Conversations difficiles sur Haïti - Wilford Souffrant - E-Book

Conversations difficiles sur Haïti E-Book

Wilford Souffrant

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Beschreibung

À travers une analyse rigoureuse et éclairée des événements qui ont marqué et continuent de façonner Haïti, cette œuvre propose une réflexion révélant des facettes souvent négligées de la réalité haïtienne. Elle explore en profondeur les enjeux cruciaux du leadership, de la gouvernance, de la sécurité et du développement économique. Alliant finesse intellectuelle et pertinence géopolitique, cet ouvrage se distingue par la force de son propos et la richesse de ses réflexions.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Économiste, Wilford Souffrant a travaillé avec de multiples organisations à l’international, tout en dédiant une grande partie de sa carrière à Haïti. Dans cet ouvrage, il examine les défis internes et les potentiels inexploités de son pays. Sa narration, nourrie à la fois par une connaissance approfondie du terrain et par son expertise, offre un éclairage unique sur les enjeux essentiels d’Haïti.

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Seitenzahl: 100

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Wilford Souffrant

Conversations difficiles sur Haïti

Essai

© Lys Bleu Éditions – Wilford Souffrant

ISBN : 979-10-422-5119-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma fille, Shaniece

Prologue

Je crois que je suis en train d’écrire un livre, ai-je dit à une amie en marchant le long de la plage de la petite ville de Sitgès, près de Barcelone. C’était un samedi matin sans grande particularité. C’était ma seconde fois à Sitgès, et la plage de cette ville côtière catalane était modérément occupée, contrairement à ma dernière visite l’été dernier. Les vagues régulières et harmonieuses se heurtaient doucement au sable blanc. C’était l’hiver. Il est toujours difficile pour moi de comprendre que des gens éprouvent du plaisir à nager dans ces eaux, en apparence trop froides, mais il y avait toujours ces nageurs téméraires. Avec un peu de scepticisme et d’admiration dans la voix, elle a répondu :

— C’est bien… de quoi parle ce livre ?
— De quoi pourrait bien parler ce livre ? ai-je pensé un instant.

Je n’en avais aucune idée. Je ne savais même pas si c’était un vrai livre. C’était du contenu. Une idée qui s’était accrochée à mes ondes cérébrales alors que je regardais les nuages depuis un siège d’avion. Je n’avais rien écrit de créatif depuis des années. L’écriture était une passion morte. Mais voilà que, plusieurs semaines plus tard, j’écrivais encore. J’éprouvais même un sentiment d’insatisfaction à chaque fois qu’une semaine s’écoulait sans l’ajout d’un paragraphe. Bien entendu, j’ai pris de nombreuses pauses et vécu des moments de confusion mentale. À certains moments, mes idées n’étaient pas assez claires pour être exprimées. Mais j’ai persévéré en me disant à chaque fois qu’un peu de progrès valait mieux que la stagnation complète.

Adolescent, j’ai toujours pensé que je publierais un livre un jour. À un moment donné, je croyais que les mots sortiraient de moi, même si je ne le voulais pas. J’ai redouté ce jour pendant longtemps – ce moment où mes pensées et mes croyances seraient là, imprimées sur papier, exposées au grand jour, accessibles à tous pour être lues, critiquées et jugées. Jusqu’à présent, ce moment m’a toujours semblé hors de portée. Il faut un cocktail très particulier d’événements et de circonstances pour que quelqu’un écrive un livre, en particulier un livre comme celui-ci – dans ce cas, une combinaison d’expériences personnelles difficiles, d’exploration culturelle et d’un profond désir de découverte de soi. Je comprends que la plupart des gens ne trouvent jamais un tel cocktail. Je ressentais beaucoup d’émotions et, pour le meilleur ou pour le pire, passais énormément de temps dans ma tête.

Cet ouvrage, une réflexion sur Haïti (et sur moi-même), défie la catégorisation. Il est à la fois personnel et impersonnel, un paradoxe que j’ai souvent eu du mal à expliquer pendant sa rédaction. La simple question : Wilford, de quoi parle ton livre ? me lançait dans des exercices d’expression complexes et flous. Un vrai cauchemar. Est-ce un mémoire, un essai d’économie, de politique ou un document de recherche ? Je n’en savais rien alors, et je n’en sais pas plus aujourd’hui. Peut-être toutes ces choses et aucune d’elles à la fois.

