Comment j’ai gardé la paix ? - Serge Supersac - E-Book

Comment j’ai gardé la paix ? E-Book

Serge Supersac

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Beschreibung

Et si on changeait enfin de regard sur la Police ? Dans ce témoignage hors des sentiers battus, Serge Supersac, ancien policier de terrain, propose une lecture inédite de la relation Police-population. À travers son vécu, des faits concrets et des analyses sans concession, il invite à dépasser les clivages pour poser les bases d’un dialogue apaisé. Son approche singulière, mêlant expérience personnelle et regard critique, éclaire les dérives, les espoirs et les solutions possibles, loin des discours idéologiques. Un essai original et engagé, à lire pour repenser ensemble la sécurité et le lien social.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Serge Supersac a été un peu militaire, beaucoup policier. De la guerre à la paix, il a exercé sa mission dans des contextes variés, témoignant de l’évolution d’un métier en prise directe avec les bouleversements de la société. Violence, pulsions, prohibition, avidité : les défis restent les mêmes. Mais aujourd’hui, la crise s’intensifie, et le sens du métier s’efface derrière des enjeux politiques. Un regard lucide, nourri d’expérience et des solutions concrètes, loin des idéologies, ancrées dans le bon sens.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Serge Supersac

Comment j’ai gardé la paix ?

Essai

© Lys Bleu Éditions – Serge Supersac

ISBN : 979-10-422-7441-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Synopsis

Dans ma vie, j’aurai été un peu Militaire et beaucoup Policier. Je connais et respecte profondément les deux Institutions mais cela me permet d’affirmer que, si le Militaire a pour mission la guerre, le Policier a lui celle de la paix. C’est ce que j’ai voulu raconter dans cet ouvrage au travers des diverses missions de Police que j’ai pu réaliser.

Au cours de ma carrière au sein du même métier, j’ai eu la chance de pratiquer la mission de Police dans des champs très différents. C’était mon choix et il m’a permis de vivre maintes expériences enrichissantes.

Aujourd’hui, le métier a évolué, tout comme la société. En revanche, au fil de l’histoire, le Policier reste toujours confronté aux mêmes turpitudes : la prohibition, les pulsions, les violences et l’avidité. Ainsi, les pratiques criminelles changent mais par leur nature profonde.

Toutefois, les évolutions managériales et l’instrumentalisation politique de la sécurité ont conduit aujourd’hui à des impasses. Les Policiers, que l’on fait mine d’encenser, sont néanmoins malheureux, leur métier a perdu de son sens en raison de mauvaises stratégies et d’une vision comptable de l’activité.

Ces dernières années, la crise s’accroît, le chiffre des suicides, le nombre de départ volontaire de la fonction et les difficultés de recrutement sont les indicateurs du malaise.

En parallèle, la situation de sécurité dans le pays se dégrade, les taux d’élucidation sont en berne pour nombre d’infractions. La violence de voie publique progresse et la distance entre le citoyen et sa police n’a jamais été aussi importante.

Pourtant, les solutions sont à portée de main et s’inscrivent dans des choix de bon sens en lieu et place de choix idéologiques dans la pratique du métier. C’est ce que l’on peut découvrir si l’on met en perspective ces dernières 50 années de pratique policière.

Avant-propos

À l’approche du bicentenaire de la création du corps des gardiens de la Paix, il m’a paru important de réaffirmer qu’ils restent aujourd’hui encore l’axe central de la Police nationale. Ce métier dédié à l’ordre Public n’a de sens qu’au travers d’un service public orienté vers la population et sa justice.

Déjà au XIXe siècle, on montre dans les théâtres de rue un gendarme « rossé » par la vedette incontestée de l’époque : Guignol. C’est dire si la relation ambiguë qu’entretient la population avec les forces de sécurité n’est pas nouvelle. Coluche, comme beaucoup d’autres humoristes, brocardait régulièrement les Gardiens de la Paix, notamment au travers de la fameuse formule : « Les Gardiens de la Paix, au lieu de la garder, feraient mieux de nous la foutre ! »

Mais au fond, quels sont ces hommes et ces femmes qui décident un jour de s’engager dans un métier qui consiste à protéger la sécurité des concitoyens ? Sont-ils des citoyens hors norme et les formations qu’ils reçoivent leur permettent-elles de réaliser une mission exigeante et souvent ingrate ?

