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Extrait : "Ce fut moi qui leur dis, je ne sais à quelle occasion, que notre siècle valait bien celui de Louis XIV. Fabre se récria là-dessus : 'Quelle différence, bon Dieu ! tout sous Louis XIV fleurit. — Si vous parlez des arts, lui dis-je en quel temps les a-t-on vus plus florissants qu'aujourd'hui ?' Je voulais le faire un peu causer. La comtesse me devina, et entrant dans ma pensée : 'Il est vrai, dit-elle, que les arts sont aujourd'hui tellement cultivés, encouragés…"
À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :
Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :
• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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Seitenzahl: 84
Veröffentlichungsjahr: 2016
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Un maître, le plus disert des causeurs, M. Jules Janin, a écrit naguère, avecce charme qu’on lui connaît, l’histoire de la conversation. Il l’a prise au bégayement de l’humanité pour la conduire jusqu’à ce jour, répandant sur son récit tout le sel d’une érudition aimable. Nul mieux que lui n’était capable de s’acquitter de cette tâche qui lui avait été tracée par les éditeurs de l’encyclopédie familière intitulée Dictionnaire de la Conversation. C’était l’article de fond, le mot capital de l’œuvre. Notre écrivain fait d’abord une longue station au Portique et dans les jardins de l’Académie à Athènes. Déjà, sous leciel de la Grèce, avec Platon pour législateur, l’esprit de conversation est devenu un art consommé, un art à la perfection duquel n’atteindra plus que le XVIIe siècle français, avec pareil éclat sans doute, mais une moindre élévation et de plus modestes destinées. Car les dialogues du Portique ont marqué la maturité de la raison humaine et la prise de possession de l’homme par lui-même. L’ingénieux styliste pénètre dans les gynécées de la ville de Périclès et se mêle à la conversation féminine, dont les échos sont malheureusement bien affaiblis. Il arrive à Rome et salue dans Cicéron un génie universel qu’il replace sur le marbre du Forum, au milieu de ses interlocuteurs. Puis, sans plus tarder, il traverse les âges et frappe à la porte des salons de Rambouillet et de Cornuel. C’est la France qui lui ouvre, toute la France chevaleresque, galante, aimable, des Retz, des Tallemant, des La Rochefoucauld, des Sévigné, cette France spirituelle et polie qui est le premier, le plus vif reflet de la civilisation moderne.
À défaut d’un retour impossible vers ces temps disparus pour jamais, reproduire au moins la pâle image de cet esprit de conversation qui fait la gloire du génie français serait rendre à l’histoire du goût un service signalé. On a bien composé des recueils épistolaires. Il serait certes aussi intéressant de rassembler en un même corps d’ouvrage ou par fasciculesdistincts les conversations célèbres. Le nombre n’en serait pas grand. On les compte celles qui ont survécu aux lieux qui les ont entendues. Les plus célèbres causeurs ne sont pas ceux dont le nom brillerait le plus dans ce Panthéon d’un nouveau genre. Si peu ont trouvé des sténographes d’esprit pour noter leurs saillies, leurs paradoxes, leurs improvisations caressantes ou frondeuses ! Nous avons, pour notre part, déjà réédité la fameuse Conversation du maréchal d’Hocquincourt, immortalisée par Saint-Évremond, un chef-d’œuvre entre les chefs-d’œuvre du goût ; puis un entretien du duc de Choiseul avec la princesse de Guéménée, esquisse railleuse du dernier siècle. Parmi les plus connues, voici une conversation qui s’impose aujourd’hui à des titres divers à notre attention : c’est celle qui fait l’objet de cette brochure, et qui eut pour héros la comtesse d’Albany, illustre veuve du dernier des Stuarts, le peintre Fabre et Paul-Louis Courier, qui nous l’a transmise.
Les divers éditeurs de Courier, en ajoutant ce fragment à ses œuvres, n’ont pas raconté dans quelles circonstances il avait été écrit. Nous ne doutons point que l’entretien n’ait réellement eu lieu entre les personnages mis en scène ; mais le spirituel Tourangeau a dû le modifier quelque peu, et il en a fait une œuvre d’art, peu soucieux sans doute de n’être que l’interprète exact de ses deux amis. Voici laseule note que nous ayons trouvée, et qui forme toute la bibliographie de cet opuscule :
« Ceci était considéré par Courier comme achevé. L’ayant depuis longtemps en portefeuille, il le destina en 1821 à être inséré dans un journal périodique intitulé le Lycée, dont M. Viollet-Leduc, son ami, était rédacteur. Les bornes de ce recueil ne permirent pas de publier un morceau d’une telle étendue, et la conversation demeura inédite. Elle est intitulée Cinquième conversation, parce que, d’autres ayant préparé celle-là, Courier, engagé par la comtesse d’Albany, comptait les écrire toutes ; mais, à l’exception d’une conversation sur Alfieri, dont on n’a point retrouvé trace, quoiqu’elle soit connue de quelques amis de Courier, le projet s’arrêta là. »
Mais d’où vient que cette conversation, en des termes qui peuvent fournir le texte de rapprochements extraordinaires, ait été entendue à Berlin cinquante ans avant qu’elle ne se produisit entre les hôtes de la comtesse d’Albany ? Cette autre conversation, dès lors racontée et éditée, était-elle tombée entre les mains de la comtesse, et celle-ci avait-elle profité du sujet pour donner carrière à la verve railleuse de Courier ? ou Courier a-t-il pris cet informecanevas pour y broder ses propres idées ? Comme Poquelin, le maître immortel de la conversation satirique, Courier a pu prendre son bien où il l’a trouvé. Sous un titre ridicule, un écrivain prussien, pâle imitateur des pamphlets de Voltaire et des élucubrations de son roi Frédéric II, a laborieusement compilé les raisons pour lesquelles la philosophie combat l’esprit de conquête : c’est ce libelle obscur, plus lourdement écrit que vingt volumes de scolastique, que Paul-Louis, avec sa verve endiablée, s’approprie, transforme, et qui devient sous sa plume l’un des chefs-d’œuvre de la plus fine plaisanterie et du paradoxe.
