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"Curiosités de l'histoire du vieux Paris, écrit par P. L. Jacob, est un livre captivant qui nous plonge au cœur des ruelles pittoresques de la capitale française. À travers ses pages, l'auteur nous dévoile les secrets et les anecdotes fascinantes qui ont marqué l'histoire de Paris.De la période médiévale à la Renaissance, en passant par les bouleversements de la Révolution française, ce livre nous transporte dans un voyage temporel à travers les quartiers emblématiques de la ville lumière. Des personnages illustres tels que les rois, les reines, les artistes et les écrivains prennent vie sous la plume de P. L. Jacob, nous permettant ainsi de revivre les moments clés qui ont façonné Paris.Au fil des pages, nous découvrons les mystères de la cathédrale Notre-Dame, les intrigues du Louvre, les légendes de la tour Saint-Jacques et bien d'autres encore. L'auteur nous offre également un regard unique sur les coutumes, les traditions et les événements marquants qui ont animé la vie quotidienne des Parisiens à travers les siècles.Curiosités de l'histoire du vieux Paris est bien plus qu'un simple livre d'histoire. C'est une véritable invitation à la découverte, à l'émerveillement et à l'évasion. Que vous soyez un amoureux de Paris, un passionné d'histoire ou simplement curieux, ce livre saura vous captiver et vous transporter dans les méandres fascinants du passé de la Ville Lumière.
Extrait : ""Nous avons vu percer des rues là où s'entassaient les maisons, ici où verdoyaient les jardins ; de nouvelles rues ont donné du jour et de l'air aux vieux quartiers ; de nouvelles rues, larges comme des voies romaines, se sont ouvertes dans des quartiers tout neufs ; chaque année la grande ville, qui déborde son enceinte de toutes parts, multiplie les mille détours de son labyrinthe boueux, et la naissance d'une rue n'est guère plus remarquée que celle d'un enfant."""
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Seitenzahl: 464
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Nous avons vu percer des rues là où s’entassaient les maisons, ici où verdoyaient les jardins ; de nouvelles rues ont donné du jour et de l’air aux vieux quartiers ; de nouvelles rues, larges comme des voies romaines, se sont ouvertes dans des quartiers tout neufs ; chaque année la grande ville, qui déborde son enceinte de toutes parts, multiplie les mille détours de son labyrinthe boueux, et la naissance d’une rue n’est guère plus remarquée que celle d’un enfant.
Ce n’est pas tout de naître : encore faut-il être baptisé en pays chrétien ; et, de même que les cloches de paroisse, sous les auspices d’un parrain, toute rue naissante reçoit un nom, avec autorisation de la municipalité, nom splendide ou obscur qu’elle porte écrit au front en lettres rouges ou blanches ; c’est là une sorte de registre de l’État civil, qui constate aux yeux des passants ce nom que la pluie et le soleil n’effaceront pas, mais bien peut-être les révolutions politiques : la rue née Charles X est dédiée maintenant à La Fayette.
Quant à la rue elle-même, elle vivra et vieillira ainsi qu’un homme ; elle aura des rides à ses murailles noires et décrépites ; elle assistera immobile au passage de bien des générations et de bien des évènements ; à peine perdra-t-elle quelques cheminées que lui emporteront les ouragans ; mais ses pavés auront beau se soulever et les tuiles pleuvoir de ses toits, elle gardera son nom, pourvu qu’il ne soit ni politique ni religieux, car les saints, aujourd’hui, sont aussi peu stables dans leurs niches que les rois sur leurs trônes, et la République française les avait chassés impitoyablement des rues de Paris, comme les lépreux au Moyen Âge.
Cependant ces noms de rues, que donne ou consacre tous les jours la Préfecture de Paris, n’ont la plupart aucun retentissement, aucune sympathie dans le peuple, qui les adopte avec indifférence et qui les respecte par habitude.
Avant la révolution de 89, prendre un nom de terre, ne fût-ce qu’un champ de betteraves ou un bouquet d’arbres, c’était la gloriole de la noblesse ; maintenant on se fait honneur de graver son nom à l’angle d’une rue : la vanité devient populaire ; en fait de parrainage, autant vaut avoir une rue qu’un sot pour homonyme ; d’ailleurs, on se rapproche par là de la royauté, qui pose toujours la première pierre d’un monument qu’elle ne construira pas, et qui se réserve de marquer à son coin une place d’armes avec une statue qu’on fondra plus tard en canons ou en gros sous.
Les rues que la Ville fait ouvrir pour salubrité ou commodité publique, tiennent souvent leurs noms de la flatterie administrative : c’est un chef de division, un membre de commission, un député, un pair de France, qu’on attache à ce pilori au-dessus de la borne, et le glorieux parrain paye les dragées du baptême. Tout préfet de la Seine, après trois mois d’exercice, doit laisser en souvenir de lui au moins un nom octroyé à quelque cul-de-sac, quoiqu’on ait tranché la querelle des mots impasse et cul-de-sac, en les supprimant de fait tous les deux par arrêté de la Voirie, sinon de l’Académie.
Il fut un préfet d’honnête et paterne mémoire, lequel parsema sa famille et ses amis dans toutes les rues tracées de son temps : on peut dire à son éloge qu’il n’est pas de nom plus connu des cochers de fiacres.
Tous les baptiseurs de rues ne sont pas préfets : il y a des banquiers et des marchands ; ces derniers ne se contentent plus de nommer les passages qu’ils entreprennent à grands frais : ils achètent des terrains, ils bâtissent, ils dépensent, ils se ruinent, et tout cela pour se pavaner devant l’écriteau d’une rue, comme ils faisaient devant leur enseigne au bon temps de leur commerce. Ah ! si l’opinion publique avait encore le droit de baptiser les rues !
Le dix-septième siècle avait nommé force rues royales, où le grand roi montrait le bout de l’oreille ; le dix-huitième fit des rues littéraires et philosophes ; le dix-neuvième a commencé le baptême des rues par des victoires ; mais, à présent, c’est l’argent seul qui baptise nos rues, nos places et nos boulevards ; or l’argent se nomme Véro ou Dodat.
Ce serait une belle pensée que d’illustrer chaque rue par un nom célèbre qui éveillât dans l’esprit le plus sourd un écho de gloire et d’admiration : on pourrait résumer les annales des arts, des lettres, des sciences, du crime et de la vertu, avec des noms d’hommes inscrits à la tête des rues, aussi noblement que sur les tables de bronze du Panthéon. Les Piliers des Halles, où naquit Molière, accepteraient avec orgueil le nom de ce grand comique ; Lekain léguerait son nom à la rue de Vaugirard, où il mourut ; la rue de Bièvre qu’immortalisa le séjour de Dante, la rue du Marché-Palu où demeurait le poète Martial d’Auvergne, la rue Béthisy où fut massacré Coligny, la rue des Fossés-Saint-Germain l’Auxerrois où fut empoisonnée Gabrielle, la rue de la Tixéranderie où logeait Scarron, la rue de l’École-de-Médecine où Charlotte Corday poignarda Marat, la rue du Coq-Saint-Honoré où Jean Châtel tenta d’assassiner Henri IV, la rue Saint-André-des-Arts où était la maison du traître Périnet Leclerc, la rue Marivaulx où Nicolas Flamel exerçait son métier d’écrivain, etc., toutes ces rues revendiqueraient les noms des personnages célébres qu’elles ont possédés autrefois ; plusieurs d’elles néanmoins seraient mal famées et désertes à cause du nom que leur imposerait la tradition inexorable : on n’oserait plus passer qu’en tremblant dans les rues Marat et Ravaillac.
