1,49 €
Sous le régime français, il n’y eut pas d’organisation municipale, au sens où on l’entend aujourd’hui. Selon les époques, notre ville fut gérée par les gouverneurs particuliers, les intendants, les subdélégués des intendants ou les juges.
Mais comme la collectivité des habitants avait parfois besoin de quelqu’un pour veiller à l’intérêt commun et assumer des obligations au nom de tous, Louis XIV permit, dès 1644, aux colons de Ville-Marie et autres lieux, d’élire un représentant nommé syndic, qui resterait en fonction pendant trois ans consécutifs et ne recevrait aucun émolument.
Aux attributions déjà signalées, le roi, en 1648, en ajouta une autre. Les Syndics de Montréal, Trois-Rivières et Québec reçurent alors mission de choisir parmi les habitants, tous les trois ans, deux des membres du Conseil qui administra la Nouvelle-France entre 1648 et 1662.
Ces fonctionnaires dont le rôle fut utile et qui, en somme, ont été les Maires de Montréal au dix-septième siècle n’occupent certainement pas dans notre histoire locale, la place qui leur est due : plusieurs ignorent leurs noms et bien peu savent quelque chose de leur vie. Pourquoi ne leur accorderait-on pas une parcelle de notoriété ?
Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:
Veröffentlichungsjahr: 2023
FAITS CURIEUX
de l’Histoire de Montréal
par
E.-Z. MASSICOTTE
avec
Une Préface et un Index
par
CASIMIR HÉBERT
© 2023 Librorium Editions
ISBN : 9782385744243
PRÉFACE
LES SYNDICS DE VILLE-MARIE AU XVIIe SIÈCLE
SŒUR BOURGEOYS FUT-ELLE ACCUSÉE D’HOMICIDE ?
LES INCENDIES À MONTRÉAL SOUS LE RÉGIME FRANÇAIS
PAUVRE PETIT !
LE CHÂTIMENT D’UN CHANSONNIER À MONTRÉAL AU XVIIIe SIÈCLE
LES ARPENTEURS DE MONTRÉAL AU XVIIe ET AU XVIIIe SIÈCLE 1642-1800
L’ORIGINE DU NOM DES SŒURS GRISES
FLEURY MESPLET
LES JOURS FÉRIES SOUS LE RÉGIME FRANÇAIS
SOCIÉTÉS POLITIQUES SECRÈTES CANADIENNES FRANÇAISES depuis la cession jusqu’à la confédération
LES PREMIERS EUROPÉENS À MONTRÉAL
UN PHILANTHROPE CANADIEN FRANÇAIS, M. ANTOINE-OLIVIER BERTHELET
AUTEUR ET COMÉDIEN
LA PLACE ROYALE
LE TRAVAIL DES ENFANTS, À MONTRÉAL, AU XVIIe SIÈCLE
ANCIENNES LOTERIES À MONTRÉAL
M. DE CHAMPLAIN ET M. DE MAISONNEUVE À MONTRÉAL EN 1613 !
LA COMPLAINTE DES 40 NOYÉS
HÉROS OUBLIÉS
TABLE ANALYTIQUE
Si l’on a pu dire que la curiosité est la source des malheurs du genre humain, que notre mère Ève par son action a ouvert la cassette de Pandore, il n’en reste pas moins vrai que la curiosité a été pour l’humanité l’occasion de tous les progrès, la mère des inventions, l’origine des découvertes.
La curiosité est parente de l’esprit d’observation. Et c’est ce qui permit à Newton de découvrir la loi de la pesanteur et de l’attraction centripète, à Franklin d’inventer son paratonnerre, à Christophe Colomb d’ouvrir des terres nouvelles à la vieille Europe. Les Gutenberg, les Laplace, les Leverrier, les Branly, les Pasteur, les Claude Bernard, les Blériot, les Perry, les Livingstone, les Jacques Cartier, les Champlain et tous ceux qui les ont imités ou qui leur ressemblent ont été des curieux.
