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Émaux et Camées est le sommet de l'art poétique de Théophile Gautier. La plupart des textes qui le constituent sont octosyllabiques ; « L'Art », contre-exemple, a une forme plus surprenante : il est en effet constitué de quatrains hexasyllabiques. Ses poèmes deviennent alors des bijoux virtuoses à la beauté un peu froide sans perdre toutefois leur charge émotionnelle. Cette esthétique nouvelle annonce le mouvement parnassien.
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Seitenzahl: 54
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Affinités Secrêtes
Le Poème de la Femme
Etude de Mains
Variations sur le Carnaval de Venise
Symphonie en Blanc Majeur
Coquetterie Posthume
Diamant du coeur
Premier Sourire du Printemps
Contralto
Caerulei Oculi
Rondalla
L'Aveugle
Lied
Fantaisies d'hiver
La Source
Buchers et tombeaux
Le souper des armures
La montre
Les Néréides
Les accroche-coeurs
La rose-thé
Carmen
Ce que disent les hirondelles. Chanson d'automne
Noel
Les joujoux de la morte
Après le feuilleton
Le château du souvenir
Camélia et paquerette
La fellah. Sur une aquarelle de la princesse M..
La mansarde
La nue
Le merle
La fleur qui fait le printemps
Dernier voeu
Plaintive tourterelle
La bonne soirée
L'art
Pendant les guerres de l'empire,
Goethe, au bruit du canon brutal,
Fit le Divan occidental,
Fraîche oasis où l'art respire.
Pour Nisami quittant Shakspeare,
Il se parfuma de santal,
Et sur un mètre oriental
Nota le chant qu'Hudhud soupire.
Comme Goethe sur son divan
A Weimar s'isolait des choses
Et d'Hafiz effeuillait les roses,
Sans prendre garde à l'ouragan
Qui fouettait mes vitres fermées,
Moi, j'ai fait Émaux et Camées.
AFFINITES SECRETES
MADRIGAL PANTHÉISTE
Dans le fronton d'un temple antique,
Deux blocs de marbre ont, trois mille ans,
Sur le fond bleu du ciel attique,
Juxtaposé leurs rêves blancs;
Dans la même nacre figées,
Larmes des flots pleurant Vénus,
Deux perles au gouffre plongées
Se sont dit des mots inconnus;
Au frais Généralife écloses,
Sous le jet d'eau toujours en pleurs,
Du temps de Boabdil, deux roses
Ensemble ont fait jaser leurs fleurs;
Sur les coupoles de Venise
Deux ramiers blancs aux pieds rosés,
Au nid où l'amour s'éternise,
Un soir de mai se sont posés.
Marbre, perle, rose, colombe,
Tout se dissout, tout se détruit;
La perle fond, le marbre tombe,
La fleur se fane et l'oiseau fuit.
En se quittant, chaque parcelle
S'en va dans le creuset profond
Grossir la pâte universelle
Faite des formes que Dieu fond.
Par de lentes métamorphoses,
Les marbres blancs en blanches chairs,
Les fleurs roses en lèvres roses
Se refont dans des corps divers.
Les ramiers de nouveau roucoulent
Au coeur de deux jeunes amants,
Et les perles en dents se moulent
Pour l'écrin des rires charmants.
De là naissent ces sympathies
Aux impérieuses douceurs,
Par qui les âmes averties
Partout se reconnaissent soeurs.
Docile à l'appel d'un arome
D'un rayon ou d'une couleur,
L'atome vole vers l'atome
Comme l'abeille vers la fleur.
L'on se souvient des rêveries
Sur le fronton ou dans la mer,
Des conversations fleuries
Près de la fontaine au flot clair,
Des baisers et des frissons d'ailes
Sur les dômes aux boules d'or,
Et les molécules fidèles
Se cherchent et s'aiment encor.
L'amour oublié se réveille,
Le passé vaguement renaît,
La fleur sur la bouche vermeille
Se respire et se reconnaît.
Dans la nacre où le rire brille,
La perle revoit sa blancheur
Sur une peau de jeune fille,
Le marbre ému sent sa fraîcheur.
