Des subprimes au populisme - Pascal Morin - E-Book

Des subprimes au populisme E-Book

Pascal Morin

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Beschreibung

La montée des populismes en Europe est une des retombées de la crise des subprimes.

La débâcle des subprimes a exposé les failles de la construction européenne, l’échec de la monnaie unique, la financiarisation à outrance du capitalisme et la paupérisation des classes moyennes et des classes populaires. La montée du populisme en est la conséquence. L’Europe n’a d’autre choix que sa refondation, dans un environnement géopolitique dessiné par les Américains, les Chinois et les Russes, dont elle est progressivement exclue. La position financière de la France est d’une telle précarité que le redressement sera forcément difficile, mais indispensable pour refonder l’Europe.
L’année 2017 engage une décennie clef pour l’Europe : elle marquera soit le renouveau et la reconquête, soit la vassalisation et la disparition dans les oubliettes de l’Histoire.

Un essai très intéressant pour comprendre la situation européenne actuelle et l'enjeu des années à venir.

EXTRAIT

Dans un monde en devenir, quelle sera la place de l’Europe qui manque de vision et s’exclut des grands mouvements géopolitiques par son inaction au-delà des mots, des petites phrases, des grandes et petites lâchetés, des renoncements et des compromissions, et surtout d’une ambition réduite à quelques prés carrés et intérêts particuliers, alors qu’une partie croissante de sa population s’interroge sur la validité d’une construction européenne dont elle ne voit plus l’objectif, conteste le mode de fonctionnement, n’y trouve plus son intérêt ?
Et la France, microcosme de l’Europe, où la dichotomie entre les élites et la population n’a jamais été aussi marquée, où depuis les années quatre-vingt l’aveuglement et le déni de réalité se font une concurrence effrénée, où la consanguinité de la classe dirigeante produit les mêmes effets que la consanguinité biologique, où l’esprit corporatiste a repris une vigueur nouvelle et n’est plus l’apanage du Moyen Âge, où la fameuse « fracture sociale » dénoncée par Jacques Chirac en 1995 s’est non seulement élargie mais s’est également allongée en touchant de nouvelles franges de la population.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Cet essai constitue un excellent outil de réflexion écrit sans tabou et avec hauteur de vue ; c’est aussi un cri d’alarme… - Bernard Attali

À PROPOS DE L'AUTEUR

Pascal Morin, titulaire d’un doctorat en finance de l’Université Paris Dauphine, pratique les marchés financiers depuis le milieu des années quatre-vingt à Londres et en Suisse. Ses activités professionnelles lui ont offert un champ d’observation privilégié des évolutions sociales, économiques et politiques du monde industrialisé.

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Des subprimes au populisme

Pascal Morin

Préface de Bernard Attali

Essais et société

Éditions Glyphe

Chez le même éditeur(collection « Essais et société »)

Georges-Antoine Borel,Pascal Borel.Cerveau et éthique

Alfred Gilder.Le Bêtisier de la République

Aude Siméon.Prof chez les taulards

© Éditions Glyphe. Paris,2017

85,avenue Ledru-Rollin.75012Paris

www.editions-glyphe.com

ISBN978-2-35815-221-1

À Rajaa Mekouar et Jean Brucher pour leurs encouragements et leurs remarques

À Bernard Attali pour ses conseils avisés

Si l’élection d’Emmanuel Macron a quelque peu éclipsé les résultats du premier tour des élections présidentielles, ils ne sont pas anodins, car près de 50 % des suffrages exprimés se portèrent sur des candidats se situant en dehors des partis traditionnels de gouvernement, une première pour la cinquième république. Ils s’inscrivent dans un mouvement général de montée des populismes dans des pays où les peuples prennent de plein fouet la perte de l’avantage civilisationnel qui protégea ­l’Occident, depuis la révolution industrielle, des pays émergents à faible coût de production dans un monde globalisé.