La liste des curieux est plus longue que les nomenclatures des dictionnaires. Souvent les initiateurs d’une science ou les pionniers d’une invention sont inconnus et ce sont ceux qui ont perfectionné leur œuvre qui en ont recueillitoute la gloire. L’on sait, et que cet exemple suffise, comment Colomb n’eut pas même l’honneur de donner son nom au continent qu’il avait découvert et que nous habitons.
Aux curieux nous devons tant que je suis tenté de dire que nous leur devons tout. Vivent les curieux !
Cultivons la saine curiosité.
Mais nous n’en connaissons pas de plus légitime, de plus utile, de plus instructive, de plus négligée, que la curiosité des choses du passé ; grande et petite histoire des peuples, des familles et des individus.
En effet, c’est par l’étude du passé que l’homme apprend à se gouverner, à régler sa conduite, à diriger ses pas ; c’est dans l’histoire que les rois et les gouvernants vont chercher des flambeaux pour éclairer leur politique, des exemples ou précédents pour justifier leur action présente ou méditée. L’histoire a été avec raison appelée « la sage conseillère des princes » et Voltaire a dit d’elle qu’elle était le livre des rois. Elle est au même titre le livre des individus, car les passions de l’homme ne sont pas autres que celles des peuples et tout chef de famille est un petit roi dans un empire restreint.
L’étude de l’histoire nationale est l’école des patriotes de tous les pays. C’est aux mœurs des ancêtres que font appel les orateurs grecs et latins dans leurs harangues. C’est dansl’étude de l’histoire du Canada que les Papineau, les Morin, les Lafontaine, les Laurier et les Landry, ainsi que tous les patriotes de l’heure, à quelque politique qu’ils appartiennent, ont réchauffé leur patriotisme. C’est à l’histoire que la jeunesse canadienne consacre, de nos jours, beaucoup de son étude et il n’y a pas de doute que la génération qui se lève et pour qui travaillent avec ardeur les Groulx, les Chapais, les Roy et les Massicotte et tant d’autres curieux de chez nous, mieux éclairée par les leçons du passé, sera prête pour la lutte et la défense de ses droits. C’est imbus de la science historique que nous souhaitons les jeunes de notre époque et ce sont les livres comme ceux de monsieur Massicotte, que j’appellerais « les vestibules ou les portiques de l’histoire », qui les amèneront à savourer les lectures plus graves, plus sérieuses de la grande histoire, de celle qu’ont entreprise d’écrire chez nous M. l’abbé Groulx et l’honorable Thomas Chapais.
Ces « Faits curieux de l’histoire de Montréal » que monsieur Massicotte édite, ne s’adressent pas seulement aux jeunes ; ils conviennent à tous ceux qui sont curieux, qui aiment les récits vivants, les faits rares et documentés. J’ai parlé tout à l’heure de portiques et de vestibules, mais le fait est que les livres de monsieur Massicotte sont plus justementcomparablesà des mines riches, tant ils regorgent de menus renseignements pour quiconque y voudra puiser.
Occupant une position avantageuse, privilégiée, que bien des curieux lui envieraient, si elle n’était un Pactole qu’au figuré, M. Massicotte a dans les archives montréalaises, déterré des paillettes précieuses parmi le sable des paperasses, des minutes, des cahiers et des liasses et ces trouvailles, il les a livrées, en partie, les unes au Bulletin des Recherches historiques, les autres auCanadian Antiquarian, aux Mémoires de la Société royale du Canada et aux journaux quotidiens.