Voilà pourtant comme nos ancêtres entendaient les noms des rues de la Cité, Ville et Université de Paris : ces noms étaient une récompense ou bien une punition, un éloge ou une infamie. Souvent le caractère moral de la rue avait part au sobriquet que lui attribuait la voix du peuple, vox populi ; ordinairement la rue énonçait, dans son titre, ou son aspect physique, ou son genre de commerce, ou l’enseigne la plus remarquable de ses boutiques ; quelquefois les bienfaits d’un riche paroissien se trouvaient rémunérés après sa mort par le legs de son nom fait à la rue encore pleine de sa mémoire. Enfin, le peuple avait seul le privilège de nommer ses rues, de même que la noblesse nommait ses hôtels.
Pendant des siècles, les rues ne portèrent pas de noms précis. On les distinguait entre elles par des indications plus ou moins vagues et plus ou moins prolixes ; par exemple, on disait : « la rue qui va du Petit-Pont à la place Saint-Michel » (vis-à-vis une chapelle de saint Michel, dans la rue de la Barillerie), pour désigner la rue de la Calandre. Il y avait seulement deux rues, celle du Petit-Pont et celle du Grand-Pont, qui traversaient la Cité ; les autres, peu nombreuses il est vrai, étaient désignées de diverses manières, tantôt par le nom de l’église la plus proche, tantôt par le nom du principal bourgeois, tantôt par quelque particularité locale, un puits, une fontaine, une tour, une Notre-Dame, un crucifix, que tout le monde connaissait d’enfance : car, en ces temps-là, on naissait, on vivait, on mourait dans la même maison et dans la même rue.
La formation des rues avait été lente et progressive, depuis qu’aux cabanes rondes et grossières de la primitive Lutèce eurent succédé les maisons plus vastes et plus commodes du Paris des rois Francs : ces maisons, d’abord basses et séparées par des cours ou des celliers, tendirent toujours à se rapprocher les unes des autres, et à s’exhausser à l’envi, jusqu’à ce que la rue, pressée de chaque côté par les habitations qui l’envahissaient, déroulât péniblement ses replis sinueux dans une atmosphère sombre et fétide. La population manquait d’espace et de jour dans son berceau de la Cité.
Quand la Cité déversa ce trop-plein d’habitants sur les deux rives de la Seine, les maisons semblaient sortir de terre ; et bientôt deux jeunes villes poussèrent au nord et au midi de l’ancienne, comme ces rejetons vigoureux qui ombragent la tige maternelle.
Alors les rues naissaient au hasard, sans ordre, sans lois, et presque sans but : une maison s’épanouissait un matin, au soleil, toute blanche du plâtre de Montmartre et des pierres d’Issoire ; elle s’entourait d’une treille, d’un verger, d’un champ de roses, d’une étable et d’un appentis : aussitôt une seconde maison venait s’ébattre joyeusement en face de la première venue, qu’elle attristait de son ombre ; puis, une troisième maison se plantait auprès de ces deux voisines, parfois entre elles, comme pour leur disputer l’air qu’elles respiraient ; ensuite une quatrième accourait à l’appel de celle-là ; une cinquième approchait cherchant compagnie ; une sixième, une septième, et le reste, germaient, grandissaient et prospéraient à l’entour, chacune gagnant du terrain pied à pied, se déployant et se haussant de toutes ses forces aux dépens des autres, pour avoir la meilleure part de soleil.
Voici la rue qui se forme, suivant le caprice des propriétaires, obligés de se réserver mutuellement un chemin pour arriver chez eux, à moins qu’un plus puissant, familier de la maison de l’évêque, de l’abbé ou du prince, un simple marguillier peut-être trônant au banc d’œuvre de la paroisse, ne s’avise d’arrêter les progrès de cette rue, en se jetant au travers : dès lors la rue sera close à son extrémité, et s’appellera rue sans chef.
Les rues n’avaient pas encore de nom, ou plutôt elles prenaient tous les noms qu’on voulait bien leur donner, et n’en gardaient aucun de préférence ; car elles n’appartenaient point encore au roi, ni même à la ville, puisque les habitants avaient le droit de s’opposer au passage des voitures et des piétons, en défendant l’entrée de leur rue par une barrière, par des portes qu’on fermait la nuit, même par des tourelles et des fossés.
Certes, l’aspect de ces rues du onzième siècle ne ressemblait guère au Paris moderne ; elles se développaient tortueusement, étouffées entre des murs couleur de suie faisant le ventre et surplombant de toute leur hauteur. Les maisons, qui avaient les pieds dans la fange et la tête dans la fumée, se détournaient de la voie publique comme pour éviter un objet désagréable, et leur étroite façade coiffée d’un pignon pointu n’avait à chaque étage qu’une fenêtre unique, obscurcie de treillis de fer et de petits vitraux, plombés ; le jour ne pénétrait jamais par là.
Quant à ces rues ténébreuses et méphitiques, où les pourceaux grognaient parmi les immondices, où les canards gloussaient dans les mares, où les chiens hurlaient en s’arrachant des lambeaux de charogne, elles n’étaient que les avant-cours des maisons et les sentines du peuple : çà et là, des cloaques infects, des égouts délétères, que l’on devine avec horreur à leur nom générique de trou punais ; un cimetière côte à côte avec un marché ; un dépôt d’animaux morts en putréfaction ; des places aux chiens et aux chats, où les petits enfants allaient jouer à la cligne-musette ; enfin des gueux, en haillons, accroupis à la porte des hôtels, attendaient les reliefs de la table, ou, couchés sur les montoirs de pierre, dormaient à l’odeur de la cuisine.
Ce hideux tableau changea du moment que Philippe-Auguste, mieux conseillé que ses devanciers par la puanteur qui avait offensé son odorat royal, commanda que ces rues fussent pavées de grès gros et forts : la Voirie étant instituée pour présider à ces travaux d’assainissement, les noms de rues commencèrent à se fixer, par suite des listes qui furent dressées à cette occasion, et qui servirent de base à toutes les opérations du maître-voyer.
Cependant une même rue était encore citée sous plusieurs noms différents, dans le peuple, dans les cartulaires des églises, dans les registres de la prévôté : ainsi le peuple choisissait un nom indécent ou trivial ; le rédacteur ecclésiastique, un nom de saint ou de sainte ; le greffier municipal, le nom que l’ancienneté légitimait à ses yeux.
Souvent même le déplacement d’une seule lettre dans le nom originaire produisait une consonnance différente, qui se modifiait à l’infini en passant de bouche en bouche ; de sorte que le sens de ce nom devenait inintelligible, ou s’éloignait de son étymologie par des transformations successives.
Car les noms de rues étaient aussi mobiles que l’à-propos de leur création. Un caïman ivre, demandant son pain de porte en porte, pouvait imposer un nom déshonnête ou burlesque à la rue la plus recommandable par la condition de ses habitants et par la virginité de ses mœurs ; la protection d’un Bienheureux, si puissante qu’elle fût au ciel, était impuissante ici-bas contre le blason injurieux, impie ou ordurier, que la fantaisie populaire attachait à une rue chaste, pudique et dévote jusque-là.
Or il en était des rues comme des hommes ; on les jugeait sur l’étiquette ; leur surnom devait être le signe infaillible de leur naissance, de leur naturel, de leur état, en un mot, tout leur portrait physiologique.