La réalité est toute autre, les policiers et gendarmes d’hier ou d’aujourd’hui sont le plus souvent de jeunes gens qui, comme les autres, tentent de trouver une voie professionnelle leur permettant de vivre et de s’épanouir dans un travail que l’on ne peut que fantasmer avant de le pratiquer et ainsi découvrir toute sa complexité. De même, les formations courtes ou longues au fil du temps ne sont que des approches partielles car la technique de gestion du conflit et de l’interdit ne peut s’acquérir que dans la pratique des situations diverses.

Mais précisément, est-on sûr de parfaitement maîtriser au préalable la nature de la mission d’un policier ou d’un gendarme ? Paradoxalement, si c’est un des métiers de service public les plus centraux dans l’organisation d’une société, il semble pourtant que l’on appréhende généralement assez mal les vrais contours de la mission de sécurité publique. D’ailleurs, ce qui m’apparaît aujourd’hui encore plus spectaculaire, c’est que les donneurs d’ordre sont eux-mêmes assez peu au fait de la nature multiple de cette mission et surtout de la réelle efficience de l’outil de sécurité trop souvent utilisé en dérogeant à l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui précise :

La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux à qui elle est confiée

.

Aujourd’hui comme hier, la force de sécurité est utilisée pour la police « du quotidien des citoyens », elle intervient sur des zones de crise, le maintien de l’ordre, le terrorisme, la police judiciaire, le renseignement, les frontières, la protection des personnalités à l’international, etc. Dès lors, il est évident que toute cette diversité se doit de reposer sur un socle commun que l’on a peu à peu perdu de vue « la relation police-population ».

En 1667, Nicolas de la Mare, achète une charge de Commissaire au Châtelet et se distingue sur plusieurs dossiers de Police, il est alors choisi pour décrire méthodiquement le métier de Police. Ce sont trois volumes qui paraissent respectivement en 1707, 1710 et 1719. En fait, ce juriste devenu policier a rédigé un Traité de la Police qui deviendra le support permettant de mettre en place la mission de Police en zone urbaine dans une organisation réglementaire que l’on nommera par la suite « Police administrative ». En 1976, les travaux de Nicolas de la Mare sont encore reconnus, puisqu’il sera choisi comme éponyme de la promotion des Commissaires de Police d’alors. La police urbaine a certes largement évolué, mais il semble que les difficultés s’accumulent dans la gestion de sécurité des populations et notamment dans les grandes métropoles urbaines. Ne serait-il pas temps alors de repenser le schéma d’intervention de la force publique sur des fondements que l’histoire nous a permis d’appréhender ?

Depuis plusieurs années, les stigmates du malaise policier sont visibles. Le taux de suicide est un révélateur mais d’autres signes sont inquiétants, comme la lassitude professionnelle, le recul de la notion de service public, la frustration de plus en plus exprimée vis-à-vis des services de justice, etc. Du côté des citoyens, on a du mal à comprendre ce qui se passe et on oscille entre soutien aux policiers en difficulté face aux violences diverses et méfiance face à une force de sécurité parfois jugée comme brutale et injuste. Pour ma part, lorsque j’ai fait mes premiers pas dans le métier, le Gardien de la Paix était perçu comme un généraliste de la sécurité un peu rustre mais présent en toutes circonstances aujourd’hui, il s’est transformé en technicien spécialisé de tel ou tel domaine de police et pourtant, si apparemment sa condition socio-professionnelle s’est améliorée, il semble moins heureux que ne l’était son prédécesseur « Pinot Simple flic ».

Il semble que quelque chose ne fonctionne plus au sein de la force de sécurité. Il apparaît donc comme urgent et important, dans une société qui traverse des zones de turbulences de plus en plus fréquentes et violentes, de retrouver les véritables mécanismes qui permettent au citoyen de faire toute confiance à une Institution dont la mission fondamentale est la préservation des équilibres de paix publique.

Première partie

Le gardien de la Paix

La naissance du Gardien de

la Paix et son évolution au fil de l’histoire

Aujourd’hui comme hier, qu’on le veuille ou non, le Gardien de la Paix reste le socle de la Police et de la mission de sécurité urbaine. Même si on l’a quelque peu oublié, lors de la constitution de la première force de sécurité au 16e siècle, c’est dans les campagnes que les problèmes de sécurité sont les plus saillants1et ils peuvent parfois faire obstacle à la construction du royaume de France. Les populations vivaient majoritairement dans des campagnes souvent difficiles d’accès.