Mais ces publications ou sont inaccessibles au grand public, ou disparaissent au lendemain de leur naissance. Les premières ont une circulation restreinte ; les autres par leur nature sont éphémères et difficilement conservées. Plusieurs des travaux que M. Massicotte y a consignés méritaient d’être mis à la portée du peuple et vulgarisés par une édition populaire. C’est ce que la grande maison d’édition canadienne, la librairie Beauchemin, a compris, lorsqu’elle pria l’auteur de ce livre de réunir quelques-uns de ces écrits pour sa collection de livres de fonds. C’est heureux, car les découvertes de M. Massicotte et de ses collègues ont eu pour résultat de corriger sur certains pointsde notre histoire les assertions de nos historiens d’hier. Nos archives sont encore inexploitées et celles de Montréal renferment des éléments qui réunis et connus, permettront d’écrire la vie sociale, publique et, matérielle de nos aïeux. L’histoire jusqu’ici n’est guère que religieuse et politique et combien de points sont obscurs ? La petite histoire jettera de la lumière sur la grande.
M. Massicotte est un curieux des choses de notre histoire et spécialement de Montréal. Il peut vous dire rue par rue, maison par maison les menus faits de la vie passée de la métropole. Tous ceux qui liront son livre seront charmés et payés de leur curiosité.« Savant ne puis, curieux suis », disait un ex-libris que nous avons vu quelque part. Si nous ne pouvons tous être savants, du moins pouvons-nous être curieux. Et souvent science naquit de curiosité.
Soyons curieux du bien, du beau, du vrai et le diable en sera furieux.
Soyons curieux et nous serons sérieux.
Casimir Hébert.
Sous le régime français, il n’y eut pas d’organisation municipale, au sens où on l’entend aujourd’hui. Selon les époques, notre ville fut gérée par les gouverneurs particuliers, les intendants, les subdélégués des intendants ou les juges.
Mais comme la collectivité des habitants avait parfois besoin de quelqu’un pour veiller à l’intérêt commun et assumer des obligations au nom de tous, Louis XIV permit, dès 1644, aux colons de Ville-Marie et autres lieux, d’élire un représentant nommé syndic, qui resterait en fonction pendant trois ans consécutifs et ne recevrait aucun émolument.
Aux attributions déjà signalées, le roi, en 1648, en ajouta une autre. Les Syndics de Montréal, Trois-Rivières et Québec reçurent alors mission de choisir parmi les habitants, tous les trois ans, deux des membres du Conseil qui administra la Nouvelle-France entre 1648 et 1662.
Ces fonctionnaires dont le rôle fut utile et qui, en somme, ont été les Maires de Montréal au dix-septième siècle n’occupent certainement pas dans notre histoire locale, la place qui leur est due : plusieurs ignorent leurs noms et bien peu savent quelque chose de leur vie. Pourquoi ne leur accorderait-on pas une parcelle de notoriété ?
Apprenons d’abord comment ils étaient élus, en recourant à l’historien Faillon qui a extrait des archives tous les détails propres à nous faire comprendre la procédure suivie :
« Avant de convoquer les habitants en assemblée publique et régulière pour élire un syndic, il était nécessaire d’avoir la permission du gouverneur particulier ; et après que celui-ci avait autorisé l’assemblée, le procureur fiscal adressait une requête au juge, qui, à son tour, faisait publier et afficher par le greffier l’ordonnance du gouverneur, notifiant le jour et la fin de l’assemblée.
« Avant que le Séminaire de Ville-Marie eût établi un juge pour la seigneurie de Montréal, le greffier était présent à l’élection du syndic et en dressait un procès-verbal. Mais depuis que M. d’Ailleboust exerçait les fonctions de juge, il présidait en personne à l’assemblée, qu’on convoquait au son de la cloche, et s’y faisait accompagner par le procureur fiscal et par le greffier…
« Les élections de 1667 et de 1668… furent faites dans le hangar des habitants situé à la commune. Néanmoins, pour mettre sans doute plus d’appareil à cet acte important, l’élection se faisait quelquefois dans la salle du Séminaire (rue Saint-Paul), ou même dans la salle d’audience du château. » (Paillon, Histoire de la Colonie, III, p. 361).
Le même auteur veut nous concéder des syndics depuis 1644 à 1672, mais c’est une conjecture seulement. Il existait un syndic, à Montréal, en 1651 ; nous trouvons les noms de sept autres pour les années 1656 à 1672, et c’est tout.
