Duo Sudarenes : Feelgood - Serena Davis - E-Book

Duo Sudarenes : Feelgood E-Book

Serena Davis

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Beschreibung

Jamais douze sans treize

Tendre à débusquer l'homme idéal, revient un peu à chercher une aiguille dans une botte de foin. Malgré son optimisme ravageur, sa joie de vivre, Nina cumule les échecs amoureux. Dans son entourage, les avis fusent, tout le monde s'en mêle, c'est la zizanie. Sa mère endoctrinée par la religion, sa cousine frivole, ses copines intarissables de certitudes. Nina déjante, perd les pédales. Parviendra-t-elle à sortir la tête de l'eau ?
Un roman explosif entre mensonge, trahison, religion, passion, hypocrisie, jalousie, colère et amour fou. Remuez le tout et vous obtenez un roman rocambolesque, sans tabous, fourmillant de ragots de filles… Où la vie réserve autant de cadeaux que de coups de théâtre !
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Les confessions du vagin

Si le vagin pouvait parler, quel coup de gueule pousserait-il ? À travers des anecdotes croustillantes de rencontres avec des hommes, l'auteure ressort ses dossiers pour révéler les pensées féminines les plus inavouées. Un livre plein d'humour, écrit d'une plume libérée et assumée.


À PROPOS DES AUTEURES


Serena Davis est une romancière et nouvelliste d'origine bourguignonne, née en 1985. Ses œuvres, prolifiques et éclectiques, sont les pièces d'un puzzle formant un ensemble littéraire des plus énigmatiques, un véritable projet. 


Sonia Barra est née en septembre 1974 dans le sud de la France. À 21 ans, elle décide de quitter son berceau natal pour s'envoler vers d'autres horizons. Marie-Galante, puis Miami. Une aventure de dix ans, avant de regagner le navire de son cœur, la Côte d'Azur. Elle est actuellement secrétaire médicale. « Jamais 12 sans 13 » est son second roman, écrit avec la positivité et le bonheur qui l'habite.




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Les Duos Sudarenes

 

 

 

 

Jamais douze sans treize

 

 

 

Sonia BARRA

 

« Pourquoi comparer les hommes à une garde-robe ? N’est-ce pas évident ? Il y a la robe qui nous fait craquer mais que l’on ne va jamais porter plus de trois fois. Il y a cette fameuse paire d’escarpins que l’on veut absolument de l’autre côté de la vitrine. On l’essaie, elle ne nous va pas du tout, mais on l’achète quand même ! On insiste pour les porter à la soirée du siècle, et puis en rentrant chez soi, on les balance de rage à la poubelle, car on a fini par danser pieds nus ! Et pour finir, il y a cette robe toute simple, que l’on va aimer, chouchouter et garder durant de nombreuses années ... Parce qu’elle sait mettre nos formes en valeur, et nous va comme un gant ! »

 

 

 

 

 

 

 

 

Ceci est une histoire inspirée de faits réels.

 

 

 

Treize

 

1993

 

— Sérieusement ? Il t’a vraiment dit ça ?! Il faut l’entendre pour le croire ! T’es sûre que ce n’est pas une blague ? s’esclaffa Jenny en manquant de renverser son café bouillant sur sa mini-jupe.

— Tu te rends compte ?! Ça fait seulement trois mois que nous sommes mariés, et il me sort un truc pareil ! Moi qui pensais qu’on allait planifier des tas de sorties et profiter ensemble, il ose me lancer à la figure que « Maintenant c’est bon, on est marié ! ». Ça veut dire quoi, ça ? Que la vie ne sera faite désormais que de métro-boulot-dodo ?! lançai-je d’une voix désespérée.

— C’est abominable, mais je trouve que tu l’as quand même bien cherché, Nina. C’est aussi un peu de ta faute, non ?!

— Comment ça de ma faute ?!

— Ben… Regarde à quel âge tu te maries ! Tu as dix-neuf ans, tu ne connais rien à la vie, tu sors de l’œuf et tu n’as jamais connu d’autres hommes avant lui ! me fit remarquer celle qui, à tout juste dix-huit ans, avait déjà vécu à la colle avec un mec durant plusieurs mois.

— Oui, mais regarde mes parents : ils sont ensemble depuis plus de vingt ans, ils se sont aimés au premier coup d’œil ! Ça existe Jenny, j’en suis persuadée !

— Tes parents, c’était une autre époque, Nina ! Bon OK, je laisse tomber. T’es bornée et avec vos histoires de religion dans votre famille, vous vivez tous dans une bulle imaginaire. Et vous avez toujours raison, pas vrai ?

Je fis une mine vexée. Je touillais nerveusement mon café depuis deux bonnes minutes. J’allais finir par trouer ma tasse.

— Le pire, avouai-je pour m’enfoncer un peu plus, c’est qu’après m’avoir dit ça, il a enfilé ses chaussons et il s’est affalé comme un vieux pantouflard sur le canapé. Non, mais franchement, où va-t-on ? Je suis restée tellement conne que je n’ai même pas réagi !

— Nina, me répliqua-t-elle en me fixant solennellement tout en sirotant son café avec un petit doigt en l’air, tu ne peux pas accepter ça ! Faut pas se laisser faire avec les hommes. Regarde, moi avec mon ex, il m’a trompée et j’ai immédiatement réagi. Je lui ai balancé une bonne grosse chaise sur la tronche, et c’est fini. J’ai fait mes valises et je suis partie ! J’en trouverai un autre et basta !

Ma cousine et moi étions si différentes. Je la percevais libre, forte. Pourquoi n’étais-je pas comme elle ? Je l’enviais. Tout ce qui sortait de sa bouche paraissait si simple et si naturel. Alors que moi, je ressentais un profond besoin de plaire à mes parents, mon mari, ainsi qu’au prêtre de notre communauté religieuse, qui aux yeux de la masse revêtait l’aspect d’une secte un peu particulière. Jenny ne s’encombrait pas de ce genre de complexe ou de frustration. N’était-ce pas elle qui avait raison finalement ? Je n’en savais rien. Toute mon éducation a été forgée autour d’une seule et unique opinion dans laquelle je baignais depuis ma tendre enfance. Je l’admirais et j’aimais ces moments-là, où l’on se retrouvait le week-end pour boire un café toutes les deux. On choisissait toujours des places assises dans un bar très chic proche de la rue, et l’on s’amusait comme deux folles à voir défiler toutes les mémés excentriques de la Côte d’Azur. Ensemble, on critiquait, on épluchait les ragots de la semaine. Il y avait toujours des tonnes de commérages ! On se permettait de juger, de dire qu’un tel ou une telle aurait pu faire ceci ou cela. C’est tellement plus facile de regarder les problèmes des autres que les siens, n’est-ce pas ? Mais dès qu’il s’agissait de ma vie, je me sentais perdue, légèrement prisonnière de tous ces principes dans lesquels, finalement, je me trouvais enfermée. Entendre Jenny parler avec autant d’assurance me redonnait confiance en moi. C’était un peu ma cure hebdomadaire de bon sens. Mais dès que je rentrais pour retrouver mon époux, je perdais toute ma belle assurance et je déprimais. Sévèrement.

Dire que tout avait si bien commencé, comme dans un rêve. Comment nous étions-nous rencontrés ? J’entendais encore ma mère, me crier au loin :

— Nina, rajoute trois couverts ! Nous avons des invités supplémentaires : la famille Meyer !

— OK maman.

