Les chats retombent toujours sur leurs pattes - Serena Davis - E-Book

Les chats retombent toujours sur leurs pattes E-Book

Serena Davis

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Beschreibung

Sabrina, 35 ans, est une célibataire positive et déjantée, tiraillée entre sa soif de liberté et ses rêves de princesse. Jusque-là, elle n’est tombée que sur des beaufs et sa vie amoureuse est une montagne d’anecdotes. Loin de se décourager, la jeune femme, qui applique à la lettre la philosophie d’Épictète, retombe toujours sur ses pattes.
Mais alors qu’elle se retrouve confinée dans son appartement parisien, le message inespéré d’un ex fait renaître en elle l’espoir de lendemains « à deux sous la couette ».
Entre le séducteur intempérant, le mythomane insouciant, le beau sportif musclé consommé « par accident », le petit chauve ennuyeux, le poulet-boulet accro au fast food et l’intello bobo, lequel de ces hommes saura faire chavirer son cœur ?
À travers les confidences de Sabrina à son amie Sarah, le lecteur revit, le cœur palpitant, les aventures rocambolesques de Sabrina, une sorte de « Bridget Jones » moderne.


CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

« Une comédie dans un langage mêlant le littéraire, le parler et le geek, assaisonné de références culturelles. » - Le BienPublic

« Un roman pétillant, moderne, qui redonne le sourire » - @les.lectures.de.flo

« IRRÉSISTIBLE ! » - @nathalie.vierne.auteure

« Un véritable coup de cœur » - @le_bonheur_dans_les_livres


À PROPOS DE L'AUTEURE

Serena Davis est une romancière et nouvelliste d'origine bourguignonne, née en 1985. Ses œuvres, prolifiques et éclectiques, sont les pièces d'un puzzle formant un ensemble littéraire des plus énigmatiques, un véritable projet.

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Serena Davis

Les chats retombent toujours

sur leurs pattes

Roman

Ne cherche pas à faire que les évènements arrivent comme tu veux, mais veuille les évènements comme ils arrivent et le cours de ta vie sera heureux.

Cette règle, extraite du Manuel d’Épictète, j’en ai fait ma maxime, ma ligne de conduite, pour rester forte dans toutes les circonstances, même les plus loufoques.

Ne vous y méprenez pas, ma vie n’est pas une tragédie shakespearienne, loin de là, je fais plutôt dans le genre comédie moliéresque, si vous voyez ce que je veux dire et si vous ne voyez pas, ce n’est pas grave.

Si je vous raconte mon histoire, ou plutôt mes histoires, c’est parce que je suis là, heureuse, pleine de rêves et d’envies, prête à croquer la vie à pleines dents. Je ne suis pas déprimée. Bien au contraire. Je ris, je vis, je jouis, j’écris. J’écris, donc je jouis. Je jouis, donc je vis. Je vis, donc je jouis et je jouis, donc j’écris.

C’est ma copine Sarah qui m’a suggéré d’écrire mon histoire, une histoire que l’on pourrait qualifier « de dingue » en langage présidentiel.

Sarah est toujours de bon conseil et c’est pour cette raison qu’elle est ma meilleure amie.

« Mais, si vous cherchez un conseil auprès d’un prêtre par exemple, vous avez choisi ce prêtre, vous saviez déjà au fond, plus ou moins ce qu’il allait vous conseiller. Autrement dit, choisir le conseilleur c’est encore s’engager soi-même ». Ce n’est pas moi qui l’ai dit, c’est Jean-Paul Sartre1.

Si je suis la logique existentialiste, je consulte Sarah parce qu’elle est la personne la plus susceptible d’être du même avis que moi.

En gros, je l’appelle quand j’ai envie d’entendre que j’ai raison.

Toutefois, je tiens à vous préciser que Sarah n’est pas un prêtre. Elle est une grande adepte du BDSM (pour ceux qui ne connaîtraient pas, cela signifie Bondage, Domination, Sadisme et Masochisme, et là, normalement vous avez compris). Elle est également membre d’un réseau national d’initiés, sous le pseudonyme de Peggy (c’est tout de suite plus suggestif).

Chacun sa vie, ce n’est pas la mienne, et cela ne change absolument rien à notre amitié.

La toute dernière fois que j’ai appelé Sarah – ce jour où elle m’a suggéré d’écrire – c’était pour lui annoncer que j’avais « enfin » rompu avec Andréa, le type avec lequel j’étais depuis un peu plusde trois mois, une histoire des plus folkloriques. Un jeune homme que j’avais rencontré après avoir balayé du doigt cent trente-sept photos sur Tinder, comme une exploratrice en quête du Graal, c’est-à-dire à la recherche d’une relation « durable », et répondu à dix-sept messages du genre :

« Salut, c’est Bryan, on fait connaissance ? ». Sur Tinder, toutes les approches se ressemblent, ce sont tous des Bryan.

Bien sûr, je me suis rendu compte par la suite que la plupart des hommes pour lesquels j’ai ressenti une véritable attirance dans ma vie, je ne les aurais probablement pas sélectionnés sur photo. L’inverse est vrai également. Les hommes que je rencontrais sur Tinder, sélectionnés sur photo, ne m’auraient pas plu dans un autre contexte, en ce sens qu’ils n’auraient pas provoqué chez moi, vous savez, ce sentiment amoureux qui vous donne l’impression d’être sur un nuage. Certaines personnes nous procurent cette sensation-là, on ne sait pas pourquoi.

