La Lumière de la Pluie sur son Visage - Manuel Verlange - E-Book

La Lumière de la Pluie sur son Visage E-Book

Manuel Verlange

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Beschreibung

Ma mère m'a mis au monde sous deux conditions : apprendre à lire avant l'école maternelle, et écrire un livre qui serait publié. Elle m'a dédié son plus beau sourire :

— Tu seras édité avant tes vingt ans, comme Françoise Sagan. Ton premier roman connaîtra le succès, ne discute pas, c'est non négociable !

Pour commencer, j'ai appris à marcher, car à quatre pattes c'était impossible de tenir un stylo. Il fallait procéder par étapes. Mes premiers dessins d'enfant ont pris la forme de lettres. J'ai commencé par le M de maman, maison et mamma, car j'avais reçu une grand-mère italienne à la naissance, qui m'avait foutu les chocottes avec son chignon à la Rio de Janeiro. Le E a suivi, pour étudier l'alphabet et pour écrire, et enfin pour et quand est-ce qu'on mange, car maman oubliait les repas lorsqu'elle noircissait ses cahiers d'interminables lignes.

Ce roman est la chronique d'un apprentissage d'écriture. La mère de Manuel avait décidé que son fils deviendrait écrivain. Dès lors, avait-il le choix ? Tâche écrasante qui a terrassé l'enfant. Suzy Silkin lui brandissait un avenir littéraire, une vraie mère de Romain Gary. Pour que son fils réussisse, elle était capable de tout. Et "tout" chez cette femme hors norme, repoussait les limites.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Manuel Verlange a enseigné la langue française au Japon, puis en Belgique. Il est l'auteur de sept romans, dont un a obtenu le Prix de l'Evasion en 2021, "Demain n'est pas certain". Il a également publié deux biographies, "Changer le cours des fleuves" et "Banana split", aux Editions Academia. Ces ouvrages ont reçu conjointement le Prix de la Renaissance Française 2023. Un recueil de poésie et un livret de théâtre viennent compléter sa bibliographie. Il a également participé à la création de séries pour la télévision, et travaille pour le cinéma. Sa première pièce de théâtre, "Bande-Annonce", est actuellement sur scène. Une prochaine pièce est en cours de montage. Son huitième roman, "L'Enfant éphémère", paraîtra en février 2025.

L'auteur vit près de Bruxelles et se consacre à l'écriture.

www.manuelverlange.com



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Seitenzahl: 182

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

LA LUMIERE DE LA PLUIE SUR SON VISAGE

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tous droits réservés pour tous pays.

Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’auteur, de reproduire partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit. Le Code de propriété intellectuelle n’autorise que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ; il permet également les courtes citations effectuées dans un but d’exemple ou d’illustration.

Dépôt légal : Février 2025

Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles

D/2025/14.595/01

ISBN : 978-2-39066-081-1

Illustré par Gregory De Lepeleere

Éditions du Lion Z’Ailé de Waterloo – Collection l’Authentique.

Livre numéro 1

Imprimé et relié par Bokksfactory, Pologne

 

©Original de la couverture : Sylvie Huysentruyt

Titre

Manuel Verlange

 

 

 

LA LUMIÈRE DE LA PLUIE SUR SON VISAGE

 

 

Collection l’Authentique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Direction éditoriale : Yasmina Bouko

 

 

Du même auteur

 

Aux Éditions Le Lion Z'Ailé

Bande-Annoncesuivie de Salauds de pauvres !Théâtre. 2024.

Aux ÉditionsAcademia

La statue du Commandeur.Roman. Préface de Philippe De Riemaecker. 2024. Sélection du Prix Rossel 2024.

Banana Split.Biographie du producteur Jean-Luc Van Damme. Préface de Marcel Leroy. 2023.Prix de la Renaissance Française 2023.

Changer le cours des fleuves.Biographie de l’industriel Alfred Grosjean. 2022.Prix de la Renaissance Française 2023.

Aux Éditions Encre Rouge

Portrait de ma mère en fuite.Roman. Préface de Jean-Paul Von Schramm. 2022.

L’Abandon du ciel. Roman. 2021.

Demain n’est pas certain. Roman, 2020. Prix de l’Évasion, 2021.

La Haine a de beaux jours devant elle. Roman. 2020.

Pauvres de nous ! Roman. 2019.

Aux Éditions Édilivre

Vue sur mère. Roman. 2017.

