Étude sur l'économie rurale de l'Alsace - Léon Lefébure - E-Book

Étude sur l'économie rurale de l'Alsace E-Book

Léon Lefébure

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Beschreibung

Les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, qui constituaient autrefois la province d’Alsace, peuvent être classés parmi les plus importants, les plus riches et les plus populeux.
Située sur le bord de l’un des grands fleuves de l’Europe, rattachée par lui à la Suisse, à la Prusse, à la Hollande, traversée par des routes nombreuses, la fertile plaine d’Alsace devait, par sa position exceptionnelle, jouer de bonne heure un certain rôle historique, commercial et agricole assez notable. Elle devait voir se succéder, à travers ses vertes campagnes, les flots de ces migrations qui, pendant vingt siècles, ont couvert la vieille Europe, et si, lors de ces grandes tourmentes, elle était ravagée jusque dans ses fondements, dans les longs intervalles, lorsqu’un courant régulier avait remplacé la trombe dévastatrice, elle reprenait aussitôt son aspect souriant.
 

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Étude sur l'économie

rurale de l'Alsace

Léon Lefébure

1869

© 2022 Librorium Editions

ISBN : 9782383834878

Table of Contents

INTRODUCTION.

CHAPITRE PREMIER. - LE SOL.

CHAPITRE II. - LE CLIMAT.

CHAPITRE III. - LES CULTURES.

CHAPITRE IV. - LE PRODUIT BRUT DE LA CULTURE.

CHAPITRE V. - PRODUIT NET ET FRAIS DE PRODUCTION.

CHAPITRE VI. - CONSTITUTION DE LA PROPRIÉTÉ.

CHAPITRE VII. - LA VIE RURALE EN ALSACE.

CHAPITRE VIII. - LES DÉBOUCHÉS.

CHAPITRE IX. - DE L’AMÉNAGEMENT DES EAUX.

CHAPITRE X. - LE CRÉDIT.

CHAPITRE XI. - L’ENQUÊTE AGRICOLE ET SES VŒUX.

INTRODUCTION.

Les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, qui constituaient autrefois la province d’Alsace, peuvent être classés parmi les plus importants, les plus riches et les plus populeux.

Située sur le bord de l’un des grands fleuves de l’Europe, rattachée par lui à la Suisse, à la Prusse, à la Hollande, traversée par des routes nombreuses, la fertile plaine d’Alsace devait, par sa position exceptionnelle, jouer de bonne heure un certain rôle historique, commercial et agricole assez notable. Elle devait voir se succéder, à travers ses vertes campagnes, les flots de ces migrations qui, pendant vingt siècles, ont couvert la vieille Europe, et si, lors de ces grandes tourmentes, elle était ravagée jusque dans ses fondements, dans les longs intervalles, lorsqu’un courant régulier avait remplacé la trombe dévastatrice, elle reprenait aussitôt son aspect souriant.

La tradition la plus reculée nous la montre couverte d’un sombre manteau de forêts, abritant, sous son épais feuillage, des tribus de chasseurs adonnés à un culte barbare : le chant fatidique des druides annonce les ordres de sauvages divinités. Aussitôt que l’histoire nous éclaire, c’est-à-dire dès le premier siècle de l’ère chrétienne, le tableau est déjà tout autre.

En effet le peuple-roi ne devait pas laisser hors de sa domination un pays aussi admirablement placé que le territoire des Triboques, et quarante-trois ans après Jésus-Christ, l’influence de la civilisation romaine se faisait sentir dans cette contrée. Les gracieuses divinités de l’Olympe chassaient les dieux informes que révéraient les peuplades de la vallée rhénane : Teutatès cédait la place à Mercure ; un temple consacré à Mars s’élevait à l’endroit même où, douze siècles plus tard, devait s’élancer vers les cieux l’un des plus merveilleux monuments que les hommes aient dédiés à la gloire du Christianisme. De larges voies de communication, qui, par leurs assises polygonales et leurs revêtements, semblaient établies pour l’éternité, conviaient les peuples à l’échange des produits d’une industrie naissante, car les forêts disparaissent de la plaine, et la culture, d’abord capricieuse et nomade, devenait plus régulière en se fixant ; le soleil libre enfin de réchauffer la terre la révivifiait et adoucissait le climat ; les fruits que Lucullus avait apportés de l’Asie Mineure purent atteindre toute leur délicatesse sur les derniers contre-forts des Vosges. Dès le règne de l’empereur Probus, la vigne vint y étaler ses grappes d’or, et la statue de Bacchus fut promenée au son des chants joyeux des vendangeurs, dans les mêmes lieux où, trois siècles auparavant, le druide avait, en murmurant des paroles magiques, détaché le gui sacré du tronc d’un de ces chênes aussi vieux que le monde.