Préface

Bernard Attali

Beaucoup de livres ont déjà été écrits sur la crise financière déclenchée en 2007. Peu ont la force de celui-ci. L’auteur, il est vrai, est un praticien de la finance. Mais il ne suffit pas d’être un bon professionnel pour être à la fois lucide et pédagogue. Pascal Morin analyse avec compé­tence les mécanismes de ce désastre où les hommes ont réussi ce tour de force de s’escroquer eux-mêmes. C’est avec lucidité qu’il en juge les acteurs, les ressorts et les conséquences. C’est aussi avec pédagogie qu’il explique l’enchaînement des faits qui vont des subprimes au Brexit, de l’hubris des traders à l’humeur populiste.

Cet essai constitue un excellent outil de réflexion écrit sans tabou et avec hauteur de vue ; c’est aussi un cri d’alarme qui s’adresse aussi bien aux spécialistes qu’aux profanes.

L’analyse de Pascal Morin est complète, documentée et sévère. Les banques, les États, les marchés et beaucoup de soi-disant experts ont allègrement joué avec le feu avant de se lamenter en chœur une fois l’incendie déclenché. Quant aux économistes ils ont pour l’essentiel réussi à nous démontrer une chose : que leur science n’en était pas une.

L’auteur, lui, s’appuie sur de nombreuses données chiffrées, des exemples concrets, des références précises, politiques, économiques, historiques et des déclarations de nombreux dirigeants politiques, de Philippe Séguin à Jean-Claude Juncker.

Car « la main du marché », sans encadrement public, sans éthique autre qu’ultralibérale, n’est pas seulement invisible mais aveugle, tristement aveugle. Et si l’Europe pourrait, devrait même, être le lieu pertinent d’un sursaut il lui faudrait d’abord retrouver son « indépendance » et repenser totalement ses institutions.

Souvent un travail réussi suggère autant de questions qu’il en résout. C’est le cas ici. Cette crise n’est-elle qu’un accident de l’histoire ou la secousse annonciatrice de nouveaux chocs ? À lire cet ouvrage, on comprend que les causes qui ont déclenché la crise sont encore en place, dangereuses, sournoises et aggravées par la montée des protectionnismes. La cupidité des uns, l’aveuglement des autres empêchent encore la recherche honnête d’un équilibre approprié entre marché et régulation, capitalisme et démocratie, économie et politique. Or une crise qui se répète, dure et se renouvelle encore, n’est plus une crise. C’est une maladie endémique, un dysfonctionnement structurel. Qui en prendra la mesure avant un nouvel accident ? Qui expliquera que les soubresauts financiers, la violence sociale et le gâchis environnemental ne sont pas les variables inévitables de la croissance ?

Gageons que l’auteur saura un jour prochain prolonger cette réflexion et la conduire avec autant de pertinence que dans le présent ouvrage.

Bernard Attali

Conseiller maître à la Cour des comptes Président d’honneur d’Air France

Sommaire

Préface

Introduction

La crise des subprimes : genèse d’une débâcle

Une valse à trois temps : ZIRP, NIRP et QE

La tragédie grecque : un condensé de l’Europe

Imaginer l’impensable : le Brexit

L’intégration européenne : du rêve à l’impotence

Des peuples abandonnés : la révolte des gueux

Le Frexit : état des lieux

2017-2027 : le choix de l’indépendance

Introduction

« La liberté ne peut être sauvegardée qu’en suivant des principes et on la détruit en se servant d’expédients. » Friedrich A. Hayek, Droit, législation et libertéVolume I – Règles et ordre, 1973

Il est des événements qui façonnent l’histoire, et indéniablement la débâcle des subprimes entre dans cette catégorie. C’est un sujet moins technique que la fin des accords de Bretton Woods en 1971, moins émotif que la chute du mur de Berlin en 1989, moins symbolique que la dissolution de l’Union soviétique en 1991, mais beaucoup plus intense dans ses effets. Elle accéléra la montée du populisme en Occident et mit en exergue les déficiences de la construction européenne. L’Europe et la France sont confrontés à des questions existentielles et le combat qui s’ouvre est celui de l’indépendance, dans un monde qui n’attend pas et n’offrira aucune position privilégiée à ceux qui ont trop souvent compté sur les autres pour prendre des décisions à leur place.

