Disruptives - Jean-Marc Ortéga - E-Book

Disruptives E-Book

Jean-Marc Ortéga

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Beschreibung

Continuellement, dans notre tête, défilent des pensées et se forment de petites histoires éphémères qui affleurent à peine la surface de notre conscience. Déclenchés par un mot entendu, un événement de la vie quotidienne, un visage, une phrase ou un récit surgissent, inattendus, horribles ou tendres, comme une effraction dans le réel. Puis tout s'efface. Ce livre est le partage de ces phénomènes furtifs, ces disruptives, ces petites poésies impromptues qui fissurent ingénument la fine nacre des apparences.

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Seitenzahl: 340

Veröffentlichungsjahr: 2020

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A nos amis poètes de la vie, connus et inconnus, des autres et d’eux-mêmes.

Sommaire

Avant-propos

Réveil

Raccroche !

Suivi

Désolé

Brisé

Artificiel

Epatante

Britannicus

Défense

Vivant !

Cinglé

Les yeux blancs

Mise en garde

Colère

Jeanne

Mon ciel

A l’abri

Les boules

Idiomatiques

Mon père

Dans le corps

Pas mon genre

Éblouie

Habitude

Lévrier

Beauf

Le bus

Rêverie

Un air de famille

Dramaturgie

Poupée maléfique

Pas réveillé

Pressentiment

Poussière

Congeler

Militante

Enserré

Reflets

Sacrifice

Borgne et triste

Maladresse

Remède

Faux semblant

En apparence

Nu

Représentant

Engrenage

Regard

Baignade

Poursuite

Flashback

Education

Circonstances

Contretemps

Pouffe

Météorologique

Virage

À l’envers

Poisson

Solide

Perversion

Perdue

Transgresser

Cris et chuchotements

Sérieux ?

Réponse

Convoitise

Harmonie

Savate blues

Invisible

Le bœuf

Obéir

Fou de…

Dégourdie

Saint

Le lapin

Empathie

Vent

La cravate

Ubiquité

Mimique

Stupidité

Méprise

Le bien et le mal

Bretagne Sud

Sombre

Raisonnement

Cendres

Potes et pots

Les filles

Clignotant

Aider

Impression

Langage

Le passant

Intuition

Respiration

Délivré

Porte

Organisation

Fixation

Perception

Espoir

Allumette

Incomplet

Violence

Performance

Dédicace

Protection

Congruence

Vécu

Lui dire

Maîtresse

Lien

Maladresse

Décalage

Chance

Passe-temps

A l’origine

Erreur

Pragmatisme

Souhait

Choisir !

Le plafond

Commandant

Secret

Restons zen

Présence

Le cil

Étiquettes

Le piège

Les laveries

Inclinaison

Soif

Pas au courant

Patience

Du temps

Punition

Bavardes

La nuit

Furtive

Caché

Pouvoir

Aventure

Electrique

Être

Le vrai est faux

Excitation

Disparition

Visages

L’observant

Nos yeux

The end

Vivre

On tourne

Pointe

Sous la peau

Sentiments

Philo rurale

Désuet

Merci

Au parfum

On se comprend

Réminiscence

Aveu

Assassin

Curiosité

Gagner ou perdre

Sonnette

Les passants

Rimes

Inégal

Interminables

Irrépressible

Le cirque

À l’envers

Tous pourris

Éblouissement

Astuce

Et toi ?

Méfiance

Quiproquo

Doré

Le jeu

La crampe

Projet

Amusement

Fou de joie

Hypothèse

C’est fou

Gris

Miss Mystère

Ordre

Décalages

Noir

Réjoui

À ses côtés

Breton

Confession

Lâcher prise

Compliqué

Féru

Pauvre énervé

Maligne

Passe-muraille

Branches et racines

Rabat-joie

Malentendu

Danger

Imagination

Faux-semblant

Les poètes

Qui m’aime…

Messages

Trop bu

Expérience

Message

Mendiant

Fragilité

Doute

La vraie vie

Mémoire

Le cube

Honte

Baba

Conversation

Le choix

Carrière

Prudence

Renversante

Comme si

Je me soigne

Le lien

Terreur

Simplement

Allusion

Voter

L’éclipse

Incarnation

Dieu

Résignation

Une phrase

Compassion

Admiration

Cumul

Plus tard

Monsieur et Madame de…

Doute

Candide

L’ennui

Amazonie

Hésitation

Contre-indications

Talisman

Traces

Du Japon

Maison-mère

Bizarre

Combat

Autophilie

L’étranger

Le mort

Inclinaison

Rencontre

Pointu

Ne pas faire

Tiraillé

La star

Malhonnête

Gobé

Taxilogique

Trop court

Fleur

Pire

Les mots

Sublimation

Bon sens

Résumé

Subterfuge

Jumeaux

Raisonnement

Perché

Apôtres

Parler

La horde

Les ongles

Étonnant

Suspendu

Méditante

Grammaire

Fiction

Bistrot

Bête

Difficile

Les mots

De biais

Agaa

Prénombres

Culpabilité

Romantique

Synchro

Bas le masque

Hausse

Raccourci

Mal à propos

Ping-pong

Grande sagesse

Dialecte

Belle à croquer

Banalités

Ambivalence

Chercher l’erreur

Coïncidence

Stratagème

Médication

Horizon

Anti-ennui

Préférence

Généreuse

Moderne

Petit

Équilibre

Témoignage

L’inversé

Mésentente

Baratineur

L’insupportable

Épinglé

Quoi, ma mère !

