Choisir d'être libre ou être libre de choisir ? - Collectif - E-Book

Choisir d'être libre ou être libre de choisir ? E-Book

Collectif

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Beschreibung

Plusieurs spécialistes de l'éthique se sont rassemblés pour éclaircir les motivations qui orientent nos choix de vie.

Quelle est la portée véritable de nos choix ?
Pouvons-nous choisir d’être heureux ou n’avons-nous pas d’autre solution que de subir les contraintes et les agressions du monde extérieur ou encore le poids de notre passé ?
Sommes-nous esclaves d’émotions qui perturbent notre vie et engendrent des comportements quasi automatiques, que nous aimerions pourtant éviter ? Ou bien pouvons-nous – avec conscience – choisir des réactions qui nous permettent de développer une plus grande liberté intérieure ?
Et comment définir celle-ci ?
S’agit-il de devenir le maître ultime de sa vie, en parvenant à en déterminer chaque détail ? Ou plutôt de développer une attitude d’accueil de ce qui est, en cessant de le comparer à ce qui devrait être ? Mais alors, sans pour autant se résigner ni s’empêcher de vouloir un monde meilleur, comment mettre en œuvre cette phrase de Gandhi : « Nous devons être le changement que nous voulons voir dans le monde » ?
Un travail d’intériorité et de réflexivité est central pour toute démarché éthique, dans laquelle les choix à faire et les décisions à prendre mettent en jeu la conscience de nos responsabilités envers autrui. Il nous permet également d’ouvrir un espace spirituel, de poursuivre une quête… tissant ainsi des liens entre l’horizontalité et la verticalité.

Pour aborder ces questions et réflexions, ce livre réunit l’ensemble des contributions de tous les orateurs du 7e Printemps de l’éthique.

Un ouvrage de référence pour identifier notre potentiel à prendre des décisions et son influence sur notre développement personnel.

EXTRAIT 

Ne dirait-on pas notre vie ?

Un trajet sinueux, des allers et des retours, des lieux de passage, des impasses, des histoires qui s’imbriquent les unes dans les autres, le sentiment d’être perdu, de ne plus savoir s’en sortir… mais aussi celui de se retrouver, de sentir le chemin sous nos pas, de poursuivre la quête…
Le labyrinthe raconte-t-il l’histoire de notre liberté ? Celle de notre recherche intérieure ?
Si nous en croyons l’Histoire, si nous essayons de deviner le sens des histoires qui ont résisté au temps et sont parvenues jusqu’à nous, nous découvrons que, parfois, le labyrinthe est à traverser à la manière d’une épreuve. À d’autres moments, il s’agit d’en atteindre le centre. Et si un monstre y est caché, il ne suffit pas toujours de l’apprivoiser ou de le vaincre : encore faut-il sortir du labyrinthe en entamant un véritable chemin de transformation.

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Seitenzahl: 190

Veröffentlichungsjahr: 2014

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Un soir, alors qu’il fait déjà sombre, un de ses voisins aperçoit Mulla Nasrudin à quatre pattes sous un lampadaire. — Que cherches-tu ? — La clé de ma maison. Le second arrivé se met également à fouiller le sol à la recherche de la clé. Après un certain temps, il se décourage et questionne le Mulla : — Tu es certain que c’est ici que tu l’as perdue ? — Non, mais ici, au moins, il fait clair…

D’après Idries Shah, Contes initiatiques des soufis.

Marc Fourny et Cécile Bolly

Le labyrinthe : lieu pour se perdre ou pour se trouver ?

Licencié en mathématique, Marc Fourny est devenu directeur-président de la Haute École Robert Schuman après en avoir été, pendant six ans, directeur des catégories économique et paramédicale.

Cécile Bolly est médecin et enseignante (HERS et UCL). Elle anime de nombreuses formations en éthique et est auteur ou coauteur de différents livres à ce sujet.

Ne dirait-on pas notre vie ?