Partout, l’édifice craque sous les coups de boutoir du populisme et des élites.

En Occident, depuis une trentaine d’années, les notions de populisme et d’élites ont une connotation quasi systématiquement péjorative pour le camp qui les utilise ; cet ouvrage ne se situe pas sur ce plan et les emploiera donc sous une forme neutre.

Le populisme est un mouvement d’opposition aux classes dirigeantes porté par des partis situés le plus souvent – mais pas exclusivement – aux extrêmes de l’échiquier politique qui défendent un projet de rupture radicale avec l’ordre établi. Il est centré sur la nation et s’appuie sur les populations installées aux périphéries, les plus touchées par les évolutions économiques, sociales et sociétales, ou revendiquant l’historicité de l’identité.

Les élites représentent la partie des leaders d’opinion, largement majoritaire, qui favorisent la globalisation économique et le mondialisme culturel. Généralement, elles invoquent des valeurs humanistes et imposent des interdits moraux pour avancer leur agenda, pratiquent une forme d’entre-soi et une sorte de mépris vis-à-vis des classes populaires et des classes moyennes. Elles proviennent indifféremment des milieux intellectuel, politique, culturel, médiatique, économique.

Les partisans de ces deux courants utilisent abondamment la démagogie.

La crise que subissent les économies occidentales depuis son déclenchement en août 2007, et singulièrement la zone euro, a fait l’objet d’une profusion d’écrits et de commentaires racoleurs, d’informations et de statistiques trop souvent biaisées ou incomplètes. Ainsi, ses causes réelles sont fréquemment éludées par commo­di­té et conformisme, absence d’analyse précise, refus d’introspection, facilité ou bien encore par lâcheté et cynisme – « qualités » largement répandues. Or, il est impossible de répondre à cette crise sans au préalable poser le diagnostic sur ses origines.

L’absence de réglementation préconçue comme allant de pair avec ce que d’aucuns appellent le libéralisme, le néolibéralisme ou encore l’ultralibéralisme – grand amalgame de termes forcément accusateurs –, est toujours présentée comme l’une des principales raisons du naufrage à portée historique que nous traversons ; cette débâcle va bien au-delà d’un simple marasme économique et financier, car l’épreuve est également politique. Il est manifeste que l’État n’a guère relâché son emprise sur le secteur marchand en édictant des lois, des règlements et des normes toujours plus abondants au cours des quarante dernières années, alors que les crises se sont succédé à intervalles de plus en plus fréquents.

Il ne faut pas assimiler le capitalisme financier, qui s’est nourri de la présence de règles complaisantes profitant à une minorité, avec le libéralisme économique qui procède avant tout du rapport étroit entre le risque et la rémunération et donne la liberté à chacun d’entreprendre dans un cadre légal et un environnement favorables ; force est de constater que cette relation non seulement s’est distendue sous la pression de réglementations inadéquates, mal calibrées ou encore contraires à l’efficacité économique et au bien-être social, mais cette déconnexion culmine avec les politiques monétaires exceptionnelles conduites par les banques centrales depuis 2008 et qui déjà génèrent des effets négatifs, que le grand public ne perçoit pas pour le moment, les médias préférant le sensationnalisme, plus vendeur.

Dans les faits, il s’agit surtout d’une crise du surendettement dont les diverses parties prenantes à l’économie – classe politique, grandes entreprises et consommateurs – ont très largement profité, directement ou indirectement. Les réglementations, qui se sont la plupart du temps empilées en un millefeuille indigeste avec des effets contraires aux buts poursuivis, édictées par des États impécunieux et des banques centrales omnipotentes ont indéniablement favorisé ce surendettement ; mais qui n’était pas heureux d’un environnement qui sacrifiait l’avenir au présent :

