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Lors des précédentes réformes de l'État, les propositions sur l’avenir de la Belgique ressemblaient à celles d’un couple en instance de divorce – la Flandre et la Wallonie –, statuant sur le partage de leurs biens... mais sans y parvenir pour le cas de Bruxelles.
Face aux nombreuses divergences, les Bruxelloises et les Bruxellois (qui n'ont pas été consultés) sont finalement restés sous la tutelle des Communautés pour certaines matières. Le Brussels Studies Institute inverse cette approche et veut mener le débat institutionnel en partant du point de vue de Bruxelles.
Dans cet ouvrage, plus de vingt-cinq chercheurs partent de cette question : et si Bruxelles devenait une Région autonome, sans distinction entre les compétences régionales et communautaires (à l’instar de la Flandre et de la Wallonie), cela améliorerait-il la vie des Bruxelloises et des Bruxellois ?
À PROPOS DES AUTEURS
Dirk Moors est responsable « valorisation » au Brussels Studies Institute. Auparavant, il a été fonctionnaire à la Commission communautaire flamande (VGC) pendant 10 ans et chef de cabinet adjoint dans des cabinets bruxellois et flamand pendant 18 ans, où il a contribué à la mise en oeuvre de la politique communautaire flamande – éducation, culture et bien-être – à Bruxelles.
Anneloes Vandenbroucke est docteure en psychologie (KU Leuven, 2003) et coordinatrice de recherche au Brussels Studies Institute depuis 2015. Elle y joue un rôle central dans la réalisation des BSI Series. Son expertise de recherche se situe principalement dans le domaine des inégalités sociales dans l'éducation.
Iadine Degryse est historienne et chercheure au Brussels Studies Institute. Ses recherches portent sur l'histoire de Bruxelles, l’historiographie muséale, les politiques mémorielles et les représentations contestées.
Simon Boone est directeur du Brussels Studies Institute, la plateforme interuniversitaire et intercommunautaire pour la recherche sur Bruxelles. Il est docteur en sociologie (UGent, 2013) et ses recherches ont porté principalement sur les inégalités sociales dans l'enseignement.
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Seitenzahl: 345
Veröffentlichungsjahr: 2025
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BSI Series
Dirk Moors Anneloes Vandenbroucke Iadine Degryse Simon Boone (dir.)
Parus dans la collectionDe Vijfhoek voorbij. Au-delà du Pentagone Het metropolitane stadscentrum van Brussel. Le centre-ville métropolitain de Bruxelles Aniss M. Mezoued, Sofie Vermeulen, Jean-Philippe De Visscher (eds.), 2020 (ISBN 978-2-8004-1723-3)Towards a Metropolitan City Centre for brussels Sofie Vermeulen, Aniss M. Mezoued, Jean-Philippe De Visscher (eds.), 2020 (ISBN 978-90-5718-517-5)Bedrijfswagens en duurzame mobiliteit. Analyse en uitdagingen Anneloes Vandenbroucke, Aniss M. Mezoued, Joost Vaesen (dir.), 2019 (ISBN 978-90-5718-882-4)Voitures de société et mobilité durable. Diagnostic et enjeux Anneloes Vandenbroucke, Aniss M. Mezoued, Joost Vaesen (dir.), 2019 (ISBN 978-2-8004-1657-1)Companies and sustainable mobility. The company car debate and beyond - Take home messages Anneloes Vandenbroucke, Aniss M. Mezoued, Joost Vaesen (dir.), 2019 (ISBN 978-90-5718-880-0)
Ce livre a fait l’objet de l’évaluation par les pairs. Sélection et édition © Dirk Moors, Anneloes Vandenbroucke, Iadine Degryse et Simon Boone Chapitres individuels © Les auteurs respectifs, 2025 Ce livre est publié sous licence CC-BY-NC-ND 4.0
Cette licence autorise le partage et la redistribution de l’oeuvre, à des fins personnelles et non commerciales, tant qu’elle est diffusée sans modification et dans son intégralité, avec attribution des auteurs et de l’éditeur : Dirk Moors, Anneloes Vandenbroucke, Iadine Degryse et Simon Boone, Bruxelles dans une Belgique à quatre Régions ?, Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 2025 (CC-BY-NC-ND 4.0). Ce livre a fait l’objet d’une publication en néerlandais par Leuven University Press : Dirk Moors, Anneloes Vandenbroucke, Iadine Degryse & Simon Boone (2025). Brussel in een België met vier Gewesten? Uitdagingen, kansen en vooruitzichten. ISBN 978 94 6165 380 2, eISBN 978 94 6165 381 9 Illustration de couverture et graphiques (sauf p. 50, 64, 73, 96 et 148 (en haut)) : © Erwin Vanherk, VillaGraficaISBN 978-2-8004-1892-6eISBN 978-2-8004-1893-3 D/2024/0171/20 © 2025, Éditions de l’Université de Bruxelles Avenue Paul Héger 26 1000 Bruxelles (Belgique)[email protected]
À propos du livre
Lors des précédentes réformes de l’État, les propositions sur l’avenir de la Belgique ressemblaient à celles d’un couple en instance de divorce – la Flandre et la Wallonie –, statuant sur le partage de leurs biens… mais sans y parvenir pour le cas de Bruxelles. Face aux nombreuses divergences, les Bruxelloises et les Bruxellois (qui n’ont pas été consultés) sont finalement restés sous la tutelle des Communautés pour certaines matières. Le Brussels Studies Institute inverse cette approche et veut mener le débat institutionnel en partant du point de vue de Bruxelles. Dans cet ouvrage, plus de vingt-cinq chercheurs partent de cette question : et si Bruxelles devenait une Région autonome, sans distinction entre les compétences régionales et communautaires (à l’instar de la Flandre et de la Wallonie), cela améliorerait-il la vie des Bruxelloises et des Bruxellois ?
