Droit et devoir de mémoire - Ellie Keen - E-Book

Droit et devoir de mémoire E-Book

Ellie Keen

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Beschreibung

Le manuel Droit et devoir de mémoire a été conçu pour être utilisé de façon indépendante par ceux qui souhaitent promouvoir une compréhension plus approfondie du génocide des Roms et lutter contre la discrimination. Ancré dans les principes de l’éducation aux droits de l’homme, le manuel approche la question de la mémoire comme un aspect de l’apprentissage sur, par et pour les droits de l’homme. Le renforcement de l’identité des jeunes Roms est une priorité du Plan d’action pour la jeunesse rom du Conseil de l’Europe. Cet objectif passe par la création d’un environnement dans lequel les jeunes Roms puissent grandir sans discrimination, en ayant foi en leur identité et leurs perspectives d’avenir, et en sachant apprécier à leur juste valeur leurs origines et leurs appartenances culturelles plurielles. Le génocide des Roms perpétré avant et pendant la seconde guerre mondiale a eu de profondes répercussions sur les communautés roms, dans toute l’Europe. Il est par ailleurs un élément central de la compréhension de l’antitsiganisme et de la discrimination qui prévalent aujourd’hui encore à l’encontre des Roms. C’est pourquoi apprendre l’histoire du génocide est essentiel, pour tous les jeunes. Pour les jeunes Roms, c’est une façon de comprendre l’histoire tragique de leurs communautés et de parvenir à revendiquer leur identité et à faire face à leur situation actuelle. Impliquer les jeunes, y compris les jeunes Roms, dans un processus de recherche, de découverte et d’examen des significations du génocide des Roms est un moyen de les impliquer en tant que moteurs et acteurs de leur propre compréhension des droits de l’homme et de l’histoire. Ce manuel contient des activités éducatives, des suggestions d’événements de commémoration, ainsi que des informations sur le génocide et sa pertinence pour la situation du peuple rom aujourd’hui. Il se destine principalement aux travailleurs de jeunesse qui interviennent dans des contextes non formels, mais il sera également utile à tous les acteurs de l’éducation, y compris dans les écoles.

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Droit et devoir de mémoire

 

 

Manuel d’éducation

des jeunes

au génocide des Roms

 

 

Deuxième édition

 

 

Rédigé par Ellie Keen

 

 

Sous la direction de Rui Gomes

 

Sommaire

 

Cliquez ici pour consulter la table des matières complète, ou allez directement sur l’option « Table des matières » de votre lecteur numérique.

Remerciements

Nous tenons à adresser nos remerciements à toutes celles et ceux qui ont apporté leur contribution à cette publication, que ce soit par leurs suggestions ou leurs observations, notamment :

les participants à la réunion de consultation qui s’est tenue à Strasbourg en décembre 2013, pour leur précieuse contribution à l’élaboration de cet outil précieux pour les éducateurs et les organisations de jeunesse : Gerhard Baumgartner (Initiative autrichienne pour des outils pédagogiques sur le génocide des Roms) ; Nathan Chicheportiche (Union européenne des étudiants juifs) ; Maryana Borisova, Vicente Rodríguez Fernández, Alexandra Jach, Rebekah Ward (TernYpe, Réseau international des jeunes Roms) ; Angel Ivanov (Forum des jeunes Roms européens) ; Zuzana Brodilová (Kon-exe) ; Robert Sigel (Centre bavarois pour l’éducation civique) ; Simona Vannini (programme Pestalozzi) ; Dzafer Buzoli (Docba) ; Nicolae Radiţa (Comité ad hoc d’experts sur les questions Roms/CAHROM) ; Piotr Trojanski (Université de pédagogie de Cracovie) ; Felicia Waldman (délégation roumaine auprès de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, membre du Comité sur le génocide des Roms) ; Alina Onchis (fondation Ruhama) ;

Zara Lavchyan pour s’être chargée, en tant que consultante, de la collecte d’informations pour le manuel auprès de différentes organisations et institutions ;

