Études politiques et économiques - Edouard Boinvilliers - E-Book

Études politiques et économiques E-Book

Edouard Boinvilliers

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Beschreibung

Sous l’ancienne monarchie tout pouvoir venait du Roi ; le Roi allait et venait dans son royaume ; il n’était forcé par aucune loi, par aucune convenance de résider à Paris, d’une manière continue ; les États généraux qui avaient été réunis par son ordre, à des intervalles éloignés, avaient siégé en province, et c’était aussi en province que résidaient les Parlements. L’autorité en France était donc libre. Elle devint prisonnière le jour où elle ne fut plus représentée par un prince seul, mais par ce prince assisté d’un Parlement parisien. En effet, cette Assemblée demi-souveraine était forcée, par la nature même de son rôle législatif et le grand nombre de citoyens qu’elle contenait,à une existence sédentaire.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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ÉTUDES

POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES

Edouard Boinvilliers

1877

© 2022 Librorium Editions

 

ISBN : 9782383832423

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PRÉFACE

PARIS LE TYRAN

CHAPITRE PREMIER - La première victoire de Paris

CHAPITRE II - Le Parisien détrône le Roi de France

CHAPITRE III - Les révolutionnaires regrettent d’avoir confié à Paris le sort de la Révolution.

CHAPITRE IV - Premiers enseignements à recueillir.

CHAPITRE V - La France déshonorée par Paris.

CHAPITRE VI - La théorie des massacres patriotiques.

CHAPITRE VII - Réfutation par les révolutionnaires de la théorie du massacre patriotique.

CHAPITRE VIII - L’armée du mal à Paris. — Son recrutement. — Son action.

CHAPITRE IX - Combats livrés dans Paris à la tyrannie parisienne.

CHAPITRE X - Victoire définitive de Paris contre la France.

CHAPITRE XI - Révolte impuissante des campagnes et des villes

CHAPITRE XII - Révolte de l’esprit religieux contre l’impiété parisienne.

CHAPITRE XIII - Les Vendéens vaincus et leur cause triomphante.

CHAPITRE XIV - Les élections de Paris et celles de la France.

CHAPITRE XVI - Conclusion 1789-1800

CHAPITRE XVI - La France détrône Paris

CHAPITRE XVII - La Conspiration de Malet.

CHAPITRE XVIII - Paris but de la coalition.

CHAPITRE XIX - Pourquoi Marie-Louise et le roi de Rome abandonnèrent Paris.

CHAPITRE XX - Imprévoyance de la bourgeoisie de Paris.

CHAPITRE XXI - Le refuge en France fait défaut à Louis XVIII comme à Marie-Louise.

CHAPITRE XXII - Le Parlement parisien et révolutionnaire de 1815.

CHAPITRE XXIII - Du mépris de la gloire.

CHAPITRE XXIV - Le Parlement bourgeois et parisien de 1815.

CHAPITRE XXV - Deuxième Parlement de la Restauration.

CHAPITRE XXVI - Troisième Parlement de la Restauration.

CHAPITRE XXVII - Le quatrième Parlement de la Restauration.

CHAPITRE XXVIII - La Bourgeoisie révolutionnaire sans le savoir et sans le vouloir.

CHAPITRE XXIX - Projets de résistance en province

CHAPITRE XXX - Fatuité naïve du Parisien vainqueur.

CHAPITRE XXXI - Les périls des révolutions faites par Paris et pour Paris.

CHAPITRE XXXII - Le défaut d’autorité, résultat de la nouvelle loi électorale.

CHAPITRE XXXIII - Paris cause et théâtre de l’assassinat de nos Rois.

CHAPITRE XXXIV - L’ombre de Napoléon projetée sur le gouvernement de Juillet.

CHAPITRE XXXV - Des conséquences de la fortification de Paris.

CHAPITRE XXXVI - La pente par où glissent les gouvernements élevés sur les barricades parisiennes.

CHAPITRE XXXVII - Le Bourgeois parisien conservateur().

CHAPITRE XXXVIII - Deuxième orgie révolutionnaire de Paris.

CHAPITRE XXXIX - Du rôle de Paris sous l’Empire.

CHAPITRE XL - Troisième orgie révolutionnaire parisienne.

CHAPITRE XLI - Conclusion.

NOTES

I

II

III

IV

V

VI

VII

LETTRE AUX ÉLECTEURS

UNE VISITE A CHISLEHURST - EN 1871

CULTES ET BEAUX-ARTS

DÉPENSES GÉNÉRALES

DÉPENSES EXTRAORDINAIRES

 

PRÉFACE

On dit partout que le Français est léger, frondeur, sans religion et ingouvernable ; le Français, au contraire, est un citoyen sensé, religieux, et en même temps le plus facile des hommes à gouverner.

Depuis la grande Révolution, notre gouvernement a changé bien des fois, et le monde a répété : Ces Français sont incorrigibles !

Or, ce sont les Parisiens seuls qui font les révolutions, et c’est la France qui les subit ; la vérité, c’est que les Parisiens sont des fous et que la France reste sage ; la vérité, c’est que Paris est le tyran et la France l’esclave.

Ces convulsions périodiques et stériles amèneront, si l’on n’y porte remède, la fin de ce pays charmant, de ce pays qu’on ne peut s’empêcher d’aimer, même lorsqu’on n’est pas Français ; de ce pays dont l’Américain Jefferson disait : « Tout homme en naissant a « deux patries : la sienne d’abord, la France ensuite. »

Quelle peine, quelle affliction, quelle véritable douleur ressentiraient toutes les âmes élevées si ce trésor intellectuel, cette source intarissable de courage vaillant et facile, ce cœur d’or si compatissant à toutes les infortunes, ce champion chevaleresque de toutes les causes justes, cet être si complet, parce qu’il sait s’oublier, si notre chère France venait à disparaître ! Quelle douleur, et aussi quelle catastrophe ! Quel abaissement dans le niveau de la moralité universelle, si l’on réussissait à tuer cet être séduisant parce qu’il est épris du juste plutôt que de l’utile ; et que si l’utile est humain, le juste est divin !

La maladie dont meurt la France, c’est Paris !

Ce livre a pour but de prouver cette vérité, et, après l’avoir démontrée, de rechercher le remède au mal.

L’auteur de cet ouvrage manquerait le but qu’il veut atteindre s’il prenait position entre les partis politiques qui sont en lutte ; il n’a point à faire de profession de foi, sa foi politique étant connue ; mais il tient à mettre le lecteur en garde contre une pensée qui se présentera à son esprit : ce qu’il va lire n’est pas, en effet, une thèse impérialiste. C’est une oeuvre française, c’est la revendication de l’indépendance d’un grand et noble pays contre la tyrannie de ce politique imbécile qu’on appelle le Parisien !

