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Extrait :"Les plus grands états se sont formés par la réunion successive de diverses portions de territoire, de diverses masses de population qui apportaient, dans cette agrégation plus souvent contrainte que volontaire, des coutumes, des lois et des intérêts particuliers..."
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Seitenzahl: 195
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335028997
©Ligaran 2015
Non valeo solus negotia vestra sustinere ; date ex vobis viros sapientes et quorum conversatio sit probata in tribubus vestris, ut ponam eos principes.
DEUTÉRONOME, chap. I, vers. 12 et 13.
Les plus grands états se sont formés par la réunion successive de diverses portions de territoire, de diverses masses de population qui apportaient, dans cette agrégation plus souvent contrainte que volontaire, des coutumes, des lois et des intérêts particuliers.
Ces coutumes, ces lois, ces intérêts, ont été plus ou moins reconnus, ont gardé plus ou moins l’apparence positive du droit ; mais, qu’on les ait traités avec justice ou avec violence, ils n’en existaient pas moins. En ce sens, les communes sont plus anciennes que les monarchies, comme disent les savants éditeurs des ordonnances de nos rois.
Les philosophes raisonnent toujours sur la société, en la supposant formée d’individus qui se réunissent sans autres titres que les droits naturels de l’homme, ceux que la Providence a institués en créant l’homme tel qu’il est. L’histoire nous montre les nations sous un aspect plus réel et plus pratique, en leur assignant pour origine une association de communes.
Dans toute l’Europe, il est resté des traces des communes et de leur existence propre : en général la chaîne des droits positifs n’a pas été complètement rompue. Ils ont pu avoir plus ou moins de force. Tantôt le pouvoir absolu a respecté quelques-unes de leurs formes, tantôt ils ont servi d’origine et de garantie à la liberté. En France, la révolution a anéanti les droits positifs ; elle a procédé comme une théorie sociale ; elle a proclamé les droits naturels des individus ; elle a prétendu les mettre en harmonie avec les besoins de la société entière, sans reconnaître les sociétés communales qui existaient dans son sein ; elle a anéanti les communes, et les a englouties dans la nation.
Il est superflu d’examiner si, en cela comme en beaucoup d’autres choses, la révolution n’a pas seulement manifesté une destruction déjà consommée. On pourrait montrer facilement que les droits des communes n’avaient pas plus de fixité ni de garantie que tous les autres droits publics de la monarchie française. On pourrait faire une longue histoire de toutes les variations et de toutes les incertitudes qui régnaient aussi bien dans la constitution de la commune, que dans ce qu’on appelle la constitution du royaume. Il suffit de reconnaître la situation où nous sommes.
Le premier but des sociétés communales fut de conserver ou d’acquérir une protection que les souverains ne pouvaient pas accorder à leurs sujets. Les rois de France, impuissants à défendre les communes contre la tyrannie des seigneurs, autorisèrent ces corporations de citoyens à chercher en elles-mêmes des garanties contre le désordre et l’oppression ; d’autres fois ils reconnurent ces droits comme existons avant la réunion des provinces à la France. Conformément aux idées de ce temps-là, les véritables communes furent constituées dans des droits politiques ; car il ne suffisait pas à une ville d’avoir sa coutume, sa justice, l’élection de ses magistrats, la répartition de ses taxes, pour être une commune : tant qu’elle ne jouissait de ces avantages que sous l’autorité royale, elle vivait par grâce, et non par droit. Elle devait de plus être reconnue et autorisée à se former en association indépendante ; elle devait prendre rang parmi les membres de cette fédération féodale dont le roi était le chef ; elle était pour ainsi dire inféodée à elle-même. Il fallait, alors, n’être pas moins que souverain pour pouvoir être libre.
C’était donc dans des institutions locales que les citoyens allaient chercher tous les bienfaits que, dans les idées actuelles, on considère maintenant comme le devoir, le but spécial du gouvernement des nations. Mais, à mesure que le pouvoir du monarque acquit une force plus grande, son intervention devint plus efficace pour procurer le bon ordre aux peuples. Il pouvait de mieux en mieux défendre les communes contre les seigneurs. Comme le caractère principal de l’histoire de France a été la lutte soutenue contre les seigneurs, à la fois par l’autorité royale et les communes, et les secours mutuels qu’elles se sont sans cesse portés, il arriva que, lorsque cette lutte fut terminée, la nation et les communes n’ayant jamais reçu qu’aide et protection de la couronne, ayant vécu sans méfiance et sans précaution, avec cette bienfaisante alliée, se trouvèrent sans nulle garantie contre elle, quand elle fut le pouvoir unique. Ainsi disparurent successivement presque toutes les libertés communales ; elles cessèrent surtout de protéger en rien les droits généraux des citoyens. Si quelques-unes ont subsisté jusqu’à ces derniers temps, avec grand honneur et avantage, elles s’étaient insensiblement restreintes à la gestion des intérêts locaux, et à une action sur la forme de l’impôt.
