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Depuis 2007, les meilleurs experts européens se retrouvent dans cet ouvrage, pour y livrer leurs analyses de l’Union européenne et en décrypter les enjeux et perspectives. De fait, cette édition 2023 est marquée par un contexte tout à fait extraordinaire, avec la guerre aux portes de l'UE et la crise énergétique. Ces événements majeurs rebattent entièrement la donne mondiale.
Au sommaire:
Partie 1 : L'Union européenne face à la guerre
Partie 2 : La stratégie économique, financière et énergétique de l’Union
Partie 3 : La consolidation de l'intégration européenne
Partie 4: Verbatim, un grand entretien avec une personnalité européenne
Partie 5 : Synthèse de l’Europe politique
Partie 6 : l’Europe en chiffres commentés : un ensemble inédit de statistiques économiques et sociales.
À PROPOS DES AUTEURS
Directrice générale de la Fondation Robert Schuman, ancienne auditrice de la 56e session nationale de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), Pascale Joannin dirige le Rapport Schuman sur l’Europe, l’état de l’Union, éditions Marie B, et codirige l’Atlas permanent de l’Union européenne, éditions Marie B (5e édition), 2021. Elle est l’auteur de L’Europe, une chance pour la femme, Note de la Fondation Robert Schuman, n° 22, 2004. Elle a publié de nombreuses études sur les questions européennes.
Président de la Fondation Robert Schuman, Jean-Dominique Giuliani a été directeur de cabinet du Président du Sénat René Monory et directeur à la SOFRES. Ancien Conseiller spécial à la Commission européenne et membre du Conseil de Surveillance d’Arte, il codirige l’Atlas permanent de l’Union européenne, Éditions Marie B (5e édition), 2021. Il est l’auteur de Européen, sans complexes, éditions Marie B, 2022 et de La Grande bascule, éditions de l’école de Guerre, 2019.
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Seitenzahl: 425
Veröffentlichungsjahr: 2023
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L’État de l’Union 2023 Rapport Schuman sur l’Europe est une œuvre collective créée à l’initiative de la Fondation Robert Schuman au sens de l’article 9 de la loi 57-298 du 11 mars 1957 et de l’article L.113-2 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle.
Textes originaux en anglais traduits en françaispar Niccolò Bianchini et Stefanie Buzmaniuk.
Mise en page : Nord CompoMaquette de couverture : Nord CompoImage de couverture : Wirestock/Alamy photoGare de Kiev, Ukraine
Copyright : Éditions Marie B, collection Lignes de repères
ISBN : 978-2-49276-3-403
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.
1957-2023 : la construction européenne
Territoires de l’Europe
L’Europe au féminin
1. Les défis
Dépenses militaires dans le monde
Sécurité dans le monde : sanctions, interventions et participations de l’Union européene
Préoccupations majeures des Européens
L’Europe face à la crise énergétique
L’origine de l’électricité en Europe
Les principales zones de libre-échange
Inflation
Couleur politique des premiers ministres et nombre de partis dans les coalitions
Les populismes
2. Les solutions
Le budget de l’Union européenne
Identités européenne et nationales
Le secteur spatial
L’essor du New Space
Dépenses de R&D
Les licornes européennes
Espace ultra-marin
Nucléaire
L’Europe politique en 2023
3. L’Union européenne par les statistiques
Projections de croissance (reprise économique) au niveau mondial
Commerce extracommunautaire
Commerce intracommunautaire
La population de l’Union
Migrations internes
Migrations externes
Dette publique
Numérisation de l’Europe
Indice de performance environnementale des États membres
Maître des requêtes au Conseil d’État, Alexandre Adam a été conseiller Europe adjoint, puis conseiller Europe du Président de la République (2020-2022). Ancien diplomate, il a été en poste à la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne et à l’Ambassade de France en Allemagne.
Docteure d’économétrie appliquée de la London Business School, Laurence Boone est secrétaire d’État chargée de l’Europe depuis juillet 2022. Économiste en cheffe de Barclays Capital France (2004-2011), puis cheffe économiste et Directrice générale de Bank of America Merrill Lynch Global Research (2011-2014), elle est devenue en 2014 sherpa et conseillère spéciale pour les affaires économiques et financières multilatérales et européennes du Président de la République. Ancienne cheffe économiste du groupe AXA, elle fut cheffe économiste et Secrétaire générale adjointe de l’OCDE (2018-2022).
Diplômée de Sciences Po et titulaire d’un DEA de sociologie politique de l’université de Paris I – Panthéon Sorbonne, Corinne Deloy a été journaliste au Nouvel Observateur et Secrétaire générale de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol). Elle est chargée d’études au Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI) et rédactrice de l’Observatoire des élections en Europe (OEE) de la Fondation Robert Schuman.
Membre du Parlement européen (PPE, PT) depuis 2009, José Manuel Fernandes est coordonnateur du Parti populaire européen au sein de la commission des budgets et président de la délégation pour les relations avec la République fédérative du Brésil. Il est également chef de la délégation du Partido Social Democrata (PSD) au Parlement européen. Il a participé aux négociations du nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2027 (CFP), de la Facilité pour la reprise et la résilience et du programme InvestEU. Il est aussi co-rapporteur permanent pour les nouvelles ressources propres de l’Union européenne.
Depuis mai 2020, Charles Fries occupe les fonctions de Secrétaire général adjoint en charge de la Paix, de la Sécurité et de la Défense au sein du Service européen pour l’Action extérieure. Il a occupé les fonctions d’Ambassadeur de France en Turquie (2015-2020), au Maroc (2012-2015) et en République tchèque (2006-2009). Secrétaire général des Affaires européennes (2011-2012), il a été conseiller diplomatique du Premier ministre (2009-2012), conseiller pour les affaires européennes du Président de la République (2002-2006) ainsi que Conseiller pour les affaires européennes du ministre des Affaires étrangères (1993-1995). Ancien élève de l’École nationale d’administration (1989).
Président de la Fondation Robert Schuman, Jean-Dominique Giuliani a été directeur de cabinet du Président du Sénat, René Monory, et directeur à la SOFRES. Ancien Conseiller spécial à la Commission européenne et membre du Conseil de Surveillance d’Arte, il codirige l’Atlas permanent de l’Union européenne, éditions Marie B (5e édition), 2021. Il est l’auteur de Européen, sans complexes, éditions Marie B, 2022 et de La Grande bascule, éditions de l’école de Guerre, 2019.
