Duo Sudarenes : Témoignage Leucodystrophie - Françoise Richard - E-Book

Duo Sudarenes : Témoignage Leucodystrophie E-Book

Françoise Richard

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Beschreibung

Jérémy: Histoire vraie pour une vie trop courte

Un récit brut et criant de sincérité.
C’est le témoignage d’une mère et de sa famille face à la maladie de leur fils. Un récit poignant délivré sans exagération qui met le lecteur en prise directe avec une réalité inacceptable.
Il est honnête et sans concession puisqu’il aborde la souffrance, la révolte, la colère, l’espoir, la joie et la désillusion. Une mère qui s’oublie et se bat pour son enfant, confrontée aux méandres administratifs, médicaux et sociaux. Cet écrit, issue de son journal intime où elle se livre totalement et dévoile ses impressions, son ressenti et ses coups de gueule.
On ne peut qu’être percuté par ce récit.
Ce livre est avant tout un hommage à mon fils pour saluer son courage, sa force dans son combat contre cette injustice qui s’appelle leucodystrophie.
Il est aussi dédié aux enfants d’ELA (association Européenne qui lutte contre les leucodystrophies) qui n’ont d’autres choix que de lutter contre cette maladie ainsi qu’à leurs parents qui font de leur mieux pour soulager toute cette souffrance.
À toute personne en situation de handicap qui doit suivre un véritable parcours du combattant pour avoir accès à l’enseignement, aux loisirs, à la culture et tout ce à quoi une personne valide peut prétendre.
Découvrez le combat émouvant d'un petit garçon contre la maladie.
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Avec tout mon Amour : Le combat d'une mère, le combat d'une femme

"Si tu as un enfant comme ça, c’est que tu l’as mérité". La violence de cette phrase, résume la souffrance et le courage de Sandrine.
"À travers ces lignes je ne règle pas mes comptes... J'écris juste ce que j'ai encaissé durant ces 20 dernières années avec une belle famille connue à Monaco. je décrits aussi leurs faces cachées...
Je suis certaine que beaucoup de femmes et (ou) mères se reconnaitront dans la définition du mot "Aimer", sans limite et donner sans compter.
Un combat avec le père de mes enfants, et celui de ma vie, accompagner un enfant, mon Alec, que l'on sait condamné...
J'ai survécu... Je survivrai...
Ce témoignage, loin d'être un hymne à la tristesse ou à la tragédie, est au contraire un cri d'AMOUR à la vie... Il témoigne aussi des ressources que nous avons enfouies au plus profond de nous et que nous découvrons lorsque le "moment" s'en fait sentir.
Ce qui ne m'a pas tué m'a rendu bien plus forte !



À PROPOS DES AUTEURES


Françoise Richard est née en 1964 à Châteaubriant en Loire Atlantique.
- Elle est une femme de caractère investie dans le monde associatif. Le respect, le partage, l’écoute et la relation à l’autre font partie de ses valeurs.
- Elle est à l’origine avec l’aide d’autres parents de la création de l’association « Un copain comme les autres » qui permet l’accès aux loisirs et à la culture des personnes en situation de handicap.
- Elle est également déléguée de l’association ELA. (Association Européenne contre les Leucodystrophies.)
- Elle sensibilise les écoles, collèges, lycées et toutes personnes qui le souhaitent dans le but de faire connaître les Leucodystrophies. Afin de récolter des dons pour faire avancer les recherches médicales.


Sandrine Fort réside à Menton. Mère de 4 enfants, grand-mère et mère au foyer. Parmi ses enfants, Alec, atteint de Leucodystrophie. Ses écrits témoignent du combat d’une maman pour son fils, d’une femme dans sa vie au quotidien. De la prise d’otage d’un directeur de la DDAS, au soutien de personnalités politiques ou médiatiques, Sandrine est un exemple de courage pour beaucoup d’entre nous...

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Les Duos Sudarenes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JÉRÉMY

 

 

L’étincelle dans tes yeux,

Ce sourire sur tes lèvres

Nous donnent la force, le courage,

La volonté de ne jamais baisser les bras.

 

 

 

 

 

 

 

Richard Tardivel Françoise

 

 

Un récit délivré sans exagération, où se mêlent colère, détresse, rage, espoir, joie, désillusion et tristesse. Un vécu que l’on ne peut oublier, que l’on ne souhaite à personne.

Une mère qui s’oublie et se bat pour son enfant, confrontée aux méandres administratifs, médicaux et sociaux.

Cet écrit, issu de son journal intime où elle se livre totalement, dévoile ses impressions, son ressenti et ses coups de gueule. Histoire vraie pour une vie trop courte.

 

Ce livre est avant tout un hommage à son fils pour saluer son courage, sa force dans son combat contre cette injustice qui s’appelle leucodystrophie.

Il est aussi dédié aux enfants d’ELA (Association Européenne qui lutte contre les leucodystrophies) qui n’ont d’autre choix que de lutter contre cette maladie ainsi qu’à leurs parents qui font de leur mieux pour soulager toute cette souffrance.

A toute personne en situation de handicap qui doit suivre un véritable parcours du combattant pour avoir accès à l’enseignement, aux loisirs, à la culture et tout ce à quoi une personne valide peut prétendre avoir droit.

 

 

 

Mars 2002

 

Thierry et moi, nous vivons ensemble depuis dix-sept ans. Nos deux enfants, Jessica, née le 16 septembre 1989, et Jérémy, né le 29 septembre 1992, ensoleillent notre foyer. Nous nous sommes mariés en 2001, suite à l’achat de notre maison, et ainsi tout est en règle.

La vie est belle, notre famille évolue, nos deux enfants grandissent. Il ne nous manque rien, matériellement ou financièrement. Nous sommes une famille ordinaire aux revenus modestes nous permettant de vivre heureux tous les quatre, simplement.

Nous n’avons pas à avoir peur de l’avenir. Thierry et moi exerçons des professions qui nous plaisent et qui nous mettent à l’abri du besoin. Thierry est carrossier-soudeur et je suis caviste, nous pouvons assumer en toute tranquillité nos charges et remboursements d’emprunts. Il ne nous reste plus qu’à profiter de la vie et du bonheur avec nos enfants.

Quelle situation étrange ! On se croit à l’abri de tout danger quand on possède l’argent, le matériel, la sécurité de l’emploi. On ne peut imaginer que le pire puisse un jour frapper à notre porte puisque tout va bien … et pourtant !

La vie, elle, a décidé que c’est trop beau… ou peut-être est-ce le destin ?

Elle nous envoie une maladie génétique rare qui se nomme leucodystrophie.

Une maladie presque inconnue de tous, excepté de certains chercheurs et parents qui essaient de la combattre. Elle détruit la myéline, la gaine entourant les nerfs du système nerveux central, le cerveau et la moelle épinière, et touche de ce fait les fonctions vitales du patient.

Une maladie, à ce jour, impossible à guérir. Quoi que vous tentiez, vous ne pourrez empêcher la mort de venir vous chercher.

Dans ce genre de combat, il faut s’inventer une autre forme de bonheur.

Au jour le jour, car on ne sait pas de quoi demain sera fait.

Il faut bon gré, mal gré, donner envie de vivre jusqu’au bout. Essayer de voir le positif dans le négatif.

Il faut se créer un nouveau monde, se battre de toutes ses forces, avec ses tripes, car c’est à l’intérieur qu’on peut trouver le sérum qui permettra de se protéger d’une destruction certaine.

 

Avril 2002

 

Jérémy est âgé de neuf ans et demi. Brun aux yeux bleus, du haut de son mètre trente-trois et de ses trente kilos, c’est un enfant calme, facile à vivre, d’une douceur incroyable. Il fait partie des garçons sages. Il se développe et grandit normalement, fait les choses de la vie courante de tout gamin : il apprend à faire du vélo, du roller, du patin à glace, à nager et à grimper aux arbres. Egalement des bêtises, car elles font partie de la vie d’un enfant.

Il a suivi une scolarité normale jusqu’au CE2 qu’il a dû redoubler. Il apprend à son rythme.

La rentrée prochaine se fera avec un instituteur qui demande aux élèves d’être autonomes dans leur travail. Jérémy s’adapte plutôt bien, il faut toutefois être derrière lui car, comme tout enfant de son âge, il préfère jouer.

