Demain n'est pas certain - Manuel Verlange - E-Book

Demain n'est pas certain E-Book

Manuel Verlange

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Beschreibung

Ma mère m’a mis au monde sous deux conditions : apprendre à lire avant d’entrer à l’école maternelle, et écrire un livre qui serait publié. Elle m’a dédié son plus beau sourire.

– Tu seras édité avant tes vingt ans, comme Françoise Sagan. Ton premier roman connaîtra le succès, ne discute pas, c’est non négociable !

Pour commencer, j’ai appris à marcher, car à quatre pattes c’était impossible de tenir un stylo. Il fallait procéder par étapes. Mes premiers dessins d’enfant ont pris la forme de lettres. J’ai commencé par le M de Maman, Maison et Mamma, car j’avais reçu une grand-mère italienne à la naissance, qui m’avait foutu les chocottes avec son chignon à la Rio de Janeiro. Le E a suivi, pour Écrire, et aussi pour Étudier l’alphabet, et enfin pour Et quand est-ce qu’on mange, car maman oubliait souvent les repas lorsqu’elle noircissait ses cahiers d’interminables lignes.

Écrit de juillet 2019 à février 2020, ce roman est le récit d’un apprentissage d’écriture. La mère de Manuel avait décidé qu’il deviendrait écrivain. Dès lors, avait-il le choix ? Tâche écrasante qui a terrassé l’enfant. Juliette Lang lui brandissait un avenir littéraire, une vraie mère de Romain Gary. Pour que son fils réussisse, elle était capable de tout. Et tout, chez cette femme hors norme, repoussait les limites.

À PROPOS DE L'AUTEUR

L’auteur a passé son enfance à Nantes, France. Après ses études, il est parti enseigner la langue française à Tokyo puis en Belgique. Il vit actuellement près de Bruxelles, où il travaille à l’écriture de ses romans.

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Manuel Verlange

Demain n'est pas certain

Roman

Les romans de Manuel Verlange sont publiés aux Editions Encre Rouge.

Pauvres de nous ! Mai 2019.

La Haine a de beaux jours devant elle. Décembre 2019.

Demain n'est pas certain. Mai 2020

Publié chez d'autres éditeurs :

Secrets de Minuit. Recueil de poèmes. Epuisé.

Vue sur mère.

"Brûlures, morsures, déchirures. Des chiens mordent.

Des meutes de chiens. Des vagues incessantes de chiens.

Des ruées de chiens ardents, impétueux et dont je ne puis parler à personne, dont je dois, dans un pareil moment, me retenir de parler, faisant comme s'ils n'étaient pas là, comme si j'étais au repos... tranquille, hors d'atteinte."

Henri Michaux.

"Face à ce qui se dérobe"

***

"Il ne faut pas apprendre à écrire mais à voir : écrire est une conséquence."

Antoine de Saint-Exupéry.

"Lettres à l'amie inventée."

***

Je présentais évidemment certains signes extérieurs d'existence, mais c'était de la littérature.

Il y a des consciences équipées de répondeurs automatiques et ça marche très bien.

Mais moi je ne suis jamais parvenu à m'organiser.

Romain Gary-Ajar

"Pseudo."

Ma mère m'a mis au monde sous deux conditions : apprendre à lire avant d'entrer à l'école maternelle, et écrire un livre qui serait publié. Elle m'a dédié son plus beau sourire.

⸺  Tu seras édité avant tes vingt ans, comme Françoise Sagan. Ton premier roman connaîtra le succès, ne discute pas, c'est non négociable !

Pour commencer, j'ai appris à marcher, car à quatre pattes c'était impossible de tenir un stylo. Il fallait procéder par étapes. Mes premiers dessins d'enfant ont pris la forme de lettres. J'ai commencé par le M de Maman, Maison et Mamma, car j'avais reçu une grand-mère italienne à la naissance, qui m'avait foutu les chocottes avec son chignon à la Rio de Janeiro. Le E a suivi, pour Écrire, et aussi pour Étudier l'alphabet, et enfin pour Et quand est-ce qu'on mange, car maman oubliait souvent les repas lorsqu'elle noircissait ses cahiers d'interminables lignes.