Après l’époque féodale dans laquelle les seigneurs locaux entretiennent des forces militaires diverses pour asseoir leur pouvoir, la monarchie a constitué peu à peu un pouvoir royal central censé faire régner l’ordre seul garant de la prospérité. Les seigneurs ont donc congédié leur force de sécurité personnelle et ces soldats « non soldés », c’est-à-dire au chômage, ont tenté de survivre en harcelant les populations. Pour lutter contre cette insécurité, La Maréchaussée, ancêtre de la gendarmerie, est constituée afin d’assurer la sécurité de ces territoires.

Plus tard, les villes commencent à croître, les richesses ont été alors davantage concentrées dans les centres urbains. Jusqu’à la révolution, l’ordre public des villes est assuré par des militaires « soldés »2. Il faut préciser que la notion de justice était assez simpliste, puisque d’une part le roi et ses représentants ont droit de vie et de mort sur tous les sujets et d’autre part, le peuple est invité à se faire justice lui-même contre les vols et autres pillages. L’autodéfense est donc le meilleur moyen de justice dans un système d’autocontrôle local dirigé par la noblesse.

Dans ce système, les « étrangers » sont particulièrement vulnérables et, pour le reste, le contrôle social se réalise dans une société hiérarchisée par la richesse et le titre de noblesse. En d’autres termes, être pauvre et itinérant ne prédispose pas à une vie paisible.

La gravité des infractions est également totalement différente. Le « bien » compte beaucoup plus que la vie humaine. On est assez facilement pendu pour un vol, en revanche l’homicide sur un rival amoureux, par exemple, est sanctionné par un exil de quelques années dans un village voisin3.

L’augmentation de la densité démographique urbaine oblige les villes à organiser une régulation. Il faut lutter contre l’incendie dans des architectures rendues fragiles par la densité démographique, il faut également assurer le ravitaillement et l’importance du trafic des divers véhicules hippomobiles. Le premier qui a posé les bases du travail de police dans la ville c’est donc Nicolas de la Mare dans son traité de la Police.

Après la révolution, les choses vont singulièrement changer du point de vue de la justice et de son bras armé, la Police. Dans les campagnes toujours majoritairement peuplées, la Gendarmerie est la nouvelle appellation de la maréchaussée. Elle reprend les missions existantes mais devient également l’auxiliaire du système judiciaire car désormais le Policier doit se substituer à la vengeance du citoyen, il est donc chargé de rechercher les auteurs d’infractions et de les mettre à disposition de la justice.

Les villes se dotent pour leur part de dispositifs de sécurité en deux parties. Un dispositif de sécurité est toujours confié à des militaires qui sont là ponctuellement pour maintenir l’ordre sur la voie publique et un dispositif de police bâti sur les informateurs dont l’initiateur a été le célèbre Joseph Fouche. C’était un embryon de police judiciaire fonctionnant avec quelques fonctionnaires auxiliaires de justice qui alimentaient en primes tout un réseau d’indicateurs plus ou moins troubles et intéressés. Ce sont les tontons4 d’alors.

Pour le peuple, c’est une avancée extraordinaire, chaque citoyen dispose désormais du droit à la justice. Il en découle alors la popularité du travail de Police judiciaire.

En 1828, sous l’impulsion du préfet de Police Louis Marie de Belleyme, la Police des villes se métamorphose. Il s’agit alors de mettre en place une police ostensible qui doit se démarquer de la police de Joseph Fouché et des méthodes de Vidocq qui fondent leur stratégie essentiellement sur une surveillance sournoise de la population au travers des missions de renseignement réalisées par de fins connaisseurs de la pratique criminelle, puisque les agents recrutés sont le plus souvent des repris de justice.

Cette nouvelle forme de police agissant en uniforme est « ostensible » car visible sur la voie publique. Jusque-là, la surveillance de la voie publique pour les centres urbains en plein développement se révèle aléatoire. Par ailleurs, lorsque les incidents se produisent, tels que les rixes ou autres violences, les agents ou auxiliaires de police en civil ont plutôt une propension à fuir les problèmes plutôt qu’à intervenir pour les régler. Désormais, les agents en tenue d’uniforme peuvent être requis à tout instant par la population pour intervenir autant que de besoin. Désormais,le citoyen de la ville a directement accès aux policiers chargés de sa sécurité. La France et l’Angleterre5 se sont donc dotées concomitamment d’une police en uniforme.

Cette Police dite « administrative » vient compléter le dispositif de police judiciaire et de renseignement. Elle est le commencement de la police des villes car la surveillance des populations en milieu urbain est très différente de celle des populations en milieu rural réalisée par la Gendarmerie.