 

Mai à Juin 2002

 

Le grand-père paternel de Jérémy, atteint d’un cancer, décède. Notre fils est choqué, c’est la première fois qu’il assiste à un enterrement. Il sanglote en voyant son père pleurer à ses côtés.

Au cours des semaines qui suivent, nous remarquons qu’il a du mal à surmonter cette épreuve. La mort est un sujet que nous n’avions jamais abordé. Comment le rassurer ? Les mois défilent et l’attitude de Jérémy se modifie. Il passe beaucoup de temps dans sa chambre, vit dans sa bulle avec ses livres et ses jouets. Mais après tout, rien de dramatique, il peut avoir envie de se retrouver seul parfois.

A l’école, son travail se passe bien, des séances d’orthophonie l’aident à dépasser ses difficultés en lecture durant ce dernier trimestre. Nous apprenons que notre fils est dyslexique. Etrange de détecter cette difficulté seulement au CE2. Mais il progresse avec le soutien de l’orthophoniste.

A la rentrée prochaine, il passera en CM1. Nous le félicitons. Enfin, les vacances sont là et c’est formidable !

 

Juillet 2002

 

A la maison pour plusieurs semaines de repos à la suite d’une intervention chirurgicale, je profite de mes deux enfants. Nous organisons des activités ensemble, vélo, piscine, balade en forêt, sortie avec les cousins, cinéma.

Un jour, nous décidons de partir à vélo tous les trois.

La route choisie se révèle assez difficile à cause de ses pentes. Au bout de deux kilomètres, nous devons emprunter la plus grande descente du circuit. Je leur explique comment freiner tout en maintenant l’allure. Mais malgré mes recommandations, je vois Jérémy prendre de la vitesse. Il panique. Sa sœur et moi l’encadrons pour le diriger sur un espace de stationnement en terre.

Après un arrêt plutôt brusque, il jette son vélo à terre et se met à pleurer : il ne veut plus monter dessus et je le comprends. Il a eu peur. Le retour s’avère laborieux. Les enfants sont fatigués et réclament des pauses avec goûter et boissons.

Durant cette balade, j’ai remarqué que Jérémy avait perdu l’équilibre à plusieurs reprises. Ce constat m’interpelle car il sait faire du vélo depuis l’âge de six ans comme Jessica. Comme il refuse de continuer, je finis par marcher à ses côtés en l’encourageant à remonter sur son vélo. Je ne m’inquiète pas outre mesure, pensant qu’après tous ces efforts, ce n’est qu’un bref découragement.

Les enfants de ma sœur arrivent à la maison pour une semaine de vacances.

Chaque jour, nous prévoyons un programme fait pour plaire à tous afin de ne pas faire de jaloux. Nous décidons d’aller avec les cousins pique-niquer au lac de Vioreau.

La journée se passe très bien. Tous heureux d’être ensemble, ils partagent baignade, jeux de ballon, toboggan, château de sable jusqu'à seize heures pour finir par une collation bien méritée suivie d’une exploration de la forêt.

Comme il fait très chaud aujourd’hui, on ressent la chaleur sous les arbres, c’en est presque étouffant. Certains jouent à cache-cache, les autres grimpent aux arbres, ramassent des trésors. Je remarque alors que Jérémy reste en retrait, peut-être est-il fatigué ?

Durant la balade à travers les sentiers, il tombe deux fois. Je suppose qu’il a buté contre une racine ou bien qu'il a mis le pied dans un trou, rien de grave.

Arrivés au centre de la forêt, nous découvrons une grosse cuvette. Les enfants s’inventent des histoires, en imaginant que c’est un obus de la dernière guerre qui a fait ce trou.

Pour y accéder, il faut gravir plusieurs monticules de terre hauts de soixante centimètres à un mètre. Chacun va dans le sens qui lui convient pour atteindre son but, sauf un : Jérémy se tient devant la plus petite bosse et n’arrive pas à la gravir.

Je vais près de lui et il ne répond pas lorsque je lui demande pourquoi il reste là sans bouger.

Je lui tends la main mais il la refuse en disant « Je vais tomber ».

Sur le coup, je suis surprise, il ne réagit pas comme ça d’habitude. En riant, je lui explique qu’il n’est plus un bébé, mais le voilà au bord des larmes. Voyant sa réaction, je lui propose mon aide, lui donne la main. Je le sens plus rassuré et on y va ensemble. En l’observant, je constate que ses pieds se touchent parfois en marchant, ce qui provoque une perte d’équilibre. Rien de bien grave, me semble-t-il. Qui ne s’est jamais emmêlé les pinceaux de temps en temps ?

Lorsque nous arrivons sur une butte un peu plus haute que la précédente, je sens sa main saisir la mienne. Crispé, il se rapproche de moi. Quand je pose mes mains sur son torse, je sens son cœur battre à toute vitesse. Sur son visage, je peux lire l’angoisse de franchir cet obstacle. Afin de dédramatiser, je lui propose de le contourner pour rejoindre le groupe. Aussitôt son regard s’éclaire, le drame est évité…

Une fois réunis, les enfants veulent grimper à un arbre qui, à première vue, semble facile à escalader vu l’emplacement des branches. Une fois de plus, Jérémy ne monte que sur la première branche, mais heureusement, son cousin, s’apercevant de ses difficultés, lui apporte son aide pour descendre et l’encourage. Il propose alors un jeu où tout le monde participe sans problème. Nous rentrons vers vingt heures et racontons à Thierry cette fameuse journée en n’omettant aucun détail.

Quant à moi, je suis bien contente de pouvoir souffler un peu. Cinq enfants, c’est du boulot !

Les cousins restent encore quelques jours, les activités s’accumulent, ils sont tous vraiment heureux. Les journées passent toujours trop vite, même en vacances, pas besoin d’expliquer que ça bouge pas mal.

Un après-midi, nous décidons de suivre un petit ruisseau qui, en principe, doit nous conduire à une fontaine. Les enfants ont eu cette idée en lisant un dépliant municipal destiné à faire découvrir les beautés cachées de notre ville.

La balade se passe très bien. A notre retour, j’aperçois Jérémy dans la salle de bain en train de changer de vêtements. Je n’interviens pas, il est assez grand pour savoir ce qu’il doit faire.

En fin de journée, je comprends pourquoi : son pantalon est mouillé… je ne cherche pas la raison, ce n’est pas une catastrophe.

Le séjour des cousins s’achève. Maintenant, c’est à Jessica et Jérémy de partir chez leur tante Carole qui habite à Clisson. Ils y retrouveront leurs cousins sensiblement du même âge. Je conviens avec ma belle-sœur que nous nous téléphonerons seulement en cas de problème ; ainsi, Jessica, qui a du mal à rester loin de nous, ne sera pas tentée de me demander de venir la récupérer.

Le séjour chez Carole durera entre trois et quatre jours, si tout va bien. Les enfants de Carole sont nettement plus remuants que les miens. Quand je passe une journée avec eux, je repars avec la tête qui bourdonne tellement c’est mouvementé. Cela ne m’empêche pas de les aimer énormément.

Pendant leur séjour, Carole constate que notre garçon est très fatigable. Il saigne du nez très souvent, peut-être est-ce dû à la chaleur ? Durant les mois de mai et juin, cela lui arrivait, sans rien d’affolant, sauf le 21 mai dernier.

Ce jour-là, comme il ne se sentait pas bien, j’avais décidé de le laisser à la maison… il est habitué à rester seul quand je suis au travail. Il m’avait téléphoné en milieu de matinée pour me dire qu’il saignait du nez. Je l’avais d’abord rassuré en lui rappelant les gestes qu’il doit faire pour stopper le saignement.

Quand il m’a rappelée trente minutes plus tard, pour me dire, en larmes, que le saignement ne s’arrêtait pas, je suis rentrée directement et j’ai vu qu’en effet, il y avait du sang partout et que son nez coulait toujours.

Sans attendre, je l’ai conduit chez le médecin qui a fait le nécessaire pour arrêter l’hémorragie.

Les paroles de Carole me rappellent cet épisode sans pour autant m’inquiéter outre mesure.