PARIS LE TYRAN

CHAPITRE PREMIER

La première victoire de Paris

Sous l’ancienne monarchie tout pouvoir venait du Roi ; le Roi allait et venait dans son royaume ; il n’était forcé par aucune loi, par aucune convenance de résider à Paris, d’une manière continue ; les États généraux qui avaient été réunis par son ordre, à des intervalles éloignés, avaient siégé en province, et c’était aussi en province que résidaient les Parlements.

L’autorité en France était donc libre. Elle devint prisonnière le jour où elle ne fut plus représentée par un prince seul, mais par ce prince assisté d’un Parlement parisien. En effet, cette Assemblée demi-souveraine était forcée, par la nature même de son rôle législatif et le grand nombre de citoyens qu’elle contenait,à une existence sédentaire. L’inexpérience de nos pères permit à ces souverains de se fixer à Paris, dans la capitale du pays ; de ce jour la fatalité nous a poursuivis, et nous avons roulé de révolutions en révolutions.

C’est une sottise de forcer nos législateurs à vivre et à légiférer au milieu d’une ville qui compte près de 2 millions de citoyens, et de les soumettre ainsi aux caprices de cette fourmilière humaine ; toutes les précautions militaires prises pour sauver l’honneur de ce corps politique sont et seront éternellement vaines. D’ailleurs, une magistrature quelconque qui sent le besoin d’avoir près d’elle une épée dévouée capable de la protéger contre la violence de la rue est déjà sans liberté ; la crainte, à elle seule, est une atteinte sérieuse à l’indépendance.

Le jour où le Roi a partagé son autorité avec un Parlement permanent, le Parisien s’est attaqué à celui des deux pouvoirs qu’il avait sous la main, il l’a discrédité, bafoué, amoindri, et finalement l’a jeté par les fenêtres de son palais. C’était facile à prévoir, non pas seulement pour nous que de fréquentes et terribles catastrophes ont éclairés, mais même pour nos ancêtres, les philosophes qui accumulaient dans la seule capitale de la France, ville du plaisir, de l’élégance, de la richesse, toutes les forces vives de l’administration du pays.

Tandis que cet effort énergique de concentration produisait ses fruits naturels, c’est-à-dire augmentait démesurément la puissance de cette capitale, le pouvoir du chef de l’Etat avait beaucoup diminué et sa liberté de mouvement, qui était une sauvegarde naturelle contre les violences des multitudes, devenait un avantage illusoire depuis que les assemblées politiques légiféraient sous la pression, parfois dissimulée, mais toujours constante des masses populaires.

En 1789, l’Assemblée était réunie à Versailles ; dépositaire fidèle des vœux du pays, consignés dans les cahiers des électeurs, elle était unanimement résolue à organiser en France la monarchie, à doter le pays d’une constitution monarchique : c’était un vœu fort sensé et digne des efforts de tous les citoyens intelligents ; mais pour faire passer ce vœu dans la pratique il aurait fallu avoir la sagesse de résister à la multitude parisienne ; or, le jour même où l’Assemblée se réunit au Jeu de Paume, elle fut déjà sur le point de se transporter à Paris, et il fallut toute la présence d’esprit de Bailly pour qu’il ne fût pas donné suite à ce fâcheux dessein. Quelle séduction avait donc la capitale pour que tous les députés voulussent y courir ? Elle en avait une bien grande, au moins pour les meneurs du Parlement, qui, craignant les résistances de la cour et de la noblesse, cherchaient dans les ardeurs politiques de la capitale une aide, un appui, contre leurs adversaires. Ils sentaient déjà confusément que la rue est hostile par instinct à toute autorité comme à toute discipline, et pour menacer et ruiner l’autorité ils recherchaient la rue ; un révolutionnaire a horreur des champs, il ne travaille que dans la grande ville.

Bien que Bailly eût été nommé maire de Paris et que Lafayette commandât les gardes nationales ; bien que ce fussent deux hommes honnêtes et aussi courageux qu’honnêtes, ils ne purent empêcher, ni l’un ni l’autre, que les masses mises en mouvement par l’agitation naturelle du temps et par des meneurs payés ne criassent chaque jour dans les rues qu’il fallait faire revenir à Paris le bon roi Louis XVI, et le séparer ainsi de gens qui le détournaient de se fier à l’amour de son bon peuple de Paris ! La pression était devenue si forte que les deux célèbres citoyens ne crurent plus pouvoir résister à un vœu qui se traduisait d’ailleurs par un langage très respectueux et en des termes qui respiraient la plus chaude affection pour le Roi.

Il fut donc décidé que ce malheureux prince irait visiter sa bonne ville de Paris, et le 17 juillet 1789 il fit son entrée à l’Hôtel de Ville, en passant sous une voûte d’épées croisées au-dessus de sa tête en signe d’honneur. En rentrant à Versailles la Reine, agitée par de sinistres pressentiments, se jeta dans les bras de son mari, comme s’il venait d’échapper à un grand danger.

Paris s’essayait à la domination et le Roi à la faiblesse : Paris devinait, avec l’instinct de tous les révolutionnaires, que Louis XVI serait un otage entre ses mains, il voulait le conquérir ; aussi à sa première visite il le couvrit d’applaudissements, le Parisien a de la littérature et il sait qu’on couronne les victimes avant de les immoler.

Un mois plus tard (30 août), Saint-Hurugues fait une motion au Palais-Royal, pour aller à Versailles protéger les jours de Mirabeau, menacés, dit-on, par les aristocrates, et aussi pour empêcher le vote du veto ; c’est le commencement de l’ingérence de la populace dans les détails mêmes du gouvernement ; c’est sa prétention ouvertement avouée d’opprimer par sa masse et ses cris les pouvoirs réguliers de l’Etat. Il ne se passait pas de jour que des motions pareilles ne circulassent dans la grande ville. A la fin on céda et, s’inspirant d’une pratique révolutionnaire, qui fut renouvelée bien des fois par la suite, les meneurs mirent en avant les femmes de la halle et, sous la conduite de Maillard, les entraînèrent jusqu’à Versailles.

On sait les désastres qui s’ensuivirent et la conduite héroïque de Lafayette qui, trop faible pour résister au torrent, voulut au moins prévenir des catastrophes en le dirigeant.