Elle écrivait de la poésie. Des chaînes de mots qu'elle accrochait comme les wagons d'un train. Elle les déclamait tard le soir, assise à la table devant la fenêtre. Je l'entendais, l'oreille en ventouse sur la porte, elle me croyait endormi.

Un jour, après le passage du facteur, maman a crié une poésie enflammée sous l'effet de la passion. Elle faisait rimer dur avec ordure, banquier pourri avec saloperie, et menaces d'huissier avec une bombe dans sa voiture. Puis elle a déchiré une lettre avant de la jeter par la fenêtre. Le banquier pourri s'est ventilé dans une pluie de confettis.

À cette époque, nous habitions un appartement pour deux, avec une chambre et un canapé que maman dépliait le soir. Je demandais souvent si je pouvais dormir sur le canapé, mais maman rétorquait qu'il n'en était pas question, elle dormait mieux dans le salon.

Elle écrivait la nuit, avec des verres de vin blanc. Après m'avoir raconté une histoire, elle se penchait sur son cahier. Maman ne me lisait que ses propres textes, pour tester. Si je demeurais impassible, son visage virait pâle, ses paupières battaient, et j'étais bouleversé, alors je souriais et elle était la plus heureuse du monde. Elle m'embrassait en me serrant de toutes ses forces dans ses bras.

⸺  Fais de beaux rêves, mon amour.

J'aimais les histoires de maman qui résonnaient comme une musique, mais je ne comprenais pas tout.

Maman aurait voulu faire Françoise Sagan, et écrire Bonjour tristesse à l'âge de dix-sept ans, pour prendre la romancière de vitesse. Elle gravait des milliers de notes d'une écriture de mouche, dans des carnets qu'elle emportait partout avec elle. Ses poèmes s'empilaient, et elle travaillait sur un roman. Il avançait à grandes lignes. Maman prenait des notes depuis l'âge de douze ans.

À titre secondaire, elle travaillait dans une compagnie d'assurance-vie. Elle avait besoin d'être rassurée, et devait nourrir notre famille qui était deux. Je culpabilisais à cause de mon bas âge hors de prix pour une mère seule, même avec les allocations familiales.

⸺  Je te promets d'être publié le plus vite possible, pour qu'on vive avec mon succès !

⸺  Mon amour.

Elle m'enlaçait avec la force d'un arbre.

***

A la compagnie d'assurances, maman consacrait son temps à corriger les fautes d'orthographe des lettres qu'elle recevait. Elle les annotait au stylo rouge, et inscrivait une note sur dix avant de les retourner à l'expéditeur. Un matin, la DRH l'a convoquée pour la féliciter, un affilié ayant renvoyé une lettre qui avait obtenu 1,5.

⸺  Madame Lang, qu'est-ce que vous nous faites, là ?

La DRH la fixait, exhibant la lettre. Maman l'a examinée, sourcils froncés.

⸺  ... "J'ais pas ressu mon dernier relever d'assurance, avéc le chiffre que je vé touché."

Maman a enchaîné :

⸺  J'ai eu tort, j'aurais dû mettre 0.

Ce jour-là, elle a reçu un blâme, qui est un encouragement pour travailler encore mieux. Le blâme insistait pour qu'elle se concentre sur les rappels à envoyer aux mauvais payeurs. Du coup, elle avait réécrit toutes les lettres-type, jugeant le style sans originalité.

Maman était employée à temps partiel aux assurances, à cause du frigo. Son temps principal m'était dédié. Les années m'ont appris que l'essentiel était d'écrire, mais qu'il y avait toujours un frigo pour se dresser en travers de la route. Maman m'a promis que mes pages feraient partie des plus belles de la littérature française, ce qui ne nous empêchait pas de nous heurter à l'absence d'oeufs, de jambon, de lait et de raviolis sauce tomate.