Aurora Ailincăi, Ana Rozanova, Michael Guet (Équipe d’appui du Représentant spécial du Secrétaire Général sur les questions relatives aux Roms, Conseil de l’Europe) ;

Clémentine Trolong-Bailly, Robert Rustem (Forum européen des Roms et des Gens du voyage) ;

les utilisateurs de la première édition, pour leurs retours et suggestions ;

Nina Kapoor (Service de la Jeunesse, Conseil de l’Europe), pour son aide à la formulation du titre du manuel ;

Mara Georgescu (Service de la Jeunesse, Conseil de l’Europe), pour la coordination du projet.

Nous nous sommes efforcés autant que possible de citer les sources des textes et les auteurs des activités que nous présentons dans ce manuel. Nous vous prions de bien vouloir excuser toute omission éventuelle, à laquelle nous ne manquerons pas de remédier dans la prochaine édition.

Plus qu’un droit

La politique de jeunesse du Conseil de l’Europe vise à offrir aux jeunes – filles et garçons, jeunes femmes et jeunes hommes – les mêmes chances et expériences grâce auxquelles développer les connaissances, aptitudes et compétences indispensables pour jouer pleinement leur rôle dans tous les domaines de la société. Cette définition reconnaît que tous les jeunes ne bénéficient pas des mêmes chances, notamment parce que certains font l’objet de discrimination. La politique de jeunesse du Conseil de l’Europe englobe par conséquent des mesures pour « prévenir et contrecarrer toutes les formes de racisme et de discrimination, sans distinction aucune », pour assurer aux jeunes la pleine jouissance des droits humains et de la dignité humaine et encourager leur engagement à cet égard. L’adoption du Plan d’action pour la jeunesse rom dans le cadre du programme d’activités du Conseil de l’Europe est une réponse politique et pratique à la nécessité de garantir à tous les jeunes, y compris les Roms, des chances égales en matière de participation.

Les jeunes Roms qui ont participé à l’élaboration du Plan d’action pour la jeunesse rom ont identifié le renforcement de l’identité des jeunes Roms comme la première priorité du plan. De leur point de vue, le travail sur l’identité est nécessaire aux fins de favoriser la création d’un environnement dans lequel « les jeunes Roms puissent grandir sans discrimination, en ayant foi en leurs perspectives d’avenir et en sachant apprécier à leur juste valeur leurs origines et appartenances culturelles plurielles en tant que jeunes, Roms, citoyens de leur pays et Européens actifs »1.

Comprendre son histoire est un besoin primordial. Et ce besoin est naturellement plus fort dans le cas d’une communauté, celle des Roms en l’espèce, dont l’histoire est largement ignorée et passée sous silence par la « grande Histoire ». Le fait que les jeunes Roms reconnaissent qu’ils ont besoin de cette compréhension pour grandir en toute confiance en tant que jeunes Européens prouve que les identités ne doivent pas se construire en opposition à d’autres identités ou en guise de moyen de défense. Une communauté qui connaît son histoire est plus susceptible d’envisager l’avenir avec confiance. Plus important encore, la compréhension du sens de l’histoire est indispensable pour restaurer la dignité des victimes de violations massives des droits humains, mais aussi pour transformer ces victimes en acteurs de la lutte pour la défense de ces droits et de la dignité de chacun.

Les organisations et mouvements de jeunesse roms poursuivent activement leur travail sur la mémoire du génocide des Roms, notamment au moyen d’activités célébrant le 2 août en tant que Journée internationale de commémoration de l’Holocauste des Roms. Le Plan d’action pour la jeunesse rom se devait de prendre en considération les appels à la connaissance du génocide lancés par les jeunes Roms et non-Roms.