Un trajet sinueux, des allers et des retours, des lieux de passage, des impasses, des histoires qui s’imbriquent les unes dans les autres, le sentiment d’être perdu, de ne plus savoir s’en sortir… mais aussi celui de se retrouver, de sentir le chemin sous nos pas, de poursuivre la quête…

Le labyrinthe raconte-t-il l’histoire de notre liberté ? Celle de notre recherche intérieure ?

Si nous en croyons l’Histoire, si nous essayons de deviner le sens des histoires qui ont résisté au temps et sont parvenues jusqu’à nous, nous découvrons que, parfois, le labyrinthe est à traverser à la manière d’une épreuve. À d’autres moments, il s’agit d’en atteindre le centre. Et si un monstre y est caché, il ne suffit pas toujours de l’apprivoiser ou de le vaincre : encore faut-il sortir du labyrinthe en entamant un véritable chemin de transformation.

Si, à travers ses bifurcations et ses impasses, il dit la difficulté de choisir, la diversité des portes d’entrée et de sortie, il invite chacun à vivre consciemment la quête qui est la sienne. À donner un sens à sa traversée, pour qu’elle soit précisément créatrice de liberté.

L’histoire du labyrinthe

Un labyrinthe peut être défini comme un chemin complexe, limité par des parois, comportant une entrée au moins, ainsi qu’un passage vers une sortie ou vers un centre (Santarcangeli, 1974 ; Attali, 1996).

Ces mêmes auteurs donnent d’autres précisions sur les labyrinthes qui ont jalonné le temps :

- Quand le tracé d’un labyrinthe ne contient pas d’impasses, qu’il n’y a pas moyen de s’y perdre, on dit qu’il est unicursal. Au contraire, s’il contient des boucles et des impasses, il devient complexe, multicursal.

- Si certains labyrinthes sont faciles à explorer, d’autres sont dits inextricables, tant il existe des bifurcations et des culs-de-sac qui empêchent d’en sortir. Quand il est impossible d’en trouver le centre, on dit qu’ils sont impénétrables.

- Un labyrinthe ne contient qu’un seul chemin, qui mène soit à une sortie, soit à son centre, tandis qu’un dédale comporte plusieurs chemins qui aboutissent au même but ; certains des chemins sont plus courts que les autres.

- Un labyrinthe est toujours inscrit à l’intérieur d’un cadre, d’une frontière ; le plus souvent, il s’agit d’un cercle ou d’un carré.

- Différentes étymologies sont évoquées : le mot grec laburinthos pourrait renvoyer à la racine indo-européenne or ou our, qui signifie grand : lab-our-inthos évoquerait une structure de grosses pierres, une caverne ; le même mot grec pourrait au contraire renvoyer à labrys, qui signifie la double hache : il s’agit, comme nous le verrons plus loin, d’une hache qui a deux tranchants, rappelant les ailes d’un oiseau.

- Au moment d’entrer dans un labyrinthe, on ne sait pas se représenter sa complexité, on ne la voit pas. Même si on peut l’imaginer, elle doit avant tout être éprouvée. Un labyrinthe n’est pas fait pour être regardé, mais pour être traversé.

Loin d’être une invention humaine, le labyrinthe est partout dans la nature. On l’y trouve d’abord dans la spirale des coquillages, dans les méandres des fleuves, dans les enchevêtrements de galeries souterraines et de grottes. On le découvre même à l’intérieur du corps humain non seulement dans notre oreille interne, mais également dans les anses de notre intestin ou encore dans les circonvolutions de notre cerveau.