⸺  Victor Hugo a écrit une œuvre immense, seulement il y a plus de gens qui vont tous les jours chez Carrefour ! Le ventre est un complot d'esclavagistes. Manuel, ne laisse jamais les frigos avoir le dernier mot !

Maman m'a saisi par les épaules, me faisant jurer de m'accrocher et de ne jamais baisser le stylo.

À l'appartement, on n'avait pas pris de père. Mes copains en avaient à l'école, mais maman a dit qu'on n’avait pas la place.

Toutes ses pensées étaient orientées vers ma réussite littéraire. Je venais d'avoir sept ans, il n'en restait plus que dix avant d'être Françoise Sagan. Maman m'a mis les bouchées doubles.

⸺  Mon amour, je t'ai apporté une surprise.

Elle a déposé devant moi un volumineux paquet entouré d'un ruban rouge. Le colis était plus épais que la pile de factures sur le buffet. Maman resplendissait.

⸺  C'est indispensable pour ta carrière !

Je me suis jeté sur le paquet, arrachant l'emballage. Ils étaient douze à me fixer avec leurs jaquettes rouges et leurs lettres dorées. Le premier allait de A à B, et le dernier de Y jusqu'à Z.

⸺  Apprends par cœur trois pages par jour. Il y en a 2110. Dans deux ans et demi, tu as terminé. Et je n'ai pas compté les dimanches. Il restera sept ans et demi pour terminer ton roman.

Maman avait tout calculé, je devais assimiler le dictionnaire pour donner toutes ses chances à mon futur littéraire. Il était essentiel de connaître chacun des mots intimement, une question de relation personnelle, le vocabulaire exigeait que je lui fasse la cour.

⸺  C'est comme les notes de musique chez Mozart ou Jean-Sébastien Bach, ils se fréquentaient tous les jours, forcément ça créé des liens, ils ont donné les plus belles musiques !

Maman a expliqué que je n'utiliserais qu'une infime partie du dictionnaire dans mon livre, mais il fallait maîtriser l'ensemble de l'édifice, même si je n'occupais que trois pièces dans le château. Huit notes de musique avaient inspiré les plus grandes symphonies, et vingt-six lettres se conjuguaient pour constituer les chefs-d’œuvre de la littérature. Elle a cité Camus qui écrivait dans un style humble.

⸺  Un professeur qui connaissait le dictionnaire sur le bout des mots !

Ce jour-là, j'ai attrapé un grand coup de fatigue, mais mon avenir d'homme de lettres était à ce prix.

⸺  Repose-toi, mon amour, prends des forces. Je vais te faire une omelette, tu commences demain.

La nuit, j'ai appelé un ange au secours, parce que pour retenir trois pages par jour, j'avais besoin d'aide. L'ange de garde était un vieux volatile déplumé, respirant comme un bœuf asthmatique. Il s'est assis sur mon lit, se grattant la tête.

⸺  ... La totalité du dictionnaire, quand même, ta mère n'y va pas avec le dos de la cuillère !

⸺  Oui, ben c'est comme ça !

L'ange s'appelait Robert. J'y ai vu un signe, mon dictionnaire aussi s'appelait Robert.

Le volatile vintage s'y connaissait en grands écrivains. Apprenti, il avait aidé Cervantes qui débutait, avant de donner un coup de main à Victor Hugo pour son illustre carrière. Il a continué à dérouler ses états de service, évoquant Zola qui lui devait tout, et Guy de Maupassant qu'il avait connu à Tourville-sur-Arques. Il s'apprêtait à poursuivre lorsque je l'ai interrompu :

⸺  Françoise Sagan, c'est vous ?

Édouard Ackermann nous enseignait le français, et il a sélectionné anonymement ma nouvelle : A la sueur du front. C'était l'histoire d'un soldat qui avait perdu les deux bras en héros, et qui revenait dans son village où il était boulanger comme matière première. Grâce à la paix, il était devenu ami avec le soldat qui lui avait découpé les bras à la mitrailleuse. Ils avaient repris la boulangerie à deux, un à la direction et l'autre dans le pétrin.