La densité démographique induit une relation différente entre les citoyens et les policiers. Par ailleurs, le contrôle social, c’est-à-dire une forme d’auto-surveillance de la population qui fonctionne parfaitement en zone rurale, s’amenuise considérablement en milieu urbain dans lequel, paradoxalement l’anonymat est plus aisé au sein d’un groupe humain plus dense. Les sergents de ville sont affectés sur des îlots, c’est-à-dire un groupe d’immeubles dans un quartier donné.

Mais le 19e siècle va être régulièrement secoué par l’esprit révolutionnaire. Plusieurs mouvements populaires ont débouché sur des changements de pouvoir : entre « restauration », « monarchie de Juillet », « 2e République » et « Second empire », la France a connu bien des soubresauts. Pour les forces de sécurité, cela n’a pas, ou peu, eu d’impact sur la Gendarmerie qui s’est toujours mise à disposition du nouveau régime et a maintenu sa surveillance grâce au contrôle social ancestral dans les campagnes. Pour la Police des villes, malheureusement, le corps des sergents de ville sera trop souvent employé pour réprimer les manifestations, ce qui altérera son image de garant de la sécurité des citoyens. Par exemple, Victor Hugo dans Les Misérables en 1862, surnomme les Sergents de ville « les cognes ».

C’est après la débâcle de la guerre de 1870 et la commune que la 3e République veut revenir aux fondements initiaux de la mission de Police ostensible et les sergents de ville deviennent alors « les Gardiens de la Paix ».

Durant la première moitié du XXe siècle, le gardien de la paix est devenu un incontournable de la mission de police urbaine. Au fur et à mesure que les campagnes se vident et que les villes grossissent en raison de l’industrialisation du pays. Les Gardiens de la paix ont vu leur effectif croître en raison de leur mission de surveillance permanente de la voie publique. Que ce soit à la Préfecture de Police de Paris ou dans les villes de Province, le corps des gardiens de la Paix est devenu l’assise des services de la Police urbaine. Même si les Gardiens de la Paix peuvent être encore employés pour des services d’ordre public. En 1926, la gendarmerie se dote d’effectifs spécialisés dans le domaine du maintien de l’ordre au travers de la Garde mobile républicaine. Plus tard, le dispositif sera complété par les Compagnies Républicaines de Sécurité créées en 1944 pour assurer la gestion des foules festives et revendicatives.

En 1941, la Police va être étatisée par le régime de Vichy. Depuis un certain nombre d’années avant-guerre, cette question était sur la table et l’occupation qui privait le pays de sa force armée a accéléré le processus pour que le pouvoir puisse disposer d’une force de sécurité paramilitaire afin de tenter d’asseoir sa légitimité. À la libération, le corps des Gardiens de la paix de la Préfecture de Police va participer activement aux combats pour libérer Paris. Le Général de Gaulle distinguera le corps des Policiers parisiens par la Légion d’honneur. Après l’arrêt des combats, personne ne souhaitera revenir sur cette étatisation et la Police restera nationale, même si la Préfecture de Police cherchera toujours à conserver ses particularismes de par sa proximité avec tous les pouvoirs exécutifs qui se succèdent.

À la libération, le pays est exsangue mais heureux. Il faut reconstruire sur les bases humanistes établies par le Conseil National de la résistance. Les citoyens veulent vivre désormais en paix. Hélas, malgré les plus de 60 millions de morts dans le monde, dont une majorité de civils, les dirigeants des plus grandes puissances engagent aussitôt un bras de force entre Est et Ouest. Si les Américains n’ont pas écouté le général Patton qui, après la chute de Berlin, voulait poursuivre son offensive sur Moscou, le monde s’est néanmoins partagé en deux camps idéologiques, l’un capitaliste et l’autre communiste. Cela ne fut pas sans effet pour les pays en général et pour la France en particulier.

Le pays commence à vivre de l’agitation intérieure à travers les grèves insurrectionnelles de 1947, le parti communiste français étant aligné sur la stratégie de l’Internationale communiste. En outre, l’U.R.S.S. réalise au plan international des manœuvres sur l’ensemble des pays colonisés par les grandes puissances européennes. Les Soviétiques appellent les peuples à s’émanciper de la tutelle coloniale et contribuent largement à leur fournir de l’armement.