Aux Éditions Saint-Germain-des-Prés

Secrets de Minuit. Recueil de poèmes. (Épuisé)

À paraître

Au titre d’une enfance heureuse.Roman. Préface de Philippe Reynaert. 2026.

 L’Identité amoureuse.Roman. 2027.

 

Les distinctions suivantes ont été décernées pour l’ensemble des œuvres de l’auteur :

Médaille d’Or des Lettres 2024 de la Société des Auteurs et Artistes Francophones, SAAF.

Médaille d’Étain des Lettres 2024 de la Société Académique des Arts, Sciences et Lettres de Paris.

Médaille de Bronze des Lettres 2025 de La Renaissance Française, en reconnaissance de la grande valeur du travail artistique et littéraire.

« Brûlures, morsures, déchirures. Des chiens mordent. Des meutes de chiens. Des vagues incessantes de chiens. Des ruées de chiens ardents, impétueux et dont je ne puis parler à personne, dont je dois, dans un pareil moment, me retenir de parler, faisant comme s’ils n’étaient pas là, comme si j’étais au repos… tranquille, hors d’atteinte. »

Henri MichauxFace à ce qui se dérobe

 

                  « Il ne faut pas apprendre à écrire mais à voir : écrire est une conséquence. »

Antoine de Saint-ExupéryLettres à l’amie inventée

 

Je présentais évidemment certains signes extérieurs d’existence, mais c’était de la littérature. Il y a des consciences équipées de répondeurs automatiques et ça marche très bien. Mais moi je ne suis jamais parvenu à m’organiser.

Romain Gary-Ajar

Pseudo

 

 

 

 

 

 

Pour Isabelle,

pour son amour et son soutien par tous les temps.

Pour Natan, Quentin,

Pour Aelig, Lenaïs et Enora,

pour plus tard, les livres n’oublient jamais.

 

 

À ma mère…

Je sais qu’elle lira ce livre…

Il y a des livres là où elle est…

 

 

Préface

Comment définir une mère ? Une femme, un statut, un univers aux bras grands ouverts dans lesquels on aime se réfugier, un être sexué dotée du pouvoir de donner la vie, un exemple, une amie… mais pas trop, une autorité bienveillante bien obligée de nous éduquer, un concentré d’amour parfois maladroit, un mystère pour un grand nombre d’entre-vous …

Quelques lignes qui montrent l’impossibilité de définir celle que l’on renomme affectueusement maman, mutti, mamma …

Très vite, la mère qui est en moi tente de s’identifier au personnage de la maman et se met à critiquer ce qui semble n’être que de l’égoïsme poussé à son extrême : faire de son enfant, l’instrument de ses propres rêves. Ce regard, oh combien simple, quand il s’agit de la vie des autres, butte contre un constat sans appel : je ne suis pas différente de cette mère, nous les mères exigeons souvent le meilleur de nos enfants, fantasmons sur des devenirs sans nous soucier de leur bonheur alors qu’on n’espère que cela.

Voici ce que m’ont soufflé les premières lignes de ce livre de Manuel Verlange. Je pensais avoir tout lu au sujet de la mère, de la plus aimante à la plus odieuse, de la plus présente à celle qui disparaît quelques minutes après avoir enfanté, de la plus sévère à la plus laxiste … je me fourvoyais.

Jamais je n’aurais pu imaginer qu’une mère refuse le partage de son fils avec un père — fût-il biologique, de substitution ou adoptant — et ouvre la porte de leur duo, de leur intimité à une autre. Mais cet « autre » n’est pas une personne. Cet autre, féminin par essence, est un univers à elle seule. Elle entre comme une reine dans la vie de cet enfant, adoubée par sa mère, et s’installe dans son esprit avec une force irrésistible.

Cet enfant, lui, ne sait pas encore que cette rencontre va l’élever autant qu’elle le perdra. La Littérature, car c’est d’elle qu’il s’agit, deviendra pour lui un chemin, un refuge, un guide, et parfois un abîme. Une amante exigeante, insaisissable, rieuse devant ses maladresses, mais toujours prête à l’accueillir dans le sanctuaire des mots.

Commence alors un jeu entre ce trio improbable où la mère sciemment place son enfant entre les mains de la Littérature, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, qu’elle a choisi pour sublimer son intelligence, lui servir de compagne dans un monde parallèle que seuls les grands auteurs connaissent.

