Essai d'un abrégé de la philosophie de la guerre - Ernest Raymond  Henry - E-Book

Essai d'un abrégé de la philosophie de la guerre E-Book

Ernest Raymond Henry

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Extrait : "1. Les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. (Montesquieu.) 2. La science est la classification des notions positives et des lois fournies par l'observation, l'expérience et le raisonnement. (Fontenelle.) 3. Il n'est presque aucun objet saisi par les sens dont la réflexion n'ait fait une science."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : • Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. • Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Introduction

« Il est plus aisé et souvent moins utile de dire des choses nouvelles que de concilier celles qui ont été dites. »

(VAUVENARGUES.)

« La guerre est un art simple et tout d’exécution ; il n’a rien de vague, tout y est bon sens ; rien n’y est idéologie. »

(NAPOLÉON, Commentaires.)

Qualités indispensables à l’homme de guerre. – L’adage célèbre, Mens sana in corpore sano, résume la condition essentielle que doit remplir celui qui est appelé à diriger ou à exécuter une action militaire. Tous les capitaines qui ont laissé une trace dans la mémoire des peuples, ont su réunir à un haut degré les qualités du penseur à celles de l’homme d’action.

On peut être poète, artiste, philosophe, homme d’État, avec un corps débile ; on peut être laboureur, charpentier ou forgeron avec une âme ordinaire ; mais il est impossible d’être un homme de guerre accompli sans posséder une âme forte dans un corps agile et robuste. La pratique de la guerre est donc de tous les arts celui qui exige au plus haut point le développement et l’équilibre complet des forces physiques et morales de l’homme. C’est pour cette raison que de tout temps les meilleurs esprits ont considéré le service militaire obligatoire comme la plus solide institution à donner à une nation qui veut conserver intactes ses forces vives et son influence politique.

La santé, la vigueur, l’adresse et le caractère sont toujours le résultat de qualités naturelles sagement développées par une virile éducation première. L’instruction technique et la discipline, qui font naître l’esprit d’ordre et de méthode, s’acquièrent par l’application au travail, le séjour dans les écoles et dans les régiments, l’étude des règlements, la vie des camps, et surtout par l’exercice intelligent de la profession des armes.

Coup d’œil militaire. – Quant au coup d’œil militaire et au jugement, ces deux qualités maîtresses sans lesquelles il est impossible à un homme de diriger la moindre opération de guerre, elles ne s’acquièrent ni sur les bancs de l’école, ni à la caserne ; elles sont le résultat d’une aptitude naturelle cultivée par l’observation personnelle, par la lecture et par la méditation des choses de la guerre.

Nous entendons par coup d’œil militaire cette faculté à la fois physique et intellectuelle qui permet à un officier de saisir rapidement la configuration générale des positions militaires occupées par les siens ou par l’ennemi, d’apprécier les avantages et les inconvénients relatifs qu’elles présentent, soit pour la sécurité des troupes, soit pour leur action offensive ou défensive, et d’en déduire les dispositions les plus favorables à adopter pour tirer du terrain le meilleur parti possible en toute circonstance.

Jugement. – La seconde qualité capitale, le jugement suppose toujours à la guerre le coup d’œil militaire, mais il va plus loin dans l’ordre intellectuel. C’est cette faculté précieuse qui permet au chef d’embrasser avec calme dans son esprit les rapports simultanés et variés des objets qui intéressent sa mission, de saisir instinctivement et froidement le point délicat d’une situation compliquée, de prendre un parti sans hésitation, de dicter la solution la plus pratique, eu égard aux circonstances où il se trouve et aux moyens dont il dispose.

Comment acquérir ou développer ces deux éminentes facultés ? – Comment avez-vous découvert les lois de la gravitation, demandait-on à Newton ? En y pensant sans cesse, répondit-il. – Telle est la situation d’esprit dans laquelle doit se placer celui qui veut sincèrement devenir un chef militaire : y penser sans cesse ! Il faut que chaque jour, à chaque heure, en garnison, à pied ou à cheval, en voyage, à la chasse, au bivac, en toute circonstance de sa carrière, il exerce constamment ses yeux par l’examen et la comparaison des localités, et son jugement par l’application constante et raisonnée des principes de l’art militaire.

Cette méthode d’instruction si féconde, d’une application si simple, a été presque constamment l’objet d’une défaveur en quelque sorte systématique dans l’armée française. Tout en s’assujettissant, en temps de paix, à l’observation routinière des règlements militaires, on s’était accoutumé à ne compter, en temps de guerre, que sur la fortune, sur l’improvisation des chefs, sur l’élan et l’incomparable bravoure de nos soldats. Par une étrange contradiction, on tuait chez l’officier, par l’existence artificielle et automatique de la caserne, cette initiative réglée et réfléchie qui, maintenant plus que jamais, est le ressort le plus puissant des champs de bataille. On a oublié que cette brillante improvisation, dont quelques-uns de nos généraux ont donné l’exemple, n’est une qualité solide que chez l’homme instruit, doué d’un esprit vif et éclairé, et servi par un jugement très sûr. Sans l’instruction et le jugement, le fameux art de se débrouiller est le moyen le plus certain et le plus rapide de conduire une armée à sa ruine.

Nécessité des études militaires et du travail personnel. – Les plus puissants esprits ont reconnu la nécessité de se préparer à la carrière des armes par des travaux opiniâtres. À l’âge de trente-quatre ans, Montecuculli, prisonnier à Hofkirch, consacra sa longue captivité à l’étude de tous les historiens militaires de l’antiquité. Mirabeau, le fougueux et sublime improvisateur, avait préparé ses triomphes par les plus laborieuses études. Il nous apprend lui-même que s’étant destiné, dans sa jeunesse, à la carrière des armes, il consacra cinq années de sa vie à son instruction militaire. « Il n’est point, dit-il, un livre de guerre dans aucune langue, morte ou vivante, que je n’aie lu ; je puis montrer les extraits raisonnés, comparés et commentés, et les mémoires que j’ai faits sur toutes les parties du métier, depuis les plus grands objets de la guerre jusqu’aux détails du génie, de l’artillerie et des vivres (1778). » Il sut, du reste, mettre à profit ses souvenirs dans les brillantes et vigoureuses discussions qu’il soutint sur le droit de guerre et sur l’organisation des armées.

Hoche, le jeune héros de la République, se faisait adresser de Paris, à son quartier général, les œuvres de Thucydide, de Xénophon et de Polybe, ne dédaignant pas, au milieu des préoccupations d’une campagne difficile, de remonter directement aux sources mêmes de l’art de la guerre.

C’est dans ces nobles exemples que l’officier soucieux de servir dignement son pays doit puiser ses inspirations. Portant ses regards au-delà de l’horizon étroit de la caserne et des règlements du champ de manœuvre, il doit se préparer à sa mission par un exercice continuel de ses forces et de son esprit, par l’étude attentive des terrains les plus variés, par la méditation de la vie, des actes et des pensées des grands hommes de guerre.

Moyen d’acquérir le coup d’œil militaire. – Nous trouvons une éclatante confirmation de cette opinion dans les appréciations pleines de sens du chevalier Folard, à propos des moyens à employer pour acquérir le coup d’œil militaire :

« Philopœmen, dit-il, possédait un coup d’œil admirable : on ne doit pas considérer cette qualité en lui comme un présent de la nature, mais bien comme le fruit de l’étude, de l’application et de son extrême passion pour la guerre. C’est ce que Plutarque nous apprend dans le passage suivant qui mérite d’être rapporté :

Philopœmen écoutait et lisait avec plaisir les traités des philosophes, surtout ceux qui pouvaient l’aider à faire des progrès dans la vertu. De toutes les hautes pensées d’Homère il recherchait et retenait de préférence celles qui peuvent aiguiser le courage et porter aux grandes actions. Pour ses autres lectures, il aimait surtout les traités d’Évangelus qu’on appelle les Tactiques, et les histoires de la vie d’Alexandre.