Rapide

Les desséchés

Illusions

Solution

La mutée

À distance

Rupture poétique

Speak English

Logique

Faux espoir

Réseaux

Louche

Drame

Raccourci

Anomalies

Les contraintes

Imagine

Gore

Incompréhension

Zéro

Imprimés

Presque sec

Mélange

Contact

Véhémence

Partagé

Guimauve

Poème

L’excellence

Couleur

Pari

Maladresse

Cible

Diktat

Nocturne

Blague

Attente

Ça rime

Médor

Futilités

Philo

Compliment

Endiguer

Tendre violence

Le plan

L’événement

À contre-emploi

Existentiel

Le froid

Où ?

Dilemme

Tradition

Whisky

Agitées

Anomalie

À cran

Mentir

Inaccessible

Décoratrice

Baiser volé

Obsédé

Campagnard

Pleureuses

Fissuré

Brisée

Intimité

Mouillé

Naturel

Spiritualisation

Affection

Drapeaux

La patronne

Politique

Reproches

Cigarette

Pipi

Le geste

Manière

La nature

Perceptions

Soirée coquine

Méduse

Ombre et lumière

Humour

Méditation

Tranquille

Pouffe et Bimbo

Monde parallèle

Ruse

Buées

Fusion

Baume

Dans la montagne

Les grands principes

Tenir

Avec amour

Chaussures neuves

Destin

Vie et mort

Erreur

Les mers

Caractère

Scandale urbain

Malheureuse

Divisé

Antisystème

Fantasme

Loto

Magazine

Rottweiler

Bricolage

Déchiré

Mon lit

Omniscient

Envoûtement

Étonnement

Cauchemar

Escapade

Dieu

Logique

La beauté

Le cadeau

Mourir

Chaud et froid

Les spécialistes

Les ascètes

Parler

Les crochets

Délire

Maîtriser

Mélancolie

Télé - fenêtre

La lettre

Plausibilité

Karma

Les éléphants

Bulot

Mal au cœur

Décalage

Faraday

Fleurette

Empreinte

Mal fait

Ascenseur

Soit précise

En latin

Serviable

Fripé

Morte

Névrosé

Multilingue

Mon âme

Cabane

Lui demander

Bâtons rompus

De nuit

Progrès

Covoiturage

Timide

Expressions

Démodé

Malchance

Géniale

L’ennui

Printemps mensonger

Trauma

Discussion

Le temps

Concours

Le chacal

Pédagogie

Joute

Dans la tombe

Bonne nouvelle

Bonne soirée

Balade

Mobilier

Tranquille

Éducation

Étrange

Renoncement

Loïc

Soirée chic

Le plafond

Paroles

Sigles

Être proche

Malin

Pizza

Bigrement

Clic-clic

Le président

Différence

Terrorisé

Balance

Orientation

Fétiche

Perdu

Naturelle

Délicatesses assassines

Le comptage

Mon chien

Les filles

Changé

Parano

Patience

Bionique

Culture

Libre

Cassé

Du passé

Mon ado

Différents

Vitesse

Troublé

Technique

Aventures

La comète

Se comprendre

J’adore

Battle

Le premier matin

C’est personnel

Trip

Tout ça

Je te vois

Vieille ado

Écouter

Grain

Tiraillé

Exécution

Machisme

Cloche

Apparences

Végétarien

Liaisons dangereuses

Sérieux ?

Offrande funèbre

Surnom

Immolation

Soupir

Exposition

Prédation

Le grand saut

Grâce

En retard

Passionné

Survie

Tout va bien

Un film

Bien rangée

Pub

Rédemption

Précoce

Horoscope

Tu t’en fiches

La reine

Irresponsable

Approximative

Bescherelle

Chien mouillé

Moi non plus

Se comprendre

Volatiles volutes

Taoïsme

Les maux

Invisible

Courrier intime

Féline

Le jeu

S’adapter

Les mains

À contrecœur

Préférence

Félicités

Épictète

Les yeux fermés

Trop

Futée

Pipelette

Pensées croisées

Là, c’est moi

C’est toi !

Aimable

Difficile

Provoc

Le devin

Réveillon

Optimiste

Maléfice

Retrouvailles

Boule à neige

Amoureux

S’embrasser

Charade

Rébellion

Evidence

Préjugé

Jalousie

Méchante

Coup de gueule

Je suis là

Désobéir

Astuce

Plan drague

Volatile

Chaleur

Zappé

Illumination

Trop

Aïe !

Troubles

Embrasser

Comment dire

Politesse

Flag

Avant-propos

Ça arrive par accident. A un moment, la lumière change et apparaît une autre manière d’être, de penser, de parler ou d’agir. À travers de petites fêlures dans le vernis du quotidien, une lumière étroite éclaire spontanément et autrement « le fonctionnement des choses », comme disait le sage Lao Tseu.

Continuellement, dans notre tête, défilent des pensées et se forment de petites histoires éphémères qui affleurent à peine la surface de notre conscience. Déclenchés par un mot entendu, un événement quelconque de la vie quotidienne, un visage… à la seconde même, des mots surgissent, inattendus, horribles ou tendres… J’ai nommé ces phénomènes : disruptives car ils font rupture, irruption. Parfois, ils apparaissent d’un bloc, d’autres fois il faut tirer le fil de soie délicatement pour qu’il conduise à l’ensemble du récit.

Ces choses-là sont étranges, tellement inhabituelles et parfois choquantes, que la tendance pourrait être de les refouler immédiatement (ce que nous faisons habituellement). J’ai fait le choix de les considérer.