– des hommes politiques, dirigeants d’États empruntant à volonté et à bon compte pour mener des politiques inefficaces, qui « achetaient » la paix sociale et les prochaines élections en répondant à une succession de revendications corporatistes ou identitaires ;

– des dirigeants de sociétés qui avaient la possibilité de financer facilement l’acquisition de concurrents dans une course sans fin à l’ego avec des logiques industrielles toujours justifiées par leur génie mais aux conséquences trop souvent désastreuses (souvenons-nous de Vivendi, Areva, Alcatel) et dont la variable d’ajustement n’est jamais le prix d’achat mais toujours l’emploi ;

– des consommateurs réduits à l’état de zombies dont le seul objectif se résume à l’achat du dernier modèle de smartphone ou de télévision à écran plat grâce à un crédit facilement accessible, mais ô combien onéreux. Comme le déclarait Patrick Le Lay, PDG de TF 1, au cours d’une interview en juillet 2004 : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible […] ». Et plus il est malléable, plus il est disponible et facile à convaincre.

Cette période se caractérise par une baisse continue de l’inflation, sous l’impulsion de Paul Volcker, Président de la Réserve Fédérale américaine (la FED) de 1979 à 1989 (présidences Carter et Reagan) ; le succès de cette lutte contre l’inflation s’amplifia avec la fin de la guerre froide et la globalisation à marche forcée qui provoqua en Occident un véritable choc déflationniste, en particulier en Europe de l’Ouest. Cet effet déflationniste s’est également alimenté du vieillissement de la population dans le monde développé et d’avancées technologiques majeures. C’est l’époque du surendettement et de la financiarisation de l’économie, véritable révolution antilibérale.

La crise financière dévoila au grand public les déficiences de la construction européenne et tout spécialement celle de la zone euro ; s’y ajoute une crise sociétale au sein des démocraties européennes que les flots de migrants et une classe politique défaillante suscitent. Elle marquera l’histoire comme la période charnière au cours de laquelle l’Europe – et singulièrement la France en son sein – s’est marginalisée, le projet européen telle que nous l’avons connu depuis le Traité de Maastricht ayant finalement accéléré ce phénomène au lieu de le contrecarrer. En l’espace de trente ans la bipolarisation du monde, le marxisme s’opposant au capitalisme, laissa la place à la seule superpuissance américaine à partir de la désintégration de l’Union Soviétique au début des années quatre-vingt-dix, pour graduellement s’effacer devant un monde multipolaire où la conception démocratique de la société s’affronte à celle des totalitarismes, dont certains ont pris la forme d’organisations diffuses qui vouent une haine absolue à l’Occident, Al-Qaïda étant le précurseur et le proto-État de Daesh désormais la figure de proue.

La légitime quête de populations qui souhaitent accéder à un niveau de vie comparable à celui des Occidentaux se traduira inévitablement par des flux migratoires croissants, déstabilisateurs par leur envergure, si aucune stratégie n’est mise en œuvre pour les maîtriser, mouvements amplifiés par la fragilisation d’États issus de la période post-coloniale. En outre, nous observons les prémices d’une confrontation – soft actuellement – pour le contrôle des ressources naturelles dont l’Afrique est déjà un champ d’expérimentation et où la présence croissante des Chinois est inversement proportionnelle à celle des Européens.

Si les mesures extraordinaires mises en place par les banques centrales rétablirent la confiance dans le système financier, les marges de manœuvre qu’elles dégagèrent ne furent mises à profit que par trop peu de pays européens pour se réformer.

Dans un monde en devenir, quelle sera la place de l’Europe qui manque de vision et s’exclut des grands mouvements géopolitiques par son inaction au-delà des mots, des petites phrases, des grandes et petites lâchetés, des renoncements et des compromissions, et surtout d’une ambition réduite à quelques prés carrés et intérêts particuliers, alors qu’une partie croissante de sa population s’interroge sur la validité d’une construction européenne dont elle ne voit plus l’objectif, conteste le mode de fonctionnement, n’y trouve plus son intérêt ?