Grâce à la merveilleuse fertilité de son sol et à une population vigoureuse et persévérante, comme le Titan de la Fable qui semblait puiser de nouvelles forces chaque fois qu’il touchait la terre, cette heureuse contrée a vu, chez elle, grandir le progrès malgré les fréquentes et désastreuses invasions dont elle a eu à souffrir. A chaque pas fait en avant par les Pays-Bas, à chaque demande nouvelle provoquée par l’accroissement de leur richesse et de leur bien-être, la culture alsacienne redoublait d’efforts. Ce n’était plus seulement du bois et des grains qu’elle avait à offrir : elle y joignait tour à tour le lin, le chanvre, le colza, le tabac, le pavot, la garance, le houblon ; aussi avait-elle, depuis deux cents ans, acquis une grande renommée. Au commencement de ce siècle, un illustre agronome la citait comme un modèle dans un ouvrage demeuré célèbre1. C’est près d’elle, et peut-être inspiré par elle, que Dombasle fonda Roville ; c’est elle qui a produit cette pléiade d’industriels agronomes, dont les Schattenmann, les Lebel et les Rissler sont les dignes représentants ; c’est de l’une de ses fermes que sont sortis ces travaux considérables qui sont venus ouvrir un nouvel horizon à l’économie rurale, et donner à l’agriculture un monument dont la France a droit d’être fière2.

L’Alsace a-t-elle, dans les dix-huit ou vingt dernières années, poursuivi sa marche ascendante, ou son agriculture, sans cesser d’être prospère, est-elle menacée ? Son essor s’est-il arrêté ou seulement ralenti au milieu de la période de paix et d’abondance que nous venons de traverser ? Son avenir est-il compromis par les grandes réformes douanières accomplies récemment ? C’est ce que l’Enquête agricole doit révéler. La tâche à remplir est multiple : il faut montrer la situation exacte de l’agriculture alsacienne, ce qu’elle a été, ce qu’elle est ; il faut indiquer si elle marche dans une voie qui l’amène à ce qu’elle doit être, eu égard aux conditions actuelles de la société ; signaler quelles sont les améliorations à réaliser, quelle est la part qu’y doit prendre le Gouvernement ; quels sont les obstacles à renverser pour atteindre le but : tel est l’objet des études qui vont suivre.

 

 

 

CHAPITRE PREMIER.

LE SOL.

L’agriculture s’appuie sur la connaissance intime du sol, de sa nature et de son relief, sur la connaissance du climat, et sur l’appréciation de la qualité et du volume des eaux courantes. Pour apprécier la situation agricole d’une contrée, pour juger ses méthodes culturales et les améliorations dont elles sont susceptibles, une étude préliminaire sur sa topographie, sa géologie, sa climatologie et son hydrographie est donc utile, sinon indispensable. Ces considérations justifient l’exposé que nous allons donner. L’analogie complète que présentent, à ces divers points de vue, d’une part, les deux départements alsaciens, et de l’autre la communauté d’origine, l’union qui presque toujours leur a donné la même existence, la même histoire, expliquent pourquoi les deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin n’ont pas été décrits séparément.

Situation géographique. — L’Alsace forme l’angle extrême de notre frontière du nord-est ; sa limite septentrionale se trouve à peu près au même degré de latitude que Paris ; au sud, l’extrémité méridionale du Haut-Rhin s’avance jusque vers le parallèle de Dijon, de Tours et d’Angers. Les deux départements rhénans occupent donc une position méridionale par rapport à Paris, dont ils sont distants de 500 kilomètres environ vers l’est. Ils font partie de la région du nord-est de la France : ce sont les départements les plus éloignés des mers qui baignent l’Empire, et les plus rapprochés de l’Allemagne, de la Bohême, de la Hongrie, de la Basse-Autriche et des provinces Danubiennes. Ils sont situés entre la crête des Vosges, à l’ouest, et le Rhin qui, à l’est, les sépare du grand duché de Bade ; au midi, ils sont limités par les montagnes du Jura et par la Suisse ; au nord, la Lauter forme leur frontière avec le Palatinat.

Superficie. — Leur superficie est de 8,648 kilomètres carrés, possédés à peu près moitié par chaque département3 ; ils font partie de cette belle et riche vallée comprise entre les montagnes de la Forêt-Noire et la chaîne des Vosges, et au centre de laquelle circule, en méandres multiples, le fleuve si souvent chanté par les minnesingers.