Ce sont tout d’abord ces labyrinthes présents dans la nature que les hommes ont imités, en les dessinant sur les parois des cavernes, sur le sol ou même sur des figurines servant à différents rituels (Attali, 1996). Quelle que soit la distance qui sépare les représentations du labyrinthe dans le temps et dans l’espace, les dessins ou les gravures ont bien des points communs. Tandis que les aborigènes d’Australie gravent des labyrinthes sur les pierres du désert, en Scandinavie, des hommes organisent des cercles de galets au bord de la mer. Pendant qu’en Amérique du Nord, les Indiens Hopis représentent les circonvolutions d’un immense serpent protecteur de leur tribu, en Asie, les Tibétains dessinent des mandalas. Les cercles, les carrés, les chemins et les impasses qui les constituent aident à se concentrer, à rassembler ses énergies, à progresser de l’extérieur vers l’intérieur de soi.

Les premiers labyrinthes construits par les mains de l’homme l’ont sans doute été en Égypte, dans le but de protéger le tombeau des rois, d’en interdire l’accès à ceux qui n’en connaissaient pas le plan. Celui dont parle Hérodote était fait de douze grandes cours couvertes, ainsi que de deux étages comprenant chacun 1500 salles, dont les murs étaient ornés de figures sculptées. Ce labyrinthe était entouré d’une muraille et protégeait les tombes de douze princes ainsi que celles de nombreux crocodiles sacrés du Nil. Aujourd’hui disparu, ce monument était considéré par les Grecs comme une des sept merveilles du monde.

Dans notre civilisation européenne, c’est le labyrinthe crétois qui est le plus connu. Il est parvenu jusqu’à nous grâce au mythe de Thésée, vainqueur du Minotaure. Il est difficile d’en donner un récit exact, parce que la mythologie de Thésée s’est construite sur plus d’un millénaire (Bonnard, 2012), parce qu’on en trouve plusieurs versions, dont certaines correspondent à l’évolution d’un mythe sans doute beaucoup plus ancien (Attali, 1996 ; Béresniak D. 1996). Mais il est également impossible de parler du labyrinthe sans raconter cette légende fondatrice. Elle nous emmène dans un temps et un espace inaccessibles, où tout ne peut pas se démontrer en termes de vrai ou faux, où la vérité ne peut pas être atteinte au terme d’une argumentation rigoureuse (Brisson, 2012). C’est peut-être en cela qu’elle nous fascine.

Il y a très longtemps, dans un pays très loin d’ici…

En ce temps-là, Poséidon, dieu de la mer et frère de Zeus, demandait chaque année à Minos, roi de Crête, le sacrifice d’un taureau.

Un jour, Minos ne trouve plus de taureau suffisamment beau pour l’offrir au dieu. Il demande alors à Poséidon de fournir lui-même la bête à sacrifier. Mais quand l’animal sort des flots, il est tellement beau que Minos n’a pas le cœur de le tuer et il décide donc de le laisser en vie.

Estimant que c’est un manque de reconnaissance à son égard, un manque de gratitude, Poséidon se met très fort en colère et décide de se venger. Minos a trompé Poséidon en ne lui sacrifiant pas un taureau : il sera donc trompé par le taureau. Aussitôt dit, aussitôt fait : Poséidon s’incarne dans le taureau magnifique et il jette un sort à Pasiphaé, l’épouse de Minos, pour qu’elle tombe amoureuse de lui. Ne sachant vers qui se tourner pour être aidée, Pasiphaé pense à Dédale. Ce grand architecte et inventeur rusé vient d’être banni d’Athènes après avoir commis un crime (celui de son élève le plus brillant). Son excommunication l’a emmené en Crête, où il s’est mis au service du roi Minos. Sensible à la demande de Pasiphaé, Dédale invente une vache artificielle, de cuir et de bois, dans laquelle Pasiphaé peut se glisser, pour ensuite s’accoupler avec Poséidon transformé en taureau. De leur union naît le Minotaure, chimère à corps d’homme et tête de taureau.

Quand Minos l’apprend, il entre dans une grande rage, mais il décide de ne punir ni Dédale ni son épouse. Peut-être a-t-il peur d’éviter le scandale ? Peut-être se souvient-il que c’est pas sa lâcheté que toute cette affaire a commencé ? Pour éviter tout danger et enfermer le monstre, il demande à Dédale de construire un labyrinthe monumental, sur le modèle du roi égyptien évoqué ci-dessus.