Il pensait, en effet, qu’il faut toujours rapporter les paroles, et ne lire que pour apprendre à penser et à agir.

Quand il avait lu les préceptes et les règles des Tactiques, il ne faisait nul cas d’en voir les démonstrations seulement sur des plans, mais il en faisait l’application sur les lieux mêmes et en pleine campagne : ainsi, dans les marches, il observait avec attention la position des lieux élevés et des vallées ou ravins, toutes les coupures et les irrégularités du terrain, et toutes les différentes formes auxquelles les bataillons et escadrons doivent se plier à cause des ruisseaux, des défilés ou des monticules qui les forcent de se resserrer ou de s’étendre, puis, après avoir médité en lui-même sur toutes ces choses, il en causait et discutait avec ceux qui l’accompagnaient. »

N’est-ce pas là, ajoute Folard, un abrégé des principes les plus excellents qu’on saurait donner à un prince, à un général d’armée et à tout officier qui veut parvenir aux grades les plus éminents de l’armée ?

Moyens de se former le jugement. – Or, de même que l’on peut acquérir le coup d’œil par l’examen raisonné des accidents du terrain, de même aussi il est facile de se former un jugement sûr en méditant journellement, et dans toute circonstance, les préceptes ou les œuvres essentielles laissées par ceux qui ont traité en maîtres les choses de la guerre.

Il ne faut pas attendre les rares occasions des champs de bataille pour s’accoutumer à juger sainement les questions militaires. « Dans ce moment suprême, il est trop tard pour apprendre, nous dit le général de Brack, et en matière d’instruction, on n’est riche au jour de l’application que lorsqu’on est trop riche. »

L’art de la guerre étend son domaine tous les jours et par conséquent exige plus d’études et de travaux à notre époque qu’autrefois. Quant à la science de la guerre, elle repose sur des principes généraux qui restent invariables parce qu’ils sont l’expression des lois naturelles qui président à la vie, ainsi qu’aux combinaisons de la pensée, du mouvement et des masses. La connaissance de ces lois dont les applications sont si variées, et l’intuition des phénomènes militaires, ont de tout temps été le partage des grands capitaines et de quelques profonds penseurs. On a donc la certitude de retrouver dans leurs ouvrages les éléments épars, et comme l’essence de cette partie morale et intuitive de la science qui ne peut se traduire en règlements et qui constitue ce que nous appelons la philosophie de la guerre.

Philosophie de la guerre. – Celui qui, se plaçant à ce point de vue, analyserait avec méthode les bons écrivains militaires de l’antiquité et des temps modernes, et qui récolterait et classerait, suivant un ordre rationnel, tous les préceptes, les conseils contrôlés par l’expérience, les pensées judicieuses et les observations qu’une connaissance approfondie et pratique de la science a inspirées à ces hommes d’élite, augmenterait singulièrement la pénétration de son intelligence et la rectitude de son jugement. Il formerait ainsi peu à peu un recueil sommaire contenant tout ce qui est essentiel et susceptible de remplacer avantageusement une bibliothèque. On aurait ainsi sous la main une sorte de bréviaire de la science militaire, complément indispensable des règlements ; véritable guide moral dans bien des circonstances difficiles, auquel on pourrait à chaque instant emprunter des sujets de méditations aussi variées qu’instructives.

Nous avons la conviction que bien des officiers studieux ont déjà fait pour eux-mêmes des travaux de ce genre, et qu’ils en ont retiré grand profit ; il est à souhaiter que ces divers travaux soient réunis et fondus dans une œuvre commune et suivant un classement rationnel. En attendant la réalisation de cette œuvre, nous avons essayé de faire un petit abrégé de la philosophie de la guerre, en réunissant les principes et les maximes les plus remarquables que nous avons notés au cours de nos lectures, dans les principaux auteurs anciens et français.

Les Grecs, les Romains et les Français ont posé les bases de la véritable science de la guerre. – Or nous avons ainsi été conduits à reconnaître et à démontrer ce fait : c’est que de tous les peuples de l’Europe moderne, ce sont les Français qui ont fourni les plus grands maîtres, et qui ont montré l’intelligence la plus soudaine et la plus complète des choses de la guerre. Cette assertion peut paraître étrange et présomptueuse au lendemain de nos désastres, et à un moment où nos esprits se dégagent à peine de la confusion et de l’obscurité où ils sont restés plongés pendant quinze ans. Nous pensons cependant qu’on en reconnaîtra la justesse, si l’on apprécie sans passion les qualités et les défauts de notre nation, et si l’on se rend bien compte de l’influence qu’elle a toujours exercée sur le reste du monde.

Nous ferons remarquer à ce sujet que la lutte disproportionnée de 1870-71 a donné naissance en France à une nouvelle école de censeurs qui sans avoir pris part à la lutte autrement que dans les journaux, se sont imaginés tout à coup être devenus des foudres de guerre, et se sont érigés en juges infaillibles de leurs concitoyens. Aux yeux de ces mentors de bureau ou de tribune, les Français n’ont jamais su ce que c’est que la guerre ; nous sommes un peuple sans vigueur ; toutes nos fautes doivent être attribuées à l’absence de règlements, à l’ignorance des officiers, à la faiblesse des soldats, et à la grande supériorité de nos adversaires. Nous sommes perdus, ajoutent-ils, si nous n’allons pas à l’école chez les Allemands, ce peuple merveilleux qui a inventé la guerre moderne, et qui possède à lui seul tous les mystères de la tactique et de la stratégie. Et cependant, parmi les préceptes utiles et pratiques qui ont été avancés dans les nombreux écrits germaniques, il y a très peu de chose qui n’ait été déjà dit, et mieux dit par les écrivains militaires français et anciens. La véritable supériorité de nos adversaires se montre dans la régularité de leur mécanisme militaire, et dans la patience laborieuse avec laquelle ils ont pris la peine de réduire en règlements, en catéchismes, les moindres pensées émises par les anciens et par nos grands capitaines dont ils ont su malheureusement mieux que nous apprécier la science et le mérite.

À notre avis, la France est la mine féconde d’où la Prusse a extrait les matériaux de sa récente grandeur ; c’est pourquoi il nous semble assez étrange qu’on nous conseille d’aller étudier chez nos voisins un art qu’ils sont venus apprendre chez nous. C’est dans l’antiquité, et auprès des maîtres immortels enfantés par notre nation, c’est dans notre histoire militaire bien interprétée, que nos officiers, devenus plus laborieux, retrouveront le génie qui doit les inspirer et les traces glorieuses de leurs ancêtres.

Ce que nous devons aller chercher au-delà du Rhin, ce ne sont ni des idées nouvelles, ni des principes, ni des vertus, mais bien des procédés de dressage, des perfectionnements mécaniques, une administration plus prévoyante et plus économe, la persistance dans l’application et dans la préparation des détails. Ces procédés que nous avons méprisés jusqu’ici ne sont pas à négliger, ils sont à la portée de tout le monde et prennent une grande importance dans une guerre d’invasion. Rappelons-nous cette observation du maréchal Bugeaud, qui s’applique si bien à nos vainqueurs, et qui suffit à rendre compte de leurs succès :

« Un grand résultat final est plus fréquemment produit par beaucoup de combinaisons vulgaires réunies, ou successives, que par l’effet d’un seul et puissant effort de génie. »

Classification des maximes, préceptes et réflexions extraits des divers auteurs qui ont traité de la science de la guerre. – Afin de rendre la lecture du présent recueil plus facile et moins fatigante, nous avons classé méthodiquement nos extraits dans une série de vingt chapitres embrassant les principales questions militaires.