Il a été important pour moi de laisser apparaître et se manifester ces phénomènes, sans jugement, sans censure, sans peur du ridicule.

Simplement, oser les laisser être tels qu’ils sont.

Je ne cherche pas toute la journée à les saisir, je laisse simplement, quelque part en moi, une petite fenêtre ouverte sur cette possibilité.

Du coup, je vois et j’entends. Je me suis beaucoup amusé à collectionner ces poésies incongrues, furtives, éphémères, dans le carnet que je consacre à mes élucubrations.

J’ai aimé observer ces mailles sautées dans le tissu des circonstances, en ressentir l’audacieuse poésie, et admiré comment, subtilement, ces petites disruptives arrive à fissurer la fine nacre des apparences...

Et derrière les apparences, quel monde !

Jean-Marc Ortéga

Réveil

Elle m’a réveillé juste au moment où elle m’embrassait.

Non, pas elle.

Elle.

Raccroche !

Téléphone. Je l’entends me dire : non, en fait tu sais : ce n’est plus possible…

Je raccroche précipitamment avant que la douleur n’atteigne mon cœur.

Suivi

Je sors de l’épicerie, il est derrière moi. Je suis un peu mal à l’aise.

Je rentre dans la boulangerie, il rentre aussi. Je m’inquiète.

Quand je vais à la pharmacie, il est encore derrière moi.

Là, je commence à flipper.

Et, quand je rentre chez moi, il est là, juste derrière moi !

Finalement, je me retourne et lui dis :

— Il se passe quoi là ?

Et stupéfait, je l’entends effrontément me répondre :

— Ben, rien papa.

Désolé

— Je suis désolé. Vraiment, je suis tellement désolé. Comment je peux m’améliorer ?

— Tue-toi.

Brisé

Je vis avec un cœur brisé.

Tiens, ma montre aussi s’est arrêtée.

Artificiel

— Ah, vous avez des fleurs artificielles. Elles sont moches, me dit-elle d’un air pincé, tout en laissant échapper une sorte de soupir désespéré. Voyez, si mon manteau était en fourrure artificielle, il serait moche. Heureusement c’est de l’animal ! Du vrai.

— Elles ne sont pas moches ces fleurs. Elles sont très belles mais, si je vous comprends bien, c’est l’idée de ce qui est artificiel qui vous semble moche. Vous me dîtes : c’est moche parce que ce n’est pas naturel.

— Exactement, cher Monsieur. Quel manque de goût ! C’est moche à mourir, me répond-elle avec une petite voix haut perchée et une moue de dédain.

— En fait, si j’ose une comparaison : vous, par exemple, vous ne parlez pas de manière naturelle mais d’une manière sophistiquée et maniérée. Je ne dirais pas pour autant que vous êtes moche. Je dirais que vous êtes artificielle… Ce qui, par ailleurs, ne vous empêcherait pas d’être moche… Éventuellement, bien sûr.

Offusquée, nez et menton levés, elle s’enfuit précipitamment.

Artificielle, moche… les gens confondent tout !

Epatante

Quand elle pleure, elle ne fait pas semblant !

Elle est toute rouge, il y a de la morve qui coule de son nez, elle bave…

Moi qui suis timide, je la trouve vraiment très forte, épatante, cette fille !

Oui, vraiment.

Britannicus

— Britannicus : Excité d'un désir curieux, cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux, triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes, qui brillaient au travers des flambeaux et des armes, belle, sans ornement, dans le simple appareil, d'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil. Qu’est-ce que tu dis de ça ?

— Pas mieux.

Défense

Elle lit ma lettre de rupture.

Je vois son visage lisse et angélique se crisper, se durcir comme pour

empêcher la douleur d’apparaître, de l’envahir et de la dissoudre.

Elle me dit d’un ton dur et cassant :

— Il y a des fautes d’orthographe. Tu aurais pu t’appliquer !

Elle a raison, c’est mieux d’être cassante que cassée.

Vivant !

Je pointe un doigt vers les légumes fanés, en prenant à témoin la vendeuse :

Mort.

Je pose le doigt sur ma poitrine : Vivant.

Cinglé

Le vent fouette et cingle mon visage.

Ça me donne un drôle d’air : l’air d’un cinglé.

Les yeux blancs

Balade romantique, en barque, sur le lac.

Fébrilité. L’émotion de sa présence… je fais une fausse manœuvre et la barque chavire. Nous tombons tous les deux dans l’eau froide.

Je suis émerveillé car c’est dans ces moments-là qu’elle exprime le plus sa beauté.

Ses yeux sont bleus habituellement, mais le choc glacé de la chute ne laisse entrevoir de ses yeux que du blanc. De beaux yeux blancs.

C’est vrai, qu’habituellement, les yeux blancs révulsés ça fait film d’horreur.

Mais, chez elle, c’est charmant. Ça fait mariage…

Et, aussitôt, je nous imagine à l’église : robe blanche, dragées blanches, riz blanc… et les yeux blancs de la mariée.

Mise en garde

La boulangère te sourit.

Regarde-la bien.

Peut-être un jour elle te haïra et essaiera de te tuer.

Colère

Je l’ai attendu. Elle n’est pas venue.

Une heure.

J’étais triste.

Alors, j’ai attendu encore une heure de plus pour que la colère arrive :

— Me faire ça à moi ! Mais, pour qui elle se prend cette espèce de…, cette petite prétentieuse !