Et la France, microcosme de l’Europe, où la dichotomie entre les élites et la population n’a jamais été aussi marquée, où depuis les années quatre-vingt l’aveuglement et le déni de réalité se font une concurrence effrénée, où la consanguinité de la classe dirigeante produit les mêmes effets que la consanguinité biologique, où l’esprit corporatiste a repris une vigueur nouvelle et n’est plus l’apanage du Moyen Âge, où la fameuse « fracture sociale » dénoncée par Jacques Chirac en 1995 s’est non seulement élargie mais s’est également allongée en touchant de nouvelles franges de la population.

La crise des subprimes servit de révélateur à toutes ces interrogations, toutes ces évolutions, tous ces mécontentements, d’abord diffus et souterrains, puis s’amplifiant peu à peu pour finalement déferler en une vague puissante : la montée au pouvoir de Syriza en Grèce, le Brexit, l’élection de Donald Trump aux États-Unis, la chute de Matteo Renzi en Italie, sont tous caractéristiques de la jacquerie des citoyens qui rejettent les gouvernants.

Elle expose l’illusion post-soixante-huitarde de la société des loisirs, les quarante années de croissance et de conquêtes sociales à crédit, un capitalisme financier triomphant où l’absence d’éthique s’affiche sans vergogne, un crédit disponible abondant dont les États, les entreprises et les particuliers ont abusé au prix d’un endettement irréfléchi, presque compulsif, que supporteront les générations futures. Cet égoïsme, ou plutôt cet égocentrisme, est insupportable pour qui se préoccupe un minimum de l’avenir de ses enfants et petits-enfants, l’avenir et l’indépendance de notre pays, la France, l’avenir et l’indépendance de l’Europe, notre continent.

Les subprimes, la faillite de la Grèce, la marginalisation de l’Union Européenne (UE), l’effacement graduel de la France marqueront soit la renaissance d’une civilisation deux fois millénaire qui recouvrera son indépendance et son rayonnement, soit son déclassement accéléré dans les oubliettes de l’histoire et sa vassalisation irréversible au consumérisme triomphant ou à tout autre nouveau maître.

Poser le bon diagnostic est une première étape ; proposer des pistes de réflexion pour affronter ces défis, sans détour ni circonlocution, est une nécessité ; l’audace, le courage et la vérité doivent remplacer le conformisme, l’euphémisme, l’attentisme et le lissage de la pensée devenus largement obsolètes et destructeurs. Il est en effet grand temps de laisser la rhétorique de côté car, in fine, seule la matérialité des faits compte. À ce sujet, les propos de Georges Clemenceau à l’endroit du Président américain Woodrow Wilson peuvent être repris à l’égard des élites : « Il[s] plane[nt] au-dessus des faits qui ont l’inconvénient d’être ».

La crise des subprimes : genèse d’une débâcle

Sans vouloir se lancer dans une exégèse des causes de la crise des subprimes ou d’une longue énumération de toutes les parties prenantes dont « l’effort » collectif conduisit à la débâcle de 2007-2008, mentionnons en premier lieu les banques qui firent l’objet d’une très large attention des médias et ont collectivement réglé 370 ­milliards d’euros d’amendes pour l’ensemble de leurs manquements, dont 97 % après des procédures engagées par les autorités américaines (l’Europe est toujours aussi attentiste). Il ne fait aucun doute que leur lobbying aux États-Unis – elles dépensèrent 2,7 milliards de dollars de 1999 à 2008 – contribua à l’élaboration d’un environnement réglementaire bienveillant dont elles profitèrent sans retenue, mais ceci n’exonère en rien les autres participants au désastre.

Cependant, pour bien comprendre la crise des subprimes d’où tout est parti et le rôle du secteur public, donc du pouvoir politique, un rappel historique sur le développement du marché de l’immobilier aux États-Unis s’impose.