Pour parler d’Haïti, je devais parler de moi-même. Pour parler de moi-même, il me fallait me redécouvrir, comprendre mes manières et mes conceptions. Je me suis posé des questions simples auxquelles je devais répondre aussi honnêtement que possible, comme :

– Qui es-tu ?
– Que fais-tu ?
– Pourquoi fais-tu les choses de cette manière particulière et non autrement ?

C’est un voyage intense que peu de gens veulent entreprendre. J’en comprends la raison. Que se passe-t-il si, au fond de soi-même, on est déçu de ce qu’on découvre ?

Avec les « Et si », on mettrait Paris en bouteille, dit-on. Ils sont légitimes comme questionnement, mais leurs réponses vont généralement dans les deux sens, avec une probabilité de près de 50-50. Ce qui signifie que tout se résume à la volonté et au courage.

Quoi qu’il en soit, les réponses que ce processus m’apportait sur moi-même, je pouvais les appliquer à mon pays, Haïti. Et c’est ce que j’ai fait. Après tout, changer quelque chose dans un endroit, c’est aider les gens de cet endroit à changer quelque chose en eux-mêmes. Le changement est d’abord un travail intérieur.

Chapitre zéro

Commençons par le pourquoi

L’idée inhérente d’un livre suggère que le monde est complexe et que sa compréhension prend du temps. Un livre nous oblige à marcher à la place des autres et à voir les choses de leur point de vue, avec contexte.

Dino Ambriosi

Nous atterrissons sous peu, a déclaré le pilote alors que je contemplais déjà le beau paysage de Barcelone depuis la fenêtre de mon siège d’avion. Cette vue de la ville côtière catalane m’était devenue très familière après les multiples entrées et sorties de ces derniers mois. Votre esprit commence à étiqueter les endroits à mesure que vous voyagez, parfois inconsciemment. Cette ville est parfaite pour travailler ; celle-là est idéale pour passer du temps avec les copains. Cette dernière commence à sentir comme…

La maison m’est souvent venue à l’esprit au cours des dernières semaines. Je revenais à Barcelone après une pause de quelques mois qui m’a emmené à quelques endroits, mais la majorité du temps, j’étais à Montréal, au Canada. Comme moi, si vous êtes Haïtien, vous avez probablement plus d’une connaissance ou famille qui y vit. À cette période, pour ma part, en plus de la famille proche, j’y connaissais beaucoup de gens : des amis d’enfance, d’anciens collègues et des amis de l’université. Au point où, par exemple, on rencontrait quelqu’un au hasard, on échangeait ce long regard comme pour télépathiquement se demander, je te connais d’où, toi ?

Et, en dépit de ses températures typiquement basses, Montréal me donnait l’impression d’avoir passé la fin de l’année à Port-au-Prince. Un sentiment tout à fait sans particularité, puisque j’aurais pu être à Miami, Paris, ou Boston, ce serait probablement la même chose. Haïti est un petit pays et les Haïtiens migrent beaucoup. Mais cette fois-ci, quelque chose était différent. On était en décembre 2023, et Haïti était un État défaillant.

Nous n’avons pas besoin de « sucrer » les choses. La plupart du temps, pour changer quelque chose, vous devez l’étiqueter de manière appropriée. Moi-même, je ne sais pas quelle autre dénomination donner à un pays pratiquement gouverné par des bandits, où le dernier président « élu » a été brutalement assassiné dans sa propre demeure, et où l’instabilité socio-économique accrue est une norme depuis des décennies.

En 2023, Haïti a enregistré la deuxième plus grande détérioration de la paix à l’échelle mondiale, selon l’indice global de paix1, en raison de l’augmentation des actions des groupes criminels dans la région métropolitaine et dans tout le pays. Les cas d’enlèvement officiellement enregistrés avaient atteint 693 au cours du dernier trimestre de 2023. De nombreux rapports ont souligné que 300 cas enregistrés d’enlèvement impliquant des femmes et des enfants, au premier trimestre de la même année. Inutile de dire que c’est une situation terrible qui semble continuer à se détériorer de jour en jour.