Cependant, ces derniers restes de nos vieilles coutumes, ces débris d’une constitution qui n’avait jamais été complètement établie ni reconnue, servaient de point d’appui à l’opinion, étaient encore utiles pour rassembler les citoyens par quelques liens communs. Il n’y avait point de droits : non seulement ils n’étaient pas écrits, ce qui ne signifie pas grand-chose, mais ils n’étaient ni avoués, ni respectés. Toutefois, dans la nation comme dans le gouvernement, il existait des corporations de citoyens. Par cela seul le pouvoir absolu rencontrait des obstacles : rien ne le guidait, mais il était parfois contrarié.
Ce fut sous le règne des deux fondateurs de l’égalité en France, le cardinal de Richelieu et Louis XIV, que disparurent complètement les dernières traces vivantes du règne féodal où les libertés communales s’étaient venues encadrer comme exception et comme remède. Alors commença ce qu’on nomme l’administration : tout pouvoir et tout droit politique ayant disparu devant l’autorité royale, les citoyens se trouvèrent en relation directe avec elle ; il fallut qu’elle veillât à leur faire accomplir les obligations qu’elle leur imposait. Ce fut pour lors un grand bienfait ; l’ordre, si longtemps troublé, se trouva rétabli par cette intervention universelle du monarque. Mais la source des institutions nationales était tarie ; les principes de la vie étaient retirés à tout pouvoir intermédiaire ; toute communication régulière du souverain avec le peuple, toute action légale de l’opinion générale, étaient interdites.
Sans agrandir trop notre sujet, sans rechercher les effets généraux de ce gouvernement, que tempérait seulement l’influence irrégulière qu’avait l’esprit public sur la conduite des affaires de l’état, ne parlons que de l’administration, et rappelons dans quel état déplorable elle fut jetée aussitôt après la mort des hommes remarquables qui l’avaient créée pendant la première partie du règne de Louis XIV. Le jeu régulier de la machine ne survécut point à celui qui l’avait mise en activité ; après Colbert, l’administration générale du royaume fut une triste succession de faiblesse, d’incapacité et de mauvaise foi. Lorsque des intentions pures et des vues éclairées apparurent dans les ministères, tant d’obstacles s’opposaient au bien public, que les tentatives les plus heureuses n’étaient que passagères.
Que si nous descendons aux commissaires départis pour représenter l’autorité ministérielle dans les provinces, nous trouvons des témoignages bien plus universels et plus prononcés des vices de cette administration que rien ne contrôlait. Sans doute les intendants furent, au premier moment de leur institution, un moyen efficace de rétablir l’ordre ; mais le bienfait fut momentané, et les conséquences de cette délégation du pouvoir absolu devaient s’étendre sur tout l’avenir.
« Le peuple, dit M. de Boulainvilliers, imagina que l’intendant serait un protecteur pour lui contre l’autorité de la noblesse, qui ne laissait pas de l’incommoder encore……. Il n’a appris que longtemps après, par une expérience bien douloureuse, que ces nouveaux magistrats devaient être les instruments immédiats de sa misère ; que la vie, les biens, les familles, tout serait à leur disposition ; maîtres des enfants jusqu’à les enrôler par force ; maîtres des biens jusqu’à ôter la subsistance ; maîtres de la vie jusqu’à la prison, le gibet et la roue. »
Ailleurs le même écrivain avait dit :
« L’opposition que formèrent presque tous les peuples de la monarchie à cette nouveauté fut le dernier effort de la liberté française et, après la légère et inutile résistance qu’ils y apportèrent, les plaies dont nous sommes frappés se sont succédées les unes les autres d’année en année, et nous ont enfin réduit à l’accablement présent. »
Toute autorité se corrompt et s’affaiblit lorsqu’elle est absolue, et lorsqu’elle n’admet pas régulièrement la discussion de ses actes : voilà ce qui ressort de toutes les expériences grandes ou petites, depuis le gouvernement d’un peuple jusqu’à l’administration d’une commune ; aussi les provinces qui, pour leurs intérêts locaux, avaient conservé quelques libertés offraient-elles l’exemple d’une administration utile et paternelle que leur enviait le reste du royaume.