Orographie. — Vue à vol d’oiseau, l’Alsace présente trois régions naturelles parfaitement déterminées, qui toutes sont parallèles entre elles, et parallèles à la chaîne des Vosges et au cours du Rhin.

La première région est celle des montagnes ;

Les collines adossées aux flancs est des Vosges constituent la deuxième région ;

La plaine, qui s’étend du pied de ces collines jusqu’au Rhin, en forme la troisième.

La région des montagnes comprend le versant oriental de la chaîne des Vosges ; la ligne de faite de ce massif, qui en est la limite à l’ouest, ne forme pas une ligne droite régulière ; de la chaîne principale se détachent des rameaux courant dans la direction de l’est ; l’extension inégale de ces rameaux donne à la figure de cette région une largeur irrégulière. Dans le Haut-Rhin, sa plus grande étendue, de l’est à l’ouest, est de 22 kilomètres ; sa dimension minimum est de 13 kilomètres. Dans le Bas-Rhin, sous le parallèle de Saverne, en même temps qu’elle se déprime, la chaîne des Vosges offre un rétrécissement considérable, car la largeur de la zone montagneuse n’est plus que de 6 à 8 kilomètres. Vers le nord elle s’élargit de nouveau, et finit par atteindre jusqu’à 40 et 50 kilomètres ; sa longueur est de 214 kilomètres, dont 120 dans le Bas-Rhin et 94 dans le Haut-Rhin. Cette région embrasse une surface de 2,166 kilomètres carrés4.

L’altitude des Vosges, aussi bien pour la chaîne principale que pour les rameaux qui s’en détachent, diminue à mesure que l’on avance vers le nord ; dans la partie méridionale du Haut-Rhin, on trouve les sommets les plus élevés : il en est qui atteignent 1,426 mètres. La ligne de faîte n’a plus que 887 mètres à la limite des deux départements ; l’abaissement va en se continuant dans le Bas-Rhin. Dans le nord de ce département, aucun des sommets ne dépasse 580 mètres ; l’altitude moyenne y varie entre 400 et 500 mètres.

Le versant alsacien des Vosges présente une pente beaucoup plus abrupte que le versant opposé ; il offre des escarpements et parfois de véritables falaises ; on y rencontre des parois rocheuses verticales ou des talus qui descendent des cimes ou des cols jusqu’au fond des vallées, sous une inclinaison qui ne dépasse pas 30 degrés5.

Le fond des vallées du versant occidental est beaucoup plus élevé au-dessus du niveau de la mer que celui des vallées correspondantes du versant alsacien6 ; il en résulte que le côté lorrain des Vosges présente de très-grandes différences d’altitude, de relief, de végétation, avec celui qui appartient aux départements rhénans.

Les montagnes de la Forêt-Noire offrent, dans leur structure et leur constitution géologique, une analogie frappante avec la chaîne des Vosges. Ces deux massifs montrent symétriquement les mêmes caractères : comme dans les Vosges, le versant rhénan de la Forêt-Noire est beaucoup plus escarpé que le côté opposé ; la ligne de faîte va en s’abaissant du sud au nord, et les sommets principaux correspondent avec ceux de la chaîne des Vosges. Comme dans cette dernière encore, les vallées du versant oriental de la Forêt-Noire ont une altitude plus grande que celles du versant rhénan ; enfin, les mêmes roches les constituent dans toutes les parties qui se font face : elles sont granitiques et schisteuses dans la partie méridionale ; elles appartiennent, d’un côté comme de l’autre, dans la partie septentrionale, au grès.

La disposition parfaitement symétrique des deux chaînes de montagnes s’explique, comme M. Élie de Beaumont l’a fait voir, par cette supposition que, lors de leur soulèvement, la partie centrale du bombement s’est effondrée comme une immense clef de voûte, en donnant naissance à la plaine du Rhin ; les deux massifs des Vosges et de la Forêt-Noire ne sont, en quelque sorte, que les deux culées de cette immense voûte, restées en place.

Beaucoup de montagnes, dans les Vosges, ont leur sommet arrondi ; cette forme concorde avec le nom de ballon que portent plusieurs d’entre elles. Ces ballons, à une altitude de 1,000 à 1,400 mètres, forment de beaux plateaux engazonnés, sur lesquels on peut circuler sans fatigue, en jouissant de l’immense panorama qu’offre la spacieuse et populeuse vallée du Rhin. Les Vosges présentent aussi des montagnes aux contours abrupts et aux sommets couronnés par d’énormes blocs de roches ; c’est sur ces hauteurs, là où elles dominent la plaine, qu’ont été construits ces nombreux et redoutables castels féodaux, la terreur d’autrefois, et qui, aujourd’hui, ne sont plus que des ruines pittoresques, où l’oiseau de proie seul trouve un abri.