Le Roi, vaincu à son tour, promit de rentrer à Paris, et la famille royale alla s’installer dans le château des Tuileries, vide depuis un siècle et où rien n’avait été préparé pour la recevoir ; l’Assemblée fit naturellement comme le Roi et, le 19 octobre 1789, elle rentra dans la capitale après avoir reçu les assurances les plus formelles de la part de la commune, qui se prétendit en mesure de garantir au Roi la sécurité et à l’Assemblée l’entière liberté de ses délibérations.

Singulier aveuglement du temps présent ! Paris, par ses seules menaces, avait réussi à ramener dans son sein les deux pouvoirs souverains de l’Etat, à les arracher à Versailles où ils pouvaient se défendre, et on se confiait à la modération d’une populace surexcitée, enorgueillie de sa victoire et décidée à tout oser parce qu’elle venait de faire l’épreuve de sa force ! De loin elle avait su se faire obéir, et maintenant qu’elle tenait sous sa main avide et sans scrupule le gouvernement tout entier, on se flattait de la maintenir dans le devoir ! Il y a vraiment des fatalités, car ces vérités élémentaires n’ont pas été, sans doute, inaperçues des contemporains, et s’ils ont cédé c’est que l’entraînement était irrésistible.

Paris, en mettant la main sur le Roi, venait de mettre la main sur la France.

CHAPITRE II

Le Parisien détrône le Roi de France

Les victoires semblables à celles dont nous venons de faire le récit ont de longues et de terribles conséquences ; car pour avoir cédé une fois, on cédera toujours. Il n’y a pas d’étapes sur le chemin de la faiblesse. Deux généraux ennemis, qui luttent à ciel ouvert avec leurs armées, ne se sentent jamais inquiets sur leur honneur. L’émeutier qui soulève la rue et le prince qui hésite à la balayer pourraient-ils en dire autant ? Triste victoire que celle-là ! Il est dans la donnée philosophique de la force de s’arrêter, parce que monter est chose rude, mais la loi de la gravitation qui précipite vers la terre les corps physiques s’applique aux consciences timorées et aux cœurs faibles.

Un prince ne doit jamais céder, quand il n’a plus la. pleine possession de son autorité ; une concession de sa part n’est légitime et féconde que lorsqu’elle est un cadeau de sa toute-puissance.

Un pouvoir révolutionnairement attaqué doit périr plutôt que de s’abaisser. A Waterloo, la garde aurait pu se rendre ; en préférant la mort elle ne fit qu’ajouter une page aux pages si nombreuses qui racontaient depuis vingt ans nos gloires et notre courage ; mais lorsque la scène se passe dans les rues de Paris, il faut préférer le roi Charles X, qui lutte, au roi Louis-Philippe, qui ne lutte pas ; et si le peuple conserve un bon souvenir des deux Napoléon qui ont régné en France, ils le doivent, en partie du moins, à ce préjugé favorable, que ni l’un ni l’autre ne se seraient abaissés devant des barricades, si l’étranger leur avait laissé la possibilité de se défendre.

Le malheureux Louis XVI était pour ainsi dire prisonnier à Paris ; entre les mains de la Commune ce n’était plus qu’un otage qu’on aspirait à transformer en martyr. Au surplus l’émeute armée ne s’égara pas, elle savait sa force contre le Roi, et tout en se donnant souvent le plaisir félin de lui faire sentir ses griffes, elle n’oubliait pas l’obstacle principal à sa toute-puissance ; le vrai souverain, c’était encore l’Assemblée ; l’émeute chercha donc à avilir cette autorité redoutable et à la rendre peu à peu souple à ses desseins sanguinaires.

La journée du 20 juin 1792 satisfit amplement aux deux passions qui animaient alors la Commune.

Dès le 15, circulait à Paris, et principalement dans les faubourgs, la nouvelle d’une fête destinée à glorifier le souvenir du serment du Jeu de Paume (20 juin), il s’agissait — comme les révolutionnaires se copient ! — de la plantation d’un arbre de la liberté sur la terrasse des Feuillants. Il va sans dire que l’arbre de la liberté était le prétexte et que l’on se proposait d’effrayer à la fois le Roi et l’Assemblée par la réunion d’une multitude armée qui ne contenait pas moins de 40,000 piques, comme on disait alors !

Le Roi, dans ces circonstances douloureuses, se montra ferme ; mais l’Assemblée, guidée par ces girondins qui devaient faire tant de mal avec de si honnêtes intentions, et par Pétion, le maire de Paris, l’ancêtre illustre de M.Prudhomme, — qui voulait donner une leçon au pouvoir, — se montra maladroite et faible. Elle croyait encore à la nécessité de combattre l’autorité, lorsque l’œil le moins clairvoyant devait apercevoir que l’autorité seule avait besoin d’être secourue. Au surplus, il est bien possible que Pétion, ainsi que ses amis, ne se refusassent pas à admettre au fond de l’âme une vérité aussi éclatante, mais ils n’étaient pas encore eux-mêmes le gouvernement, et ils voulaient devenir les maîtres ; alors, instinctivement et presque naïvement, ils étaient résolus à être de l’opposition jusqu’ au moment où, l’institution monarchique ayant disparu, ils trouveraient devant leur ambition toutes les barrières ouvertes.

Vers onze heures du matin, l’Assemblée se réunit ; tout le monde connaissait la manifestation projetée, et tremblait qu’elle ne dépassât le but qu’on avait secrètement assigné à son action. Rœderer s’élance à la tribune et parle d’un rassemblement extraordinaire de citoyens, qui s’est formé malgré la loi et malgré les efforts du département : ce rassemblement paraît avoir pour but de célébrer l’anniversaire du 20 juin, et de porter un nouveau tribut d’hommage à l’Assemblée.

Cette populace parisienne, lâchée dans la rue, était déjà si sûre de son pouvoir qu’elle commandait l’hypocrisie et qu’un brave homme qui venait de faire tous ses efforts pour empêcher la manifestation d’avoir lieu, qui savait, comme tous ceux qui n’étaient pas absolument stupides dans Paris, que les faubourgs et leurs chefs n’avaient pas le moins du monde l’intention d’honorer l’Assemblée, était cependant dans l’obligation étroite de voiler sa pensée. Il rappelle toutes les lois qui vont être violées par le tumulte qui se prépare, et engage l’Assemblée à montrer quelque fermeté, « car, dit-il, aujourd’hui, des pétitionnaires armés se portent ici par un mouvement civique, mais demain il peutse réunir une foule de malveillants, et alors, je vous le demande, messieurs, qu’aurions-nous à leur dire ? »