La place centrale de l’État fédéral dans son financement et son fonctionnement remonte à la crise de 1929. En effet, le programme engagé par Franklin D. Roosevelt s’articula autour d’un triptyque, composé d’agences publiques et semi-publiques, qui devait assurer le financement des ménages, garantir les créditeurs contre les pertes sur leurs portefeuilles de prêts immobiliers et développer le marché secondaire des crédits hypothécaires afin de soulager le bilan des banques.

De 1932 à 1938, la création de plusieurs institutions devait promouvoir la solidité du système financier en offrant aux banques une source de financement à prix avantageux (Federal Home Loan Banks ou FLH Banks), accroître la masse des crédits immobiliers mis à la disposition des ménages en assurant les prêteurs privés contre le risque de défaut (Federal Housing Administration ou FHA), développer un marché secondaire des crédits immobiliers (Federal National Mortgage Association, FNMA ou Fannie Mae) et donc procurer plus de liquidités aux banques à travers l’achat des prêts assurés par le FHA.

En 1968 l’Administration américaine établit une nouvelle entité – Government National Mortgage Association (GNMA ou Ginnie Mae) – qui assurait, avec le soutien inconditionnel des États-Unis, le paiement des intérêts et du principal des Mortgage-Backed Securities1 (MBS) émis par le biais de ses diverses agences. Cela permit également, et surtout, au Gouvernement américain de sortir le bilan deFannie Mae du budget fédéral qui constituait une part importante de l’endettement des États-Unis au moment où la guerre du Vietnam pesait sur les finances publiques.

En 1970, Ginnie Mae structura et garantit le premier MBS jamais émis : la longue marche de la titrisation débutait et la part des activités financières dans l’économie allait s’accroître dans les décennies qui suivirent. Les institutions financières présentes sur le marché immobilier étaient dès lors à même de transformer des risques individuels en des titres liquides et de grande qualité (ou supposés comme tel) pour les investisseurs puisque disposant de la garantie des États-Unis. Par conséquent, il devenait possible de s’adresser au marché mondial des capitaux pour financer l’immobilier américain qui entrait dans le cadre des programmes de soutien de Washington tout en limitant l’engagement du contribuable américain. Les investisseurs étrangers, les banques européennes en particulier, accrurent leur présence sur ce marché ce qui explique la rapide contagion du krach des subprimes ; au début de 2008 elles en détenaient pour 280 milliards de dollars dans leurs bilans (380 milliards de dollars pour les banques américaines), soit 40 % du total, tandis que le chiffre était négligeable en Asie.

La même année 1970, le Congrès américain ajoutait une nouvelle entité de droit privé concurrente de Fannie Mae avec les mêmes missions de développement du marché secondaire des prêts immobiliers : le Federal Home Loan Mortgage Corporation (FHLM ou Freddie Mac).

Le marché hypothécaire américain s’est donc profondément transformé en près d’un siècle, d’abord dominé par une structure traditionnelle de crédits octroyés par des banques de dépôts qui conservaient le risque sur leur bilan, pour finir en un système centré sur les banques d’affaires qui utilisaient abondamment l’ingénierie financière et l’endettement afin de transformer ces crédits en de nouveaux actifs largement distribués auprès d’investisseurs très divers aussi bien géographiquement qu’institutionnellement. Ainsi le pourcentage des prêts hypothécaires détenus par les banques dans leurs bilans diminua drastiquement entre 1978 et 2008, passant de près de 70 % à moins de 20 %.

Le système élaboré dans les années trente, qui répondait à une situation d’urgence, est depuis devenu un instrument politique dans les mains du Gouvernement à Washington. Si l’interventionnisme étatique pouvait se justifier dans un moment de crise extrême où le marché était figé et la population touchée par une pauvreté galopante, les institutions et les instruments mis en place perdurèrent et se transformèrent devenant toujours plus complexes et difficilement maîtrisables au lieu d’être strictement limités à leur objectif premier. On se rend ainsi bien compte que le marché des prêts hypothécaires aux États-Unis est très largement sous la tutelle de l’État fédéral et que ses intérêts convergeaient avec ceux des banques.