La science de la guerre, considérée dans ses rapports généraux avec les États et les particuliers, avec les facultés et les passions de l’homme, avec la mécanique et les diverses industries matérielles, avec la topographie et la statistique, embrasse la presque totalité des connaissances humaines. Il faudrait donc dresser pour ainsi dire l’inventaire de toutes ces connaissances si l’on voulait classer dans un ordre logique et précis les faits et les lois dont s’occupe cette science. Le but que nous nous proposons ici étant beaucoup plus modeste, nous nous contenterons d’adopter les divisions suivantes, qui nous paraissent suffisantes pour soulager l’esprit.

L’ensemble des choses de la guerre peut se partager en trois branches qui sont :

1°La politique de la guerre, comprenant toutes les questions qui se rattachent aux rapports des États entre eux, aux lois sociales, à l’état de paix, à l’état de guerre, au droit de guerre, à la diplomatie, au droit des gens, à l’honneur national, aux conventions et capitulations.

2°La préparation de la guerre, embrassant tous les moyens moraux et matériels qu’une nation met en œuvre pour réunir, préparer, commander et administrer ses forces militaires.

3°La direction et l’exécution de la guerre, qui comprend la stratégie et la tactique. Elle traite de la mise en mouvement des armées, des plans de campagne, des lignes et des bases d’opérations, de l’offensive et de la défensive, du service de sûreté, des camps, des positions militaires, des manœuvres en présence de l’ennemi, de l’emploi simultané des trois armes, des batailles et des combats.

Le tableau suivant, en indiquant la subdivision en chapitres des trois parties principales de l’ouvrage, achèvera de donner une idée complète du plan adopté.

Ire PARTIE.– POLITIQUE DE LA GUERRE.

I.– Définitions générales. – Science et art de la guerre.

II.– Causes et but de la guerre. – Droit de guerre. – Guerres politiques. – Guerres civiles.

III.– État de paix. – État de guerre.

IV.– Droit des gens. – Lois de la guerre.

V.– Capitulations.

IIe PARTIE.– PRÉPARATION DE LA GUERRE.

VI.– Organisation des armées.

VII.– Éducation militaire des chefs et des troupes.

VIII.– Commandement et avancement.

IX.– Discipline et justice militaires.

X.– Du moral des chefs et des troupes.

XI.– Administration militaire. – Entretien et conservation des armées.

XII.– Moyens d’action de l’armée. – Les trois armes.

XIII.– Industrie militaire (fortification, attaque et défense des points fortifiés, chemins de fer, etc.).

XIV.– Préparation de la guerre. – Science des états-majors. – Statistique.

IIIe PARTIE.– DIRECTION ET EXÉCUTION DE LA GUERRE.

XV.– Direction générale de la guerre. – Stratégie.

XVI.– Tactique générale. – Marches. – Campements.

XVII.– Sûreté des armées. – Reconnaissances.

XVIII.– Détachements. – Convois. – Partisans.

XIX.– Tactique appliquée. – Combats et batailles.

XX.– Exemples d’opérations stratégiques, de batailles offensives et défensives.

Nous n’avons pas la prétention d’avoir classé dans ces vingt chapitres toutes les citations nécessaires pour indiquer les nombreuses théories ou controverses qu’ont soulevées de tout temps les questions militaires. Au milieu de tant d’opinions respectables, mais souvent contradictoires, nous avons cherché à faire un choix impartial basé sur la raison et sur l’expérience. C’est ainsi que nous avons écarté, comme n’ayant aucune valeur scientifique ou morale, tous les aphorismes qui nous ont paru dictés par la passion, par l’esprit de parti et par la routine. Il résulte de l’application de cette méthode de sélection que les divers extraits composant un même chapitre, doivent offrir, malgré l’absence de transition, un certain enchaînement logique que le lecteur saura facilement rétablir.

Nous avons du reste essayé de mettre en évidence les idées fondamentales, en plaçant à la suite de chaque chapitre quelques observations complémentaires qui en résument autant que possible l’esprit.

En matière de science militaire, la partie technique seule est à perfectionner, les principes sont établis depuis longtemps, il n’y a pas à les inventer ; il suffit de les rappeler, et surtout de les vulgariser en les faisant passer dans la pratique journalière des armées. Nous aurons donc complètement atteint notre but, si cette modeste compilation, en évitant au lecteur de laborieuses recherches, peut contribuer à répandre et à faire apprécier les trésors de science et de bon sens que nous ont légués nos devanciers, à éveiller le goût des études sérieuses chez les jeunes officiers, et à procurer quelques documents utiles à ceux qui font de la défense de la patrie l’objet de leurs constantes méditations.

Alger, janvier 1875.

PREMIÈRE PARTIEScience et politique de la guerre

« Jamais, depuis Machiavel, la politique de la guerre n’a eu la parole en tant que formant une partie de la science de la guerre ; elle ne s’est jamais exprimée en des termes qui répondent convenablement aux progrès des sociétés modernes. C’est une des plus funestes conséquences du dualisme créé entre la vie militaire et la vie civile, et cette erreur a tristement influé à son tour sur la conduite même des guerres et sur leurs résultats politiques. »

(Colonel RUSTOW).

CHAPITRE IDéfinitions générales. – Science et art de la guerre
La Science

1. – Les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses.

(MONTESQUIEU.)

2. – La science est la classification des notions positives et des lois fournies par l’observation, l’expérience et le raisonnement.

(FONTENELLE.)

3. – Il n’est presque aucun objet saisi par les sens dont la réflexion n’ait fait une science.

(D’ALEMBERT.)

4. – La classification rationnelle des faits d’ordre physique ou moral conduit toujours à la découverte des lois ou de catégories qui permettent de réduire un grand nombre de notions à un seul principe.

(A. COMTE.)

La Philosophie

5. – La philosophie consiste dans les efforts que fait l’esprit de l’homme pour déterminer les principes généraux qui président aux phénomènes physiques et moraux dont la science a découvert les lois. Elle embrasse et domine toutes les sciences.

(COUSIN.)

6. – La philosophie est la science des sciences. Toutes les autres lui communiquent une lumière qu’elle concentre, et elle leur renvoie blancs et éclatants les rayons colorés qu’elle en a reçus.

(Colonel RUSTOW, Introduction générale à l’étude des sciences militaires.)

L’Art

7. – L’art est la mise en œuvre de moyens d’action ou d’expression, de procédés d’exécution empruntés à la nature ou à la science et combinés de manière à créer une œuvre physique ou morale qui produise sur les sens ou sur l’âme une impression nouvelle.

(TOPFFER, passim.)

8. – La science recherche les lois, constate et classe les faits ; l’art choisit, combine et produit.

(LITTRÉ.)

9. – La science dégage les principes rationnels des choses ; elle ne crée point, elle montre et enseigne. L’art, par la combinaison des moyens d’expression, révèle soit aux sens, soit à l’âme, les caractères notables qui restaient cachés dans un groupe de sensations ou de sentiments.

(TAINE.)

La Politique

10. – Toute société humaine est une association de familles qui n’ont d’autre but en se réunissant que de travailler à leur bonheur commun.

(ARISTOTE.)

11. – La politique est l’ensemble des faits et des lois qui résultent de l’existence et des relations des sociétés organisées. C’est à la fois la science et l’art du gouvernement.

