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Début des années 2000 : apparition des premiers sites de rencontres amoureuses en France. Comme lui, elle est inscrite sur l'un d'eux. Il lui propose de se dévoiler mutuellement par le biais d'une histoire qu'ils écriraient ensemble et qui mettrait en scène deux personnages leur ressemblant. Chacun rédigerait un chapitre à la suite de celui de l'autre. Intriguée par ce jeu pour le moins étrange, elle accepte. Dès lors, ils se retrouvent chaque soir sur la toile. Commentant les chapitres, ils se révèlent à l'autre et espèrent beaucoup de cette correspondance. Le jour de la rencontre dans la vraie vie arrive mais un homme, qui purge une peine de prison du fait de la jeune femme, s'évade et réapparait. Un thriller psychologique captivant, où l'amour flirte avec la peur, pour les amateurs et amatrices de frissons et d'émotions fortes.
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Seitenzahl: 210
Veröffentlichungsjahr: 2024
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À mes chers enfants, Arnaud, Julien, Guillaume, Diana, Sans qui ma vie n’aurait pas de sens.
Un jour comme un autre Année 2006
Précédemment Année 1970 et plus
Année 2006
De France en Égypte D’Égypte en France
SAMEDI
DIMANCHE
LUNDI
MARDI
MERCREDI
JEUDI
VENDREDI
SAMEDI
Retour en France
Bibliographie
Le réveil sonne, le chien aboie.
L’homme se lève, avance de dix pas jusqu’à la terrasse, ouvre le panneau vitré, laisse sortir l’animal puis tourne sur lui-même, fait huit pas en direction de l’espace cuisine, insère une capsule dans la machine à café, place la tasse au bon endroit, appuie sur le bouton « marche ».
Le café est prêt, il s’assied. Il étale du beurre sur deux tranches de pain et déjeune dans le silence de son loft, soudain dérangé par le bruit de la remontée du volet roulant d’un voisin.
L’homme se met debout, pivote sur ses talons et parle à haute voix : « deux pas tout droit, trois à gauche et un devant ». Il pousse la porte, entre dans la salle d’eau avec commodités, fait ses besoins et sa toilette puis il retourne jusqu’à son lit, le contourne.
Devant lui, un valet de nuit en bois verni porte ses vêtements. Il s’habille et se chausse.
D’un geste précis, il fait glisser la fermeture éclair du sac de couchage dans lequel il a passé la nuit, le plie en quatre et le pose sur le lit. Il tapote l’oreiller.
L’homme s’approche du réveil placé sur la table de nuit et appuie sur la touche de commande fixée au milieu de la partie supérieure.
Une voix claire annonce :
« Il est huit heures et deux minutes. »
L’homme s’assure que le tapis au sol est parallèle au lit. C’est là que dort son fidèle compagnon.
Le chien est de retour, il accompagne son maitre jusqu’à la partie atelier séparée de la chambre par un mur de faible largeur.
Des pots fermés, alignés sur une table, avoisinent un chevalet. Ils contiennent de la peinture aux couleurs et odeurs différentes. Le noir d’ivoire aromatisé au pavot prend le goût de noisette ; le blanc de zinc sent le jasmin ; le magenta, le safran ; le jaune, la vanille ; le bleu, la lavande ; l’orange, la clémentine ; le vert, l’anis ; l’indigo, la violette ; le brun, la muscade.
L’homme reconnaît les couleurs par l’effluve qu’elles libèrent et aussi par la texture particulière qu’il s’est appliqué à leur donner. Devenue rugueuse ou lisse, molle, dure, râpeuse, granuleuse, humide, veloutée, grasse, chacune des peintures ainsi texturée lui permet de repérer et mémoriser, simplement au toucher, les parties et les formes de son dessin.
Sur cette même table, on trouve aussi une palette de peinture, un assortiment de pinceaux, couteaux, spatules, un rouleau essuie-tout, quelques chiffons et un pot contenant de l’eau.
Par terre, juste une poubelle et une chaise.
Chaque élément est judicieusement pensé pour faciliter le travail du peintre.
Sur les côtés extérieurs du châssis positionné sur le trépied, des punaises à trois pointes maintiennent un quadrillage de fils. Les carrés ainsi constitués apportent une aide précieuse au peintre aveugle pour ressentir les proportions de son dessin.
Le chien ne quitte pas du regard l’homme qui, avant de se mettre à l’œuvre, s’adonne à ce qu’est devenu, pour lui, un rite sacré.
Il inspire profondément, expire très lentement et ferme les yeux.