Y en eut-il plus ? Personne n’en a fourni la preuve jusqu’à présent ; force est donc de se borner aux huit notices suivantes :
Jean de Saint-Père.
Né à Dormelles, en Gatinois (département de Seine-et-Marne), vers 1618, de Saint-Père semble être venu à Montréal en 1643 avec Louis d’Ailleboust, sieur de Coulonge. Le 25 septembre 1651, il épousa à Montréal Mathurine Godé, fille du vieux menuisier Nicolas Godé. De cette union naquirent deux enfants : un fils qui se noya à l’âge de sept ans et une fille qui devint la femme de Pierre Le Gardeur de Repentigny. En 1654, le 24 juin, M. de Saint-Père fut nommé « receveur des aumônes qui seraient faites en faveur de la construction de l’église projetée de Montréal. »
Cet excellent colon dont les annales font des éloges, fut tué par les Iroquois, le 25 octobre 1657, en même temps que son beau-père et un serviteur nommé Jacques Nail ou Noël. C’est M. de Saint-Père qui reçut, le 2 octobre 1651, en qualité de procureur-syndic, le don que fit M. de Maisonneuve de « 40 arpents de terre pour servir de commune aux habitants de Ville-Marie. »
Depuis quand M. de Saint-Père était-il en fonction ? On ne peut le dire.
Marin Jannot dit Lachapelle.
Né en 1627, il vint à Montréal avec la recrue de 1653 ; il exerçait le métier de charpentier. Ce colon se noya le 20 juillet 1664. Une pièce judiciaire du 28 novembre 1656 démontre qu’il était dès lors syndic et nous lisons dans un acte de Basset qu’il occupait encore cette charge le 3 avril 1660.
L’abbé Faillon fait une curieuse erreur à son sujet. Il note que Marin Jannot succéda au sieur Lachapelle tendis que Jannot et Lachapelle ne sont qu’un seul et même personnage comme cet historien, d’ailleurs, le dit correctement, dans un autre passage.
Jannot était originaire de Lachapelle près de Château-Thierry. Il épousa Françoise Besnard, à Montréal, en 1655. Leurs descendants sont nombreux, aujourd’hui.
Médéric Bourduceau.
Il arrive à Montréal en 1658, en même temps que son parent par alliance, Louis Artus de Sailly. Tous deux avaient séjourné quelque temps aux Antilles où ils avaient tenté une entreprise commerciale avant de venir s’échouer ici, près d’un de leurs bailleurs de fonds, l’abbé Souart, curé de Ville-Marie.
Le plus ancien procès-verbal d’élection de syndic qui nous soit parvenu, date du 18 juillet 1660, et il relate les péripéties de l’élection du sieur Bourduceau.
Ce dernier démissionna l’année suivante, car il quitta Montréal à l’automne de 1661.
Jacques Testard de La Forest.
Chevalier, capitaine, ancêtre des Testard de Montigny, ce colon semble s’établir à Montréal en 1658, comme marchand traiteur et il épouse, en 1659, Marie Pournin, veuve de Guillaume de la Bardillière. Il s’était fait construire, en 1660, une maison qui avoisinait celle de Charles Le Moyne et de Jacques Le Ber. En février 1663, il était élu caporal de la 10e escouade de la Milice de la Sainte-Famille, fondée par M. de Maisonneuve pour la protection de Montréal.
Son élection comme syndic datait du 21 novembre 1661. Il décéda avant la fin de son triennat, au mois de juin 1663, à peine âgé de trente-trois ans.
Urbain Baudreau dit Graveline.
Né en 1633, il émigra à Montréal en 1653 et épousa le 20 octobre 1664, Mathurine Juillet, fille de Blaise Juillet, un des compagnons de Dollard des Ormeaux. Au mois de février 1663, il était élu caporal de la 2e escouade de la Milice de la Sainte-Famille et le 21 décembre 1663, les habitants le choisissaient pour leur procureur-syndic. La plupart de ses descendants portent aujourd’hui le nom de Graveline.