Quelques lignes vous séparent de ce roman. Abreuvez-vous de chaque mot … ils n’ont pas été écrits par hasard. Goûtez aux phrases, écoutez leur musique, laisser-vous emporter par les émotions … elles aussi ont été choisies avec soin afin de vous faire ressentir un nouveau vibrato.

 

Yasmina Bouko

Janvier 2025

 

 

Avertissement

 

Ce roman a connu une première publication en 2020 sous le titre Demain n’est pas certain. Il est paru chez Encre Rouge Édition. Ce roman a reçu le Prix de l’Évasion en 2021.

 

En 2025, les Éditions Le Lion Z'Ailé ont souhaité le republier afin que l’aventure se poursuive. La Directrice Editoriale et fondatrice de la maison, Yasmina Bouko, a tenu à donner à ce texte une résonance particulière, le choisissant au titre de premier roman pour sa nouvelle collection littéraire, L’Authentique. Qu’elle soit ici vivement remerciée !

 

Dès lors, il m’était impossible de republier ce texte en l’état. Cinq ans et des mots étaient passés sous les ponts. Trois romans, deux biographies et deux pièces de théâtre plus tard, ce récit a revêtu un titre plus juste et des pages peignées, lavées, époussetées pour s’offrir à vous dans ses plus beaux habits. Si la perfection n’existe pas, sa recherche est un devoir artistique, sinon il y a faute.

Nous verrons si le pari est réussi. Les livres ont besoin d’amour.

 

Manuel Verlange

Janvier 202

 

 

Se pouvait-il qu’elle ait disparu dans un étrange effondrement de tout ce en quoi je croyais ?…

Elle n’avait pas disparu, elle était présente à chaque page dans un sourire de dernier mot, un sens altier de la victoire. Il faut savoir lire ceux que l’on aime pour ne jamais les perdre. Sa présence frémissait dans chaque page, sur chaque étagère, sur les tables, les meubles surchargés de livres. Son regard ne me quittait pas.

L’absence est une altération de la vue, la littérature a cet effet de verres correcteurs. Le flou s’efface pour sublimer celle qui m’a aimé plus que l’amour. Qui m’a laissé des livres. Et à qui je ne cesse de laisser des livres.

Il n’existe rien d’autre que des illusions souvent tristes. Je ne l’oublierai jamais ne veut rien dire, je pense à elle chaque jour. Une mère incarne un tout, l’unique origine de l’existence, en aucun cas une fin.

 

 

Ma mère m’a mis au monde sous deux conditions : savoir lire avant d’entrer en primaire, et écrire un livre qui serait publié. Elle m’a dédié son plus beau sourire.

— Tu seras édité avant tes vingt ans, comme Françoise Sagan. Ton premier roman connaîtra le succès.

J’ai souri à mon tour, c’était tout ce que j’avais sur moi, je ne disposais pas encore de l’usage de la parole.

— Ne discute pas, c’est non négociable !

En grandissant, j’ai appris à marcher, à quatre pattes c’était impossible de tenir un stylo. J’ai procédé par étapes. Mes premiers dessins d’enfant ont pris la forme de lettres. J’ai commencé par le M de Maman, Maison et Mamma, ayant reçu une grand-mère italienne à la naissance. Elle m’avait foutu les chocottes avec son chignon en mode Rio de Janeiro. Le E a suivi, pour Écrire, et aussi pour Étudier l’alphabet, et enfin pour Et quand est-ce qu’on mange? Maman oubliait les repas lorsqu’elle noircissait son ordinateur et ses carnets d’interminables lignes.

Elle écrivait de la poésie. Des chaînes de mots qu’elle accrochait comme les wagons d’un train qui sifflait la nuit. Elle les déclamait tard le soir, debout face à la fenêtre. Je l’entendais, l’oreille en ventouse contre la porte, elle me croyait endormi.

Un jour, après le passage du facteur, maman a crié une poésie enflammée sousl’effet de lapassion.Elle faisait rimer dur avec ordure, banquier pourri avec saloperie, et menaces d’huissier avec une bombe dans la bagnole de cet enfoiré! Elle a déchiré une lettre en petits morceaux, avant de jeter les confettis par la fenêtre. Le banquier pourri s’est ventilé dans une pluie d’ailes de papillons.

À cette époque, nous habitions un appartement pour deux, à Bruxelles. Rue de Rome, derrière le parvis Saint-Gilles. Il se composait d’une chambre et d’une cuisine avec un canapé que maman dépliait le soir. Je demandais si je pouvais dormir sur le canapé, maman rétorquait qu’il n’en était pas question.