On dit qu’un malheur n’arrive jamais seul et cette fois, Minos est frappé par un autre drame : la perte d’un de ses fils, tué à Athènes lors d’un combat avec un taureau.

Le torchon brûle entre Minos, roi de Crête et Égée, roi d’Athènes. À titre de vengeance, Minos exige qu’Égée lui fournisse tous les neuf ans sept jeunes gens et sept jeunes filles, afin de les enfermer dans le labyrinthe, pour qu’ils y meurent à leur tour de façon atroce, dévorés par un autre taureau, le Minotaure.

Lors de la troisième expédition, Thésée, le fils le plus courageux du roi d’Athènes (et dont on sait qu’il est aussi fort qu’Hercule), demande à faire partie du voyage pour tenter de tuer le monstre qui vit au cœur du labyrinthe. En réalité, Thésée est sans doute plutôt le fils du dieu Poséidon, mais ni lui ni son père adoptif ne le savent. Au moment qui nous occupe ici, Thésée promet à son père que, s’il parvient à tuer le monstre, il hissera au retour une voile blanche au mât de son bateau.

Dès son arrivée en Crête, Thésée est mis à l’épreuve. Il doit prouver son origine divine en plongeant au fond de la mer, pour en ramener un anneau que le roi Minos y a lancé. C’est cet exploit qui lui vaut l’amour d’Ariane, une des filles du roi Minos et de la reine Pasiphaé. Très vite, les deux jeunes gens sont amoureux l’un de l’autre. Voulant sauver son amant d’une mort certaine, Ariane demande de l’aide à… Dédale, tandis que Thésée promet à la jeune femme dont il s’est épris, qu’après avoir vaincu le monstre, il l’emmènera avec lui et l’épousera. Dédale (qui n’hésite pas à trahir une nouvelle fois le roi Minos) donne les plans du labyrinthe à Ariane et lui suggère une ruse de son invention : accrocher un fil à la porte d’entrée du labyrinthe, le dérouler progressivement jusqu’au centre, puis, quand le monstre sera vaincu, rembobiner le fil pour retrouver la porte de sortie.

Après avoir réalisé cet exploit, pour échapper à la colère de Minos, Thésée se sauve au milieu de la nuit, en voulant emmener avec lui la jeune Ariane. La déesse Athena parvient à le convaincre de partir seul, tandis que seule la déesse Aphrodite parvient à consoler la pauvre Ariane. Celle-ci apprend qu’elle deviendra l’épouse du dieu Dyonisos et reçoit une couronne d’or, qui sera plus tard transformée en constellation : la couronne boréale.

Thésée, quant à lui, rentre à Athènes le cœur gros, ne pouvant rejoindre sa patrie avec celle qu’il voulait épouser. Dans sa tristesse, il en oublie la promesse faite à son père. Quand, à l’horizon, Égée voit revenir le bateau sans voile blanche, il imagine que son fils a été tué par le monstre et, désespéré, se jette dans la mer qu’on appelle depuis lors la mer Égée.

Pendant ce temps-là, en Crête, fou de colère, Minos veut se venger. Il est certain que c’est Dédale qui l’a une nouvelle fois trahi et il décide de l’enfermer dans le labyrinthe avec son fils Icare. Il se jure bien que, cette fois, il ne parviendra plus à lui nuire.

Même s’il est le constructeur du labyrinthe, Dédale ne possède pas les plans quand il y est enfermé et il ne parvient pas à trouver le chemin vers la sortie. Il doit alors inventer une nouvelle ruse : il demande à son fils de l’aider à récolter des plumes pour fabriquer des ailes, qu’il fixe ensuite à leurs épaules avec de la cire. Icare sait qu’il ne peut s’approcher ni trop près de la mer (pour éviter que les plumes ne se descellent avec l’humidité) ni trop près du soleil (pour éviter que la cire ne fonde sous l’effet de sa chaleur). Mais l’ivresse est là. Grisé par de nouvelles sensations, le jeune homme oublie les conseils paternels, s’élève aussi haut qu’il peut… avant de tomber dans la mer et de s’y noyer sous les yeux de son père. Si ce dernier parvient à s’en tirer sain et sauf, il lui est impossible de goûter à cette nouvelle victoire, pendant qu’il creuse une sépulture pour son fils.