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TABLE DES MATIÈRES
Liste des abréviations
Notes préliminaires
Vers une Belgique à quatre ? Préface
Paul De Grauwe, Philippe Van Parijs
Bruxelles, une ville pour l’avenir (du pays)
Dirk Moors, Anneloes Vandenbroucke, Simon Boone, Iadine Degryse
1 Bruxelles et l’hypothèse de la Belgique à 4 entités fédérées : une mise en perspective juridique
Emmanuel Slautsky, Guillaume Delvaux, Thibault Gaudin, Karel Reybrouck, Céline Romainville
2 Financement de Bruxelles et réformes institutionnelles
Benoît Bayenet, Maxime Fontaine
3 Régionaliser la culture à Bruxelles ? Fondements, opportunités, obstacles
Émilie Garcia Guillen, Karolina Svobodova, Karel Vanhaesebrouck, Bas Van Heur
4 Bruxelles deviendra-t-elle un cas d’école ? Défis pour le secteur de l’enseignement face à une plus grande autonomie de Bruxelles
Dirk Jacobs, Joost Vaesen, Benjamin Wayens, Esli Struys, Geraldine André, Marie Verhoeven, Marc Swyngedouw, Simon Boone, Dimokritos Kavadias
5 Bruxelles dans une Belgique à 4 Régions : quelles conséquences pour les soins et la santé des Bruxellois ?
Jean Macq, Joeri Vermeulen
6 Bruxelles gouvernée autrement ? Étude sur les aspirations des Bruxellois
Émilie Van Haute, Aurélie Tibbaut, Dave Sinardet, Dimokritos Kavadias
Conclusion
Iadine Degryse, Anneloes Vandenbroucke, Dirk Moors, Simon Boone
Personalia
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LISTE DES ABRÉVIATIONS
Abréviation
Définition du terme
ACS
Agent contractuel subventionné
ASBL
Association sans but lucratif
BSI
Brussels Studies Institute
CAWI
Computer-assisted web interviewing
CIM
Conférence interministérielle
CIVA
Centre d’information, de documentation, et d’exposition de la ville, de l’architecture, du paysage et de l’urbanisme de la Région de Bruxelles-Capitale
CLIL
Content and Language Integrated Learning
CMP
Centre médico-psycho-pédagogique
COCOF
Commission communautaire française
COCOM
Commission communautaire commune
CPAS
Centre public d’action sociale
EBP
Evidence based practice
ELZ
Eerstelijnszones
EMILE
Enseignement d’une matière par l’intégration d’une langue étrangère
FWB
Fédération Wallonie-Bruxelles
IBSA
Institut bruxellois de statistique et d’analyse
ICC
Industries créatives et culturelles
INAMI
Institut national d’assurance maladie-invalidité
IPP
Impôt des personnes physiques
KCE
Centre fédéral d’expertise des soins de santé
KU Leuven
Katholieke Universiteit Leuven
KVS
Koninklijke Vlaamse Schouwburg
LOP
Lokaal Overlegplatform
LSF
Loi spéciale de financement
OCDE
Organisation de coopération et de développement économique
OETC
Onderwijs in eigen taal en cultuur
OLS
Organisations locorégionales de santé
ONE
Office de la naissance et de l’enfance
PIB
Produit intérieur brut
PMR
Personnes à mobilité réduite
PSSI
Plan social santé intégré
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RAB/BKO
Réseau des arts à Bruxelles / Brussels Kunstenoverleg
RBC
Région de Bruxelles-Capitale
RIS
Revenu d’intégration sociale
RTBF
Radio télévision belge de la Communauté française
SAU
Société d’aménagement urbain
SPF
Service public fédéral
SPFB
Service public francophone bruxellois
TIC
Technologies de l’information et de la communication
UCLouvain
Université catholique de Louvain
UE
Union européenne
ULB
Université libre de Bruxelles
VAPH
Vlaams Agentschap voor Personen met een Handicap
VDAB
Vlaamse Dienst voor Arbeidsbemiddeling en Beroepsopleiding
VG
Vlaamse Gemeenschap
VGC
Vlaamse Gemeenschapscommissie
VRT
Vlaamse Radio- en Televisieomroeporganisatie
VUB
Vrije Universiteit Brussel
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NOTES PRÉLIMINAIRES
Le Brussels Studies Institute tient à remercier les personnes qui ont contribué à l’élaboration de (certaines parties de) ce livre : Sebastiano Cincinnato, Myriam De Spiegelaere, Daniel Dumont, David Hercot, Brigitte Neervoort et Olivia Vanmechelen.
Le BSI rappelle également que les propos tenus dans les chapitres suivants n’engagent que leurs auteurs et autrices.
Enfin, l’utilisation du genre masculin dans ce livre a été adoptée par certains auteurs et autrices afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire. Le masculin est employé comme genre neutre pour désigner aussi bien des femmes que des hommes ou des personnes non binaires. ← 11 | 12 →
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VERS UNE BELGIQUE À QUATRE ? PRÉFACE
Paul DE GRAUWE et Philippe VAN PARIJS, initiateurs de Re-Bel (Rethinking Belgium’s Institutions in the European Context)
À l’exception de la Belgique, tous les pays fédéraux du monde sont purement territoriaux. Même la Suisse, pays multilingue aux 26 cantons, dont plusieurs sont bilingues et beaucoup très petits, n’a pas jugé bon de créer des entités fédérées non-territoriales analogues à nos Communautés.
Un premier grand avantage de ce fédéralisme purement territorial est sa lisibilité pour le citoyen : tout ce qui n’est pas décidé au niveau fédéral l’est par le parlement et le gouvernement de son canton, de son Land, de sa province, de son État. Un second grand avantage réside dans la possibilité pour l’entité fédérée de mener une politique plus cohérente : toutes les compétences décentralisées se trouvent dans les mains d’un seul gouvernement, comme en Flandre, et pas réparties entre deux gouvernements, comme en Wallonie et en Ostbelgien, ou entre six gouvernements comme à Bruxelles si on y inclut les trois commissions communautaires.
On comprend dès lors que le modèle de la « Belgique à quatre » ait peu à peu fait son chemin. Dans ce modèle, les Régions de Flandre, de Wallonie et de Bruxelles se partageraient les compétences des Communautés flamande et française, tandis que la Communauté germanophone deviendrait la Région Ostbelgien et hériterait des compétences régionales sur son territoire.
