, etc…) Ah !… vous faites joliment bien les paquets, vous !…

ACHILLE, enchanté. – Mais oui… pas mal… (Il regarde aimablement son paquet, qui est superbe, prend une étiquette, la colle et se retourne vers Paulette, pour lui indiquer qu’il est à sa disposition.)

PAULETTE, gênée pour expliquer ce qu’elle veut. – Continuez donc !… (À part.) Je crois que, dans un magasin où on ne me connaîtrait pas, ça me gênerait moins…

ACHILLE.– Mais, Madame, j’ai fini… et vous n’êtes probablement pas venue chez nous pour me voir faire des paquets ?…

PAULETTE, résolument. – Avez-vous des livres sur le divorce ?…

ACHILLE, étonné. – Sur le divorce ?…

UN MONSIEUR, entrant. – Monsieur, pourriez-vous me dire où est la parfumerie Rimmel ?…

ACHILLE.– Plus haut… (Se retournant vers Paillette.) – Voici d’abord : Ohé ! les divorcés !

PAULETTE.– Par qui ?

ACHILLE.– Par Viensivoir.

PAULETTE.– C’est un pseudonyme ?

ACHILLE.– Je le pense.

PAULETTE, à part. – Je crois qu’au fond il se moque de moi !… (Elle feuillette le livre.) (Haut.) Je ne crois pas que ce livre… Avez-vous autre chose ?

ACHILLE, présentant un autre volume. – Voilà…

PAULETTE, lisant le titre. – Le divorce pour les gens du monde, par un vulgarisateur ! (À Achille.) Est-ce que c’est un livre sérieux ?

ACHILLE.– Dame… sérieux…

UN MONSIEUR, entrant. – Monsieur, pourriez-vous me donner la monnaie d’un billet de mille francs ?

ACHILLE.– Un peu plus loin, Monsieur, il y a un changeur… (Le monsieur sorti.)