5,99 €
Extrait : "J'avais je ne sais quelle affaire à traiter avec le maréchal de *** ; j'allai à son hôtel, un matin ; il était absent : je me fis annoncer à madame la maréchale. C'est une femme charmante ; elle est belle et dévote comme un ange ; elle a la douceur peinte sur son visage ; et puis, un son de voix et une naïveté de discours tout à fait avenants à sa physionomie. Elle était à sa toilette. On m'approche un fauteuil ; je m'assieds, et nous causons."
Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:
Seitenzahl: 26
EAN : 9782335001358
©Ligaran 2015
J’avais je ne sais quelle affaire à traiter avec le maréchal de *** ; j’allai à son hôtel, un matin ; il était absent : je me fis annoncer à madame la maréchale. C’est une femme charmante ; elle est belle et dévote comme un ange ; elle a la douceur peinte sur son visage ; et puis, un son de voix et une naïveté de discours tout à fait avenants à sa physionomie. Elle était à sa toilette. On m’approche un fauteuil ; je m’assieds, et nous causons. Sur quelques propos de ma part, qui l’édifièrent et qui la surprirent (car elle était dans l’opinion que celui qui nie la très sainte Trinité est un homme de sac et de corde, qui finira par être pendu), elle me dit :
N’êtes-vous pas monsieur Crudeli ?
Oui, madame.
C’est donc vous qui ne croyez rien ?
Moi-même.
Cependant votre morale est d’un croyant.
Pourquoi non, quand il est honnête homme ?
Et cette morale-là, vous la pratiquez ?
De mon mieux.
Quoi ! vous ne volez point, vous ne tuez point, vous ne pillez point ?
Très rarement.
Que gagnez-vous donc à ne pas croire ?
Rien du tout, madame la maréchale. Est-ce qu’on croit, parce qu’il y a quelque chose à gagner ?
Je ne sais ; mais la raison d’intérêt ne gâte rien aux affaires de ce monde ni de l’autre.
J’en suis un peu fâché pour notre pauvre espèce humaine. Nous n’en valons pas mieux.
Quoi ! vous ne volez point ?
Non, d’honneur.
Si vous n’êtes ni voleur ni assassin, convenez du moins que vous n’êtes pas conséquent.
Pourquoi donc ?
C’est qu’il me semble que si je n’avais rien à espérer ni à craindre, quand je n’y serai plus, il y a bien de petites douceurs dont je ne me priverais pas, à présent que j’y suis. J’avoue que je prête à Dieu à la petite semaine.
Vous l’imaginez ?
Ce n’est point une imagination, c’est un fait.
Et pourrait-on vous demander quelles sont ces choses que vous vous permettriez, si vous étiez incrédule ?
Non pas, s’il vous plaît ; c’est un article de ma confession.
Pour moi, je mets à fonds perdu.
C’est la ressource des gueux.
M’aimeriez-vous mieux usurier ?
Mais oui : on peut faire l’usure avec Dieu tant qu’on veut ; on ne le ruine pas. Je sais bien que cela n’est pas délicat, mais qu’importe ? Comme le point est d’attraper le Ciel, ou d’adresse ou de force, il faut tout porter en ligne de compte, ne négliger aucun profit. Hélas ! nous aurons beau faire, notre mise sera toujours bien mesquine en comparaison de la rentrée que nous attendons. Et vous n’attendez rien, vous ?
Rien.
Cela est triste. Convenez donc que vous êtes bien méchant ou bien fou !
En vérité, je ne saurais, madame la maréchale.
Quel motif peut avoir un incrédule d’être bon, s’il n’est pas fou ? Je voudrais bien le savoir.
Et je vais vous le dire.
Vous m’obligerez.