De belles et profondes vallées, où l’industrie s’est introduite et développée, pénètrent dans le massif montagneux en donnant naissance à une douzaine de grands cours d’eau qui divisent chaque zone ou région en autant de segments réguliers. Le sol y est généralement assez pauvre et sablonneux ; il est formé de détritus granitiques ou d’éléments de roches de transition dans la totalité des montagnes des Vosges comprises dans le département du Haut-Rhin et dans la portion méridionale du Bas-Rhin ; au nord, il est constitué par du sable ou du gravier rouge, généralement très-léger et mélangé d’une faible portion d’argile, qui provient de la désagrégation de couches puissantes de grès rouge sous-jacentes ; aussi la culture y est-elle excessivement restreinte : c’est à peine si l’on rencontre, çà et là, quelques champs cultivés en pommes de terre, en seigle et en avoine.

La région des montagnes est le domaine presque exclusif des forêts ; le hêtre y croît à l’altitude la plus grande, à 1,000 et à 1,100 mètres ; plus bas, c’est le hêtre associé au sapin ; puis les pins et diverses essences feuillues dont se composent ces magnifiques forêts, qui couvrent, presque sans interruption, les cimes et les flancs de la chaîne des Vosges.

C’est seulement dans les vallées que cette immense nappe de verdure, à laquelle le pin, le hêtre, le chêne et le sapin donnent des tons tantôt sombres, tantôt clairs et gais, est interrompue pour faire place à de luxuriantes prairies où serpentent, comme des filets d’argent, de nombreux et gracieux cours d’eau. La population, très-clairsemée, est composée de bûcherons, qui vivent péniblement, récoltent un peu de pommes de terre, de laitage, et distillent la cerise pour en faire un produit renommé, le kirschenwasser.

Dans les vallées plus étendues, plus privilégiées, où le sol est meilleur, l’industrie laitière est pratiquée avec succès et livre au commerce des fromages estimés. La vigne elle-même a pénétré dans les parties les plus larges, en refoulant les bois des coteaux les mieux exposés pour s’implanter jusqu’à la dernière limite où le raisin puisse mûrir. C’est dans ces belles et riantes vallées que s’est concentrée la population de cette région ; ailleurs, les villages sont rares, composés de quelques maisons à peine ; à partir de 700 mètres au-dessus du niveau de la mer, on trouve peu d’habitations permanentes.

C’est, de toutes les parties de l’Alsace, la région la moins peuplée, et il est à constater que la population spécifique de chacun de ses districts varie avec la nature géologique du terrain qui les constitue : ainsi les cantons granitiques de la région des montagnes possèdent, dans le Bas-Rhin, à peine 6 habitants pour 100 hectares, tandis que les cantons dont le sol est formé par le grès des Vosges en ont 17 ; les districts, dans les terrains de transition, comptent de 66 à 92 habitants pour la même surface. La moyenne pour toute la région, dans le Bas-Rhin, est de 27 habitants par 100 hectares.

La partie des montagnes du Jura, comprise dans le sud du département du Haut-Rhin, se rattache par son altitude à la région montagneuse qui vient d’être décrite ; mais elle en diffère essentiellement par la nature du sol qui est constitué de roches calcaires profondément fissurées ; elle est d’ailleurs peu étendue, et elle forme une bande étroite qui limite l’Alsace au sud : son altitude moyenne est de 600 mètres. Le pays est très-accidenté, très-pittoresque, très-sec ; les sources y sont très-rares ; on y trouve peu de culture ; quelques bons pâturages existent dans le fond des vallées. Presque toute cette zone est, comme celle des Vosges, couverte de belles et grandes futaies.

La deuxième région, celle des collines, commence dans le Haut-Rhin, entre Belfort et Thann ; à partir de ce point, elle s’étend du sud au nord dans toute la longueur des deux départements. Elle consiste en une rangée de collines adossées aux massifs de Vosges ; elle est beaucoup moins étendue que la première région ; sous le parallèle du Vieux-Thann, elle n’a que quelques centaines de mètres de large, tandis que plus au nord elle atteint 3 kilomètres ; en général, dans le Haut-Rhin, sa largeur varie de 1 à 3 kilomètres.

Dans le Bas-Rhin, l’espace qu’elle occupe à sa limite sud s’élargit peu à peu jusque vers le milieu du département, puis il diminue sensiblement ; un peu au-dessous de Saverne, cette région ne forme qu’une bande étroite ; mais, dans l’arrondissement de Wissembourg, elle reprend une largeur imposante, et, franchissant la frontière, elle va former les riches coteaux du Palatinat.