La discussion s’engage ; à droite, on applaudit, à gauche, on murmure. Vergniaud fait observer que, déjà, on a reçu des pétitionnaires armés, et que ceux d’aujourd’hui auraient raison de se plaindre si on les traitait différemment. — Dumolard avoue l’abus, mais exige qu’on le fasse cesser, si l’on ne veut pas que l’Assemblée et le Roi paraissent, aux yeux de l’Europe, les esclaves de la populace d’une grande ville. — Pendant qu’on discute, l’émeute s’approche ; on annonce à l’Assemblée une lettre de Santerre. « Les habitants des faubourgs, dit cette dépêche, célèbrent le 20 juin, on les a calomniés, ils demandent à être admis à la barre de l’Assemblée, pour confondre leurs détracteurs et prouver qu’ils sont toujours les hommes du 14 juillet. »

Les tribunes applaudissent à tout rompre, et il y a tout lieu de croire que ces braves gens, arrachés pour quelques heures à leur gagne-pain, croyaient comme article de foi à la pureté et au civisme de leur démarche ; il n’y avait que ceux qui proclamaient bien haut l’innocence de la manifestation, que ceux qui la conduisaient secrètement, qui sussent à quoi s’en tenir. Enfin la populace frappe à la porte du Palais, Vergniaud l’ouvre par ces paroles qui révèlent une évidente complicité : « Justement inquiets de l’avenir, les pétitionnaires veulent prouver que, malgré toutes les intrigues ourdies contre la liberté, ils sont toujours prêts à la défendre. » — Le tumulte est à son comble. — « Ils sont 10,000, « dit un député, et nous ne sommes « que 750, retirons-nous. — A l’ordre ! à « l’ordre ! » Un autre s’élance à la tribune ; « Dépêchez, dépêchez-vous, lui crie-t-on « de toutes parts, 10,000 citoyens attendent.« — Si 10,000 Parisiens m’attendent« , réplique Ramond, 24 millions de « Français ne m’attendent pas moins ! »

Comme il arrive toujours en pareil cas, l’émeute enhardie brise les derniers obstacles, pénètre dans la salle, et remet cette célèbre pétition qui devait être un hommage rendu à l’Assemblée : « Le peuple est prêt, « il n’attend que vous, il est disposé à se « servir de grands moyens pour exécuter « l’article 2 de la Déclaration des droits de « l’homme : résistance à l’oppression. — Que « le petit nombre d’entre vous qui ne s’unit « pas à vos sentiments et aux nôtres purge la « terre de la liberté et s’en aille à Coblentz... « Cherchez la cause des maux qui nous menacent« ; si elle dérive du pouvoir exécutif, « qu’il soit anéanti ! »

Puis commence le défilé des souverains, Leurs Majestés du ruisseau armées de piques, de vieux fusils, de sabres ébréchés, coiffés du bonnet rouge, les femmes portant leurs enfants qui commençaient ainsi de bonne heure leur apprentissage révolutionnaire ; les cris, les vociférations, les injures, les plaisanteries odieuses ou ordurières trouvaient naturellement leur place dans cette orgie de désordre, et pendant trois mortelles heures l’Assemblée, silencieuse, accepta l’hommage des faubourgs.

La moitié de la besogne était faite, et si les girondins avaient consenti à courber la tête devant l’émeute, c’était pour forcer une tête plus illustre et plus haut placée que les leurs à se courber à son tour ; ils consentaient à recevoir les embrassements dégoûtants de la rue, à condition qu’elle irait salir le palais du Roi. Ces mauvais desseins ne furent qu’à moitié réalisés ; la populace, sortant de l’Assemblée, se dirigea naturellement vers le Carrousel, et la trahison de quelques officiers de la garde nationale lui ouvrit le palais. Les Tuileries reçurent l’affront qu’avait subi la demeure de nos législateurs, mais le prince fut le seul à avoir un beau rôle dans cette triste journée, et tandis que l’Assemblée s’était abaissée devant les piques et les carmagnoles, le Roi s’était relevé fier et digne sous l’outrage. Le moment de la justice n’était pas arrivé, car l’Assemblée complaisante allait bientôt recevoir le salaire de sa bassesse, tandis que la Révolution réservait au Roi courageux bien des occasions de monter dans l’estime des honnêtes gens avant de monter vers Dieu.

L’Exécutif, comme on l’appelait alors, n’avait pas capitulé ; c’était donc une affaire à recommencer, et les girondins, qui étaient à la tête du mouvement et, pour parler plus exactement, qui avaient tout permis sans se mettre positivement en avant, crurent cette fois devoir à leur ambition, peu déguisée d’ailleurs, de se prononcer plus ouvertement ; ils se posaient en héritiers légitimes et nécessaires du pouvoir disparu, il était donc naturel qu’ils aidassent à le faire disparaître ; avec cette absence de scrupules qui caractérise toutes les assemblées politiques où la responsabilité divisée équivaut à une absence de responsabilité, nos honnêtes girondins se mirent à la besogne : le prince n’avait pas été renversé le 20 juin, on le renversa le 10 août.

Les meneurs de la populace, éclairés par leur première tentative, ne commirent pas la faute de ne songer au Roi qu’après avoir soumis l’Assemblée ; ils avaient trouvé dans le palais du Prince plus de fierté et moins de soumission que dans celui des législateurs. Le programme de l’émeute fut donc changé : au Roi d’abord, aux Tuileries, là seulement était la résistance ; il serait toujours temps de dicter ses volontés à un Parlement devenu peureux et docile.

Ainsi fut fait : Louis XVI, assiégé, se réfugia à l’Assemblée, pendant que s’opérait, sans même l’apparence d’un prétexte, le sac des Tuileries et l’égorgement des Suisses. Le programme s’exécuta de point en point ; on était venu à bout de l’Exécutif, on se précipita, la menace à la bouche et le vin sur les lèvres, sur le Législatif et on demanda au maître de légaliser le fait accompli.

Vergniaud, en serviteur fidèle, apporte aussitôt et fait voter par l’Assemblée le décret suivant : « Louis XVI est provisoirement« suspendu de sa royauté. — Un plan « d’éducation est ordonné pour le prince « royal. — Une Convention nationale est « convoquée. »

Ainsi, grâce aux efforts de Paris, avec l’aide de cette multitude toujours au service des ambitieux qui la flattent et la paient, la Révolution avait absolument dévié de son but originaire. On voulait un Roi, et on voulait que ce Roi fût Louis XVI. La France l’avait universellement dit par ses électeurs et l’avait consigné dans tous les cahiers généraux écrits sous sa dictée. Paris venait de décider à lui seul que les vœux de la France seraient dédaignés. Il n’y avait pas un des meneurs de cette insurrection perpétuelle, qui durait depuis la rentrée du Roi dans sa bonne ville de Paris, qui ne sût de la manière la plus certaine que, si le pays eût été consulté, il eût blâmé et châtié toutes les violences de la politique parisienne ; mais on se gardait bien de le consulter. A chaque instant, on rappelait les droits du peuple, et on les violait autant de fois qu’on les rappelait. Il était convenu que le peuple, c’était et ce ne serait jamais que les 10,000 citoyens qui, le 20 juin, attendaient à la porté du palais législatif ; quant aux 24 millions de Français dont parlait Ramond, c’était une quantité à négliger.