Minos quant à lui, fou de rage en ayant découvert l’évasion de Dédale, décide de le retrouver coûte que coûte. À son tour de ruser ! Il se promène de village en village avec une conque marine, sorte de petit escargot de mer, dont la coquille a la forme d’une spirale. Il promet une forte récompense à celui qui parviendra à faire passer un fil de soie par toutes les spires de ce qui ressemble étrangement… à un petit labyrinthe. Il sait que seul Dédale y parviendra… et c’est bien ce qui arrive ! Pour montrer qu’aucune énigme ne lui résiste, celui-ci invente un nouveau stratagème : il attache un fil à la patte d’une fourmi, perce un petit trou au sommet de la coquille, y introduit la fourmi et attend qu’elle en sorte en l’attirant avec un peu de miel à l’extrémité de la spire. Certain d’avoir enfin retrouvé le traître, Minos exige qu’on lui livre le coupable… mais c’est sans compter sur l’amitié de Cocalos, qui héberge Dédale depuis la mort de son fils. Comme c’est la coutume en Grèce, avant de servir un repas à Minos, le maître de maison lui propose un bain. Il en profite pour le faire ébouillanter par ses filles, sauvant ainsi la vie de Dédale. On dit qu’en signe de gratitude, celui-ci s’est mis à construire de nombreux bâtiments pour les offrir à son ami.

Pendant ce temps, Thésée devient le nouveau roi d’Athènes et, si sa vie comporte encore bien des rebondissements (dont son mariage avec Phèdre, la sœur d’Ariane, et la mort de son fils Hyppolyte), il passe pour le fondateur de la démocratie dans cette cité.

Un symbole pour notre temps

Les mythes sont des récits intemporels, qui s’adressent à notre libre arbitre et à notre créativité (Kelen, 2010). Ils nous aident à cheminer, en nous suggérant divers itinéraires, en nous proposant différentes significations possibles. Ils se proposent d’éclairer le monde où nous vivons, non pas en s’adressant à notre ego, à notre petit moi, mais bien au « je » qui cherche à s’accomplir à travers une quête. Sans doute nous permettent-ils d’entendre des choses qui ne peuvent être dites autrement.

Certains font des mythes une lecture avant tout psychologique ; d’autres y voient des clés pour une démarche spirituelle. Pour eux, le mythe ne constitue pas tant un problème à résoudre qu’une épreuve à traverser, dans un itinéraire d’accomplissement.

Nous ne connaissons pas suffisamment ce mythe pour en proposer une ou plusieurs interprétations, mais il nous a beaucoup questionnés (et ce n’est sans doute pas fini !) dans notre recherche sur le labyrinthe, et cela nous a donné envie de vous partager quelques éléments de notre réflexion.

C’est le savoir-faire de Dédale, un architecte, un tailleur de pierres, qui permet d’enfermer l’animal dans le labyrinthe. Mais que peut bien signifier ce monstre ? Quand le mythe nous présente un héros qui doit venir à bout d’une bête monstrueuse, il nous invite peut-être, au-delà d’une barbarie extérieure, à considérer la part monstrueuse qui se cache au fond de nous-mêmes, dans notre inconscient. Devons-nous regarder le Minotaure comme un être malveillant et Thésée comme un héros violent qui tue pour la bonne cause ? Ou le mythe nous parle-t-il d’autre chose, d’une réalité bien plus impénétrable (Béresniak D., 1996), d’une union sacrée à réaliser au cœur de nous-mêmes ?