Andréa était beau. Andréa était une photo. Nous étions deux photos qui se sont retrouvées l’une en face de l’autre, en un geste simple : appuyer sur la touche verte. Comme nous n’avions plus rien à nous dire et qu’en fait, nous n’avions jamais vraiment rien eu à nous dire (notre vie de couple se résumait à quelques rapports sexuels), nous avons préféré couper les liens juste avant le confinement. Notre relation n’a duré que quelques mois. Bon, d’accord, en fait, c’est plus compliqué que ça.

Ah, tu as rompu ! Tant mieux, il n’était pas du tout fait pour toi ce mec, c’était couru d’avance ! Vous n’aviez absolument rien en commun tous les deux.

— Quelle tragédie ! Célibataire la veille du confinement. Pas l’avant-veille miss, non, la veille !
— Ma pauvre, cela ne va pas être facile. Si tu veux, je t’appellerai tous les jours.

Ça sert aussi à ça une amie, à vous remonter le moral quand il y a toutes les raisons pour que vous l’ayez dans les chaussettes. Sarah a un don pour ça, le pouvoir de consolation.

J’échange la présence et les câlins quotidiens d’un petit ami contre un coup de fil de trente minutes de ma copine. No comment.

Allez, il faut rester optimiste.

Depuis des années, je m’exerce à voir les choses du côté positif, à « voir le verre à moitié plein » comme on dit. J’ai acheté le Manuel d’Épictète, et je suis devenue une fervente praticienne du stoïcisme. Je m’exerce à être imperméable aux émotions, glaciale, imperturbable, inébranlable, dans le genre « parle à ma main ».

Règle n⁰ 3 : « […] si tu embrasses ton enfant et ta femme, te dire que tu embrasses un être humain ; vient-il en effet à mourir, tu n’en seras pas troublé ».

Bon, j’admets, il y va un peu fort, le mec. Mais quand vous avez trente-cinq piges, que vous avez essuyé des dizaines de revers, normalement vous êtes rodée et, le cœur bardé de vibranium, vous passez plus facilement à autre chose.

Alors, je réponds avec la plus grande dignité :

— Ne t’inquiète pas pour moi ! J’ai déjà fait mon deuil de cette relation. Contre toute attente, un homme m’a contactée sur LinkedIn.

En dehors de ce réseau professionnel, je ne suis plus sur les réseaux sociaux. Tout récemment, j’ai supprimé mes comptes Facebook et Instagram, lasse de voir les gens s’afficher en train de repriser leurs chaussettes ou de se peindre les ongles des pieds.

J’ironise, mais j’ai fait ça pendant quelques années, moi aussi. J’étais contente au début, tout excitée de faire le plein d’amis et de développer ma notoriété. Je postais plein de trucs. Au départ, les choses les plus importantes, puis, je me suis mise progressivement à publier des infos anodines, inutiles, juste afin de publier. C’est devenu une obsession. À peine réveillée, je consultais mon mur pour l’alimenter de nouvelles dont personne n’avait rien à cirer afin de recueillir quelques « j’aime » qui m’étaient adressés par automatismes. Combien de fois ai-je moi-même « liké » des informations qui ne m’intéressaient pas et des vidéos que je n’ai jamais regardées ! J’étais devenue addicte aux réseaux.

Ce qui m’avait semblé être une aventure excitante est devenu une accoutumance néfaste et chronophage. Au bout d’un moment, je parcourais les infos comme les intox sans réel intérêt. Au fond, qu’est-ce que je me faisais chier !

La dernière publication en date restera pourtant la plus marquante.

Info du 6 mars 2020 :

« Mon chat est mort ».

J’aime.

Ah ! mince, je change. Dans ces cas-là, on ne met pas « j’aime », on met un petit bonhomme qui pleure ou un smiley pas content – tiens, smiley ce n’est pas tiré de « smile » sourire, comment un smiley peut-il être « angry » on devrait dire « angrey », non ?

Bon, le chat est mort. C’est triste. Dans la liste des émoticônes, je prends un bonhomme qui pleure. Ainsi, je donne l’info « je suis triste ». Je viens de dire à tout son réseau que je partage la douleur de ma copine Sarah.

Je vais l’appeler. Après tout, je ne l’ai pas contactée depuis longtemps. Avec les réseaux sociaux, on s’appelle beaucoup moins. Pour se dire quoi ? On sait tout sur tout. On est informés de tout en temps et en heure, voire avant l’heure, de l’agenda et des péripéties de nos amis eux-mêmes omniscients. On reçoit le compte-rendu de la journée de chacun au fil de l’eau, même celui de parfaits inconnus, amis des amis des amis des amis des amis.

On sait tout ce que tout le monde mange, du petit-déjeuner jusqu’à l’apéro du soir devant la Septième Compagnie.

« Ce soir, soirée TWD avec mon chéri – TWD pour The Walking Dead, j’ai appris il y a peu que cela fait plus moderne ». Youhou ! C’est la fête, demain, je fais un cake !

— Coucou, ma belle, j’ai vu que ton chat est mort.