J’ai un peu honte, mais c’est ça ou je m’effondre.

Jeanne

— Dieu m’est apparu, et m’a ordonné de manger la dernière part du gâteau.

— Tu veux rire ?

— Non, je t’assure. Je n’avais pas faim et je n’aime pas spécialement ce gâteau. Mais, voilà quoi : j’ai entendu Sa voix…

— Arrête tes salades, Jeanne !

Mon ciel

Je baisse les yeux. Je n’ai rien dont je puisse être fier…

Je lève les yeux… Si, j’ai le ciel !

A l’abri

Quand je sens sa main, bien à l’abri dans la mienne, j’ai l’impression de faire partie de la grande famille de la nature.

Comme les fleurs fragiles s’abritent du vent sous le couvert des bosquets.

Comme l’arbuste naissant se met dans l’ombre du grand chêne.

Comme l’oisillon insouciant s’élance et tombe du nid sachant sa mère en garde-fou…

Sa main dans la mienne.

Ma main dans la sienne.

Dans les belles mains de la nature.

Les boules

Je n’ai jamais été très fort aux boules.

— Tu pointes, ou tu tires ?

— Je pire.

Idiomatiques

— Tu as l’air de mauvais poil, ce matin, peut-être n’as-tu pas les yeux en face des trous, me dit mon prof d’anglais qui rajoute perfidement : quand tu connaîtras les expressions idiomatiques, les expressions populaires, familières, tu pratiqueras vraiment un langage vivant.

Je lui réponds : tu veux dire comme : rouler à tombeau ouvert ? Ou bien : casser sa pipe, être six pieds sous terre, entre quatre planches, avaler son bulletin de naissance, passer l'arme à gauche, être emporté par la faucheuse, bouffer les pissenlits par la racine ? C’est vivant ça ? !

Interloqué, il me regarde les yeux ronds.

J’enfonce le clou : relax man, I’m just pulling your leg ! (C’est juste une blague)

Non, mais !

Mon père

Je n’ai jamais quitté la chambre d’hôpital où mon père est mort.

Je lui tiens la main. Il y meure, j’y demeure. C’est là que je suis.

Parfois je rentre dans la salle de bain, je commence à me raser, et je me dis : qu’est-ce que je fais la ?

Dans le corps

Quand je la prends dans mes bras, je sens son corps doux et chaud, lové contre moi…

Quand je pense à son corps, en fait, j’exclus les poumons, le foie, l’estomac, les intestins, la vessie… et tout le reste.

Et pourtant c’est aussi elle tout ça.

C’est étrange.

Pas mon genre

Pot de fin d’année au boulot. Je la vois au centre de la pièce. Rayonnante. Elle a de longs cheveux blond vénitien servant d’écrin à un doux visage au délicat ovale, des yeux en amande vert émeraude, une fine bouche mutine qui attire le baiser, un long cou gracile maintenu comme suspendu par un port de tête altier et un décolleté prometteur… Elle susurre d’une voix séraphine des mots chantants, les semant à la volée sur un troupeau d’étalons, affublés de sourires niais, qui l’entourent en la dévorant des yeux. Bref, ce type de femme est le contraire de mon idéal. Oh, que je ne supporte pas ce genre de frimeuse arrogante, ces soi-disant femmes-fatales !

Je me demande juste pourquoi j’ai chaud et que je ne peux détacher mon regard de cette détestable créature.

Éblouie

Soirée festive entre copines et copains, copines et copains de copains et copines. Parmi les invités il y a un prototype de dragueur.

Je l’ai sans doute repéré grâce à sa veste brillante et rutilante comme une boule à facettes de boîtes de nuit. Bien évidemment, il se dirige vers Anaëlle, ma petite amie, sans doute parce qu’elle est timide et discrète.

C’est stéréotaxique : ça s’emboîte, comme le prédateur et sa proie.

Aussitôt à sa portée, il lui balance un regard intensément lumineux et perçant, genre plein phares dans le brouillard. Elle semble éblouie. Il enchaîne en lui disant : enchanté, Mademoiselle, en allumant son sourire composé de dents étincelantes.

Assistant à la parade, je compatis en me disant qu’il n’a pas de chance, il ne la connaît pas : Anaëlle a une peau très blanche, fragile et des prunelles bleutées presque transparentes. Elle ne supporte pas la lumière, ni le soleil, s’équipe toujours d’une ombrelle pour sortir et porte de ravissants chapeaux… sans parler de ce genre d’homme.

En détresse, elle me regarde en plissant des yeux douloureusement…

J’accuse réception de sa demande en la gratifiant d’une tendre œillade complice et je lui passe mes lunettes de soleil.

Habitude

— Pute borgne, fait chier, bordel de merde !

— Tu n’as pas l’air content ?

— Bah non. Je te dis : pute borgne, fait chier, bordel de merde, c’est clair ça, non ! ?

— Attends, j’ai un peu de mal avec la grossièreté. Tu veux dire quoi exactement ?

— Je veux dire que c’est casse-pieds qu’il n’y ait pas de parmesan pour manger les pâtes.

— Ah d’accord, je comprends mieux. Mais pourquoi t’exprimer si grossièrement ?

— Parce que ça fait chier, bordel de merde… Non ? !

Lévrier

Quand je l’ai rencontré, il m’a fait penser à un Lévrier Afghan, racé, élégant, presque hautain…

Même si j’imagine mal un Lévrier Afghan avec une grosse chaîne en or autour du cou et une gourmette à son nom : Roger.