L’« éducation à la mémoire » est considérée comme un outil à la fois pour le renforcement de l’identité des jeunes Roms et pour la défense des droits humains et la lutte contre la discrimination. La propagation du discours de haine qui vise les Roms, en référence notamment au génocide, pointe la nécessité d’outils éducatifs de ce type. Le discours de haine et les agressions verbales constituent une menace pour les valeurs et les principes fondamentaux de la démocratie et des droits humains, et sont inacceptables. La campagne de jeunesse du Mouvement contre le discours de haine du Conseil de l’Europe a mis en évidence l’intense circulation de propos haineux visant les Roms. Le discours de haine et la persistance des actes de violence racistes et de la discrimination raciale, parfois dans une totale impunité, sont autant de preuves de l’importance de promouvoir aujourd’hui en Europe la mémoire du génocide des Roms.

Cette tâche est particulièrement ardue pour le secteur jeunesse du Conseil de l’Europe, que la tradition de travail avec des principes d’éducation non formelle ne prédispose pas à intervenir sur des questions d’histoire. D’autres secteurs du Conseil de l’Europe ont en la matière beaucoup plus d’expertise et de crédibilité, comme en témoigne la récente publication « Histoires partagées. Pour une Europe sans clivages ». Mais, le travail sur la mémoire, c’est bien plus qu’un enseignement de l’histoire. Tel qu’il est abordé dans l’éducation aux droits humains et dans l’éducation sur l’Holocauste, le travail de mémoire ne se limite pas à la transmission de connaissances sur le passé : il doit permettre de tirer les leçons du passé, afin d’éviter qu’il ne se répète. Et il s’agit aussi de redonner un sentiment de dignité et de justice aux victimes, à leurs familles et à leurs communautés.

Cette ressource pédagogique, conçue pour être utilisée de façon indépendante, n’a pas pour objectif de se substituer au travail des historiens, au contraire : son objectif est de rendre l’histoire accessible, d’exposer sa complexité et de la relier à la réalité contemporaine afin de poursuivre l’objectif à long terme de la réalisation des droits humains pour tous. Ce manuel est donc à la disposition des enseignants ainsi que des ONG et des organisations de jeunesse, afin de leur permettre d’effectuer avec les jeunes un travail sur la mémoire du génocide des Roms.

Basé sur les principes de l’éducation aux droits humains, ce manuel propose une approche du travail sur la mémoire sur le modèle de l’apprentissage sur, par et pour les droits humains. Il contient des activités éducatives, des explications détaillées sur la manière de les préparer et de les mener, ainsi que des informations sur des événements de commémoration, et sur le génocide et sa pertinence pour la situation actuelle du peuple rom.

Ce manuel adopte également une approche clairement antiraciste et exprime la nécessité de la connaissance de l’histoire comme une étape nécessaire pour ne plus jamais vivre des tragédies telles que la seconde guerre mondiale. Mais, « si l’on est parvenu à le clarifier d’un point de vue sémantique, le concept de race reste profondément ancré dans les imaginaires, les structures et les pratiques politiques »2. Il faudrait donc donner aux jeunes la possibilité de comprendre les conséquences du racisme et leur prévalence aujourd’hui afin que l’éradication du racisme puisse commencer. C’est sans nul doute une tâche qui incombe à l’éducation formelle et non formelle, mais aussi à l’éducation informelle.

Ce manuel constitue donc une modeste contribution à ce processus, qui, nous l’espérons, incitera d’autres à faire mieux et plus pour le présent et l’avenir des droits humains dans nos sociétés.

1 Plan d’action pour la jeunesse rom, présentation, Conseil de l’Europe, 2013

2 Alana Lentin et Gavan Titley, The Crisis of Multiculturalism – Racism in a Neoliberal Age, Zed Books, Londres, 2011.

Note terminologique

Dans l’ensemble de cette publication, le terme « Rom » désigne les Roms, les Sinti (Manouches), les Kalés (Gitans) et les groupes de population apparentés en Europe, dont les Voyageurs et les branches orientales (Doms, Loms) ; il englobe la grande diversité des groupes concernés, y compris les personnes qui s’auto-identifient comme « Tsiganes ».

Le terme « Rom » est aussi employé pour désigner une personne d’origine rom.