À coup sûr pourtant, les désappointements et les erreurs étaient alors moins graves et moins fréquents qu’aujourd’hui : l’étranger qui aurait cherché des roses dans la rue Champfleuri et du raisin dans la rue des Vignes n’y eut rencontré que des ordures et des filles publiques ; on aurait couru risque de battre tous les quartiers de Paris avant de découvrir la rue Tirouanne, qui se nommait aussi Pirouette, Petonnet, Tironne, Perronnet, Therouanne, Pierret de Terouenne, etc. ; mais, chaque classe de marchands ayant sa rue spéciale, on était sûr de trouver les tisserands rue de la Tisseranderie, les corroyeurs rue de la Corroyerie, les drapiers rue de la Draperie, les lingères rue de la Lingerie, les orfèvres tue Saint-Éloi, les bouchers rue des Boucheries, les tonneliers rue de la Tonnellerie, les poissonniers rue de la Poissonnerie, les verriers rue de la Verrerie, les armuriers rue de la Heaumerie, les changeurs au pont au Change, les potiers rue de la Poterie, les mégissiers rue de la Mégisserie, les pelletiers rue des Fourreurs, les blanchisseuses rue des Lavandières, les tabletiers rue de la Tabletterie, les fromagers rue de la Fromagerie, les charrons rue de la Charronnerie, les cordonniers rue de la Cordonnerie, les cordiers rue de la Corderie, les parcheminiers rue de la Parcheminerie, les jongleurs rue des Ménétriers, les usuriers rue des Lombards, les fripiers rue de la Friperie, les écrivains rue des Écrivains, etc.
Allez donc à présent, sur la foi des noms, vous loger rue Gracieuse dans le faubourg Saint-Marceau, cueillir des cerises rue de la Cerisaie, voir l’heure rue du Cadran, vous coucher sur l’herbe dans la rue Verte, attendre l’armée de la marée dans la rue Poissonnière, acheter du fourrage rue du Foin, et admirer des merveilles dans une des trois Cours des Miracles, où le fumet du Grand Coësre n’est pas même resté, où les truands et les cagoux sont remplacés par de dignes héros de la garde nationale !
Il faut l’avouer, presque tous les noms de rues ont été revus et corrigés : un conseil de prud’hommes, pénètre de la haine que Voltaire professait pour l’ignoble mot de cul-de-sac, a nettoyé la ville des sales et malhonnêtes dénominations qui n’offensaient pas les oreilles de nos naïfs aïeux. La rue Tireboudin, qui avait déjà subi une variante notable dans sa terminaison par respect pour Marie Stuart, a pris le nom de cette reine de France, qui avait rougi de passer par là ; la rue Merderel n’a pas changé seulement de nom en devenant rue Verderet. Toutefois l’antiquaire le plus dépourvu de préjugés ne saurait se plaindre que la rue Breneuse soit métamorphosée en rue Pagevin.
Adieu bien des origines singulières, bien des légendes et des faits historiques qui ne reposaient plus que sur un nom de rue détérioré par les années, comme ces médailles frustes, rongées de vert-de-gris, à travers lequel on peut encore apercevoir une empreinte et deviner une inscription à grand renfort de lunettes et d’imaginative ! Adieu vos lettres de noblesse, ô rues, ruelles et culs-de-sac du Paris si puant, si pittoresque et si fantastique de nos pères !
Le vieux Paris n’existe déjà plus : tous les jours il disparaît sous le nouveau ; et çà et là quelques auvents en saillie, quelque tourelle avancée, quelque voûte surbaissée, quelque boutique noire et profonde, quelque ogive oubliée, se montrent à peine à nos regrets, ainsi que, dans une tempête, le navire qui sombre disperse au gré des vagues ses débris auxquels se suspend un malheureux, tandis que le faite des mâts se dresse encore au-dessus de l’abîme. Les débris du vaisseau, ce sont les noms des rues ; les mâts, ce sont les tours de Notre-Dame ; et nous, pauvres archéologues, attachons-nous aux reliques de ce grand naufrage.
Il ne s’agit pas ici de ressusciter les noms de rues défunts, ensevelis dans le tombeau archéologique du vieux Paris, ou de les arranger symétriquement tels que des os de monts dans les Catacombes ; il faut les laisser dormir en paix dans les ouvrages de Sauval et de Jaillot, jusqu’au jugement dernier de l’histoire de Paris. Mais les rues vivantes, séculaires ou nouvellement nées, dont la généalogie a été reconnue et admise par les archivistes de la Préfecture, toutes rues ayant écriteaux, bornes et réverbères, peuvent être classées, d’après leurs noms, aussi exactement que les plantes d’après leurs genres et leurs familles en botanique. C’est la seule ressemblance possible entre une rue et une fleur.
On doit reconnaître d’abord les noms de ces rues communes à la plupart des villes du Moyen Âge : les rues attribuées aux bains, aux juifs et à la débauche, car les femmes folles et les juifs surtout se trouvaient toujours séparés du reste de la population, et les rues qu’ils habitaient par ordonnance loyale ou communale étaient infâmes comme eux.
On craignait la contagion morale non moins que la peste et la ladrerie : les lépreux demeuraient hors des villes, où ils n’entraient qu’en évitant de toucher et même de regarder les passants dans la rue ; les pestiférés étaient isolés dans leurs maisons, dont ils ne sortaient pas, sous peine de mort.
Quant aux juifs, signalés à la malédiction populaire par la rouelle de drap jaune qu’ils affichaient sur leurs habits, ils couraient risque d’être battus, dépouillés, peut-être massacrés, en se montrant dans les rues.
Les filles publiques qu’on surprenait hors de leurs clapiers en plein jour, ou parées d’étoffes de soie, de fourrures de prix, de bijoux d’or et d’argent, encouraient l’amende et la prison.
Nul chrétien ne voulait être confondu avec les juifs ; nulle honnête femme, avec les damoiselles d’amour.
La rue de la Juiverie, dans la Cité, qui avait ce nom sous la dynastie mérovingienne, fut la première retraite des juifs : ils s’y maintinrent malgré les persécutions et y continuèrent leur commerce après la ruine de leur synagogue.
Ils envoyèrent de là leurs colonies dans la rue des Juifs et la rue Judas, qu’ils n’abandonnèrent jamais entièrement, quelques rigueurs que les rois intentassent pour les expulser de France et pour anéantir leur race ; ils se vengeaient de tous ces affronts en centuplant leurs usures.
Les rues affectées à la prostitution, que l’on entrevoit encore à travers les métamorphoses pudibondes de leurs noms, étaient la rue du Petit-Musc, ou Pute-y-Musse, c’est-à-dire qui cache des filles ; les rues du Grand et du Petit Hurleur, ainsi nommées à cause des bruyantes orgies qui s’y faisaient ; la rue Transnonnam, autrefois Trousse-Nonnain et Tram-Putain ; la rue Tiron, la rue du Fauconnier ; la rue Trousse-Vache, qui a conservé son ancien nom en dépit de celui de La Reynie, que lui a imposé un scrupule de police ; la rue du Pélican, dont la République avait fait une rue Purgée ; les rues Brise-Miche, du Bon-Puits, de la Vieille-Bouderie, Chapon, Fromentel ou Froimanteau, et plusieurs autres dans lesquelles s’est perpétuée une sorte de tradition de débauche, malgré la perte de leur nom, aussi expressif que l’enseigne du Gros-Caillou qui pendait à l’entrée d’un mauvais lieu, et qui a désigné, depuis, un quartier qu’on estime autant que s’il avait un saint pour patron.
Il ne reste plus que deux rues des Vieilles-Étuves, quoique les bains à la vapeur fussent autrefois d’un usage si journalier, même parmi le peuple, que la plupart des rues avaient des étuves à femmes et à hommes.