(Encyclopédie.)

12. – L’administration des États est une véritable tutelle établie pour le bien de ceux qui sont gouvernés et non de celui qui gouverne.

(CICÉRON.Des Devoirs.)

13. – Le droit des gens est l’ensemble des principes qui règlent les rapports de nation à nation. Il a pour bases l’humanité, la philosophie et la nature.

(A. MORIN.)

La Guerre

14. – La guerre est un débat qui se vide par la force.

(CICÉRON.)

15. – La guerre est l’ensemble des actes par lesquels un peuple ou un État fait respecter ses droits en luttant les armes à la main contre un autre peuple ou un autre État.

(BLUNTSCHLI.)

16. – La guerre est la lutte préméditée et méthodique de deux partis qui, à l’aide de leurs forces armées, s’efforcent d’atteindre un but politique.

(RUSTOW.)

17. – La guerre est un jeu, mais un jeu sérieux ou l’on compromet à la fois sa réputation, ses troupes et son pays.

(NAPOLÉON.)

18. – La guerre est un métier pour les ignorants et une science pour les habiles gens.

(FOLARD.)

Art de la guerre

19. – La guerre est par-dessus tout une œuvre d’art, et il y faut infiniment d’esprit avec une valeur à toute épreuve.

(COUSIN.)

20. – L’art militaire a, comme tout ce qui tend aux sciences exactes, des principes invariables d’où l’on tirera toujours des conséquences à peu près semblables.

(De TORNAY.)

21. – Il est indispensable de bien connaître et de bien manier les principes les plus familiers et de savoir les mettre tous ensemble sous un point de vue qui en découvre la fécondité et la liaison.

(VAUVENARGUES.)

22. – Il y a encore un grand nombre de militaires qui ne croient pas même qu’il existe des règles de conduite à la guerre, et qui sont persuadés que tout l’art consiste à se jeter sur l’ennemi.

(JOMINI.)

23. – Il faut avoir des principes. Il y a bien assez des accidents qu’on ne peut prévoir, sans laisser encore dans le vague des questions qui peuvent être résolues par anticipation à l’aide de l’étude et d’un raisonnement sain.

(BUGEAUD.)

24. – Les principes reconnus, le génie en fait l’application ; c’est en cela que consiste l’art de la guerre.

(MARMONT.)

25. – L’art de la guerre est l’ensemble des connaissances nécessaires pour conduire une masse d’hommes armés, l’organiser, la mouvoir, la faire combattre, et donner aux éléments qui la composent leur plus grande valeur tout en veillant à leur conservation.

(MARMONT.)

Science de la guerre

26. – La connaissance complète des choses de la guerre et de leur application constitue à la fois une science et un art. C’est une science, puisque les faits militaires sont soumis à ces lois invariables qui président à la vie ainsi qu’aux combinaisons de la pensée, du mouvement et des masses. C’est un art, puisque leur réalisation s’obtient par des procédés d’exécution perfectibles avec les progrès de l’industrie, et par l’impulsion supérieure du génie de l’homme.

(X.)

27. – On a vu des généraux n’avoir d’autre mérite que celui de connaître les manœuvres d’ordonnance, et qui ont fait battre les troupes qu’ils savaient faire parader au champ de Mars, mais qu’ils étaient incapables de mener contre l’ennemi, parce que leur tête n’était pleine que de formules, et que, contents de leur vain savoir, ils n’avaient jamais songé à acquérir la véritable science de la guerre.

(MARMONT.)

28. – L’art de la guerre sur terre est surtout un art de génie et d’inspiration. Dans la guerre sur mer, rien n’est génie ni inspiration ; tout est positif et d’expérience. Le général de mer n’a besoin que d’une science, celle de la navigation ; celui de terre a besoin de toutes, ou d’un talent qui équivaut à toutes, celui de profiter de toutes les connaissances.

(NAPOLÉON.)

29. – L’art de la guerre est assujetti aux règles mécaniques, géométriques ou physiques ; et tout système de cet art qui se trouve contraire aux principes évidents d’une seule de ces trois sciences est nécessairement illusoire et défectueux.

(FOLARD.)

30. – Le guerrier et le politique, non plus que le joueur habile, ne font pas le hasard ; mais ils le préparent, l’attirent et semblent presque le déterminer.

(LA BRUYÈRE.)

31. – Il faut qu’on soit fortement persuadé qu’à la guerre, l’art est toujours au-dessus de la force et du hasard ; si vous ôtez la discipline, les exercices et les instructions, il n’y aura plus de différence entre le soldat et le premier rustre venu.

(VÉGÈCE.)

32. – La science de la guerre est aussi noble qu’utile et digne des grands esprits. Par son moyen, on arrive souvent à réduire les plus puissants ennemis presque sans combattre.

(L’empereur LÉON le Philosophe.)

33. – De deux États absolument égaux en forces, l’un peut toujours, par son activité et son adresse, rendre disponibles et utilisables plus de forces militaires que l’autre.

(Colonel RUSTOW.)

34. – Le concours de tous les esprits éclairés d’une époque ne saurait, en fait de prévoyance et de sagesse, suppléer aux leçons de l’expérience et du temps.

(CATON l’Ancien, cité par Cicéron.)

35. – C’est en se plaçant au-dessus des temps, des évènements, et surtout des passions du jour, que l’on peut espérer découvrir une théorie de l’art militaire qui soit claire, simple, identique dans ses rapports et dans ses détails, applicable à toutes les parties de l’art et à toutes les circonstances de la guerre.

(Général MORAND.)

36. – On retrouve toujours dans les historiens de la guerre deux partis distincts, l’un qui s’attache à la liaison des grands faits, l’autre qui considère surtout les succès individuels et les circonstances fortuites. Ainsi pendant qu’un écrivain affirme que Napoléon n’a perdu la bataille de Waterloo que parce que l’aide de camp envoyé à Grouchy fit manger son cheval en route, un autre dira avec raison que cet aide de camp et son cheval importaient peu si Napoléon était resté fidèle à ce grand principe de la guerre : Conserver ses forces réunies.

(RUSTOW.)

37. – Achille était fils d’une déesse et d’un mortel : c’est l’image du génie de la guerre ; la partie divine, c’est tout ce qui dérive des considérations morales, du caractère, du talent, de l’intérêt de votre adversaire ; de l’opinion, de l’esprit du soldat qui est fort et vainqueur, faible et battu, selon qu’il croit l’être ; la partie terrestre, ce sont les armes, les retranchements, les positions, les ordres de bataille, tout ce qui tient à la combinaison des choses matérielles.

(NAPOLÉON.)

38. – Malheur aux hommes de guerre et aux nations pour qui la science de la guerre est un fardeau, et qui ne veulent pas reconnaître l’influence de l’art pour n’être point forcés de l’apprendre !

(JOMINI.)