Si le mythe évoque un chemin de liberté, c’est sans doute à travers un chemin de connaissance de soi. Aller vers le centre, accueillir les zones d’ombre, tenter d’y mettre un peu d’ordre ou un peu de lumière : ce sont peut-être autant de façons d’arriver à faire de vrais choix. Mais il ne s’agit pas de demeurer au centre, dans une sorte de contentement béat, comme si on était arrivés au but une fois pour toutes. Quand le monstre est vaincu, la quête n’est pas terminée pour autant. C’est peut-être même le plus important qui reste à faire : repartir vers la sortie, non pas en se satisfaisant de suivre le fil, mais en le rembobinant. Retravailler ses premiers choix, les regarder d’une autre manière, les comprendre autrement. De l’écheveau du départ, faire une pelote à l’arrivée : donner à son œuvre la forme d’un cercle : celui qui évoque la perfection, ou encore l’unité.

Ce fil d’Ariane, qu’il est nécessaire de tenir pour sortir vivant du labyrinthe, c’est peut-être tout simplement celui de la conscience. Serait-ce cela qui nous est proposé : goûter à la pleine conscience ? Prendre soin du présent ? Prendre le temps d’être maintenant ? Si chaque moment du présent constitue un embranchement, le labyrinthe évoque à sa manière un arbre de vie. C’est seulement la qualité de notre présence qui peut faire de chaque bifurcation, de chaque intersection, une étape chaque fois renouvelée sur le chemin de la quête, sur celui du bonheur, sur celui de l’éveil. Cela demande évidemment un exercice de chaque instant. Le seul peut-être qui puisse influencer le futur.

Quand Dédale sort du labyrinthe en s’envolant dans le ciel, on peut y voir une manière d’évoquer la verticalité et donc la spiritualité. Mais quand nous mettons cette nouvelle ruse en perspective avec sa conséquence dramatique, la mort de son fils, nous nous demandons si le labyrinthe ne nous rappelle pas qu’il est impossible d’échapper à l’épreuve. Elle ne peut pas être contournée, fût-ce par l’ingéniosité. Elle doit être traversée pour donner du fruit. Le labyrinthe est peut-être à la fois le symbole de la complexité et le moyen de la résoudre… à condition de ne pas vouloir y échapper, à condition d’oser y entrer, prendre des risques, accueillir des doutes. Il est d’ailleurs intéressant de s’arrêter à la dernière ruse connue du génial architecte : en introduisant la fourmi au sommet de la conque, ne dirait-on pas qu’il se réconcilie avec la nécessaire traversée du labyrinthe ?

Une ou plusieurs voies

Bien d’autres questions et réflexions surgissent chaque fois que nous relisons ce mythe. Nous avons parfois l’impression de pouvoir pousser un Eurêka !… mais très vite, une autre hypothèse, une nouvelle alternative se font jour et nous replongent dans le labyrinthe des questions. Nous vous suggérons d’en faire l’expérience à votre tour, de vous promener dans ses allées, d’y chercher peut-être l’une ou l’autre règle de vie, l’une ou l’autre leçon d’humanité.

Au-delà du mythe de Thésée qui lui sert de support, rappelons que le labyrinthe est présent dans toutes les civilisations, dans toutes les traditions. C’est sans doute bien parce qu’il est le signe d’un inconscient collectif, d’une recherche de sens à la vie humaine. Parce qu’il nous parle de ce voyage intérieur qui fascine les hommes depuis le début de l’humanité.

Peut-être nous aide-t-il à comprendre cette phrase de Sartre : La liberté, c’est ce que nous faisons avec ce qu’on nous a fait.

Mais tous les labyrinthes n’ont pas la même forme. Dans les labyrinthes des cathédrales, on ne trouve qu’une seule voie, que le pèlerin doit suivre pour atteindre le centre. De temps en temps, cette voie s’éloigne du centre avant de s’en rapprocher. Elle peut ainsi explorer tout l’espace réservé au labyrinthe, mais cette contrainte suggère également que le centre n’est jamais aussi éloigné que quand on croit l’atteindre (Attali, 1996).