Ces établissements, tenus par la corporation des barbiers, étaient ouverts en toute saison, matin et soir ; on s’y rendait au cri de l’étuviste annonçant que les bains étaient chauds, et les plus pauvres gens ne s’en faisaient pas faute pour deux deniers. On a peine à comprendre cette propreté du corps, en même temps que cette saleté permanente des rues pleines de fiens et d’eaux croupies.
On distingue encore les rues qu’on fermait la nuit avec des portes ou des barrières : la rue de la Barre, intitulée depuis rue Scipion, trois rues des Deux-Portes, une des Douze-Portes et une des Trois-Portes, attestent les anciens droits de leurs habitants, qui se retiraient la nuit dans ces espèces de places fortes, où les voisins n’apportaient pas leur tribut d’immondices, où les gueux ne cherchaient point un asile, où les voleurs ne pénétraient pas aisément. Une rue était close par mesure de sûreté ou de salubrité publique, lorsque sa position reculée et mystérieuse invitait les passants à s’y arrêter, les larrons à s’y cacher.
La féodalité, qui avait mis les puits et les fours sous la haute main des seigneurs, taxant la cuisson du pain et l’eau des sources, n’existe plus que dans quelques noms des rues : celles du Puits, du Puits-l’Ermite, du Puits-qui-parle, du Puits-Certain, ne font désormais aucun tort aux porteurs d’eau ; et les boulangers ne vont pas exprès cuire leur fournée dans les rues du Four-Saint-Germain et du Four-Saint-Honoré. La Révolution, qui a détruit les châteaux, n’a pas laissé debout dans la rue Saint-Éloi le four de madame Sainte-Aure, où se cuisait tout le pain de la Cité sous le roi Dagobert.
Paris a été fortifié à diverses époques, depuis le siège de Jules-César jusqu’à celui de Henri IV ; des trois enceintes successives qui l’ont entouré pendant la domination romaine, sous Philippe-Auguste et sous Charles V, on retrouve à peine quelques pans de murs masqués de maçonnerie moderne, quelques tourelles enfouies dans les arrière-cours et les jardins ; mais on tracerait presque les limites de la dernière clôture, en se guidant d’après les rues des Fossés-Saint-Victor, des Fossés-Monsieur-le-Prince, des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois, des Fossés-Montmartre, des Fossés-du-Temple, de la Contrescarpe, du Rempart, etc.
Qui est-ce qui, en traversant la rue Traversière, salue l’endroit même où la Pucelle d’Orléans, qui sondait avec sa lance l’eau du fossé, dans l’espoir de passer jusqu’au mur avec les troupes de Charles VII, eut les deux cuisses percées d’un trait d’arbalète ?
Les rues qui prirent le nom d’une enseigne de boutique ou de maison (car la plupart des maisons eurent longtemps des enseignes avant le numérotage, qui ne remonte pas au-delà du dix-huitième siècle) n’ont rien conservé de ces enseignes célèbres, que la bourgeoisie et la marchandise regardaient comme leurs armoiries : ce sont les rues de l’Arbalete, de l’Arbre-Sec, du Battoir, aux Biches, de la Boule-Rouge, de la Calandre, des Canettes, du Chaudron, de Saint-Claude, de la Clef, Cloche-Perce (ou Percée), du Coq, du Cœur-Volant, du Cygne, des Cinq-Diamants, de la Croix-Blanche, de l’Écharpe, des Deux-Écus, de l’Épée-de-Bois, du Gril, de la Harpe, de l’Hirondelle, de la Huchette, de la Lanterne, de la Licorne, du Petit-Moine, des Oiseaux, du Paon, de la Perle, de Saint-Pierre, des Trois-Pistolets, du Plat-d’Étain, des Prêcheurs, des Quatre-Fils-Aymon, des Rats, du Benard-Saint-Martin, des Champs, du Sabot, de Saint-Sébastien, du Trognon, etc.
La rue du Cherche-Midi avait une enseigne proverbiale représentant des gens qui cherchaient midi à quatorze heures, et la rue de la Femme-sans-Tête faisait injure à toutes les femmes par cette devise ajoutée à son enseigne : Tout en est bon.
Quelques rues ont gardé des noms de fiers et de maisons : celles Cocatrix, des Trois-Canettes, des Ciseaux, des Coquilles, de Glatigny, des Fuseaux, des Marmousets, Salle-au-Comte, etc.
D’autres tirent leurs noms d’une croix, d’une Notre-Dame, d’une image de saint : les rues Vieille-Notre-Dame, des Deux-Anges, du Demi-Saint, de Saint-Jérôme, du Crucifix, de la Croix, etc.
Certaines rues semblent rappeler la religion des druides, qui n’élevaient pas d’autres temples à leurs dieux Hésus et Teutatès que des pierres colossales, isolées ou superposées, sans aucune architecture : les rues de Pierre-Assis, de Pierre-au-Lard, de Pierre-Lombard, de Pierre-Sarrasin, de Pet-au-Diable (Pierre au Diable), ont peut-être vu debout ces cromlechs et ces dolmens, masses informes et grossières, que la superstition populaire des chrétiens attribuait au culte des fées et des esprits malfaisants.
Les hôtels des princes, des évêques et des seigneurs ont donné leur nom aux rues où ils étaient situés, ou bien à celles qui furent ouvertes depuis sur leur emplacement ; il suffit de citer les rues d’Antin, d’Avignon, Barbette, du Bec, des Barres, du Petit-Bourbon, de Cléry, de Cluny, de Condé, de Duras, Gaillon, Garancière, de Jouy, Lesdiguières, Neuve-du-Luxembourg, de Mâcon, de Mézières, de Montmorency, de la Reine-Blanche, de Rohan, du Roi-de-Sicile, du Temple, de Touraine, des Ursins, etc.
Ici, les couvents et les communautés de femmes ont nommé les rues des Anglaises, des Audriettes, des Capucines, des Carmélites, des Filles-Dieu, des Hospitalières, des Nonnaindières (Nonnains d’Hières), des Ursulines, etc. ; trois abbesses de l’abbaye de Montmartre ont été marraines des rues Sainte-Anne, Bellefond et Rochechouart ; la rue de la Tour-des-Dames s’est appelée ainsi d’un ancien moulin appartenant à cette fameuse abbaye.
Là, les ordres monastiques masculins n’ont pas disparu tout entiers, puisque leurs noms sont restés aux rues les Grands et des Petits-Augustins, des Barres, des Blancs-Manteaux, des Bernardins, des Capucins, des Carmes, des Célestins, des Billettes, des Jacobins, de l’Observance, des Saint-Pères, des Petits-Pères, de Récollets, etc.
Les noms de chapelles et d’églises, détruites ou encore existantes, sont encore nombreux : les rues Sainte-Avoie. Saint-Benoît, Saint-Bon, Saint-Christophe, Sainte-Croix, Saint-Eustache, Saint-Gervais, Sainte-Geneviève, Saint-Hilaire, Saint-Honoré, Saint-Hippolyte, Saint-Jean-de-Latran, Jacob, Saint-Joseph, Saint-Julien-le-Pauvre, Saint-Lazare, Saint-Laurent, Saint-Paul, Saint-Landry, Saint-Leufroy, Saint-Louis, Saint-Magloire, Saint-Marcel, Sainte-Madeleine, Saint-Merry, Saint-Nicolas-du-Chardonnel, Notre-Dame, Saint-Nicaise, Saint-Pierre-aux-Bœufs, Sainte-Opportune, Saint-Thomas-du-Louvre, etc.