L’interventionnisme étatique ne s’est pas limité à l’organisation du financement du marché de l’immobilier. En effet, afin de favoriser l’accès à la propriété des personnes à revenu modeste, le législateur introduisit en 1977 une loi (le Community Reinvestment Act ou CRA) qui visait à encourager les banques locales à servir leurs communautés (n’oublions pas que le système bancaire américain est très fragmenté avec des milliers de banques locales ou régionales, seuls quelques établissements disposent d’une empreinte nationale). Cette loi et les nombreuses modifications qui suivirent, largement passées sous silence comme facteur explicatif de la crise de 2007-2008, eurent un effet direct sur l’accroissement exponentiel du marché des prêts hypothécaires, la dégradation de la qualité des emprunteurs et la spéculation immobilière.

En outre, l’intervention croissante et centrale de Fannie MaeetFreddie Mac (engagement à financer à hauteur de 1000 milliards de dollars sur ce segment du marché de l’immobilier et financement par emprunt à hauteur de 97 % de la valeur totale du bien !) et la sophistication du mécanisme de titrisation, notamment avec la création des Credit Default Swaps (CDS) par JP Morgan en 19942, provoquèrent un vaste mouvement spéculatif.

Les ménages visés par la loi accrurent leurs emprunts immobiliers de 77 % entre 1993 et 2000, tandis que le secteur résidentiel, tous crédits confondus, passait de 1,5 trillion3 de dollars en 1985 (34 % du PIB) à 10,5 trillions de dollars en 2007 (76 % du PIB) soit une multiplication par sept en deux décennies ou 10 % de progression annuelle (contre 5 % pour le PIB en dollars courants).

La simple lecture de ces montants démontre que le marché de l’immobilier résidentiel s’était emballé au-delà de toute raison : 8,5 millions d’unités changeaient de propriétaire en 2005 pour une valeur de 2,2 trillions de dollars, record historique, deux fois plus que dix ans auparavant.

Dans un contexte de baisse des taux d’intérêt, les investisseurs, toujours à la recherche d’actifs à plus forte rentabilité, se portèrent massivement vers les MBS, en particulier ceux sous-tendus par les subprimes car offrant un meilleur rendement, et firent preuve d’une légèreté coupable. Ces investisseurs n’avaient en fait strictement aucune idée des actifs sous-jacents qu’ils achetaient, et trop souvent ne comprenaient pas les risques réels inhérents aux MBS et autres CDS ou CDO (Collateralized Debt Obligations) – produits structurés complexes ; ils portent donc leur part de responsabilité dans ce désastre. Par ailleurs, leur appétence pour ces actifs encouragea les banques à relâcher les critères de sélection des emprunteurs, que favorisait d’ailleurs la réglementation, pour augmenter les volumes de transaction. Pour leur défense, soulignons qu’ils fondaient leurs décisions d’investissement, et donc la prise de risque, sur des ratings attribués par des agences de notation financière (ANF) qui échouèrent dans leur mission d’analyse de la qualité des crédits.

C’est au milieu des années soixante-dix que la Securities Exchange Commission (SEC), l’autorité américaine de surveillance des marchés financiers, décida de la création d’une liste de firmes accréditées qui ne changea qu’en 2007, trente-cinq ans d’oligopole absolu (90 % de part de marché) pour les trois principales agences – Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch toutes d’origine américaine4 – que les nouveaux entrants n’ont pas réussi à casser. Cette évolution eut des conséquences profondes car on passa d’un modèle où c’était l’investisseur qui rémunérait les agences à un modèle où c’est l’émetteur qui reprenait ce rôle, bien plus rémunérateur ; un conflit d’intérêts évident naissait. Jusqu’en septembre 2009, l’UE resta muette sur leur régulation. Enfin, on remarquera que c’est également le Comité de Bâle qui énonça les critères d’éligibilité des ANF et que plusieurs agences indépendantes qui anticipèrent la baisse de qualité des signatures ne sont pas reconnues par les régulateurs.