En raison des troubles socio-économiques et de l’insécurité, l’émigration haïtienne a accéléré drastiquement. Pire encore, d’après toutes les conversations que j’ai eues avec mes amis et mes amis au Canada, en France et en ligne, il était évident que l’espoir d’un revirement s’estompait. Je me suis souvent surpris, une personne naturellement optimiste, adoptant cette posture pessimiste des choses, répétant : je ne vois pas de solution, je ne pense pas qu’il y en ait une.

De retour à Barcelone, après Noël et le Nouvel An, alors que je contemplais la beauté et le calme de cette ville européenne accueillante, j’étais submergé de tristesse au sujet de ma maison, de mon pays et de la douleur des gens qui y résident encore. Je pensais aux familles et aux amis qui ne pouvaient pas célébrer correctement le type de fêtes de fins d’année comme dans mon adolescence. J’ai pensé aux chansons de Noël, aux lumières, à la célébration de la fête de l’Indépendance, à la nourriture, aux rires, à la musique et aux danses, à la plage et au sable blanc, à la chaleur, aux multiples couleurs dans les rues et au soleil aveuglant qui les fait tous briller. Toutes ces lumières !

Tout était dans ma tête, comme si j’avais eu une vie antérieure et que j’étais réincarné dans celle-ci, alors que le fait est que j’approchais le milieu de la trentaine, et comme mes pairs, j’étais le témoin impuissant d’une chute.

C’est alors que j’ai commencé à remettre en question ce que j’ai vu et ce que je pensais, refusant d’admettre les raisonnements et les explications traditionnelles sur les statistiques officielles, parfois même celles que j’ai collectées. Je remettais en question tous les chiffres que je connaissais, la logique et les différents narratifs qui les sous-tendent. J’ai alors réalisé qu’il manquait peut-être quelque chose. Il m’était difficile à distinguer au début, mais au fil des divers questionnements, j’ai compris qu’il fallait une conversation à propos d’Haïti.

Mais qu’est-ce que je raconte ? La plupart des gens diraient que ça n’a pas manqué en Haïti ces derniers temps. Après tout, le mot « dialogue » est évoqué quasi automatiquement à chaque fois qu’Haïti est mentionné. Vous savez, promouvoir le dialogue ;ouvrir au dialogue ; ne pas ouvrir au dialogue ; dialogue entre X, Y et Z ; A, B et C sont opposés au dialogue, etc. Eh bien, ce n’est pas le mot que j’utilise ici. Au risque d’être incompris, dans l’esprit de beaucoup de gens, en particulier les Haïtiens, un dialogue est scénarisé, formel, arrangé, surveillé, médiatisé, dirigé. En d’autres termes, un dialogue est la plupart du temps faux. Ici, je ne parle pas de dialogue.

Je dis que nous avons besoin d’une conversation sur Haïti, peut-être de plusieurs. Le genre qui est intime, véridique, réel et difficile. Celle-ci doit être suffisamment profond et conceptuel pour aider à aller aux racines des situations, et assez réaliste pour offrir des solutions applicables, ou à tout au moins, proposer un point de départ pour les gens ayant le momentum et le charisme d’agir.

J’ai regardé un peu partout, et cette conversation ne se déroulait nulle part, pas dans les églises, pas dans les médias locaux, pas dans la presse internationale, et certainement pas sur ces chaînes YouTube auxquelles mes parents et d’autres Haïtiens de la diaspora sont maintenant si accrochés. Ce type de conversation n’existait que dans mon esprit, et probablement dans celui de quelques autres aussi. Ceux qui cherchent vraiment à comprendre la vérité au cœur de cette affaire ne se contentent pas de désigner les responsables pour les écarter. Ces personnes, préoccupées par l’ensemble de la situation, ont compris que toutes les pièces du puzzle doivent s’assembler et faire sens si ce pays veut avancer.

J’ai tendance à écrire des articles de recherche, mais ce n’est pas le cas ici. Des milliers de rapports ont été écrits, et d’autres sont sûrement nécessaires, mais ce n’est pas ce que ce contenu veut être ni ce que je pense qu’il doit être. Il s’agit plus d’une compilation de questions que je pense être essentielles et de quelques réponses inspirées par mes recherches, mon expérience personnelle et professionnelle ainsi que d’autres publications. Cette publication tente de tout reconstituer pour en faire la conversation que nous pensons être nécessaire.