La hauteur des collines de cette région varie de 450 à 230 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Cette zone ne se distingue pas seulement de la précédente par son altitude et son relief ; elle présente avec elle des différences tranchées, en ce qui concerne la nature du sol et l’aspect du pays. Les collines sous-vosgiennes appartiennent géologiquement à des terrains postérieurs à ceux qui constituent la région montagneuse ; on y rencontre le grès bigarré, les marnes irisées et le calcaire conchylien de la formation du trias, ou le terrain jurassique, ou encore des couches de terrain tertiaire plus ou moins recouvertes par le diluvium. Le sol cultivé participe de la nature de ces divers gisements ; il est de meilleure qualité que celui de la région des montagnes ; les eaux qui y coulent sont aussi plus riches. Tantôt la terre est de nature sablonneuse, graveleuse, tantôt elle est argileuse ou bien calcaire. Quelquefois les pentes sont abruptes, mais le plus souvent les coteaux ont la forme arrondie.

On y trouve peu de culture arable ; cette région est le domaine par excellence du vignoble. L’arbuste précieux occupe non-seulement les flancs des collines aux pentes douces qui s’étendent au pied des Vosges, mais il escalade encore, sur des gradins cyclopéens qu’il couvre de ses pampres, les escarpements les plus abrupts : il n’est pas de coin de terre, pas une anfractuosité de rocher inutilisée, pas d’exposition favorable qui ne soit conquise par lui, au prix souvent de travaux énormes ; il refoule les bois jusqu’à la dernière limite et va dans la plaine disputer les sillons aux céréales. Des chemins étroits et admirablement tenus serpentent sur les flancs des collines pour desservir le vignoble ; les villages sont nombreux et populeux, environnés de vergers ; les cours de ferme sont petites et encombrées de fumier et d’échalas. Les maisons y sont de forme généralement irrégulière et de construction antique pour la plupart, mais bien tenues, bien peintes ; toute cette région, avec ses coteaux couverts d’une forêt de grands échalas plantés sur des lignes serrées et d’une régularité parfaite, produit un aspect de richesse et de prospérité des plus grandes.

C’est aussi, sans contredit, le pays le plus riant et le plus peuplé de l’Alsace, puisque la population y atteint les chiffres de 200, 300 et jusqu’à 440 habitants par 100 hectares.

Le Sundgau. — C’est à la région des collines subvosgiennes qu’on peut rattacher le pays connu sous le nom de Sundgau et les cantons transvosgiens de Saar-Union et de Drulingen dans le Bas-Rhin.

Le Sundgau comprend toute la portion méridionale du département du Haut-Rhin qui s’étend entre les montagnes du Jura, et une ligne qui, passant par Mulhouse, suit la base des collines de ce nom jusqu’à Thann, d’un côté, et aboutit, de l’autre, à Neuwiller, près de Bâle, en longeant à peu près le tracé du chemin de fer de Mulhouse à cette dernière ville. Cette petite région, formée par les dernières ramifications des montagnes du Jura qui viennent expirer peu à peu au sud de l’Alsace, a, pour altitude moyenne, 355 mètres ; elle appartient au terrain tertiaire ; mais une couche plus ou moins épaisse de diluvium, composé, dans des proportions convenables, de sable, d’argile et de calcaire, et recouvrant presque partout le dépôt tertiaire, lui donne une fertilité très-grande. Les ondulations de la surface y ont créé des vallées et des collines ; les premières sont consacrées aux pâturages, les secondes aux céréales ; les sommets les plus élevés, où le sol est maigre, sont couverts de bois ; les portions de collines les mieux exposées sont livrées à l’arboriculture et à la vigne. C’est une contrée riche où l’industrie a pris un certain développement, et où l’on trouve une culture soignée.

Quant à la portion transvosgienne du Bas-Rhin, elle fait partie de la formation du grès bigarré, du calcaire et des marnes irisées du trias. Le terrain y est d’assez bonne qualité, mais sa situation sur le versant occidental de la chaîne des Vosges, son altitude et son climat froid n’y permettent pas la culture de la vigne : l’orge, l’avoine, le seigle et les pommes de terre sont les principaux produits de ce district.