J’ai au bout du fil une Sarah éplorée.

— Pas mon chat, ma chatte.

Effectivement, ça change tout.

— Ah oui, pardon. Comment elle s’appelait ta chatte ?
— Câline.

Tempête à l’horizon ! Une pluie de larmes s’abat à l’autre bout de la ligne. Pour ma part, jusque-là, j’allais bien, soleil au beau fixe malgré ma rupture récente. On n’avait pas la même météo mais mon astre disparaît pour laisser les nuages envahir mon ciel dont la couleur fait grise mine. Je commence à ressentir de la tristesse, non pas parce que la chatte est morte (ça je m’en fous), mais parce que ma copine ne va vraiment pas bien. Ça me fout le moral en berne à moi aussi.

Il va falloir que je me creuse la tête pour trouver les mots justes pour la consoler. Je m’enquiers des causes de l’accident, tout en réfléchissant à ce que je pourrais dire d’approprié. Le politiquement correct n’est pas mon fort, je suis plutôt du genre gaffeur, à mettre les pieds dans le plat.

— Elle est morte de quoi, ta chatte, ma pauvre chérie ?
— Tu promets que tu ne vas pas te moquer ?

Avec Sarah, on peut vraiment s’attendre à tout. Sa vie est une succession d’évènements anecdotiques tout aussi déconcertants les uns que les autres. Du coup, quand elle me dit ça, je me prépare psychologiquement à une chute absurde, même sur un sujet aussi sérieux que la mort.

— Mon chat a mangé mon sextoy.

Si j’étais un smiley, je serais U+1F632. En langage littéraire, on dirait plutôt que je suis stupéfaite ou que cette révélation me laisse sans voix. En langage SMS, il suffirait d’écrire PTDR.

Non, pour ce genre de scoop, je ne suis pas préparée.

Après un très court instant, le temps d’enregistrer et de digérer l’info, j’éclate de rire.

— C’est une blague ?

Sarah se fâche. U+1F626 (Visage mécontent avec bouche ouverte, pour les geeks).

— Comment ça une blague ? Tu ne me crois pas, tu veux que je t’envoie la photo ?
— Vas-y, envoie !

Je suis tout excitée et très impatiente de recevoir l’image du sextoy mal digéré, un… un plug anal !

C’est juste à se tordre de rire. Sur la photo prise sur son bureau, on peut voir un petit plug anal violine tout mâchouillé sur chaque côté. Énorme ! Il l’a vraiment bouffé.

— Une chatte qui mange un plug anal, c’est un comble.
— Enfin, Sabrina, ce n’est pas drôle !
— Désolée Sarah, mais tu as bien conscience que cela n’arrive jamais, ce genre de chose ?

Elle finit par en rire un peu.

— Oui, c’est vrai, j’avoue, au fond ce n’est pas banal mais c’était quand même ma chatte…

L’orage va revenir. La dérision a ses limites. On ne badine pas avec la mort. Il faut trouver autre chose.

— Mais dis-moi, je ne comprends pas bien, comment il en est venu à grignoter ça, ton chat ?
— Elle.
— Oui, pardon.
— En fait, c’est une maladie. Ça s’appelle le PICA. C’est quand ton chien ou ton chat mange n’importe quoi : du plastique, du papier, du tissu, du bois, tout…
— Ah bah ça alors…
— Oui, et là, tu vois, je suis malheureuse !
— Tu sais quoi ? Je vais raccrocher, je vais prendre un Aller/Retour Paris-Nantes, et je vais venir passer le week-end prochain avec toi. On se fera une soirée pyjama, on fumera des cigarettes, on sifflera une bouteille de champagne et on se gavera de pâtisseries hyper caloriques.
— Pour fêter la mort de ma chatte ?
— Non, pour fêter la vie.

C’était dix jours avant ma rupture. Dix jours avant ce fameux message aussi, ce message reçu sur LinkedIn, le matin du 16 mars 2020, premier jour de confinement.

« Bonjour Sabrina. Je voulais prendre de tes nouvelles, savoir si tu vas bien, si tu n’es pas malade. Que deviens-tu ? ».

Un message simple en apparence, mais un message qui m’a fait l’effet d’un électrochoc, parce que l’expéditeur, c’est un de mes ex petits copains. Une vieille histoire passionnelle que je croyais définitivement enterrée. Une idylle avortée, parmi les quelques histoires longues que j’ai vécues. Non, non, je ne vous dirai pas de qui il s’agit. Vous le découvrirez au fil de l’eau.

Depuis que j’ai reçu ce message, je me repasse en boucle le film de mon passé, certainement parce que je suis seule, parce que j’ai le temps, je l’analyse, je le décortique, ce passé, je le revis le jour, en pensées, je l’emporte dans mes rêves la nuit.

Je parle, je parle, mais je ne me suis pas présentée. Je m’appelle Sabrina. Je suis célibataire, j’ai trente-cinq ans. J’appartiens donc à la catégorie des femmes trentenaires célibataires.

Dans l’esprit de la plupart des gens, je suis d’abord « célibataire », c’est-à-dire que je suis célibataire avant d’être Sabrina.

Pour les couples sans enfants, je suis une curiosité, pour les hommes seuls, une possibilité, pour les mères de famille, une excentricité, pour les impôts, une opportunité et pour ma mère une calamité.