La rencontre que nous avons faite dernièrement de l’ouvrage anonyme prussien, ouvrage fort rare, nous a engagé à mettre au jour cette publication. Bien entendu, nous laissons aux deux auteurs la responsabilité de leurs opinions, qui ne peuvent nous toucher ici qu’au simple point de vue de la critique littéraire.
Dans le choix de ses interlocuteurs Courier n’a pas mis moins d’esprit qu’il n’a mis d’art dans la composition et le style de son dialogue. Nul besoin de longs détails sur ceux-ci. Toutefois nous sommes bien aise de trouver leurs noms pour leur payer notre« tribut » d’éloges, pour nous acquitter de notre part dans la dette de reconnaissance que la postérité a contractée envers eux. Ce sont des amisglorieux que nous rencontrons sur le chemin et qu’il nous est agréable de saluer en passant. D’abord cette fameuse comtesse d’Albany, illustrée par sa beauté, son esprit, ses malheurs, ses aventures, dans un temps où n’ont pas manqué les célébrités en ce genre, mais qui mérite une place honorable et bien acquise au milieu du groupe des Mécènes historiques. On sait qu’elle fut longues années la muse d’Alfieri, que ce poète lui doit ses émotions les plus vives, ses inspirations les plus élevées ; qu’il chanta sa passion de façon à ce que le monde entier l’entendit et rendit hommage aux deux amants. Entourés des poètes, des artistes les plus connus de leur temps, ils vécurent dans une continuelle fête du cœur et de l’esprit. Nul trouble ne vint affaiblir leur affection, et la fortune, qui ne se rit pas toujours des passions humaines, leur a réservé la suprême consolation d’être réunis en un même tombeau. C’est à Florence qu’ils reposent, entre Machiavel et Michel-Ange : singulière rencontre pour ces génies si divers.
Pendant les vingt dernières années de sa vie, c’est-à-dire après la mort du tragique, la comtesse d’Albany occupa son temps à l’étude et à la culture des arts. Beaucoup de poètes et de peintres reçurent d’elle ces marques d’intérêt dont ils avaient tant besoin à une époque où la politique et les armes absorbaient tous les esprits en Europe. DeNaples, de Florence, elle veillait sur cette famille d’adoption qu’elle avait conquise par sa grâce, formée de ses conseils et retenue près d’elle par la bonté de son cœur. Dans ce nombre de protégés, le plus favorisé fut François Fabre, peintre de talent formé par David, et auquel on verra que Courier ne marchande pas d’autres mérites. Institué légataire universel de la comtesse d’Albany, Fabre revint, en 1824, habiter Montpellier, sa ville natale, qui retrouva en lui l’un de ses plus dignes enfants. C’est à lui, en effet, que l’on doit la création et la fondation de ce musée Fabre, l’une des gloires de l’Hérault et l’une des plus belles collections d’art de la France contemporaine.
Vers le milieu de son pamphlet, et dans un autre passage encore, Paul-Louis Courier rapproche, après Boileau, le nom d’Homère de ceux d’Alexandre et d’Annibal ; c’est dans ce sens que l’écrivain prussien a pu cacher sa fantaisie satirique sous le titre d’« Homère plus gentil qu’Annibal », ouvrage qui parut à Berlin, chez Arnaud Wever, en 1763. Le nom de l’auteur est inconnu. Il semble à certains passages qu’on ait affaire à unhomme d’épée. C’est notre cas avec le Tourangeau. Mais là point de grâce dans les reparties, nulle habileté dans les transitions, aucun goût dans les saillies, et de plus des plaisanteries dignes des tréteaux et écrites vraisemblablement au retour d’un petit souper à Potsdam, après la représentation d’une parade des boudoirs. Cependant l’ensemble n’est pas sans intérêt et complète sur quelques points les critiques de Courier. Plusieurs pages sont sérieusement écrites. Un certain Jules Thierry, qui a laissé sa griffe de propriétaire-Prudhomme sur l’exemplaire qui nous appartient, a résumé en ces termes l’impression qu’il a tirée de sa lecture : « Ce petit volume, plein de sens et d’originalité, n’est pas bien écrit d’ailleurs. Il ne faut pas tirer du burlesque les preuves d’un sujet grave par lui-même. » Enfin l’auteur, qui n’était pas tout à fait un sot, voyait juste dès 1763 ce qu’on pouvait faire de nos armées près d’un demi-siècle plus tard. On trouve dans la bouche d’un de ses personnages des paroles que le jeune Bonaparte aurait pu, – a pu même répéter dès Toulon, tant elles sourient à son étoile : « Donnez-moi la rage de la gloire et le royaume de France, en dix ans je fais la conquête du monde ! »
Des rapprochements qu’établira le lecteur entre les deux pamphlets les principaux sont, sans parler de la similitude complète du sujet : la conversation, dirigée dans l’un et l’autre cas par une comtesse ; le nombre des interlocuteurs, qui est le même, car dans le récit de Courier son propre rôle n’est qu’épisodique : l’entretien s’agite entre la comtesse et Fabre, deux amants comme le sont chez l’auteur allemand le chevalier et sa noble partenaire. Quelques épisodes sont les mêmes. La comtesse de Courier a sous la main les Essais de Montaigne ; celle de l’anonyme de 1763, un tome de Fontenelle. Quelques phrases sont presque semblables. Un plus grand nombre se rapproche par une pensée complètement analogue. Qu’on en juge :