Psychoses - Serena Davis - E-Book

Psychoses E-Book

Serena Davis

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Beschreibung

Plongez dans ces nouvelles psychotiques que vous ne pourrez plus lâcher !


Heurtée par la maladie de son père et celle de sa grand-mère, Serena Davis compose avec ses démons pour nous livrer ce recueil de dix nouvelles aussi fascinantes que déstabilisantes.

Une plongée psychotique aux frontières du réel, guidée par une plume qui entraîne le lecteur entre rêve et cauchemar.

L’auteure questionne les concepts de vérité et de responsabilité, avec une neutralité presque déconcertante.

Ce recueil atypique concentre des textes de grande qualité, pour certains lauréats de prestigieux concours.


Prix Provence-Poésie 2022 pour la nouvelle Chat noir et Sélection Festival Bienvenue sur Mars 2022 pour la nouvelle Voyage sans terminus !




À PROPOS DE L'AUTEURE


Serena Davis est une romancière et nouvelliste d'origine bourguignonne, née en 1985. Ses œuvres, prolifiques et éclectiques, sont les pièces d'un puzzle formant un ensemble littéraire des plus énigmatiques, un véritable projet.

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Seitenzahl: 52

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Serena DAVIS

 

Psychoses

 

Prix du Festival du Pays de Haute-Sarthe

 

Pour les nouvelles « Chat noir » et « Voyage Sans Terminus »

 

Sommaire

Entre ces murs blancs

La mémoire d’Henriette

La Vénus de papier

L’amour à l’encre noire

Chat noir

Voyage sans terminus

Non coupable

Réveille-toi

La nuit, fleurissent les Belles-de-nuit

Derrière la porte

 

Entre ces murs blancs

Sélectionnée par le journal Quinzaines (2020)

 

Elle ne sait plus. Elle ne compte plus. Elle ne sait plus depuis combien de temps elle est là, enfermée entre ces murs blancs, traînant son corps languissant, ce corps qui n’a plus d’âge. Elle ne sait plus. Elle ne compte plus. Elle ne sait plus quel est son âge. C’est peut-être son anniversaire aujourd’hui. Qu’importe. Cela ne compte pas. Ô solitude, drame de son âge !

Il lui semble qu’elle n’est pas si vieille. Pas si vieille, mais tellement vieillie pourtant. La jeunesse a laissé son trousseau devant la porte de cet hôpital. Il n’y a pas de miroirs. Tant mieux, car sinon elle les verrait, ces rides qui tracent leur chemin sur son visage, creusant des sillons profonds qui restent secs parce que ses yeux sont vides de larmes. Les sentiments n’ont pas leur place entre ces murs blancs. Les émotions, on les leur prend. Un cachet, une piqûre… et hop ! disparues les émotions. Au revoir colère, au revoir tristesse, au revoir joie, et, au revoir… mais la peur, la peur est toujours là. Peur de mourir, pas de mourir de la mort – la mort lui semble naturelle et tellement proche à présent – non, peur de mourir sans revoir ceux qu’elle aime, son mari, ses enfants. Parce que les souvenirs sont toujours là, eux. Sa mémoire est une forteresse imprenable. On ne lui enlèvera pas sa mémoire.

Oh ! ils peuvent bien essayer, tenter tous les stratagèmes possibles, fomenter leurs coups, installer leurs campements tout autour de son château, préparer leurs troupes entre circonvallations et contrevallations, ses archers sont puissants. Agiles et puissants. Préparés à la défense. Si nul ne peut sortir, nul ne peut entrer.

Elle s’installe dans un fauteuil, observe. Regarde passer les spectres. Autres comme elle. Autres qui n’ont plus ni espoir ni passion. Survivent. Passent comme des âmes en peine. Aspirée, l’énergie. Volée. Par des hommes et des femmes en blouse blanche.

Certains d’entre eux sont devenus fous. Ils se tapent la tête contre les murs, mais les murs ne bougent pas et seule leur tête a mal. Ils se blessent et ces blessures physiques n’éteindront pas leur peine, ne tairont pas leur douleur. Ô lamentations de l’âme, gémissements du cœur, hurlements de l’être brisé à l’intérieur ! Ils lui ont tout pris. Sa maison, son emploi, son mari, ses enfants, sa vie.