Je ne suis pas à plaindre pourtant et je vis plutôt bien. Cadre, avec une situation financière correcte, je suis propriétaire d’un charmant petit deux-pièces situé dans le douzième arrondissement de Paris, rue de Picpus, un luxe. En équivalent-province, on peut dire que je suis propriétaire d’une villa.

Cet appartement, je l’ai acheté deux fois.

La première fois, c’était avec Jean-Philippe, mon premier grand amour, mon premier pacs. Oui, vous avez bien lu.

La deuxième fois, c’était seule, après notre rupture, moins d’un an plus tard. En langage bancaire, on appelle ça un « rachat de créances », en langage notarié, un « rachat de soulte ».

Depuis, j’en ai vécu des aventures, des péripéties romanesques et rocambolesques dont la dernière m’a amenée à mettre mon appartement en location, ce qui fait que maintenant je dois attendre encore cinq mois pour le récupérer ; alors, me voici confinée dans un studio meublé riquiqui de onze mètres carrés situé à deux pas de mon chez-moi, occupé par d’autres. VDM.

Mes amis qui sont en couple me disent toujours que c’est une chance d’être célibataire, que je peux faire ce que je veux, que je n’ai pas de concessions à faire, que la vie à deux, souvent, c’est chiant. Nonobstant ces avertissements, quand je suis célibataire, je ne peux pas m’empêcher de les envier. La vie à deux me semble une panacée.

Ces contradictions, on les vit depuis tout petits. L’enfant unique rêve de frères et sœurs. Les fratries ont des envies de meurtres. En fait, on veut toujours avoir ce qu’on n’a pas et être ce que l’on n’est pas. Misère, dirait Mrs Reynolds 2!

Quand je reçois ce message, je suis célibataire depuis six mois (je ne compte pas ma dernière erreur de casting avec Nicolas), donc j’aspire de nouveau à une vie de couple. Seule, j’étouffe, et la perspective du confinement m’angoisse.

Ce message de mon ex, c’est un peu ma bouche d’aération, une lueur d’espoir dans un tableau un peu sombre. J’ai cette vision, vision onirique d’une vie heureuse et épanouie, et, qui sait, peut-être une vie de famille un jour, aussi.

Le cœur en mode romantique, mon esprit divague et je me mets à fantasmer sur cette idée.

Dans les situations délicates, on aime bien voir des messages célestes, c’est réconfortant, les signes. Et si ce message était un signe divin ?

Cet homme, je l’ai connu, je l’ai aimé, ça n’a pas marché.

Je ne pensais pas à lui jusqu’à présent, mais, depuis qu’il m’a écrit, je n’ai plus que son image en tête, une image aux traits estompés, aux contours flous, un portrait impressionniste, parce que je ne l’ai pas vu depuis des années et qu’il a certainement un peu changé.

Dans cet instant solennel, c’est-à-dire là, tout de suite, je m’apprête à formuler une réponse sans équivoque. C’est l’occasion d’essayer de raviver la flamme de la passion. Je vais revivre cette idylle à distance et je verrai bien où le vent me mène.

Quoiqu’il se passe, je vais répondre à cet appel du destin, ma vie va changer, j’en suis persuadée. Je ne sais pas encore comment, mais elle va changer, et cette métamorphose, nous allons la vivre ensemble, chers lecteurs, parce qu’avec vous, pendant cette longue période, je me sentirai moins seule.

Je vous invite à bord du Nautilus de ma vie de femme trentenaire célibataire tourmentée. Ensemble, partons explorer les méandres de mon passé et voyons ce qui peut être réparé.

L’expédition risque d’être sport, nous allons traverser quelques zones de turbulences. Accrochez vos ceintures !

Jean-Philippe (alias JP)

C’est dans une boîte de nuit du 9e arrondissement, le « Get-lag » que j’ai rencontré Jean-Philippe, un samedi soir, en juin 2008.

Une nuit ordinaire, en apparence.

Les gens à la fleur de l’âge éteignent leurs lampes de chevet au moment même où la jeunesse s’éveille. La nuit a déjà recouvert de son voile noir la capitale, toujours lumineuse, éclairée par les lampadaires et les phares des voitures, Paris grouillante de jeunesse, la jeunesse parisienne, cette jeunesse légère et insouciante qui danse ivre ce soir dans la lumière des spots.

Je fais la queue au bar du sous-sol avec un groupe d’amies, lorsque je le vois. Teint hâlé, visage angulaire, yeux de cocker. S’il n’a rien d’un prince (il est affalé sur une banquette avec son groupe de potes), il est charmant, en revanche.

Charmant, et bourré. Moi aussi, j’ai un peu bu, je me sens toute guillerette. Une rencontre en boîte tout à fait classique, en somme.

Nous échangeons quelques regards convoiteurs à travers le fumigène, regards suggestifs de personnes dont l’ivresse décuple l’audace. Plus tu bois, plus t’es fort !

L’alcool désinhibe. Je me sens belle et intrépide, invincible, une Diane en chasse belliqueuse et conquérante. En ce qui le concerne, je ne sais pas, il a l’air vraiment saoul, le garçon.

Sournoisement, je m’approche de la cible. Je lui souris. Ma flèche est partie, il est piqué.