Notons de surcroît que Moodys s’éleva contre l’utilisation des ratings à des fins de réglementation, comme le rappelaient Richard Dale et Stephen Thomas5 :

« En utilisant les notes comme instrument de réglementation, le régulateur change fondamentalement la nature de l’activité des agences de notation. Les émetteurs dès lors payent une commission non pour leur faciliter l’accès aux marchés de capitaux mais pour acquérir un statut privilégié pour leurs titres de la part du régulateur. […] Des incitations viciées promeuvent des pratiques agressives de la part des agences de notation qui saperont le régime d’adéquation des fonds propres basé sur de telles notes. »

Fitch s’étonnait également qu’une dette souveraine AAA méritât une meilleure pondération qu’une dette privée de même qualité ; prémonitoire…

Quand le sujet du risque est abordé, on ne peut donc s’empêcher de discuter des accords de Bâle, ville siège de la Banque des règlements internationaux (BRI), émanation des banquiers centraux ; elle héberge le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire6 qui édicte les recommandations prudentielles du secteur financier, recommandations qui sont toujours adoptées par les autorités locales de supervision bancaire. En 1992 un ratio de solvabilité fut introduit pour renforcer la stabilité financière internationale en obligeant les banques à maintenir un niveau minimum de fonds propres de 8 % face à leurs engagements.

Désormais, la gestion dynamique du bilan devenait centrale à l’activité bancaire, puisqu’à chaque actif et à chaque élément hors-bilan correspondait un coût en fonds propres. Ce fut le point de départ d’une part de la financiarisation à outrance de l’économie où seule l’inventivité des rocket scientists était la limite au développement de l’ingénierie financière et d’autre part de la primauté des activités de trading devenues dans de nombreuses banques « le saint des saints », objet de toutes les attentions car très rémunératrices. Le capitalisme financier changea la physionomie de nos sociétés, et en particulier les rapports au travail, les pratiques managériales, les relations entre les entreprises.

Les ratios, dits prudentiels, du Comité de Bâle furent modifiés à plusieurs reprises, notamment après la crise des subprimes, tout en continuant à réserver une allocation de fonds propres nulle aux dettes souveraines notées AAA. Il devenait ainsi tentant de transformer des actifs risqués en actifs « sans risque » AAA grâce à la titrisation. Les années quatre-vingt-dix, c’est aussi l’époque où les banques commerciales se lancèrent massivement dans les activités de banques d’affaires afin de profiter au maximum de cet environnement réglementaire favorable et atteindre leurs objectifs ambitieux de profitabilité.

En fait, les coefficients prudentiels continuaient à se mouvoir dans une logique de modèle économique caractérisé par un très fort effet de levier qui présentait l’avantage, pour les banques et leurs dirigeants, d’améliorer sensiblement le rendement des fonds propres – et donc in fine les bonus et la valeur des stock-options – pour un aléa supplémentaire que l’on croyait maîtrisé, mais en fait beaucoup plus ravageur en cas de retournement du marché ou d’erreur d’appréciation de la volatilité des actifs7. L’effet pervers de cette réglementation fut donc l’augmentation importante de l’endettement des banques sans un accroissement concomitant des fonds propres, autrement dit leur surendettement.

À la lumière de la crise de 2007, les ratios de solvabilité furent relevés pour consolider le bilan des banques et des ratios de liquidité introduits afin de faire face à d’éventuels retraits importants de dépôts. Des discussions continuent­ néanmoins car, contrairement à leurs homologues américains, les Européens trouvent les conditions trop sévères, probablement la conséquence de banques aux bilans toujours dégradés en Europe et d’un lobbying actif.

Les chiffres divergent aujourd’hui sur le montant des capitaux requis pour les banques européennes, mais celui de 150 milliards d’euros semble conservateur si l’on considère les banques italiennes auxquelles il manquerait 40 milliards en face des 360 milliards de créances douteuses.

La crise que nous subissons atteste les disparités entre les systèmes financiers des deux côtés de l’Atlantique ; or, les accords de Bâle proposent un outil de surveillance des risques one size fits all