Pendant le cours du dix-huitième siècle, tous les ministres amis du bien public ont aspiré à imiter ce modèle, dans l’intérêt même du roi ; pour que le pouvoir monarchique vît ses affaires mieux faites, ils demandaient que l’administration locale cessât d’être despotique. Ils y appelaient une représentation locale ; ils reconnaissaient que la surveillance venue d’en haut était faible et presque illusoire, en comparaison du contrôle venu d’en bas.
Le plus souvent même il n’entrait dans de telles propositions aucune idée de chercher des garanties aux droits politiques ; c’était en respectant la puissance absolue et législative de la couronne, qu’on souhaitait de voir ses commandements plus régulièrement obéis. Sans doute de plus hautes garanties seraient, par la force des choses, venues se placer là ; mais alors on n’y pensait pas.
Maintenant ce n’est plus dans une représentation locale, ce n’est plus en faisant contrôler les agents d’exécution par des délibérations civiques qu’il faudrait chercher ou espérer les garanties positives des droits publics. La charte y a pourvu, ou doit y pourvoir. La liberté individuelle, la propriété, l’industrie, la loyale administration de la justice, l’économie des dépenses publiques, sont tous la sauvegarde de nos formes centrales de gouvernement. Le libre vote de l’impôt, la discussion publique, la triple volonté nécessaire pour la loi, la responsabilité des ministres, le droit de pétition, la liberté de la presse, quand elle aura recouvré la publicité qui la rend efficace, composent un système de défense autour des droits des citoyens.
Toutes les idées actuelles sont dirigées dans cette voie, et ce serait aller contre l’opinion le plus généralement accréditée que de confier aux institutions communales le soin d’établir et de conserver la liberté. En effet, dans cette sphère restreinte, le contrôlé destiné à défendre les faibles contre les puissants, ou le citoyen contre les injustices de l’autorité, serait exercé par une délibération obscure et sans énergie, par une opinion peu éclairée et dont la voix » ne retentit pas au loin ; tandis que, dans la sphère plus ample des intérêts généraux, le violateur d’un droit a au-dessus de lui toute la hiérarchie des magistrats publics, beaucoup moins accessibles aux partialités personnelles que les magistrats locaux ; puis, pour se garantir de l’erreur ou de l’injustice de ces magistrats, l’opprimé a pour recours une vaste publicité, l’opinion générale, et l’intervention directe ou indirecte des chambres.
Il ne faut donc pas s’étonner si la France se passe si facilement de toute institution communale ; si, depuis sept années qu’elle a cessé d’avoir un gouvernement absolu, elle en conserve, sans nulle impatience populaire, tout le mécanisme d’exécution. Chacun pouvant jouir librement de sa personne, de sa propriété, de son industrie, n’a pas beaucoup à souffrir de la gestion plus ou moins raisonnable des intérêts de localité. Les contestations avec le fisc se règlent presque toutes d’après le droit commun, devant les tribunaux ordinaires ; les impôts de répartition sont, il est vrai, sous la juridiction administrative ; mais les bases de la contribution foncière, tout imparfaites qu’elles soient, sont assez fixes pour ne pas admettre beaucoup d’arbitraire. C’était la grande calamité de la gestion des intendants ; c’était surtout pour se garantir de l’impudente iniquité des répartitions d’impôts, que l’on réclamait si vivement des administrations provinciales ; aujourd’hui les garanties sont placées ailleurs, elles résultent de la meilleure législation d’impôts qui existe en Europe.
Des chemins plus ou moins bien réparés, des constructions négligées, de très petites dépenses mal faites, des jouissances communes en mauvais ordre, des conseils généraux ou municipaux qui votent comme souscription volontaire une contribution forcée sur des citoyens dont ils ne sont pas les délégués ; ce ne sont pas là encore de ces graves abus qui soulèvent les mécontentements populaires. Chacun les remarque sans doute ; mais le citoyen n’ayant aucun moyen de les prévenir, n’ayant pas une action quelconque à exercer sur ce qui le touche de si près, n’en vaque pas moins au soin de ses intérêts privés, à l’exercice de son industrie, et tâche de prendre sa part dans la merveilleuse prospérité dont la France jouit en ce moment.