 

Réflexions. – Les définitions et les réflexions qui composent ce chapitre suffisent pour établir la différence qui existe entre la science et l’art en matière militaire. Elles permettent, à notre avis, de clore nettement les discussions qui s’engagent si souvent sur ce point : la guerre est-elle une science, est-elle un art ? Toute question militaire se ramène à un principe, s’appuie sur l’expérience, dérive d’une loi physique ou morale ; or l’ensemble de principes, de faits d’observation et de lois, classés avec méthode constitue toujours une science ; donc la guerre est une science. D’autre part, la guerre ne pouvant se réaliser qu’avec des hommes et sous la direction de l’intelligence humaine, les diverses opérations qu’elle comporte exigent la mise en application et la combinaison ingénieuse des principes et des ressources fournis par la science, l’industrie et la nature. Cet emploi de procédés et de moyens variés et perfectibles, ce contrôle pratique de la théorie par l’expérience, s’exerçant à travers mille difficultés imprévues, est un art sublime, dans lequel chaque nation, chaque grand capitaine révèle le caractère de son génie particulier. Avec les mêmes moyens, un général arrivera plus ou moins rapidement qu’un autre à un résultat dont l’importance sera presque toujours en raison de son habileté et de la profondeur de ses combinaisons. C’est précisément en cela que consiste l’art. La science militaire peut toujours s’apprendre et s’enrichir par le travail assidu, par le développement de l’industrie, par les exercices du temps de paix, par l’étude des actes des capitaines illustres. L’art, c’est-à-dire la mise en œuvre habile et opportune de la science et des moyens d’action, s’acquiert surtout par la méditation personnelle, par l’expérience clairvoyante de la guerre, par exercice continuel du coup d’œil et du jugement aidé d’aptitudes naturelles bien dirigées.

La guerre exige, pour être largement conduite, le concours énergique des plus puissantes facultés de l’homme. Elle se rattache à la politique et aux sciences sociales par ses causes et ses résultats ; elle combine tous les éléments accumulés par les sciences mathématiques, physiques, naturelles, pour centupler la force de l’homme et accroître l’intensité de son action collective ; enfin elle donne naissance à une véritable philosophie par la considération des principes simples et des lois naturelles auxquels le penseur peut rapporter toutes les questions sociales, morales et techniques que mettent en jeu ces conflits où viennent périodiquement se retremper l’intelligence et la vitalité de l’espèce humaine.

CHAPITRE IICauses et but de la guerre. – Droit de guerre. Guerres politiques. – Guerres civiles
Causes générales de la guerre

39. – La vie des États est comme celle des hommes, ceux-ci ont le droit de tuer dans le cas de la défense naturelle ; ceux-là ont le droit de faire la guerre pour leur propre conservation.

(MONTESQUIEU.)

40. – Ce n’est pas pour attaquer les nations étrangères qu’on doit se former dans l’art de la guerre ; c’est pour assurer son repos en se garantissant des insultes de l’ennemi.

(L’empereur LÉON le Philosophe.)

41. – Les États s’acquièrent par les armes d’autrui ou par les siennes, par la fortune ou par la vertu.

(MACHIAVEL.)

42. – Un empire fondé par les armes ne peut se soutenir que par les armes.

(MONTESQUIEU.)

Nécessité de faire la guerre

43. – Les Romains prévoyant de loin les embarras politiques, surent toujours s’y préparer de manière à n’avoir jamais besoin d’esquiver la guerre, sachant que la différer ce n’est point l’éviter, mais plutôt provoquer l’avantage d’autrui. Ils croyaient plus sûr, étant prévenus, de se prévaloir de leur prudence et de leur courage que d’attendre le bienfait du temps.

(MACHIAVEL.)

44. – Lorsqu’on voit deux grands peuples se faire une guerre longue et opiniâtre, c’est souvent une mauvaise politique de penser que l’on peut demeurer spectateur tranquille, car celui des deux peuples qui est le vainqueur entreprend d’abord de nouvelles guerres, et une nation de soldats va combattre contre des peuples qui ne sont que citoyens.

(MONTESQUIEU.)

45. – Il est funeste de s’attaquer à un prince prudent qui tient ses États dans une défensive vigilante et qui n’est point détesté par son peuple.

(MACHIAVEL.)

46. – La célèbre maxime des Romains de ne jamais entreprendre deux grandes guerres à la fois, est trop connue et trop appréciée pour qu’il faille s’efforcer d’en démontrer la sagesse politique.

(JOMINI.)

Alliance et Neutralité

47. – Il arrivera toujours que celui qui n’est point ton ami sollicitera ta neutralité, et l’autre te demandera ton intervention armée. Les princes irrésolus adoptent d’ordinaire la neutralité pour se tirer de l’embarras présent, et le plus souvent ils se perdent.

(MACHIAVEL.)

48. – Dans les guerres d’intervention, l’essentiel est de choisir un chef d’armée à la fois politique et militaire ; de bien stipuler avec ses alliés la part que chacun doit prendre aux opérations, et de déterminer un point objectif qui soit en harmonie avec les intérêts communs.

(JOMINI.)

49. – Il n’y pas de petits ennemis ni de petits alliés qu’un grand État, si redoutable qu’il soit, puisse impunément dédaigner.

(JOMINI.)

50. – La neutralité n’est que la continuation de l’état pacifique, pour une puissance qui évite de s’engager dans la querelle à vider par les armes.

(A. MORIN.)

Guerre offensive ou défensive

51. – Il ne peut y avoir qu’un seul cas où la guerre, malgré tous ses maux, devient nécessaire ; c’est le cas où l’on ne pourrait l’éviter qu’en donnant trop de prise et d’avantages à un ennemi injuste, artificieux et trop puissant. Alors, en voulant par faiblesse éviter la guerre, on y tomberait encore plus dangereusement ; on ferait une paix qui n’aurait qu’une apparence trompeuse. Dès lors il faut, malgré soi, soutenir la guerre vigoureusement.

(FÉNELON.)

52. – N’oublie pas, mon fils, que trop souvent les hommes forment leurs desseins sur de simples conjectures, et distinguent mal ce qui doit leur être le plus utile. Nombre d’hommes, qui passaient pour de grands politiques, ont engagé leur patrie dans des guerres contre des peuples qui les ont précipités à leur perte. Ne décide donc rien sans prendre conseil des plus sages et des dieux.

(XENOPHON. Cambyse à Cyrus. Cyropédie, ch. VI, Des devoirs d’un bon général.)

53. – Il y a souvent de l’avantage à faire la guerre d’invasion ; il y en a souvent aussi à attendre l’ennemi chez soi. Une puissance fortement constituée chez elle, qui n’a point de motifs de divisions, ni de craintes d’une agression tierce sur son propre territoire, trouvera toujours un avantage réel à porter les hostilités sur le sol ennemi. D’abord elle évitera le ravage de ses provinces, ensuite elle fera la guerre aux dépens de son adversaire ; puis elle mettra toutes les chances morales de son côté en excitant l’ardeur des siens, et frappant au contraire l’ennemi de stupeur dès le début de la guerre.

(JOMINI.)

54. – Politiquement, le parti qui affirme des besoins et un but formels, décide une guerre offensive. Celui qui les lui dénie et entre en ligne pour se défendre, entreprend une guerre défensive.

(RUSTOW.)

Insurrections, guerres civiles, brigandages

55. – Turenne, en se mettant à la tête des troupes espagnoles, tournait les armes contre son pays. Ce grand crime est réprouvé par les principes de la religion, de la morale et de l’honneur. Rien ne peut excuser un général de profiter des lumières acquises au service de sa patrie pour la combattre, et en livrer les boulevards aux nations étrangères.

(NAPOLÉON.)

56. – Une guerre sans déclaration préalable est un véritable brigandage ; c’est la guerre des pirates et des flibustiers.

(De RAYNEVAL.)

57. – Quiconque aura, par des actions hostiles non approuvées par le gouvernement, exposé l’État à une déclaration de guerre, sera puni de bannissement ; et si la guerre s’en est suivie, de la déportation.

(Code pénal, 1852.)

58. – Les insurrections trahissent la république, car elles finissent toujours par la livrer à la tyrannie d’un parti ou d’un despote.

(MACHIAVEL.)

59. – La guerre civile est le règne des crimes et des passions.

(CORNEILLE.)

60. – Pompée se servit de la plus vile populace pour troubler les magistrats dans leurs fonctions, espérant que les sages, lassés de vivre dans l’anarchie, le créeraient dictateur par désespoir.