Responsable de la recherche macroéconomique et de la stratégie à la Financière de la Cité, une société de gestion d’actifs, Nicolas Goetzmann est chroniqueur régulier pour des journaux français (Les Échos, Le Monde). Auparavant, il a travaillé pour un site d’information, d’abord comme rédacteur économique couvrant la macroéconomie, les institutions européennes et le commerce international, puis comme rédacteur en chef. De 2000 à 2013, il a travaillé dans le secteur de la banque privée, en tant que gestionnaire de portefeuille et conseiller de particuliers fortunés, à Luxembourg, Genève et Paris.
Docteur en Sciences politiques, économiste et ancien fonctionnaire de l’Union européenne, Francisco Juan Gómez Martos a été professeur à l’Université Autonome de Madrid (Faculté de Sciences économiques) et professeur invité à l’Université Adam Mickiewicz de Poznan (Faculté des Sciences politiques et Journalisme). Il est l’auteur de plusieurs publications académiques dans des revues européennes et de nombreux articles publiés dans le journal El País. Il a publié de nombreuses études pour la Fondation.
Directrice générale de la Fondation Robert Schuman, ancienne auditrice de la 56e session nationale de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), Pascale Joannin dirige le Rapport Schuman sur l’Europe, l’état de l’Union, éditions Marie B, et codirige l’Atlas permanent de l’Union européenne, éditions Marie B (5e édition), 2021. Elle est l’auteur de L’Europe, une chance pour la femme, Note de la Fondation Robert Schuman, no 22, 2004. Elle a publié de nombreuses études sur les questions européennes.
Diplômé de Sciences Po Paris et de l’ENA, Alain Lamassoure a commencé sa carrière comme conseiller à la Cour des comptes. Ministre des Affaires européennes (1993-1995), ministre du Budget et Porte-parole du gouvernement français (1995-1997), il a été député à l’Assemblée nationale de 1986 à 1995 et député européen (PPE, FR) de 1989 à 1993 et de 1999 à 2019. Il a présidé la commission des Budgets (2009-2014) ainsi que les commissions spéciales sur les rescrits fiscaux (TAX 1 et 2) et a été rapporteur sur l’assiette commune consolidée sur l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Il préside le Comité scientifique de la Fondation et le Comité de direction de l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe.
Group Chief Economist d’Edmond de Rothschild, Mathilde Lemoine est spécialiste en macro-économie internationale et politiques publiques. Elle a été conseiller du Premier ministre en 2005-2006 après avoir été Conseiller technique auprès de plusieurs ministres français de l’Économie et des Finances. De 2007 à 2015, elle était Directeur des études économiques et de la stratégie marchés d’une grande banque internationale. En 2013, elle a été nommée membre du Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP). Coauteur d’un manuel d’Économie et de Finance Internationales (de Boeck éditions) et de nombreuses publications, elle est éditorialiste pour les quotidiens Les Échos, Expansión (Espagne) et L’Agefi (Suisse).
Président et Directeur Scientifique de la Joint European Disruptive Initiative (JEDI), l’ARPA européenne, André Loesekrug-Pietri a débuté comme assistant du PDG d’Aerospatiale-Airbus. Il a ensuite passé 15 ans dans le capital investment, dont 10 en Asie. En 2017, il est conseiller spécial du ministre français de la Défense. Diplômé d’HEC Paris et de la Harvard Kennedy School et ancien élève de Sup’Aéro, il est réserviste (RC) au sein de l’Armée de l’Air française. Il est membre du Conseil d’Innovation de la Conférence de Sécurité de Munich et du Fonds du Futur du Land de Sarre.
Entré à l’École navale en 1988, le Vice-amiral d’escadre Christophe Lucas est pilote de spécialité. Il a servi au sein de l’aéronautique navale et sur des bâtiments de surface. Il a participé à de nombreuses opérations et a commandé une frégate anti-sous-marine. En échelon central, il a occupé des postes dans les domaines des ressources humaines, des relations internationales et des opérations. Il a commandé la Force maritime des fusiliers marins et commandos, puis a occupé les fonctions d’autorité de coordination pour les relations internationales de la Marine nationale, avant d’être nommé Directeur général adjoint des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) en 2022.
Directrice de l’espace (ff) à la Direction générale de l’industrie, de la Défense et de l’espace (DG DEFIS) de la Commission européenne, Paraskevi (Evi) Papantoniou est chargée de la politique spatiale et des programmes Copernicus et Galileo/EGNOS et responsable des actions de soutien à l’écosystème aérospatial, ainsi que des relations avec l’Agence spatiale européenne (ESA) et l’Agence du programme spatial de l’Union (EUSPA). Elle était auparavant Cheffe d’unité à la Direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME (DG GROW). Avocate, spécialiste de la concurrence, elle a travaillé à la Cour de justice européenne à Luxembourg.
Présidente de la BERD depuis novembre 2020, Odile Renaud-Basso est la première femme à diriger une banque multilatérale de développement. Elle occupait précédemment les fonctions de Directrice générale du Trésor français de 2016 à 2020. Avant d’occuper ces fonctions, elle a été Directrice adjointe du cabinet du Premier ministre de 2012 à 2013, puis Directrice générale adjointe de la Caisse des Dépôts et Consignations de 2013 à 2016. Elle est diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po) et de l’École nationale d’administration (ENA).
Présidente de la République de Moldavie depuis novembre 2020, Maia Sandu a commencé sa carrière politique en 2012, lorsqu’elle est devenue ministre de l’Éducation. En 2015, elle a lancé un mouvement politique luttant contre la corruption en Moldavie. En 2019, elle a brièvement occupé le poste de Première ministre. Sous sa direction, la Moldavie est devenue un pays candidat à l’Union européenne en juin 2022. Avant de se lancer dans la politique, Maia Sandu a travaillé au ministère moldave de l’Économie, à la Banque mondiale, à Chisinau et à Washington D.C. Elle a étudié à l’Académie d’études économiques de Moldavie et a obtenu un diplôme de la John F. Kennedy School of Government de l’université de Harvard en 2010.
Depuis décembre 2019, Dubravka Šuica est Vice-présidente de la Commission européenne en charge de la démocratie et de la démographie. Elle a été la première femme maire de Dubrovnik (2001-2009) et a reçu le World Mayor Award en 2006. Entrée en politique au sein de l’Union démocratique croate (HDZ), elle a été députée (2000-2011). Pendant dix ans, elle a été Vice-présidente du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe. De 2013 à 2019, elle a été députée européenne (PPE, HR), Vice-présidente de la commission des Affaires étrangères. Depuis 2012, elle est vice-présidente des femmes du Parti populaire européen.