Il est recommandé, en français, d’utiliser l’adjectif « rom » qui s’accorde en nombre, mais pas en genre : le peuple rom, des femmes roms, l’histoire rom, etc.

Note sur la deuxième édition

Par rapport à la version originale, cette deuxième édition du manuel intègre quelques légères révisions. Depuis sa première publication (en anglais, sous le titre « Right to remember ») en 2014, le manuel a été massivement utilisé par des groupes de jeunes roms et non roms. Les retours, certes largement positifs, ont inévitablement été accompagnés de quelques suggestions de clarification, de modification ou d’inclusion de matériel supplémentaire. Certains groupes ou individus travaillant sur le génocide des Roms ont également eu l’amabilité de répondre à un appel à commentaires sur la publication.

Autant que faire se peut, nous nous sommes efforcés de prendre en compte ces commentaires sans toutefois modifier les objectifs généraux du manuel et sa teneur, et sans trop augmenter sa longueur. Nous sommes conscients qu’une publication qui se veut concise sur un sujet aussi complexe impliquera forcément certains compromis et sera forcément incomplète à certains égards. Il se peut aussi qu’elle fasse naître des controverses. Cela étant, notre objectif premier était de présenter le génocide à un public qui en ignorait largement les pires facettes, de stimuler le débat et d’inciter les jeunes à approfondir le sujet. Les réactions des groupes de jeunes nous ont confirmé que, de ce point de vue, la publication avait atteint son objectif. Nous espérons que la deuxième édition sera tout autant couronnée de succès.

Les principaux changements apportés concernent les chapitres d’introduction, où des précisions sur le génocide ont été ajoutées. Dans la mesure du possible, les informations relatives à la reconnaissance du génocide et aux événements commémoratifs ont été actualisées.

1. Introduction

Novembre 1942 : c’est le début du pogrom contre les juifs et les Tsiganes ; ils sont abattus en masse lors d’exécutions de rue... Il fait froid et les femmes tsiganes pleurent bruyamment. Elles portent tout ce qu’elles possèdent sur le dos, y compris des édredons ; mais tout cela leur sera enlevé plus tard... On les emmène à la gare pour les charger dans des wagons de marchandises, qui sont scellés et conduits dans des gares au-delà de Chelm, à Sobibor, où ils sont brûlés dans les fours.

B. Stawska, survivant du camp, décrivant le transport des Roms vers Sobibor (Fickowski, The Gypsies in Poland. History and Customs)

1.1 Un génocide oublié

On a beaucoup écrit sur l’importance de l’éducation à l’Holocauste. De nombreux manuels et des ressources éducatives diverses sont consacrés à cette question. Cependant, rares sont ceux qui traitent spécifiquement des populations roms et des exécutions systématiques dont elles ont fait l’objet. Et, lorsqu’il est fait mention des victimes roms, il ne s’agit généralement que de remarques secondaires : les Roms sont considérés comme figurant parmi « les autres groupes » ayant enduré des souffrances.

Le génocide des Sinti et des Roms a le même motif raciste et a été perpétré par les nazis avec la même résolution et la même volonté planifiée d’extermination définitive des juifs. Ces populations ont été exterminées dans toute l’aire d’influence du national-socialisme, systématiquement, par famille, du bébé au vieillard.

Roman Herzog, Président de la République fédérale d’Allemagne, 16 mars 1997

Les Roms n’étaient pas « un groupe de plus » : ils formaient l’un des principaux groupes ciblés par les nazis aux fins d’une extermination totale. Mais il est difficile de savoir combien d’entre eux ont été éliminés. Au début de la guerre, la population rom en Europe était estimée à environ un million d’individus. À la fin de la guerre, on estime qu’il n’en restait plus que 20 à 30 %. Il semblerait donc que 80 % des Roms aient été tués, soit au moins un demi-million d’individus.

