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Extrait : "Racine n'est pas seulement du nombre de ces auteurs que tout le monde connaît ; mais il est encore du très petit nombre de ceux que tout le monde sait par cœur. Qu'est-ce donc des Observations sur Esther, dira-t-on d'abord ? Qui n'a pas commenté Racine ? Sont-ce les beautés de cette tragédie que vous voulez faire admirer ?"
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Seitenzahl: 79
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335076899
©Ligaran 2015
NOTES SUR ESTHER
Tale tuum carmen nobis, divine poëta,
Quale sopor fessis in gramine quale per æstum
Dulcis aquæ saliente sitim restinguere rivo.
VIRG.Ecl. v.
Racine n’est pas seulement du nombre de ces auteurs que tout le monde connaît ; mais il est encore du très petit nombre de ceux que tout le monde sait par cœur. Qu’est-ce donc que des Observations sur Esther, dira-t-on d’abord ? Qui n’a pas commenté Racine ? Sont-ce les beautés de cette tragédie que vous voulez faire admirer ? Fiez-vous en à Racine lui-même ; le langage du cœur est celui qui s’entend le plus facilement, et que l’on explique le plus mal. Sont-ce ses défauts que vous voulez nous faire remarquer ? mais il n’y en a pas dans le style, et tout le monde sait que le plan n’en est point parfait. Oui, sans doute, et je conviens de toutes ces vérités. Je suis loin de cette orgueilleuse folie de quelques auteurs inconnus, qui viennent nous éblouir tout à coup, sans ménagement pour la faiblesse de nos yeux, de ces torrents de lumières inattendues, en nous apprenant qu’Homère n’avait pas de génie, que Boileau était un pauvre auteur, et que Rousseau manquait d’imagination. Élancés dans la sphère de ces Erostrates modernes, nous nous trouvons en effet, pour quelques instants, dans une espèce d’aveuglement. C’est parce que l’obscurité nous environne : telles ne sont point mes erreurs ; j’aime à lire Racine, je le lis souvent, et je viens répéter avec ses admirateurs : Ô Racine ! celui-là n’aura point d’oreilles, que ta douce mélodie n’enchantera pas ; celui-là n’aura point d’âme, que tes vers ne toucheront pas ; celui-là n’aura pas d’imagination, que la tienne n’échauffera pas ! Mais où trouver quelqu’un d’assez malheureux pour être privé de toutes ces facultés ? où donc trouver un détracteur de Racine ?
Voilà ce que tout le monde a pensé, ce que bien des gens ont écrit, et ce que je viens écrire encore. Mes idées pourront souvent être déjà connues, j’en conviens ; je serais même fâché de n’en avoir que de neuves sur Racine. Depuis quelque temps, tout ce qui est neuf en littérature (comme en bien d’autres genres), est si extravagant ! J’ai voulu seulement entrer dans le temple où l’on adore ce dieu de l’harmonie ; et dès que j’y suis entré, ai-je pu me refuser au plaisir de brûler un grain d’encens sur son autel ? D’ailleurs, il est si doux de parler de tout ce qui nous procure des jouissances agréables, que cette raison seule peut me servir d’excuse.
Mon intention n’est point d’analyser rigoureusement le plan, ni d’entrer dans de grands détails sur toutes les parties de cet ouvrage. Tout cela a été fait de nos jours par un auteur qui, dans cette partie, n’a plus rien laissé à faire. Mes remarques portent sur de très petits défauts de style ; sur quelques vers durs, uniquement remarquables, parce qu’ils sont dans Racine ; le plus souvent sur les divers genres de beautés qu’offre la seule tragédie d’Esther ; enfin, sur ces hardiesses d’expressions si naturellement enchâssées, que souvent elles échappent à beaucoup de lecteurs égarés au milieu d’un parterre émaillé des plus belles fleurs du printemps ; j’en ai cueilli quelques-unes des plus agréables. J’ai osé arracher le très petit nombre de celles qui me paraissaient pouvoir blesser la vue.
Esther sera toujours un monument mémorable de la force du génie. Douze ans d’inertie devaient sans doute faire croire que l’auteur d’Andromaque aurait oublié ces accords magiques dont il avait su enchanter jadis. Mais il eut à peine repris la lyre, que les sons les plus doux s’empressèrent de renaître sous ses doigts. Tel fut pour moi le prestige de la main savante de Racine, que j’avais lu vingt fois Esther, avant de m’apercevoir de l’odieux de certaines parties de son rôle ; elle m’avait intéressé à ses malheurs, à sa séparation d’avec Élise, à sa nation persécutée ; je l’admirai sur tout, je tremblai pour elle, lorsqu’excitée par les discours de Mardochée, elle se décide à braver la mort en allant trouver Assuérus. Qui ne frémirait au moment où ce roi prononce d’un air farouche :
Esther tombe entre les bras de ses femmes :
Quel spectacle ! mais Assuérus répond aussitôt :
Mais quelle sensation délicieuse, surtout lorsqu’Esther, revenant un peu à elle-même, répond par ces deux vers d’une harmonie enchanteresse !