Beauf

Le beauf postillonne au bistrot : gouvernement pourri ! Tous des incapables !

Ils nous étouffent avec leurs impôts !

Soudain, le petit rouge passe de travers, le beauf devient tout rouge à son tour, s’étrangle et tombe raide-mort.

Encore un que le gouvernement n’aura pas.

Le bus

J’attends le bus 147.

Furtif, le 146 est passé.

Le 148 passe lentement sous mon nez, en me narguant.

Bon sang !

Rêverie

— Je fais beaucoup de rêves en ce moment. C’est agréable.

— Moi aussi, je rêve beaucoup et en plus je pratique le rêve éveillé. Tu connais ?

— Non, c’est quoi ?

— C’est comme une rêverie. Tu vis des aventures en utilisant ton imagination.

Moi je recherche des sensations fortes. Très fortes.

Par exemple, cette nuit je me suis imaginé sauter du haut d’une tour à La Défense, avant-hier c’était du haut des falaises d’Étretat. Et là, je plonge et je me laisse planer. C’est une sensation inouïe. Je tombe à pic à une vitesse extraordinaire. J’ai des difficultés à respirer. J’ai le cœur qui panique dans ma poitrine en cognant contre les parois comme pour sortir d’un piège ! J’ai les yeux qui pleurent, je suis grisé par la vitesse. Un super shoot d’adrénaline…

— Mais c’est un cauchemar ton truc, parce qu’à la fin tu t’écrases, non ?

— Non, parce que j’ai mis au point une astuce.

En fait, au début de mon rêve éveillé, je m’imagine dans une salle de cinéma, assis dans un fauteuil, et je me vois sur l’écran me jeter du haut de la falaise ou de la tour, puis planer, foncer vers le sol… et au moment le plus délicat, celui du crash : coupure de courant ! Ou bien c’est le machiniste dans sa salle de projection qui a cassé le film… ou bien je reçois un SMS qui m’informe que ma mère est morte et que je dois quitter le cinéma d’urgence… Alors, bien sûr je ressens une petite frustration, mais c’est beaucoup moins dramatique que la désintégration, la pulvérisation, la bouillie finale. Astucieux, non ?

Un air de famille

Ma mère farfouille dans le frigo en quête du dîner, ma sœur sert l’apéro et mon frère allume la télé…

On se croirait en famille.

C’est dingue !

Dramaturgie

— Tu sais ce qui m’est arrivé ? Déjà, je ne sais pas pourquoi, mais je rentre à la maison avec un sombre pressentiment.

Je l’appelle. Elle ne répond pas. Un silence inquiétant règne entre les murs. Pris de panique, je fonce dans toutes les pièces de l’appartement et j’ouvre chaque porte, une à une, à la volée.

Rien. Aucune trace d’elle. Alors, désespéré, je reviens dans le séjour et là… mon regard tombe sur un petit mot posé près du téléphone…

En tremblant, je déplie le papier. C’est son écriture. C’est elle, avec ses jolies courbes (l’écriture) et son encre bleue. Au travers des larmes, je lis : je suis partie…

Là je m’effondre. Mon cœur rate un battement, puis deux battements, puis trois battements…

— Je peux te dire quelque chose ?

— Euh oui. Quoi ?

— Nous sommes bien inscrits tous les deux au cours de dramaturgie, n’est-ce pas ? Alors je te rappelle simplement que pour obtenir une forte intensité dramatique, il est important de respecter la règle numéro trois, c’est-à-dire : un seul événement inattendu et hors du commun dans une séquence. Or là, il n’y en a pas un mais deux.

— Ah bon ?

— Tout à fait. Premièrement, tu habites un simple studio. Alors à part ouvrir la porte d’entrée à la volée, c’est à peu près tout ce que tu peux faire. Deuxièmement, sur le mot laissé par Alice il est écrit : je suis partie… faire des courses.

— A oui… faire des courses. J’avais oublié.

Poupée maléfique

Elle se tient devant moi toute mignonne, une petite fille-poupée ou une poupée-petite fille, je n’arrive pas à savoir.

Je ne le saurais que lorsqu’elle aura parlé et bougé.

— Bonjour petite. Tu es qui ?

— Je suis ton pire cauchemar, me dit-elle, la voix caverneuse et les yeux devenus d’un noir profond, comme enfoncés profondément dans ses orbites.

Je lui réponds, le souffle court, en tremblant comme une feuille et en bégayant :

— Pourquoi tu me dis ça ?

— Mais tu sais parfaitement pourquoi, ignoble créature…

Cherche dans ton passé et tu vas trouver l’acte abominable que tu as commis avec une incommensurable cruauté…

Et aujourd’hui écoute-moi bien : tu vas le regretter, crois-moi. Je t’en fais le serment sur la tête du Seigneur des ténèbres !

— Mais je ne vois vraiment pas de quoi vous parlez, Madame, bafouillais-je au bord de la suffocation, complètement paniquée…, euh Mademoiselle…, non euh, pardon : petite…

— Stop ! Maintenant c’est l’heure de régler les comptes et de payer.

Ton cauchemar est là, devant toi, et c’est maintenant que tu vas souffrir, me dit-elle d’une voix rauque et coupante comme une lame de rasoir.

Je me mets à trembler de plus en plus fort, mon corps est traversé de violentes secousses, mes yeux sont révulsés, mes cheveux dressés sur la tête, mes oreilles bourdonnent et mes yeux sont brouillés de larmes acides… Et c’est à travers ce brouillard douloureux que j’entends, d’abord faiblement puis c’est presque assourdissant, la petite fille éclater de rire et dire :

— Eh Monsieur, je rigole !