Dans le ghetto [Łódż], les Roms étaient confinés dans un Zigeunerlager (camp des Tsiganes), séparé du reste du ghetto par des fils barbelés. Les conditions de vie y étaient encore plus misérables. Fin 1941, en quelques semaines, environ 700 Roms – principalement des enfants – y sont morts d’une maladie épidémique infectieuse.

www.romasinti.eu

Selon les pays, le processus d’extermination a été mis en œuvre de façon plus ou moins systématique. Dans certains pays, il ne restait presque plus de Roms à la fin de la guerre. Dans d’autres, où une partie de la population rom a survécu, la plupart auraient passé les années de guerre dans des camps de travail, en exil forcé ou dans la clandestinité. Beaucoup ont probablement été témoins de massacres massifs, souvent dans leur famille la plus proche.

Pendant la guerre, pour un Rom, « survivre » se résumait à vivre dans le dénuement le plus total, avec le spectre de la famine ou de la maladie, et habité par la crainte constante de la mort.

Le génocide des Roms est une histoire européenne. Sur l’ensemble du continent, pendant toute la période de la seconde guerre mondiale, les Roms ont été pointés du doigt, persécutés et exécutés pour la simple raison qu’ils étaient roms. Des familles entières ont été raflées, arrachées à leurs maisons, rassemblées dans des zones isolées ou des camps, menacées, battues, mutilées, affamées ; puis, en masse, délibérément tuées. Les victimes étaient des parents, des grands-parents, des tantes, des oncles et des cousins, des nourrissons, des bambins et des adolescents : personne n’était trop jeune ou trop vieux.

Quand je suis entré [dans l’hôpital du camp], les enfants pleuraient et imploraient : « Docteur, donnez-nous du pain, donnez-nous du sucre… » Pour moi, ce furent les moments les plus difficiles que j’ai vécus dans le camp. Pas les coups, pas les interrogatoires… mais les pleurs de ces enfants.

Dr Frantisek Janouch, prisonnier tchèque employé comme médecin dans le camp des Tsiganes d’Auschwitz-Berkenau

Aujourd’hui, malgré les fréquents appels à la « mémoire » de l’Holocauste, le drame qu’ont vécu les Roms est pratiquement oublié. En vérité, il n’a jamais été pleinement reconnu. En témoigne l’ignorance presque totale qui prévaut : la majorité des jeunes en Europe semble ignorer les crimes et les souffrances terribles que le peuple rom a endurés.

Quand on parle de l’Holocauste, aucune attention n’est prêtée au génocide des Roms ; c’est un déséquilibre auquel il convient de remédier, et ce pour nombre de raisons importantes. Certaines de ces raisons sont liées à l’histoire et à la gravité extrême des crimes commis contre le peuple rom ; d’autres sont liées à la nécessité pour toute victime de savoir que les crimes commis contre elle sont reconnus – et réparés ; et d’autres raisons enfin sont liées à la façon dont la majorité de la population non rom continue à considérer et à traiter les représentants de cette communauté aujourd’hui.

Pour les Roms, pas d’oubli. Ces crimes n’ont jamais bénéficié d’une pleine reconnaissance, leur importance et leur impact sur les populations roms n’ont fait l’objet d’aucune prise en compte et la manière dont la société se comporte envers cette minorité n’a jamais été reconsidérée. En réalité, à bien des égards, le comportement de la population non rom aujourd’hui rappelle et répète certains des schémas qui ont permis que ces crimes soient commis.

Ce manuel entend remédier à cette situation.

Je me promenais dans le camp, essayant de m’occuper. Alors, j’ai marché jusqu’aux barbelés, du côté du crématorium. J’y ai vu une longue file de gens qui se dirigeaient vers le crématorium... À ce moment, je n’ai pas compris ce que je voyais : il y avait des cadavres saupoudrés de soude blanche, tous étaient mélangés. J’étais alors une enfant, incapable de comprendre ce que je voyais. Plus tard, vers vingt ans, cette scène m’est revenue en cauchemar... À l’époque, je ne me rendais pas compte de toutes les horreurs auxquelles j’assistais.

Else Baker a été déportée à Auschwitz alors qu’elle était enfant en mai 1944. Sa mère était à moitié rom.