CHAPITRE III

Les révolutionnaires regrettent d’avoir confié à Paris le sort de la Révolution.

Il serait cependant injuste de prétendre que personne ne pensait au pays. Sans doute, les vainqueurs du jour s’appuyaient sur le ruisseau triomphant, mais les vaincus, mais ceux qui avaient cédé une première fois et permis que la France s’abaissât devant Paris, ceux-là songeaient à cette chère France qu’ils avaient oubliée, eux aussi, à ce vaillant pays qu’ils savaient ennemi de toute lâcheté.

Mirabeau, trouvant la Constitution nouvelle détestable, voyant bien que le Roi n’y était plus rien, résolut de transporter Louis XVI dans une ville de province où il pourrait recouvrer une indépendance qu’il avait absolument perdue. Là, le Roi se serait exprimé en toute liberté sur la situation faite à la France et à sa personne, et la Révolution, au moins Mirabeau l’espérait ainsi, aurait été enrayée dans ce qu’elle faisait déjà présager d’excessif.

De son côté, l’aristocratie, qui n’avait pas pour se guider le génie de l’illustre tribun, mais qui se sentait menacée comme son chef, n’eut besoin que de consulter son intérêt pour aboutir aux mêmes conclusions ; et, pendant que Mirabeau arrangeait son plan, la cour, qui comptait, non sans raison, sur le dévouement de Bouillé, prit secrètement le chemin de la frontière, espérant donner la main aux troupes du général ; mais Paris courut après sa victime qui lui échappait, et l’on sortit de Varennes en véritable vaincu ; le soir de l’arrivée du Roi, on criait déjà aux jacobins : la déchéance ! la déchéance !

Lafayette, à son tour, forma les mêmes projets. Il voulut aussi soustraire Louis XVI à la pression révolutionnaire qu’il subissait, et l’arracher à sa prison parisienne. Ce Cromwell-Grandisson, comme l’appelait Mirabeau, dans ses jours de mauvaise humeur, ce révolutionnaire, fort correct et tout à fait constitutionnel au début, n’avait pas tardé à être dépassé, et, en honnête et galant homme qu’il était, il s’offrit au Roi pour le ramener au milieu de ses soldats.

Si ce plan réussissait dans cette première partie, et que Paris refusât de rentrer dans la loi et d’écouter les ordres du pays, Lafayette et le vieux général Lukner étaient décidés à marcher sur la capitale et à la réduire. Une lettre de M. de Lafayette, écrite le 8 janvier 1792, mentionne avec détails toutes les précautions prises pour assurer la réussite de ce projet : « J’avais, écrit-il, disposé mon armée de manière que les meilleurs escadrons de grenadiers et l’artillerie à cheval étaient sous les ordres de X... Si ma proposition avait été acceptée, j’amenais en deux jours à Compiègne 15 escadrons et 8 pièces de canon, le reste de l’armée était placé en échelons à une marche d’intervalle...

« J’avais conquis Lukner au point de lui faire promettre de marcher sur la capitale avec moi, si la sûreté du Roi l’exigeait, et pourvu qu’il en donnât l’ordre.

« ... Je le répète encore, il faut que le Roi sorte de Paris, je sais que, s’il n’était pas de bonne foi, il y aurait des inconvénients, mais quand il s’agit de se confier au Roi, qui est un honnête homme, peut-on balancer un instant ?... » Cette lettre se terminait ainsi ; « En vérité, quand je me vois entouré d’habitants de la campagne, qui viennent de dix lieues et plus pour me voir et pour me jurer qu’ils n’ont confiance qu’en moi, que mes amis et mes ennemis sont les leurs ; quand je me vois chéri de mon armée, sur laquelle les efforts des j acobins n’ont aucune influence ; quand je vois, de toutes les parties du royaume, arriver des témoignages d’adhésion à mes opinions, je ne puis croire que tout est perdu et que je n’ai aucun moyen d’être utile. »

Le Roi, qui certainement avait de sérieux reproches à se faire pour avoir cédé à l’émeute parisienne et consenti à quitter Versailles, ne pardonnait guère à M. de Lafayette de l’avoir poussé à cette faiblesse, source de toutes celles qui avaient été commises comme de toutes celles qui restaient à commettre ; il ne lui pardonnait pas non plus de s’être montré partisan de la révolution et confondait, fort mal à propos, sous ce titre, les révolutionnaires parisiens avec les révolutionnaires français, ceux qui avaient dicté les cahiers des Etats généraux avec ceux qui les déchiraient chaque jour ; Louis XVI eut grand tort de ne pas accepter les offres si généreuses du jeune général, car, sans être grand prophète, on peut bien affirmer qu’en arrachant le Roi à sa prison on changeait le cours de la révolution : rendre Louis XVI à la France, c’était rendre à la France sa liberté ; pourquoi faut-il que la passion soit touj ours écoutée ? Ce prince, qui fut si digne et si malheureux qu’on a presque honte d’adresser quelques reproches à sa mémoire, ne se souvint pas que, conformément au sentiment politique de M. de Lafayette, il avait été le premier révolutionnaire de son royaume, qu’il avait consenti, souhaité, exigé, que son pouvoir royal fût limité et précisé, et que la nation fût appelée périodiquement à donner son avis sur la marche des affaires et à voter l’impôt ; cette révolution, le Roi l’avait voulue comme Mirabeau, comme Lafayette, comme Turgot, comme tous les philosophes ; quel était donc son grief contre un galant homme qui s’offrait à le sauver et à sauver avec lui la révolution tout entière ?

Le Roi répondit : « Je suis infiniment « sensible à l’attachement pour moi qui « le porterait ainsi à se mettre en avant, « mais la manière me paraît impraticable. « Ce n’est pas par crainte personnelle, « mais tout serait mis en j eu à la fois, et « quoi qu’il en dise, ce projet manqué ferait « retomber tout pire que jamais, et de plus « en plus sous la férule des factieux : Fontainebleau« n’est qu’un cul-de-sac, ce « serait une mauvaise retraite, et du côté « du midi : du côté du nord cela aurait l’air « d’aller du côté des Autrichiens.