Une fois encore, les Gardiens de la Paix sont sollicités pour participer aux maintiens de l’ordre assez violents qui se déroulent à Paris et dans les grandes villes de Province. La première guerre de décolonisation en Indochine impacte davantage les autorités militaires mais la seconde en Algérie débordera largement sur des problématiques de sécurité intérieure et, une fois encore, les Gardiens de la paix au sein des C.R.S. et dans les Polices urbaines seront très largement mis à contribution. Cependant, il faudra attendre 1968, pour que les C.R.S. interviennent à l’intérieur de Paris en soutien d’une Préfecture de police débordée. Les compagnies de district parisiennes s’étaient également distinguées par leur brutalité lors des évènements de la guerre d’Algérie. C’est en 1962 au métro Charonne que les compagnies ont chargé alors que les grilles du métro venaient de se fermer, on relèvera 9 morts écrasés en raison de la panique. Le préfet de Police n’était autre alors que Maurice Papon.

À ce propos, durant les manifestations dites « gilets jaunes », lorsqu’il a été question que la Préfecture de Police demande à ses effectifs de réaliser la technique des « nasses6 », on peut rester perplexe quant à la capacité de certains responsables publics à s’affranchir des leçons de l’histoire.

Ainsi, la Police des villes s’installe dans un dispositif de fonction publique d’état. Désormais, la Sécurité des Français est assurée par une Police nationale compétente sur l’ensemble du territoire et pour laquelle les injonctions viennent de Paris. Les Policiers municipaux disparaissent momentanément du paysage de la Sécurité.

Après les dramatiques épisodes de justice sommaire à la libération, il est demandé aux Français de ne pas prendre d’initiative en matière de sécurité. Lorsqu’un problème se pose, il faut simplement requérir les policiers. Pour les campagnes habituées à une gestion d’auto contrôle concernant sa propre sécurité, les choses restent en l’état dans la relation avec la gendarmerie.

La police étatique reprend dans un premier temps le mode de surveillance des polices municipales d’avant-guerre basé sur une forte présence de terrain et celui-ci est partagé en quartiers. Cependant, dès les années 50 l’architecture urbaine se modifie sensiblement, les villes croissent largement au-delà du centre-ville. Dans ces banlieues, viennent s’installer les ouvriers de la France industrielle. Les campagnes commencent à se dépeupler, le travail se trouve désormais en ville et les transferts de population se poursuivent.

Peu à peu, pourtant, les mouvements de violences politiques sont contenus et, en 1977, le dernier état colonisé a accepté l’offre de la France qui était d’assurer la défense du territoire malgré sa prise d’Indépendance, il s’agit de la République de Djibouti.

Pour le ministère de l’Intérieur, gérant désormais les forces de Police dans le pays, le calme revient peu à peu au milieu des années 60. Cependant, la nouvelle société française se mettait en place selon les standards occidentaux et cela allait profondément et durablement changer le paysage de la sécurité dans le pays.

Pour les autorités administratives, c’est un casse-tête, il faudrait, pour garder le même mode de surveillance urbaine par quartier, recruter des milliers d’effectifs supplémentaires car les périmètres topographiques sont désormais trop importants. Il est alors fait appel aux moyens mécanisés et aux nouveaux modes de communication. Les policiers sont dotés désormais de véhicules adaptés à leur périmètre de surveillance : vélo, moto, voitures, etc. Ces véhicules vont eux-mêmes être reliés par radio au central dès lors que les patrouilles aléatoires vont être mises en place et le poste central pourra diriger les policiers motorisés vers les lieux d’intervention à la demande des habitants ayant contacté téléphoniquement le poste central.

Si aujourd’hui ce schéma est d’une banalité affligeante, il change pourtant à ce moment-là radicalement le travail policier. Le Gardien de la paix d’avant devait passer un maximum de son temps sur la voie publique et ce temps était utilisé pour observer, converser avec les habitants pour s’imprégner parfaitement des réelles difficultés des habitants. Les policiers habitent le plus souvent sur leur quartier de surveillance pour des raisons de commodités économiques, si on n’a jamais réalisé de statistiques, il est pourtant établi que les familles de policier demeuraient dans la plupart des loges de concierge d’alors. Cette situation était intéressante pour l’immeuble et pour le policier qui obtenait pour son épouse un emploi de concierge. Dans cette configuration, le policier était totalement immergé dans son quartier et ne peinait pas à comprendre, analyser et trouver des solutions aux préoccupations de sécurité. Le renseignement opérationnel était optimum et, même si l’on n’a jamais assez remercié les Gardiens de la paix d’alors c’est pourtant eux qui étaient à l’origine de la plupart des petites et grandes affaires judiciaires. En effet, contrairement à la croyance populaire véhiculée par les fictions cinématographiques, si la police judiciaire dispose d’informateurs dans une relation intéressée depuis l’époque de Fouche et son acolyte Vidocq, l’implantation territoriale de la Police des années 60 permet de disposer d’une autre source totalement fiable : « la parole des habitants ».