(MONTESQUIEU.)

61. – César pardonna à tout le monde ; mais il semble que la modération que l’on montre après avoir tant usurpé, ne mérite pas de grandes louanges.

(MONTESQUIEU.)

62. – La démagogie est la corruption de la véritable république et une cause fréquente de guerres civiles.

(ARISTOTE.)

63. – La chose la plus difficile en temps de révolution, ce n’est pas de faire son devoir, c’est de le connaître.

(SAINT-RENÉ TALLANDIER, Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1874.)

64. – Vouloir donner des maximes pour les guerres civiles ou religieuses serait absurde ; il n’y en a qu’une sur laquelle les hommes sensés devraient se mettre d’accord, c’est de réunir les deux sectes ou les deux partis pour chasser l’étranger qui voudrait se mêler de la querelle, puis de s’expliquer ensuite avec modération pour fondre les droits des deux partis dans un pacte de réconciliation et dans une politique nationale. En effet, l’intervention d’une puissance tierce dans une dispute religieuse ou civile ne saurait jamais être qu’un acte d’ambition et de perfidie.

(JOMINI.)

Déclaration de guerre. – Comment elle doit être décidée

65. – Il vaut mieux courir le risque de faire une guerre malheureuse, que de donner de l’argent pour avoir la paix ; car on respecte toujours un prince lorsqu’on sait qu’on ne le vaincra qu’après une longue résistance.

(MONTESQUIEU.)

66. – Quand il est question de juger si on doit faire la guerre et tuer tant d’hommes, c’est un homme seul qui en juge, et encore intéressé ! Ce devrait être un tiers indifférent.

(PASCAL.)

67. – Dès que le pouvoir exécutif a notifié comme il le doit l’état de guerre au corps législatif, cette assemblée doit tout d’abord examiner si, les hostilités étant commencées, l’agression coupable n’est pas venue de nos ministres ou de quelque agent du pouvoir exécutif. Dans un tel cas, l’auteur de l’agression doit être poursuivi comme criminel de lèse-nation.

(MIRABEAU.)

68. – Voyez les assemblées politiques : c’est toujours sous le charme de la passion qu’elles ont décrété la guerre.

(MIRABEAU.)

69. – Décréter la guerre et la déclarer, ou la faire, sont deux choses essentiellement distinctes. Si l’on réfléchit que la loi est l’acte du pouvoir qui crée des droits ou des devoirs, et que l’ordonnance doit se borner à rendre efficaces les droits et les devoirs créés par la loi, on comprendra que la décision par laquelle on prescrit à une nation de se porter à des hostilités contre une autre nation est un acte législatif ; car, en vertu de cette décision, les citoyens se trouvent constitués dans le devoir de contribuer de leurs biens et de leurs personnes à des actes auxquels ils n’étaient nullement tenus auparavant.

(WATTEL.)

Influence générale de la guerre

70. – Ce n’est pas la fortune qui domine le monde : on peut le demander aux Romains, qui eurent une suite continuelle de prospérités quand ils se gouvernèrent sur un certain plan, et une suite non interrompue de revers lorsqu’ils se conduisirent sur un autre. Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l’élèvent, la maintiennent ou la précipitent ; tous les accidents sont soumis à ces causes ; et si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire une cause particulière a ruiné un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille.

(MONTESQUIEU, Grandeur et Décadence des Romains.)

71. – Résultat inévitable du jeu des passions humaines dans les rapports des nations entre elles, la guerre, dans les desseins de la Providence, est un agent puissant dont elle use, tantôt comme d’un instrument de dommage, tantôt comme d’un moyen réparateur. La guerre fonde et renverse successivement, détruit et reconstruit les États. Tour à tour féconde en calamités et en améliorations, retardant, interrompant, ou accélérant le progrès ou le déclin, elle imprime à la civilisation qui naît, s’éclipse et renaît, pour s’éclipser encore, ce mouvement fatidique qui met alternativement en action toutes les puissances et les facultés de la nature humaine, par lequel se succèdent et se mesurent la durée des empires et la prospérité des nations.

(PORTALIS, De la guerre considérée dans ses rapports avec les destinées du genre humain.)

CHAPITRE IIIÉtat de paix. – État de guerre. – Politique gouvernementale. – Paix. – Guerre. – Honneur national et militaire. – Armistices et traités
Principes généraux de la politique

72. – Le bonheur du peuple doit être la loi suprême des gouvernants, parce que son malheur est le malheur général.

(BERNARDIN DE SAINT-PIERRE.)

73. – Les principaux fondements des États sont les bonnes lois et les bonnes troupes.

(MACHIAVEL.)

74. – Une république sage ne doit rien hasarder qui l’expose à la bonne ou à la mauvaise fortune ; le seul bien auquel elle doit aspirer, c’est la perpétuité de son état.

(MONTESQUIEU.)

75. – Que peuvent au dehors les plus fortes armées, quand la sagesse des conseils manque au dedans ?

(CICÉRON, Des devoirs.)

76. – C’est la faiblesse qui appelle la guerre ; une résistance générale serait la paix universelle.

(MIRABEAU.)

77. – Diviser pour régner, disent certains politiques. Cette maxime a perdu l’Italie, d’où elle est venue. La maxime contraire est bien préférable : Plus les citoyens ont d’ensemble, plus la nation est heureuse ou puissante.

(BERNARDIN DE SAINT-PIERRE.)

78. – Vaincre les ennemis n’est en quelque sorte qu’un accessoire au prix de bien dresser les citoyens.

(PAUL-ÉMILE.)

79. – Socrate appelait fourbe insigne celui qui vole de l’argent ou tout autre objet qu’il a reçu de confiance ; mais fourbe plus grand encore l’homme sans valeur dont l’effronterie cherche à convaincre le peuple qu’il est capable de diriger l’État.

(XÉNOPHON.)

80. – Tous ceux qui ont médité sur l’art de gouverner les hommes ont reconnu que c’était de l’éducation de la jeunesse que dépendait le sort des empires.

(BARTHÉLEMY, Voyage d’Anacharsis.)

81. – Une des choses que les gouvernants doivent imprimer le plus fortement dans l’esprit des hommes est l’estime et l’amour de leur patrie.

(BOSSUET.)

82. – L’humanité ne peut faire de progrès qu’en s’organisant par groupes coopératifs ayant des intérêts communs.

(BAGEHOT, Développement des nations.)

83. – Un prince peut parfois employer la ruse avec un individu ou avec un autre État, dans l’intérêt de son peuple ; mais il est impardonnable de se laisser tromper, car il trompe alors la nation et la jette dans les aventures.

(MACHIAVEL.)

84. – Un prince (ou chef d’État) doit avoir surtout une éducation politique et militaire ; il trouvera plutôt dans ses conseils de bons administrateurs que des hommes d’État et d’épée ; il doit donc chercher à l’être lui-même.

(JOMINI)

85. – La véritable aristocratie n’est pas un groupement de quelques familles privilégiées, vivant dans l’oisiveté de la gloire d’un ancêtre qui a été un homme d’action et de pensée ; la véritable aristocratie, la seule légitime, c’est l’ensemble des hommes réellement dirigeants.

(MICHLET.)

86. – La liberté est la puissance qui fortifie et développe une nation ; c’est la lumière et la chaleur du monde politique. Si quelque césarisme, ainsi qu’il arrive parfois, fait preuve de quelque originalité d’esprit, cela tient à ce qu’il s’est approprié les résultats obtenus par la liberté, soit dans les temps passés, soit dans les pays voisins.

(BAGEHOT, Développement des nations.)