Avais-je bien entendu ? La famille Meyer ? N’était-ce pas cette famille d’Alsaciens descendus de leur pays sibérien - Pour les Cannois, la moitié haute de la France équivaut au pôle Nord - pour des vacances dans le sud avec leur fils Daniel ? Le pauvre, dire qu’il venait tout juste d’avoir le cœur brisé par une certaine Sarah. Je compatissais pour lui, tout en avouant que je le trouvais plutôt charmant. En fait, je me réjouissais de sa récente rupture. Nous avions discuté brièvement en sortant de notre église -il faisait parti de cette communauté lui aussi- et son physique bien bâti avait attiré mon regard. Ma mère, l’avait bien compris. Elle s’était empressée en bonne entremetteuse de sauter sur les parents de Daniel, afin d’organiser la rencontre. Il faut savoir que c’était une tradition dans notre famille. Tous les dimanches, à la sortie du culte, elle invitait toujours une vingtaine de convives pour partager un repas chaleureux dans notre jolie maison de campagne. Je me mis à cogiter sérieusement. Bon, comment vais-je m’habiller pour l’occasion ? Avec une jolie robe style bohème. Et comme je n’arrivais pas à coiffer mes cheveux, je les cachais sous un chapeau de paille. Rester simple sans l’être est le secret de la beauté véritable, et ce jour-là je me sentais à peu près belle. Je dis à peu près, car j’avais un énorme complexe. Mon ventre. Oui, ce satané ventre qui ne voulait jamais entendre parler de régime. Merci maman, pour tous tes repas copieux ! À chaque déjeuner et dîner c’était la même rengaine « Mange, mange ma fille  ». Résultat ? Au moins huit kilos en trop, et cela faisait trois ans que je n’osais même plus me mettre en maillot de bain, car ma mère m’avait traitée de grosse. J’estimais cette remarque blessante et abusive de la part de quelqu’un qui devait peser au bas mot une bonne centaine de kilos. Et qui s’en moquait totalement, ELLE !

Je rejoignis nos invités dans le jardin. Le soleil pétillait. Les lavandes explosaient de leurs couleurs parme. Le barbecue fraîchement allumé crachait des nuages de fumés grises.

— Oh ! Bonjour Esther, bonjour Marc, bienvenue ! lançai-je chaleureusement à ce couple de nouveaux mariés.

— Bonjour Nina ! me répondit Esther en se décrochant des bras de son mari. Je viens t’aider en cuisine.

— Alors, raconte-moi ! lui demandai-je une fois que nous étions assez loin des oreilles de son mari. Comment s’est passée ta nuit de noces ?

Elle rougit timidement et gloussa en posant sa main sur son nez légèrement crochu. Il faut admettre que dans notre religion, les principes restent ancestraux. Interdiction de goutter les plaisirs charnels avant d’avoir la bague aux doigts.

— Il a été très doux avec moi, il sentait que j’avais un peu mal, mais c’était génial ! m’avoua-t-elle, ses yeux bleus marines remplis des étoiles de l’amour.

— J’ai hâte de connaître le grand amour, moi aussi ! lui répondis-je, enthousiaste et rêveuse.

Oui, je fantasmais sur mon futur mariage, l’homme idéal, Daniel.

D’ailleurs, en le voyant arriver, j’eus un véritable coup de chaud. Avec son meilleur ami, Anthony – qui était malheureusement aussi le frère de Sarah, son ex fiancée. Désolée, mais il va falloir suivre ! Bref, Daniel arriva dans sa Renault noire, équipée d’un aileron à l’arrière de la carrosserie. Si sûr de lui au volant de son petit bolide, je le regardais arriver au loin, comme un véritable chevalier sur son destrier noir. Une grande mèche de cheveux roux sur le côté, des lunettes cachant ses petits yeux marron… je fabulais, je suffoquais de plaisir. Mon cœur battait la chamade tétanisé de délice. Une grande table était dressée en plein milieu du jardin, sous un vieux chêne. La piscine nous tendait les bras. La chaleur moite du mois de juillet était comme une invitation à se jeter à l’eau, mais je m’en moquais totalement. J’étais déjà amoureuse de mon prince charmant. Après tout, cela arrive à beaucoup de gens : s’aimer au premier coup d’œil, vous en connaissez certainement autour de vous, n’est-ce pas ?

En prime, par le plus grand des hasards, et ce malgré la trentaine de convives autour de la table, nous nous sommes retrouvés côte à côte. Je soupçonnais mon entremetteuse de mère d’y être pour quelque chose.

— J’aimerais bien m’installer dans la région, Anthony m’a proposé de m’héberger, me confia Daniel.

— Oh, c’est une excellente idée, la région est magnifique, tu verras ! Tu travailles dans quelle branche ?

— Je suis plombier. Je gagne assez bien ma vie en Alsace, j’espère pouvoir trouver du travail ici facilement.

— Je ne suis pas inquiète, les plombiers sont toujours demandés. Tout le monde a besoin un jour où l’autre d’un plombier. Et puis, tu es quelqu’un de sérieux, ça se voit. Tu trouveras facilement, j’en suis sûre ! En revanche, excuse-moi de me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais le fait que tu ne sois plus fiancé avec la sœur d’Anthony, ça ne lui pose pas de problème... de t’héberger ? Je veux dire, c’est un peu étrange d’habiter chez celui qui a failli devenir ton beau-frère, non ?

— Non, c’est elle qui m’a larguée après tout ! Et puis elle est restée en Alsace, et Anthony est mon ami d’enfance.

Nous nous sommes souri. Six mois plus tard, nous étions fiancés, promis l’un à l’autre pour une belle vie de couple et d’enchantement, qui durerait jusqu’à ce que la mort nous sépare. Enfin, ça c’est ce que je pensais… du haut de ma très grande naïveté !

***

Il paraît que certains signes ne trompent pas et que certaines choses portent malheur. Je me sentais tellement protégée par ma foi que je n’y crus pas une seconde. De quoi s’agissait-il ? Une semaine avant mon mariage, l’oncle adoré de mon amie Esther a été retrouvé mort. Son corps gisait au fin fond d’un parking souterrain, dans sa voiture. Sa femme l’avait quitté, il ne l’avait pas supporté. Il était l’un de mes invités au mariage. Nous ne serions désormais plus que 237 dans cette grande salle des fêtes. Était-ce un signe de mauvais présage ?

***

— Ça y est, le grand jour approche ma cousine, je suis trop contente que tu sois mon témoin ! Je sautillais de joie sur place.

— Tu te rends compte quand même que nous sommes en novembre ? C’est le mois des morts, l’un de tes invités est mort, et pour couronner le tout, tu as choisi la couleur jaune pour décorer la salle des fêtes ! me fit-elle remarquer perplexe.

— Tu ne vas pas me dire que tu es superstitieuse, toi aussi, comme notre tante ? lui demandai-je.

Jenny ne se donna même pas la peine de répondre. Elle leva ses grands yeux émeraudes vers le plafond, souleva délicatement sa petite tasse à café et en but une petite gorgée.

— Tu ne pourrais pas juste être contente pour moi et me féliciter, au lieu de voir le mal partout ?

— Je suis contente pour toi Nina, dit-elle en soupirant, tu vas être une mariée magnifique, et je te souhaite de tout cœur de me tromper. Peut-être qu’après tout, le véritable amour ça existe. Mais bon, je n’ai pas eu le même exemple, les mêmes parents que toi.

— C’est vrai que ta mère, il faut la suivre. Niveau stabilité, on peut mieux faire, et ça n’a pas dû t’aider.

— Au contraire, je me suis endurcie. Je ne crois pas à la douce mélodie du bonheur, j’en suis déjà à mon quatrième mec. Donc, même si je ne suis encore qu’une jeune minette, je sais de quoi je parle !

— Oui, mais Daniel, c’est différent. Il est croyant, il aime Dieu, il m’aime de tout son cœur et il veut s’engager pour la vie. Je psalmodiais avec candeur.

Je pensais avoir raison et je défendais à quiconque de m’affirmer le contraire. Pour moi, ce serait différent de ce que vivaient les autres, grâce à mes principes. L’on croit souvent avoir la science infuse étant jeune, n’est-ce pas ? On imagine tout savoir, on se leurre de certitudes comme si la vie n’avait rien à nous apprendre, comme si l’on pouvait modeler son avenir à sa guise. Je ne m’en rendais pas compte, mais à cette époque j’étais amoureuse de l’amour et je pensais que la vie défilerait comme un doux film qui se termine en happy end. La réalité serait tout autre. Bien éloignée d’un roman à l’eau de rose. En fait, j’allais m’en prendre plein la gueule ! Mais je ne me doutais encore de rien. Ni combien cela pouvait faire mal.

— Bon, t’en es où avec les essayages de ta robe ? me demanda Jenny comme pour changer de sujet.

— J’y retourne tout à l’heure. J’ai tellement maigri que la couturière a dû s’y reprendre à deux fois déjà pour repriser ma robe. Elle m’a interdit de maigrir plus ! Je suis tellement angoissée que je ne mange plus.

En effet, je venais de perdre 6 kg : j’étais passée d’un grand M à un petit S, et ma couturière devenait chèvre.

— Tu pèses combien maintenant ? s’enquit ma cousine, car nous n’avions aucun secret l’une pour l’autre, aucun sujet tabou entre nous. Et ça, c’était génial !