« ..... « Le meilleur conseil à donner à M. de « Lafayette est de servir toujours d’épouvantail« aux factieux, en remplissant bien « son métier de général : par là il s’assurera« de plus en plus la confiance de son « armée et pourra s’en servir comme il « voudra au besoin. »

Eh ! sans doute il y avait des inconvénients à aller au nord et aussi des difficultés à aller au midi, mais il y en avait bien plus à conduire le Roi et la France à l’échafaud ! Il fallut donc abandonner cette espérance d’arracher l’esclave à son tyran, car, dès cet instant, il ne faut pas s’y tromper, c’est le ruisseau de Paris qui est vainqueur ; il a dicté à Vergniaud et à ses amis la conduite à tenir, la seule conduite qui pût leur assurer la popularité et par suite le pouvoir. Vergniaud et ses amis ont obéi, comme obéira demain Danton, et ensuite Robespierre et enfin Marat. Ils avaient l’air de conduire l’émeute, ces grands émeutiers, et ils n’en étaient que les très-humbles serviteurs.

Comme autrefois les empereurs donnaient du pain et des spectacles, ils jetaient des têtes au peuple parisien enivré de sang et ils obtenaient le pouvoir.

Les regards attristés de l’historien se détournent de cette abominable capitale et se reportent involontairement sur notre grand et fier pays, auquel on rendait tant d’hommages involontaires. Les républicains eux-mêmes avaient sur ce point absolument les mêmes opinions que les aristocrates ; sans doute ils se servaient de Paris pour leur détestable ambition, mais ils le craignaient aussi, et cela pour bien des raisons ; ils avaient fait par eux-mêmes la preuve des convictions parisiennes, et ils ne doutaient pas que les moyens qu’on avait pratiqués pour obtenir une terreur rouge, pussent faire aboutir à une terreur blanche ; il suffisait pour cela d’un succès des armées alliées, et d’une menace de leur part contre la capitale. Les républicains de l’époque où nous sommes parvenus avaient les craintes les plus sérieuses d’une victoire remportée par l’étranger, et ils méditaient de se retirer dans l’intérieur de la France, pour y installer le gouvernement de leur rêve. Paris était un sable mouvant sur lequel on ne pouvait rien édifier, ils en étaient déjà convaincus.

La province, à laquelle on voulait ainsi faire cadeau de la République, aurait sans doute repoussé courtoisement un pareil présent, mais ce qu’il importe de remarquer, ce n’est pas l’illusion, fort pardonnable, des républicains au sujet de la province, mais la preuve qu’ils donnaient à leur tour de leur peu de confiance dans la fermeté et la droiture des sentiments politiques de la capitale, et au contraire, leur inclination naturelle vers la France, lorsqu’il s’agissait de lui confier les destinées d’une idée qu’ils croyaient aussi belle que généreuse.

Roland, Barbaroux, Servan le ministre de la guerre et presque tous les girondins effrayés se réunissaient souvent et déploraient en commun la marche des événements. On se proposait, si le Nord était forcé par l’Europe victorieuse de déserter Paris, dont la versatilité et la bassesse ne promettaient aucune résistance, de se jeter dans le Midi, où l’on implanterait et ferait aimer la jeune République. Battu sur le Rhin, elle se retirerait derrière la Loire : « Plus loin encore, ajoute Barbaroux, nous avions l’Auvergne, les buttes escarpées, les ravins, les belles forêts et les montagnes du volcan jadis embrasées par le feu et maintenant couvertes de sapins : lieux sauvages où les hommes labourent la neige, mais où ils vivent indépendants. Les Cévennes nous offraient, encore un asile trop célèbre pour n’être pas redoutables à la tyrannie ; et à l’extrémité du Midi nous trouvions pour barrières l’Isère, la Durance, le Rhône depuis Lyon jusqu’à la mer, les Alpes et les remparts de Toulon. Enfin, si tous les points avaient été forcés, il nous restait la Corse, la Corse où les Génois et les Français n’ont pu naturaliser la tyrannie, qui n’attend que des bras pour être fertile et des philosophes pour l’éclairer. »

Que diraient, grands dieux ! nos modernes républicains s’ils connaissaient l’éloge enthousiaste que fit de la Corse le beau Barbaroux ?

Il fallut bientôt songer à mettre ce plan projeté à exécution ; les ennemis approchaient, un avantage même momentané pouvait leur livrer la route de Paris ; le ministre de la guerre et avec lui tous les gens sensés pensaient que Dumouriez et Lafayette, vu le petit nombre de soldats aguerris dont ils disposaient, ne pourraient barrer le chemin à l’ennemi, et dix jours après la célèbre et néfaste journée du 10 août, tous les membres modérés du cabinet proposèrent de se retirer à Saumur, pour assurer la sécurité et l’indépendance des autorités représentant la souveraineté nationale.

On pensait avec raison que, dans une grande ville comme Paris, les esprits surexcités par l’approche de l’ennemi se livreraient aux derniers excès et qu’une réaction inévitable emporterait le frêle édifice constitutionnel ainsi battu en brèche par les adversaires du dedans et ceux du dehors. On commençait à avoir l’intuition, confuse il est vrai, des dangers inévitables que court un gouvernement renfermé dans une capitale où se trouvent réunis et concentrés tous les pouvoirs de l’Etat ; cette vérité, qui n’a été que trop de fois démontrée depuis cette époque, ne fut pas comprise alors, ou plutôt fut sciemment négligée par les révolutionnaires qui avaient le plus de crédit sur l’opinion publique ; on se rappelle que Vergniaud combattit la mesure, et comme il n’est pas supposable que cet homme fort intelligent méconnût le danger pressant, il faut bien admettre que sa politique secrète allait jusqu’ aux extrêmes, et que son ambition, encore gênée par la présence d’un Roi, souhaitait un mouvement populaire qui ferait taire toutes les résistances intérieures ; quoi qu’il en soit des sentiments modérés de cet homme d’Etat, dont le rôle politique s’est constamment borné à tout permettre, il allait trouver à côté de lui un tribun capable de tout oser.

Se retirer de la capitale, transporter le gouvernement dans un coin quelconque de la France, c’était abandonner la suprême puissance de la rue, celle qui alors ôtait et donnait des couronnes. Sortis de Paris, les révolutionnaires ne devaient plus songer au pouvoir. Peut-on comprendre un Danton ou un Robespierre provincial ? A la vérité, la Révolution aurait eu un cours plus paisible, la France n’aurait pas eu à rougir de Paris, mais la République n’eût pas existé, et les trois terribles dictateurs n’auraient pas régné : car c’est pour la République, c’est-à-dire pour le soin de leur pouvoir, qu’ils se sont vautrés dans le sang, et non pour la Révolution, qui vécut déshonorée jusqu’au moment où un grand homme la releva en l’imposant au monde.