Je récupère donc nos enfants le dimanche, heureuse de les retrouver. La vie est formidable, les enfants nous apportent des moments de bonheur intense, de tendresse, de bonne humeur, de complicité et surtout d’amour. Je suis fière d’être leur mère.

Les jours qui suivent, je trouve, moi aussi, que Jérémy se fatigue de plus en plus.

Il se plaint d’avoir des maux de tête, passe beaucoup de temps allongé sur son lit à jouer avec sa Game boy, il lui arrive même de s’endormir.

Je l’accompagne à nouveau chez le médecin, qui l’ausculte et lui prescrit des fortifiants.

Durant cette semaine à la maison, des choses inhabituelles attirent mon attention.

Une nuit, Jérémy tousse et sa respiration est étrange. A deux heures du matin, je me lève pour vérifier ce qu’il se passe et découvre la taie d’oreiller couverte de sang. Je bascule alors Jérémy sur le côté afin de dégager le sang qu’il a dans la bouche. Son nez a dû se remettre à couler. Je m’interroge, je ne trouve pas ça normal. Dès le lendemain, le médecin me dit qu’il faudra envisager de refermer le vaisseau sanguin qui provoque ces saignements.

Sur une période de quinze jours, il y aura encore quatre nuits identiques à celle-ci. Le petit commence à avoir peur au moment d’aller au lit. Je prends le temps de le rassurer.

 

 

Le 20 juillet 2002

 

Nous avons inscrit Jérémy à un mini camp de poterie qui durera quatre jours.

Comme c’est la première fois qu’il nous fait cette demande, nous sommes étonnés mais ravis qu’il puisse faire cette expérience. Je rencontre les moniteurs qui encadreront les enfants pendant le séjour. Nous prenons le temps d’échanger sur les points importants, notamment les saignements de nez et le traitement. Je leur demande de prendre contact avec nous au moindre souci.

Notre fils a déjà étudié la liste de ce dont il aura besoin, tout est prêt pour son départ. Il est impatient d’y aller, c’est formidable de le voir et de l’entendre parler de ce voyage.

Le jour « J » est enfin arrivé ! Jérémy est heureux, avec malgré tout un soupçon d’inquiétude. En attendant le car, il se fait un copain. J’apprécie de voir qu’il communique avec les autres.

Et voilà, c’est le départ ! Nous nous embrassons très fort, j’attends le démarrage du véhicule, il me fait des signes de la main pour me dire au revoir et je fais de même.

Les quatre jours qui nous séparent vont me sembler longs. Je ne suis pas habituée à laisser mes enfants avec des inconnus ; même s’ils me paraissent compétents et dignes de confiance, j’avoue ne pas être rassurée.

Jusqu’à ce jour, les enfants ne sont restés qu’au sein de la famille, mais il faut un début à tout.

Jessica est à la maison. Contrairement à son frère, elle n’a jamais voulu partir en camp de vacances. La seule chose qu’elle a acceptée était de partir trois jours chez un membre de la famille, et il fallait bien sûr lui faire la promesse de la récupérer en temps et en heure.

Frère et sœur et pourtant si différents : lui qui aime le contact, contrairement à sa sœur plus réservée qui se sent bien chez elle avec ses parents et son frère ; elle qui a besoin d’être rassurée, même pour aller à l’école qu’elle fréquente pourtant depuis la maternelle.

 

Le 26 juillet 2002

 

Cette journée me paraît longue. Quatre jours qu’il est parti ! Notre fils doit arriver par le car à dix-sept heures, je suis impatiente de le retrouver.

Enfin, c’est l’heure ! Je l’attends avec les autres parents sur le parking de la mairie.

Le car arrive. Une ribambelle de gamins excités en descend, poussant des cris de joie.

Le chauffeur a du mal à se frayer un passage pour ouvrir le coffre qui contient les bagages.

J’aperçois Jérémy au fond du car, il est avec la monitrice qui porte un paquet dans ses mains. Elle descend et aide Jérémy. Ils sont les derniers.

Dès qu’il me voit, il se jette dans mes bras et se met à pleurer.

Je suis surprise de sa réaction. Que s’est-il passé pour qu’il soit aussi triste ?

Tout en le serrant contre moi, je demande des explications.

Très gentiment, la monitrice me demande de la suivre dans un endroit plus calme pour m’informer des événements durant le séjour.

Le lundi matin, à leur arrivée, ils ont visité les lieux, rencontré le personnel chargé de l’activité poterie, installé leurs valises sous les toiles de tente prévues pour le couchage. Tout s’est bien passé pour Jérémy, y compris le repas. Là où cela s’est un peu compliqué, c’est la nuit : il n’a en effet jamais dormi sous une tente, et les bruits qu’il a entendus lui ont fait peur.

La monitrice l’a retrouvé assis sur son matelas en mousse. Elle a essayé de le mettre à l’aise, l’a installé à côté d’un camarade et lui a promis de passer le voir pendant son sommeil.

Au réveil, elle est venue près de lui pour s’assurer qu’il allait bien, a constaté le contraire et a attendu d’être seule avec lui. Honteux, il ne voulait pas sortir du lit car il avait fait pipi.

Elle s’est employée à dédramatiser et il s’est laissé guider par cette femme. Le mardi, il n’y a pas eu de problème, elle a seulement remarqué qu’il se tenait à l’écart du groupe, qu’il n’avait pas envie de participer aux jeux collectifs.

Quand est venu le moment pour Jérémy de faire son premier essai en poterie, le professeur s’est aperçu qu’il avait du mal à malaxer la terre, il fallait souvent l’aider et l’encourager.

La seconde nuit, il allait déjà mieux et est allé se coucher sans crainte. Mais au milieu de la nuit, il s’est mis à crier, son nez a recommencé à couler. La monitrice a pris soin de lui. Elle précise que les hémorragies étaient impressionnantes et difficiles à stopper.

Les deux autres nuits ont été identiques, avec à chaque fois le pipi au lit.

Jérémy se sentait triste et s’est réfugié dans sa bulle où personne ne pouvait entrer, excepté cette femme. Elle a essayé de détendre l’atmosphère en impliquant les enfants mais n’y est pas parvenue, alors elle a improvisé. Jérémy l’a suivie et est parvenu à faire les choses sous son aile.

Il recherchait la tranquillité et la sécurité.

Il a fabriqué avec difficulté deux objets : un dragon et un cendrier. Il a avoué qu'il souhaitait rentrer chez lui. Elle lui a annoncé que le retour était prévu pour le lendemain. Pour une fois, la nuit s’est bien passée. Finalement, elle s’est chargée de lui tous les soirs depuis le début. La dernière journée s’est bien passée, même si Jérémy a eu besoin d’un coup de main pour emballer les poteries afin d’éviter qu’elles ne se cassent pendant le trajet.

Je crois qu’elle aussi est contente de rentrer : avoir un enfant collé à soi durant tout le séjour finit par être très fatigant. Elle avoue que cela était dur à gérer.

Pourtant j’avais précisé de me contacter au moindre souci afin que nous venions récupérer notre fils.

Après ces explications, je récupère la valise de mon fils et nous rentrons à la maison. A notre arrivée, je prends le temps de lui parler. Je le félicite pour le travail qu’il a réalisé malgré quelques difficultés et je le remercie de nous en faire cadeau.

Il retrouve le sourire, soulagé d’être de retour chez lui. Je lui demande s’il a envie de me parler de son séjour.

Oui, bien sûr, il a des tas de choses à me raconter, il a gardé en mémoire tout ce qu’il a aimé comme les balades, les chants des enfants le soir avant d’aller se coucher, les histoires racontées par un moniteur, son essai en poterie, mais aussi tout ce qui l’a gêné. Il me fixe dans les yeux pour expliquer que c’était très difficile et que d’autres enfants plus doués que lui se moquaient de sa façon de faire. Et il se met à pleurer.

Je le prends dans mes bras et lui dis que partout au cours de sa vie, il rencontrera des enfants ou adultes toujours prêts à se moquer des autres et que cela ne doit pas l’affecter, qu’il doit continuer à sa façon et ignorer ceux qui essaient de le blesser. Pas facile pour lui d’accepter cela.

Je le rassure en lui confirmant qu’au sein de notre famille, nous l’aimons comme il est et que pour rien au monde nous ne voulons qu’il change. Mais cela ne le console pas pour autant.