Mais cette science de la voie publique va s’éteindre progressivement pour mettre en place une police plus mobile et réactive à l’instant « T ». Bien sûr, cette rupture dans le mode de surveillance des populations en zone urbaine était alors nécessaire car la surveillance pédestre avait sa limite et il était nécessaire de compléter la palette par la possibilité de projeter rapidement des policiers à tel ou tel endroit pour régler tel ou tel problème au travers du fameux « 17 » Police secours. En revanche, on sait aujourd’hui que la relation police-population a largement été altérée par cette profonde modification dans le mode de surveillance. En effet, entre un habitant qui aperçoit au quotidien un policier qu’il finit par connaître et un habitant qui ne rencontre jamais de policier sauf dans l’urgence d’une situation souvent conflictuelle, il y a évidemment un relationnel très différent.

Dans les années qui ont suivi, les effectifs Policier ont donc été calculés essentiellement en fonction des périmètres des circonscriptions et du nombre d’habitants. Il faudra attendre les années 2000 pour voir intervenir d’autres paramètres dans les calculs d’effectif mais c’était plus un moyen de gérer la pénurie que de réellement réaliser une approche pertinente.

Le deuxième élément qui a modifié la pratique policière se met en place également dans les années 60, le taux de crimes et délits pour 10 000 habitants stagnait depuis les années 50 à un peu plus de 10. En revanche, de 1963 à 1976, ce taux passe à 40 et la progression ne cesse de s’accélérer jusqu’en 1984 et passe à plus de 607. Le taux de la délinquance est donc devenu 6 fois supérieur en une trentaine d’années, ce qui indique bien que le problème de la délinquance devenait le problème majeur de la sécurité dans le pays.

Des années 80 jusqu’en 2006, le taux restera entre 60 et 70. Par la suite, les statistiques de 2007 et 2012 semblent s’infléchir à un taux légèrement inférieur mais la sincérité de ces chiffres qui collent aux calendriers électoraux peut être mise en doute car les chiffres de la délinquance deviennent alors éminemment politiques et sont délivrés par le Ministère. La présence du candidat du Front national au second tour de l’élection présidentielle en 2002 place la sécurité comme enjeu majeur. Au travers de ces chiffres, on peut facilement percevoir le changement de situation de sécurité et le relatif échec dans la gestion de la délinquance qui ne s’infléchit toujours pas ni sensiblement ni durablement depuis près de quarante ans.

Ce qui est particulièrement intéressant à noter c’est que ces tendances ont été observées de la même façon dans les grands pays européens, tels que la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. En somme, la délinquance a explosé dans les années 60 dans tous les pays européens8.

Cette croissance intervient alors que les violences politiques s’estompent et cela change radicalement la gestion des problèmes de sécurité. En 1977, le pouvoir exécutif se rend compte de cette évolution et fait plancher un ancien ministre, Monsieur Peyrefitte, sur la question de la sécurité dans la France urbaine. Ce rapport décrit parfaitement, l’augmentation de la délinquance en général et plus précisément les violences et les atteintes aux biens. Les mécanismes évoqués sont étonnamment toujours d’actualité. Lorsque l’on reprend les titres de certains paragraphes, on perçoit que le constat est parfaitement posé et le même constat pourrait être réalisé aujourd’hui. On peut trouver, par exemple ces sujets : La violence, réponse aux frustrations – Les aléas de la croissance – Violence et croissance – Violence et travail. Les marginaux de la croissance – La société de convoitise – L’organisation de la tentation – Le dérèglement de l’urbanisation – Une population entassée – Une population ségrégée– Une population anonyme – La violence, substitut au dialogue – La violence comme cri – Le cri des muets – Le cri des perdus – Un difficile dialogue : le débat prévention-répression – Les insuffisances de la prévention – Les hésitations de la répression.

En fait, la vraie question que l’on peut se poser c’est pourquoi, après un constat aussi juste, nous en sommes toujours au même point après toutes ces années.

Un deuxième rapport vient corroborer ce constat quelques années plus tard, c’est le rapport Bonnemaison réalisé après l’élection de François Mitterrand en 1982. Ce second rapport reprend les analyses précédentes et il pose également une problématique claire, son seul défaut est d’avoir sérié deux systèmes, l’un dit de prévention, et l’autre dit de répression, alors qu’en réalité ce sont les deux faces d’une même pièce de monnaie et, en cela ils sont parfaitement liés. Malheureusement, cela va figer pour longtemps la droite et la gauche sur deux idéologies, la répression pour l’une et la prévention pour l’autre. Cette approche binaire ne participera pas à opter pour des solutions raisonnées et pérennes.

