Chesa Seraina - Fanny Desarzens - E-Book

Chesa Seraina E-Book

Fanny Desarzens

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Beschreibung

Une jeune femme se perd dans sa vingtaine. Un jour, des souvenirs lui reviennent ; ceux d’une enfance brisée par l’incendie de Chesa Seraina, sa maison. Le feu a fait disparaître la mémoire du lieu ; elle décide de reconstruire ce que les flammes ont anéanti.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Remarquée grâce à son premier roman, Galel (Slatkine, 2022), Fanny Desarzens poursuit son chemin d’écriture avec une histoire qui dit l’importance de l’enfance et des liens familiaux, ceux dont on a hérité et ceux qu’on crée tout au long de la vie.

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Couverture

Page de titre

Chapitre 1

Je ne me souviens pas vraiment. Je ne pourrais pas raconter ce qu’il s’est passé. Je sais simplement que le feu a beaucoup détruit mais je ne sais pas où il a commencé, ni comment, ni pourquoi. D’abord j’ai été très triste. Et puis c’est parti, je me suis habituée. Mais je pense que ça a abîmé ce que j’avais de cœur à ce moment-là.

C’est ce que dit Jean. Il me l’a dit dans une lettre. On s’écrit depuis qu’il habite au Canada. Il m’envoie des belles lettres et des photos, et ce sont toujours des images de grands paysages, des endroits où il est allé. Il s’est installé il y a quelques années. Il avait vingt ans. Maintenant, chez lui c’est là-bas. J’aime bien voir les photos de Jean, je ressens des choses à travers elles. Par exemple l’immensité du Canada et ses territoires qui sont restés sauvages. Il me dit que je pourrais venir, moi aussi. Mais je n’ose pas. Moi je pense que le lointain, c’est simplement trop loin. Et après là-bas devient juste là.

Dans sa dernière lettre Jean me demande si je suis heureuse et à quoi ressemble ma vie. Alors j’ai réfléchi à mon monde. J’ai regardé autour de moi, partout où je pouvais, et je me suis dit qu’il était petit. Il a les limites que je lui ai données un jour.

Je vis dans un studio en ville. Dans un immeuble qui est tout au bout de la rue, au rez-de-chaussée. Quand j’ouvre la fenêtre je suis au même niveau que les passants. Dedans il y a mon lit, mon canapé qui prend toute la place et mon bureau que je n’utilise pas vraiment. Il y a une petite cuisine avec une table et une chaise, et puis la salle de bains. J’habite là depuis sept ans et il n’y a aucune décoration, à part les photographies du Canada sur le frigo et deux petits tableaux. Le premier, je l’ai fait quand j’étais enfant. C’était un devoir pour l’école. On nous avait demandé de ramasser des feuilles à l’automne, et puis on les avait toutes glissées dans un gros dictionnaire. Au printemps on avait récupéré nos feuilles et on les avait collées sur un beau papier. J’avais choisi du papier de soie bleu. On avait encadré ce papier, avec les feuilles dessus. Je l’ai toujours gardé. Les feuilles que j’avais ramassées sont jaunes. Je les avais choisies avec beaucoup de soin, au pied de notre arbre. Je sais que je m’étais donné de la peine pour faire ce bricolage. L’autre tableau, c’est un article de journal encadré. J’avais récupéré un roman chez mes parents, une biographie. Je ne sais même plus de qui ça parlait. C’était un livre qui avait appartenu à la mère de ma mère. Quand je l’ai ouvert j’ai vu qu’il y avait un papier plié et froissé. Un article de journal sur la situation paysanne de ces années-là. Je n’ai jamais lu le livre mais j’ai gardé l’article. Ce que j’avais aimé, ce n’est pas tellement ce que l’article raconte. C’est que ma grand-mère avait pris soin de le découper et de le mettre entre les pages pour ne pas le perdre. J’avais aimé qu’il reste là tout ce temps.

Sinon, c’est très vide chez moi. Ce n’est pas loin de chez mes parents et c’est près du lac. Ma sœur Rose habite tout près, aussi. Elle vit avec Clément, que j’aime beaucoup. Il est ce qui se rapproche le plus d’un frère.

Je travaille dans un vieux cinéma qui s’appelle Le Dôme. Ce n’est pas très loin de chez moi non plus. Tout est proche, dans cette ville. Alors je fais tous les trajets à pied. Je me promène beaucoup, aussi. C’est une habitude qui m’a prise.

Ce soir je quitte Le Dôme et je marche. Il fait froid, je passe devant une église. La porte est gardée par deux statues qui n’ont plus de tête et qui ont les mains jointes. Tout à coup je ne me sens pas très bien. Je ne peux pas expliquer pourquoi, ni comment je me sens. C’est juste là, quelque chose qui est apparu. Je descends la rue et j’arrive au lac. Je m’avance sur la jetée et brusquement je suis tout au bout.

Je sors mon téléphone, je rappelle Rose. Elle me dit : je voulais juste savoir si tu allais bien, et je réponds oui. Elle me demande si je vais chez les parents dimanche, je dis oui. Et puis je dis que ça fait longtemps que je n’ai pas fait un tour en bateau. On devrait en faire un, bientôt. Elle demande : tu es chez toi ? Je réponds non. Et ma sœur me dit : ne prends pas froid. Et je ne peux pas penser à quelque chose de plus gentil à dire, à ce moment. C’est comme dire bonne nuit, en souhaitant vraiment que la personne passe une bonne nuit. On raccroche et je quitte le port, je remonte la rue. Je passe devant l’immeuble de Rose et de Clément et puis j’arrive à la porte de mon immeuble. J’avais aimé cet endroit simplement parce qu’il allait être le mien. Et cette nuit j’ai de la peine à m’endormir. Je ferme les yeux, je me dis : pour pouvoir dormir il faut d’abord faire semblant de dormir.