Le plus difficile pour lui, c’était d’être loin de nous. « Je voulais rentrer, me dit-il, j’avais peur que vous me laissiez pour toujours ! ». Je comprends alors qu’il n’était pas prêt à nous quitter, même quatre jours… peut-être aurait-il fallu le préparer davantage.

A nous de tenir compte de cette première expérience, pour faire mieux la prochaine fois. Après un temps de silence, il me parle de ses fuites urinaires, je lui demande si elles étaient accidentelles ou non.

Il explique alors que la première fois, il n’a pas osé demander à aller aux toilettes car tout le monde était couché et que lorsque la monitrice est venue, il était trop tard. Pour les autres incidents, il ne sait pas « Je te jure maman, je ne le faisais pas exprès… et les autres m’auraient traité de bébé ».

Je le console et le rassure. Il se sent déjà un peu mieux, il craignait ma réaction après toutes ces révélations. Petit à petit, il reprend ses habitudes et j’en suis bien soulagée.

A dix-neuf heures, son père rentre du travail et je lui explique discrètement les mésaventures de notre fils. Aussitôt, Thierry va l’embrasser et lui dit qu’il est heureux que son champion soit de retour à la maison !

Aujourd’hui, samedi, nous profitons du beau temps pour aller à Treffieux, dans notre maison de campagne où nous resterons tout le week-end.

Les enfants sont contents car je les emmène voir des amis qui possèdent une ferme.

Une fois arrivés, ils vont observer les animaux de près. Jérémy est ravi, Jessica un peu moins. Elle préfère rester devant la télé ou bien se baigner dans un lac.

Elle nous suit sans trop se plaindre. Demain, elle escaladera la mine d’Abbaretz, comme ça pas de jaloux !

 

Le 2 août 2002

 

C’est au tour de Jessica de partir chez sa tante Carole. Elle accepte de rester quatre jours et au retour je prendrai les enfants de ma belle-sœur chez nous.

Pendant son absence, je passe beaucoup de temps avec Jérémy, nous allons au cinéma avec Thierry, nous faisons des jeux d’extérieur. Jérémy profite de son père en faisant du bricolage. Il lui a offert une vraie perceuse électrique. Tout ce qui peut être troué est déniché séance tenante. J’admire le travail de loin, je les laisse entre hommes, ils sont magnifiques tous les deux. Ils fabriquent des tas de choses, Jérémy est fier de me montrer ses œuvres réalisées avec l’aide de son père.

 

Le 5 août 2002

 

Au retour de sa sœur avec les neveux et nièces, organisation du planning ! Sortie au zoo, après-midi piscine, patin à glace, balades en pleine nature… Pour les soirées, pique-niques au bord de lacs, près de châteaux ou en forêt… Tous sont heureux de pouvoir faire les fous autant qu’ils le souhaitent, il faut bien dire que les enfants de Carole sont agréables et faciles à vivre.

 

Le 20 août 2002

 

Cette année, nous avons décidé de partir en vacances en Bretagne, direction Douarnenez.

Le départ est prévu pour le 24 août. La veille, nous récupérons Olivia, la copine de Jessica. Toutes deux se connaissent depuis la maternelle et s’entendent très bien.

Nous avons réservé un mobil-home dans un camping équipé de tout ce qu’il faut pour que les enfants ne s’ennuient pas : piscine chauffée, distractions, soirées organisées et, bien entendu, de notre côté nous avons programmé de très jolies balades, tout un tas d’activités ainsi que la visite de sites exceptionnels de Bretagne.

Durant notre séjour, le temps passe doucement et agréablement, les enfants sont heureux et nous aussi. Pourtant, quelque chose me chiffonne : je remarque une fois de plus que notre garçon fatigue rapidement.

Il a beaucoup de mal à suivre lorsqu’on fait une balade sur le sentier qui longe la mer. Il demande à faire une pause, il a soif ; il est vrai qu’il fait chaud mais quand même, je sens qu’il n’est pas dans son assiette.

Habituellement, il est nettement plus joyeux, toujours prêt à faire des découvertes, ramassant des coquillages, des cailloux de toutes sortes, des plumes, assez pour remplir un coffre-fort, trésors qu’il contemplera après les vacances.

Au troisième jour, nous voilà partis tous les cinq à la pêche aux moules. Le paysage est magnifique, l’eau bleu ciel, presque transparente, la plage propre, sans algues. Même Jessica, qui a horreur de la mer, trouve ce coin très joli !

Pour atteindre la plage, il faut d’abord descendre une falaise très haute. Au départ, tout le monde suit, mais je remarque vite que Jérémy a un problème. Il appelle son père pour qu’il vienne à son aide.

Thierry le rejoint, le met sur son dos et le dépose sur la plage. Lui aussi constate les difficultés de son fils.

Les enfants veulent rapporter chacun un galet souvenir. Bien sûr, Jessica en choisit un de la taille d’un œuf d’autruche. Je lui précise qu’elle va devoir le porter elle-même !

Maintenant que tout le monde s’est défoulé, il nous faut remonter le sentier jusqu'à la voiture. Une fois encore, il faut aider Jérémy. Il perd l’équilibre sur les rochers et se plaint de maux de tête. Thierry le porte jusqu' à la voiture où, trempés par les vagues qui se fracassent sur les rochers, nous changeons de vêtements.

Pour calmer le mal de tête de Jérémy, je lui donne du Paracétamol et il s’endort durant le trajet. Après une telle journée, nous pensons que c’est naturel d’être aussi épuisé.

Pourtant, quelque chose est différent !

Le lendemain, journée de repos, les enfants vont à la piscine tous les trois. Jessica veille sur son frère, comme elle le fait souvent quand ils sont dans l’eau, en attendant que son père les rejoigne pour les faire « couler », c’est le jeu qu’ils préfèrent. En ce qui me concerne, je n’aime pas l’eau et je fais autre chose avec eux.

Au bout d’une heure, Thierry revient et profite du soleil en me racontant ses exploits avec les filles. Après la baignade, j’entends Jessica, en colère, qui hurle après son frère.

Que s’est-il passé ?

Elle l’insulte, le traite de tous les noms et le tire par le bras avec une grande violence.

N’appréciant pas cette façon de faire, j’interviens aussitôt. Je les sépare et demande une explication. Jérémy pleure ; il est habitué à entendre sa sœur râler, mais là, elle n’y est pas allée de main morte. Elle raconte : « Tu ne te rends pas compte, il a fait pipi et caca dans la pataugeoire ! » Une fois de plus, cela ne ressemble pas à Jérémy.

Son père, qui écoute, se fâche et le réprimande ; quant à moi, je lui pose la question : « As-tu fait cela volontairement ? »

Tant bien que mal, il essaie d’expliquer ce qui s’est passé : il n’a pas senti le besoin d’uriner et encore moins de déféquer. « C’est parti tout seul sans que je m’en rende compte », précise-t-il.

Le pauvre, profondément honteux et choqué, va dans sa chambre en attendant que la tempête passe.

J’ai préparé un goûter avec des spécialités de la région. Tout rentre dans l’ordre, nous allons ensuite sur le port voir de vieux bateaux et écouter de la musique.

Thierry et Jérémy visitent un vieux navire pendant que les filles flânent de boutiques en boutiques. C’est tellement plaisant qu’ils veulent manger sur place des saucisses frites. Nous serons ainsi bien placés pour assister au concert qui commencera à vingt-et-une heures.

Pendant la soirée, Jérémy tombe trois fois. A chaque fois, nous l’observons afin de savoir ce qui a pu provoquer la chute, mais à première vue, il n’y a pas d’explication.

Est-ce la fatigue qui le rend maladroit ?

Vers vingt-trois heures, comme il se plaint à nouveau de maux de tête, nous décidons de rentrer, sous les reproches de la princesse, forcément : « Ce n’est pas juste ! C’est toujours à cause de lui qu’on rentre plus tôt ! »

De retour au mobil-home, je soigne Jérémy. Son nez recommence à saigner légèrement. Une fois rassuré, il se couche. Il se réveille le lendemain vers onze heures et en pleine forme. A force de constater les maladresses de mon fils, je deviens plus protectrice, plus observatrice aussi. Quand il prend un verre sur la table, il le fait tomber. Quand il se sert, il en met à côté de son assiette. Quand il mange, il fait des fausses routes en avalant de travers ou bien se brûle. Une multitude de petits signes qui m’interpellent.