— Cinquante deux kilos, avouai-je.

— Ça te va bien je trouve ! me rassura-t-elle.

Forcément, ma cousine faisait à peine deux kilos de plus pour sa taille mannequin. Tandis que moi, du haut de mon mètre soixante-quatre, je semblais toute ratatinée à côté d’elle.

— Et ton maillot ?

— Quoi, mon maillot ?

— Ben… Tu vas bien chez l’esthéticienne deux jours avant, non ?

— Oui, et j’ai prévu de me faire épiler normalement, pourquoi ?

— Tu devrais faire l’intégral ! C’est très joli, et profites-en pour te faire épiler les sourcils, tu seras canon !

— Je sais, je ressemble un peu à Frida Kahlo, mais je suis brune et donc... plus fournie que toi. Je ne me vois pas sans poils nulle part, désolée. Je me trouve belle comme je suis, et Daniel aussi.

— OK, c’était juste pour te faire des suggestions beauté Nina. Bon je dois y aller, j’ai mon entretien d’embauche qui m’attend.

— Ah bon ? Tu ne m’avais pas dit ça ! Tu vas postuler pour quel boulot ?

— Responsable d’une boutique de chaussures de luxe, me répondit-elle fièrement.

— Mais tu n’as jamais travaillé dans une boutique de chaussures, et tu n’as jamais été responsable d’aucune boutique ! m’étonnai-je.

— Il suffit de rédiger un super CV en écrivant tout ce qu’un patron a envie de lire. Et je compte sur ma présentation. Je suis jolie, intelligente, ce poste est pour moi. Allez, j’y vais ma cousine, je t’offre le café !

En la regardant s’éloigner, d’un pas sûr, je compris qu’elle aurait le poste. Elle bougeait son cul comme personne, avec ses jeans serrés qui mettaient délicieusement en valeur ses jambes filiformes. Le patron lui signerait un CDI juste en la voyant débarquer. Elle revint et s’esclaffa, déclarant fièrement qu’Enzo le Patron lui avait offert nos cafés. J’avais enfin compris son manège.

— Voilà pourquoi tu me fais venir ici sans arrêt, lui chuchotais-je à l’oreille pendant que nous quittions les lieux. Pour voir le patron de ce bar, coquine !

Nous nous sommes regardées, et nous avons commencé à rire avec tellement d’entrain que nous avons bien failli nous prendre la baie vitrée dans la figure, et le serveur en prime ! Une fois sorties du bar, nous sommes parties en fou rire total.

— La honte ! me dit-elle en mettant sa main devant la bouche. J’espère que le patron n’a rien vu !

— Alors comme ça, tu as des vues sur le patron du bar ! Et tu comptais me le dire quand ?

— Pour le moment, je n’en sais trop rien, nous en sommes à quelques sourires, rien de plus. Tu sais qu’il possède aussi deux grands restaurants à Nice ?

— T’es incroyable ma cousine ! Allez, je te laisse, cours à ton entretien ! Je croisais mes doigts pour elle.

Dire que de mon côté je n’étais qu’une simple petite vendeuse en boulangerie. Mais j’aimais mon travail, et j’appréciais les gens de mon quartier. Mon patron était un peu brut de décoffrage, mais tout se passait toujours dans la joie et la bonne humeur. Et j’avais ma cliente favorite, ma chouchoute, la vieille Josette.

— Bonjour Josette, une baguette pas trop cuite, comme d’habitude ?

— Oui ma petite Nina. Alors ce mariage, c’est pour bientôt ?

— Dans deux semaines, début novembre, répondis-je tout sourire.

— Je te félicite ma petite ! Non, pas cette baguette, pas celle-là non plus... Ah oui, celle-là est parfaite.

J’étais juste revenue sur la première que je lui avais proposée, mais ce n’était pas grave, j’avais l’habitude de ma petite Josette !

— Tu as des nouvelles de la bouchère ? me demanda-t-elle avec curiosité. Elle a fermé plus tôt hier, il paraît que son mari a eu un grave accident. T’es au courant ?

— Tu peux pas te mêler de tes affaires, mamie ? cria mon patron depuis son arrière-boutique. Il ne supportait pas ces commérages de quartier.

— Ta gueule le vieux grincheux, c’est pas à toi que je cause ! Heureusement qu’il y a notre petite Nina, sinon je mettrais plus un pied chez toi ! pesta Josette.

— Bon vent ! lui renvoya du tac au tac mon patron.

— Il n’est pas de très bonne humeur aujourd’hui. Bonne journée, mamie Josette !

Je lui tendis sa baguette et je récupérai la monnaie.

— Il est jamais de bonne humeur ce bougre, je sais pas comment tu fais pour le supporter, t’es trop gentille !

***

Oui, il est vrai que j’essayais d’être gentille et aimable, c’était mon éducation. Mais parfois, j’étais comme tout le monde. Mes gènes de Sicilienne remontaient à la surface et je perdais le contrôle de mes nerfs. Mes parents, eux, s’aimaient à l’italienne. Beaucoup d’amour, de nourriture, de cris et de religion. Ma mère, Amélia, était certainement la plus rebelle de l’église. Personne ne lui faisait peur, pas même le prêtre. C’est elle qui organisa mon mariage, qui fit la cuisine, et toute l’église y apporta sa contribution. Il y eut plein de petites mains pour confectionner des fleurs en papier jaunes et blanches, faire des toasts, et des gâteaux. Elles étaient toutes si adorables de nous apporter leur aide !

Et puis, le grand jour arriva. Je parvenais enfin à marcher correctement après ma séance d’épilation qui remontait à deux jours. Ou plutôt devrais-je dire, ma séance de torture. L’esthéticienne m’avait arraché la moitié de ma toison d’ébène, m’avait épilé les deux jambes et les aisselles. « Il faut souffrir pour être belle », me disait-elle. Putain de souffrance ! J’enfilais ma robe de mariée princesse meringue. J’étais euphorique, ivre de bonheur. J’imaginais Daniel, me découvrant, tombant à la renverse tant j’étais belle et désirable. On a toutes rêvé de ce moment magique, n’est-ce pas ?

Mais en ce qui me concernait, la magie n’avait pas vraiment fait « long feu ». En me regardant sortir de la voiture, il n’est pas tombé à la renverse. Il m’a souri brièvement et a jeté un coup d’œil à son costume pour vérifier s’il était impeccable. Il épousseta sa veste Kenzo. Il plaça lui-même toute sa famille et la mienne pour une séance photo, s’inquiéta de chaque détail, sauf de moi. Nous nous sommes mariés, avons ressassé nos vœux publiquement, mais sa voix ne me semblait pas émouvante, je n’ai pas vibré. C’était sûrement le stress, me réconfortai-je.

Dans la salle des fêtes, la musique résonnait. Tout le monde vint nous féliciter chaleureusement. Je ne me rappelle pas avoir fait autant de bises de toute ma vie. Mon fond de teint s’évanouissait à vue d’œil. Mon rouge à lèvre craquelait. Daniel était préoccupé par le DJ qui ne suivait pas notre programme musical. Ma mère courait dans tous les sens en hurlant des ordres en italien. Esther me félicita tout en étant malheureuse du décès de son oncle, et Jenny se pointa au bras d’Enzo, le patron du bar. Nous avions préparé une belle valse d’introduction. Tout se déroula à merveille, comme nous l’avions imaginé. En revanche, je n’ai pas réussi à échanger le moindre mot avec mon mari, tant il était affairé à jouer au « parfait organisateur ».

— Mais enfin, Nina, nous avons des invités, c’est notre devoir de nous en occuper, ne sois pas égoïste ! me reprocha-t-il alors que j’insistais pour lui parler.

— Oui, mais c’est aussi notre mariage, le plus beau jour de notre vie, et j’ai envie d’avoir au moins une danse tout entière dans tes bras !

Je lui fis cette remarque, car par deux fois il me planta au beau milieu de la piste pour aller pester auprès du DJ. J’étais vexée et folle de rage. Ce n’est pas comme ça que j’avais imaginé mon mariage.

Oui, pourquoi les choses ne se passent-elles jamais comme on le veut ? J’aimerais bien le savoir !