Licencié en droit, diplômé de Sciences Po et ancien élève de l’ENA, Pierre Vimont a rejoint le service diplomatique français en 1977. En 1999, il est nommé Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne. Directeur de cabinet de trois ministres des Affaires étrangères, il est ensuite nommé Ambassadeur de France aux États-Unis, de 2007 à 2010, et deviendra Secrétaire général exécutif du Service européen pour l’action extérieure (2010-2015). Depuis lors, il a été chargé de diverses missions par les autorités françaises.
Diplomate et femme politique croate, Željana Zovko est députée européenne (PPE, HR). Elle est Vice-présidente du groupe PPE au Parlement européen et Vice-présidente de la commission des Affaires étrangères. Elle est aussi vice-coordonnatrice du PPE pour les affaires étrangères et Vice-présidente de la délégation pour les relations avec la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. Elle est également membre de la commission de la culture et de l’éducation et de la sous-commission de la sécurité et de la défense, et membre de la délégation pour les relations avec les États-Unis et de la délégation à l’Assemblée parlementaire euro-latino-américaine.
Normalien, diplômé en économie et en diplomatie, Olivier Lenoir est actuellement analyste stratégique dans le numérique à Varsovie, au sein du groupe Orange. Son parcours européen l’a également amené à travailler au Bureau International du Travail, chez le Défenseur des droits ou à l’université La Sapienza de Rome.
Ancien élève de l’ENS de Lyon, Pascal Orcier est professeur agrégé et docteur en géographie, spécialiste des pays baltes, cartographe, enseignant en classes européennes au lycée Beaussier de La Seyne-sur-Mer (83) et en classes préparatoires au lycée Stanislas de Cannes (06).
Jean-Dominique GIULIANI
La construction européenne a été lancée en 1950, cinq ans après la fin des combats en Europe. Le contexte était très particulier. Pour tous les États du continent, il s’agissait de survie et de reconstruction, d’urgence à redresser des situations désespérées et à dépasser les traumatismes du pire des conflits.
Le contexte actuel n’a évidemment plus rien à voir avec ces problématiques.
Au fil des ans et des traités, la Communauté, devenue Union, s’est adaptée en s’élargissant. Dix traités en ont modifié les institutions, les politiques et les moyens. L’Union européenne n’est toujours pas un État mais se dote de certains de ses attributs dans les domaines de ses compétences exclusives (Union douanière, concurrence, monnaie, protection des océans, commerce) mais aussi dans le domaine des compétences partagées, voire des compétences réservées aux États. En effet ceux-ci font de plus en plus appel à la « dimension européenne » pour résoudre des difficultés qu’ils ne peuvent solutionner seuls. Ce fut le cas pendant la pandémie de Covid. C’est aujourd’hui la demande d’une politique consolidant l’industrie européenne. De plus en plus de secteurs sont concernés par ces demandes des États, qui, d’ailleurs, correspondent souvent aux attentes des citoyens.
La vieille querelle récurrente entre fédéralistes et souverainistes est largement dépassée. L’Union est plus intergouvernementale que les plus souverainistes n’en avaient jamais rêvé ; elle est plus fédéraliste que les plus fédéralistes ne l’avaient souhaité. Ses évolutions ont donné raison aux uns et aux autres. Les États se tournent de plus en plus vers les institutions de l’Union ; rien n’est plus possible au niveau européen sans l’accord des États.
Si les principes qui ont fondé la coopération européenne demeurent largement inspirés de la même méthode, celle de Schuman et de Monnet, son visage et ses attributs n’ont plus grand-chose à voir avec la création d’origine. Sa transformation s’accélère au diapason des bouleversements si rapides d’un monde en grande mutation.
C’est donc véritablement une nouvelle vie dans un nouveau contexte qu’a déjà entamée l’Union européenne.
Elle a permis à l’Europe de rester dans l’histoire malgré un XXe siècle tragique venant ponctuer un long cheminement au milieu des divisions et des conflits.
Soixante-treize ans de construction européenne, c’est-à-dire de coopération organisée entre les nations du continent, ouvrirent aux États membres l’espérance de recouvrer leur richesse par la stabilité et le développement de relations entre eux apaisées.
Le bilan en est extraordinairement positif : une paix assurée, un marché intérieur prospère, des solidarités organisées, la deuxième monnaie de réserve du monde, des valeurs partagées et revendiquées face au durcissement des rapports de force sur la scène internationale. Le produit intérieur brut de l’Union représente 15 % du PIB mondial, une part à peine inférieure à celle des États-Unis et le PIB/habitant s’établit en moyenne à plus de 40 000 €. L’Union est devenue la première zone commerciale du monde, premier commerçant de services au monde avec 24,5 % du total, un commerce extérieur prospère représentant 16,2 % du commerce mondial et un commerce intérieur particulièrement dynamique représentant 61 % des échanges des États membres.
Au tournant du siècle, le pari européen a réussi au-delà de toutes les espérances.
Mais, depuis quelques années, le XXIe siècle l’interpelle avec deux évolutions fondamentales et des évènements qui les accentuent.
Le monde entier s’est ouvert aux échanges et le développement est désormais partagé. De nouveaux acteurs connaissent la croissance et leur démographie leur promet une place privilégiée au sein du classement des puissances. Les rapports de force ont évolué et l’Europe doit faire face à de nouvelles concurrences, notamment venues d’Asie. De surcroît, un renouveau nationaliste, aiguillonné par des États en manque d’idéologies mais désireux de maintenir leurs régimes autocratiques, marque la planète et pousse au repli.
L’Europe ne se connaissait plus d’ennemis. Elle en découvre avec la Russie qui nie ses réalisations et ses idéaux ; elle doit rivaliser avec d’autres comme la Chine ; elle rencontre des acteurs provocateurs comme la Turquie ou des proches turbulents comme le Royaume-Uni ; enfin elle doit faire avec des alliés solides mais aux intérêts parfois différents.
Dans le même temps, l’économie et la société européennes doivent s’adapter à une double révolution numérique et écologique. La numérisation et ses promesses futures, quantiques et artificielles, constituent une révolution bien plus importante que l’invention de l’imprimerie. Elles bouleversent les processus de production, obligent à réinventer une commercialisation nouvelle, changent totalement les manières de communiquer et donc aussi d’exercer les droits et devoirs des citoyens dans les régimes démocratiques. Cette révolution est à l’œuvre mais n’a pas fini d’entraîner de nouvelles conséquences.