Avant la Révolution, chapelles, églises et couvents poussaient des rejetons dans le fertile terroir de l’archevêché de Paris : la Cité comprenait seule quatorze paroisses. Que reste-t-il de tant d’édifices bâtis et enrichis par la dévotion des rois et des reines de France, respectés pendant des siècles, remplis de tombeaux et de poussières illustres, resplendissants des merveilles de l’art, peuplés de statues, rayonnants de vitraux et protégés par une auréole de miracles ? Que reste-t-il de tout cela aujourd’hui ? Des noms de rues, de passages et de marchés !
Les particuliers qui ont laissé leurs noms aux rues qu’ils habitaient jadis n’avaient pas d’autre moyen de passer à la postérité : c’étaient des marchands, des propriétaires, des échevins, des magistrats, de dignes bourgeois ayant pignon sur rue, notables de leur confrérie et bienfaiteurs de leur paroisse ; ainsi, depuis deux, trois ou quatre siècles, ces bourgeois, dont le seul mérite fut peut-être une grande fortune, ont pour épitaphe le nom des rues de l’Anglade, Baillet, Baillif, Barouillère, Bertin-Poirée (Bertier Porée), Bordet (Bordelles), Coquillière, Courtalon, Dervillé, Frépillon, Geoffroy-l’Asnier, Git-le-Cœur (Gilles le Queux), Gracieuse, Grenelle (Quesnelles), Grenier-sur-l’Eau (Garnier), Guillaume, Guillemin, Jean-Lantier, Jean-Beau-Sire, Jean-Hubert, Jean-Pain-Mollet, Jean-Robert, Jean-Tison, Joquelet, des Maçons (Masson), de la Mortellerie (le Mortellier), Pagevin, Pastourel, Porte foin (Portefin), Quincampoix (Kiquenpoit), du Renard-Saint-Denis, Simon-le-Franc (Franque), Scipion (Scipion Sardini), Soly, Taranne, Thibautodé (Thibaut Audet), Triperet (Tripelet), de Versailles (Verseille), etc., etc.
Ce sont des marchands qui ont nommé les rues de l’Arche-Marion, Aubry-le-Boucher, Jean-de-Beauce, Charlot, du Mouton, Tiquetonne, etc. ; la rue de Lappe porte le nom d’un jardinier, et la rue Saint-Jean-de-Beauvais, celui d’un libraire.
Des officiers de la ville ont nommé les rues d’Albiac, Boucher, de Fourcy, Mercier, Thévenot, etc. ; des officiers du parlement et du roi, les rues Bailleul, Béthisy, Férou, Jean-de-l’Épine, Meslay, Montigny, de La Planche, Popincourt, etc.
Dans le siècle dernier et dans celui-ci, cette méthode d’appliquer un nom d’homme à une rue atteste le désir de remplacer au moins un monument par un souvenir qui pût braver le marteau et le temps.
On s’est attaché à signaler ainsi les lieux marqués par le passage du génie en tous genres : on détruisait un hôtel, une église, un couvent ; on ne conservait qu’une pierre pour y graver un nom.
L’abbaye de Saint-Germain-des-Prés a disparu ; mais à sa place les rues Félibien, Lobineau, Clément, Sainte-Marthe et Montfaucou nous parlent des travaux immortels des bénédictins ; la vieille basilique de Sainte-Geneviève est tombée, mais les rues Clovis et Clotilde nous empêchent de fouler sa poussière sans revenir par la pensée à l’époque de sa fondation.
Construisait-on un théâtre de tragédie et de comédie, les rues Molière, Voltaire, Racine, Corneille, Regnard et Crébillon naissaient à ses côtés. Était-ce une salle d’opéra-comique, les rues voisines recevaient les noms de Favort, Grétry, Lulli, Marivaux et Rameau.
Autour de la cathédrale, les rues Bossuet et Massillon survivent au cloître de Notre-Dame, qui, en s’écroulant, n’a pas renversé ces grands piliers de l’Église.
Voici des familles nobles et anciennes : rues d’Aligre, d’Aumont, Ventadour, de Vendôme, de Breteuil, de Choiseul, de Grammont, de Guéméné, Matignon, de Ménars, de Miromesnil, de la Sourdière, etc.
Voici des ministres et des chanceliers de France : rues d’Aguesseau, de Birague, Boucherat, de Harlay, de Lamoignon, Richelieu, Mazarine, Necker, etc.
Voilà des lieutenants et des préfets de police, des prévôts des marchands et des maires de Paris : rues d’Argenson, Bailly, Bignon, Chabrol, Saint-Florentin, Guénégaud, de la Michodière, de Sartines, de Varennes, de Viarmes, etc. Voilà des savants et des philosophes : rues Buffon, Cassini, Descartes, Vaucanson, Montgolfier, Franklin, Montesquieu, Montaigne, J.-J. Rousseau, etc. Voilà des artistes : rues Pierre-Lescot, Jean-Goujon, Pigale, Soufflot, etc.
Toutes ces rues ne datent pas d’un siècle ; quelques-unes seraient magnifiques – si elles avaient des maisons.
Quant aux rues nées en même temps que les enfants des rois, elles sont peu nombreuses : la plus ancienne est la rue Françoise, qui remonte à François Ier ; les rues Christine, Dauphine et d’Anjou-Dauphine datent du règne de Henri IV ; les rues Palatine et Thérèse, du règne de Louis XIV ; les deux rues Royale, du Dauphin, de Valois, des règnes de Louis XV et de Louis XVI, etc.
On a vu que, dans les changements de dynastie, le nom du roi déchu cédait la place à celui du nouveau roi, sur l’écriteau d’une rue, de même que sur les monnaies et dans le calendrier.
Louis XIV aimait à retrouver les provinces de son royaume dans les rues de sa capitale, surtout dans le quartier du Marais, que son aïeul avait commencé, et qu’il acheva de bâtir, en s’occupant du nettoyage de toutes les rues de la ville, mesure de police tellement négligée jusqu’alors, que la boue de Paris était passée en proverbe : le dix-septième siècle entendit nommer les rues d’Angoulême (Angoumois), d’Anjou, d’Artois, de Beaujolais, de Berry, de Forez, de Bourgogne, de Beauce, de Bretagne, de Limoges, du Perche, de Poitou, de Saintonge, etc.
Un grand nombre de rues conservent le nom du territoire qu’elles ont traversé : les rues Beaubourg, Bourg-l’Abbé, Bourtibourg (Bourg Thibond), Boute-brie (Bourg de Brie), de la Ville-l’Évêque, désignent des petits hameaux, anciennement séparés de la ville ; les rues du Champ de l’Alouette, Beaurepaire, Beau-regard, Belle-Chasse, Carême-Prenant, Copeau, Culture-Sainte-Catherine, des Petits-Champs, de la Ferme-des-Mathurins, de la Folie-Regnauld, de la Folie-Méricourt, Grange-Batelière, Galande (Garlande), de Long-Pont, de l’Oursine, de Marivault (Marivas), Perrin-Gasselin, de la Hoquette, de Courcelles, etc., ont pris leurs noms de terres cultivées en vignes ou en prés, de fiefs nobles ou roturiers, attirés successivement dans l’immense rayon de Paris. Les rues d’Argenteuil, de Picpus, de Surènes, de Neuilly, de Sèvres, du Roule, etc., étaient les chemins qui conduisaient à ces différents villages.
Il y a une foule de noms que l’usage populaire a fait prévaloir ; les rues du Chemin-Vert, des Noyers, des Figuiers, des Saussaies, des Amandiers, des Acacias, des Lilas, des Ormeaux, du Poirier, du Sentier, des Trois-Bornes, de la Bourbe, du Jardinet, des Marais, etc., nous donnent presque une exacte description de leur état primitif.