Mais pour n’être pas encore apparents, les effets de cette indifférence sociale, de ce complet isolement de chaque citoyen dans son propre intérêt, n’en sont pas moins tristes et menaçants. Aucun, n’étant pour rien dans la chose publique, se trouvant séparé de toute action politique, s’accoutume chaque jour de plus en plus à regarder le gouvernement comme un pouvoir étranger, qui, moyennant un tribut, vous doit repos, justice et bien-être. Tout le monde ne peut pas être député, ni même électeur ; les discussions publiques des chambres ne sont pas à la portée de tous. Il est des intérêts plus restreints et plus positifs qui seraient l’aliment naturel de l’activité et de la connaissance des citoyens. Au lieu de cela, il n’existe pas, dans les provinces, un objet quelconque qui puisse occuper les esprits, absorber les ambitions, former aux affaires par l’expérience, remettre les imaginations vides dans le vrai et dans le positif. Les vieilles rancunes de la révolution, la résurrection de quelques sottes vanités qui en ont recruté d’autres nouvelles et plus ridicules, l’ignoble sollicitation des emplois, les jalousies et les haines toujours croissantes, la lecture des journaux et des brochures de sa propre opinion, les intrigues ministérielles et les cabales des chambres travesties à travers une cascade de commérages tel est le spectacle de la politique de province. Tandis, qu’au-dessous de ce vain partage, restreint a un bien plus petit nombre d’individus qu’on ne le pense, la foule des citoyens s’occupe avec ardeur et persévérance du soin d’améliorer sa situation par l’industrie, le commerce ou l’économie ; se plaint du gouvernement dès qu’il y a une circonstance quelconque qui n’est pas favorable ; le rend responsable de la baisse et de la hausse des marchandises et des denrées ; s’aigrit contre lui, même à propos de l’intempérie des saisons ; ne veut être gênée en rien par lui, et veut qu’il réponde de tout ; par imprévoyance et défaut de lumière, ne s’attache pas à l’ordre de choses qui lui est bon, et ne sait d’autre inquiétude que :
« Me fera-t-on porter double bât, double charge ? »
La libre et régulière gestion des affaires locales n’est donc pas une question indifférente aux droits publics, ni restreinte à son objet apparent. L’habitude de traiter avec indépendance les intérêts qui sont à leur portée, de délibérer sur ce que leur vue et leur esprit embrassent facilement, de se réunir et de se concerter pour faire prévaloir une conviction éclairée, donne aux citoyens un caractère de force et de sagesse, les tire de l’isolement et de l’apathie, leur enseigne à connaître et à aimer l’ordre public, et en même temps à ne point trembler docilement devant les hommes revêtus de puissance. Des occupations de cette nature entrent comme élément nécessaire dans les mœurs d’un pays libre. Si la France continuait à n’offrir d’autre constitution sociale qu’un gouvernement et des sujets, on aurait vainement tenté de donner à ce gouvernement des formes de délibération et de liberté, la nation n’en acquerrait ai plus de sécurité, ni plus de dignité. Le moindre changement arrivé dans la région élevée et étroite des pouvoirs politiques, un succès obtenu par surprise, une intrigue qui déplacerait quelques hommes, une sédition qui jetterait l’épouvante, après avoir tout changé au centre, trouveraient un peuple incapable de toute résistance régulière, un servile troupeau qui attend son sort sans savoir y influer, et qui ne connaît que la bassesse ou la révolte. Le gouvernement représentatif posé sur la constitution sociale du bas-empire ne pourrait y prendre racine, ne saurait y fructifier ; il ne serait bientôt plus qu’une forme vaine et mensongère.
De cette espèce d’interdiction générale des citoyens, il résulte que le gouvernement reste chargé d’agir pour tout et pour tous ; et, en conséquence, de couvrir le territoire d’employés exécuteurs de ses ordres. Le pouvoir descend ainsi du souverain aux individus sans autres intermédiaires que ses serviteurs. Rien ne se fait que par commandement et obéissance. C’est ce que les hommes sensés avaient déjà observé autrefois en examinant le régime des intendants. L’autorité y était sans doute plus arbitraire que dans notre administration actuelle ; pourtant elle était moins minutieuse et ne pénétrait pas ainsi dans les moindres veines de la vie sociale.
« Cette institution, disait M. de Boulainvilliers, détruit les liens sacrés de la société, nous réduisant à vivre attentifs à nos seuls intérêts. »
Au contraire, dans une société bien constituée, la volonté et le bon gré des citoyens, non seulement entrent comme éléments dans les lois et la conduite générale de l’état, au moyen d’une délégation fictive ; mais par une combinaison plus réelle encore viennent aider à l’exécution de ces lois, au maintien du bon ordre, à l’amélioration de toutes choses. Le supérieur exerçant une influence libre et bienfaisante sur les inférieurs remplace l’action rude des préposés de l’autorité. Des liens d’affection, de confiance et d’habitude sont substitués a des relations qui ne supposent ni n’entretiennent aucune affection pour le gouvernement. De la sorte on a des magistrats ; aujourd’hui il n’y a que des employés. Qui dit magistrat, suppose l’obéissance à des devoirs fixes, la responsabilité propre ; qui dit employé, suppose l’obéissance à la volonté d’un chef, et l’absence de toute détermination personnelle. En même temps, pour que cette autorité patronale du supérieur puisse garder ce caractère libre, et que la prééminence reste une magistrature et non un avantage individuel, il est nécessaire que les citoyens soient appelés à la créer ou à la confirmer, soit par leurs suffrages, soit par leurs délibérations.