Je sens alors que mon âme est touchée, mon oreille est enchantée, mes sens sont ravis ; Esther s’empare de toutes mes affections. Je n’ai pu être rassuré par l’idée qu’une maîtresse peut toujours croire à la clémence de son amant, parce que j’ai vu que cette idée n’était entrée pour rien dans la démarche d’Esther. D’ailleurs, elle est encore sous mes yeux ; je la vois pâle, éperdue, à demi morte ; et je ne doute plus que, victime dévouée, elle ne marchât en holocauste pour son dieu et sa nation. J’épouse tous ses sentiments ; sa passion me pénètre ; je tremble encore pour les jours de Mardochée ; et l’impie Aman me paraît alors indigne de toute pitié. Voilà l’effet de la magie de Racine, qui sentait le défaut de son plan ; mais le prestige tombe aux yeux plus calmes de la raison ; et celui qui avait admiré, dans la jeune reine, le dangereux courage de braver les ordres d’un despote pour sauver sa patrie, voudrait pouvoir encore admirer en elle la clémence. Je ne connais pas de plus belles scènes dans Esther, ni qui frappe plus vivement l’imagination, que celle-là. Rien de si touchant que de voir ce roi si sévère, si terrible, qui, le moment d’auparavant, tenait un langage si effrayant, prendre celui de l’aménité et de la douceur, et s’efforcer de rassurer son esclave tremblante. C’est, dans de pareilles scènes que l’on voit, suivant l’excellente remarque de M. de La Harpe, combien la vérité historique des mœurs est toujours observée par Racine. Un autre que ce grand poète eût peut-être mis :
Racine a mis votre frère ; et d’un seul mot, il nous a initiés dans les mœurs étrangères. Et puis quels vers !
Quelle majesté dans cette diction ! quelle suite d’images sublimes ! et combien tout le morceau est imprégné de cette terreur profonde que devait éprouver Esther, lorsqu’elle est tombée entre les bras de ses femmes ! Nous avons été frappés de sa frayeur ; mais lorsqu’elle parle, cette frayeur nous pénètre nous-mêmes. Remarquons aussi combien il est hardi de dire un front irrité ; et comme ces belles figures de la foudre qui environne le trône, et des éclairs qui partaient des yeux, amènent parfaitement cette comparaison qui termine ce beau morceau :
Si quelque chose peut être mis à côté de cette belle scène, c’est le livre même d’Esther dans la Bible. D’un côté, on voit toute la pompe et tout l’éclat dont la poésie est susceptible ; de l’autre, cette simplicité sublime, qui étonne et qui pénètre si vivement. Voyez comme Assuérus est dépeint sur son trône :
« Ingressa igitur cuncta per ordinem ostia stetit contrà regem, ubi ille residebat super solium regni sui, indutus vestibus regiis, auroque fulgens et pretiosis lapidibus, eratque terribilis aspectu. Cumque elevasset faciem, et ardentibus oculis furorem pectoris indicasset, regina corruit, et in pallorem colore mutato, lassum super ancillulam reclinavit caput. »
Y a-t-il rien de si touchant que, cette image lassum caput reclinavit (reposa sa tête fatiguée) ? et de plus fort que : cumque ardentibus oculis furorem pectoris indicasset ?
Enfin, le langage de Racine est-il plus doux que cet entretien ?
« Quid habes, Esther ? Ego sum frater tuus, noli metuere. Non morieris : non enim pro te, sed pro omnibus hæc lex constituta est. Accede igitur et tange sceptrum.
Cumque illa reliceret tulit auream virgam et posuit super collum ejus, et osculatus est eam, et ait : cur mihi non loqueris ?
Quæ respondit : Vidi te, Domine, quasi angelum Dei, et conturbatum est cor meum præ timore gloriæ tuæ. Valdè enim mirabilis es, Domine, et facies tua plena est gratiarum.
Cumque loqueretur, rursùs corruit, et pænè exanimata est. Rex autem turbabatur, etc.
Je l’avouerai, ce dialogue me plaît peut-être encore plus que celui de Racine ; il me pénètre davantage après l’avoir lu, je suis plus attendri, plus ému. Que de sentiments dans cette seule interrogation : cur mihi non loqueris ? et quelle image sublime dans cette réponse d’Esther : vidi te, Domine, quasi angelum Dei, etc