Les rues portant des noms de Collèges supprimés sont les rues d’Arras, des Bons-Enfants, des Cholets, des Irlandais, de la Marche, de Reims, de Rethel, etc.
Celles ayant des noms d’hôpitaux sont les rues des Enfants-Rouges, de la Santé, de la Trinité, des Capurins, de la Charité, etc.
Parmi les rues dont le nom s’est le plus éloigné de sa source, il faut citer les rues Saint-André-des-Arts (de Laas), des Grès (des Grecs), Cassette (Cassel), Courbaton (Col de Bacon), aux Ours (Oues, oies), aux Fers (Févres, Fabri, ouvriers), de la Jussienne (l’Égyptienne), des Jeûneurs (Jeux-neufs), du Jour (Séjour et maison de plaisance de Charles V), de Perpignan (Pampignon), des Écouffes (Écouffes, oiseaux de proie), des Postes (Pots), etc.
Le seigneur Caritidès, dans la comédie des Fâcheux, de Molière, demande au roi l’inspection générale des enseignes de Paris ; quelque savant, moins grec que français, ne manquerait pas de travail, s’il fallait corriger les noms de rues barbares et inintelligibles.
Les anciens lieux de supplice en ont retenu les noms : on pendait dans la rue de l’Échelle ; on donnait l’estrapade dans la rue de l’Estrapade ; on faisait bouillir dans l’huile les faux monnayeurs, rue du Bouloy et rue de l’Échaudé ; on perçait la langue et on coupait les oreilles, dans la rue Guillory (Guigne oreille) ; on écartelait à la Croix du Trahoir.
La rue du Mail et la rue des Poulies doivent leurs noms à ces deux sortes de jeux qui furent longtemps en vogue, et dont le second nous est inconnu.
Dans la rue de Chevalier-du-Guet, demeurait le chef du guet à pied et à cheval, assis et dormant ; dans la rue Aumaire, siégeait le maire ou juge du bourg de Saint-Martin-des-Champs.
La rue de l’Université se nomme ainsi, à cause de sa construction dans le Pré-aux-Clercs, qui appartenait à l’Université ; la rue du Fouarre, où étaient les grandes écoles des Quatre-Nations, garde quelque chose du feurre (paille), qui la jonchait pour faire une litière aux écoliers.
L’hôtel royal de Saint-Paul et celui des Tournelles sont représentés par les rues Saint-Paul, des Tournelles, des Jardins, de la Cerisaie, Beautreillis, des Lions, du Parc-Royal, du Foin, etc. On croit voir, à ces noms seuls, apparaître les deux palais embrassant une vaste étendue de terrain dans leur clôture hérissée de tours rondes et carrées, contenant chacun plusieurs grands hôtels, avec des parcs, des vergers, des treilles, des ménageries et des jardins, que les rois de France cultivaient de leurs propres mains.
La rue Censier était d’abord un cul-de-sac ou sans chef : de là son nom ; la rue aux Fèves se nommait anciennement rue au Févre, parce que saint Éloi, ministre et orfèvre du roi Dagobert, y avait logé, ou du moins y avait établi sa forge.
Le nom de la rue du Ponceau vient d’un petit pont de pierre, jeté sur un égout qui coulait à travers la rue Saint-Denis ; le nom de la rue de la Planche-Mibray, d’un pont de bois, sur lequel on passait le mibras de la Seine. Dans la rue du Haut-Moulin, il y eut un moulin à eau ; et, dans la rue des Moulins, sur la butte Saint-Roch, plusieurs moulins à vent.
La rue des Martyrs est la route que suivirent saint Denis et saint Éleuthère pour aller se faire trancher la tête à Montmartre, si toutefois ils y allèrent jamais ; la rue du Martroy (martyrium), qui conduit à la Grève, atteste les sanglantes exécutions dont cette place fut le théâtre jusqu’à ce que le peuple de Paris l’eût conquise sur le bourreau en juillet 1830.
Dans la rue de Jérusalem, s’arrêtaient les pèlerins, qui partaient pour la Terre-Sainte ou qui en revenaient ; dans la rue des Frondeurs, la Fronde commença les barricades du 16 août 1648 ; dans la rue Hautefeuille, on vendait les fouillées vertes qui tapissaient en été les salles des gens riches ; dans la rue des Arcis, les maisons furent arses ou brûlées par les Normands qui assiégeaient Paris ; dans les trois rues des Francs-Bourgeois, on ne levait aucune taxe sur les habitants ; dans la rue des Orfèvres, ce corps de métier avait sa chapelle et son hôpital ; dans la rue d’Enfer, le diable s’était, dit-on, emparé du château de Vauvert, d’où le chassèrent les pères Chartreux, du temps de saint Louis.
La rue de la Saunerie doit son nom aux sauniers ou marchands de sel ; la rue de l’Aiguillette, aux cordonnières qui cousaient les petits souliers de basane ; la rue de la Bûcherie, au port aux bûches ; la rue des Prouvaires, aux prêtres (provoires) de Saint-Eustache ; la rue des Gobelins, aux farfadets qu’on appelait ainsi et qui se plaisaient aux environs ; la rue Poissonnière, aux arrimages du poisson de mer ; la rue des Grands-Degrés, à un escalier menant au bord de l’eau ; la rue du Colombier, au colombier abbatial de Saint-Germain-des-Prés ; la rue Clopin, à sa déclivité périlleuse ; la rue Serpente, à ses détours tortueux ; la rue de Seine, à un joli ruisseau, à présent desséché, nommé la Petite-Seine ; la rue des Sept-Voies, aux sept rues qui viennent y aboutir ; les rues de la Monnaie et de la Vieille-Monnaie, aux anciens hôtels des monnaies ; les rues du Plâtre, à des plâtrières aujourd’hui épuisées ; la rue du Marché-Palu, au sol marécageux (palus) du marché qui s’y tenait dès les premiers temps de Lutèce ; la rue des Lombards, aux banquiers juifs, déguisés sous le titre de Lombards ; la rue du Bac, au bac qui servait à traverser la rivière en cet endroit, avant la construction du pont Royal, etc.
Enfin, les rues dont le séjour était désagréable et le passage dangereux, à cause des mœurs de leurs hôtes ordinaires, ne se recommandaient guère par les noms qu’elles portent encore aujourd’hui : les truands, les gueux et les gens de la Vallée-de-Misère occupaient la rue de la Truanderie ; les narquois, ou gens de l’argot, la rue des Mauvaises-Paroles ; les tireurs de laine, la rue Tirechape ; les larrons et meurtriers, les rues des Mauvais-Garçons, Mauconseil, Mondétour (Mau détour), etc.
Ainsi, en cet âge de naïveté où les argotiers avaient néanmoins inventé tant de ruses contre la bourse et la vie des honnêtes gens, ces rues-là ne trompaient personne. Il est vrai que les patrouilles du guet étaient fort rares et fort peureuses ; que les rues étaient à peine éclairées par quelques lampes brûlant devant des images de Notre-Dame, et que le couvre-feu rendait la ville plus déserte qu’un bois. Sous le règne du grand Roi, on assassinait encore, toutes les nuits, dans Paris, et même devant le Louvre ; mais parfois un nom de rue tenait lieu de police et de réverbères ; un nom de rue mettait en fuite une compagnie de garde bourgeoise.