1.2 Au sujet du manuel

Ce manuel a été conçu pour être utilisé de façon indépendante par ceux qui souhaitent promouvoir une compréhension plus approfondie et une meilleure prise de conscience du génocide des Roms. Il se destine principalement aux travailleurs de jeunesse qui interviennent dans des contextes non formels, mais il sera également utile à tous les acteurs de l’éducation, y compris dans le secteur formel. Les activités proposées dans la dernière section s’adressent à un public cible de jeunes entre 15 et 30 ans.

Un tremplin pour l’apprentissage et l’action

Le manuel n’ambitionne pas de livrer un récit historique complet du génocide des Roms. Certes, les informations présentées sont basées sur des sources et des recherches historiques généralement reconnues. Mais les données de terrain restent peu nombreuses, et certaines peuvent être contestées ou faire l’objet d’interprétations diverses. En travaillant sur ce sujet, n’oubliez pas que le génocide des Roms est un sujet qui n’a pas encore été étudié autant en profondeur que l’Holocauste juif ; certains faits ou questions sont encore controversés, et le sujet est très sensible.

Plus important encore peut-être, il convient de préciser que, pour des raisons d’espace et afin de rendre le manuel facilement utilisable et compréhensible, le tableau présenté a été simplifié. Un grand nombre de faits ont dû être écartés, notamment compte tenu de la diversité des pratiques et des circonstances.

Par conséquent, le tableau présenté est général, avec pour objectif de susciter des idées et des questions, et d’encourager la recherche et l’action de la part de différents groupes de jeunes. Nous espérons que vous inciterez ceux avec qui vous travaillez à explorer le sujet plus en profondeur, en apportant des détails concernant votre pays ou votre région. Il existe de nombreuses façons de le faire : certaines sont décrites au chapitre 6. Vous trouverez également une liste de liens et de ressources dans les annexes.

N’oubliez pas que l’objectif principal de ce manuel est d’induire des changements de comportement et d’attitude. Utilisez-le comme un tremplin pour l’action : aidez le groupe non seulement à découvrir des réalités historiques, mais aussi à s’en servir pour construire un avenir meilleur.

Vue d’ensemble des chapitres

Chapitre 1, Introduction

Chapitre 2, Le génocide des Roms. Ce chapitre apporte des informations de référence sur le génocide. Étant donné l’espace disponible dans une telle publication, l’information est nécessairement sélective ; elle ne couvre pas l’ensemble des crimes commis, ni tous les aspects de leur impact sur les victimes. Les citations qui émaillent la publication et les témoignages personnels inclus à la fin (page 109) apportent un complément d’information.

Chapitre 3, Le nécessaire processus de mémoire. Ce chapitre examine l’objectif – et l’importance – d’un travail de mémoire concernant le génocide des Roms, pour le peuple rom mais aussi pour la société dans son ensemble. Les questions soulevées dans ce chapitre sont au moins aussi importantes que les « faits » concernant le génocide lui-même : un travail efficace sur ce sujet doit être plus qu’une simple leçon d’histoire.

Les pratiques et les activités d’enseignement et d’apprentissage devraient respecter et promouvoir les valeurs et les principes concernant la démocratie et les droits de l’homme.

Charte du Conseil de l’Europe sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme

Chapitre 4, Un problème de droits humains. Ce chapitre fournit des informations générales sur les droits humains, en les reliant à la fois au génocide et à la manière dont la communauté rom est aujourd’hui traitée sur le continent européen. Les droits humains sont importants car ils offrent un ensemble de normes communes à la société. Leur intégration dans les activités destinées aux jeunes aidera ceux-ci à appréhender les terribles événements de l’Holocauste selon des normes universelles établies et leur fournira des points de référence importants concernant ce qui se passe aujourd’hui.

Chapitre 5, Conseils aux éducateurs. Ce chapitre propose quelques directives pratiques pour la mise en œuvre d’un travail éducatif sur ce sujet. Il présente une approche du travail avec les jeunes qui devrait aider à les sensibiliser au génocide, mais qui devrait aussi leur permettre d’appréhender sa pertinence historique pour eux-mêmes et pour aujourd’hui. Idéalement, un tel travail devrait inciter les participants à mettre en pratique les enseignements tirés.