Elle observe. N’a parcouru qu’une centaine de mètres et pourtant, est déjà éreintée. Lasse, elle observe. Elle observe sa chute. Brutale la chute. Serait-ce cet autre monde dont parle Kadaré ? Alors sa destinée est bien morne. Attendre, se résigner et s’adapter à cette vie qui n’est pas la sienne, loin de ses proches ou tenter de fuir et mourir, dévorée par un aigle. Elle lisait beaucoup, aimait les histoires. Écrivait aussi. Était journaliste. C’était sa passion. Ecrivait des chroniques. Sur quels sujets ? Elle ne sait plus ! Ô fichue mémoire qui lui joue des tours ! Non, non, non, elle ne sait plus. Elle pose son coude sur l’appuie-bras du fauteuil, la paume de sa main sur son front, entre ses sourcils qu’elle fronce, essaie de réfléchir mais ses muscles faciaux ont beau se mobiliser, rien ne vient, elle ne sait plus.

Elle ne lit plus. Sa main n’a pas tenu un stylo depuis bien longtemps. La lecture lui manque, il lui semble, mais qu’on lui donne un livre, elle ne lira pas. Son cerveau est un vilain farceur. Parfois sa tête lui parle, elle l’écoute. On devient fou ici. L’asile l’a rendue folle.

Son mari ne vient pas la voir. Homme cruel ! Il est parti. A emmené ses enfants avec lui. Comment ne pas devenir folle ? Lui a tout pris. Ses bébés, la prunelle de ses yeux. Ses deux petits jumeaux, petits pains encore tout chauds sortis du ventre de maman. Leurs deux petites billes qui la regardaient, pleines d’amour. Ils pleuraient. Qu’ils étaient beaux quand ils pleuraient, tremblotants, leurs visages expressifs mimant les besoins primaires qui les tenaillaient ! Esclaves qu’ils étaient, esclaves de leurs pulsions brutales et animales, immaîtrisables, incontrôlables, envahissantes, avilissantes. Qu’ils étaient touchants dans leur dépendance, dépendance à la mère nourricière, libératrice ! Seul le sein de la mère pouvait les satisfaire. Ses bébés. Leurs pommettes toutes rondes, saillantes, réclamant la tendresse. Ô doux souvenir que celui de ses bébés, que le mari a emportés ! Volés les bébés, envolés. Alors elle s’est mise à errer, mugissant, hurlant, vociférant, hélant sa progéniture, suppliant le ciel de la lui rendre.

Ils n’ont rien compris. Elle n’est pas folle. Elle est mère, c’est tout. Le cordon a été coupé. Non, pas coupé, arraché, brutalement, le cordon qui la tient à la vie.

Sa mémoire est là, à la fois douce et impitoyable, apaisante et torturante, elle est son refuge et son tombeau, son ciel et sa damnation. Souvenir de ces moments de bonheur partagés, les bébés contre son cœur tambour battant lorsqu’elle s’émerveillait d’un sourire, d’un geste ou d’un gazouillis, instants d’émerveillements, fugaces mais réels. Oasis pour son cœur affamé. Mais quel déchirement quand elles partent, ces images enchanteresses, que le bleu et le rose s’estompent pour ne laisser que des murs blancs, impersonnels et froids !

Elle observe. Ces fantômes asexués qui déplacent leur corps avec peine, leurs pas ralentis par les boulets invisibles attachés à leurs chevilles, boules de cristal noires aux reflets cabalistiques d’où s’échappent les fumigènes de leur vie dans un nuage de cendres. Il faut chaque jour la regarder en face cette vie perdue, abandonnée ou volée, volée comme la sienne.

La mémoire est là, sournoise, miroir de leur exécution, miroir de leur perte. Condamnés. Tous condamnés à revivre les mêmes scènes indéfiniment, sans trêve, les souvenirs sont d’insatiables bourreaux dont la hache aiguisée se meut dans la plaie béante. Parce qu’ils ne sont plus. Parce qu’ils ne seront plus jamais. Stop ! Arrêtez !

C’est douloureux. Douloureux, et pourtant c’est tout ce qu’il leur reste, à ces autres comme elle.