Parallèlement les opinions publiques occidentales prennent progressivement conscience des limites d’un modèle économique basé sur la seule exploitation des ressources et surtout de ses conséquences sur la santé, la diversité biologique et les espaces naturels. Un puissant mouvement s’est levé, notamment en Europe, appuyé sur des revendications citoyennes, qui pousse les gouvernements et les autorités européennes à décréter qu’ils seront les meilleurs dans l’instauration d’un ordre économique respectueux de l’environnement. En découlent nombre de règlementations que s’imposent les Européens, persuadés d’ainsi montrer l’exemple, au risque de ne pas suffisamment prendre en compte et compenser l’impact déstabilisateur de ces mesures sur la compétition économique, c’est-à-dire la croissance, l’emploi et, donc, les politiques sociales auxquelles les populations sont attachées.
L’accumulation de ces nouveaux défis pour l’Union européenne constitue un challenge vital. Elle doit s’adapter au plus vite et a commencé à le faire. En dépend son avenir dans un contexte mondial totalement renouvelé.
Les citoyens attendent de la coopération européenne qu’elle démontre son efficacité. Les réflexes restent encore nationaux, mais la dimension européenne s’est naturellement et rapidement imposée. La pandémie de Covid en est un bon exemple : les mesures nationales n’ont pas tenu plus de deux mois et une vigoureuse réponse européenne a permis à l’Europe de devenir le premier producteur et le premier donateur de vaccins, puis de bâtir une réponse financière musclée à la situation économique qui en découlait, le fameux plan de relance postpandémie de 750 milliards €. Les Européens ont été massivement vaccinés, la pandémie a été maîtrisée et la croissance a bondi sitôt les restrictions levées. Rétrospectivement, c’est un succès.
L’Union européenne ne s’est pas arrêtée en chemin et a entamé, à l’occasion de la crise, une refonte de ses politiques de soutien à l’économie. Le règlement général d’exemption par catégories1 a autorisé des exceptions aux règles de concurrence et du contrôle des aides d’État. La mise en place des Projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) a ouvert la voie à de véritables mesures de politique industrielle, permettant de financer des programmes en matière de batteries, d’hydrogène ou de puces électroniques. La Commission européenne estime que, grâce à ce dispositif, 91 % des aides distribuées pour faire face à la crise ont pu être décidées rapidement par les États car exemptées du contrôle européen préalable. Elle indique qu’à ce titre 672 milliards € d’aides ont été distribués par les États membres. Elle entend désormais aller plus loin en instaurant un « cadre temporaire de crise et de transition », un fonds d’aide commun aux industries en reconversion, des aides spécifiques « antidélocalisation » et autoriser des avantages fiscaux, pour autant que l’ensemble de ces actions contribue à favoriser la transition écologique.
Le Commissaire Thierry Breton s’est montré imaginatif en proposant un fonds d’aide à l’industrie de défense qui investira prioritairement en Europe, en lançant nombre de programmes spécifiquement européens pour offrir des puces électroniques de nouvelle génération, se doter de capacités spatiales propres, explorer et anticiper l’informatique quantique et instaurer un fonds souverain pour alimenter l’investissement dans les industries du futur. Son projet de Clean Tech Act vise à soutenir les industries estimées critiques (solaire, éolien, etc.) pour réussir la transition écologique.
Ces avancées représentent d’incontestables innovations dans la nature et la rapidité de réaction des autorités européennes, même si leur préparation n’a pas occulté des divergences entre Européens qui ne partagent pas les mêmes conceptions des politiques dites industrielles et n’ont pas toujours les mêmes intérêts de court terme. Elles ont, a contrario, fait la preuve d’une vision à long terme mettant en évidence l’avantage d’un volet européen des politiques d’adaptation au nouveau contexte.
Le « logiciel libéral », qui a permis à l’Europe de construire son marché unique, a constitué un acquis réel pour le consommateur. Il est aujourd’hui défié par des États-continents concurrents qui subventionnent généreusement leurs champions industriels. Le retour de la « logique étatique » et de l’intervention de la puissance publique est justifié par l’ampleur des changements intervenus dans la chaîne de production de valeur et les rapports de force dans le monde. Révolution numérique, développement des grands États démographiquement puissants, exigence écologique et compétition pour les ressources ont entraîné des comportements particulièrement actifs de ces grands États, en tête de la croissance et de la compétition mondiale.
L’Union européenne n’est pas un État. Dans nombre de domaines, elle ne peut pas agir de manière aussi rapide et franche que de grands États. Malgré ses efforts, impensables il y a encore quelques années, elle doit maintenant se doter de l’agilité dont les États sont capables dans leurs réactions aux crises et faire davantage preuve d’unité et de rapidité dans les solutions apportées. En son sein, les divergences demeurent, en effet, entre certains pays de petite taille encore trop fidèles aux schémas dépassés de règles économiques anciennes, privilégiant le statu quo confortable et d’autres, contraints à plus de réactivité et d’audace, privilégiant la croissance sur les disciplines. Le débat « croissance ou disciplines » fait rage et n’est pas près de se terminer rapidement.
L’année 2023 est, à cet égard, déterminante. Si l’Union européenne parvient à mieux démontrer l’efficacité de ses décisions pour soutenir son économie de manière solidaire et partagée entre les États membres, elle prendra date pour la croissance future.
Plusieurs défis majeurs l’attendent à cet effet.
Saura-t-elle créer en son sein ce sentiment d’appartenance qui peut légitimer le principe de préférence européenne ? Un « Buy European Act », équivalent à celui de tous les États, est réclamé par certains, qui estiment que l’argent public européen doit en priorité profiter à l’économie européenne. C’est déjà une règle retenue pour le Fonds européen de défense ; cela devrait désormais devenir une pratique usuelle qui n’emprunte rien au protectionnisme et tout à une logique d’efficacité et d’identification politique. Le Commissaire au marché intérieur entend accentuer cette orientation pour certains programmes communs d’armements qui verraient coopérer des industries militaires de l’Union. Le contrôle des investissements étrangers fait partie de la même logique. Alors que l’Union européenne a pris des dispositions particulières en 2020 pour éviter que des groupes étrangers subventionnés par leur puissance publique mettent la main sur des pépites industrielles ou commerciales européennes, les États membres ne les appliquent pas de la même manière. L’Allemagne a ainsi laissé l’entreprise d’État chinoise Cosco prendre 25 % des parts du terminal de conteneurs du port de Hambourg malgré l’avis négatif de six ministères allemands, des services de sécurité et de la Commission européenne !
L’Union européenne et ses États membres doivent rompre avec un mercantilisme béat qui refusait de prendre en compte l’évolution du contexte international marqué par le retour brutal des rapports de force et de la compétition. Il en va de l’avenir de l’Union européenne.