« On vous propose de quitter Paris, dit Danton ; vous n’ignorez pas cependant que dans l’esprit de nos ennemis Paris représente la France, et que leur céder ce point c’est leur abandonner la Révolution. Reculer c’est nous perdre, il faut donc nous maintenir ici par tous les moyens et nous sauver par l’audace. Parmi les moyens proposés, aucun ne m’a semblé décisif : il ne faut pas se dissimuler la situation dans laquelle nous a placés le 10 août. Il nous a divisés en républicains et en royalistes, les premiers peu nombreux et les seconds beaucoup ; dans cet état de faiblesse, nous républicains nous sommes exposés à deux feux : celui de l’ennemi placé au dehors et celui des royalistes placés au dedans. Il est un directoire royal qui siége secrètement à Paris et qui correspond avec l’armée prussienne. Vous dire où il se réunit, qui le compose, serait impossible aux ministres, mais pour le déconcerter et empêcher sa funeste correspondance avec l’étranger, il faut... il faut faire peur aux royalistes ! » et ces derniers mots furent accompagnés d’un geste sinistre que tous les assistants comprirent, mais qui ne provoqua parmi eux que la stupeur.

Les massacres de septembre viennent d’être décidés !

Ainsi les premiers républicains, aussi bien que le Roi, que Bouillé et Lukner, aussi bien que Mirabeau et Lafayette regrettaient ardemment d’avoir confié le sort de leur œuvre à Paris, et cherchaient à échapper à sa tyrannie, mais il était trop tard : Paris avait vaincu la France.

CHAPITRE IV

Premiers enseignements à recueillir.

Tout est à méditer dans cette vigoureuse harangue de Danton et l’on est presque tenté de tirer de la foule des vaniteux et des maniaques ce révolutionnaire hardi, qui crie ses projets par-dessus les toits, qui joue sa tête pour le succès de son ambition. Ne parlez pas à ce grand tribun débraillé des hypocrisies de langage que l’on rencontre à tous les coins de rue, dans la tourbe des révolutionnaires, Danton se bat non pour la Révolution mais pour la République. Il sait que la Révolution était monarchique, il sait que la France l’est encore et que les républicains y sont en fort petit nombre. Que faire ? Terrifier ses ennemis par des mesures atroces. Il n’y avait que ce moyen capable de sauver non pas la Révolution, mais la République ; de donner au pays non pas le roi constitutionnel qu’il avait demandé et qu’il demandait encore, mais un dictateur sanglant et une république déshonorée dans son berceau ; enfin de prolonger la tyrannie de Paris sur la France.

Il est tout à fait inutile de s’arrêter sur l’allégation d’un directoire royaliste, siégeant à Paris, et se cachant si bien que personne n’en avait jamais entendu parler, et si habile que les ministres eux-mêmes étaient incapables de donner le moindre renseignement sur son existence ! Ce sont là de ces histoires qu’on jette à la foule comme on le ferait d’un appât, pour l’ameuter contre des ennemis dont on veut se débarrasser. Mais ce qu’il importe de remarquer davantage, c’est l’opinion qu’on avait déjà, à cette époque, sur le rôle de Paris, en cas de guerre étrangère. Danton le disait avec vérité : abandonner Paris, c’est dans la pensée des alliés abandonner la Révolution. C’est déserter notre cause. Paris était donc déjà l’objectif unique de l’Europe coalisée qui, en voyant tous les pouvoirs publics concentrés sur un seul point, avait l’ambition naturelle de s’en rendre maîtresse, pour avoir sous la main toutes les autorités du pays et par conséquent le pays lui-même : les alliés nourrissaient d’ailleurs l’espérance de faire naître, par leur seule approche, une révolution favorable à leurs intérêts.

Cette espérance, rêve à cette époque, a été réalisée plus tard ; concentrer tous les pouvoirs publics à Paris, c’est véritablement guider l’épée de l’étranger sur le cœur même de la France.

Il faut ajouter à cet enseignement une seconde vérité tout aussi incontestable que la première. En effet, on s’étonne qu’un projet aussi naturel, aussi sensé, que celui de mettre le gouvernement à l’abri d’un coup de main de l’étranger, n’ait pas prévalu sur les ardeurs révolutionnaires de Danton et sur l’ambition mal déguisée des girondins ; mais il faut aussi se rendre compte d’un sentiment fort naturel, fort légitime, qui animait tous les hommes de quelque valeur : il leur en coûtait et il en coûtera toujours à un gouvernement, quel qu’il soit, de paraître fuir le danger en abandonnant le poste du combat, l’endroit le plus menacé, la ville où l’on est le plus connu, la capitale dont il semble qu’on ait plus particulièrement à prendre la défense parce qu’on y vit.

Un pouvoir politique est bien vite abaissé dans l’opinion, si on le suppose incapable de courage, et en abandonnant Paris, il semble trahir sa faiblesse. Sans doute il fallait avoir l’énergie de paraître faible, et organiser partout ailleurs qu’à Paris une résistance qui est impossible dans cette fourmilière d’hommes toujours en ébullition, mais quelle difficulté aussi depuis que l’imprévoyance commune avait tout réuni entre les mains des Parisiens !

L’histoire à la main, soyons donc bien pénétrés de cette vérité, que non-seulement on ne défend pas la France dans Paris, que non-seulement les Parisiens ne s’arment pas sérieusement contre l’étranger et qu’ils s’arment au contraire contre les citoyens inoffensifs qu’ils traitent d’aristocrates ; mais que c’est beaucoup trop tard de penser à éloigner le gouvernement de la capitale lorsque l’étranger frappe à nos portes. Tous les bons et tous les mauvais instincts de la population se réunissent alors pour rejeter la seule mesure que conseille la raison.

Les bons disent que les chefs ne peuvent pas abandonner leurs soldats en péril, et les mauvais abusent de ce bon sentiment pour déchaîner la multitude et assurer leur domination.

Pour que le gouvernement puisse se déplacer facilement, il faut de toute nécessité qu’une portion de ce même gouvernement soit constitutionnellement placée ailleurs qu’à Paris. C’est dans la capitale que doivent vivre le chef du pouvoir exécutif et tous ses collaborateurs quotidiens ; la centralisation et l’unité de notre patrie sont à ce prix, mais rien n’empêche de faire travailler dans une ville de province nos corps délibérants ; en cas de danger, le chef de l’Etat se rendrait au milieu des citoyens élus, des législateurs du pays. Tout le monde trouverait alors sa conduite aussi naturelle que sage, personne ne crierait à la lâcheté, et le gouvernement serait de la sorte complet, et complet ailleurs qu’à Paris, c’est-à-dire échappant à la fois à la révolution et à l’étranger.