— Je dors merveilleusement dans la cuisine, mon amour.

Elle écrivait la nuit avec des tasses de thé. Après m’avoir raconté une histoire, elle fermait la porte et allumait son ordinateur. Maman ne me lisait que ses propres histoires, pour tester. Si je demeurais impassible, son visage virait pâle, paupières battantes, ça me bouleversait. Je jouais l’enfant enthousiaste et elle était la plus heureuse des mères mondiales. Elle m’embrassait en me serrant de toutes ses forces dans ses bras, dans mon cou je sentais ses larmes.

— Fais de beaux rêves, mon amour.

— Toi aussi, maman.

J’aimais ses histoires, elles résonnaient comme de la musique, je ne comprenais pas tout.

…      

Maman aurait voulu faire Françoise Sagan jeune fille, écrire Bonjour tristesse à l’âge de seize ans, histoire de prendre la romancière de vitesse. Elle écrivait des milliers de mots d’une écriture de mouche, sur des carnets qu’elle emportait partout. Ses poèmes s’empilaient, elle travaillait aussi à un roman qui avançait à grandes lignes, maman prenait des notes depuis l’âge de douze ans.

À titre secondaire, elle travaillait dans une compagnie d’assurances-vie. Elle avait notre famille à nourrir, qui était deux. Je culpabilisais à cause de mon âge hors de prix pour une mère seule, même avec les allocations familiales.

— Je te promets d’être publié le plus vite possible, maman, pour qu’on vive de mon succès !

— Mon amour…

Elle m’enlaçait avec la force d’un chêne.

 

 

Au service contentieux de la compagnie d’assurances, maman consacrait son temps à corriger les fautes d’orthographe des lettres qu’elle recevait chaque jour. Elle les annotait en rouge, attribuait une note sur dix, puis les retournait à l’expéditeur.

Un matin, la DRH l’a convoquée pour la féliciter, un affilié en rogne ayant renvoyé une lettre qui avait obtenu 1,5 sur 10, avec un commentaire de maman.

— … Madame Silkin, qu’est-ce que vous nous faites, là ?

La DRH la fixait, exhibant la lettre. Maman l’a examinée, sourcils froncés.

— … Ce courrier a un rapport avec mon service ?…

— Oui.

— … Vous êtes certaine ?

— Aucun doute.

La DRH a ajusté ses lunettes, s’éclaircissant la gorge :

— … « Monsieur, sachez que traiter la langue française de cette manière relève de la torture avec acte de barbarie linguistique. La compagnie d’assurances et moi-même nous réservons le droit de vous traîner en justice, vous terminerez en prison. »

Un silence a suivi. Maman continuait d’examiner la lettre avec un sourire en mode sortie de route. « M’dame, M’sieur, j’ai pas ressu mon dernier rellever de l’assurance, avéc le chiffre que je vé touché sur mon comte. Esse que vous pouvez vous magné, siou plé ? Merssi. »

Maman a soupiré :

— J’ai eu tort, j’aurais dû lui coller un 0.

Ce jour-là, elle a reçu un blâme qui était un encouragement pour travailler encore mieux. Le blâme insistait pour qu’elle se concentre sur les rappels à adresser aux mauvais payeurs.

Motivée, maman avait réécrit toutes les lettres types, les jugeant navrantes sur le plan stylistique.

Maman était employée à temps partiel aux assurances, à cause du frigo. Son temps principal m’était dédié. Les années m’ont appris que l’essentiel était d’écrire, mais il y avait toujours un frigo pour se dresser en travers de la route. Maman m’a promis que mes pages feraient partie des plus belles de la littérature française, en attendant, on se heurtait au manque d’œufs, de jambon, de lait et de yaourts à la fraise.

— Manuel, la littérature représente une dignité de l’homme, mais la question alimentaire tient à avoir le dernier mot, le ventre est un complot d’esclavagistes !

— Oui, maman.

— Ne plie jamais sous la dictature des frigos !

— Non, maman.

— C’est bien, mon fils.

Elle m’a saisi par les épaules, me faisant jurer de m’accrocher, de ne jamais baisser le stylo.

 

 

À l’appartement, on n’avait pas pris de père. Mes copains à l’école en avaient, maman a déclaré qu’on n’avait pas la place.

Toutes ses pensées étaient tournées vers ma réussite littéraire. Je venais d’avoir sept ans, il n’en restait plus que dix avant d’être Françoise Sagan. Maman m’a mis les bouchées doubles.