Cette problématique se retrouve aussi dans les équations de politique monétaire.
Face au retour de l’inflation, la Banque centrale européenne s’est trouvée sous pression pour accroître significativement ses taux directeurs. Prétextant de la forte réaction de la Fed américaine, les partisans habituels des disciplines coercitives ont obtenu des hausses de taux de la BCE, dont l’effet n’a pas été démontré. Le redoutable défi de l’autorité monétaire européenne est, en effet, de lutter contre une inflation largement provoquée par la hausse des prix de l’énergie, sans brimer la croissance. Ici encore, l’idéologie ordo-libérale est confrontée au monde nouveau. Or seule la croissance permettra de démontrer aux citoyens l’efficacité de la dimension européenne et, à l’évidence, de rendre les dettes soutenables et, surtout, « remboursables ».
Doper la croissance, c’est permettre des investissements parfois osés comme autant de paris sur l’avenir ; c’est faciliter par tous moyens leur financement, notamment avec des taux accessibles, des aides financières, fiscales et règlementaires. Tels vont être les débats européens de 2023 qui devront choisir entre la prudence et la croissance, l’avenir ou le confort.
Or les Européens se passionnent pour la lutte contre le réchauffement climatique et sont à l’avant-garde de ce combat qui fait l’objet d’un très large consensus. C’est positif et l’on mesure à cette aune le degré de démocratie et d’engagement des citoyens européens, qui peuvent ici en remontrer à beaucoup d’autres peuples.
Mais ce nouvel éclairage ne doit pas conduire à un excès de prudence et donc de règlementations. Le niveau décisionnel européen ne doit pas être uniquement celui des règles, des interdits et des contraintes. Il doit être aussi celui des opportunités, des incitations et des perspectives. À cet égard, le principe de précaution est bien l’ennemi du futur et le Parlement européen mériterait de prendre davantage de recul dans sa « frénésie » règlementaire.
Les règles prudentielles imposées aux banques après la crise financière de 2011 ne les ont-elles pas obligées à une gestion trop prudente de leurs activités, notamment dans la distribution du crédit, assez peu orientée vers l’innovation et qui exige une vraie prise de risque ?
La taxonomie, notamment la taxonomie verte, n’est-elle pas devenue un frein à l’innovation et la croissance ? Limiter par la contrainte le financement d’activités répondant à d’urgentes nécessités, comme la sécurité et la défense ou la transition entre énergies fossiles sales et énergies propres, est-ce efficace ? Sous l’influence du Parlement européen, la dimension européenne s’apparente de plus en plus à des interdictions et des contraintes, empruntant parfois les chemins d’une facile démagogie, plutôt que celui d’une planification rationnelle et progressive.
Il est temps pour l’Union européenne d’assortir systématiquement ses décisions environnementales de compensations financières, fiscales ou règlementaires et de calendriers d’application réalistes permettant des transitions écologiques et numériques réussies. Faute de quoi ces mesures seraient un facteur de récession dans une économie déjà fragilisée car en mutation.
De manière plus générale, la frilosité de certains États pourrait être fatale à l’Europe entière, faute de réactivité, d’audace et d’enthousiasme. En réalité en 2023, l’Union européenne a le choix entre une « politique de vieux », assez conforme à sa démographie et à un mou consensus politique, et un « sursaut de jeunesse » qui valorise ses atouts mais exige des prises de risque et des paris. En lançant NextGenerationEU, la Commission l’a bien compris. S’endetter pour découvrir, pour investir, pour construire, pour réaliser, s’endetter ensemble pour renforcer la solidarité européenne, s’affirmer sur la scène internationale avec les spécificités européennes est une nécessité dont il faut que les Européens soient convaincus. S’en convaincre et le faire, voilà bien l’un des enjeux majeurs auxquels l’Union et ses gouvernements nationaux sont désormais confrontés.
L’horreur de la guerre russe, qui s’en prend aux civils, femmes et enfants compris, ne peut pas être tolérée par l’Europe. Elle s’étendrait sinon immanquablement car le continent reste cousu de cicatrices tailladées par l’histoire. Les rouvrir avec les viols, les déportations et les exécutions est une œuvre criminelle. La Russie de Poutine ne peut plus être considérée comme une puissance responsable et crédible parce qu’elle rouvre le chapitre des pires exactions commises sur les « terres de sang »2 du centre de l’Europe.
C’est ainsi que l’agression de l’Ukraine représente pour les Européens un défi existentiel alors que la légitimité du projet européen trouve son origine et sa force dans la promesse de paix.
L’Union européenne a relevé le gant avec une étonnante unité et une efficacité inattendue. Malgré les divergences, notamment sur les sanctions de ses violations du droit international et de ses propres engagements, décidées à l’encontre de la Russie, les gouvernements nationaux ont su faire preuve d’unanimité pour des décisions inédites. Plus de 1 386 personnalités et 171 entités sont soumis à des sanctions. Ces sanctions sont efficaces et ont déjà entraîné une récession en Russie. En moins d’un an, la dépendance envers les fournitures d’énergie russes a été quasiment réduite à zéro ; des fournisseurs alternatifs ont été trouvés ; des achats communs de gaz ont été programmés.
Sur le plan diplomatique, l’Union européenne a su se rendre incontournable aux côtés de l’OTAN et la coopération entre les deux a trouvé une complémentarité efficace. Les sommes engagées aux côtés de l’Ukraine ont dépassé 67 milliards €, un montant proche de celui des États-Unis. Les crédits européens ont été principalement destinés à permettre à l’État ukrainien et ses citoyens de survivre tandis que l’aide militaire provenait majoritairement d’Amérique. Pour autant, et pour la première fois, l’Union européenne, grâce à sa « Facilité pour la paix », a financé des fournitures d’armes organisées par les États membres. Elle y est engagée pour près de 12 milliards €.
La réponse européenne a été le pivot de la démarche occidentale, coordonnée avec nos partenaires. Elle s’inscrit dans la durée et veille à en limiter l’impact sur les citoyens. Elle mobilise des moyens considérables dont aucun État membre n’a contesté l’ampleur.