Enfin, l’heure du départ approchait. Dernier slow. Une centaine de bises plus tard, nous nous envolions tous deux dans sa voiture vers notre nouvelle vie. Assise sur le siège, je me rapprochais tendrement de mon mari en lui caressant la main. Nous allions enfin le faire, c’était notre nuit de noces ! Arrivés devant notre petit pavillon – un deux pièces rez-de-jardin en location - il m’attrapa, me souleva, me fit virevolter et me porta avec fougue jusqu’à notre lit. Il défit ma robe avec douceur, mon corps vibrait, je n’en pouvais plus. Ses baisers passionnés m’emportèrent loin, très loin. Enfin ça, c’est que je croyais qu’il allait se passer ! En vrai, débarquant dans notre chambre, demi-tour droite, il me tourna, me dévêtit, s’allongea sur mon corps et me fourgua sa saucisse dans le pain. Top chrono, performance de moins de deux minutes ! Ensuite il se retourna et s’endormit. Point final. Je restais comme une conne en position « étoile de mer » un bon moment, complètement anéantie par cette goujaterie. Le pire, c’est que contrairement à ma copine Esther qui avait enduré le martyre au moment de la pénétration, moi, je n’avais strictement rien senti. Du moins, pas d’avantage que lorsque je m’amusais à essayer de me pénétrer un doigt moi-même pour comprendre ce que l’on ressentait. On m’avait vanté tant de délices, tant d’extases à ce sujet ! Ma mère, qui n’a aucun sujet tabou, m’avait décrit l’acte comme étant une sorte d’ivresse qui fait planer. Et là, rien, nada ! Je m’évertuais cependant à lui trouver des circonstances atténuantes. Le pauvre, il était peut-être épuisé de sa journée… Demain serait un jour meilleur !

Le lendemain, à notre réveil, j’eus droit à un petit bisou, avant que rebelote, il ne me monte brutalement dessus. Ensuite, tout naturellement, comme étant l’une des premières choses auxquelles on pense en compagnie de sa nouvelle épouse, il se leva pour aller chercher... Devinez quoi ? Les enveloppes de félicitations avec le fric des invités !

— Tu fais quoi Dany ? lui demandai-je interloquée de le voir revenir dans le lit avec un tas d’enveloppes.

En plus, ces draps en satin me tapaient sur les nerfs. Ils n’arrêtaient pas de glisser sur ma nudité, et je ne me sentais pas à l’aise. En même temps, j’eus l’occasion d’apercevoir son attribut au repos. Et là, je compris pourquoi je n’avais rien senti par deux fois. Son sexe était ridiculement... modeste. Pour rester courtoise !

Comment aurais-je pu le savoir, moi, qui n’avais connu aucun homme avant lui ? Eh bien, je le savais… Parce qu’une fois j’avais bravé les interdits. Avec ma complice Jenny, un jour d’été, nous avions bu un petit coup de trop dans un resto bord de mer et nous nous sommes décidées à explorer la plage des « tous nus ». Ce jour-là, nous nous sommes bien poilées de rire toutes les deux, cachées dans un petit coin pour admirer le spectacle. Il faut dire que certains étaient très bien bâtis. D’autres en revanche auraient mieux fait de garder leur maillot, et même leur T-shirt pour cacher leur bedaine ! Idem pour les femmes. Il y avait des canons à vous rendre verte de jalousie, et des mamies avec des espèces de gants de toilettes plats et longs faisant office de poitrine. Mais l’essentiel, et je trouvais ça génial, c’est que personne ne semblait complexé ni même avoir un regard de jugement sur son voisin de serviette. Pourquoi cela m’avait-il interpellée ? Dire qu’à l’office religieux, tout le monde était si bien habillé, et pourtant beaucoup de langues de vipères se cachaient derrière ces apparats. Dès que l’on portait une jupe où l’on apercevait un bout de nos genoux, on nous dévisageait de travers, et ça jasait. C’était éreintant et déprimant. Ma mère me disait pour temporiser « Nina, elles sont toutes jalouses ces vieilles biques ! Tu t’en fous, tu ne vas pas à l’église pour elles, mais pour Dieu ! ». Bref, revenons-en à Dany et ses enveloppes :

— Je veux savoir combien on a récolté. Je suis sûr que mon oncle Gilbert a mis le paquet, je suis son neveu préféré, me dit-il d’un ton surexcité en décachetant une enveloppe à l’arrache.

— Et tu ne lis pas les petits mots sur les cartes de vœux ? Juste tu comptes l’argent ? m’étonnai-je.

— Pour les mots, t’inquiète, ils vont tous y mettre la même chose. Punaise, le couple Bertin n’a mis que trois cents francs. Dire qu’ils sont blindés ces radins ! La prochaine fois qu’on sera invités chez eux, je leur ramènerai de la piquette, ça leur apprendra. D’un geste amer, il jeta la carte de vœux à terre.

— Mais enfin, chacun met ce qu’il veut ! On doit juste dire merci et être content, on est ensemble c’est tout ce qui compte, pas vrai ?

— Ahhh, je le savais, Gilbert a mis cinq mille francs ! Mon grand frère n’avait eu que trois mille. Je suis content. Continua-t-il sans porter le moindre intérêt à mes déplorations.

Et moi dans tout ça, je suis transparente, je compte pour du beurre ? J’avais tout d’un coup l’impression de ne pas me trouver sur la même planète que lui, sur la même longueur d’onde. Vous devez sûrement comprendre de quoi je parle, non ? Je décidai de laisser couler pour me concentrer sur notre voyage de noces. Dans quelques jours, nous partions. Nous allions pouvoir roucouler et dépenser un peu de cette fortune que nous venions de recevoir pour s’offrir du bon temps. De plus, nous allions à Venise, la ville des amoureux, célèbres pour ses canaux, ses gondoles, ses églises et le pont des Soupirs... Ah, je soupirais, je partais à Venise, ce serait un voyage inoubliable. Et il le fut !

***

En attendant ces quelques jours qui me séparaient du voyage de mes rêves, j’avais du boulot sur la planche. Par quoi commencer ? J’avais une bonne centaine de paquets cadeaux qui trônaient au beau milieu du salon et qui me faisaient de l’œil. N’est-ce pas un plaisir d’ouvrir des tas de cadeaux ? Moi, qui n’ai jamais fêté Noël ? Ma cousine Jenny passa me faire un coucou, et avec sa véhémence habituelle, me lança :

— C’est quoi tout ce bordel ? T’aurais pas pu faire une liste de mariage, comme tout le monde ?

Une liste de mariage ? Pourquoi n’y avais-je pas pensé ? Cela m’aurait évité de me retrouver avec sept services à gâteaux, trois cafetières et deux grille-pains. Pourquoi je fais toujours tout de travers ? Je me le demandais souvent.

— Ce n’est pas grave, mentis-je, je vais pouvoir faire plusieurs gâteaux en même temps.

— Et changer de grille-pain chaque week-end ! me répliqua-t-elle en pouffant de rire.

— J’ai même reçu un service à huîtres, génial non ? Je mentis.

— T’es pas allergique aux huîtres ?

Si ! Et là, nous avons ri ensemble. Je me sentais pathétique au milieu de tous ces cadeaux. Cette situation était tellement hilarante !

— Bon, parlons peu, parlons bien. N’aurais-tu pas une petite bouteille de champagne qui traîne encore dans ton frigo ? Me lança-t-elle en ouvrant naturellement mon frigo.

— Il n’est que onze heures du matin, m’étonnai-je.

— Il n’y a pas d’heure pour déguster du champagne, affirma-t-elle sans hésiter en attrapant une bouteille de Nicolas Feuillate.

Elle marqua un point. Cette boisson festive était notre petit péché mignon à toutes les deux. Et puis ça décoince et ça aide à se confier, pas vrai ?

— Allez, à nous cousine, à ton bonheur avec Enzo !

— À ton mariage !

Nous trinquâmes à même le sol sur un gros tapis moelleux, au beau milieu d’une centaine de paquets cadeaux arrachés à la sauvage. Pas le temps de faire dans la dentelle, j’étais toujours très impulsive et tout devait se faire rapidement. Enfin, presque tout !

— Alors, au fait, ton entretien d’embauche, tu m’as dit que tu as eu le poste, mais peux-tu me rapporter les détails croustillants ?

— C’est très simple, je suis arrivée, jeune, belle et brillante face à une vingtaine de nanas mal fringuées et hop là, elles ont toutes été vite et bien rembarrées. Elles, leurs vieux jeans tout troués et leur bac +5.