— Mon amour, regarde…

— … C’est quoi, maman ?

— Je t’ai apporté une surprise.

Elle a déposé devant moi un volumineux paquet entouré d’un

ruban rouge avec un beau nœud. Le colis était plus épais que la pile de factures sur le buffet. Maman resplendissait.

— C’est essentiel pour ta carrière !

Je me suis jeté sur le paquet, déchirant l’emballage. Ils étaient douze à me fixer avec leurs jaquettes rouges et leurs lettres dorées. Le premier allait de A à B, et le dernier de Y jusqu’à Z.

— Apprends par cœur trois pages par jour. Il y en a 2110. Dans deux ans et demi environ, c’est plié. Je n’ai pas compté les dimanches, il faut que tu te reposes. Il te restera sept ans et demi pour terminer ton roman.

Maman avait tout calculé, je devais assimiler le dictionnaire pour donner toutes ses chances à mon futur dans les lettres. Il était essentiel de connaître chacun des mots intimement, une question de relation personnelle, le vocabulaire exigeait que je lui fasse la cour.

— Mozart, Chopin et Bach fréquentaient les notes avec assiduité, ça crée des liens. Ils ont donné les plus belles pages de la musique, mon amour !

Maman a expliqué que je n’utiliserais qu’une infime partie du dictionnaire, mais il fallait maîtriser l’ensemble de l’édifice.

— Si tu n’occupes que trois pièces dans le château, ce n’est pas grave. Huit notes de musique ont inspiré les plus grandes symphonies. Vingt-six lettres se conjuguent pour exprimer les chefs-d’œuvre de la littérature.

Elle a cité Albert Camus qui écrivait dans un style humble.

— Un professeur qui connaissait le dictionnaire sur le bout des mots !

Ce jour-là, j’ai attrapé un grand coup de fatigue, mon avenir d’homme de lettres était à ce prix.

— Détends-toi, mon amour, prends des forces. Je vais te faire une omelette.

— Avec de la ciboulette et une tartine beurrée ?

— Oui.

— Chouette, maman !

— Tu dois manger. Tu commences demain.

La nuit, j’ai appelé un ange au secours, parce que pour retenir trois pages de dictionnaire par jour, j’avais besoin d’un ange expérimenté. L’ange de garde était un vieux volatile déplumé, respirant à la manière d’un bœuf asthmatique. Il s’est assis sur mon lit, se grattant le crâne.

— … La totalité du dictionnaire à apprendre ?

— Ben ouais…

— Ta mère y va fort !

— Elle dit que c’est le prix à payer pour devenir Françoise Sagan et Albert Camus.

Le vieux volatile déplumé a soupiré, il en avait vu de toutes les couleurs, mais c’était la première fois qu’il avait affaire à maman.

— … Ah oui quand même…

L’ange s’appelait Robert, un signe, il portait le même nom que mon dico.

Le volatile vintage s’y connaissait en grands écrivains. Apprenti, il avait filé un coup de main à Cervantes qui débutait, avant d’aider Victor Hugo dans le cadre de son œuvre illustre.

Il a continué à dérouler ses états de service :

— Zola me doit tout. J’ai connu Guy de Maupassant à Tourville-sur-Arques. Et c’est moi qui ai écrit La Comédie humaine.

— … Non ?

— Je suis le nègre céleste d’Honoré de Balzac.

Il s’apprêtait à poursuivre lorsque je l’ai interrompu :

— Françoise Sagan, c’est vous ?

 

 

Édouard Rosen nous enseignait le français à l’Athénée Royal Victor Horta, il a sélectionné anonymement ma nouvelle : À la sueur du front. C’était l’histoire d’un soldat qui avait perdu les deux bras en héros, et qui revenait dans son village, où il était boulanger au titre de matière première. Grâce à la paix, il était devenu pote avec le soldat qui lui avait haché les bras à la mitrailleuse. Ils avaient repris la boulangerie à deux, l’un à la caisse, l’autre dans le pétrin.

— … Ton histoire est…

— Comment, Monsieur Rosen ?

— … Violente, Manuel…

— C’est la violence qui est parmi nous depuis tout petits, Monsieur Rosen.

— … Ce n’est pas une raison…

— Maman me lit Guerre et paix, de Léon Tolstoï, le soir pour m’endormir. Il y a une violence dans le bouquin, je vous raconte pas ! L’armée de Napoléon y passe entièrement, et le prince André Bolkonski meurt à la guerre, comme Anatole Vassillievitch Kouraguine, qui claque aussi après avoir été amputé. Un massacre sur toute la ligne !