L’initiative de ce volume constitue une nouvelle manifestation de l’intérêt porté à ce modèle. La plupart de ses chapitres rappellent, chacun dans son domaine, les bonnes raisons qu’il peut y avoir, à vouloir évoluer dans cette direction. En outre, son chapitre politique nous informe que ce modèle jouit de la faveur d’une forte majorité de la population bruxelloise : compte non tenu des « je ne sais pas », les deux tiers des Bruxellois interrogés estiment que « la Région devrait être seule compétente pour toutes les matières » alors qu’un tiers seulement estime qu’« il faut maintenir la distinction entre Région et Communautés ».
Mais il ne suffit pas de rêver à ce modèle et de vanter tous les avantages qui en découleraient, particulièrement pour la Région de Bruxelles-Capitale. Il faut aussi ← 13 | 14 → comprendre et évaluer les objections qui lui sont faites et les effets néfastes qu’il est susceptible de produire dans un avenir prévisible, en particulier pour Bruxelles. C’est à quoi s’emploie, sans fard et sans tabou, l’essentiel de ce volume.
La première question sur laquelle il importe d’être au clair est celle de la soutenabilité financière du modèle. Le chapitre économique présente les conclusions de l’étude approfondie commandée par le ministre bruxellois des finances à une équipe interuniversitaire de chercheurs. Cette étude portait sur les implications financières pour la Région de Bruxelles-Capitale d’un transfert des recettes et des dépenses des Communautés flamande et française vers les Régions à l’horizon 2025-2035.
Elle a pour conclusion centrale que le déficit courant et la dette publique de la Région bruxelloise augmenteraient brutalement pour deux raisons : d’une part, les budgets des deux Communautés sont fortement déficitaires ; d’autre part, la proportion des dépenses transférées à Bruxelles excéderait nettement la proportion des recettes transférées selon les critères actuellement en vigueur. Vu la situation déjà très précaire des finances publiques bruxelloises, il est donc clair que la « Belgique à quatre » n’est pas soutenable pour Bruxelles sans une modification importante – et inévitablement laborieuse – du mode de financement des entités fédérées.
Cette conclusion du chapitre économique fait inévitablement partie de la toile de fond des discussions des autres chapitres. Mais elle ne les empêche pas d’explorer, toujours avec lucidité et parfois avec ingéniosité, diverses manières d’aller de l’avant sans irresponsabilité financière et si possible sans devoir toucher à la Constitution. Ainsi, le chapitre juridique discute de manière approfondie le modèle « 4+1 » qui, outre les quatre entités fédérées territorialement définies, conserverait une Communauté française aux compétences réduites à l’enseignement et à la culture. Un tel modèle ne peut pas se prévaloir au même degré des deux avantages de la « Belgique à 4 » mentionnés en commençant, mais il préserve certains avantages du fédéralisme communautaire, ne fût-ce qu’en termes d’économies d’échelle.
Les chapitres relatifs à l’enseignement et à la culture, pour leur part, explorent diverses voies qui permettent de mieux tenir compte de la réalité bruxelloise et de faire place à une politique proprement bruxelloise en la matière compatible notamment avec le modèle « 4+1 ». Ainsi, le chapitre sur l’enseignement commence par décrire le modèle idéal, où la Région bruxelloise aurait la responsabilité d’une éducation efficace et équitable pour tous ses enfants et leur offrirait à tous l’accès à des écoles bilingues. Vu les obstacles, pas seulement financiers, auxquels la réalisation de ce modèle se heurte, il plaide ensuite pour le développement, à côté des réseaux dépendant des Communautés, d’un réseau d’écoles bilingues que l’État fédéral est en droit d’organiser dans le cadre de ses compétences « résiduaires ».
Enfin, le chapitre sur les soins de santé insiste sur la dimension territoriale d’une pratique efficace de la santé publique : la meilleure manière de l’organiser doit reposer sur une structuration en « bassins » géographiquement définis, du reste à une échelle bien plus réduite que celle d’une Région. Si donc on était amené à ← 14 | 15 → défédéraliser partiellement cet aspect de la sécurité sociale, ce devrait être vers les Régions et non vers les Communautés, comme ce le fut du reste dans le cas des allocations familiales. Ce serait donc un pas de plus vers un fédéralisme territorial.
Ces quelques mots qui résument notre compréhension des diverses facettes du message central du volume n’en épuisent évidemment pas la richesse, ni la grande utilité qu’il aura pour guider la réflexion et l’action institutionnelles, à Bruxelles et au-delà, dans les années qui viennent. Pour pouvoir avancer efficacement, il importe d’avoir en tête une destination, fût-elle lointaine, suffisamment attirante pour mériter nos efforts. Un fédéralisme territorial limpide et performant en est une. Mais il importe tout autant de regarder où on met les pieds. C’est ce que ce volume nous force à faire. L’éclairage qu’il nous apporte nous aidera à saisir les occasions d’aller de l’avant lorsqu’elles se présenteront. Comme l’écrivent les auteurs du chapitre juridique, « le fédéralisme (belge) regorge d’exemples d’évolutions, de ruptures et de bifurcations qui paraissaient impensables et improbables ». ← 15 | 16 →
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BRUXELLES, UNE VILLE POUR L’AVENIR (DU PAYS)
Dirk MOORS, Anneloes VANDENBROUCKE, Simon BOONE et Iadine DEGRYSE (BSI)
En 2022, tous les habitants de la Belgique ont été invités par le gouvernement fédéral à réfléchir sur l’organisation du pays et de ses entités fédérées, ainsi qu’au fonctionnement de notre démocratie. Le rapport « Un pays pour demain » (2023) de 200 pages comprend également deux pages sur l’avenir des compétences communautaires dans la Région de Bruxelles-Capitale1. Il dresse un bref inventaire des acteurs qui pourraient être compétents pour organiser à Bruxelles la culture, l’enseignement et l’action sociale, de l’Europe au gouvernement fédéral, en passant par les Communautés, voire… Bruxelles elle-même.