C’était pour rire.

Je m’entraîne à jouer la méchante pour le spectacle de fin d’année à l’école. Merci de m’avoir écouté et surtout d’avoir joué le jeu.

Merci beaucoup Monsieur. Bonne journée.

— Euh, bonne journée… à ton service… bon spectacle…

Dès qu’elle est partie, je m’évanouis.

Pas réveillé

— C’est peut-être un peu tôt pour toi. Tu es sûr que tu es prêt ?

— Carrément.

— Tu ne veux pas prendre encore une petite heure, histoire de te déplisser, de te défroisser le visage. Peut-être qu’un deuxième œil pourrait même s’ouvrir et que ta voix ne fera plus ce petit bruit de papier de verre si désagréable ? Peut-être même que tes cheveux en bataille pourraient faire une trêve genre : le repos du guerrier, et se reposer, se poser à plat gentiment sur ton crâne ?

— Non, ça ira. J’assure.

— Bon, eh bien si tu te sens prêt, on va pouvoir aller bosser mon cher binôme. Juste un petit détail : tu pourrais enlever ton pyjama à rayures et remettre ta tenue de policier s’il te plaît, parce que tu sais les gens sont un peu conformistes.

— Ah oui, merci. Je ne m’en étais pas rendu compte.

— Et encore une petite chose : avant d’aller faire la patrouille, tu laisses ton doudou au commissariat.

Pressentiment

Je suis sur ma terrasse, et soudain j’ai un sombre pressentiment.

Deux minutes plus tard, le soleil se couche et le soir tombe brutalement.

Je le sentais.

Poussière

— Pourquoi tu pleures ?

— Je ne pleure pas, j’ai une poussière dans l’œil.

— Ah, ça doit être une poussière triste alors.

Congeler

On a retrouvé des mammouths préhistoriques congelés dans la banquise depuis des millions d’années.

Il y a aussi des gens, plutôt riches, qui veulent se faire congeler pour être réanimés dans le futur.

Je me demande, bizarrement, si un con gelé reste un con même quand il est dégelé ?

Militante

— Il est sympa, il est sympa... C’est toi qui le dis, mais il ne faudra pas qu’on s’étonne si un jour on le découvre, ficelé et rôti, avec une pomme dans la bouche tel un petit porcelet prêt à être consommé !

— Tu ne serais pas une activiste anti-chasse toi ?

À son petit sourire, je vois que j’ai visé plutôt juste. Elle enchaîne, jubilante et provocante : on ne sera pas non plus surpris si on le retrouve, un beau matin, enduit de saindoux, badigeonné de marinade, l’intérieur farci de piments et de feuilles de laurier, avec une carotte dans le derrière, du persil dans les oreilles et…

— Eh oh, ça va là, j’ai compris. Je te rappelle que ce soir on va dîner chez mon père qui, effectivement, est chasseur. Alors tes histoires de cochon de lait-chasseur, si tu veux bien te les garder pour toi, au moins pendant le temps du repas, ça serait sympa. Merci d’avance.

J’aime le côté militant, exaltée de ma douce… enfin ma douce ?

Enserré

Elle me tourne le dos. Furieuse ou triste, je n’arrive pas à le savoir.

Je l’ai déçue. Je suis si triste. Ça me fait mal.

Un cercle de fer enserre ma poitrine.

Reflets

Salle de bains. Face à mon miroir, je tire la langue. Aussitôt, mon reflet me tire la langue. Je cligne des yeux. Mon reflet cligne des yeux à son tour. Je fais une grimace de singe, mon reflet fait la même grimace de singe. Il me singe.

L’autre matin, c’est mon reflet qui a commencé : il tire ses oreilles vers le haut et la langue vers le bas. Je le mime. Mon reflet ouvre la bouche démesurément, comme pour le cri d’horreur muet de Munch. Je fais pareil.

Parfois c’est moi, parfois c’est lui, je ne sais plus qui prend l’initiative.

Qui singe qui ? C’est mystérieux, n’est-ce pas ?

La plupart des gens ne font pas attention à ces petits détails : qui commence, qui a l’initiative… le matin, face au miroir de nos salles de bain.

À mon avis, les gens sont peu attentifs à ce qui se passe autour d’eux. C’est triste. Ils passent à côté. Ce n’est pas avec une façon de vivre métro-boulot-dodo qu’on va arriver à résoudre cette question. Réveillez-vous, bon sang !

Sacrifice

Dimanche matin, la télé est allumée, c’est la messe. Je joue du Marilyn Manson à la guitare. Une pensée me vient : l'Eglise de Satan ne l’a-t-elle pas évoqué comme l’un de ses ministres ordonnés ? Soudain, j’ai peur d’être excommunié. En sifflotant, l’air de rien, je sacrifie Marilyn et range ma guitare. Je me compose une tête d’ange en me concentrant sur la messe. Ça tombe bien c’est le moment de l’eucharistie, le sacrifice rédempteur de Jésus… Nous nous sommes tous les deux sacrifiés !

Borgne et triste

Je m'interroge. Un unijambiste court moins vite qu'un bipède. Un vieux lion édenté mange moins vite l’antilope qu’un jeune lion qui a les crocs.

Est-ce que le borgne, qui n'a qu'un œil, pleure deux fois moins... ?

Est-il deux fois moins triste ?

Maladresse

Les jardins du Luxembourg.