La guerre en Ukraine a provoqué un véritable réveil des Européens quant à leurs politiques de sécurité au moment où ils s’efforçaient de mieux prendre leurs responsabilités en la matière. L’adoption d’une analyse commune des risques et des menaces, ébauche d’une stratégie, « la boussole stratégique » en mars 2022, la mise en œuvre du Fonds européen de défense, l’adoption de règlementations permettant de progresser vers plus d’autonomie de décision en matière commerciale comme dans le domaine règlementaire, notamment numérique, vont dans le sens du renforcement de l’autonomie de pensée et de décision. Le retour de l’OTAN et des États-Unis dans la problématique stratégique de défense de l’Europe ne laisse pour autant qu’une faible marge de manœuvre à l’Union européenne. Force est de reconnaître qu’elle l’a pleinement utilisée et qu’elle a assumé dans l’aide à l’Ukraine, l’essentiel du rôle économique et financier. Il convient désormais d’aller plus loin et de s’impliquer totalement dans la recherche de solutions globales pour assurer la stabilité et la sécurité du continent.
Il est peu contestable que cela ne sera possible qu’après l’échec de la tentative russe de remettre en cause les frontières et la liberté de choix des États, à commencer par l’Ukraine. Quelle que soit l’issue du conflit – et l’on ne peut que souhaiter le retour de l’Ukraine à ses frontières internationalement reconnues – dans l’avenir, l’Europe doit être partie prenante dans la recherche d’une architecture de sécurité stable et soutenable.
Cela ne pourra se faire que par la démonstration d’une force réelle crédibilisant une diplomatie propre. On en est loin. Les capacités militaires européennes sont insuffisantes malgré le réarmement général des nations et les réflexes conditionnés nationaux, qui poussent au réarmement et risquent même d’être contre-productifs.
Toutes les leçons de l’agression russe de l’Ukraine n’ont pas encore été tirées. La masse des armées conventionnelles ne suffit pas à dissuader un agresseur doté de l’arme nucléaire comme la Russie. Seule une autonomie européenne appuyée sur la dissuasion nucléaire peut préserver l’Europe des menées russes et, ultérieurement, d’autres périls globaux. Dépenser des centaines de milliards en équipements conventionnels relancera la course aux armements. À l’exception de la France, et malgré ses ouvertures répétées depuis plusieurs décennies, les Européens comptent sur la dissuasion nucléaire américaine pour s’en prémunir et campent frileusement sous la protection de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord. Au regard de l’histoire, c’est un pari risqué. Les États-Unis sont des alliés sûrs de l’Europe, mais est-on vraiment certain qu’un président américain mettrait immédiatement et mécaniquement en jeu, avec sa force de frappe, la sécurité de ses propres concitoyens et de son territoire en cas de remise en cause de l’indépendance ou des frontières d’un État européen membre de l’Alliance ? Pour le moins, il y regardera à deux fois.
Le parapluie de l’OTAN, première alliance militaire mondiale, institution ayant grandement facilité l’interopérabilité des armées européennes entre elles et avec nos alliés, ne peut vraiment être sûr que si les Européens prennent toute leur part de responsabilités. Un président américain peu regardant sur la courtoisie le leur avait brutalement et grossièrement rappelé.
Ne pourrait-on pas envisager, au sein de l’Alliance, un engagement européen spécifique, propre à garantir la sécurité européenne, c’est-à-dire celle de ses voisins et partenaires les plus proches ? Un traité, un accord, une déclaration politique qui donne du contenu à la clause de défense mutuelle de l’article 42-7 du Traité sur l’Union européenne, jugée insuffisante par la Finlande ou la Suède qui réclament en conséquence de rejoindre l’OTAN ? Cela pourrait passer par une entente politique avec les deux nations européennes dotées, le Royaume-Uni en dehors de l’Union et la France à l’intérieur, qui ne cesse d’appeler en vain ses partenaires à des discussions sur la dissuasion.
Enfin, l’Union européenne doit se résoudre, pour les affaires diplomatiques et militaires, à valoriser les complémentarités de ses États membres sans tenter de les forcer à tous contribuer de la même manière à l’affirmation européenne sur la scène internationale. C’est un exercice difficile. Certains voudraient remettre en cause l’unanimité nécessaire pour décider dans ces domaines. Cela ne serait ni conforme à la promesse européenne de respecter les identités nationales, ni souhaitable car susceptible de marginaliser les États de petite taille ou les moins influents, ce qui affaiblirait l’ensemble.
Les histoires, les traditions, les sensibilités politiques sont différentes au sein des États membres et leur sécurité fait partie du cœur de leur souveraineté. Plutôt que de tenter vainement de les partager, pourrait-on imaginer de les additionner ? Il s’agirait alors d’accepter que les États membres, après adoption d’une stratégie commune, contribuent, chacun selon leurs possibilités, à des objectifs précis. Tout le « génie européen » devrait être concentré sur leur définition.
En clair, ne demandons pas à l’Allemagne de ne pas respecter sa Loi fondamentale par des interventions à l’extérieur répétées, d’accepter la dissuasion, ni aux pays neutres d’être aussi pro-actifs que d’autres sur les dossiers militaires. Cherchons plutôt les points d’accord sur le désarmement, le maintien de la paix, voire des interventions de vive force quand c’est nécessaire pour défendre les intérêts communs, avec les seules nations qui y sont prêtes. Le Traité sur l’Union européenne le permet déjà. Quant à la dissuasion nucléaire, il est possible de conférer une « dimension européenne » à celles qui existent, en reconnaissant leur contribution au maintien de la sécurité propre à l’Europe. Un dialogue à son sujet est désormais urgent.
Le conflit en Ukraine peut ainsi être l’occasion de nouvelles évolutions européennes, un véritable nouveau départ rendu nécessaire par la contrainte extérieure.
On ne saurait pour autant sous-estimer les défis politiques lancés à l’Union.
Au premier plan de ceux-ci figure l’élargissement qui vient et qui s’annonce inéluctable. Les Européens ont promis à leurs voisins l’intégration au sein de leur communauté et cette promesse a longtemps fait office de politique étrangère à leurs frontières. Une lassitude s’est emparée des candidats devant l’ampleur et la durée des rapprochements indispensables. Elle les rend sensibles aux attentions intéressées d’autres puissances comme la Russie ou la Chine. Elle les éloigne avec l’aide de la Turquie qui entend jouer sa propre partition. La pression politique est si forte – elle vient des peuples – que les Européens ont promis en juin 2022 l’intégration à l’Ukraine et à la Moldavie.
En l’absence de modifications de ses institutions et de ses procédures de décision, l’Union européenne prend un double risque : celui d’importer des problèmes supplémentaires qu’elle ne pourrait pas résoudre seule et celui de la paralysie de sa capacité à décider. Au titre du premier, on se souvient de l’adhésion de Chypre censée apporter une solution à l’occupation d’une partie de l’île par la Turquie ; au titre du second, on doit se pencher sur les difficultés présentes à faire appliquer le droit européen par une Pologne et une Hongrie réticentes.