⸺  ... Tu ne trouves pas cela violent, Manuel ?

Le prof a soupiré, avant de déplorer que la violence fût partout, dans les journaux, dans les jeux vidéo et dans les séries télé. La violence de ma nouvelle n'avait que deux bras arrachés alors que des migrants se noyaient par familles entières, et que des manifs brûlaient tout sur leur passage, avec des mutilés dans chaque camp.

Ackermann a repris :

⸺  ... Mais tout de même, on est en CE1 !...

Ce prof n'était pas upgradé, il avait zappé des mises à jour. Il s'imaginait que la cour de récré était peuplée de bisounours, je connaissais des guerriers hauts comme des ananas, mais d'une cruauté de mafia calabraise.

⸺  Aux États-Unis, où ils sont en avance sur tout, il y a des jeunes qui assassinent des enfants dans les écoles, au fusil automatique !

Le prof a hoché la tête, accablé. Moi je ne pensais qu'à maman et à sa terrible déception si ma nouvelle n'obtenait pas une reconnaissance scolaire.

Ackermann a lâché, me voyant anxieux avec des yeux de bébé phoque :

⸺  Ton texte a des points forts. Il est bien écrit. On sent une vraie personnalité.

Cependant, il hésitait encore. Je suis monté aux créneaux :

⸺  Si vous voulez, je peux revisser un bras au héros, ça diminuera la violence et ce sera plus pratique pour serrer la main !

Il m'a fixé avant de déclarer que ma nouvelle serait étudiée en classe, indiquant qu'il me ferait passer pour un auteur inconnu.

Je suis rentré comme une flèche à l'appartement, pour annoncer à maman que j'étais un auteur inconnu. Je lui ai sauté au cou, et l'ai serrée de toutes mes forces dans mes bras, parce qu'un auteur inconnu, c'est terriblement fort.

Cette nouvelle a constitué mon premier succès littéraire. Vingt-six lecteurs plus le prof. Je venais de multiplier le nombre de mes admirateurs par vingt-sept.

Maman a voyagé sur un nuage pendant des semaines. Tout le service contentieux de sa compagnie d'assurances était au courant de mon œuvre naissante, les commerçants du quartier également, et tout le voisinage, par l'opération de la bouche à oreille. Lorsque je venais chercher une baguette, la boulangère me souriait, fière comme une fan-club.

⸺  Prends un pain au chocolat, c'est pour toi, cadeau pour le jeune écrivain !

Un matin, à son bureau, maman a interrompu une assurée en instance de contentieux.

⸺  Ne vous cassez pas la tête avec votre prime impayée, on s'en tape. Savez-vous que mon fils a écrit une nouvelle, À la sueur du front ? Elle a été étudiée par tout le groupe scolaire André Malraux.

⸺  ... Ah ?... Et en ce qui concerne ma prime ?

Maman a encadré la première page avec le titre. Elle a suspendu le cadre dans la salle à manger. Chaque jour, elle la regardait, avec les yeux en mode Académie française.

À l'âge de treize ans, je me suis attelé à l'écriture de mon premier roman. Maman me jurait capable d'écrire un livre indispensable que tous les lecteurs attendraient et qui soufflerait un vent nouveau sur la littérature. J'étais terrassé.

Les attentes de maman me pétrifiaient, une authentique angoisse. Maman était une échelle qui se perdait dans la brume. L'intérêt suscité par ma nouvelle m'avait terrorisé, la paralysie du succès, à présent la peur cascadait, j'errais dans une sorte de San Francisco déchiré par un tremblement de pages.

⸺  Tu continues d'écrire, mon amour ?

Maman me posait la question chaque jour.

⸺  Oui, bien sûr...

⸺  Tu me montreras ?

Je hochais la tête avant de me retourner, les doigts sciés.