Que t’arrive-t-il, mon petit ?

A neuf ans et demi, pourquoi n’arrive-t-il pas à contrôler ses gestes ?

Au milieu de la semaine, nous décidons d’envoyer des cartes postales à la famille. Chacun doit en écrire une. Les filles se débrouillent, elles ont des tas de choses à raconter ! Jérémy, lui, n’a pas envie d’écrire, alors il faut le motiver un peu. Il prend enfin le crayon et c’est parti ! Il griffonne quelques mots dont je vérifie l’orthographe, et je remarque son écriture : elle est toute petite et saccadée, comme s’il avait écrit avec les mains gelées au point de ne pas pouvoir tenir un crayon. Mais je le félicite d’avoir fait l’effort d’écrire à sa grand-mère.

Notre séjour touche à sa fin, avec son lot de belles sorties pour le plaisir de tous. Le jour de notre départ, nous avons convenu de faire un détour afin de rendre visite à ma cousine qui habite dans le département voisin.

Voilà, les vacances à Douarnenez terminées, les valises bouclées, nous continuons notre chemin tout en visitant les sites les plus renommés de cette région, des édifices remarquables tels que des églises construites et taillées en partie dans la roche.

Les enfants n’apprécient pas trop ce genre de balade mais ils nous suivent malgré tout, en faisant semblant de s’y intéresser.

Mais un endroit fait l’unanimité, le village de Locronan ! C’est magnifique toutes ces maisons fleuries ! Dans chaque rue, on découvre des marchands, des potiers, des sculpteurs, des fabricants de jouets en bois. C’est un régal pour les yeux tellement c’est riche en couleurs. Sur la place de l’église, un homme attend les clients pour faire visiter les environs dans une carriole tirée par un cheval.

Pas de temps à perdre, nous grimpons tous les cinq à bord pour admirer le paysage en posant des questions à notre guide qui connaît bien l’histoire de la région. Les enfants sont enchantés par l’histoire de la sorcière de Locronan.

Vient le moment le plus attendu pour eux, choisir un souvenir ! Ils mettent un temps fou à se décider « Je le veux ! Je n’en veux pas, je préfère celui-là… » Quand ils finissent enfin par être sûrs de leur choix, nous achetons et tout le monde est content.

En arrivant chez ma cousine Christelle comme convenu, nous retrouvons également ses parents. Jérémy se plaint d’avoir mal à la tête, je lui donne de quoi l’apaiser. Je suis impressionnée par son état de fatigue : lui, qui d’habitude est toujours en mouvement et qui est un moulin à paroles, ne dit presque rien.

Après une bonne journée en famille, nous prenons le chemin du retour tardivement. Les enfants, bien installés, peuvent dormir pendant les deux heures de route qui nous séparent de la maison.

De retour à Treillières, il nous reste encore une semaine de vacances. Les petits reprennent un rythme de vie plus régulier, se couchent un peu plus tôt, mais ils ont du mal à s’endormir. Normal après les habitudes prises pendant l’été !

Cette dernière semaine est nettement plus calme, ce qui permet à Jérémy de souffler et de récupérer un peu de vigueur. Il est content de retrouver son espace et ses jeux préférés et moi aussi, je suis ravie de le voir enfin avec le sourire. Il est vrai qu’il a eu un bon nombre de soucis durant la semaine passée.

J’espère qu’il profitera pleinement de ces quelques jours avant la rentrée scolaire. Jessica est enchantée de son séjour, elle s’avoue heureuse d’être rentrée et de retrouver ses repères. Olivia a bien aimé faire partie de la famille, son souhait serait que cela dure plus longtemps, mais voilà, il lui faut rentrer chez ses parents.

 

Le 2 septembre 2002

 

Jour de la rentrée scolaire, il est huit heures. Jessica entre dans un nouveau collège à Treillières, en quatrième. Comme d’habitude, elle est stressée, mais une fois sur place, elle retrouve des copines et tout va bien.

Neuf heures : c’est le tour de Jérémy qui passe en CM1. Nous arrivons tranquillement dans ce lieu qu’il connaît bien, depuis la maternelle. Nous parcourons en hâte les listes affichées sur les murs afin de connaître le nom de sa maîtresse. Il est angoissé à l’idée d’être dans la classe qui fera de la voile. Trop chouette, la même institutrice qu’en CE1 !

Cette femme, très douce avec ses élèves, leur donne envie d’apprendre d’une manière géniale. Si Jérémy est soulagé, il ne laisse paraître aucun signe de joie ; au contraire, il s’accroche à moi. En attendant l’appel, je croise la maîtresse et nous échangeons quelques mots. Elle dit bonjour aux élèves et ils entrent dans la nouvelle classe, la matinée commence.

Comme je suis toujours en arrêt maladie, je peux aller chercher mon fils le midi ; il m’annonce alors que sa maîtresse demande à me voir après le repas.

De retour à l’école dès treize heures trente, je file directement voir l’institutrice qui me dit être surprise par le comportement de Jérémy : elle le connaît bien pour l’avoir suivi une année en CE1 et me fait part de ses remarques sur la matinée.

Il était stressé et, une fois installé, il est resté figé en regardant droit devant lui, assis sur sa chaise. Lorsqu’elle a demandé aux enfants de prendre leur cahier, Jérémy n’a pas bougé d’un pouce.

Il donnait l’impression d’être ailleurs et quand elle lui adressait la parole, il ne l’entendait pas. De toute la matinée, comme paralysé, il n’a pas pu écrire son prénom, encore moins prononcer un mot.

Jérémy semble incapable de m’expliquer ce qui se passe. En larmes, il ne peut que se serrer contre moi.

J’ai mal de voir mon fils dans cet état et ne sais quoi dire à cette femme. Que se passe-t-il dans la tête de mon petit ?

L’après-midi me semble interminable, je n’aime pas savoir mes enfants en difficulté.

A seize heures trente, je retourne dans la classe. Toujours rien de bon : même comportement que le matin avec en plus des difficultés d’élocution. Il n’a pas écrit un seul mot sur une feuille, rien de rien ; il donne l’impression d’être dans une bulle. Cela m’inquiète car il n’est pas de nature à se faire du souci pour l’école ; au contraire, il y prend du plaisir, il a des amis. Bien sûr, il préfère jouer, mais comme tous les gosses !

Nous rentrons et je profite du goûter pour voir avec lui ce qui se passe. Mais il me répond que tout va bien, puis allume la télévision pour décompresser. Quelques instants plus tard, je constate qu’il s’est endormi sur le canapé. Comment peut-il déjà être aussi fatigué ? Pourtant, à son réveil, il paraît en pleine forme et va jouer sur l’ordinateur. Je veille à ce qu’il ne soit pas trop près de l’écran tout comme pour la télévision, car il est comme aspiré par l’appareil.

Le lendemain, au retour à l’école, c’est le même scénario. Et chaque jour de la semaine, de nouvelles difficultés s’ajoutent à cela : il ne peut plus serrer un crayon dans sa main, tenir assis sur sa chaise sans tomber, marcher sans trébucher, articuler correctement un mot ou une phrase.

Pourquoi autant de problèmes ? Que se passe-t-il ?

Soucieuse de ces nouveaux troubles, je rencontre le psychologue de l’école qui nous dirige vers un Centre Médico Psychologique et Pédagogique (CMPP) à Nantes.

Je conduis mon fils chez notre médecin pour parler de la situation. Il se prénomme Elias, il est devenu mon ami au fil du temps. Avec lui, je peux échanger sur beaucoup de sujets. Je sais qu’il n’émettra pas de jugement sur ma façon d’être ou ma façon de dire les choses avec franchise. Je lui accorde ma confiance, chose rare de ma part. Je lui fais part de tous les dysfonctionnements que j’ai repérés chez mon enfant sans avoir d’explication, et de mon inquiétude grandissante. Comment Jérémy a-t-il pu changer à ce point en si peu de temps, et pourquoi ?