Chapitre 6, Activités éducatives. Ce chapitre présente une sélection d’activités qui peuvent être utilisées avec les jeunes pour explorer les questions relatives au génocide. Ces activités présentées de façon schématique sont susceptibles d’être grandement améliorées si elles sont complétées par du matériel tiré des chapitres qui précèdent.

Le chapitre 7 et les annexes proposent des ressources supplémentaires à utiliser en appui des activités, notamment quelques témoignages de survivants roms de l’Holocauste, des versions abrégées de documents clés sur les droits humains et un certain nombre de liens vers des ressources en ligne très utiles.

Bien qu’il puisse être tentant pour les éducateurs de passer directement aux activités, nous les encourageons vivement à consulter les autres chapitres ! Ceux-ci contiennent des informations et des réflexions qui les aideront à décider de l’approche la plus appropriée pour leur groupe. La plupart des réflexions peuvent également être utilement partagées avec les participants.

1.3 Terminologie

Roms / Tsiganes / Gens du voyage

Le terme « Tsiganes » est traditionnellement utilisé par la population « non tsigane » pour désigner un certain nombre de communautés différentes, notamment les Roms, les Sinti, les Kale et les groupes apparentés en Europe, tels que les Gens du voyage. Bien que très peu de communautés « tsiganes » s’identifient comme telles en utilisant ce terme, sa signification est d’une manière générale fortement méprisante et assortie de connotations presque exclusivement négatives.

La question tsigane est pour nous aujourd’hui avant tout une question raciale. L’État national-socialiste devra donc régler la question tsigane comme il a réglé la question juive. Et c’est ce que nous avons commencé à faire...

Adam Wurth, Unité de recherche sur l’hygiène raciale au ministère de la Santé nazi

C’est la raison pour laquelle le Conseil de l’Europe évite d’utiliser le terme « Tsiganes » et désigne tous ces groupes par le terme « Roms » ; et telle est la terminologie employée dans l’ensemble de ce manuel. Cependant, les références aux « Tsiganes » dans les documents officiels ou dans les citations ont été conservées afin de rendre compte de la connotation (souvent négative) recherchée par les auteurs de ces citations.

Ainsi l’« antitsiganisme » désigne-t-il le racisme contre les personnes appartenant à des communautés roms (dans le sens précité). Le concept s’adresse, par ailleurs, non pas aux Roms mais à la majorité et doit donc être d’emblée compréhensible par les non-Roms. Il a donc été inclus dans la Recommandation de politique générale (no 13) de l’ECRI concernant la lutte contre l’antitsiganisme et les discriminations envers les Roms.

L’antitsiganisme est une forme spécifique de racisme, une idéologie basée sur la supériorité raciale, une forme de déshumanisation et de racisme institutionnel […] alimenté par une discrimination historique.

Valeriu Nicolae, Représentant spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pour les questions relatives aux Roms

Génocide des Roms / Holocauste des Roms

Depuis la première édition de ce manuel, le Conseil de l’Europe a modifié l’utilisation de cette terminologie. Aujourd’hui, les termes « Roms et Gens du voyage » utilisés par le Conseil de l’Europe englobent la grande diversité des groupes concernés par les travaux de l’Organisation dans ce domaine : d’une part, a) les Roms, les Sinti/Manouches, les Calés/Gitans, les Kaalés, les Romanichels, les Béash/Rudars ; b) les Égyptiens des Balkans (Égyptiens et Ashkali) ; c) les branches orientales (Doms, Loms et Abdal) ; et, d’autre part, les groupes tels que les Travellers, les Yéniches et les personnes que l’on désigne par le terme administratif de « Gens du voyage », ainsi que celles qui s’auto-identifient comme Tsiganes.

Le mot « holocauste » vient des mots grecs holos (entier) et kaustos