Le rapport Peyrefitte évoque la société de consommation et son impact dans l’augmentation des violences et de la délinquance en général. Cette approche est intéressante car si l’ensemble des pays occidentaux ont été touchés par cette augmentation de la délinquance, cette hypothèse semble tout à fait recevable. En réalité, il est probable que, si chaque société sécrète sa propre violence, il devient moins pertinent de se reposer exclusivement sur les forces de sécurité intérieure pour apporter une réponse globale aux préoccupations de sécurité et c’est pourtant le postulat établi après-guerre. Par ailleurs, si le consumérisme est source de violence, il faudrait logiquement qu’une plus grande partie de cette croissance économique participe aux énormes coûts générés par la criminalité.

En tout état de cause pour le système policier des années 50 bâti essentiellement autour des problèmes de violences politiques à savoir le renseignement et le maintien de l’ordre, il fallait revisiter l’ensemble des systèmes pour tenter de répondre de manière plus pertinente à la délinquance. Mais pour passer d’une police d’ordre public à une police judiciarisée, il faudra du temps et des réformes.

À partir des années 80 en région Parisienne, le Gardien de la paix devait désormais tenir la voie publique en surveillance générale et lors des troubles à l’ordre public mais il devait aussi devenir un spécialiste du flagrant délit. Dès la création de la BAC départementale en Seine Saint-Denis, les effectifs devaient être prêts à gérer à la fois les grèves dans les usines Citroën d’Aulnay-Sous-Bois ou passer des nuits entières à interpeller des voleurs en flagrant délit. Confrontés à ces nouveaux défis, il va être demandé au Gardien de la Paix de, désormais, s’impliquer sur des champs de Police qui ne lui étaient pas confiés jusque-là.

Un gardien de la Paix des années 80

Lorsque j’ai postulé au printemps 1979 pour aller passer mon concours de Gardien de la Paix dont les épreuves se passaient à la C.R.S. No 60 à Avignon, je n’avais pas une idée très précise de la fonction. Comme toutes les jeunes recrues, je fantasmais certainement un peu trop ce métier.

J’étais militaire depuis 1973 et plus précisément « marin d’état », comme c’était indiqué dans les documents officiels. J’avais été incorporé le 29 août 1973 au centre d’instruction naval de Brest à l’école des Mousses, rebaptisée l’école du « crime » car l’armée d’alors dans sa composante maritime avait vocation à intégrer des recrues de moins de 17 ans sur dossier, il pouvait donc s’agir de jeunes gens ayant été quelque peu turbulents ! Les Maisons de correction de sinistre mémoire fermaient peu à peu et l’armée dans un contexte de guerre froide pouvait accueillir des jeunes déviants, dont on pensait que soumis à la discipline ils pourraient se réinsérer en participant à la défense de la nation.

Pour ma part, habitant la campagne j’étais bien à l’abri de la déviance citadine mais c’est mon peu de goût pour les études, que je trouvais trop théoriques, qui m’a conduit à envisager une entrée dans la vie active. Pour me faire apprécier les joies de cette vie active que je souhaitais, mon père m’avait trouvé un travail saisonnier de plongeur dans un restaurant touristique de la vallée du Lot. Effectivement, je me suis rapidement rendu compte que l’enchaînement des journées de treize heures de travail sur trois mois environ sans jour de repos, c’était une vie « active », voire très active. Cette aide à la réflexion m’a fait accepter la proposition paternelle de postuler pour l’école des Mousses. Après un peu plus d’une année d’instruction navale, j’ai été affecté sur un escorteur rapide, puis sur une base aéronavale. Je ne remercierai jamais assez l’armée française de m’avoir permis d’acquérir les fondamentaux du citoyen républicain en complément de mon éducation familiale. Ces formations rustiques mais pertinentes apportent beaucoup en matière de relation humaine, surtout pour les « sauvageons » adolescents que nous étions alors.