Son présent se perd dans son passé.
Et son passé rejoint son présent.
Elle est là.
Tout près.
****
Elisabeth pleurait.
Elle se rappelait avoir dansé et chanté dans cette grande maison qu’elle avait partagée avec ses amis et ceux de ses amis pour fêter la nouvelle année. L’alcool coulait à flot. Comme tous, elle avait bu…, trop bu. Elle ne contrôlait plus ses mots, ses gestes, ses actes. Les jours suivants on lui avait raconté que cette nuit-là, elle s’était offerte à qui voulait la prendre. Plusieurs hommes l’avaient inondée de leur plaisir. Elle avait tout oublié de ces moments d’égarement. Elle ne se souvenait d’aucun visage, d’aucun corps, d’aucun nom. Elle avait cru à une plaisanterie et que rien de ce qu’on lui rapportait n’avait existé.
Elle en fut persuadée… Mais pas longtemps.
Elisabeth pleurait.
Elle n’en voulait pas de ce bébé.
Elle pleurait mais elle garda l’enfant.
Elle assuma son égarement tout en maudissant ce petit être d’avoir pris possession de son ventre, de ce ventre qui s’arrondissait jour après jour.
« L’indésirable » lui donnait même des coups pour revendiquer son existence. Elle n’avait qu’un souhait : qu’il ou elle disparaisse au plus vite de ses entrailles.
Le jour de la délivrance arriva.
— C’est une fille ! s’écria joyeusement la sagefemme. Comment va s’appeler cette jolie petite demoiselle ?
— Jolie ! Vous trouvez ? lui lança sèchement Elisabeth après avoir jeté un œil furtif sur la nouveau-née.
Et dans un souffle, elle ajouta :
— Puisque vous avez l’air d’y tenir, je vous laisse le soin de lui choisir un prénom et qu’on n’en parle plus.
— C’est à vous de choisir, lui répondit calmement la sage-femme.
— Qu’est-ce que ça change ?
— C’est vous, sa maman. Pas moi.
— Bon… Quel est votre prénom ?
— Isabelle.
— Alors, ce sera Isabelle et qu’on en finisse avec cette chose qui pleure comme si on l’égorgeait. D’ailleurs, elle commence à peser sur mon ventre… Si vous voulez bien m’en débarrasser…
La sage-femme prit délicatement le bébé dans ses bras et lui dit à voix basse :
— Bienvenue, Isabelle, dans notre monde !
****
Elisabeth endossa le rôle de mère par devoir. Rien de plus et jamais elle ne dit à sa fille les mots d’amour que toute mère prononce à son enfant.
Devons-nous, et pouvons-nous, nous forcer à dire « je t’aime » à un être qui nous rappelle un moment de notre vie que nous cherchons à oublier ?
Quand Elisabeth regardait son enfant, c’était le visage de la honte qui lui était renvoyé.
Il est des épisodes de l’enfance qui restent gravés en nous. Certains mots aussi. Ils se collent à notre mémoire comme du goudron sur une semelle.
Isabelle en fit les frais le jour de ses quatre ans.
Longtemps, elle se souviendra des paroles prononcées par sa mère qui l’observait :
— Le « belle » est de trop. Pas la peine de te mentir. Tu n’es pas belle… Tu ne seras jamais belle !
L’enfant fondit en larmes.
— Ne pleure pas ! se radoucit Elisabeth. À partir de maintenant tu t’appelleras Isa. Et puis voilà ! Pas la peine d’en faire tout un plat.
Elle claqua une bise sur la joue de la fillette. Ce contact était si rare qu’il eut le pouvoir d’apaiser l’enfant. Isabelle, devenue Isa, opina en essuyant ses larmes d’un revers de main.
Dès lors, un sentiment de culpabilité jaillit dans l’esprit de la petite fille qui « n’était pas à la hauteur de l’enfant souhaitée ».
Elle se mit en quête de réparer ce qu’elle croyait être une faute en s’appliquant en classe, elle fut une élève studieuse, intéressée et intéressante.
Quand Elisabeth signait ses bulletins de notes et qu’elle s’attardait sur les remarques élogieuses des enseignants, Isa croyait lire de la fierté sur son visage. Dans ces instants, elle se sentait un peu aimée et la joie emplissait son cœur.