87. – L’heureuse réunion de sages institutions militaires, de patriotisme, d’ordre dans les finances, de richesse intérieure et de crédit public, constituera la nation la plus forte et la plus capable de soutenir une longue guerre.

(Général JOMINI.)

88. – La science politique est aussi nécessaire au général en chef que la science stratégique générale est indispensable à l’homme d’État.

(Colonel VANDEVELDE.)

État de paix

89. – La paix est l’état des hommes et des nations qui vivent ensemble tranquillement et qui se rendent de leur propre mouvement, comme principe d’obligation, ce qu’ils se doivent les uns aux autres.

(PUFFENDORF.)

90. – Le monde entier réclame la paix : elle a ses victoires plus glorieuses que celles qu’on remporte sur les champs de bataille.

(Général GRANT.)

91. – Le corps diplomatique, dont la principale mission est d’entretenir les relations pacifiques ou de les rétablir en cas de rupture, est convié par la morale et par sa conscience à faire tous ses efforts pour atteindre toujours ce but.

(A. MORIN, Des lois relatives à la guerre.)

92. – La paix ne peut pas s’acheter sans résistance, parce que celui qui l’a vendue n’en est que plus en état de la faire acheter encore.

(MONTESQUIEU.)

93. – Sans doute la paix perpétuelle, rêvée par l’abbé de Saint-Pierre, est pour le moment un projet absurde ; mais qu’on nous rende un Henri IV et un Sully, la paix perpétuelle redeviendra un projet raisonnable.

(JEAN-JACQUES ROUSSEAU.)

On ne doit faire la guerre qu’en vue d’obtenir la paix

94. – Quand nous nous décidons à faire la guerre, il faut que tout le monde voie clairement que notre but principal est la paix.

(CICÉRON.)

95. – Quand Dieu vous aura donné la victoire, si l’ennemi demande la paix, il ne faut pas lui imposer des conditions trop dures. Songez que la fortune est inconstante et que d’un jour à l’autre la moindre circonstance peut vous placer dans la situation où vous venez de réduire votre adversaire.

(Empereur LÉON.)

96. – Des deux factions qui régnaient à Carthage, l’une voulait toujours la paix et l’autre toujours la guerre, de façon qu’il était impossible d’y jouir de l’une ou de bien faire l’autre.

(MONTESQUIEU.)

97. – Le penseur qui considère la paix comme un bienfait facile à obtenir dans un temps relativement court, doit, avant tout, examiner dans le cours de l’histoire quelles sont les causes et les occasions de la guerre.

(RUSTOW.)

98. – Lorsqu’on a pour voisin un État qui est dans sa décadence, on doit bien se garder de hâter sa ruine, parce qu’on est à cet égard dans la situation la plus heureuse où l’on puisse être, n’y ayant rien de si commode pour un prince que d’être auprès d’un autre qui reçoit pour lui tous les coups et tous les outrages de la fortune, et il est rare que par la conquête d’un pareil État on augmente autant en puissance réelle qu’on a perdu en puissance relative.

(MONTESQUIEU.)

99. – La guerre n’est jamais aussi onéreuse que la servitude.

(VAUVENARGUES.)

État de guerre

100. – L’état de guerre n’est point une relation d’homme à homme, mais une relation d’État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non comme membres de la patrie, mais comme ses défenseurs.

(JEAN-JACQUES ROUSSEAU.)

Conquêtes

101. – Les conquêtes sont aisées à faire parce qu’on les fait avec toutes ses forces ; elles sont difficiles à conserver, parce qu’on ne les défend qu’avec une partie de ses forces.

(MONTESQUIEU.)

102. – Les provinces conquises doivent être contenues dans l’obéissance au vainqueur par des moyens moraux, la justice, la responsabilité des communes, un mode sage d’organisation et d’administration. Les otages sont un des moyens les plus puissants, mais, pour cela, il faudrait qu’ils fussent nombreux et choisis parmi les hommes prépondérants, et que les peuples puissent être persuadés que la mort des otages est la suite immédiate de la violation de leur foi.

(NAPOLÉON.)

103. – C’est à un conquérant à réparer une partie des maux qu’il a faits. Je définis le droit de conquête : un droit nécessaire, légitime et malheureux, qui laisse toujours à payer une dette immense pour s’acquitter envers la nature humaine.

(MONTESQUIEU.)

104. – Des batailles perdues, la diminution du peuple, l’affaiblissement du commerce, l’épuisement du trésor public pouvaient faire accepter à Carthage les conditions de paix les plus dures ; mais Rome ne se conduisait pas par le sentiment des biens ou des maux ; elle ne se déterminait que par sa gloire, et comme elle n’imaginait point qu’elle pût exister si elle ne commandait pas, il n’y avait point d’espérance ni de crainte qui pût l’obliger à faire une paix qu’elle n’aurait point imposée.

(MONTESQUIEU, Grandeur et Décadence.)

Honneur militaire des nations

105. – La lâcheté et la perfidie, même lorsqu’elles triomphent, ne sont pour les Romains que l’objet d’un profond mépris.

(PAUL-ÉMILE.)

106. – Chaque nation a son honneur qui résume les sentiments et les nobles actions de sa vie politique avec le caractère propre des individus qui la composent ; c’est ce qu’on nomme l’honneur national.

(A. MORIN, Des lois relatives à la guerre.)

107. – Après la bataille de Cannes, où tout autre État eût succombé à sa mauvaise fortune, il n’y eut pas un moment de faiblesse parmi le peuple romain, pas une pensée qui n’allât au bien de la république. Tous les ordres, tous les rangs, toutes les conditions s’épuisèrent volontairement : l’honneur était à retenir le moins, la honte à garder le plus.

(SAINT-ÉVREMOND.)

108. – Le peuple romain, si jaloux de ses libertés, pour devenir le plus grand de tous les peuples, se faisait lui-même l’esclave de la vertu et de l’honneur.

(PLUTARQUE.)

109. – On ne peut forcer un prisonnier à prendre l’engagement d’honneur de ne point s’échapper ; mais s’il fait cette promesse de plein gré, il doit tenir la parole donnée, sous peine d’emprisonnement ou même de mort.

(DAHN.)

110. – L’honneur s’est de tout temps affirmé avec puissance dans les armées civilisées, plus encore que le respect du droit naturel. Les lois de la guerre réprouvent la violation de la parole donnée à l’ennemi et tout ce qui est contraire aux lois de l’honneur militaire.

(BLUNTSCHLI.)

111. – L’honneur militaire est altéré si des chefs ordonnent à leurs subordonnés quelque fourberie qui, différant d’un simple stratagème, impliquerait perfidie ou déloyauté et serait de nature à empêcher dans l’avenir toute confiance et tout traité.

(A. MORIN.)

Armistices et Traités,

112. – Chaque général agissant isolément peut conclure un armistice ; mais les effets n’en sont valables que pour les troupes placées directement sous ses ordres.

(Maréchal BUGEAUD.)

113. – Les préliminaires de paix constituent un traité plus étendu que l’armistice. Ils donnent ordinairement des avantages positifs à l’un des partis, tandis que par l’armistice on conserve le statu quo.

(Maréchal BUGEAUD.)

114. – Est puni de mort tout chef militaire qui prolonge les hostilités après avoir reçu l’avis officiel de la paix, d’une trêve ou d’un armistice.

(Code militaire, art 227.)