— Tu m’étonneras toujours ! M’exclamai-je admirative. Et t’as mis quoi sur ton CV ? Je peux savoir ? On est d’accord que tu n’as pas bac +5 ?

— Eh bien, maintenant si ! Et de plus, je parle anglais et italien couramment, tu n’étais pas au courant ? me répliqua-t-elle malicieusement en pouffant d’un petit rire.

Bon, inutile de vous dire qu’au bout de trente minutes, nous étions déjà pompettes, à se raconter des tas de bêtises de filles.

— Arrête de critiquer mon mari ! lui lançai-je à moitié bourrée, la tête appuyée sur un cadeau que j’étais en train d’écraser sans m’en rendre compte. Il est gentil, il vient de me faire une surprise : il m’a inscrite à l’auto-école, je vais pouvoir passer mon permis et conduire sa voiture sportive.

— Moi, je trouve qu’il ne parle pas beaucoup, il n’a jamais rien à dire. Tu ne t’ennuies pas avec lui ? Qu’est-ce que vous vous racontez le soir ?

— Pas grand-chose, c’est vrai, mais il m’a dit « Je suis un homme mystérieux, tu vas devoir deviner mes émotions », récitai-je à la Shakespeare.

— Bof, je n’y crois pas trop ! Les mystères c’est sympa au début, et ensuite tu verras que ça va vite te gonfler. C’est quand même plus simple de se dire les choses, non ?

Est-ce qu’elle avait raison ? Moi, le mystère, ça me plaisait bien. Et puis zut, j’avais envie de danser. Je me levai et je mis un trente-trois tours. La diva, la merveilleuse, la fabuleuse Aretha Franklin. Avec Jenny, nous l’adorions. Au premier son de THINK qui se fit retentir, nous étions déjà sur nos deux pieds à bouger et frétiller comme deux folles. Nous avions, dans notre gaieté contagieuse, déchiré le restant des paquets cadeaux, nous avions lancé en l’air des tas de boulettes de papier en hurlant notre joie de vivre et notre bonheur. Oui, rien ni personne n’allait nous empêcher d’être heureuses, c’était notre certitude, notre pacte secret à toutes les deux. Mais comment y parvenir ? C’était une tout autre question dont je n’avais pas encore la réponse. Tout ce que je savais, c’est que je devais tout faire pour que mon mariage fonctionne. Ma mère m’avait dit avant la cérémonie :

— Nina, si tu veux réussir ton mariage, sache qu’un homme pense avec deux cerveaux : celui du ventre et celui d’en bas. Fais-lui de bons petits plats, et sois une grosse cochonne au lit !

Est-ce bien ma mère qui me parlait ? Celle qui était au premier rang de notre église tous les dimanches ? Il faut croire que oui. Bon, pour ce qui était de bien faire à manger, il fallait que je m’y colle. Au nombre de casseroles que ma mère avait entassées dans une pièce pour préparer mon « trousseau », je n’avais pas vraiment le choix. Mais le sexe ? Comment pouvais-je avoir envie de jouer la cochonne avec ce rustre lapin ? Non seulement je n’en avais pas envie, mais en plus, je trouvais l’acte en lui-même décevant.

***

Novembre à Venise, quel paradis ! Toute cette grisaille, cette pluie fine qui tombait délicatement sur l’eau des canaux, quelle merveille n’est-ce pas ? Lorsque l’on est amoureux, tout est beau de toute façon. Et ces gondoles aux couleurs éclatantes, ces costumes, et la langue italienne si chantante... C’était magnifique ! Je l’avais décidé, je voulais que ce soit un doux rêve, et ce le serait. D’ailleurs qui aurait pu m’empêcher de le vivre pleinement ? Mon empêcheur s’appelait Daniel, eh oui c’était mon mari ! Tout d’abord, le tour en gondole : plus de trois heures à négocier avant de trouver la bonne embarcation. Quelle pugnacité ridicule !

— Mais enfin Dany, on va pas passer la journée à marchander les prix, je veux juste faire un tour en gondole, c’est tout !

— Nina, c’est moi qui tiens le budget, et il est hors de question que je me fasse avoir, ces Italiens sont tous des voleurs !

— Eh bien justement, puisqu’ils le sont tous, arrête d’en chercher un honnête et faisons notre tour ! Fais-moi plaisir, juste plaisir ! Insistai-je désespérément.

Il finit par céder, non sans faire la gueule. Mais pourquoi ne m’étais-je pas rendu compte à quel point c’était un gros radin ? Grrrr.... Et puis tant pis ! Sous mon parapluie, je me sentais heureuse, je profitais, je me délectais de l’instant présent. Inutile de vous dire à quel point tout le reste de notre voyage fut contraignant au niveau du porte-monnaie. Les restaurants, les cadeaux souvenirs, les boutiques de sacs en cuir, tout passa à la loupe de ce pingre. Le point positif dans ce voyage ? Eh bien, c’est durant cette escapade que je connus ma première jouissance. Ce fut très bref, mais j’ai tout de suite aimé le bien-être que l’on pouvait ressentir et je décidai qu’il y en aurait encore beaucoup d’autres. En attendant, et comme une sorte d’apothéose qui couronna de succès mon voyage de noces, je chopai la varicelle. Durant notre retour de voyage, une éruption de petites bulles apparut brutalement sur mon ventre. Le lendemain, ces vilaines cloques envahirent tout mon corps, jusqu’à mon cuir chevelu. Ne m’avait-on pas dit que c’était une maladie infantile ? Suis-je un chat noir ? Je suis donc restée durant une semaine complète à moitié éteinte dans mon lit, avec fièvre et vertiges. Puis, tout doucement, la vie reprit son cours et le quotidien s’installa, un peu trop rapidement à mon goût. Je dois avouer qu’en fait, avec cet homme, je m’ennuyais. De plus, l’on m’avait dit que la passion pouvait durer jusqu’à trois ans. Alors comment expliquer que mon mari, au bout d’un mois déjà, n’avait plus de flamme amoureuse au fond de son regard ? Je me sentais triste. Néanmoins, j’étais décidée à me battre, je voulais que notre mariage soit une réussite. J’étais convaincue que l’on pouvait aimer pour deux. Le peut-on vraiment ?

***

— Bonjour ma petite Nina, tu nous as manqué ! J’ai changé de boulangerie durant ton absence, se félicita la veille Josette. Alors, ton voyage de noces s’est bien passé ?

— Oui, ça s’est bien passé, mentis-je.

— Ohh, tu ne vas pas me la raconter à moi ! Tu n’as pas la mine réjouie que tu devrais avoir. C’est ton mari, c’est ça ? Si c’est un gros con, laisse-le tomber tout de suite, tu gagneras du temps ! me conseilla-t-elle.

— Tu vas lui foutre la paix la vieille ! s’emporta mon patron. Elle est très heureuse, elle va très bien.

— C’est pas à toi que je cause, le vieux grincheux. Occupe-toi de tes croissants !

Elle me redonna le sourire. J’adorais ma mamie Josette, c’était mon petit rayon de soleil.

— Et je t’ai déjà dit de ranger ton sale clébard au fond du panier, il a pas à renifler mes brioches ! poursuivit mon patron qui ne pouvait pas la saquer.

— Mon chien, un sale clébard ? Tu vas voir un peu !

Josette sortit son chihuahua de son panier, le mit à terre et lui ordonna :

— Timon, cherche le chat, bouffe-le !

Le chien se dirigea tout droit vers l’arrière de la boulangerie, aboya et puis l’on entendit un fracas de bruits sourds, des miaulements. Un nuage de farine blanche émigra en masse jusqu’à nos visages. Le patron hurla, poursuivit le chien Timon qui revint aussitôt vers Josette.

— Fichez le camp d’ici, ou j’appelle la police ! menaça-t-il, furieux.

— Vous allez dire quoi aux flics, qu’un chihuahua vous a attaqué ?

— Dehorsssss vieille folle ! cria-t-il.

Qu’est-ce qu’on pouvait s’amuser dans ce village de l’arrière-pays Cannois ! Il se passait tout le temps des trucs marrants. Et puis, vers treize heures, une fois le travail terminé je rentrais chez moi. J’allumais le poste de télévision et je repassais une trentaine de minutes devant les « Feux de l’amour ». C’était devenu mon petit rituel quotidien. Je trouvais captivant de regarder les merdes des autres à travers un feuilleton, ça me faisait oublier ma routine. Et puis je prenais soin de préparer un super petit repas pour mon chéri. Je passais beaucoup de temps à chercher et établir de nouvelles recettes pour lui faire plaisir. Tout ce qui lui avait plu, je le notais sur un petit carnet pour pouvoir le lui refaire lorsqu’il en aurait envie. Je voulais le chouchouter, pour qu’il m’aime davantage.