Le sieur Baudreau décéda en janvier 1695.
Mathurin Langevin dit Lacroix.
Originaire de la ville de Lude, en Anjou, le sieur Langevin vint s’établir à Montréal avec la recrue de 1653. Il se livra à la culture de la terre. Langevin fut un des trois colons qui résistèrent courageusement à 50 Iroquois, le 6 mai 1662 sur la ferme Sainte-Marie, à l’est de l’ancienne ville de Montréal. Une plaque fixée au coin des rues Saint-André et Lagauchetière rappelle cet événement historique. En 1663, il s’enrôla dans la 15ème escouade de la Milice de la Sainte-Famille. Au recensement de 1681, Langevin déclare qu’il est tailleur de pierre.
Le procès-verbal de son élection à la charge de syndic, porte la date du 31 mai 1667. Il mourut au mois de mai 1718.
L’abbé Ed. Langevin dit Lacroix a publié une intéressante brochure sur la famille Langevin-Lacroix.
Gabriel Le Sel, sieur Du Clos.
Ancêtre des familles De Celles. Né en 1626, il figure pour la première fois, à Montréal, dans un acte de 1651. Gabriel le Sel était estimé de ses concitoyens, car ceux-ci lui ont confié toutes les charges dont ils pouvaient disposer. En 1663, ils le nomment caporal de la 4e escouade de la Milice de la Sainte-Famille, l’année suivante ils l’élèvent juge de police, puis le 19 août 1668. ils le placent au poste de syndic.
Le sieur le Sel du Clos était marié à Barbe Poisson qui, en février 1661, fut l’héroïne d’un bel acte de courage raconté par l’abbé Paillon, dans la biographie de Mlle Mance, tome I, p. 254.
Louis Chevallier.
Né en 1624, il émigra de Caen à Montréal en 1653. C’était un cordonnier instruit qui s’adonna à l’agriculture ; car il défricha et exploita lui-même une grande terre sise au coteau Saint-Pierre, près de celle de Jean Descaris, son ami préféré. Chevallier qui resta célibataire, logea longtemps chez son voisin Descaris. En 1663, Chevallier était soldat dans le 12e escouade de la Milice de la Sainte-Famille.
Le 15 mars 1672, le juge de Montréal demanda au gouverneur Perrot la permission d’assembler les habitants de Montréal pour l’élection d’un syndic, ce qui fut accordé. La réunion eut lieu le 27 mars suivant et Jehan Gervaise obtint sept voix, Jean Valiquet une, Pierre Gadois une, Claude Bouchard une, et le sieur Charly-Saint-Ange deux.
Soit que Gervaise eut décliné, soit pour une autre cause, le juge d’Ailleboust convoqua encore les habitants, le 14 mai, pour le lendemain toujours dans le but d’élire un syndic. L’ordonnance contenant cette convocation fut lue, publiée et affichée le dimanche 15 mai, à l’issue de la grand’messe, par le greffier Basset.
Les habitants, au nombre de 29, se réunirent le même jour, après les vêpres. Cette fois, Jacques Le Ber, marchand, reçut quatre voix, Nicolas Hubert dit Lacroix, une voix, André Charly dit Saint-Ange, trois voix, Isaac Nafrechoux, une voix et Louis Chevallier, dix-neuf voix.
Ce dernier n’était pas présent et le juge d’Ailleboust, à la suite du procès-verbal de l’assemblée, déclare par ordonnance, que Louis Chevallier, « sera et de nouveau, procureur syndic de l’Isle de Montréal, pour, en cette qualité, agir, postuler, administrer toutes les affaires tant présantes et advenir qui concernent le bien commun des habitants, etc. »
Le choix des Montréalais était excellent et le modeste Chevallier se montra digne de la confiance qu’on lui avait témoignée. Malheureusement, il se trouva mêlé à la fameuse querelle Frontenac-Perrot-Fénelon et comme il pencha, vers les gens de sa région, le rigide gouverneur général le mit tout simplement au rancart, en l’interdisant.