Elias m’écoute et essaie de me rassurer en me disant que cela peut être passager et que tout rentrera dans l’ordre dans quelque temps.

Cela ne me convient pas ! Il faut aller plus loin !

Alors il n’hésite pas : il prend contact avec un confrère neurologue à Nantes, le rendez-vous a lieu deux jours plus tard.

Le neurologue examine le petit sous toutes les coutures, il lui demande de marcher sur une ligne, lui fait suivre son doigt du regard, lui demande de reproduire la même gestuelle que lui et j’en passe.

Après cet examen complet, il m’annonce que notre fils est un petit garçon comme les autres. Je me sens soulagée, j’ai un fils normal, quoi de mieux en ce monde !

En rentrant, j’en informe Thierry, lui aussi s’en trouve plus serein.

Nous pensons, l’un comme l’autre, que Jérémy a besoin d’une aide psychologique. Nous ferons le nécessaire pour qu’il se sorte de là. C’est un cauchemar pour les parents de voir leur enfant régresser sans rien pouvoir stopper.

On se pose des questions. Pourquoi ? Comment ? Sans avoir de réponses. On ne souhaite qu’une chose, que tout redevienne comme « avant ».

Que s’est- il passé pour en arriver là ?

On a forcément manqué quelque chose, mais quoi ?

 

 

Le 09 septembre 2002

 

Aujourd’hui, rendez-vous au CMPP, un grand établissement avec une équipe pluridisciplinaire de professionnels de santé, pédopsychiatre, psychologue, orthophoniste, psychomotricien. Cette première rencontre me permet de décrire les troubles de Jérémy. Ensuite, la parole est donnée à l’enfant.

Le dialogue s’avère difficile. Le psychologue utilise alors le dessin, puis des jeux, tous les moyens sont bons pour tenter de le faire parler.

Après une heure d’échange, cet homme note que notre fils souffre et qu’il va mettre en place le soutien nécessaire. Dans un premier temps, soutien en motricité, afin d’évaluer le problème des chutes à répétition et du dysfonctionnement de ses mains. Nous convenons de deux rendez-vous par semaine, le lundi et le jeudi.

 

 

Le 21 septembre 2002

 

Nouveau rendez-vous au CMPP, Thierry et moi allons devoir répondre aux questions du psychologue afin de trouver l’origine du comportement de notre enfant.

Nous sommes tous les quatre dans un bureau, Jérémy a une grande caisse de jouets pour s’occuper, mais c’est entre nous qu’il vient s’amuser.

Après un échange où nous répondons à ses questions, notre interlocuteur rassemble les différents éléments de l’entretien, nous observe un instant avant de nous livrer ses conclusions.

Dans un premier temps, il me considère comme une mère trop exigeante, sur le plan de la scolarité, sur les règles de vie à la maison (être poli, bien se tenir, avoir un comportement correct, avoir du respect, dire bonjour, au revoir, merci…). Il me fait comprendre que je devrais être plus souple au sein de ma famille de manière que les enfants soient plus à l’aise.

En ce qui concerne Thierry, il affirme qu’il le perçoit comme un père autoritaire. Il dit que Jérémy lui a raconté avoir reçu une gifle parce qu’il avait passé plus d’une heure pour écrire cinq mots.

Je me souviens de ce jour-là, cela s’est produit l’année passée.

Thierry était rentré plus tôt que d’habitude. En général, il n’assiste pas aux devoirs. Il a été surpris de voir comment son fils prenait son temps. Après lui avoir demandé de se presser à plusieurs reprises, il n’avait pu empêcher la gifle de partir.

Le psychologue provoque ainsi une telle tension que le ton finit par monter.

De quel droit se permet-il de nous juger !

Notre fils se rend compte que quelque chose ne va pas et se met à pleurer.

Et le psychologue nous dit : « Voyez, regardez votre enfant ».

Je sens la colère monter. Je n’apprécie pas la façon dont il utilise Jérémy pour nous démolir. A l’entendre, nous sommes vraiment les responsables de son état.

Je sens les larmes couler sur mes joues, j’ai envie de lui taper dessus. Pour qui se prend-il ?

Thierry n’en pense pas moins mais il garde son calme. Comment croire à une énormité pareille ?

Nous avons élevé cet enfant pendant neuf ans et demi, sa sœur pendant douze ans.

En seulement quelques semaines, nous n’aurions plus les qualités nécessaires pour être parents et serions devenus des bourreaux d’enfant ?

Comment se sent-on après une telle rencontre ? Retournés, humiliés, fâchés.

A notre retour, le calme revient. Thierry m’annonce qu’il ne retournera pas voir ce guignol pour entendre de telles aberrations. Je suis d’accord avec lui, ce psychologue est trop nul.

Alors comme ça, quand un enfant a un souci, cela viendrait de la façon dont s’y prennent les parents ? Résultat, il a mis le doute en nous malgré tout.

Depuis ce jour, nous nous observons et nous nous reprochons sans cesse de mal faire ! Par exemple, au moment du repas, si Jérémy renverse son verre, Thierry lui dit de faire un peu plus attention, et comme il a une forte voix naturellement, moi je réagis en disant :

 « Tu as élevé la voix ! ».

En vérité, il n’en est rien, il a toujours parlé de cette manière. Tout cela entraîne des tensions dans notre vie de famille et de couple.

 

 

Le 23 septembre 2002

 

Jérémy a rendez-vous les lundis et jeudis avec un psychomotricien durant quarante-cinq minutes. Ce dernier va évaluer les capacités et les difficultés de notre fils.

Pendant cette première séance, Jérémy joue au ballon, grimpe à l’échelle murale, escalade des plots en mousse, fait des mouvements et déplacements au sol sur des tapis.

Je prends le temps d’échanger avec le professionnel afin de savoir comment se passe leur rencontre. Je suis surprise : au lieu de répondre à ma question, il me demande de lui mettre des vêtements plus amples. Pourtant, je l’habille par rapport à sa taille, ni trop grand, ni trop petit. Pour arranger tout le monde, il mettra un jogging les prochaines fois.

Les semaines passent. Il faut bien de la patience à cet homme, Jérémy ne communique pas et ne s’investit pas…

Un jour, le psychomotricien me demande de les rejoindre dans la salle de motricité. Mon fils me prend par la main et me conduit dans l’angle de la pièce où se trouve une table avec de la pâte à modeler. Il joue avec moi et participe un peu plus avec le sourire. Seul problème, ne faudrait-il pas qu’il en soit de même avec le psychomotricien ?

Il faut plusieurs semaines avant que ce dernier arrive enfin à obtenir des résultats et comprenne le fonctionnement de Jérémy, qui suivra une rééducation jusqu’à fin novembre.

Mais au fil des semaines, il n’y a pas d’amélioration, je dirais même que de nouveaux troubles apparaissent.

Chaque fois que je constate un fait nouveau, j’en informe le pédopsychiatre du CMPP qui ne parvient pas à comprendre, ne trouve pas de solution au problème de notre fils. Je m’aperçois, par exemple, que Jérémy a du mal à se servir de son couteau pour étaler du beurre mou sur sa tartine, et qu’il n’arrive plus à couper du jambon blanc. J’en parle en cours de motricité, le psychomotricien lui fait couper de la pâte à modeler pour observer sa façon de faire. Il me dit qu’il n’y a rien de grave.

Les semaines passent et le petit s’enferme dans une bulle de laquelle je suis pratiquement la seule à le faire sortir. Il continue d’aller à l’école, mais des problèmes supplémentaires viennent s’ajouter aux autres : il a de plus en plus de mal à maintenir son corps assis sur sa chaise, trébuche régulièrement et tombe. Les objets lui échappent très souvent des mains.

En quelques semaines, il devient la risée de ses camarades. Les enfants se moquent de lui en permanence. Arrivent ensuite les insultes du genre « gros nul, taré, débile, connard » et j’en passe…

Pour Jérémy, cela devient insupportable au point qu’un soir, avant de se mettre au lit, il m’annonce : « Je crois que je suis un peu débile ».

Je reste figée et lui demande pourquoi il pense une chose pareille.

Il me répond que ses copains ont certainement raison puisqu’il n’arrive pas à faire les choses normalement.