Était-ce une erreur de ma part ?

***

— Tu en fais trop, me dit Jenny alors que nous étions au bar d’Enzo, son compagnon.

Nous n’avions plus besoin de payer nos cafés, c’était cool ! Du coup, j’en prenais plusieurs. Jusqu’à l’écœurement parfois ! Mon père m’avait toujours dit « Quand c’est gratos, tu prends » !

— Je ne suis pas d’accord avec toi, et de toute façon je ne sais pas faire autrement. Je joue un rôle, c’est tout. Celui de la femme modèle qui aime son mari. Y’a rien de mal à ça, non ?

— Tu en es sûre ? Est-ce qu’il te le rend, lui ? me lança-t-elle en me clouant le bec.

C’était une bonne question. Est-ce qu’il me le rendait ? Bien sûr que non ! Je mettais le couvert, je le servais comme un petit prince. Durant tout le repas il restait absorbé, la tête tournée vers la télé sans dire un mot. Ensuite, pendant que je débarrassais et faisais la vaisselle, il regardait encore la télé, son cul confortablement installé dans notre canapé. Puis, il partait se coucher. De mon côté, je prenais ma douche et je me glissais contre lui dans le lit. Dans le noir total, je lui faisais plein de grattouilles dans le dos. Il adorait ça, mais il ne lui serait jamais venu à l’esprit que moi aussi j’aurais pu aimer ça. Et puis enfin, une à deux fois par semaine, je passais à la casserole. Si j’avais la chance de jouir j’étais satisfaite, sinon ce serait pour une prochaine fois. Ma jouissance ne faisait pas partie de ses priorités. C’était un gros égoïste, mais je ne voulais pas m’en convaincre. Tout le monde peut changer, n’est-ce pas ? m’affirmais-je régulièrement pour m’encourager.

— Il me le rend, à sa manière, tu sais, il est comme ça. Samedi nous sortons un peu, nous allons au cinéma.

— En tête à tête ou encore avec votre chaperon Anthony ?

— Arrête Jenny ! lui dis-je embarrassée. Tu sais bien qu’ils sont les meilleurs amis du monde, je ne dois pas être égoïste et l’étouffer.

Étais-je sincère en lui répondant cela ? Non. En fait, je n’en pouvais plus d’avoir Anthony dans nos pattes tous les week-ends. Le samedi matin, il partait chez lui pour causer voiture et moto, l’après-midi c’était cinéma tous ensemble et le soir il restait manger chez nous. Nous étions comme des colocataires, à part que moi je n’avais rien demandé, et cette situation me bouffait l’estomac. Puis le dimanche matin, c’était l’office religieux, et ensuite repas chez mes parents. Ma mère n’aimait pas bien Dany et c’était réciproque. Et moi dans tout ça ? Je me sentais délaissée et perdue, du coup j’avouai quand même une chose à Jenny.

— Je crois qu’il doit être complexé, lui chuchotais-je alors que nous entamions notre troisième café.

— Complexé de quoi, raconte ? me demanda-t-elle, curieuse comme une pie.

— Hier soir, il a fait un truc bizarre. En rentrant dans notre chambre le soir après la douche, je... Oh s’il te plaît Jenny, ne te moque pas et ne le répète à personne surtout, ce serait la honte pour lui !

— Mais vas-y accouche ! Non, je ne parlerai pas c’est promis, se crispa-t-elle.

— Eh bien, il avait une petite règle à la main et il était en train de mesurer... son sexe au repos, lui chuchotais-je en me rapprochant de son visage.

Et là, bien sûr, elle éclata de rire. Tout le bar pouvait l’entendre se gausser ouvertement de mon pauvre mari au petit zizi.

— Ce n’est pas rigolo, tu sais ! lui lançai-je.

— Euh non, bien sûr. Mais Nina, franchement, il est distant, ne te fait jamais de câlins, et en plus il est mal foutu de la bite. Excuse-moi, mais change de mec ! Ça urge !

— Bien sûr, je n’y avais pas pensé ! dis-je ironiquement. Écoute, je l’aime quand même et j’ai promis de l’aimer toute ma vie. Désolée, je ne veux pas baisser les bras. Je suis convaincue que ça va s’améliorer avec quelques efforts. Je n’ai pas envie de connaître plein d’hommes, j’ai toujours eu envie d’en avoir qu’un, et un seul.

— Oui, je vois, tu veux ressembler à tes parents. Mais sache qu’eux, c’était une autre génération et ça reste exceptionnel. Arrête de jouer les Laura Ingalls ! La petite maison dans la prairie ça n’existe que dans les feuilletons. Nous sommes dans la vraie vie, là ! Et moi, tout ce que je vois, c’est que tu n’es pas heureuse, ma Nina.

— C’est faux, je suis heureuse ! m’énervai-je. Et arrête de le juger. Moi, je ne juge pas ton Enzo ! Tu vis ta vie, tu fais tes choix.

— Très bien, j’espère me tromper, abdiqua-t-elle pour faire retomber la pression en rejetant en arrière ses longs chevaux blonds d’un geste agacé.

Jenny avait le chic de toujours dire haut et fort tout ce qu’elle pensait. Lorsqu’il s’agissait des autres, c’était hilarant, mais ce n’était pas la même musique lorsque je devenais la cible de ses vérités. Est-ce que quelqu’un aime s’entendre dire tout le contraire de ce dont il est convaincu ? Cela reviendrait à dire que l’on s’est trompé, que nos rêves et nos attentes ne reposaient, en fait, que sur des illusions. Et pourtant, au fond de moi, la voix de mon sixième sens me disait qu’elle n’avait pas tort. Quoi qu’il en soit je trouvais que ma vie n’allait pas si mal que ça et que je ne devais pas m’en plaindre. Jusqu’au jour où un événement allait transformer ma vie paisible en enfer. Et le diable de cet enfer avait un prénom. Comment se nommait-il ?

***

Un an et demi déjà que nous étions mariés. Ce dimanche matin qui flairait le printemps, je me sentais gaie. Je décidai de me vêtir d’un tailleur rose avec un joli chapeau. Depuis la sortie du film Pretty Woman, je ne cessais de vouloir lui ressembler. J’étais bien sûr plus petite que Julia Roberts, mais tout de même mignonne. Je prenais soin d’être toujours bien maquillée et apprêtée pour que mon chéri soit fier de moi.

— Qu’en penses-tu Dany, ces chaussures ou celles-ci ? Lui montrai-je indécise.

— Franchement, j’en sais rien, mets ce que tu veux !

Il s’en fichait royalement. Pourquoi n’avait-il jamais aucun avis sur rien ? - hormis les voitures et le football - Est-ce pour cela qu’il ne m’offrait jamais rien ? Pour notre premier anniversaire de mariage, il m’a juste dit de choisir un restaurant et j’ai opté pour le plus cher : celui que Jenny m’avait conseillé, bien sûr.

Enfin bref, ce matin-là, le temps était magnifique, les bosquets de fleurs qui entouraient l’édifice religieux offraient une palette de couleurs rayonnantes. Des marguerites, des pavots, des tulipes. En sortant de la voiture, j’allais saluer Esther, mon amie, en disant bonjour un peu à tout le monde. Et là, en me retournant, je la vis. Ou plutôt, je les vis. Pourquoi mon mari – qui ne rit jamais – était en train de s’époumoner aux éclats ? De plus, ce n’était pas le rire bref entre deux potes, c’était celui qui est stupide, celui où l’on ne rit d’un rien.

Je m’approchais lentement et le cœur battant, je ressentis tout de suite une certaine animosité, un danger.

— Oh Nina, me lança Anthony tout sourire, je te présente ma sœur, Sarah, et son mari Arnaud.

— Oh, je suis enchantée Nina ! me lança Sarah la pouffe. J’ai tellement entendu parler de toi. Avec mon mari, nous avons décidé de venir nous installer dans la région. C’est génial, nous allons être comme des sœurs toutes les deux ! s’emballa-t-elle.