Or les modifications de traités terrorisent littéralement les gouvernants qui ne s’estiment pas en mesure de les faire adopter par les citoyens. L’Union européenne pourra-t-elle en faire l’économie et continuera-t-elle à avancer grâce à des traités hors-Union, qui ont d’ailleurs vocation à être ensuite intégrés au corpus juridique européen, qu’ils rendent ainsi encore plus complexe ?
Elle ne peut en réalité échapper à une modification de sa gouvernance et serait bien inspirée de s’y atteler dès à présent. La conférence sur l’avenir de l’Europe, réunie en 2021 et 2022 et les études d’opinion convergent pour mettre en lumière une progression du soutien aux institutions européennes et une forte attente des citoyens envers la dimension européenne de l’action publique. Leurs dirigeants auraient-ils l’audace de prendre des initiatives courageuses dans ce domaine ? L’expérience démontre que l’exemple de quelques-uns peut convaincre une majorité d’États de faire progresser l’intégration de tous.
Car demeure la fondamentale question de l’adhésion des citoyens au projet européen. Ils en acceptent la logique et en comprennent la nécessité rationnelle face aux bouleversements et aux mutations en cours. Mais force est de reconnaître que peu d’institutions, de procédures ou de décisions suscitent l’enthousiasme et, surtout, cette fierté d’appartenance qui permet aux dirigeants d’avancer.
On ne redira jamais assez que la politique de communication des institutions est insuffisante et souvent misérable. Comme souvent, ces institutions dialoguent entre elles, ce qui est parfois difficile, mais négligent la dimension publique, seule capable d’entraîner les vraies réformes. C’est un domaine où tout semble à revoir sans qu’une institution ne soit à l’abri de révisions profondes.
S’atteler à ces questions est d’autant plus urgent que la guerre diffuse une inquiétude légitime, que le retour de l’inflation met en difficulté nombre de foyers et qu’un mal-être général s’est abattu sur toutes les démocraties, y compris en Europe. En témoignent les succès, souvent éphémères, des populismes. Ils ne durent jamais mais s’ancrent dans les élections, troublent les esprits et affaiblissent les corps intermédiaires, ceux-là mêmes qui font partie de la culture démocratique de l’Europe.
L’urgence de réformes est donc plus évidente que jamais. L’Union européenne l’a compris mais il lui reste à encore convaincre en son sein, à prendre la mesure de la nécessaire rapidité dans l’action et à démontrer aussi toute son efficacité. Elle en a les moyens.
Il n’en reste pas moins que l’Union européenne a profondément changé en quelques mois. En moins de cinq ans, terme d’une mandature, elle s’est dotée de la plupart des outils qui lui manquaient pour développer une politique industrielle, organiser des solidarités dans l’épreuve, une stratégie d’autonomie en matière économique et sanitaire. Elle s’essaye même à l’extraterritorialité et exporte ses règles avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD), le Règlement sur les marchés numériques (DMA) ou les services numériques (DSA). Elle veut étendre son droit en matière de compliance et de devoir de vigilance (DCSDD) obligeant au respect des droits de l’Homme dans les chaînes de valeur. Elle est incontournable pour ses membres et ses partenaires. Beaucoup reste à faire, notamment en matière militaire et diplomatique, pour assumer et déployer sa puissance. Mais, pour l’Union européenne, en 2023, c’est une nouvelle vie qui commence.
1. Règlement 651/2014 du 17 juin 2014.
2. Timothy Snider, Terres de sang, L’Europe entre Hitler et Staline, Gallimard, Paris, 2019.
3. Le taux de change euro-dollar appliqué dans toute cette partie est celui du 7 janvier 2023. 1 € vaut 1,07 $.
4. https://en.zona.media/article/2022/05/11/casualties_eng.
Maia SANDU
L’invasion brutale de l’Ukraine par la Russie a bouleversé l’ordre existant en Europe et dans le monde et, avec lui, l’architecture de sécurité et les systèmes énergétiques, commerciaux et financiers mondiaux.
Depuis la fin de la guerre froide, le progrès technologique et la croissance économique ont conduit à une coopération renforcée et à un niveau de connectivité sans précédent entre les pays.
L’interdépendance croissante des économies, des cultures et des populations du monde, générée par le commerce transfrontalier et les flux d’investissements, de personnes et d’informations, a favorisé la réconciliation et la prospérité.
Les dictatures sont tombées, le régime du parti unique a pris fin, la démocratie a prévalu.
La République de Moldavie a déclaré son indépendance en 1991.
Comme nous, les nouveaux États indépendants avaient de grandes attentes.
Nous avons considéré ce nouveau départ comme une chance pour la paix et le développement démocratique.
Nous nous sommes engagés à faire partie du monde libre. Un monde où les États sont souverains et égaux, où les frontières sont respectées, où les États coopèrent, règlent leurs différends pacifiquement et remplissent leurs obligations en vertu du droit international, où le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales est au cœur de la gouvernance.
Comme d’autres, la Moldavie espérait que les zones tampons, les sphères d’influence et les accaparements de terres appartenaient au passé. Par-dessus tout, nous voulions vivre librement et choisir notre propre avenir.
Mais nos aspirations à faire nos propres choix se sont heurtées à la réponse impérialiste de la Russie. Ses encouragements et son soutien aux rebelles sécessionnistes de la rive gauche du Nistru ont donné naissance à un conflit gelé.
Les conflits gelés, comme celui de la région moldave de Transnistrie, sont devenus l’un des outils de politique étrangère de la Russie pour déstabiliser son voisinage, empêcher la consolidation démocratique et, tout simplement, freiner notre développement.
Un quart de siècle plus tard, une boîte à outils similaire est utilisée pour maintenir l’Ukraine, qui espère l’adhésion à l’Union européenne, dans la sphère d’influence russe. D’abord la Crimée, puis le Donbass, et huit ans plus tard – en ce sinistre matin du 24 février 2022 – une invasion à grande échelle de l’Ukraine.
Cette guerre impitoyable, injuste et illégale a déclenché une tragédie inimaginable pour le peuple ukrainien, générant une onde de choc à travers l’Europe et, au-delà, du continent.
Dès que les premières bombes sont tombées sur le sol ukrainien, la Moldavie a vigoureusement condamné la guerre et ouvert ses frontières à des centaines de milliers de réfugiés. Depuis lors, elle se tient fermement tenue aux côtés de l’Ukraine.
Observant la souffrance de l’autre côté de la frontière avec tristesse et horreur, nous nous sommes demandés si la Moldavie serait la prochaine cible.