Il se lève et me rejoint sur la piste. Il est d’à peu près mon âge – vingt-deux ans – d’une beauté à couper le souffle, le corps sculpté, les avant-bras puissants. Les avant-bras, cette partie du corps qui me fait vibrer, mon péché mignon. J’adore voir les veines gonfler et les muscles saillir à la contraction. C’est la première zone que je regarde chez mon partenaire lorsque je fais l’amour. C’est la deuxième zone du corps que je regarde tout court, après les yeux. Livrez-moi un avant-bras tout en muscles relevé d’un bracelet en cuir torsadé, et je me liquéfie comme Mystique avant de me changer en succube.

Mes bras ne sont pas très fermes, je suis un peu frêle et ça tombe bien parce que les garçons aiment bien les filles exsangues à l’allure fragile.

Fragile mais pas candide. Méfie-toi de l’eau qui dort.

L’ondine attend sa bête sauvage aux avant-bras musclés. Nos destins semblent sur le point d’être scellés, nous n’en avons pas conscience mais notre histoire est en train de s’écrire juste à cet instant, malgré nous. Certaines rencontres sont déterminantes dans votre vie, d’autres pas. Encore une fois, il n’y a pas vraiment d’explication à cela.

Le DJ mixe Self-Control de Dave Sinclair. Notre danse est sensuelle, nos déhanchés s’accordent au rythme de la musique, je me laisse porter par le courant de l’amour, c’est beau, ces deux corps qui se cherchent, qui s’enlacent, c’est romantique, enfin… jusqu’à ce que je sente son sexe se dresser contre mon ventre comme un bâton de berger.

Il casse toute l’ambiance, là. Le corps dirige et la tête suit. Surtout chez l’homme. Le problème c’est qu’on ne sait jamais vraiment comment réagir dans ces cas-là, je veux dire lorsqu’on a un sexe braqué sur soi. Est-ce que je fais comme si je n’avais pas remarqué ? Mais quand même, ils ne peuvent pas se contrôler un peu, les garçons, sérieux ?

Nos regards se fondent, je craque, je replonge dans mes rêveries.

Je dois lever la tête, il est grand – un mètre quatre-vingts environ –. Ses biceps sont pleins et fermes. Ses cheveux blonds fixés au gel, son visage très dur, viril, adouci par un regard d’ange, ses fossettes sur les joues, il a un air de Jaime Lannister3.

Nous nous embrassons fougueusement. Nos baisers ont un arrière-goût de vodka et de whisky, mais qu’est-ce que c’est bon !

Nous n’avons pas encore échangé nos prénoms. Dans ce contexte une simple formalité qui sera réglée « asap » (as soon as possible pour les non anglophones) – je précise au lecteur que l’anglicisme et les acronymes sont à la mode.

Enflammés par la passion, désinhibés par l’alcool, séduits par la musique et aimantés par cet ingrédient invisible, les phéromones (qui est le chat, qui est la souris ?), nous savons (nous pensons que nous savons) à cet instant que nous allons vivre une nuit ardente.

À un moment, il faut bien parler. Le langage corporel ne dit pas tout ; or, la communication est la base de toute relation, même des plus courtes.

Seulement voilà, la vie n’est pas un conte de fées, en tout cas pas celui qu’on croit, et dès nos premiers échanges verbaux, Jean-Philippe, alias JP pour les intimes, me ment.

— Comment tu t’appelles ?
— Sabrina, et toi ?
— Jean-Philippe.

Ça, c’est vrai.

— Tu as quel âge ?
— Vingt-cinq ans.

Premier mensonge. Jean-Philippe, né en 1984, n’a que vingt-quatre ans.

Vous vous demanderez, à quoi cela peut-il bien servir de mentir d’une année ? Je vous avoue que je me suis longuement interrogée. Douze ans plus tard, le mystère est encore entier, je n’ai toujours pas répondu à cette question.

Nous sommes assis sur le divan en simili cuir noir. En lecteurs omniscients, vous seuls savez qu’il ment. Pas moi. Conquise, ensorcelée, je bois ses paroles. « Mon mec à moi il me parle d’aventuuuures… » À chaque mot de sa part, je me jette sur lui. Nos échanges sont ponctués d’élans corporels frénétiques.

Je flirte avec un arlequin tout en pirouettes.

— Que fais-tu dans la vie ?
— Je travaille dans un cabinet de consulting (« conseil », c’est beaucoup trop français). Et toi, tu fais quoi ?
— Je suis archéologue.

Il en jette, c’est impressionnant.

— Waouh, c’est super ça, comme Indiana Jones ? Tu déterres des momies ? Tu cherches des trésors ? Tu travailles où ?

Jean-Philippe sourit, il a l’habitude de ce genre de comparaison. La flatterie fait son effet, notre JP gonfle le torse comme la grenouille de la fable4 « Est-ce assez ? Dites-moi ; n’y suis-je point encore ? » La chute, c’est que la grenouille éclate.

— Un peu partout en France. Je travaille essentiellement pour l’INRAP, l’Institut National de Recherches en Archéologie Préventive. Je pars souvent sur des missions de plusieurs mois, je bouge pas mal.
— Ah, mais tu habites où alors ?
— À Paris.
— Où ça ?
— À Montmartre.
— Respect.