115. – Ne donnons pas à notre ennemi, déjà si fier de son triomphe, la satisfaction que lui causerait le spectacle de nos luttes intimes, dans ce moment suprême où tout bon à nous conserver son estime sur le terrain de la politique, comme nous l’avons forcé à le faire sur le champ de bataille. Donnons enfin à nos mandataires, dans les négociations qui vont s’ouvrir, l’appui moral nécessaire pour leur permettre de parler haut et ferme. Qu’ils sachent bien que la France, tout en désirant la paix, reste entière debout derrière eux, unie et prête à continuer la lutte si elle est inévitable.

(Général CHANZY, Deuxième armée de la Loire, Appendice.)

Rôle de la politique à la guerre

116. – La politique doit rester attentive dans les coulisses pour guetter le moment où la guerre a atteint son but, pour recueillir le résultat obtenu avec toutes ses conséquences et le rendre de toutes façons définitif.

(Colonel RUSTOW, Des sciences militaires.)

Politique générale de la guerre

(Résumé des chap. II et III.)

À toutes les époques la guerre a été condamnée par la raison et par la saine philosophie, comme étant un fléau pour l’humanité. Cependant, aussi longtemps que le despotisme, l’esprit de secte, le désir immodéré des conquêtes, l’emporteront sur les doctrines libérales, le vrai patriotisme, le respect des nationalités établies ; aussi longtemps que l’ignorance, l’égoïsme et la routine obscurciront la connaissance des lois économiques et la notion du devoir et du dévouement, chaque nation doit s’attendre à voir éclater, autour d’elle ou chez elle, une guerre à laquelle elle devra forcément prendre part sous peine de voir anéantir son autonomie.

La guerre nous apparaît donc, non comme un accident ou un caprice du hasard, mais comme une crise suprême citoyen ne doit songer qu’au malheur du pays. Forçons-le amenée logiquement par le conflit des lois positives qui régissent l’existence des sociétés. S’il n’est point au pouvoir des hommes civilisés modernes de prévenir infailliblement de pareilles complications, c’est que, soit ignorance, soit insouciance ou faiblesse, ils ne savent pas diriger, par une politique clairvoyante et par des associations opportunes, les évolutions de ces grandes lois dont ils resteront pendant longtemps encore les aveugles esclaves.

Une nation arrivée à l’unité, contenue dans des limites bien définies qui lui fixent un territoire suffisant pour assurer le développement normal de sa vie propre, régie par un gouvernement sage et libéral, aura tout intérêt à ne point compromettre son état dans les aventures d’une guerre offensive ; mais elle doit toujours être préparée à soutenir victorieusement une guerre de défense. Elle obtiendra généralement ce résultat : 1° en adoptant des institutions politiques telles, que la guerre ne puisse être brusquement déclarée ou acceptée par le caprice d’un souverain ou par la légèreté d’un ambassadeur ; – 2° en entretenant un système de défense territoriale, une armée nationale, un matériel et des approvisionnements de guerre dans des conditions telles qu’il suffise de quelques jours pour mettre le pays entier en état de défense.

Les diverses opinions émises dans les deux chapitres qui précèdent permettent de résumer de la façon suivante les principes de politique générale que doit observer tout gouvernement soucieux de ne point livrer au hasard les intérêts qui lui sont confiés :

1°Bannir de la conduite des affaires l’esprit de parti, de réaction et les intrigues personnelles ; respecter et faire respecter les lois. Fuir les mesures arbitraires ou violentes, et placer toujours l’intérêt général de la nation au-dessus de l’intérêt des personnalités. Laisser le progrès se faire naturellement en favorisant le libre développement des lois économiques. Conserver toujours l’unité de vues dans la direction, l’énergie dans l’exécution, la loyauté et le contrôle dans la politique et l’administration.

2°Exciter le patriotisme, les vertus civiques et l’esprit militaire par une forte et sévère éducation de la jeunesse et par une bonne organisation de l’armée nationale.

3°Affirmer une politique extérieure droite, ferme et pacifique ; mais ne jamais différer la guerre et la faire sans hésiter avec toutes ses forces lorsqu’elle est absolument inévitable.

4°S’assurer toujours des alliés sûrs et ne jamais, par une fausse générosité, prêter les mains à l’agrandissement démesuré des puissances limitrophes.

5°N’entreprendre jamais deux guerres à la fois et éviter les expéditions lointaines quand elles ne sont pas justifiées par des intérêts généraux de premier ordre.

6°Se constituer un puissant système d’informations politiques ; ne pas dédaigner ses ennemis ; étudier leurs institutions, et les surveiller sans cesse en temps de paix.

7°Prévenir les guerres civiles et les discordes religieuses par une fermeté éclairée, la justice, la modération, et par les réformes que réclament les progrès de la civilisation.

8°Tenir ses armées toujours prêtes et en haleine pour le cas de légitime défense.

9°Ne jamais traiter avec l’ennemi que sur des bases honorables, la tête haute et les armes à la main.

CHAPITRE IVDroit des gens. – Lois générales de la guerre. – Limite des excès des belligérants. – Responsabilité morale des gouvernements et des nations civilisées
Bases du droit des gens

117. – L’opinion est la reine du monde, la force en est le tyran.

(PASCAL.)

118. – Il n’y a point de droit contre le droit, contre la loi des lois, contre la loi naturelle.

(BOSSUET.)

119. – Tout acte exercé contre un homme, hors des cas et sans les formes que la loi détermine, est arbitraire et tyrannique ; celui contre lequel on voudrait l’exécuter par la violence, a le droit de le repousser par la force.

(Déclaration des droits de l’homme.)

120. – Un peuple doit agir à l’égard des autres peuples comme il désire que l’on agisse à son égard.

(L’abbé GRÉGOIRE, conventionnel.)

121. – La fin de la guerre étant la destruction de l’État ennemi, on a le droit d’en tuer les défenseurs tant qu’ils ont les armes à la main ; mais sitôt qu’ils les posent et se rendent, ils redeviennent simplement hommes et l’on n’a plus de droit sur leur vie.

(J.-J. ROUSSEAU.)

122. – Le droit des gens n’est pas général : c’est à peine s’il est admis par tous les peuples de l’Europe.

(Maréchal BUGEAUD.)

123. – C’est au christianisme qu’appartient l’honneur d’avoir posé largement le principe fondamental de l’unité humaine, d’où dérivent les droits et devoirs d’égalité, de fraternité, qui servent de fondements à la science du droit international.

(A. MORIN, Des lois relatives à la guerre.)

124. – Je ne connais que deux sortes de droits parmi les hommes : la force, si tant est qu’on puisse l’appeler un droit, et l’équité, car les conventions qui semblent former une des principales sources des droits qui régissent le genre humain, se rapportent toutes à l’une ou à l’autre de ces deux espèces.

(TURGOT, Lettres sur la tolérance.)

125. – Toute nation envahie a le droit, pour repousser l’invasion, d’user de toutes les ressources de son territoire, et de toutes les forces collectives et individuelles de ses habitants ; ce droit ne peut être subordonné dans son exercice à aucune condition, soit de signe extérieur, soit d’organisation militaire.

(Art. VIII d’un projet de code international proposé par le Congrès de la paix de Genève, 10 septembre 1874.)

126. – La guerre devient coupable, du moment qu’elle passe de la défensive à l’offensive pour entrer dans la voie illicite de l’invasion et de la conquête.

(Art. VIII du même projet.)

Respect de la propriété privée et de l’existence des citoyens non belligérants

127. – Comme la guerre ne se fait pas entre les simples citoyens, elle n’a point pour conséquence l’extinction des droits privés, et ces derniers ne peuvent jamais dépendre du bon plaisir de l’ennemi. Pour tout ce qui concerne les droits privés, c’est le pied de paix et les droits admis en temps de paix qui doivent faire règle.

(BLUNTSCHLI.)