Ce fut sans doute pour familiariser les Parisiens avec la guerre et les victoires que Napoléon baptisa, l’épée à la main, les rues de Damiette, d’Arcole, des Batailles, du Pont-de-Lodi, du Mont-Thabor, de Marengo, d’Ulm, du Caire, etc. Napoléon, qui aurait voulu que le bâton de maréchal de France devint le bâton de vieillesse de tous ses soldats, appendit comme des trophées les noms de ses généraux à des rues où devait surgir pour ses desseins une nouvelle génération militaire : les rues de Castiglione, de Rivoli, Desaix, Kléber, etc., sont aussi retentissantes de sa gloire que le bronze de la Colonne de la Grande Armée.
La Restauration ne débaptisa pas ces rues, mais elle leur opposa les rue Bayard, de Poitiers, Neuve-d’Angoulême, Neuve-de-Berry, de Ponthieu, Madame, etc., comme pour faire un appel aux illusions de la monarchie de quatorze siècles ; la courtisanerie tenait les rues sur les fonts. La rue Charles X n’est plus qu’une ombre ; mais on projette déjà la rue Louis-Philippe sur les mines de Saint-Germain-l’Auxerrois !
Cependant les entrepreneurs, propriétaires, architectes et agioteurs s’étaient approprié des rues, tracées à leurs frais, au milieu des préoccupations sanglantes, victorieuses et jésuitiques de la Restauration, de l’Empire et de la République : on vit, sans y prendre garde, s’établir les rues Borda, Bourdon, Buffault, Cadet, Caumartin, Chauchat, Duphot, Dupont, Étienne, Lacaée, Lacaille, Papillon, Richer, et vingt autres bien alignées, bien pavées, bien bâties, mais dont les noms ressemblent à une liste électorale.
L’histoire morale et physique de Paris est donc liée à celle de ses rues ; on doit étudier leurs noms, modifiés par la routine, réformés par arrêté municipal, changés par les évènements, comme une langue morte qui se corrompt, qui se perd de jour en jour, et qui n’aura bientôt plus un seul interprète.
1834.
La formation d’une grande ville est lente et progressive comme celle d’un terrain d’alluvion ; il a fallu dix-huit siècles pour que Lutèce, longtemps renfermée dans l’Île des corbeaux, enfantât le Paris moderne, qui est sorti de son berceau, en rompant ses langes de fortifications ; et à peine si l’âge de la virilité est venu pour ce géant des villes !
Depuis les temps reculés où la Hanse parisienne avait son siège sous les auspices des dieux gaulois, dans l’île de la Cité, qui a la figure d’un navire échoué au milieu de la rivière, combien de révolutions intérieures ont changé souvent l’aspect de notre capitale, qui a toutefois conservé le vaisseau des nautes dans son blason ! L’empereur Julien reconnaîtrait-il sa chère Lutetia, où il passait si froidement l’hiver ? Que dirait Philippe-Auguste des travaux du règne de François Ier ? Louis XIV s’étonnerait-il de voir sa magnificence surpassée par Napoléon ? Pierre Grognet, qui rimait au seizième siècle le Blason de Paris, ne s’en tiendrait plus maintenant à la périphrase mesquine de paradis terrestre : ne reste plus que paradis céleste.
L’histoire de Paris, qui se trouve partout mêlée à l’histoire de France, est presque ensevelie sous un amas de volumes d’annalistes et d’antiquaires. Corrozet et Dubreul, Félibien et Sauval, Piganiol et Germain Brice, Saint-Victor et Dulaure, ont recueilli tour à tour des faits, des noms et des dates, qui se classent d’autant moins dans la mémoire, que la plupart des monuments ont disparu avec les générations et leurs mœurs : la culture s’est couverte de maisons ; de nouvelles rues ont divisé de nouveaux quartiers ; des églises sont métamorphosées en magasins, des cimetières en marchés ; de tous côtés, la civilisation se révèle par des bienfaits, du vandalisme et de l’ingratitude ; déjà le vieux Paris n’existe plus.
Il existe encore dans les livres ; et, pour le reconstruire tel qu’il était sous les rois de la première race, ou bien sous Charles V et Henri IV, les matériaux demandent un architecte. Mais ce n’est pas l’histoire chronologique de Paris qu’on peut essayer de remettre à neuf par lambeaux ; ce n’est pas l’histoire de France qu’il s’agit ici de rhabiller d’après Mézeray, Velly, Anquetil ; un pareil sujet serait trop vaste, trop analytique, trop aride, pour qui veut de l’érudition sans sécheresse et sans fatras.
C’est l’histoire des rues que nous voulons présenter en tableaux variés, en aperçus singuliers, en documents fidèles : histoire colorée, instructive et amusante, que Sainte-Foix a ébauchée avec esprit, que Jaillot a étudiée avec profondeur. Chaque rue nous contera son origine et sa chronique ; chaque rue aura sa physionomie étymologique, physique, morale et anecdotique.
Voici l’instant suprême pour ramasser par les rues ce qu’il y a de souvenirs égarés, et pour garder religieusement sur le papier ce qui fut gravé sur la pierre.
Les écrivains bâtissent plus solidement que les maçons.
Paris se fait beau, se nettoie et se rajeunit de jour en jour, quoique les rides et les cheveux blancs soient la licite du vieillard. Cette toilette de démolition et de badigeonnage efface une à une des traces vénérables d’antiquité et de gloire. La cité de soixante-dix rois déchire ses lettres de noblesse. Laisserons-nous abattre la tradition ?
Sans doute, il est agréable d’habiter des maisons aérées, propres, saines, commodes, dans des quartiers élégants et salubres, dans des rues spacieuses, bien pavées et bien entretenues ; mais n’est-ce pas un spectacle pittoresque et attachant, que celui des vieux quartiers, décorés de vieux édifices, noirs et pleins de vieilles illustrations ? Sans doute, une ville du Moyen Âge, comme on en trouve encore sur les bords du Rhin, est invariablement boueuse, puante, sombre et triste, avec ses ruelles qui serpentent et se mêlent, ses pignons qui surplombent, ses gouttières qui s’allongent en gorgones, ses façades surchargées d’ornements de sculptures et ses églises enfumées par les siècles.
Nuremberg, Heidelberg, Cologne, malgré leurs trésors d’art et leur parfum d’ancienneté, n’imitent pas tout le monde à résidence ; mais il y a beaucoup à voir, beaucoup à savoir, dans ces demeures intactes des hommes d’autrefois : on dirait que les murs ont retenu l’écho du passé, et l’imagination est frappée en même temps que les yeux. L’esprit seul peut se plaire aujourd’hui dans les rues de Paris.
Ces rues se sont multipliées, à mesure que l’enceinte de la ville s’agrandissait au nord et au midi. Au treizième siècle, le trouvère Guillot, dans son Dit des Rues, en a compté trois cent neuf ; au dix-huitième siècle, ce nombre s’était élevé à neuf cent quatre-vingt-neuf ; il a dû, depuis, atteindre onze cents. Toutes n’ont pas droit de nous occuper : nous ne dirons rien de celles qu’on a percées depuis la Révolution, à moins qu’un fait piquant et peu connu ne rachète leur nouveauté ; nous parcourrons de préférence les anciennes, qui ont eu jusqu’à dix noms différents et autant de destinations diverses ; qui ont possédé des établissements civils ou ecclésiastiques ; qui ont été les témoins d’évènements particuliers.
Nous partirons du centre de la Cité, où les dieux Esus et Cervunnos avaient leurs autels teints de sang ; du Cloître Notre-Dame, où l’Université prit naissance à l’ombre de la basilique épiscopale. Ensuite, nous visiterons les rues par quartier, plutôt que par arrondissement, sans suivre une marche réglée, et sans autre guide que notre caprice aventureux.