Deuxième mensonge (en moins de cinq minutes).

Un aventurier chercheur de trésors vivant en plein cœur de l’un des plus beaux quartiers de Paris, le quartier des artistes avec ses peintres et ses caricaturistes qui vous dessinent le portrait, sa vue splendide du Sacré-Cœur. Comme c’est romantique !

Évidemment, c’est facile de me séduire avec tous ces arguments.

— On fait une petite balade et on prend un dernier verre chez moi ?
— Let’s go !

Nous marchons le long des quais de Seine, quand Jean-Philippe s’aperçoit qu’il n’a pas récupéré son blouson.

En soirée, ça arrive.

— Merde ! Ma veste en cuir. Fais chier, j’ai laissé tous mes papiers et les clefs de l’appart. Faut qu’on y retourne !

Demi-tour. Le personnel du Get-Lag s’apprête à fermer les portes. Après d’âpres explications avec un vigile harassé, ce dernier le laisse récupérer ses affaires.

On verra plus tard pour la balade. Notre JP, tout content tout fier d’avoir retrouvé sa veste et ses clefs, me conduit chez lui en chantonnant.

Il habite un charmant petit appartement situé à deux pas de la place du Tertre, en rez-de-chaussée, composé d’une seule pièce de trente-deux mètres carrés avec une kitchenette toute mignonne. Mobilier minimaliste mais l’essentiel est là : une table haute avec deux chaises, et un canapé lit.

La décoration est bohème, les murs sont d’un marron tirant vers l’orange, couverts de cadres photos et de talismans. Sur la console d’entrée trônent des espèces de statuettes vaudou.

Ce style ésotérique ne lui va pas du tout.

L’esthétique de la décoration n’est, à ce stade, qu’un détail sans importance. On verra ça plus tard.

Après avoir déplié le lit, nous nous déshabillons avec maladresse, nous faisons l’amour je ne sais même plus comment et nous nous endormons rapidement. Il faut reconnaître qu’à partir d’un certain niveau de consommation, l’alcool a des vertus soporifiques et anesthésiantes. L’alcool est mauvais pour la santé.

Boire peut nuire aux performances sexuelles.

À midi, nous sommes réveillés par le carillon de la Basilique, le chant du coq à Paris.

Au même moment, nous entendons un bruit de clefs dans la serrure.

Une jeune rouquine dans nos âges passe la porte et s’arrête, en état de choc devant nos corps dénudés enchevêtrés.

Pas eu le temps de remonter le drap. Je suis à poil, ma pudeur offerte au regard involontairement voyeuriste d’une parfaite inconnue.

— Ah merde, tu es déjà là !

C’est tout ce que Jean-Philippe trouve à dire.

L’espace d’un instant, je me dis que je suis en train de vivre une scène de ménage. Dieu soit loué, ce n’est pas le cas.

Ce n’est que son deuxième mensonge.

Nous ne sommes pas chez lui, mais chez sa sœur qui lui a prêté l’appartement qu’elle sous-loue. Visite inopinée, elle est juste rentrée plus tôt que prévu.

Si j’avais pris le temps de regarder les photos, je me serais aperçue de cette supercherie, mais, comme je l’ai dit plus haut, je ne me suis pas attardée sur ce genre de détails.

— On va prendre un café ?
— Tu suggères quoi d’autre ?

Quelques minutes plus tard, nous voilà posés dans un bar, avenue du Clichy. Jean-Philippe m’explique, toute sa raison retrouvée, qu’il n’a pas vingt-cinq ans, mais vingt-quatre, qu’il est bien archéologue, mais qu’il vit encore chez sa mère, à Saint-Malo, et non pas à Paris comme il l’a prétendu. Enfin, c’est son adresse officielle, mais il n’est pas souvent chez maman. Comme il se déplace beaucoup, la plupart du temps, il crèche sur ses chantiers de fouilles au gré des missions qui lui sont proposées, ce qui lui permet de mettre un peu d’argent de côté.

Là, si tu es une fille, que tu as presque vingt-trois ans, deux options s’offrent à toi :

1. Soit, tu crois encore au prince charmant, et tu te dis qu’il t’a menti parce qu’il avait honte de sa situation. Dans ce cas, si tu pousses la justification, tu peux même trouver cela mignon. Tu restes.

2. Soit, tu te dis que ce mec est un fourbe et un manipulateur, qu’il voulait juste te mettre dans son lit. Soit dit en passant, il a réussi. Tu fuis.

J’ai fait le choix le plus facile à assumer, le moins raisonné, aussi.

C’est ce qu’on appelle faire confiance à un inconnu, ou manquer de discernement, ce qui revient tout à fait au même.

Je viens de rencontrer un homme aussi charmeur que charmant, qui a mis toutes les chances de son côté pour me séduire. Quelle chance ! Je vais pouvoir m’enorgueillir de la situation auprès de mes copines, et de mon esthéticienne.

À ce moment de l’histoire, je n’habite pas encore dans mon super appartement de la rue de Picpus, j’occupe un tout petit studio rue du Petit Musc, une ruelle perpendiculaire au Faubourg Saint Antoine, dans le 11e ; un mouchoir de poche défraîchi et humide au sixième étage d’un immeuble sans ascenseur, loué pour la « modique » somme de huit cent cinquante euros par mois, charges comprises. Heureusement, je n’y suis pas très souvent et je sors beaucoup. Les étudiants et jeunes actifs parisiens comprendront !