Parfois, le temps d’une nuit, Elisabeth invitait un homme. Jamais le même. Chacun demeurait un mystère pour Isa enfant. Ces soirs-là, elle s’emparait du bonheur qui brillait dans les yeux de sa mère, elle se l’appropriait et celle qu’elle appelait dans son for intérieur « ma maman à moi » devenait aimante et bienveillante à son endroit. Au matin, l’enfant cherchait les silhouettes mais elles avaient disparu et avec elles, la douceur du regard de sa mère. C’était ainsi chaque fois, Isa se réfugiait dans sa chambre accusant les hommes de la veille d’être partis en emportant avec eux cet amour qui lui revenait.
À l’adolescence, elle renonça à espérer. Avec les années, elle avait compris qu’elle ne gagnerait jamais l’affection de sa mère.
Judith était la seule vraie amie d’Isa et c’est à elle qu’elle confiait quelques secrets bien triés car jamais elle n’aurait accablé sa propre mère.
Judith était plutôt jolie, grande et fine, ses cheveux châtains bouclés lui couvraient la moitié du dos. Quoique très différentes physiquement et de caractères opposés, elles étaient liées par une solide amitié.
Un jour, Isa enfant demanda à son amie si elle la trouvait laide, « dis-moi franchement », avaitelle ajouté.
— Mais non ! Pourquoi tu me demandes ça ?
— Parce que ma mère dit que je ne suis pas belle à regarder et que mon visage est ingrat.
— Moi je ne trouve pas. Tu es normale. D’abord, ça veut dire quoi, ingrat ?
— Ça veut dire que je suis affreuse.
— Tu as peut-être mal entendu.
— Non, c’est ce mot-là, j’en suis sûre. Elle dit aussi que je suis molle.
— Molle ! répéta Judith en fronçant les sourcils.
— Oui. « Qu’est-ce que tu peux être molle ! qu’elle me dit ». J’ai regardé dans le dictionnaire, c’est marqué « manquer d’énergie et de caractère » donc ça veut dire que je ne suis pas dégourdie.
— Tu l’es moins que moi, c’est vrai, mais c’est parce que j’ai un an de plus, l’année dernière j’étais comme toi.
— Tu crois ?
— Mais oui ! Allez, viens !
Bien qu’à moitié convaincue, elle avait suivi Judith sans rien ajouter.
Plus tard, Isa devint « la bonne copine des filles et garçons à la recherche d’une oreille attentive ».
Son écoute n’était, à vrai dire, pas si désintéressée car les bribes de vie, qu’on lui racontait, nourrissaient son mental. Elles lui permettaient de se forger un double imaginaire qu’elle magnifiait.
De même, lectrice inconditionnelle, elle empruntait régulièrement des ouvrages à la bibliothèque et devenait l’héroïne de chaque histoire. Ainsi, elle s’octroyait le droit de se réinventer et d’évoluer dans un monde où le merveilleux prenait l’ascendant sur la réalité.
****
Àdix-huit ans, Isa passa les épreuves du baccalauréat avec succès. Puis, le Diplôme d’Etudes Universitaires Générales en poche, elle se présenta au concours de l’Ecole Normale qui formait les instituteurs et institutrices. Elle fut reçue et suivit brillamment les cours au bout desquels elle décrocha le Certificat d’Aptitude à l’Enseignement.
Elle quitta l’appartement de sa mère et loua un studio qu’elle occupa uniquement les week-ends et vacances scolaires les deux premières années de sa nomination car à cette époque, avant d’être titularisé, il était obligatoire d’effectuer des remplacements de postes d’enseignants manquants et ceci dans un rayon de cent à deux cents kilomètres.
Elle s’accoutuma au mieux à cette nouvelle vie qui lui permettait d’oublier les remarques malveillantes de sa mère et elle prit peu à peu confiance en elle.
Au bout de deux ans, Isa demanda à être affectée dans sa ville natale. Un poste était libre, elle l’accepta et reprit possession à temps plein de son studio.
Elle partagea son temps libre avec Judith jusqu’au jour où cette dernière rencontra celui qui allait devenir son époux. L’année suivante, la jeune femme mit au monde des jumeaux et fut de moins en moins disponible pour Isa.
Pour combler la solitude qui devint son quotidien, Isa se laissa séduire par le directeur de l’école où elle enseignait. Il avait dix ans de plus qu’elle, était marié, père de deux enfants. Leur idylle dura plusieurs années. Isa y mit un terme quand elle admit que jamais il ne quitterait sa famille pour elle.
Elle demanda sa mutation.
Un poste en Ile de France se libérait, elle saisit sa chance.
Une collègue possédait un studio meublé dans la capitale, qu’elle louait à des étudiants. Il était libre. Elle le proposa à Isa. La jeune femme s’engagea auprès de sa collègue à faire un état des lieux sur place, à le valider et à le lui renvoyer avec le bail signé.