Je suis choquée de l’entendre parler de lui de cette façon et décide de mettre de l’ordre dans cette histoire.

Premièrement, je lui explique qu’il est loin d’être débile, qu’il est doué et intelligent, qu’il possède des qualités que d’autres n’ont pas et que nous, ses parents, sommes heureux d’avoir un fils comme lui.

Deuxièmement, je lui promets que, dès le lendemain, j’irai dans sa classe voir la maîtresse et discuter avec les élèves afin de mettre un terme à tout ça.

Jérémy se confie encore un peu, il ne sait plus quoi penser de ce qui gravite autour de lui. Je le rassure et l’embrasse.

 

 

 

 

Le 4 octobre 2002

 

Ce matin, Thierry et moi sommes convoqués à l’école par le directeur, en présence de l’enseignante. Il faut prendre une décision concernant le cas de Jérémy. La maîtresse nous fait part de la difficulté qu’elle rencontre et nous fait comprendre qu’elle ne peut assumer une telle charge.

Elle confirme que la situation s’est aggravée depuis la rentrée scolaire.

Nous comprenons tout à fait. Pour nous, ce n’est déjà pas simple, alors pour elle qui doit gérer vingt-neuf enfants dans la classe, c’est évidemment compliqué. A la suite des explications de l’institutrice, le directeur prend la parole. Il dit être désolé de ce qui arrive, mais que nous devons trouver une solution rapidement. Il nous propose de faire rentrer Jérémy dans une Classe pour l’Inclusion Scolaire (CLIS).

Nous n’avions jamais entendu parler de ces classes qui accueillent des enfants ayant des difficultés d’apprentissage scolaire ou des troubles du comportement, comme c’est le cas pour notre fils.

Ce matin, nous nous sentons projetés dans une direction inconnue. Pour les professionnels de l’enseignement, cela paraît tout naturel de nous guider dans cette voie, mais pour nous parents, c’est difficile à accepter. Ils nous demandent impérativement d’écarter notre fils de l’école pour le bien-être des autres. D’où notre sentiment d’être différents, comme rejetés. Conscients des problèmes que cela génère au sein de l’école, nous n’avons pour le moment pas d’autre alternative : nous devons accepter la proposition qui nous est faite, pour le bien de notre fils.

Pour son « bien » ! Façon de parler, car personne n’a pris le temps de parler à Jérémy de ce qui va se passer pour lui dans un futur proche. Comment va-t-il réagir à cette annonce ?

Après avoir reçu notre accord, le directeur nous demande de prendre un rendez-vous avec le médecin scolaire et un autre avec l’académie de Nantes.

J’ai l’impression de faire une course contre la montre avec l’Education Nationale. Pourtant, mon souci est ailleurs : la santé de mon fils me préoccupe beaucoup plus que ses problèmes scolaires.

Maintenant, il me faut parler avec lui, lui annoncer qu’il va rencontrer un médecin à l’école et qu’il devra très certainement changer d’établissement si on trouve une place disponible dans une CLIS. Après la classe, je lui explique les choses de la manière la moins brutale possible. Il écoute et comprend, mais la tristesse se lit sur son visage. Il n’est pas d’accord. Son inquiétude, c’est le changement d’école. Il pleure et je le comprends : il va devoir quitter tous ses copains.

Comme c’est difficile, tellement de choses gravitent autour de lui ! Il se sent mal lorsque nous parlons des troubles qu’il rencontre.

Il me dit « Ce n’est pas de ma faute, maman, je ne sais pas pourquoi je suis comme ça. »

Je le rassure en lui répondant qu’il n’a rien à se reprocher et que nous l’aimons de la même façon.

Comment ne pas montrer à notre enfant que nous sommes inquiets ? Il faut tout faire pour dédramatiser les événements, rester calmes et continuer à avancer normalement. Je dois avouer que ce n’est pas aussi simple à faire qu’à dire, sachant que tout cela bouleverse la cellule familiale.

 

Le 15 octobre 2002

 

Aujourd’hui, mardi neuf heures trente, nous rencontrons le médecin scolaire. C’est une femme d’environ quarante-cinq ans, aux cheveux courts.

Elle veut entendre l’histoire de Jérémy. Ensuite, elle s’approche de lui, le mesure, le pèse, le fait lire, lui chuchote des mots pour qu’il puisse les répéter. Mais Jérémy ne dit pas un mot.

Elle me regarde, l’air agacé. Je les observe sans intervenir.

Moi, je me suis habituée à voir Jérémy s’enfermer dans cette bulle.

Je sais qu’il va en sortir dans quelques instants et que tout redeviendra normal.

Elle se met face à lui et lui dit en haussant la voix « Je te demande de répéter après moi, presse-toi ! » Je n’apprécie pas sa manière de lui parler.

Ensuite, elle lui demande de faire des gestes simples comme marcher sur une ligne, se tenir sur un pied. Jérémy a énormément de mal à réaliser tous ces gestes. Une fois de trop à mon goût, elle élève la voix sur lui. Résultat, il me regarde et pleure. J’interviens alors et demande au médecin de cesser d’agresser mon fils.

Elle paraît surprise de ma réaction. Elle croit certainement que l’enfant la mène en bateau, mais moi je sais que non, qu’il a un véritable problème que personne n’arrive à comprendre et à résoudre. Je lui fais comprendre en douceur que notre fils vit par moments dans un autre monde que le nôtre et se déconnecte de tout. On peut lui parler, il ne nous entend pas. On peut se mettre en face de lui, il ne nous voit pas. Je lui donne le plus de détails possibles pour lui faire comprendre que ce qui se passe chez cet enfant n’est pas normal.

Pendant ce temps, Jérémy vient se blottir près de moi, je le console et lui demande de faire encore un effort pour finir les tests. Il doit reconnaître des couleurs et des formes dans un livre, test qu’il réussit.

En conclusion, elle me dit qu’il y a en effet un souci et me demande ce qui a déjà été fait. Je lui énonce nos démarches : nous avons consulté un neurologue qui a conclu que Jérémy se comportait normalement.

Elle constate notre situation et comprend notre détresse. Elle m’explique qu’elle s’est montrée dure avec notre enfant dans le but de vérifier ses réactions.

Elle est navrée que je me sois mise en colère. Nous discutons encore un long moment, puis elle finit par me donner les coordonnées d’un neurologue en me vantant ses qualités auprès des enfants. Elle rédige un courrier pour lui expliquer la situation et me conseille de prendre rendez-vous le plus tôt possible. Elle m’annonce que nous nous reverrons dans deux jours à l’académie de Nantes. Je la remercie et nous rentrons à la maison.

 

 

 

 

Le 17 octobre 2002

 

Comme convenu, nous nous rendons à l’académie. Il est neuf heures trente, Thierry a pris une matinée pour m’accompagner. Il y a des décisions qui se prennent à deux.

En arrivant sur les lieux, on nous accueille, on nous installe dans un couloir en nous demandant de patienter un instant.

L’attente va durer presque quarante minutes. Je me dirige vers la secrétaire pour m’assurer qu’ils ne nous ont pas oubliés. Elle me répond qu’ils sont en train de discuter du dossier de Jérémy et qu’ensuite ils nous appelleront.

Je trouve étrange que l’on puisse parler d’un dossier, ou plutôt d’un enfant, sans la présence des parents. Peu de temps après, on demande notre présence dans la salle du conseil.

Parmi les personnes présentes, je vois l’institutrice, le médecin scolaire, le psy, le directeur et l’inspecteur d’académie. Ajoutons à cette brochette de professionnels, le représentant de la Commission Départementale de l’Education Spéciale ainsi que celui de la Commission de Circonscription Pré-Elémentaire et Elémentaire. Ils ont parlé et fait le point entre eux concernant la situation de notre fils et nous résument leurs échanges.

Le médecin scolaire donne son point de vue concernant l’état de santé de Jérémy, en précisant qu’il faut bousculer les choses pour permettre à cet enfant d’être accepté dans un lieu plus adapté.

Il faut, une fois de plus, raconter ce qui nous arrive. Personne ne peut imaginer combien cela devient fatigant moralement pour des parents de devoir sans cesse répéter encore et encore.

Ce n’est pas une histoire drôle !