Lors des précédentes réformes de l’État et dans de nombreux articles d’opinion, débats et journées d’étude sur les réformes à venir, les scénarios pour Bruxelles semblaient et semblent être des propositions dignes d’un couple en instance de divorce – la Flandre et la Wallonie – qui tentent de se mettre d’accord sur le partage de leurs biens, sans se soucier de ce dont Bruxelles elle-même a besoin. À Bruxelles, on ne lui a rien demandé. La Région a simplement subi, se contentant des pouvoirs – et des financements – qui lui ont été accordés. Le Brussels Studies Institute (BSI) veut renverser cette approche et mener le débat institutionnel avec Bruxelles comme point de départ. Ou plutôt, avec les Bruxellois et les Bruxelloises comme point de départ.
Alors que la Flandre et la Wallonie ont obtenu le pouvoir de règlementer leur territoire et les personnes qui y vivent, Bruxelles a été autorisée à administrer son espace, mais pas la coexistence des personnes dans cet espace. L’enseignement, la culture et l’action sociale sont restées du ressort des Communautés. Ce n’est pas une coïncidence si ces domaines sont des instruments de connexion ou de communauté entre les personnes. Ces instruments sont donc désormais utilisés pour créer une « communauté » entre une partie des Bruxellois et Bruxelloises avec la Flandre, et une autre partie des habitants avec la Wallonie. La langue étant le ciment. La Région bruxelloise ne dispose pas de ces instruments de connexion entre ← 17 | 18 → les Bruxellois et Bruxelloises, ou seulement dans une mesure très limitée. Il existe des hôpitaux et des maisons de repos bilingues, et Bruxelles détermine et paie ses propres allocations familiales. Mais formellement, il n’y a pas de médias, d’écoles, de centres culturels ni de bibliothèques bilingues.
Les Bruxellois et Bruxelloises ont (heureusement) la liberté de choisir où leurs enfants vont à l’école, font de la musique ou jouent au football. Mais l’offre est souvent insuffisante. En d’autres termes, ce ne sont pas les Communautés qui choisissent les Bruxellois et Bruxelloises qui leur « appartiennent », mais les Bruxellois et Bruxelloises qui choisissent parmi l’offre des Communautés. Cette liberté de choix n’enlève rien au fait qu’il y a une demande croissante des Bruxellois et Bruxelloises pour une offre bilingue et multilingue d’une part, et un besoin croissant de dialogue, de coopération et de coordination d’autre part. « Bruxelles 2000 », le projet ayant abouti sur le statut de Capitale européenne de la culture en 2000, a été le porte-voix d’une politique culturelle bruxelloise (métropolitaine), une question qui semble toujours aussi actuelle et lointaine à l’approche de « Bruxelles 2030 », malgré la coopération dans ce domaine du Réseau des Arts à Bruxelles / Brussels Kunstenoverleg (RAB/BKO). Le Taalbarometer (« Baromètre des langues ») de 2018 indique une forte demande pour un enseignement bilingue ; pas moins de 90 % des Bruxellois et Bruxelloises y seraient favorables (Janssens, 2018). Le boom démographique depuis quinze ans oblige la Région bruxelloise à coordonner la construction d’équipements collectifs – écoles, centres sportifs, infrastructures culturelles. Et les expériences lors de la crise du Covid19 et de la stratégie de vaccination ont appris à Bruxelles, à ses dépens, qu’une fragmentation des compétences combinée à une méconnaissance de la diversité culturelle existante entravent une politique de santé efficace.
Le BSI lui-même a été fondé fin 2010 à l’initiative de plusieurs académiques bruxellois affiliés à différentes universités bruxelloises flamandes et francophones, qui souhaitaient dépasser la communautarisation et la fragmentation des connaissances sur Bruxelles, par la coopération et la mise en réseau au-delà des frontières linguistiques, disciplinaires et institutionnelles. Dans cet ouvrage, nous donnons la parole à quelque 25 académiques et chercheurs bruxellois du réseau BSI qui se sont penchés sur les compétences dont Bruxelles (et ses habitants) a besoin et dont elle peut disposer, ainsi qu’à la manière dont cela se traduirait dans les futures réformes de l’État. Notre point de départ était le scénario le plus simple : et si Bruxelles, comme la Flandre et la Wallonie, devenait une Région autonome sans distinction entre les compétences régionales et communautaires. Est-ce que cela améliorerait la vie des Bruxellois et des Bruxelloises ? Bruxelles est une ville très diversifiée, jeune, duale, avec une importante mobilité interne et externe. On y parle plus de langues que partout ailleurs en Europe. Seuls 13 % des habitants ont plus de 65 ans (IBSA, Focus N° 61), tandis que 30 % des ménages bruxellois ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté (IBSA, Panorama socio-économique 2023), qu’un quart de la population vit dans la Région depuis moins de cinq ans (Hamesse & Sierens, 2018) et que la moitié vit depuis moins de six ans dans le même quartier. ← 18 | 19 → Ces caractéristiques sont en soi typiques d’une métropole comme Anvers ou Charleroi, mais à Bruxelles, elles sont concentrées. De plus, Anvers est une métropole dans une Région unilingue, tandis que Bruxelles est à la fois une métropole et une Région bilingue. Cela signifie que les Bruxellois et Bruxelloises ont le choix entre deux Communautés, mais cela entraîne aussi un manque de direction et de force d’action lorsque Bruxelles doit faire face à un boom démographique (construction d’équipements collectifs), à une pandémie (vaccinations corona) ou à une menace (attentats, violence liée à la drogue).
Un manque de force d’action auquel la taille de Bruxelles n’est pas étrangère. Mais la métropole bruxelloise s’étend bien au-delà des frontières administratives de la Région et même sans facilités linguistiques administratives, la diversité linguistique ne fera que s’accroître. Bruxelles, c’est la Flandre et la Wallonie de demain.
Mais Bruxelles, au sein de ses limites administratives, est-elle capable de devenir une Région avec une Communauté de communautés ?
Le livre comporte six chapitres :
Le premier chapitre présente le scénario institutionnel de départ (une Belgique avec quatre Régions) parmi d’autres scénarios possibles. Les débats politiques sur les futures réformes de l’État jonglent avec des termes qui sont acceptés par l’opinion publique dans la mesure où ils sont répétés suffisamment fort et souvent. Mais que signifient-ils ?