Et ainsi une administration des intérêts locaux instituée sur de telles bases ferait naître et perpétuerait les deux éléments les plus moraux et les plus salutaires qui puissent garantir la liberté d’une nation : l’esprit d’association entre les citoyens, qui est le principe des communes ; et l’emploi des supériorités sociales à l’intérêt général, qui est le seul principe juste et raisonnable de l’aristocratie.
Une loi sur l’administration doit donc se proposer ce double but : le bon ordre dans les affaires, et une meilleure constitution de la société. L’on pourrait dire que le second point est beaucoup plus important que le premier ; mais ils sont si intimement liés, que le meilleur mode d’administration doit être aussi celui qui créera dans la nation le meilleur esprit public et la meilleure hiérarchie sociale. Examinons d’abord quels éléments de hiérarchie offre la France actuelle, et comment ils pourraient être appliqués à l’utilité générale.
Beaucoup d’écrivains ont douté que la constitution féodale ait jamais produit un ordre légal et régulier ; il leur a semblé que le pouvoir absolu du fort sur le faible n’avait pas dû, quoique la raison, l’honneur et la religion le conseillassent, prendre habituellement un caractère paternel et protecteur. Ils n’ont vu dans ce régime qu’une continuation de l’état de conquête mal mitigé par des garanties incertaines, une absence de toute puissance publique, une usurpation continuelle, une véritable barbarie. D’autres, au contraire, ont voulu expliquer comment la constitution d’une nation pouvait consister uniquement dans la classification de ses citoyens, comment ce pouvait être l’unique garantie de l’ordre public. Ils ont comparé la domination féodale à une sorte d’autorité paternelle s’exerçant sur la maison et la famille agrandies ; ils ont montré le mécanisme de tous ces petits états de divers degrés et de diverses sortes qui, se gouvernant par leurs règles intérieures, devaient se réunir, par un lien commun, en une même patrie, feignant ainsi l’idéal de la féodalité, ils l’ont présentée comme une noble période dans l’histoire des sociétés, comme un temps où Inexistence humaine était libre, grande, forte, assujettie par les sentiments et les croyances, et non pas par des obligations imposées par la force publique. Les liens mutuels de dépendance et de protection leur ont semblé d’une nature plus morale que les lois écrites et leur joug universel. Le faible a été par eux comparé à l’enfant qu’on doit, laisser croître avant de le laisser intervenir dans les affaires de la famille.
Quoi qu’il en soit, ce régime ne devait subsister que dans une société peu civilisée. Pour que des hommes puissent se contenter d’une protection variable et arbitraire, pour que leur seule garantie soit l’intérêt bien ou mal calculé de leurs supérieurs, pour qu’ils se tiennent satisfaits des relations du domestique au maître, il faut que leur existence soit encore bien petite et bien restreinte. Le labeur grossier, du paysan pouvait bien s’exercer sous cette domination et y trouver quelque sécurité ; mais le trafic, l’industrie, le savoir, réclament un autre genre de protection, et ont quelque force de plus pour l’exiger. Il fallait donc que les choses se réglassent de manière à ce que la classe sujette pût faire entendre sa voix : la représentation lui fut accordée dans les états du royaume.
Et comme en même temps les relations des citoyens entre eux devenaient plus variées et plus compliquées, comme la société plus heureuse avait besoin que son bien-être fût préservé au-dedans ou au-dehors de trouble et d’attaque, la puissance publique acquérait successivement plus de force et d’action. Elle devenait plus exigeante, elle imposait plus de devoirs aux citoyens ; car les droits des uns sont les devoirs des autres.
La création d’un revenu public, la nécessité de percevoir des impôts fut de toutes les circonstances celle qui hâta le plus l’accroissement du pouvoir royal, et qui établit le plus tôt ses rapports avec le gros de la nation. En effet, lorsqu’on commença à demander d’abord des tributs aux possesseurs féodaux, ils furent si rudes percepteurs des deniers publics, ils taillèrent haut et bas leurs vassaux de telle façon, qu’il en advint les plus sanglantes révoltes qu’on ait jamais vues. Les narrateurs contemporains n’assignent point d’autre cause aux massacres de la Jacquerie.