C’est une catastrophe que vous vivez au jour le jour et contre laquelle vous ne pouvez rien. Voir votre enfant dans cet état vous démolit de l’intérieur, vous ne savez pas vers qui vous tourner pour crier au secours.

Personne dans cette salle ne peut se mettre à notre place et savoir combien cela peut être difficile pour la cellule familiale de tenir le coup. Nous sommes sur le qui-vive chaque jour qui passe.

Au terme de cette rencontre, toutes ces personnes décident que Jérémy sera orienté vers une CLIS à Orvault, dès qu’une place sera disponible, c'est-à-dire pas avant le mois de novembre. Ils nous donnent les coordonnées de l’établissement et nous rentrons.

J’obtiens un rendez-vous pour le 21 octobre afin de visiter l’établissement avec Jérémy et faire la connaissance de son futur instituteur. Notre fils doit s’imprégner des lieux avant son arrivée, prendre des repères et rencontrer les enfants de la classe.

Le pauvre garçon est très tendu depuis que son père et moi lui avons annoncé la nouvelle. Je peine à lui faire entendre que c’est pour son bien. Pour lui, c’est tout l’inverse, il se sent rejeté de son école et abandonné par ses amis.

C’est un moment très pénible, il n’y a pas de mots pour le consoler et atténuer sa tristesse.

Certes, il a des troubles du comportement mais cela ne l’empêche pas d’être intelligent et d’avoir des sentiments comme nous tous.

Il s’accroche de toutes ses forces à ses parents et à sa sœur. Son refuge, la maison, où il semble aller mieux et être apaisé. Je ne dis pas, cependant, qu’il s’y comporte normalement !

Tant de changements en si peu de temps ! Nous ne lui demandons pas d’entrer dans un moule et d’être conforme aux autres, nous le laissons vivre à son rythme en souhaitant qu’il aille mieux.

Je passe de plus en plus de temps avec lui, afin de l’aider à sortir de cette bulle. Tous les moyens sont bons : jeu, lecture, télé, chant, bricolage…

Chaque jour qui passe, je sens mon fils se rapprocher de moi, il s’installe toujours à mes côtés, me prend la main dès qu’on sort. Je le vois fatigué, moralement et physiquement, tout va si vite que je ne sais plus quoi penser, ni quoi faire, pour le sortir de cette impasse.

 

Le 21 octobre 2002

 

Nous allons visiter sa nouvelle école, rencontrer son instituteur et les élèves de sa classe. Il y a une douzaine d’enfants qui l’accueillent chaleureusement.

Une petite fille blonde avec des lunettes, Marine, vient lui faire une bise. Jérémy, qui n’est pas habitué à ce genre de manifestation d’affection avec les filles de son école, est surpris. Les enfants lui posent des questions, veulent tout savoir, mais Jérémy ne répond qu’à une seule, son prénom.

Son instituteur, assez grand, bien charpenté, les cheveux grisonnants, porte des lunettes. Il a presque l’âge de la retraite et se montre lui aussi très accueillant. Il essaie de prendre contact avec Jérémy, mais sans résultat.

Depuis cette visite, Jérémy n’est plus le même. Il est angoissé à l’idée de devoir quitter l’école dans laquelle il est depuis la maternelle. Son comportement change et en quelques jours, de nouveaux troubles apparaissent.

D’abord, il tourne autour de la table de la salle à manger durant trente minutes. Je lui demande en vain de s’arrêter à plusieurs reprises, il continue. Fait nouveau, il se met à cracher, peu importe l’endroit où il se trouve. Je suis surprise, je ne l’ai pas élevé comme ça ! Je lui fais comprendre que cela ne se fait pas, je me fâche. Il est hors de question que je le laisse faire.

Pauvre gosse, il est tellement surpris de m’entendre hausser la voix qu’il pleure aussitôt.

A ce stade, je ne sais pas s’il le fait involontairement, ou si c’est de la provocation.

Etre dans le doute devient pénible, on ne sait pas comment réagir. Pourtant, cet enfant nous comprend, il nous entend, mais il est là sans bouger, sans répondre. Il ne proteste pas et reste toujours aussi doux et affectueux.

Lorsque je le regarde, je me dis que tout cela est impossible. Comment un enfant de dix ans peut-il être confronté à une situation comme celle-ci ?

Les jours suivants, je le vois ramasser des cailloux et les mettre dans sa bouche, se comportant comme un enfant en bas âge. J’interviens en les lui faisant cracher. Il me faut redoubler d’attention.

Au moment des repas, il devient maladroit, il ne le fait pas exprès, tout lui échappe des mains, il a du mal à tenir ses couverts, du mal à mastiquer les aliments et à les avaler, il fait des fausses routes. Il lui arrive de se brûler en mangeant ou bien en posant sa main sur un plat qui sort du four.

Que se passe-t-il ? Peut-on perdre ses réflexes ?

Désormais, nous prenons soin d’écarter tout danger, nous l’entourons et le protégeons de plus en plus, nous devons penser à tout et anticiper.

Pour Jessica et Thierry, la situation devient vite un problème, eux aussi ont du mal à comprendre pourquoi tout devient si compliqué. Jessica commence à repousser son frère qui se montre lourd et gênant. Elle sent le regard des autres qui se pose sur nous chaque fois que nous sortons ensemble, elle se sent mal à l’aise mais ne l’exprime pas.

Thierry réagit autrement ; je ne sais pas ce qu’il pense, il n’en parle jamais. Il a du mal à garder son calme quand il voit le comportement de son fils.

Lui non plus n’est pas à l’aise quand nous allons à l’extérieur.

Je me souviens de cette soirée où nous étions invités à prendre l’apéritif chez nos voisins. Il y avait des biscuits et des cacahuètes sur la table qui tentaient Jérémy. Thierry passait son temps à retenir son fils pour qu’il ne se serve pas seul. Jérémy ne contrôle pas les quantités et peut avaler un grand nombre de gâteaux, au risque de s’étouffer.

En agissant ainsi, Thierry a fait en sorte que notre fils ne soit pas une gêne durant notre présence chez eux.

Cela devient plus difficile de jour en jour. En tant que mère, je fais mon possible pour maintenir un équilibre entre le temps que je consacre à Jérémy, qui capte toute mon énergie, et le peu qu’il me reste pour Jessica.

Pendant les vacances de la Toussaint, Jessica profite de sa liberté pour aller chez son amie  Olivia. Je garde Jérémy avec moi. Nous sommes très proches, pas seulement parce que je suis sa mère, mais parce que cet enfant vit quelque chose de terrible. Tout cela lui fait peur, et à moi aussi.

Actuellement, ses difficultés sont déclarées comme étant d’ordre psychologique et plus le temps passe, plus les troubles augmentent. Il va au CMPP depuis presque deux mois déjà et je ne vois aucune amélioration. Lorsque je m’adresse aux membres de l’équipe qui le suit pour savoir où ils en sont, ils me répondent qu’ils feront le point une semaine plus tard. Je trouve ça long, trop long, j’aimerais trouver la solution pour stopper cet enfer.

Je fais mon possible pour lui permettre de se détendre, de se sentir soutenu et aimé comme avant. Lui aussi a remarqué le regard des autres, et la distance qui s’instaure avec sa sœur n’a rien de rassurant. Je lui fais la promesse de ne jamais le laisser tomber, d’être toujours là pour lui à n’importe quel moment, et surtout de l’aimer à l’infini.

Il sait qu’il peut avoir confiance, il se colle contre moi, pas besoin de mots pour le rassurer, mes bras et mon cœur s’expriment simplement, cet amour est indestructible !

 

Le 4 novembre 2002

 

Aujourd’hui est un grand jour, celui de la rentrée de Jérémy dans son nouvel établissement. Il n’est pas très sûr de lui, et j’appréhende un peu aussi. De toute façon, nous n’avons pas le choix !

Je l’accompagne jusqu’au préau et nous attendons l’instituteur.

Un enfant de la classe reconnaît Jérémy et vient à notre rencontre. Il en appelle deux autres et soudain c’est pratiquement toute la classe qui nous encercle. Au fond de moi, je suis contente, les enfants posent des questions à n’en plus finir. La cloche sonne et le maître apparaît, souhaitant le bonjour aux élèves, et ils rejoignent leur classe au premier étage.