Nous conduirons même les dames dans les coins et recoins de Paris les plus infréquentés, par des ruelles dont le sobriquet primitif a de quoi épouvanter les oreilles les moins timides, et dont l’état actuel conserve une sorte d’infamie héréditaire ; ce sont de ces choses qu’il vaut mieux voir de loin et à travers un voile décent. Par là les Halles seront mises à la portée des salons.
Jadis les villes étaient fortifiées pour être à l’abri des invasions et du pillage, des guerres et de la conquête : ainsi l’attaque des Normands échoua contre Paris, qui n’avait alors pour fossés que la Seine, baignant sa ceinture de murailles et de tours. Louis VII recula les limites de sa capitale et l’environna d’une clôture capable de soutenir un assaut. Philippe-Auguste, en étendant cette clôture plus avant dans la campagne, ne négligea pas les moyens de défense, et Charles VI, qui répara et augmenta l’enceinte de Philippe-Auguste, y ajouta des douves profondes et des créneaux à l’épreuve de l’artillerie. Ces murailles résistèrent, deux siècles plus tard, au siège mémorable de Henri IV.
À ces époques de factions intestines et de guerroiement continuel, l’intérieur des villes était disposé de manière à pouvoir combattre de maison en maison et de rue ou rue ; non seulement les maisons principales avaient quelquefois des enclos crénelés, et toujours des bastions aux encoignures ; mais, outre les deux grandes rues transversales qui coupaient la ville en croix pour le passage des voitures, les autres rues rampaient, se tordaient, s’entortillaient, telles que des serpents, étroites, inégales, ténébreuses, fermées de portes, couvertes de ponts suspendus, hérissées de tourelles, encombrées d’immondices, et engorgées d’eaux croupissantes. À l’angle de ces rues dessinées en labyrinthe, de grosses chaînes de fer scellées dans la pierre, au fond d’une armoire de fer dont le quartenier avait la clef, n’attendaient qu’un signal du beffroi pour être tendues et barricadées ; la ville se transformait tout à coup en citadelle, et les citoyens devenaient autant de soldats ; il en fut ainsi pendant la Ligue et la Fronde, comme sous les Maillotins.
Les rues de Paris ne furent pavées que du temps de Philippe-Auguste. Ce grand roi, qui travaillait sans cesse à embellir sa ville de prédilection, était, un jour, à la fenêtre de son palais, situé à la place même du Palais de justice actuel ; un chariot, qui remua en passant la fange de la Cité, répandit une telle infection jusque dans l’appartement royal, que le prince ordonna de paver les rues avec des pierres dures et carrées.
L’exhaussement du sol à trois pieds au-dessus de ce premier pavé témoigne assez que les successeurs de Philippe-Auguste ne veillèrent pas trop à faire observer l’édit qui prescrivait aux bourgeois d’entretenir à leurs frais le pavé de la voie publique devant leurs logis. Une ordonnance de Charles V, en 1388, déclare que les pavements des chaussiées sont moult empiriés et tellement déchus en ruine et dommagiés, que en plusieurs lieux l’on ne peut aller à cheval ne à charroi sans très grands périls et inconvénients. Un procès-verbal et rapport, fait en 1636, pour le nettoiement et pavage de la ville, cite des accidents survenus à cause du mauvais ordre des chaussées : plusieurs personnes, allant et venant pour leurs affaires, sont tombées et ont eu les jambes rompues.
En 1833, on se croirait encore en 1388 ou en 1636.
Cependant le voyer de Paris, dont l’institution remonte aux Romains, tenait du roi, à fief ou à baillie, une juridiction de police qu’il exerçait sans appel sur le pavé royal ; mais les innombrables impôts qu’il prélevait à titre de redevances endormirent sa vigilance et paralysèrent son autorité. Si les chaussetiers lui devaient une paire de chausses, ni des pires ni des meilleures, si les merciers deux aiguilles par semaine, si les chapeliers un chapel de roses en la saison, on peut supposer qu’il exigeait des contributions arbitraires, pour permettre de faire auvent, de seoir en la voirie et vendre denrée, de mener coin de rue et de jeter ordures sur le chemin du roi.
Le voyer était, d’ordinaire, un exacteur de la plus méticuleuse tyrannie : il disputa quelquefois à l’exécuteur des hautes-œuvres et à l’Hôtel-Dieu leurs droits mutuels sur les pourceaux vaguant dans la ville. La mort du dauphin Philippe, fils aîné de Louis le Gros, renversé de cheval auprès de Saint-Gervais par un pourceau furieux, amena cette proscription presque judiciaire contre ces animaux domestiques, qui perdirent alors le privilège de s’ébattre dans les boues et les cloaques de Paris.
D’abord, les rues n’avaient pas de dénomination précise : la rue de la Calandre est désignée, dans les chartes, par cette phrase ; rue par laquelle on va du Petit-Pontà la place Saint-Michel. Ensuite, les plus importantes reçurent des noms distinctifs, comme la rue Saint-Martin, la rue Saint-Denis ; quant aux autres, elles étaient nommées de tant de façons, souvent contradictoires, qu’il en résulte aujourd’hui pour nous un inextricable embarras dans l’application du nom à la rue, et de la rue au nom.
On voit aussi que les moines et les prêtres, qui rédigeaient des actes publics, modifiaient ou rejetaient les noms trop barbares, comme s’ils voulussent s’attribuer le baptême des rues à l’instar de celui des chrétiens.
Les noms de rues inventés par le peuple étaient obscènes ou ignobles, ridicules ou burlesques, significatifs ou caractéristiques ; on reconnaissait, au simple énoncé de ces sobriquets populaires, les rues consacrées à la prostitution, celles où s’était commis un crime célèbre, celles dont les habitants avaient mauvaise renommée, celles qu’il fallait aborder en se bouchant le nez, celles remarquables par un puits ou une Notre-Dame, par un hôtel ou un couvent. Les culs-de-sac, qui étaient aussi nombreux que les rues, s’appelaient rues sans chief, expression honnête que Voltaire, l’inventeur du mot impasse, eût admiré chez nos naïfs aïeux, qui ne songeaient guère à éviter l’incongruité d’une équivoque ; une partie de ces rues sans chief servaient de dépôt aux charognes et de sentine à tout le voisinage : de là les noms fréquents de fosse aux chiens et de trou punais.
Dans ce temps-là, l’hérédité, ce dogme despotique auquel toutes les existences étaient soumises, semblait dominer les choses de même que les hommes ; une rue avait à perpétuité son genre particulier d’habitants, de commerce et de réputation.
Les mendiants logeaient à la Vallée-de-misère, et peuplaient les deux Truanderies ; les juifs se cachaient dans leur Juiverie vers les Halles ; on vendait les jonchées de feuillage rue Hautefeuille ; la paille ou feurre, rue au Feurre, maintenant rue aux Fers ; le drap, à la Vieille-Draperie, et la pelleterie, rue des Fourreurs.
Cette attribution spéciale des rues subsiste encore à peu près, bien que les six corps des marchands aient perdu leur bannière armoriée, et que les quinze cent cinquante et une communautés d’artisans ne se gouvernent plus en petites républiques.
Enfin certaines rues avaient leurs prérogatives féodales : telle était exempte de subsides, telle relevait d’un hôtel seigneurial ou d’un domaine religieux ; plusieurs, semblables aux squares anglais, avaient des portes closes la nuit, comme la rue des Deux-Portes nous l’apprend par son nom ; plusieurs ne donnaient entrée aux marchandises que moyennant un droit de péage, comme la rue des Barres paraît l’indiquer ; quelques-unes, comme celle du Fouarre, abandonnée aux Écoles, n’étaient pas publiques à toute heure du jour. On avait un respect inviolable pour la coutume.