CHAPITRE V

La France déshonorée par Paris.

« Les prisons ne sont pas sûres ! » avait dit un guichetier à une malheureuse femme qui s’obstinait à suivre son mari jusqu’au cachot.

Le dimanche 2 septembre, les massacres commencent dans Paris. Vingt-quatre prêtres enfermés à l’Hôtel de Ville pour refus de serment sont transportés à l’Abbaye. Les assassins se font la main sur ces premières victimes ; après les avoir insultées pendant le trajet, et au moment d’atteindre la prison, on les fait descendre de voiture et on les tue.

« Peuple, tu immoles tes ennemis, tu fais ton devoir ! » s’écrie Billaud-Varennes. « Il n’y a plus rien à faire ici, répond Maillard, allons aux Carmes ! » Deux cents prêtres étaient enfermés dans cette église : on les tue.

Avant de se rendre à l’Abbaye, on passe devant la section des Quatre-Nations et l’on demande du vin pour les braves travailleurs qui délivrent la nation de ses ennemis. Les portes de l’Abbaye sont enfoncées. Les Suisses ont les honneurs des premiers coups. « C’est vous, dit Maillard, qui avez assassiné le peuple au 10 août ? » « C’est faux ; nous étions attaqués, et d’ailleurs nous obéissions à nos chefs. » On les tue.

Là périrent Montmorin, l’ancien ministre, Thierry, valet de chambre du roi, et des centaines de victimes obscures.

La nuit venue, on n’interrompit pas la besogne patriotique et l’on tua, jusqu’au 5 septembre, au Châtelet, à la Force, à la Conciergerie, aux Bernardins, à la Salpêtrière et à Bicêtre. Les assassins étaient d’ailleurs régulièrement payés. « Mes amis, leur disait Billaud-Varennes, en égorgeant des scélérats, vous avez sauvé la patrie. La France vous doit une reconnaissance éternelle, et la municipalité ne sait comment s’acquitter envers vous ; elle vous offre 24 livres à chacun, et vous allez être payés sur-le-champ. »

Huit à dix mille prisonniers avaient été égorgés.

On ne s’expliquerait pas l’inertie des autorités pendant ces tristes journées, car il est bien évident qu’elles n’étaient pas toutes complices de ces horreurs, si l’on ne se rendait compte de ce qu’est Paris en temps de révolution ; cette grande ville est littéralement à la merci de toutes les violences, parce que les forces morales et matérielles qui, en temps ordinaire, suffisent à contenir les mauvais instincts, sont nulles ou discréditées.

Roland, le ministre de l’intérieur, voulut réagir ; Pétion aussi ; mais que peuvent des hommes isolés qui donnent des ordres dans le vide, sans avoir le moyen de les faire exécuter ?

Il n’y avait qu’une autorité qui fût encore assez respectée pour être obéie : c’était l’Assemblée ; en se transportant en masse dans les prisons, elle aurait certainement trouvé sur sa route une poignée de soldats et de gardes nationaux de bonne volonté, et l’on aurait sauvé non-seulement bien des malheureux, mais, ce qui est plus important encore, l’honneur de la France et de la Révolution. L’Assemblée se contenta de gémir et d’entasser décrets sur décrets pour recommander la modération ; et les girondins, qui surent si noblement mourir pour avoir voulu faire condamner les assassins de septembre, n’eurent pas le courage d’empêcher le massacre. Leur vie politique est pleine de ce courage tardif et à contre-sens. La moralité de ce carnage est contenue dans la pièce suivante, adressée à toutes les communes de France par le Comité de surveillance de la commune de Paris :

« Frères et amis,

« Un affreux complot tramé par la cour « pour égorger tous les patriotes de l’Empire« français, complot dans lequel un « grand nombre de membres de l’Assemblée« nationale sont compromis, ayant réduit« , le 19 du mois dernier, la commune « de Paris à la cruelle nécessité d’user de « la puissance du peuple pour sauver la nation« , elle n’a rien négligé pour bien mériter« de la patrie...

« Fière de jouir de toute la plénitude de « la confiance nationale, qu’elle s’efforcera « de mériter de plus en plus, placée au « foyer de toutes les conspirations et déterminée« à périr pour le salut public, elle ne « se glorifiera d’avoir fait son devoir que « lorsqu’elle aura obtenu votre approbation« , qui est l’objet de tous ses vœux et « dont elle ne sera certaine qu’après que « tous les départements auront sanctionné « ses mesures pour le salut public. Professant« les principes de la plus parfaite égalité« , n’ambitionnant d’autre privilége que « celui de se présenter la première à la brèche« , elle s’empressera de se soumettre « au niveau de la commune la moins nombreuse« de l’Empire, dès qu’elle n’aura « plus rien à redouter. Prévenue que des « hordes barbares s’avançaient contre elle, « la commune de Paris se hâte d’informer « ses frères de tous les départements « qu’une partie des conspirateurs féroces « détenue dans les prisons a été mise à « mort par le peuple ; acte de justice qui lui « a paru indispensable pour retenir par « la terreur les légions de traîtres renfermées« dans ses murs au moment où il allait« marcher à l’ennemi ; et, sans doute, « la nation, après la longue suite de trahisons« qui l’ont conduite sur les bords de « l’abîme, s’empressera d’adopter ce moyen « si utile et si nécessaire ; et tous les Français« se diront comme les Parisiens : nous « marchons à l’ennemi ! ne laissons pas « derrière nous des brigands pour égorger « nos femmes et nos enfants.

« Paris, ce 2 septembre 1792.

« DUPLAIN, PAIN, SERGENT, LENFANT, « MARAT, LEFORT, JOURDEUIL,

« Administrateurs du Comité de surveillance « constitué à la mairie. »

Jusqu’alors, Paris s’était soustrait au joug bienfaisant du pays, et s’était intrépidement moqué de ses aspirations les plus sages ; il avait fait pour son usage et à son image une révolution qui ne ressemblait en rien à celle qu’avait demandée la France ; mais c’était la première fois qu’il osait recommander officiellement le massacre comme un moyen de gouvernement utile et même nécessaire ; de là à fournir la province d’assassins brevetés et assermentés, il n’y avait qu’un pas, et il fut bien vite franchi.