Le deuxième chapitre permet de comprendre d’où vient et d’où devrait venir l’argent avec lequel Bruxelles doit exercer ses pouvoirs. Bruxelles est le plus grand pôle d’emploi de Belgique, mais la moitié des personnes qui y travaillent sont des navetteurs non bruxellois qui paient donc des impôts ailleurs. Dans le même temps, Bruxelles accueille chaque année plusieurs dizaines de milliers de nouveaux arrivants étrangers (plus de 62 500 en 2022 – IBSA, Focus n° 61) qui ont souvent peu de moyens de subsistance. Qui assume quels coûts et sont-ils portés par les bonnes épaules ? Et qu’en sera-t-il si la Région reprend les compétences des Communautés ?
Trois chapitres thématiques donnent un bref aperçu des domaines politiques centrés sur la personne que sont l’enseignement, la culture, et le bien-être et la santé, en explorant les possibilités et les risques d’une régionalisation et en se concentrant, par nécessité, sur un sous-domaine. Pour l’enseignement, il s’agit de l’enseignement obligatoire bilingue ou multilingue. Pour la culture, c’est le secteur des arts et des industries culturelles, et enfin pour le bien-être et la santé, il s’agit des soins de santé. Cela illustre comment la régionalisation peut (parfois) être une réponse bruxelloise à une réalité bruxelloise pour laquelle il n’y a pas de politique aujourd’hui.
Le dernier chapitre présente une enquête récente menée auprès des Bruxelloises et des Bruxellois. Dans quelle mesure sont-ils satisfaits de la manière dont leur ← 19 | 20 → commune, ville, Région est gouvernée ? Si les questions et les réponses portent spécifiquement sur les résultats (la qualité des services et des équipements), les observations donnent matière à réflexion sur les réformes. Après tout, celles-ci doivent se faire avec les Bruxelloises et les Bruxellois eux-mêmes.
L’histoire des réformes de l’État est une chronique de l’« unilinguisation » de la Flandre et de la Wallonie, au sein desquelles de moins en moins d’habitants d’une Région ne connaissent les médias, la culture et la langue de l’autre. Pour Bruxelles, l’ancrage du bilinguisme administratif de la Région n’a pas mené à davantage de bilinguisme dans les services. Le bilinguisme ou le multilinguisme trouve son terreau dans l’enseignement, la rencontre, la culture. L’« unilinguisation » progressive des institutions, organisations et services communautaires à Bruxelles a conduit à l’éclatement physique des écoles et des campus, au développement de centres culturels et de bibliothèques distincts… où les publics sont de plus en plus diversifiés et où la demande de multilinguisme (pour y faire face) est de plus en plus forte.
Lorsque, dans la longue période précédant la première réforme de l’État, l’université bilingue de Leuven est devenue monolingue, Louvain-la-Neuve a été construite pour les francophones. Les ouvrages de la bibliothèque universitaire ont été répartis selon leur place sur les étagères : les numéros impairs sont restés à Leuven, les numéros pairs ont été transférés à Louvain-la-Neuve. Avec ce livre, le BSI veut nourrir une vision commune de Bruxelles, rassembler les gens (et les livres) dans une seule bibliothèque mentale bruxelloise, et appeler les Bruxelloises et les Bruxellois à participer à la réflexion sur une nouvelle Bruxelles… sans déplacer la ville cette fois.
BIBLIOGRAPHIE
HAMESSE, D. & SIERENS, A. (2018). Les nouveaux habitants des quartiers bruxellois. Institut Bruxellois de Statistique et d’Analyse. IBSA. Focus n° 27.
HERMIA, J.-P. (2023). Baromètre démographique 2023 de la Région de Bruxelles-Capitale. Institut Bruxellois de Statistique et d’Analyse. IBSA. Focus n°61.
IBSA, BUREAU FÉDÉRAL DU PLAN & BRUXELLES ENVIRONNEMENT (2023). Panorama socio-économique 2023. Contexte économique, social et environnemental de la Région de Bruxelles-Capitale. Institut Bruxellois de Statistique et d’Analyse.
JANSSENS, R. (2018). Meer-taligheid als opdracht: Een analyse van de Brusselse taalsituatie op basis van taalbarometer 4. VUB Press.
UN PAYS POUR DEMAIN (2023). Consulté le 28 juin 2024, sur https://unpayspourdemain.be/pages/rapport.html
1À des fins de lisibilité, le terme « Bruxelles » est utilisé pour désigner la Région de Bruxelles-Capitale dans cette introduction.
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BRUXELLES ET L’HYPOTHÈSE DE LA BELGIQUE À 4 ENTITÉS FÉDÉRÉES : UNE MISE EN PERSPECTIVE JURIDIQUE
Emmanuel SLAUTSKY (ULB), Guillaume DELVAUX (UCLouvain), Thibault GAUDIN (ULB), Karel REYBROUCK (KU Leuven), Céline ROMAINVILLE (UCLouvain)
INTRODUCTION
C’est en 1989, quatre ans avant que la Belgique ne devienne formellement un État fédéral, qu’était créée la Région de Bruxelles-Capitale1. L’article 107quater de la Constitution de l’époque – articles 3 et 39 de la Constitution coordonnée en 1994 – était ainsi mis en œuvre en ce qui concerne la troisième Région belge, près de dix ans après la création de la Région wallonne et de la Région flamande et dix-neuf ans après que la Région bruxelloise avait fait son apparition dans la Constitution – sans que le papier de la Constitution ne se traduise dans la réalité. On ajoutera que la Région flamande verra dès le départ ses compétences exercées par la Communauté flamande2. Sur le plan chronologique, la Région de Bruxelles-Capitale est donc la dernière entité fédérée née du processus de transformation de la Belgique d’un État unitaire en un État fédéral, si l’on excepte le cas particulier de ← 21 | 22 → la Commission communautaire française (Cocof)3. Il est peu de dire que l’accouchement ne s’est pas fait sans douleur. C’est que l’organisation institutionnelle de Bruxelles témoigne à bien des égards de la difficulté pour le fédéralisme belge de choisir entre un modèle communautaire et un modèle régional. La structuration institutionnelle du territoire bruxellois est, elle-même, le reflet des visions concurrentes de ce que doit être l’organisation de l’État belge.