La troisième région ou la plaine est le pays de la culture arable par excellence ; c’est de beaucoup la plus étendue7, puisqu’elle occupe plus de la moitié de la superficie de l’Alsace ; elle ne forme pas toutefois une zone bien homogène ; des différences sensibles se remarquent dans l’altitude, le relief et la nature du sol. Quand on s’éloigne de la région du vignoble, on traverse d’abord un pays dont la surface est légèrement ondulée et présente des collines arrondies : on remarque que ces ondulations vont en diminuant de hauteur à mesure qu’on se rapproche du fleuve, et finissent par disparaître, tantôt insensiblement, tantôt brusquement ; à quelque distance du Rhin, il n’existe plus qu’une surface horizontale sans le moindre accident de terrain ; les rivières y coulent lentement à fleur de terre. Avant les beaux travaux d’endiguement exécutés sur le Rhin, les eaux du fleuve s’épanchaient à chaque crue sur cette portion de la plaine, car son point le plus élevé est à peine de 3 mètres au-dessus du niveau moyen du fleuve, tandis que la partie ondulée a toujours été complètement insubmersible, l’altitude de ses principales collines variant de 170 à 300 mètres, et sa limite extrême la plus rapprochée du Rhin dominant le niveau des hautes eaux, de 8 à 10 mètres. Ces différences ont amené la division de la plaine d’Alsace en deux grandes zones : la plaine haute et la plaine basse.

La plaine haute appartient à la formation du diluvium ; d’après les géologues8, l’immense gouffre, produit par l’effondrement de la partie centrale du soulèvement qui se terminait d’une part au massif de la Forêt-Noire et de l’autre aux Vosges, aurait été comblé en grande partie, d’abord par les dépôts de la mer tertiaire, puis par des bancs de cailloux, que les torrents descendant des montagnes auraient accumulés après le retrait des eaux ; le diluvium aurait achevé le comblement par un dépôt limoneux ; le Rhin et ses affluents, rencontrant cette immense couche de terre, se seraient ouvert un passage pour atteindre la mer du Nord, et le diluvium rongé, délayé et emporté au loin, aurait été former pour la race hatave un pays tout entier à conquérir et à peupler. La zone dans laquelle le diluvium a été enlevé jusqu’au banc de cailloux, forme la plaine basse ; dans la plaine haute, le diluvium est resté en place en grande partie, il a seulement pris son modelé actuel ; ses collines et ses mamelons ne semblent pas avoir d’autre origine que l’action érosive des eaux à une époque où leur volume et leur régime ne devaient déjà plus différer de beaucoup de ceux qu’ils ont aujourd’hui.

Dans le Haut-Rhin, le diluvium occupe presque toute la vallée : il s’étend sur la rive droite de l’Ill et s’avance jusqu’à 3 ou 4 kilomètres des rives du Rhin ; il embrasse environ 215,000 hectares, ou 52 p. 100 de la superficie totale du département. Dans le Bas-Rhin, le dépôt a une étendue moindre, 150,000 hectares à peu près, la zone fluviale submersible étant plus large.

La plaine haute ne présente dans toute son étendue ni le même sol ni le même aspect ; indépendamment des dépôts d’alluvions modernes, formés sur les deux rives des cours d’eau qui la traversent, on trouve à l’issue de toutes les vallées principales des Vosges des dépôts de cailloux ou des bancs de sable qui vont généralement s’élargissant en forme de delta à mesure qu’on approche du Rhin. Ces terrains coupent la plaine transversalement et la divisent en plusieurs parties ; ils atteignent sur quelques points des dimensions considérables. Tel est le cas des collines de sable presque pur, privé de calcaire et fortement coloré en rouge par du fer, qui occupent toute la partie de la plaine haute comprise entre la Moder et la Sauer sur une largeur de 12 à 14 kilomètres. Ces dépôts, d’une épaisseur de 5 à 6 mètres, reposent sur le terrain tertiaire et proviennent évidemment des montagnes voisines de grès rouge que les eaux pluviales ont entamées, rongées et entraînées dans la plaine. Le sol en est de médiocre qualité et convient surtout à la culture forestière. La forêt de Haguenau est placée sur un terrain de cette nature.

Le Haut-Rhin présente aussi dans la haute plaine, entre Cernay et Lutterbach, près de Mulhouse, une bande de mauvais terrain, des graviers ingrats : l’Ochsenfeld, que de généreux et courageux citoyens essayent de vivifier en y fondant et soutenant une institution de bienfaisance (asile de Cernay). Dans le sud du Bas-Rhin, on rencontre encore dans la plaine haute de grandes pâtures tourbeuses communales mal aménagées, comme tout ce qui est communal.