Labyrinthe à voie unique (Chartres)

Quand l’idée du labyrinthe s’est imposée à nous pour parler du choix et de la liberté, c’est un labyrinthe avec des carrefours et des bifurcations que nous nous sommes représentés, parce que c’est celui-là qui, pour nous, représente le mieux la nécessaire persévérance sur le chemin intérieur, les aléas de la quête, les doutes et les erreurs dans la recherche de la liberté.

Labyrinthe avec des bifurcations

Dans cette dimension-là, plutôt qu’un problème à résoudre, nous pouvons faire du labyrinthe une solution à nos problèmes.

C’est peut-être le cas chaque fois que s’impose dans notre vie la nécessité de l’errance, de la lenteur, de la remise en question, de l’absence de repères visibles… et donc la nécessité de creuser un peu plus profond. Chaque fois que se crée une occasion de prendre du recul, de se mettre à distance du jugement des autres, de leurs attentes, des rumeurs du monde. Si tu es pressé, fais un détour… dit le koan zen… qui nous parle sans doute, lui aussi, du labyrinthe.

À la manière de ces courtes histoires a priori absurdes que les moines japonais s’échangent (Nunez, 2010), n’est-ce pas parce qu’il introduit le doute, parce qu’il nous fait vaciller, hésiter, parce qu’il nous étonne et nous inspire à la fois, que le labyrinthe – plutôt que de nous enfermer – nous aide à nous libérer ?

Dans une dimension énigmatique et mystérieuse, tous les labyrinthes dont le but est d’arriver en un point central montrent que, pour s’approcher de celui-ci, il est d’abord nécessaire de s’en éloigner à plusieurs reprises.

Et si toujours nous voulons progresser, le centre du labyrinthe peut-il être autre chose qu’un espace vide (Béresniak, 1996), le seul qui autorise le mouvement ?

Trente rayons convergent au moyeu Mais c’est le vide médian qui fait marcher le char.

On façonne l’argile pour en faire des vases Mais c’est du vide interne que dépend leur usage.

Une maison est percée de portes et de fenêtres C’est encore le vide Qui permet l’habitat. L’être donne des possibilités C’est par le non-être qu’on les utilise.

Lao Tseu, Tao Te King

C’est sans doute également en tentant de nous faire pressentir l’inexprimable de ce centre, que Lao Tseu a écrit le Tao, la Voie. Il y met en relation l’harmonie intérieure avec la pacification extérieure. Un cheminement qu’il nous faut apprendre tout au long de notre vie.

Autre temps, autre lieu… mais le secret semble avoir la même saveur : dans des écrits datant du Moyen Âge, on retrouve la phrase Dicitur labyrinthus quasi labor intus : « on dit le labyrinthe parce que, dedans, on y travaille. »

Si dans le contexte de l’époque, le travail dont il est question devait être compris comme une peine, une punition, nous pourrions également lire dans cette expression une invitation à un travail intérieur : on dit le labyrinthe parce que, dedans, on y travaille.

Cette signification n’est sans doute pas très éloignée d’une autre étymologie du labyrinthe, qui renvoie au mot grec labrys, la maison de la double hache et, par extension, la maison de celui qui a la double hache.

Cette hache au double tranchant nous parle peut-être de deux forces opposées à tenir en équilibre sur un axe central : le yin et le yang, le masculin et le féminin, le ciel et la terre. Elle renvoie à une très vieille légende, du tout début du monde. En ce temps-là, il n’y avait partout que les ténèbres et, quand, sur la terre, apparut le premier dieu, il reçut des cieux un labrys, avec pour mission de forger le monde. En tournant en rond, le dieu se met à fendre l’obscurité et à ouvrir avec sa hache un sillon de lumière. Parce qu’il a été taillé avec cette double hache, le sentier qui s’éclaire peu à peu est appelé labyrinthe, labrys