Le ramier trouve une voix douce,
Écho de son gémissement,
Toute résistance s'émousse,
Et l'inconnu devient l'amant.
Vous devant qui je brûle et tremble,
Quel flot, quel fronton, quel rosier,
Quel dôme nous connut ensemble,
Perle ou marbre, fleur ou ramier?
LE POËME DE LA FEMME
MARBRE DE PAROS
Un jour, au doux rêveur qui l'aime,
En train de montrer ses trésors,
Elle voulut lire un poëme,
Le poëme de son beau corps.
D'abord, superbe et triomphante
Elle vint en grand apparat,
Traînant avec des airs d'infante
Un flot de velours nacarat:
Telle qu'au rebord de sa loge
Elle brille aux Italiens,
Ecoutant passer son éloge
Dans les chants des musiciens.
Ensuite, en sa verve d'artiste,
Laissant tomber l'épais velours,
Dans un nuage de batiste
Elle ébaucha ses fiers contours.
Glissant de l'épaule à la hanche,
La chemise aux plis nonchalants,
Comme une tourterelle blanche
Vint s'abattre sur ses pieds blancs.
Pour Apelle ou pour Cléomène,
Elle semblait, marbre de chair,
En Vénus Anadyomène
Poser nue au bord de la mer.
De grosses perles de Venise
Roulaient au lieu de gouttes d'eau,
Grains laiteux qu'un rayon irise,
Sur le frais satin de sa peau.
Oh! quelles ravissantes choses,
Dans sa divine nudité,
Avec les strophes de ses poses,
Chantait cet hymne de beauté!
Comme les flots baisant le sable
Sous la lune aux tremblants rayons,
Sa grâce était intarissable
En molles ondulations.
Mais bientôt, lasse d'art antique,
De Phidias et de Vénus,
Dans une autre stance plastique
Elle groupe ses charmes nus.
Sur un tapis de Cachemire,
C'est la sultane du sérail,
Riant au miroir qui l'admire
Avec un rire de corail;
La Géorgienne indolente,
Avec son souple narguilhé,
Etalant sa hanche opulente,
Un pied sous l'autre replié.
Et comme l'odalisque d'Ingres,
De ses reins cambrant les rondeurs
En dépit des vertus malingres,
En dépit des maigres pudeurs!
Paresseuse odalisque, arrière!
Voici le tableau dans son jour,
Le diamant dans sa lumière ;
Voici la beauté dans l'amour!
Sa tête penche et se renverse
Haletante, dressant les seins,
Aux bras du rêve qui la berce,
Elle tombe sur ses coussins.
Ses paupières battent des ailes
Sur leurs globes d'argent bruni,
Et l'on voit monter ses prunelles
Dans la nacre de l'infini.
D'un linceul de point d'Angleterre
Que l'on recouvre sa beauté :
L'extase l'a prise à la terre;
Elle est morte de volupté!
Que les violettes de Parme,
Au lieu des tristes fleurs des morts
Où chaque perle est une larme,
Pleurent en bouquets sur son corps!
Et que mollement on la pose
Sur son lit, tombeau blanc et doux,
Où le poète, à la nuit close,
Ira prier à deux genoux.
ETUDE DE MAINS
I
IMPERIA
Chez un sculpteur, moulée en plâtre,
J'ai vu l'autre jour une main
D'Aspasie ou de Cléopâtre,
Pur fragment d'un chef-d'oeuvre humain;
Sous le baiser neigeux saisie
Comme un lis par l'aube argenté,
Comme une blanche poésie
S'épanouissait sa beauté.
Dans l'éclat de sa pâleur mate
Elle étalait sur le velours
Son élégance délicate
Et ses doigts fins aux anneaux lourds.
Une cambrure florentine,
Avec un bel air de fierté,
Faisait, en ligne serpentine,
Onduler son pouce écarté.
A-t-elle joué dans les boucles
Des cheveux lustrés de don Juan,
Ou sur son caftan d'escarboucles
Peigné la barbe du sultan,
Et tenu, courtisane ou reine,