Quelques mois plus tard (le 20 octobre 1676), les habitants font un coup d’audace. Sous la présidence de Jehan Gervaise, substitut du procureur fiscal, juge intérimaire, en l’absence de M. d’Ailleboust, ils rédigent un placet fort respectueux dans lequel, en cinq petits articles, ils osent formuler leurs suggestions sur le commerce des marchands forains, à Montréal, sur la vente de la boisson, sur les lieux de traite et sur l’interdiction de leur syndic et tous signent — ils étaient quatorze.
Un tel manque d’égard vis-à-vis l’autorité ne pouvait passer inaperçu.
Le 23 mars 1677, M. de Frontenac défendait à tous de faire « aucune assemblée, conventicule ni signatures communes » et le juge d’Ailleboust, le 3 avril suivant, portait cette ordonnance à la connaissance du public.
Après cela il ne fut plus question de syndic des habitants sous le régime français. Une fois l’an, le juge de Montréal rassemblait les notables de l’île, prenaient leurs avis sur certaines questions et tout était dit.
À deux ou trois reprises, durant ces dernières années, des historiens, des chercheurs ou des amateurs de potins historiques sont venus nous demander, les uns avec mystère, les autres avec effarement, si nous avions les pièces du procès intenté à la sœur Bourgeoys pour homicide ! ! !
La fondatrice des sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, disait-on, avait, un jour, placé dans un tonneau une écolière turbulente qui serait morte asphyxiée dans sa bizarre prison ! Nous ignorions tout de cette affaire qui nous semblait un commérage sans fondement, mais l’insistance avec laquelle on revenait à charge piqua notre curiosité et nous engagea à faire des fouilles systématiques dans les documents du régime français.
Notre travail n’a pas été sans résultat et nous avons trouvé la « solution du problème » ou plutôt l’origine de la calomnie absurde qui menaçait de s’attacher à la mémoire de la brave sœur Bourgeoys.
Et comme il est de l’intérêt de tous que la vérité soit connue, narrons les faits tout simplement, tels qu’ils sont consignés dans les archives judiciaires du mois de juillet 1673.
⁂
Mercredi, le 19 juillet 1673, Françoise Nadreau, épouse de Michel André dit Saint-Michel, demeurant dans la contrée Saint-Joseph[1], voulant corriger, pour une peccadille, sa fille Catherine, âgée de cinq ans, la conduisit à la grange, assez éloignée de la maison, et l’enferma dans une barrique dont elle avait recouvert l’ouverture avec un madrier sur lequel elle déposa une poche contenant un minot et demi de farine, afin que l’enfant ne pût s’échapper.
Plus tard, la mère ayant été chercher la petite prisonnière pour lui donner une collation de pain et de lait, fut consternée de la trouver morte.
Voulant sortir du tonneau, l’enfant avait « levé de sa tête, le bout du madrier » et s’était « pris le col » entre le madrier et le bord de la barrique.
La malheureuse mère comprit bien qu’il fallait rendre la chose publique, mais dans son épouvante, elle ne pouvait se décider à déclarer ce triste événement aux autorités. En cette impasse, elle résolut d’aller raconter le tout à la bonne sœur Bourgeoys. Il était sept heures du soir lorsque la femme André se présenta chez les sœurs de la Congrégation.
La sœur Bourgeoys prévint aussitôt la justice et deux chirurgiens, Jean Martinet de Fonblanche et Antoine Forestier furent chargés d’examiner le cadavre et de dresser procès-verbal.
L’enquête eut lieu le 21 de juillet et la sœur Bourgeoys, naturellement, dut rapporter devant le tribunal ce qui lui avait été confié.
Par ailleurs, les témoins attestent que la femme André est une personne honnête, aimant bien ses enfants, que la jeune Catherine était fort espiègle et que c’était l’habitude de sa mère de la punir en l’enfermant dans un tonneau.
Il n’apparaît pas que la femme André ait été inquiétée davantage et le procès semble finir là.