Pour gagner du temps, j'ai prétexté l'étude du dictionnaire. J'en étais au U et au V, cela prenait du temps, mais c'était le prix de la langue française. Maman attendait mon roman de tout son cœur, elle en parlait matin, midi et soir, clamant que j'étais capable d'une œuvre littéraire exceptionnelle. Je l'écoutais, tétanisé.

L'idée de Bonjour Tristesse me crucifiait. J'étais encore loin de mes dix-huit ans, mais l'échéance se rapprochait à la manière d'un rouleau-compresseur. Il y avait dans ces premiers romans quelque chose d'une montagne infranchissable. Le Procès-verbal, Voyage au bout de la nuit, Courrier Sud, L'Étranger, L'Attrape-cœurs, et La Vie devant soi qui était un premier roman de Romain Gary, après vingt-sept autres livres.

J'aurais tout donné pour être le premier dans l'écriture, comme l'auteur des Dix commandements, ou de La Bible de Gutenberg. Prendre le stylo à la suite de tant de romanciers illustres amputait les doigts.

Maman me connaissait comme si elle m'avait fait. Dès qu'elle sentait rôder les symptômes de l'interruption d'écriture, elle déboulait avec le rempart de ses bras.

⸺  Tu es capable d'écrire un grand livre, tu vas réussir ! Je le sens, je le sais, je l'ai toujours su !

J'acquiesçais, dévasté. Il y avait dans cette mission une idée de no man's land exposé au feu des snipers. Mon grand roman me tenait en joue, avec ce regard maternel qui ne me laissait aucune chance. Le clavier de l'ordinateur alternait le chaud et le froid, des ruades qui m'envoyaient rouler à terre.

⸺  Ne baisse jamais les bras, tu me le promets ?

⸺  Je te le promets, maman.

Elle s'emportait dans un tourbillon de Rimbaud, de Radiguet, de Sagan et de Salinger, une vraie mère de Romain Gary. J'étais le livre de sa vie. Démarrer une carrière littéraire dans ces conditions avait de quoi vous enfoncer en terre, de manière définitive.

Maman a perdu son emploi dans la compagnie d'assurances, après avoir organisé un atelier d'écriture clandestin, dans une salle de réunion. Elle avait invité une trentaine de mauvais payeurs. Le concept consistait à apprendre à rédiger des réponses aux lettres de menaces, dans le respect de l'orthographe et de la syntaxe.

La DRH l'a convoquée le lendemain. Elle voulait savoir en quoi cette nouvelle initiative s'inscrivait dans la stratégie de la compagnie ? Maman a expliqué l'idée :

⸺  Je veux donner confiance aux assurés lorsqu'ils rédigent leurs courriers, cela aidera à les fidéliser.

⸺  Vous voulez fidéliser les débiteurs ?

Maman a reçu un deuxième blâme qui a donné un sang neuf à sa carrière. Elle s'est inscrite à Pôle emploi, où les possibilités étaient infinies. Lorsque son conseiller a demandé quelle était la composition du ménage, elle a répondu :

⸺  Un fils. Il est écrivain.

L'employé a observé maman.

⸺  ... Quel âge a-t-il ?

⸺  Quatorze ans, pourquoi ?

Grâce à Pôle emploi, maman était plus présente à la maison. J'en étais heureux et totalement effrayé.

Régulièrement, elle partait pour des journées de formation. Elle a suivi une mise à jour informatique, un stage de toilettage pour chiens, un autre pour cuisiner dans une cantine scolaire, et le dernier pour s'occuper d'enfants handicapés mentaux qui hurlaient du matin au soir.

Dès qu'elle rentrait, elle me racontait sa journée. Préparant le dîner, elle répétait qu'elle était soulagée, elle déprimait dans cette compagnie d'assurances. Il y avait des assurances pour tout, ça lui collait le cafard. A Pôle emploi, elle rencontrait de nouvelles têtes, des gens de tous horizons.

⸺  Ma vie est plus riche qu'auparavant.

Elle interrompait son épluchage de carottes et de courgettes. Après un silence, elle demandait :

⸺  Et ton roman, mon amour, il avance ?