On se balade gentiment quand, soudain, je reste en arrêt devant un tas de feuilles mortes. Ébahi. Émerveillé.

Mon amie me dit : j’ai remarqué dans la vie que certaines personnes ont les yeux qui brillent devant des rivières de diamants, un ticket gagnant du loto, une Ferrari, une jolie fille ou un bel étalon (c’est selon) … et puis il y a toi, dont les yeux brillent devant un tas de vieilles feuilles mortes toutes pourries. Tu m’expliques ?

— C’est évident. Regarde ce tas de feuilles : il n’a ni forme particulière, ni couleur définie. Il est à moitié écroulé, à moitié défait et dispersé par le vent, piétiné par les promeneurs, repoussé, rejeté au pied d’un arbre par un balayeur fatigué… et pourtant il est magnifique.

C’est un tas de feuilles magnifique ! Simple, imparfait, il ne recherche rien d’autre qu’à exister, seconde après seconde, dans l’instant présent.

Il ne souhaite qu’une seule chose : être ce qu’il est, comme tu le dis : un tas de vieilles feuilles mortes toutes pourries.

Et ça c’est sa beauté !

— Ah bon, c’est une drôle de manière de voir.

— Tu trouves ? Pourtant, si je ne me trompe pas, il y a un petit tas de feuilles regroupées en vieux livres sur ta table de nuit du genre : Oser être soi, Le courage d’être soi et, sur le dessus de la pile, ton petit dernier : Être soi dans l'instant présent, de Eckhart Tolle et Deepak Chopra…

On se comprend ? Tu vois le rapport : vieux tas de feuilles pourries / Élisabeth ? Élisabeth / vieux tas de feuilles pourries ?

Elle me lance un regard outré, me tourne le dos puis part en soufflant rageusement et en martelant le tapis de feuilles mortes.

— Élisabeth… J’ai dit quelque chose qui… ? Élisabeth… Élisabeth…

Remède

Mon cœur est brisé. Le scotch est mon remède.

Douze ans d’âge.

Faux semblant

Je le hache en petits morceaux, et je tire la chasse d’eau.

Je lui dis : salut, content de voir.

Il me dit : tu as l’air bizarre ?

Je lui replie les jambes en chien de fusil, la tête bien rentrée dans les épaules, bien enfoncée, les bras ficelés, je réussis à le caser dans le four. Thermostat 280.

— Ah, tu trouves ? Par contre, toi tu as super bonne mine !

En apparence

— Tu sais ce que c’est qu’un Giáo su ?

— Non, pas du tout.

— Et une Phòng tam, tu connais ?

— Aucune idée, je vois pas du tout de quoi tu parles.

— Tu n’es pas Vietnamien ?

— Ben non. Pourquoi, j’en ai l’air ?

— Non. Mais je sens que tu es Vietnamien. J’en ai eu tout de suite l’intuition dès que je t’ai vu. Tu sais ce n’est pas parce qu’on n’a pas l’air de ceci ou de cela qu’on ne l’est pas.

— Ah bon, c’est une drôle d’idée.

— Par exemple, regarde-moi : j’ai l’air de quoi ?

— Honnêtement ? Je trouve là que tu as l’air stupide et complètement barré.

— Exactement ! Tu vois : toi aussi tu ne te laisses pas berner par les apparences. Tu es très intuitif, tu sens bien les choses. Bravo !

Nu

Nu, je me sens libre.

Nu, dans mes habits.

Représentant

Je travaille comme représentant.

À ce titre, je représente.

Je me présente : représentant.

Qui suis-je ?

Engrenage

— J’en ai marre, je vais prendre l’air.

— Mais, tu as vu qu’elle air tu prends quand tu me dis ça ? !

— Je dis juste : je vais faire un tour.

— Alors là, je ne sais pas quel tour tu me fais, mais je n’aime pas ça du tout !

— Bon, tu me lâches là, j’ai besoin de souffler deux minutes.

— Mais c’est moi qui suis soufflée ! Et c’est toi qui me lâches et qui te barres, comme un lâche !

— Je veux juste voir clair.

— Mais, je vois clair dans ton jeu !

— J’ai l’impression de tourner en rond.

— C’est une fausse impression : c’est juste que c’est toi qui ne tournes pas rond ! … Et c’est moi qui en ai marre… et qui vais prendre l’air…

— Mais tu as vu qu’elle air tu prends quand tu me dis ça ? !

— Je dis juste : je vais faire un tour.

— Alors là, je ne sais pas quel tour tu me fais, mais je n’aime pas ça du tout !

— Bon, tu me lâches là, j’ai besoin de souffler deux minutes.

— Mais, c’est moi qui suis soufflé ! …

Regard

D’une chiquenaude l’homme balance son mégot à mes pieds.

Je le regarde comme si c’était un animal abattu.

Baignade

— Je vais me baigner ! Mais pourquoi cette pierre est attachée autour de mon cou ?

— C’est au cas où tu ne saurais pas nager.

— Mais, je ne sais pas nager.

— Ben, comme ça, ça fait d’une pierre deux coups.

Poursuite

La voiture dévale la piste comme un train lancé à toute allure et sa vitesse devient rapidement terrifiante.

Les freins ont lâché, je n’ai plus aucun moyen de ralentir.

Soudain j’entends le crépitement des mitraillettes derrière moi.

Dans le rétroviseur, j’aperçois trois voitures noires, pratiquement collées à mon parechoc. Les tueurs, fanatiques et dangereux, vident frénétiquement leurs chargeurs dans ma direction.