Je rêve d’une grande étendue d’herbe dorée avec des arbres, dorés eux aussi.

Le matin je ne mange jamais. Je n’ai pas faim, c’est comme ça. Mon père me dit que c’est parce que je ne fais pas assez d’efforts pendant la journée. Donc je n’ai pas besoin de beaucoup d’énergie. Ça me vexe un peu mais je crois qu’il a raison. Mon père est charpentier. Il mange beaucoup au petit-déjeuner. Avant il travaillait à la scierie de mon ancien village. Et beaucoup des maisons de ce village ont un toit qu’il a aidé à construire. Il lui manque un bout de doigt à l’annulaire.

Il dit qu’il n’aime pas son travail parce qu’il a les mains abîmées. Je pense que ce n’est pas vrai. Je pense qu’il a besoin de se sentir utile, et il aimait être dehors. Maintenant il travaille dans un atelier, dans le nouveau village.

Il récupérait du bois inutilisé à la scierie et il nous fabriquait des jouets, à Rose et à moi. Il m’avait fabriqué une luge, ma luge, je l’ai gardée longtemps. Une fois j’avais dévalé la rue avec elle. Il avait beaucoup neigé et les voitures étaient immobilisées. J’avais fait peur à des passants, j’avais failli renverser une voisine et son chien. Elle avait été fâchée, maintenant quand je la croise je n’ose plus la saluer.

Je ne sais pas comment j’ai fait, mais cette luge je l’ai perdue.

Ce matin je fume une cigarette à la fenêtre. Je fabrique mon tabac. J’en achète du normal et j’ajoute des herbes, par exemple de la sauge. Parfois ma mère me donne des plantes de son jardin. Je fabrique mon café, aussi. Je mélange de la chicorée et des grains de café que je torréfie moi-même. Je le bois avec beaucoup de sucre et sans lait.

Je fume ma cigarette à la fenêtre et je regarde le jour qui peine à venir. À cet instant je ne me sens toujours pas très bien.

C’est dimanche et je vais chez mes parents. Je vais chez eux tous les dimanches depuis que j’ai déménagé. Parfois Rose et Clément viennent aussi. C’est trop loin pour y aller à pied, donc j’y vais en bus, et tous les dimanches ma mère m’attend sur le seuil. Elle fait de grands signes, comme si j’avais oublié où est leur maison ou comme si je ne l’avais pas vue. Je trouve fou de faire ça. Ça me serre toujours un peu le cœur. Aujourd’hui elle fait pareil et quand elle me prend dans ses bras, elle me dit que je pue la betterave. C’est un peu vrai parce que j’ai mis des plants de betterave dans mon tabac.

Mes parents vivent dans un petit immeuble tout neuf. En tout cas il l’était quand on a emménagé. J’avais sept ans, Rose en avait neuf. Ils sont au premier étage sur trois et ils ont accès à un petit carré de pelouse. C’est là où ma mère cultive son minuscule potager. Il y a aussi une petite cabane. Mon père y fait du bricolage. L’intérieur de leur maison ne ressemble pas du tout à l’extérieur. Je trouve que l’immeuble n’est pas très beau et je pense que ça leur a fait mal quand on a dû déménager là. En revanche dedans, c’est mieux. Ça paraît plus grand que vu de dehors. C’est décoré avec de belles photos sur les murs. Dans le hall, ils ont mis nos diplômes encadrés.

Ils ont recréé leur ancienne maison avec ce qu’il leur restait. Ils ont recouvert le mobilier qu’ils n’aiment pas avec des travaux en dentelle. La table de la cuisine, c’est mon père qui l’a récupérée. Il l’avait trouvée dans une décharge, et il l’a complètement remise à neuf. Les canapés et les fauteuils ont été donnés par quelqu’un qui n’en avait plus besoin. Ils sont d’un beau vert sapin et confortables.

Leur maison reste un peu la mienne. J’y ai vécu treize ans. Un jour j’ai commencé à vouloir partir de là. Je voulais grandir, et je pensais que c’était comme ça qu’on faisait : en quittant ses parents.

Mon père est immense comme le sont les rois dans les contes. Il crée une tornade rien qu’en éternuant. Ma mère aussi est grande, et robuste. Quand j’étais enfant, mes parents me semblaient être des géants dans un monde de géants. Quand je pense à eux, je pense toujours à eux ainsi. Lorsque nous avons dû déménager, leur stature est restée la même mais leur regard s’est rétréci. Ce sont des gens chaleureux mais quelque chose s’est éteint en eux. Ce ne sont plus les parents de mon enfance. Pendant longtemps je ne m’en étais pas rendu compte.

Je prends mon père dans les bras et on va manger. Pendant le repas, ma mère me demande ce que je fais dans la vie, en ce moment. Je réponds : rien. Mon père hausse les épaules, gentiment. Il ne me parle jamais de lui. Ma mère non plus. Ce que je sais d’eux, je l’ai deviné.

Je ne me sentais toujours pas très bien et j’ai repensé à mon rêve. Je me suis rappelé que sur l’étendue dorée, il y avait une maison.

Tout à coup, je la reconnais.