Le prof de français m’a longtemps observé, les yeux de la taille de deux œufs au plat. Il cherchait des mots, pourtant il était professionnel, il ne se rendait pas compte à quel point les gosses trempaient dans la violence.

J’ai repris, voyant à quel point il restait coincé dans la forme interrogative :

— La violence est partout, Monsieur Rosen. Le journal à la télé. Les jeux vidéo. Les séries. The Voice, Koh-Lanta et Fort Boyard. TikTok et Instagram. Ma nouvelle n’a que deux bras arrachés pendant que des migrants se noient par familles entières dans la Méditerranée, et que la guerre tue des grands et des petits en Ukraine, en Russie, à Gaza et au Liban. Ça brûle grave partout, Monsieur Rosen, il y a des mutilés dans chaque camp.

Le prof demeurait silencieux, il avait perdu le Robert.

Il a fini par murmurer :

— … Là, on est en classe de primaire, Manuel…

— Faut upgrader, vous avez zappé des mises à jour, m’sieur !

Il s’imaginait que la cour de récré était peuplée de bisounours, je connaissais des guerriers hauts comme des ananas d’une cruauté de mafia calabraise.

— Aux States, ils sont en avance sur tout le monde, des enfants s’assassinent les uns les autres dans les écoles au fusil automatique.

— …

—  Des AR-15. C’est le père Noël qui les dépose sous le sapin !

Rosen avait la pâleur d’un sac de ciment, une dévastation de la société de nos jours. Moi, je ne pensais qu’à maman et à sa terrible déception si ma nouvelle n’obtenait pas une reconnaissance scolaire.

Le prof de français a lâché, me voyant plongé dans l’anxiété avec des yeux de bébé phoque :

— … D’accord, nous allons étudier ton texte en classe avant de disparaître dans une tuerie de masse, Manuel. Après tout, ta nouvelle ne perd que deux bras. Elle présente des points forts, elle est bien écrite, il y a du style.

— Waouh, merci, Monsieur Rosen !

— … Et puis elle se termine bien.

J’étais heureux comme un phare breton.

Rosen a murmuré :

— … Je sens chez toi une personnalité littéraire.

— Maman y tient plus qu’à la prunelle de ses yeux !

Le prof semblait réfléchir… Il a ajouté :

— … Je te ferai passer pour un auteur inconnu…

Je suis rentré à l’appartement à une vitesse de feu d’artifice. Déboulant dans la cuisine, j’ai annoncé à maman que j’étais un auteur inconnu. Je lui ai sauté au cou, la serrant de toutes mes forces, parce qu’un auteur inconnu, c’est terriblement fort.

 

 

C’est ainsi que j’ai connu mon premier succès littéraire. Mes camarades scolaires, vingt-six lecteurs, plus maman et le prof, je venais d’exploser le nombre de mes admirateurs.

Maman a voyagé sur un nuage pendant des semaines. Le service contentieux de la compagnie d’assurances était informé de mon œuvre naissante, les commerçants du quartier également, et tout le voisinage, par l’opération de la bouche à l’oreille.

Lorsque je venais acheter un pain, la boulangère me souriait, fière comme une tarte aux pommes.

— Prends un éclair au chocolat.

— Merci, madame, mais j’ai l’argent que pour le pain.

— C’est cadeau ! En l’honneur du futur grand écrivain !

— …

— Prends, je te l’offre, au nom de la boulangerie.

— … C’est super gentil, madame, je vous remercie !

— Qui sait, peut-être que je viens d’offrir un éclair au chocolat au futur Guillaume Musso, Marc Levy ou Michel Bussi ?

— Maman, elle préfère Françoise Sagan, parce qu’elle a été éditée vachement jeune !

Un matin à son bureau, maman a interrompu une assurée à l’avenir prometteur dans le contentieux.

— Ne vous cassez pas la tête avec vos primes impayées.

— … Ah ?…

— On s’en tape.

— … Vous êtes sûre ?…

— Savez-vous que mon fils a écrit une nouvelle, À la sueur du front ? Elle a été sélectionnée par son professeur de français, parmi des dizaines et des dizaines de textes !

— … C’est pas vrai ?…

— Comme je vous le dis !

— Je suis heureuse pour votre fils.

—