A part ces quelques exceptions, le sol de cette zone est d’excellente qualité ; les géologues le désignent sous le nom de loess, de lehm ou encore de loam ; il renferme tous les éléments provenant de la désagrégation des roches qui constituent les Alpes, le Jura et les Vosges ; il est de couleur gris-jaunâtre, et comprend, dans les proportions les plus convenables, tous les principes utiles à la végétation : du carbonate de chaux (15 à 30 p. 100), de la potasse (1 à 2 p. 100), de l’acide phosphorique ; le sable et l’argile y sont associés au calcaire de manière à donner aux sols les propriétés physiques les plus avantageuses ; la terre est assez perméable sans l’être trop. Elle est donc facile à travailler en toute saison ; de plus, elle a de la profondeur : aussi les terrains que le loess constitue sont-ils d’une fertilité remarquable, et les districts assez heureux pour les posséder ont toujours joui d’une grande prospérité ; l’éden de l’Alsace, le Kochersberg, est le plus renommé ; depuis longtemps la jachère y a disparu, et la terre, libéralement traitée, y donne jusqu’à deux récoltes dans l’année. Les villages, dans toute cette région, sont spacieux, très-rapprochés les uns des autres et reliés par de magnifiques routes ombragées de beaux pommiers ou de grands noyers ; les fermes, avec leurs toits aigus ou avancés, sous lesquels sèchent des guirlandes de feuilles de tabac ou d’épis de maïs, avec leur architecture originale, leurs sculptures décoratives sur bois, la fraîcheur de leurs peintures, avec leurs habitants aux visages placides et aux costumes pittoresques et variés, montrent tous les indices de la prospérité, de l’aisance et du bonheur domestique. La haute plaine est sans contredit, avec le vignoble, le plus riche pays de l’Alsace ; c’est aussi l’un des plus peuplés : le loess, en effet, pour une superficie de 75,600 hectares dans le Bas-Rhin, compte une population de 136,650 âmes : ce qui fait près de 2 habitants par hectare.

La plaine basse. — La basse plaine, qui comprend la portion de la vallée du Rhin actuellement submersible, n’a pas la même importance dans les deux départements rhénans. Elle embrasse le tiers de la surface du département du Bas-Rhin, et n’occupe que la dixième partie du territoire du Haut-Rhin9 : dans ce dernier département, elle forme une zone de 3 à 4 kilomètres. Dans le Bas-Rhin, si la région alluviale n’a que quelques kilomètres de largeur près de Strasbourg, au nord et au sud de la capitale de l’ancienne Alsace, elle s’élargit considérablement et a jusqu’à 12 et 14 kilomètres d’étendue sur certains points.

La partie superficielle de la plaine du Rhin est formée 10, en général, sur une épaisseur de 10 centimètres à 1m,50 d’un limon sablonneux, qui a été apporté par les eaux du fleuve pendant l’époque actuelle ; ce limon est formé des mêmes éléments que le loess, c’est-à-dire d’argile, de sable, de calcaire, de potasse et d’autres sels ; le gravier qui forme le sous-sol se compose de galets analogues à ceux qu’on trouve dans le lit actuel du Rhin ; ils sont mélangés de sable au tiers ou à moitié de leur volume. Là où le gravier prédomine, le sol, profondément drainé par la perméabilité excessive des couches sous-jacentes, souffre beaucoup de la sécheresse, surtout si l’épaisseur du sol est faible. Les alluvions de l’Ill sont beaucoup plus riches que celles du Rhin : aussi, partout où elles se sont produites, le sol est-il d’une très-grande fertilité et, pour le moins, aussi peuplé que les districts les meilleurs du loess. Là où le gravier affleure, la sécheresse tue toute végétation, la culture disparaît pour faire place à de mauvaises pâtures ou au bois : tel est le district couvert par la grande forêt de la Hardt ; ailleurs, comme dans le Rieth, le sol bas, tourbeux, manquant d’écoulement, pèche par un excès d’humidité et forme des prairies marécageuses pour la transformation desquelles un chimiste alsacien, M. Jérôme Nicklès, enlevé à la science par une mort prématurée, a proposé récemment un moyen aussi efficace que facile11.

Toutefois, la proportion des bonnes terres l’emporte sur celle des mauvaises, et la population spécifique de la zone alluviale s’élève encore à un chiffre considérable, puisqu’elle est de 166 habitants par 100 hectares dans le Bas-Rhin. Déjà protégée, améliorée et assainie par les beaux travaux d’endiguement qui ont assigné au Rhin un lit régulier et invariable, cette contrée, que traversent de magnifiques canaux et une rivière dont les eaux sont riches et abondantes, paraît encore susceptible de grandes et fructueuses améliorations.

 

 

 

CHAPITRE II.

LE CLIMAT.

Les trois grandes régions naturelles qui viennent d’être décrites ne se distinguent pas seulement par la nature, l’altitude et le relief des terrains qui les constituent : elles ont encore chacune un climat caractéristique.