J’ai mon bureau de tabac préféré – oui, j’avais ce vice, quand on a vingt-trois ans, on se dit qu’on a toute la vie devant soi et que les maladies c’est pour les vieux, en gros pour les plus de trente ans – ma boulangerie fétiche, et mon esthéticienne favorite.

Mes trois petits commerces. En premier lieu, le bureau de tabac parce que je fume beaucoup, c’est-à-dire près d’un paquet par jour, le prix du paquet reste encore assez raisonnable. Ensuite, la boulangerie parce que c’est là que j’achète mon déjeuner. Je choisis plutôt des salades composées, ce qui me donne la conscience tranquille pour ajouter une part de flan ou autre pâtisserie à mon menu (c’est bien le nombre total de calories qui compte, non ?). Enfin, l’institut de beauté, pour mes soins beauté indispensables : mon épilation, ma manucure et mon bronzage (encore une fois, le cancer, c’est à partir de trente ans).

C’est pendant la manucure, soin qui dure presque deux heures, que je papote avec Anna, la gérante, toujours friande de mes histoires de jeune cadre célibataire. Ce sont nos instants « commérages ». Toutes les clientes de salons connaissent ça.

Anna vit depuis dix ans avec un homme qui n’en branle pas une et qui la laisse souvent galérer seule avec leurs trois enfants. Chaque matin, elle met deux heures pour faire le trajet de son domicile au salon, ce qui lui fait quatre heures de transports par jour. Entre son travail et son rôle de maman, elle mène une vie éreintante !

Avec une mère cautionnaire très solvable, je peux m’estimer bien chanceuse d’habiter dans une cage à hamster à Paris intra (on ne dit pas « Paris intra-muros », c’est moins classe).

J’ai toujours été fascinée par les bonnes épouses, les « Desperate Housewives ». Même si ce n’est pas toujours facile d’être une femme moderne (au moins, quand tu n’as pas le choix, tu ne tergiverses pas), je me dis que j’aurais eu du mal à me résigner à vivre dans une cage dorée. Je suis souvent tiraillée entre l’envie de me poser et l’envie d’être libre. C’est quoi au fait être libre ? Est-ce que s’émanciper de la vie conjugale, n’avoir ni mari ni enfants, c’est vraiment être libre ? Je cogite tout le temps sur cette question. Je n’y réponds jamais.

D’un côté, ces femmes, je les envie. D’un autre côté, je les dénigre. Allez savoir pourquoi !

De nos jours, les femmes prennent leur revanche, elles veulent tuer les hommes. Ce fantasme de la femme moderne trouve son apogée dans la série Why Women Kill, qui semble plaider en faveur du rétablissement de la peine de mort pour les maris infidèles. Bon, après, je ne l’ai pas vue, mais le titre est allusif, non ?

Guillaume le Conquérant et Léonard de Vinci sont nés d’une liaison coupable. Heureusement que leurs pères infidèles n’ont pas été condamnés !

D’un extrême à l’autre, il n’y a pas de milieu. Il faut juste choisir son extrême.

Toutes les deux, nous représentons le périastre et l’apoastre de l’homme. Anna est très proche de l’homme, dans le sens où elle est au service de l’homme. Dans ce sens-là, j’en suis très éloignée. J’en suis très proche, aussi, mais d’une autre façon. Mon professeur de français disait toujours : « je suis contre les femmes, tout contre ». Pour ma part, je suis contre les hommes, très contre !

J’écoute les histoires déplorables d’Anna sur la misère de sa condition féminine et la platitude de ses rapports sexuels. Pour parler sans ambages, sa vie, selon elle, est « à chier ».

Pour la faire voyager un peu, je ne lui épargne aucun détail croustillant ! Jean-Philippe est plutôt gâté par la nature, à la fois vigoureux et délicat, très habile, même s’il ne peut pas s’empêcher de contempler ses muscles à l’effort pendant nos rapports.

Oui, oui, on partage aussi ce genre d’informations avec son esthéticienne.

De son côté, elle doit certainement penser que je mène une vie débauchée.

Il faut croire que, dans nos vies si différentes, chacune y trouve son compte, finalement. La vie de l’une est pour l’autre une croustillante fiction et la vie de l’autre conforte l’une dans son confort, pas si mal après tout. L’une et l’autre peuvent être l’autre ou l’une.

Je me confie aussi à sa nouvelle recrue, Maëlys, une jolie métisse à la peau caramel et aux yeux bleus (la chanceuse !) qui s’occupe de mes épilations. Elle a de beaux cheveux longs lisses et soyeux (je me demande si ce lissage est naturel), le visage rond, les pommettes saillantes, elle est sacrément bien roulée, à tomber. Le genre de fille que tu envies, que tu adores et que tu détestes en même temps, que tu adores détester, en somme.

Il est toujours plus agréable d’être tripotée par une personne au physique attrayant. Il faut dire que je lui confie tout mon corps : les bras, les jambes, le maillot, à l’exception des aisselles car je n’aime pas attendre que les poils repoussent entre deux séances à cet endroit souvent exposé (aujourd’hui, les poils sous les bras sont la nouvelle mode sur Instagram).