Mes affectations m’ont fait découvrir un univers insoupçonné et la fraternité d’armes pour de jeunes gens à qui on demandait si nécessaire le sacrifice de leur vie dans un contexte de guerre froide dont on ne pouvait évidemment connaître alors l’issue. Pour ma part en mission au milieu des mers et océans, si j’avais accepté l’idée de mourir en mer j’espérais naïvement être pulvérisé par un missile plutôt qu’une lente agonie dans l’eau après que mon bateau ait été coulé ! Heureusement, aucun missile n’a touché mon bateau d’affectation et nous avons pu rentrer à chaque fois malgré les multiples avaries de ce vieil escorteur rapide « L’agenais » qui avait été lancé à la mer l’année de ma naissance.

Après ces années dans la Marine j’ai décidé de changer d’orientation professionnelle et au lieu de rentrer en gendarmerie sur dossier, ce qui aurait été plus simple j’ai passé le concours de Gardien de la Paix. L’incorporation n’a pas été des plus commodes car alors que je pensais être prêt à l’issue de mes années de Marine pour affronter la vie en collectivité et un métier en uniforme, j’ai rapidement découvert que la gestion des « soldats » et des « fonctionnaires » ne se réalisait pas sous les mêmes principes. À l’école de police s’il y avait quelques analogies avec mon précédent métier, la prise de responsabilité individuelle devait rester forte en toutes circonstances et même dans l’action collective.

La formation initiale était encore rudimentaire mais nous étions formés au métier de l’époque qui était d’arpenter la voie publique ou d’intervenir sur réquisition. Nous composions la police dite administrative, ce qui nous faisait échapper aux contingences de la police judiciaire. Les formateurs étaient eux-mêmes des personnels détachés ponctuellement de leur service pour la circonstance. S’ils ne disposaient pas d’une science pédagogique très fine, ils étaient néanmoins des praticiens et nous avions besoin de cela pour découvrir toute la complexité du métier qui est d’intervenir sur des situations conflictuelles afin de trouver précisément des équilibres de paix civile. En effet, lors d’un conflit de personnes, le rapport de force bascule d’un côté ou de l’autre et nous devions réguler ce rapport de force d’une part pour éviter que s’exerce la loi du plus fort et d’autre part pour que la gestion du contentieux se réalise dans le cadre légal. Évidemment, dans ce rôle d’arbitre social, il arrive que celui-ci soit pris à partie mais il faut l’accepter.

Après cette formation initiale relativement courte, puisqu’elle a duré six mois, j’ai été affecté en région parisienne car comme la majeure partie de mes camarades de promotion, je devais combler les énormes besoins de la Préfecture de Police de Paris. Sur nos affectations, nous étions toujours en situation de formation durant quelques mois. J’ai donc réalisé mes premières « tournées » de service en « Police Secours » et j’ai tout de suite compris que, malgré les difficultés de la vie parisienne pour un provincial, ce métier réalisé sur la voie publique allait m’apporter beaucoup.

Affecté par la suite au Commissariat des Lilas, j’ai travaillé en brigade de jour sur des cycles horaires compliqués avec des repos en semaine qui ne favorisaient pas la vie de famille. En revanche, mon intérêt professionnel était intense, chaque vacation, j’intervenais auprès des gens en difficulté sur des situations complexes. Il fallait apprendre le rapport à l’autre et toute la science du travail sur la voie publique. Alors que nous étions les « flicards » en bas de l’échelle de la fonction publique, nous étions capables de dénouer des situations complexes et ce savoir-faire s’il n’était pas assez reconnu, j’avais, néanmoins, soif de l’intégrer le mieux possible. J’étais sûr d’apporter un service à la population et nous étions gratifiés en direct de la satisfaction des requérants, ce qui compensait largement mon statut de « Pinot simple flic » regardé quelque peu de manière condescendante par notre administration.

Hier comme aujourd’hui, le travail de service général sur la voie publique est compliqué. Le principe est de répondre à toutes les réquisitions sur une zone de compétence. Elles se réalisent la plupart du temps par téléphone au central et les patrouilles contactées se rendent sur les lieux. Dès l’appel radio du central dans le véhicule de police, l’ambiance change, la discussion classique entre collègues s’interrompt et chacun prend l’information généralement parcellaire. Les appels 17 sont plus ou moins précis mais la difficulté est que toutes les interventions, même les plus anodines peuvent s’avérer dangereuses et au fond de soi, chaque policier le sait. Ce que l’on nomme un différend familial, par exemple, peut être une simple dispute qui, selon le talent de l’intervenant, va se terminer par un retour au calme rapide ou cela peut être des violences familiales graves avec des personnes alcoolisées et armées. Ainsi, pour chaque intervention, même avec l’ancienneté, le rythme cardiaque s’accélère et le policier est exposé plus qu’il ne faudrait à l’adrénaline.