La région montagneuse a un climat froid, rigoureux comme celui de tous les pays de montagnes ; la neige recouvre, pendant six mois de l’année, les cimes qui atteignent 1,000 mètres de hauteur : ailleurs les froids durent quatre et cinq mois, suivant l’altitude. Les pluies y sont fréquentes et abondantes : la couche d’eau météorique qui tombe annuellement dans cette région atteint, dans certains districts, 1m,50 et plus, comme il résulte d’une communication faite à l’Académie des sciences par M. Charles Grad12. La quantité d’eau tombée est généralement proportionnelle à l’altitude du lieu, c’est-à-dire qu’elle est d’autant plus forte que l’on s’élève davantage ; quoique l’air y soit chargé de beaucoup d’humidité, l’atmosphère ne laisse pas d’être pure et souvent claire sur les plus hautes cimes. Pendant l’hiver et l’automne, il n’est pas rare de voir la brume envelopper la plaine, des journées entières, d’un sombre et triste manteau, alors que, dans la montagne et même sur les collines, le soleil brille de tout son éclat. Le petit nombre de jours durant lesquels la température est propice à la végétation, explique le peu d’extension de la culture arable dans la région montagneuse ; l’avoine, le seigle et la pomme de terre, à peu près seuls, y trouvent la chaleur suffisante pour pousser, et encore ont-ils de la peine à arriver à parfaite maturité, aussi la production des grains y est-elle très-aléatoire, et fournit-elle de faibles rendements dans les années les plus favorables.

L’abondance des pluies et la grande humidité de l’air y permettent, par contre, la croissance des graminées, qui donnent des fourrages de qualité supérieure ; et de belles et riches prairies garnissent le fond des vallées bien exposées ; partout ailleurs, les magnifiques forêts qui ont pris possession du sol et couvrent presque toute cette région montrent, par la beauté et la vigueur de leurs arbres, que les bois se trouvent réellement à leur place dans les montagnes.

Le climat de la plaine d’Alsace, quoique tempéré, est variable. La température moyenne de l’année est la même qu’à New-York, à Londres, à Paris, à Dresde, à Prague et en Crimée ; mais elle présente les caractères du climat continental plus qu’aucune autre partie de la France sous le même degré de latitude. Pendant l’été, elle est plus élevée, et le froid de l’hiver plus intense ; ainsi, durant les trois mois de juin, juillet et août, la température moyenne est de 18 degrés centigrades. Durant le printemps et l’automne, elle est de 10 degrés, tandis que la moyenne des trois mois d’hiver descend à 1°,3. Les écarts de température, dans le même jour, dans le même mois, sont considérables, ainsi qu’on peut le constater à l’examen des tableaux météorologiques13.

Un fait important à noter dans le climat de la plaine d’Alsace, c’est la persistance d’une température élevée pendant une grande partie de l’année ; en ne considérant que les moyennes mensuelles, on constate que, des premiers jours d’avril au 1er novembre, la température est supérieure à la moyenne de l’année. Avril et octobre ont à peu près la température moyenne. Les mois de mai, juin, juillet, août et septembre, c’est-à-dire cent cinquante jours, jouissent d’une température variant entre 15 et 19 degrés. Du 1er novembre au 1er avril, la température tombe considérablement : elle varie entre 0°,5 et 5°,5.

Cette répartition de la chaleur solaire et la haute température qui règne en Alsace durant les mois d’été expliquent pourquoi certains végétaux qui exigent, dans un temps donné, une grande somme de calorique, prospèrent parfaitement en Alsace, tandis qu’ils ne réussissent pas dans des localités où la température moyenne de l’année est égale ou supérieure même à celle de la vallée du Rhin. C’est à leurs étés chauds que les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin doivent de posséder de riches vignobles, de pouvoir cultiver le maïs dans leurs champs, et d’ombrager leurs routes et leurs habitations de beaux châtaigniers, de noyers productifs et d’autres arbustes de pays bien plus méridionaux.

Ce climat exceptionnel provient, d’une part, de ce que, en raison de son éloignement des mers, l’Alsace ne subit pas l’influence tempérante de l’Océan, et, de l’autre (c’est la cause principale), de la conformation de la vallée rhénane. La grande chaîne des Vosges abrite, en effet, cette contrée du vent d’ouest ; de l’autre côté, les montagnes de la Forêt-Noire la protègent contre les vents d’est. Ce n’est qu’au sud-ouest, entre les dernières collines du Jura et le massif des Vosges, et au nord, entre les Vosges et la Forêt-Noire, que la plaine d’Alsace manque d’abri et se trouve ouverte aux mouvements de l’atmosphère.