Figure 1
Toutefois, même si elle répond à des préoccupations historiquement compréhensibles, l’organisation institutionnelle actuelle de Bruxelles est de plus en plus décriée, au motif notamment de son illisibilité, de son décalage par rapport aux réalités de terrain et des obstacles qu’elle pose au développement de politiques publiques cohérentes et efficaces à Bruxelles. C’est donc assez ← 22 | 23 → logiquement que les propositions de réforme du paysage institutionnel bruxellois se multiplient.
Dans ce contexte, l’objectif de la présente contribution est de situer et d’éprouver quelques-unes des évolutions possibles du statut institutionnel de Bruxelles au regard de cinq enjeux distincts : celui de la lisibilité de l’organisation institutionnelle bruxelloise (1.), celui de l’efficacité et de la cohérence des politiques publiques bruxelloises (2.), celui des relations entre Bruxelles et les autres composantes de la fédération belge (3.), celui de la protection de la minorité néerlandophone à Bruxelles (4.) et celui de la cohésion sociale bruxelloise (5.). Chaque « futur » possible de Bruxelles sur le plan institutionnel a en effet des implications différentes au regard de ces différents enjeux, qui sont cruciaux pour le devenir de Bruxelles, et les mérites et les faiblesses des différents modèles peuvent dès lors être précisés en mettant en évidence ces implications. Plus précisément, les pistes de réforme du statut institutionnel de Bruxelles évoquées ci-après sont au nombre de quatre, que l’on peut situer sur un continuum à l’extrémité duquel on trouve, d’un côté, un pôle « régional » et, d’un autre côté, un pôle « communautaire ».
À un pôle du spectre, et c’est le premier modèle analysé, plusieurs auteurs plaident pour le modèle d’une « Belgique à 4 », c’est-à-dire une Belgique réorganisée autour de quatre entités territoriales situées sur un pied d’égalité : la Flandre, la Wallonie, Bruxelles et l’entité germanophone (Ostbelgien). Pour Philippe Van Parijs (2018), par exemple, le fédéralisme à double strate que connaît aujourd’hui la Belgique était une étape utile sur le chemin de la transformation de la Belgique unitaire en un État fédéral, mais ce stade doit être dépassé et la Belgique doit évoluer vers une forme purement territoriale de fédéralisme, une fédération de quatre Régions sans plus de Communautés. Johan Vande Lanotte (2011, Vandelanotte et Mortier 2021) plaide, quant à lui, aussi pour le scénario d’une « Belgique à 4 », tout en prévoyant cependant que la Flandre et la Wallonie continuent d’exercer à Bruxelles des compétences en matière d’enseignement, de culture et de bien-être. Ceci montre la difficulté, dans le contexte belge, à mettre en place un fédéralisme qui serait uniquement territorial, sans tempéraments, eu égard à la présence, notamment, d’une minorité néerlandophone à Bruxelles et de la présence de nombreux francophones dans les communes flamandes de la périphérie bruxelloise.
À un pôle opposé du spectre propositionnel, et c’est le deuxième modèle évoqué, d’autres auteurs plaident plutôt en faveur d’une marginalisation de la Région de Bruxelles-Capitale, voire en faveur de sa disparition, au profit du rôle joué par les Communautés à Bruxelles. Dans les scénarios de ce type, celui du « 2+2 » ou du « 2 » tout court, on peut considérer, en synthétisant et en faisant abstraction des nuances qui peuvent exister selon les auteurs, que les Communautés auraient vocation à continuer d’intervenir à Bruxelles pour, respectivement, les néerlandophones et les francophones, en ce compris les individus qui auraient fait le choix de se rattacher à l’une ou l’autre communauté, tandis que les Communautés ← 23 | 24 → géreraient ensemble les questions d’intérêt commun. Selon les cas, la Région de Bruxelles-Capitale disparaîtrait comme entité fédérée, reléguée au rang d’entité subordonnée (Van Orshoven, 2013), tantôt se verrait cantonnée à des compétences de moindre importance qui n’auraient pas d’implications en dehors du territoire bruxellois. Dans ce dernier cas, une tutelle flamando-wallonne trouverait à s’appliquer (Pas, 2012 ; Clement et al., 1996). En d’autres termes, la Belgique serait structurée autour de deux États fédérés principaux – la Flandre et l’entité francophone – et, le cas échéant, de deux territoires fédérés de rang inférieur : les entités bruxelloise et germanophone.
Figure 2
Ces deux types de positionnements ont ceci de commun qu’ils aboutissent à mettre en cause la dualité, dans des directions inverses néanmoins, entre Régions et Communautés qui sont la base de l’architecture fédérale belge, en réarticulant l’organisation institutionnelle belge de manière très différente, voire opposée, en ← 24 | 25 → ce qui concerne le statut de Bruxelles. Entre ces deux pôles, les positionnements possibles sont nombreux et variés. Ils partagent le fait qu’ils préservent le caractère à double strate de l’organisation fédérale belge et la dualité entre les Régions et les Communautés. Dumont et El Berhoumi (2017) proposent, par exemple, un réaménagement des compétences entre les Régions et les Communautés, qui verrait les compétences des Communautés recentrées sur la culture et l’enseignement, tandis qu’il faudrait envisager de transférer leurs autres compétences, c’est-à-dire, à l’heure actuelle, les matières personnalisables, aux Régions. Ils qualifient ce modèle de Belgique « à 4 + 1 », parce que, outre l’Autorité fédérale, la Belgique serait organisée autour de la Communauté flamande (exerçant aussi les compétences régionales flamandes), de la Région wallonne, de la Région de Bruxelles-Capitale et de la Communauté germanophone, à laquelle il faudrait ajouter la Communauté française, dont les compétences seraient resserrées ; c’est le troisième modèle envisagé ici. Une proposition proche semble être également soutenue par Uyttendaele (2008 ; Uyttendaele et Verdussen, 20224), ainsi que, avec quelques nuances, par Lievens et al. (2020), ou encore Dumont (2022). Un accord entre les présidents de trois partis politiques francophones et rendu public à l’automne 2023 semble également aller dans ce sens (Coppi et Vandevelde, 2023), même si le statut de cet accord est incertain.