Ne nous attardons pas plus sur mes histoires de poils pour l’instant (ne vous en faites pas, on aura certainement l’occasion d’en reparler).

En parlant de tripotage, maintenant avec Doctolib on peut choisir son spécialiste sur photo. Ce n’est plus l’expertise qui prime. Alors tant pis, ou tant mieux. Mon kiné est à tomber. Smiley.

Le temps passe et nous coulons des jours heureux. Je suis convaincue que Jean-Philippe est l’homme de ma vie.

Entre deux chantiers de fouilles en terre bretonne (c’est souvent dans cette région que ses recherches ont lieu), nous sommes ensemble, et nous sommes bien. Malgré la promiscuité de mon petit studio riquiqui, chacun trouve sa place. Pendant que je m’évade dans mes lectures, JP regarde des matchs sportifs ou joue sur sa console de jeux, équipé d’un casque sans fil pour ne pas me déranger. Deux activités qui ne nécessitent que peu d’espace. En fait, le canapé-lit nous suffit.

Quand viennent les beaux jours, lorsque le soleil parvient à passer à travers le nuage de pollution atmosphérique, nous sortons pour une balade, nous nous promenons main dans la main dans le Marais ou sur les quais de Seine. Nous nous arrêtons à la terrasse d’un café et nous buvons un petit verre de blanc en fumant des clopes. Nous observons les pigeons, et les gens qui passent, en imaginant ce que peut bien être leur vie. Eux aussi, nous observent, je parle des pigeons, à l’affût de la moindre miette de biscuit apéritif qui tomberait par terre.

Les badauds, eux, passent indifférents.

Nous nous entraînons ensemble, dans le même club de sport, au bas de notre rue, nous mangeons les mêmes plats – plutôt diététiques – et parfois, après des jours de rigueur et d’ascétisme, nous nous ruons vers un McDonald’s pour avaler gloutonnement un 280.

Couple presque modèle, nous nous disputons rarement, sauf lorsque nous sommes à la dèche de clopes après avoir retourné toutes les cachettes de l’appartement (les couples de fumeurs comprendront). Alors, pour calmer le jeu, il faut que l’un de nous se sacrifie et fasse une virée dans un bar de nuit. C’est souvent lui qui s’y colle.

On veut bien l’égalité, mais il y a des limites. L’esprit de sacrifice reste une affaire masculine.

En France, il est de rigueur de continuer à profiter de cette galanterie. Nous, je veux dire, les femmes, y sommes très attachées. Nous voulons être considérées comme les égales des hommes, mais nous tenons à nos privilèges comme à nos cheveux. Logique !

« […] Avec la lune disparaît sa clarté,

L’éclair adhère au nuage :

Les épouses doivent suivre le chemin de leurs maris,

Même quand on sait qu’ils ont quitté la vie.

Fardée avec cette charmante cendre-là,

Faites des membres de l’aimé,

Comme sur un lit de jeunes feuilles,

Je disposerai mon corps sur le feu. »

J’aime beaucoup ce poème de Kalidasa sur les rites sacrificiels antiques. Le rite du sati consistait pour une femme à se donner la mort au décès de son mari. Cela ne se fait plus, en principe. On divorce avant le décès.

Entre JP et moi, tout va bien. Nous menons une vie de jeunes, sans ombrage, sans « prise de tête » comme disent les jeunes de notre temps.

Sans prise de tête ni prise de bec… jusqu’à ce fameux soir. Le soir du texto.

JP est aux toilettes. J’ose vous dire que c’est pour la grosse commission, ce n’est pas très glamour, mais c’est comme ça, je n’y peux rien, c’est l’histoire.

Je suis installée sur le canapé, un beau canapé convertible en velours noir à l’assise large et confortable, un canapé que j’ai acheté quelques mois auparavant à un prix tout à fait raisonnable chez Conforama (désolée pour la pub mais j’adore cette enseigne).

Passons un peu de temps sur mon canapé. Parce qu’il est confortable, tout d’abord. Parce qu’il a une histoire, aussi.

Ce canapé, il m’a suivie partout à Paris, il a vécu deux déménagements. La première fois, c’était lorsque j’ai quitté ma chambre d’étudiante pour m’établir dans mon studio de la rue du Petit Musc. La seconde fois, c’était pour rejoindre l’appartement que nous avons acheté ensemble, rue de Picpus.

Je regrette amèrement de l’avoir vendu lors de mon dernier déménagement car je n’ai plus jamais retrouvé ce modèle, à part sur le Bon Coin dans des zones reculées du bout de la France. C’est étrange comme parfois, on peut s’attacher à certaines choses.

Tenez, au moment où je vous parle, je viens d’en trouver un tout pareil, en photo, dans les Bouches du Rhône. Voici sa description :« Canapé-Lit-en-très-bon-état-blanc-et-noir-en-velours ».

C’est le seul exemplaire en vente sur le site. Il n’y aurait donc plus qu’une seule et unique pièce sur le marché de l’occasion en ligne, décrite en une dizaine de mots à peine.

Je suis outrée car ce n’est pas juste un canapé. Comme les mots sont limités pour caractériser les choses ! On veut enfermer un millier d’émotions, de sensations diverses dans un seul petit mot bien réducteur : « canapé ».