Je suis reconnaissante à l’Ukraine, à son armée et à ses citoyens pour leur résistance farouche.
Quand ils se battent pour leur terre et leur liberté, ils se battent aussi pour les nôtres. Nous sommes en sécurité grâce à l’Ukraine.
Même si rien n’est comparable aux souffrances de l’Ukraine, à la dévastation de ses villes et aux crimes horribles perpétrés contre sa population, la guerre qui se déroule à notre porte a également des répercussions importantes pour la Moldavie.
Notre sécurité est menacée par les missiles russes qui violent notre espace aérien et par les débris de missiles qui atterrissent sur notre territoire. Le bombardement par la Russie de l’infrastructure énergétique de l’Ukraine, qui est reliée à la nôtre, affecte également la sécurité énergétique de la Moldavie.
La région séparatiste de Transnistrie, où des troupes russes sont stationnées illégalement, reste une source d’instabilité.
Le chantage au gaz a entraîné une multiplication par sept des prix de l’énergie, l’inflation atteignant près de 35 % l’année dernière. Les routes commerciales ont été perturbées et la confiance des investisseurs s’est affaiblie. En conséquence, l’économie s’est contractée en 2022 et ne devrait connaître qu’une croissance modeste en 2023.
Pendant ce temps, les combattants par procuration (« proxies ») et les groupes criminels de la Russie ont uni leurs forces pour exploiter la crise énergétique et alimenter davantage le mécontentement social. Ils espéraient fomenter des troubles politiques. En utilisant tout l’éventail des menaces hybrides – y compris les fausses alertes à la bombe, les cyberattaques, la désinformation, les appels à l’agitation sociale et la corruption au grand jour – ils se sont efforcés de déstabiliser le gouvernement, d’éroder notre démocratie et de mettre en péril la contribution de la Moldavie à la sécurité de l’Europe au sens large.
Jusqu’à présent, ils ont échoué.
Nous nous dirigeons résolument vers l’adhésion à l’Union européenne.
Depuis 1950, l’Union européenne et ses précurseurs ont accompli de grandes choses pour leurs citoyens et pour le monde.
Tout d’abord, elle a fait passer l’Europe d’un continent de guerre à un continent de paix.
Depuis plus de sept décennies, l’Union européenne a contribué à faire progresser la réconciliation, la cohésion sociale, la démocratie et les droits de l’Homme en Europe.
Elle a donné à ses citoyens la liberté de vivre, d’étudier ou de travailler partout dans l’Union européenne, a créé le plus grand marché unique du monde et a fourni une aide et une assistance au développement à des millions de personnes dans le monde.
Au cours des vingt dernières années, l’Union européenne a été un point d’ancrage pour le développement pacifique, prospère et démocratique de la Moldavie.
Nous avons officiellement demandé à rejoindre l’Union le 3 mars 2022, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le choix était clair : la démocratie contre l’autoritarisme, la liberté contre la captivité et la prospérité contre la souffrance.
Nous avons appelé les États membres de l’Union européenne à renouveler leur engagement en faveur de la paix, à un moment où la guerre est revenue en Europe. L’élargissement est l’instrument le plus efficace que l’Union européenne puisse utiliser pour favoriser la paix et apporter la stabilité à la fragile Europe orientale.
L’article 49 du traité de l’Union européenne établit que tout État européen qui respecte la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et les droits de l’Homme, et qui s’engage à les promouvoir, peut demander à devenir membre de l’Union.
Nous sommes attachés à l’État de droit et à la mise en place d’institutions démocratiques qui fonctionnent pleinement.
Et nous sommes prêts à adopter de nouvelles réformes et d’autres mesures nécessaires à l’adhésion.
De plus, nous avons déjà mis en œuvre des parties importantes de l’acquis communautaire depuis la signature de l’accord d’association en 2014 et nous accélérons maintenant le processus.
Les vingt-sept États membres de l’Union européenne ont reconnu que la Moldavie avait fait preuve d’un engagement ferme en faveur des réformes et ils lui ont accordé le statut de pays candidat à l’adhésion en juin dernier.
La Commission européenne a défini les étapes que nous devons franchir avant de lancer les négociations d’adhésion.
Nous avons donc retroussé nos manches.
Animés par le désir de consolider notre démocratie, d’améliorer les conditions de vie et l’économie, et de faire entrer la Moldavie dans l’Union européenne, nous menons une réforme complète de notre système judiciaire, nous intensifions la lutte contre la corruption et le crime organisé, et nous nous efforçons d’éliminer l’influence des oligarques.
Nous renforçons également la capacité de l’administration à mettre en œuvre les réformes et améliorons la gestion des finances publiques.
Un travail est en cours pour renforcer la protection des droits de l’Homme, en particulier des groupes vulnérables, et pour maintenir nos engagements en faveur de l’égalité des sexes et de la lutte contre la violence envers les femmes, y compris avec la ratification de la Convention d’Istanbul.
Les réformes – et notre détermination – portent leurs fruits. Alors qu’elle n’était qu’un État captif il y a quelques années, la Moldavie a parcouru un long chemin.
L’année dernière, nous avons été désignés comme « un point lumineux démocratique » par le rapport sur l’état mondial de la démocratie publié par l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA). Selon ce rapport, la Moldavie fait désormais partie des 25 % d’États les plus performants au monde dans des domaines tels que les droits sociaux et l’égalité ou l’intégrité des médias.
Nous avons fait un bond de quarante-neuf rangs dans l’indice de liberté de la presse de Reporters sans frontières et la note pour notre lutte contre le blanchiment d’argent a été relevée par le Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL) du Conseil de l’Europe en 2022.
La Moldavie a gagné cinq places dans l’indice de l’État de droit 2022 du World Justice Project et est considérée comme l’un des pays qui progressent le plus, tandis que l’État de droit est en déclin dans le monde pour la cinquième année consécutive.
Nous travaillons jour après jour avec des partenaires pour limiter l’influence des oligarques fugitifs qui, depuis des décennies, privent les Moldaves de ressources et entravent le développement du pays.
Nous avons lancé un centre de sécurité pour stimuler la coopération en matière de sécurité intérieure et de gestion des frontières entre l’Union européenne, ses agences, les États membres et les autorités moldaves, afin de faire face aux risques pour l’Union européenne et la Moldavie.
Sur le plan énergétique, les autorités ont fait preuve d’une grande ingéniosité pour trouver des sources d’énergie alternatives et créer des réserves de gaz. Cet hiver, pour la première fois, la rive droite du Nistru en Moldavie a pu dire « non » au gaz russe.