— D’ailleurs, vous faites quoi après l’église ? nous demanda le mari de Sarah la pouffe.

— Nous n’avons rien prévu, se hâta de dire Dany.

— Nous allons chez mes parents, Dany, comme tous les dimanches, le repris-je mécontente.

— Justement, pour une fois, on ne pourrait pas faire autre chose ? À part nous engraisser et me critiquer, elle ne sait rien faire d’autre, ta mère ! me jeta-t-il à la figure devant tout le monde.

— « Oh oh, je suis la mère poularde qui engraisse ses petits », s’amusa à déblatérer le mari de la pouffe tout en imitant je ne sais trop qui.

— Ah ah, tu es trop drôle mon chéri ! s’esclaffa Sarah.

Quelle bande de cons ! Et ce fumier de Dany qui critiquait ma mère ouvertement, quel salopard ! Mais je ravalai ma haine, et je n’eus pas d’autre choix que de suivre mon mari. Ma mère hurla de contrariété à la sortie de l’église, et je me retrouvais donc entre mon mari et ma mère qui venaient définitivement de se déclarer la guerre. Refuser une invitation de sa belle-mère sicilienne n’était-il pas un affront ?

Toute l’après-midi, je fus contrainte d’écouter les souvenirs de cette tribu d’Alsaciens qui ne juraient que par leur région. Mais pourquoi sont-ils venus dans le sud ? Ils préfèrent leur Alsace ? Parfait, qu’ils y restent ! Et Dany, mon mari était si jovial, si allègre. Il riait de tout. Pourquoi était-il si différent avec moi ? Avais-je fait quelque chose de travers ? J’étais tout aussi jolie qu’elle, alors pourquoi cette pimbêche pouffiasse le faisait rire et pas moi ? Dire qu’en plus, c’était elle qui l’avait largué à l’époque ! Je ne comprenais rien aux hommes. Et le mari de Sarah, avec ses blagues à deux balles, je le trouvais pathétique. En revanche, elle semblait réellement éprise de son mari. Alors quel était le problème ? Pourquoi ressentais-je de la jalousie ?

***

— L’amitié entre homme et femme, ça n’existe pas ! me prévint Jenny.

Cette après-midi-là, je n’étais pas dans mon assiette. Le café avait un goût d’amertume. Elle, toujours aussi pimpante, et moi qui me sentais comme au bout de ma « life ».

— Je sais, je suis d’accord avec toi, mais Sarah est mariée, et Dany est un homme fidèle.

— Tu crois vraiment que parce qu’un homme est marié et qu’il va à l’église, ça fait de lui un saint ? Ta naïveté me fatigue !

— Sois gentille avec moi, je suis déjà assez déprimée comme ça !

— Justement, je veux te bousculer pour que tu te réveilles Nina. Tu es belle, tu t’occupes de lui, tu l’aimes, tu es fidèle. Que veut-il de plus ?

— Je ne sais pas ce que je dois faire avec Dany. Tout ce que je sais, c’est que cette pouffe de Sarah, je ne la supporte pas ! Elle et ses rires stridents à la noix. Ils sont tout le temps en train de se bidonner ensemble. Et la dernière fois que nous sommes allés au cinéma, il a refusé de prendre ma main en marchant. Il m’a dit :

— Ah non, je n’aime pas ça ! Et il s’est dépêché de rejoindre trois mètres plus loin Anthony et le mari de cette pouffe. Et je me suis retrouvée comme une conne à devoir faire la causette avec elle. J’ai appris qu’elle aimait les animaux, génial, ça me fait une belle jambe !

— Écoute-moi bien, Nina ! Nous, les femmes, avons un sixième sens et on ne se trompe jamais. Si tu as le moindre doute, alors dis-toi que malheureusement tu as raison.

— Je préférerais avoir tort ! Et en plus, au cinéma, continuais-je, comme par hasard, ils se retrouvent assis à côté l’un de l’autre. Au restaurant, pareil, soit il est à côté d’elle, soit en face, et moi je n’existe pas. J’ai des envies de meurtre parfois ! m’agaçai-je. Bon, assez parlé de moi ! Et toi avec Enzo ?

— Je gère... Mais... j’attends un enfant, m’avoua-t-elle d’un ton solennel.

— Quoi ?! C’est maintenant que tu me le dis ? Félicitations, tu es contente ?

— Disons que ça arrive un peu tôt dans ma vie, mais bon, comme il a dix ans de plus que moi, ça va. Le seul problème c’est qu’il ne veut pas se marier.

— Mais je pensais que ce n’était pas un problème pour toi, mariée ou pas mariée ?

— Sauf que j’ai grandi sans père. Alors cet enfant, je veux qu’il en ait un. Je lui ai donné une semaine pour se décider.

— Attends, ne me dis pas que tu comptes te débarrasser de cet enfant ?

— Non, t’inquiète pas, il va craquer ! Sa mère m’aime bien, elle le frapperait si elle apprenait qu’il hésite à se marier. Je dois me protéger, moi et mon enfant, tu comprends ?

— Oui, je comprends, mais de là à obliger un homme à se marier, c’est plus de l’amour ça, non ?

— Qui te parle d’amour ? Je parle de protection, je protège mes arrières, c’est tout.

— Bon, alors si tu es convaincue que tout va se passer comme tu le planifies, tout va bien.

Après quelques secondes de silence, je ne pus m’empêcher de lui dire le fond de ma pensée.

— Non, il y a autre chose, je te connais, alors raconte-moi !

— Oui, avoua-t-elle, moi aussi j’ai du mal avec quelqu’un. Je ne supporte pas sa sœur, Doria, c’est une teigne. Elle me tape sur les nerfs ! Elle me traite sans arrêt de profiteuse, elle parle dans mon dos en disant à qui veut bien l’entendre que je gaspille tout l’argent de son frère. Je vais finir par lui coller mon poing sur la gueule à celle-là.

— Tu as essayé de discuter avec elle pour lui dire que c’était faux ? Tu travailles, tu gagnes bien ta vie, tu n’as pas besoin de son argent, alors pourquoi est-elle mauvaise avec toi ?

— La jalousie, c’est tout ! Elle est moche et mal foutue.

On se mit à rire toutes les deux. Nous avions chacune notre pouffe attitrée !

— Bon, après, c’est vrai qu’il me donne de l’argent et m’achète beaucoup de vêtements et de bijoux. Mais c’est mon fiancé ! S’il veut me faire des cadeaux, c’est son droit. Je ne vais quand même pas les refuser pour faire plaisir à sa «Shrek» de sœur !

— Non, c’est sûr, et puis comme tu m’as toujours dit, tu as de grands besoins ma cousine, gloussai-je à moitié tordue de rire.

***

Deux semaines plus tard, un drame irréparable se produisit. Alors que je m’efforçais en vain d’appeler Jenny, elle ne répondait plus depuis plusieurs jours. Ce n’était pas normal. Et s’il lui était arrivé quelque chose de grave ?

— Jenny ? Ah, enfin, mais pourquoi tu ne réponds plus à mes appels ? J’étais morte d’inquiétude !

— Nina, me dit-elle d’une petite voix souffrante. Je l’ai perdu.

— Perdu quoi ?

— L’enfant. Après un long silence, elle reprit. Dimanche dernier on était tous chez la mère d’Enzo mon fiancé, et nous avons annoncé la nouvelle du bébé et du mariage à toute la famille. Tout le monde avait l’air ravi, sauf Doria évidemment. Elle m’a humiliée publiquement en me disant que je l’avais fait exprès, que tout ça c’était pour le pognon. Elle s’est levée de table, et puis je l’ai suivie... Je l’ai attrapée par les cheveux et je l’ai frappée. Nous nous sommes battues comme deux hyènes.

— Et pourquoi Enzo n’est pas intervenu ?

— Les hommes italiens sont tous des lâches face à leur famille. Je suis tombée sur le coin du lit. Avec mon ventre...Tout le monde était en panique, je hurlais de douleur, je saignais... Et voilà, je n’ai plus de bébé, et plus de chéri.

— Tu ne veux plus le voir, c’est ça ?

— Pour le moment, je ne veux plus l’entendre. Ni le croiser. J’ai besoin de rester seule.

La situation de Jenny me toucha énormément. Comme les semaines qui suivirent furent un peu mornes, mon mari eut l’idée de me faire une belle surprise. Il arriva un samedi midi, avec dans les bras un petit toutou.