Je slalome entre les grands arbres de la forêt. Puis s’ouvre une clairière tapissée de brume.

Je sens que les roues patinent sur une mince couche de glace.

Je suis, comme en apesanteur, au milieu d’un étang gelé.

Alors, je freine - glisse comme je peux jusqu’à ce que la voiture s’immobilise dans un silence de mort.

Puis, j’entends la glace craquer en se fissurant… lentement, inexorablement…

Mes poursuivants ont disparu. Ainsi que les oiseaux. Seuls demeurent le silence et ces craquements sinistres.

Je suis transi de froid, complètement frigorifié…

Soudain, un cri me fait sursauter :

- Hé ho, allô la lune ! Tu finis de manger au lieu de rêvasser ! Tu vas voir, cette bonne soupe chaude va te réchauffer.

C’est maman. Me réchauffer…

Comment sait-t-elle ?

Flashback

Le café maure de la Grande Mosquée de Paris est calme.

Mon thé vert arrive. Les effluves de cardamome et de miel s’élèvent, troublent l’instant. Mon regard est déjà perdu au fond du verre.

Je ferme les yeux lorsque les vapeurs odorantes, douces et parfumées m’atteignent.

Puis, en ouvrant à nouveau les yeux, tout redevient net. Et elle est là.

Marie.

Nous avions un peu plus de 20 ans.

Le même thé, les mêmes tasses.

Les mêmes yeux. Bleus.

Education

Je n’ai jamais su comment me comporter à un enterrement.

On m’a dit comment me tenir à la messe, ou à table, mais pas à un enterrement.

C’est pourquoi je suis mal à l’aise, voire empoté la plupart du temps.

Aussi j’évite.

Généralement je décline ces invitations.

Circonstances

Quand je l’ai rencontré, elle paraissait dangereuse et froide.

Je l’aurais croisée à une soirée chez des amis, j’aurais dit : mignonne, pétillante et même rigolote.

Mais là, trois heures du mat, un couteau sous la gorge, allégé de mon portefeuille et grelottant par moins 5°…

Elle me paraît dangereuse et froide.

Je me trompe peut-être.

J’aimerais.

Contretemps

Je vois son nom sur mon téléphone.

Ça fait deux ans que je n’ai pas de nouvelles.

Et là : son nom ! Je n’en reviens pas.

Dans une soudaine bouffée de chaleur et fébrilement, je décroche.

Elle dit : hé salut… Ah, excuse-moi, j’ai plus de batterie… je te rappelle…

Puis, plus rien.

Pouffe

La pouffe pouffe de rire.

C’est mal fait.

Normal.

Météorologique

Ses yeux rouges font des étincelles. Elle me foudroie du regard. C’est l’éclair.

Aussi j’attends, angoissé, le tonnerre qui va suivre.

Elle se retourne brusquement et me hurle dessus.

Trois secondes entre l’éclair et le tonnerre. L’orage est proche.

Juste le temps de m’abstraire dans un monde où le ciel est azuréen et les princesses douces et romantiques.

Virage

Le ciel était bleu, il tourne au gris.

Mon œil aussi l’était.

Avant qu’elle…

À l’envers

— Je me sens bien ce matin !

— Oh putain, mon pauvre.

— Et puis j’ai dormi comme un bébé. Et j’ai fait de beaux rêves !

— Tu n’as vraiment pas de pot. Ça doit être dur pour toi. Je te plains de tout mon cœur.

— Pas de mal au crâne, pas de nausées, pas de catastrophe annoncée, ni de remarques humiliantes de la part de Josette. Tu te rends compte ?

Ce matin j’ai la tête légère, le cœur joyeux et je me sens en pleine forme.

Ce n’est pas possible ça ! Non mais où on va, là ? C’est le dérèglement climatique ou quoi ! Je ne sais plus quoi faire. Ça m’est tombé dessus comme ça subitement, quelque chose qui ne m’était jamais arrivé.

Ma journée est foutue !

— Ah, je sens un peu de négativité là. Tu as l’air en colère. C’est bon signe ça.

— Mais non, malheureusement. Regarde, quand je te dis : ma journée foutue, je souris. C’est dingue !

— Bon. Action ! Radicale. J’ai une idée : tu te remets au lit. Quand tu te lèves, tu mets tes pantoufles de travers ce qui te fait trébucher. Tu t’étales de tout ton long brutalement sur le plancher. Tu te tords le poignet et te cognes la tête contre le coin de la table. Ça saigne. Beaucoup. Tu as très mal : il va falloir aller à l’hôpital te faire recoudre. En plus il pleut, ta voiture est en panne, tu n’as pas d’argent pour payer un taxi, et tu vas manquer ton rendez-vous amoureux avec la sœur de Josette. En résumé : enfin ta journée est revenue à l’endroit : elle est merveilleusement foutue. Comme au bon vieux temps, tout est rentré dans l’ordre. Merci qui ?

— Merci mon ami. Je savais que tu me sortirais de ce bon pas.

— Tu veux que je te pousse un petit peu ? C’est juste pour le plaisir.

Poisson

Il y a des poissons qui nagent et des poissons qui flottent…

Moi, quand ma vie va à vau-l’eau, personnellement, je flotte.

Solide

Elle m’invective : alors tu as réfléchi ? Tu as pris une décision ? !

Je prends une tartine et commence à la beurrer.

Elle me relance : alors tu te décides ! ?

J’étale consciencieusement le beurre sur mon pain, en gardant le silence, et en ayant l’air de quelqu’un qui beurre sa tartine.