Enfin, un quatrième et dernier modèle est celui dit du « 4 + 4 » qui consiste à transférer par le mécanisme de l’article 138 de la Constitution l’intégralité des compétences de la Communauté française à la Région wallonne et à la Cocof (Delvaux, 2022). Il s’agit d’une piste de réforme institutionnelle « intra-francophone », qui ne remet pas en cause, à Bruxelles, la dualité entre Région et Communautés. Ce modèle peut être qualifié de Belgique à « 4 + 4 » dans la mesure où resteraient compétents, à l’échelle belge, dans les matières fédérées, en plus des trois Régions et de la Communauté germanophone, l’Autorité fédérale, la Commission communautaire commune (Cocom), la Cocof et la Communauté flamande (Dumont & El Berhoumi, 2017 ; Dumont, 2023). Du point de vue bruxellois, ces quatre dernières entités seraient donc compétentes dans les matières communautaires. ← 25 | 26 →
Figure 3
1 METTRE FIN À LA COMPLEXITÉ INSTITUTIONNELLE BRUXELLOISE ?
Les réformes de l’État successives ont donné à Bruxelles une architecture institutionnelle complexe, les compétences y étant éclatées entre pas moins de six législateurs différents pour un territoire de 162 km2 et de 1 200 000 habitants. Outre l’Autorité fédérale et la Région de Bruxelles-Capitale, dans le champ de leurs compétences respectives, disposent d’un pouvoir législatif à Bruxelles, comme on le sait, la Cocom, la Communauté flamande, la Communauté française et la Cocof. À ces différents niveaux de pouvoir dotés d’une compétence législative, il faut encore ajouter le rôle que jouent les pouvoirs locaux et, en particulier, les dix-neuf communes bruxelloises, les dix-neuf centres publics d’action sociale et les six zones de police, ainsi que la Commission communautaire flamande (VGC) et l’Agglomération bruxelloise. L’organisation institutionnelle bruxelloise telle qu’elle vient d’être très sommairement décrite souffre à l’évidence d’un manque criant de lisibilité et d’intelligibilité (Uyttendaele, 2008). Ceci peut mettre à mal l’un des principes parmi les plus élémentaires dans un régime démocratique, à savoir la responsabilité politique. Pareille organisation entrave en effet la reddition des comptes des gouvernants devant les gouvernés : ces derniers ne sont pas toujours capables d’identifier clairement quelles sont les autorités responsables des politiques menées ou de l’absence de réactivité par rapport à certains problèmes publics. La complexité et l’illisibilité du système institutionnel belge peut produire des situations confinant ← 26 | 27 → au kafkaïen, parfois tellement problématiques pour les individus qu’il en est résulté des constats de violation de droits fondamentaux garantis par des règles constitutionnelles, européennes et internationales5.
Certes, toute organisation de type fédéral est complexe et cette complexité n’est pas gratuite. Elle répond à des différences, à des préoccupations et à des intérêts légitimes sous-jacents, qu’il serait illusoire et contre-productif de vouloir ignorer. La tentation de la page blanche et celle de la simplicité à tout prix risquent de se heurter rapidement aux contraintes du réel et des compromis que celui-ci impose, en particulier dans une démocratie consociative qui aspire à résoudre ses différends par des voies pacifiques (Delpérée, 2022). Il n’en reste pas moins que, dans le cas de Bruxelles, cette complexité prend des proportions telles qu’il est à peu près impossible au non-initié de droit constitutionnel de comprendre les ressorts institutionnels qui sous-tendent la prise de décision dans l’espace politique bruxellois, en particulier dans les matières communautaires. Ceci crée une difficulté majeure si on admet qu’une telle compréhension est une condition nécessaire et préalable à la vie civique bruxelloise6.
Cette complexité institutionnelle bruxelloise, en particulier dans l’exercice des compétences communautaires, a des effets négatifs, en ce compris sur des publics précarisés ou vulnérables. On en donne un exemple qui nous paraît particulièrement interpellant, à savoir celui de la prise en charge à Bruxelles des personnes souffrant d’un handicap. Dans une contribution récente, Daniel Dumont qualifie, en des termes particulièrement forts et révélateurs, tantôt de « marécage », tantôt de « monstre », l’organisation des dispositifs d’aides aux personnes porteuses d’un handicap à Bruxelles (Dumont, 2022). Il explique ainsi, entre autres incongruités et complications, que le régime des aides à la mobilité à destination des personnes porteuses d’un handicap dépend, à Bruxelles et depuis la sixième réforme de l’État, à la fois de la Cocom, en ce qui concerne les interventions principales, et de la Cocof et la Communauté flamande, en ce qui concerne les aides complémentaires, chaque niveau de pouvoir étant habilité à développer un régime d’aides correspondant à ses préférences politiques. La loi spéciale exige, certes, qu’un guichet unique soit mis en place pour éviter que les citoyens concernés – qui sont souvent déjà placés dans une situation de grande vulnérabilité – ne doivent jongler entre ← 27 | 28 → ces différentes institutions pour obtenir les aides auxquelles ils ont droit7. Ce guichet unique n’a cependant, à ce jour, semble-t-il pas été mis en place, en dépit de l’adoption d’un accord de coopération, de sorte que les régimes juridiques différents applicables à Bruxelles dans cette matière se traduisent également par des points d’accès différents aux prestations pour les bénéficiaires des aides. Une telle configuration a pour conséquence d’obliger les personnes souffrant d’un handicap à Bruxelles et les acteurs du secteur – les mutuelles en particulier – à jongler entre trois niveaux de pouvoir et trois régimes juridiques différents, ce qui est générateur de difficultés pratiques et de freins dans l’accès aux aides pour les personnes concernées (Dumont, 2022). À l’initiative de la Cocom, une tentative de rationalisation de la situation a néanmoins été entreprise8.