— Tiens, c’est pour toi ! Dépêche-toi de le prendre, il m’a dégueulé dessus et il a sali toute la bagnole ! Je dois nettoyer. Il me tendit le chiot.

— Oh ! Eh bien, merci. Qu’est-ce qu’il est mignon ! Comment se fait-il que tu aies eu cette idée, je veux dire, de m’offrir un chien ? Je lui demandais curieuse alors que je lui fis son premier bisous qu’il me rendit par une léchouille.

— C’est Sarah. Elle te trouve triste en ce moment. Elle a de la peine pour toi. Elle m’a conseillé de te prendre un animal. C’est une bonne idée, non ?

— Ah je vois… Évidemment.

— Ça veut dire quoi ce « évidemment » ? me beugla-t-il dessus d’un ton acerbe. Tu sais que tu commences à me saouler avec tes propos mal placés. Elle est gentille, elle n’arrête pas de me dire qu’elle voudrait être ton amie, tu pourrais faire un effort, merde !

Je posai le pauvre petit toutou à terre, pour pouvoir mieux m’exprimer :

— Ah, parce que tu ne vois pas peut-être qu’elle n’aime plus son mari et qu’elle est amoureuse de toi ? Et comment se fait-il que depuis qu’elle est dans la région, tu recommences à bien t’habiller ? Pendant un an tu étais fringué comme un clochard et maintenant tu reviens avec des pulls en laine et des manteaux en cachemire. Sans compter que tu t’es inscrit à la muscu. C’est pour toi, pour moi ou pour elle ?

— Mais t’es complètement folle ! me hurla-t-il dessus en resserrant ses poings. Va te faire soigner, tu m’entends, va te faire soigner !

Puis il me bouscula violemment et j’atterris dans la porte vitrée de la bibliothèque. Je me laissai tomber à terre de douleur en me recroquevillant et en pleurnichant. Le petit toutou accourut vers moi pour me lécher.

— Oh, comme tu es beau, petite saucisse, trop choupinou ! Ce n’est pas ta faute après tout. Je vais t’appeler Choupi.

Ce teckel embellit ma vie. Il était trognon, il m’aimait et me rendait les caresses, LUI.

***

Avec Dany nous ne faisions plus l’amour que très rarement. Et parfois, il lui arrivait même de me repousser. Alors je décidai de prendre ma vie en main, de changer de tactique. J’en avais assez de jouer les victimes éplorées, d’être triste. Je voulais retrouver le sourire, être heureuse, et surtout j’étais assez jolie, alors zut, j’allais sortir le grand jeu. Je m’étais un peu laissée aller ces derniers temps. Tout ça allait changer ! Dorénavant, je m’enjolivais. Je me faisais la plus belle possible, je gardais la tête haute et le sourire face à Sarah la pouffe. Je lui parlais de mon couple comme s’il était merveilleux, que nous voulions prochainement avoir un enfant et où nous passerions nos prochaines vacances. D’ailleurs, je l’invitais même à venir un dimanche chez mes parents après l’église avec son mari. Et ce petit manège fonctionna à merveille. Elle blêmissait de douleur et de jalousie à chaque fois qu’elle me voyait et j’avoue que je m’en délectais.

***

Ce dimanche-là, chez mes parents, alors que Sarah était venue dans la cuisine pour donner un coup de main à ma mère, j’ouvris une bouteille de Bordeaux et me servis un verre. Ça sentait bon le gratin de lasagnes. Et ma mère lui demanda en toute naïveté :

— Dis Sarah, tu ne connaîtrais pas par hasard quelqu’un qui serait intéressé par quelques heures de ménage par semaine ? Je ne m’en sors plus avec cette grande maison !

— Mais peut-être que Sarah serait-elle intéressée ? lui jetai-je à la figure en croquant dans une chips. C’est vrai que ça doit être galère depuis que ton mari a perdu son travail. Tu te rends compte maman qu’ils sont obligés de dormir dans la vieille caravane, au fond du jardin, chez son frère Anthony ?

Elle me regarda en me fusillant de son regard sombre.

— Mais oui, ce serait une bonne idée, ça t’intéresse Sarah ? Lui proposa ma mère jovialement.

— Euh, bredouilla-t-elle, je ne sais pas, je dois réfléchir, répondit-elle en quittant la pièce prestement.

Sa figure s’empourpra d’une colère grandissante. Comme cela me faisait du bien d’être un peu méchante ! Même si ce n’est pas ce que j’apprenais à l’église. Trop bon, trop con, pas vrai ?

Puis, en sortant de la cuisine, alors que je me rendais à la salle de bain avec mon verre de vin à la main, je vis mon mari sortir de la chambre de mes parents.

— Mais enfin Dany, qu’est-ce que tu fais dans la chambre de mes parents ?

— Euh, je cherche un cachet d’aspirine, j’ai mal à la tête, bredouilla-t-il en posant l’une de ses mains sur ses tempes.

— Dans la chambre de mes parents, volets fermés et dans le noir, sans lumière ?!

— Tu vois pas que je suis pas bien là ! Trouve-moi un cachet d’aspirine à la place de me poser des questions à la con !

Puis il me tourna le dos et alla rejoindre tous les invités dans le salon. J’en parlai avec Esther, mon amie. Elle me dit de ne pas m’inquiéter, que parfois les hommes ont des réactions étranges. OK, passons à autre chose. Je ne pouvais pas m’empêcher de me faire des nœuds au cerveau, d’avoir ce pressentiment. Je savais que Sarah aimait Dany, j’en étais sûre. Mais pourquoi mon mari ne s’en rendait-il pas compte, lui ? Au milieu de ce beau merdier d’hypocrisie, j’avais tout de même trouvé un allié : Choupi. Lorsque je n’aimais pas quelqu’un, il le sentait, son poil se hérissait et il grognait comme un mini yeti. Il alla jusqu’à pisser sur M. Germain, que j’appelais sans ménagement « le mangeur d’ail ». Dès qu’il ouvrait la bouche, sauve qui peut ! Ce n’est cependant pas pour cette raison que je ne le supportais pas. Ce pieux M. Germain passait son temps à me faire des remarques et suggestions vestimentaires. Tout ça parce que mes jupes étaient un peu au-dessus de mes genoux, et que cela pouvait gêner mon voisin de fauteuil à l’église. Il me disait continuellement des phrases comme « Prends exemple sur la femme de Roland ! Regarde comme elle s’habille ! ». Je lui faisais remarquer avec tact que cette femme et moi n’avions pas du tout le même âge. Et ce jour-là, victoire, Choupi me rendit justice. Quel bon toutou !

***

Deux mois plus tard, Jenny émergea enfin. Je lui rendis visite à son appartement.

— Tu as décidé de devenir fleuriste ? m’étonnai-je surprise de voir autant de bouquets de fleurs éparpillés chez elle.

— Ne m’en parle pas, il m’envoie un bouquet tous les jours, j’en peux plus ! En plus, je ne supporte pas les plantes !

Elle avait repris du poil de la bête, des couleurs.

— Bon, alors, tu vas mieux ? Où en es-tu ? lui demandai-je mi-soucieuse, mi-curieuse.

— Ça va, je remonte la pente en me mettant des coups de pieds aux fesses pour aller plus vite. Enzo, lui, il me veut, il m’aime, il ne veut pas me perdre. Du coup, il m’a offert l’appart que voici, et comme j’ai toujours eu envie d’avoir une bijouterie, il veut m’en offrir une aussi.

— Eh ben ! Ce n’est pas Dany qui ferait ça pour moi !

— Tu parles de ton vieux grigou de mari ? Je ne l’aime pas, tu es trop bien pour lui !

— Effectivement tu vas mieux ! Je la taquinais. Je sais que tu ne l’aimes pas, mais ce n’est pas le sujet du jour. Aujourd’hui, c’est toi, et rien que toi.

— Très bien. Le passé est ce qu’il est. On a qu’une vie, et puisque c’est tout pour moi aujourd’hui, ça tombe bien, j’ai besoin de prendre un peu l’air.

— Alors sortons ma cousine ! Je l’encourageais. On va dépenser le budget de ma semaine. Dany va en faire une crise cardiaque, mais on s’en fout !

Nous sommes donc sorties, toutes les deux, bras dessus dessous boire un... deux... trois petits verres pour se remonter le moral. Aux frais de la princesse ! Ou devrais-je dire, du « prince » !