En termes de lisibilité de l’organisation institutionnelle bruxelloise, c’est assurément le modèle de la Belgique à 4 qui est le plus prometteur. Il aboutit en effet à concentrer entre les mains d’un seul acteur – la Région – l’ensemble des compétences dévolues aux entités fédérées. Il met ainsi fin à la complexité générée par la coexistence sur le même territoire de six législateurs différents, seuls deux d’entre eux subsistant dans ce modèle (le législateur fédéral et le législateur régional). Dans une mesure bien moindre, le modèle de la Belgique à 2+2 aboutit aussi à simplifier les institutions bruxelloises puisque, outre l’Autorité fédérale, le territoire bruxellois ne serait plus soumis qu’à deux législateurs distincts, pour toutes les matières qui ont une incidence ou un lien avec les deux grandes Communautés, la Région bruxelloise restant compétente pour une série de matières résiduelles. Les autres modèles, dans la mesure où ils ne remettent pas en cause la dualité Région-Communautés, n’ont pas un effet simplificateur dans une même mesure. Certains modèles peuvent néanmoins accroître la lisibilité de la structure institutionnelle bruxelloise, par comparaison avec la situation actuelle, s’ils permettent de supprimer les compétences législatives de la Cocof (modèle 4+1, dans une version qui verrait l’ensemble des compétences législatives de la Cocof régionalisées).
2 AMÉLIORER L’EFFICACITÉ ET LA COHÉRENCE DES POLITIQUES PUBLIQUES À BRUXELLES ?
Avant d’évaluer les différents modèles retenus, il est nécessaire de définir ce que nous entendons par « efficacité » et « cohérence » des politiques publiques. Le terme « efficacité » peut recouvrir différentes acceptions. La langue de Shakespeare ← 28 | 29 → fait d’ailleurs la distinction entre « efficiency » qui désigne la capacité d’arriver à un résultat avec le moins d’effort et « effectiveness » qui consiste à arriver au meilleur résultat possible. Il est également possible de mesurer l’efficacité en comparant les effets mesurés aux objectifs visés (Jacob, 2019). Dans ce chapitre, pour évaluer l’efficacité, nous prendrons principalement en compte la capacité des pouvoirs publics à arriver au résultat poursuivi en utilisant le moins de ressources financières et humaines possibles. Il faut cependant garder à l’esprit que l’efficacité d’une politique publique n’équivaut pas à ce que celle-ci soit forcément opportune ou équitable (Nagel, 1986). Par cohérence, ensuite, nous entendons évaluer, d’une part, les conflits positifs ou négatifs de compétences que peuvent entraîner les modèles proposés et, d’autre part, le risque que des politiques contradictoires soient menées à Bruxelles. Un conflit positif fait référence à une situation où plusieurs collectivités se revendiquent d’une compétence sur une problématique ou un domaine des politiques publiques (situation qui aboutit à des empiètements de compétence) tandis qu’un conflit négatif survient lorsqu’aucune autorité ne s’estime être compétente pour prendre en charge certains besoins sociaux et certains domaines des politiques publiques.
La multiplicité des acteurs à Bruxelles constitue une entrave majeure à l’efficacité et à la cohérence des politiques publiques dans les matières communautaires. Cela se marque avant tout, premièrement, dans les difficultés de mise en place d’une programmation effective pour tout le territoire bruxellois pour les politiques publiques qui requièrent une telle programmation. Chaque entité peut définir son offre sans tenir compte de celles prévues par les autres pouvoirs. Cela aboutit selon les cas à un excès de l’offre proposée9, ou, plus souvent, à un manque dans l’offre en question10.
L’éclatement des compétences, l’absence de blocs homogènes de compétences et le principe d’exclusivité des compétences compliquent également la mise en place de politiques transversales dans de nombreux domaines11. Deux exemples permettent d’illustrer cette difficulté. L’exemple de la lutte contre l’obésité et le surpoids peut, premièrement, être relevé. Les indicateurs montrent une forte hausse de ce phénomène à Bruxelles. Les solutions relèvent de toutes les entités présentes à Bruxelles12, si bien qu’aucun plan d’action global n’existe actuellement. Comme le relevait le ministre Alain Maron, chargé de la santé pour la Cocom lors de la législature 2019-2024 : « [a]vec quatre institutions compétentes pour ce problème à Bruxelles, les réponses sont évidemment assez morcelées. Une plus grande cohérence de la prévention à destination des Bruxellois permettrait de mutualiser ← 29 | 30 → les moyens et d’harmoniser les priorités13 ». Ensuite, deuxième illustration, la politique de l’emploi peine aussi à se mettre en place de manière transversale (Dumont, 2022). L’accompagnement des demandeurs d’emploi à Bruxelles est une mission d’Actiris qui est un organisme d’intérêt public régional. Néanmoins, la formation professionnelle est une compétence relevant de la Cocof, via son organisme Bruxelles-Formation, d’une part, et de la Communauté flamande et son agence, le VDAB, d’autre part. Cet éclatement de compétences demande de grands efforts de coordination aux différents acteurs afin de mener une politique globale à Bruxelles.
Cette difficulté à mener des politiques transversales est accrue par le fait que, de manière générale, les politiques menées par les deux Communautés se déploient en pratique à Bruxelles en parallèle, et de façon non ou peu concertée ou articulée comme le montre l’exemple suivant. Dans le cas des milieux d’accueil de la petite enfance, il n’était pas rare que des établissements francophones optent pour un agrément de la Communauté flamande bien que menant leurs activités en français14. Face à cela, la réaction de la Communauté flamande a été de durcir ses normes d’agréments. Celle-ci a adopté en 2012, sans concertation préalable avec la Communauté française, une mesure consistant dans l’octroi d’une subvention complémentaire aux milieux d’accueil situés à Bruxelles qui réservent, à concurrence d’au maximum 55 pour cent de leur capacité, une priorité aux enfants dont au moins un des parents maîtrise suffisamment le néerlandais15. Une telle mesure a pour effet de reporter la charge d’une partie de l’essor démographique bruxellois sur la Communauté française. La mesure fut attaquée devant la Cour constitutionnelle par la Communauté française et la Cocof au nom de la loyauté fédérale16. Néanmoins, la Cour a considéré que cette mesure ne diminuant pas le nombre de places disponibles en milieu d’accueil ne constituait pas une atteinte à la loyauté fédérale17