****
Le train s’arrêta en gare du Nord.
Isa tirait une valise pas très grande. Elle avait vendu ou donné tout ce qui se trouvait dans le studio qu’elle venait de quitter. C’était sa façon de dire adieu au passé.
Elle suivit les instructions de sa collègue et prit la direction de la ligne 4 du métro parisien, acheta un carnet de tickets, passa le tourniquet et s’engouffra dans un wagon.
En découvrant, par la fenêtre, les Parisiens marcher au pas de course, elle ressentit une boule au ventre : allait-elle réussir à s’intégrer, elle, la petite provinciale ?
Elle descendit à la station St Michel. Quand elle émergea de la taupinière métropolitaine, la grisaille de Paris, qui tombait sur elle comme du frimas, la tétanisa. L’air sentait la poussière. Les voitures ronronnaient, les motos vrombissaient, les hommes et les femmes s’agglutinaient, se dispersaient, d’autres venaient, la contournaient et disparaissaient, c’était une suite de va-et-vient évoluant sur un fracas tonitruant.
Paris n’était pas le Paris qu’elle avait imaginé mais il était hors de question de faire demi-tour. Elle était bien décidée à s’adapter.
La rue dans laquelle se trouvait le studio se situait à quelques minutes de marche de la station du métro. Elle tourna sur elle-même mesurant des yeux le vaste périmètre dans lequel elle serait désormais appelée à évoluer. Elle aperçut la Fontaine St Michel et avança jusqu’à la Place St André-des-Arts. Elle s’attarda devant le grand mur de pierre d’où jaillissait de l’eau. Un pigeon s’arrêta à ses pieds, elle n’avait rien à lui offrir, il s’envola un peu plus loin retrouvant ses congénères. Elle reprit sa marche d’un pas alerte.
L’immeuble était planté au milieu de deux autres semblables. La jeune femme recula de quelques pas pour mieux l’apprécier. Le studio était perché au septième étage, lui avait précisé sa collègue. Elle en compta six. Après un court instant de panique, elle força son regard et remarqua, bâtie sur la toiture en pente, une saillie peu profonde au milieu de laquelle elle aperçut une lucarne. Une fine embrasure de bois blanc grignotée par le temps divisait la vitre en quatre carreaux. La fenêtre ovale et les quelques tuiles qui la chapeautaient ressemblaient à un O majuscule nanti d’un accent circonflexe.
Elle s’approcha de la porte d’entrée de l’immeuble, composa le code d’accès, s’engagea dans le hall jusqu’à l’ascenseur. À l’intérieur, les numéros posés sur la palette des boutons n’allaient pas au-delà du six. Isa appuya sur le dernier.
Arrivée au terminus, elle monta les marches restantes. Une odeur de cire titilla ses narines. Le bois craquait sous ses pas et la cage d’escalier résonnait d’éclats de voix provenant des appartements voisins.
Dès qu’elle eut franchi la porte du studio, un remugle prononcé l’obligea à ouvrir la lucarne.
La visite du lieu fut rapide car les dix-huit mètres carrés lui feraient office tout à la fois de salon et de chambre à coucher, grâce à un canapé convertible. Dans un coin, était aménagé un semblant de cuisine avec un petit réfrigérateur, un évier, une plaque de cuisson, un placard scellé au mur, une table de faible dimension et deux tabourets. Les sanitaires comportaient un WC, un lavabo, une petite douche, un lave-linge compact et une étroite armoire murale haute avec miroir.
Tout était conforme aux photos. Elle remplit le document relatif à l’état des lieux et le signa. Sur le chemin qu’elle venait de parcourir, elle avait remarqué une boite aux lettres, elle descendit poster l’enveloppe, acheta de quoi se nourrir et quelques produits de première nécessité. Elle s’activa à rafraichir l’espace puis rangea ses vêtements et donna l’aspect d’un lit au canapé avec la literie qu’elle trouva dans l’armoire.
Elle se doucha et dîna.
Avant de s’endormir, elle regarda le ciel constellé. Être si près des étoiles embellit sa nuit d’espoir et le lendemain, elle s’éveilla confiante.
****
La directrice de l’école avait fixé leur rendezvous à dix heures. Isa poussa la grille de la cour avec anxiété et en même temps avec allégresse et détermination.
Madame Parizot avait, à quelques années près, l’âge de sa mère. Contrairement à cette dernière, la bienveillance se lisait sur son visage.
La classe des tout-petits lui avait été attribuée. La pièce où elle devait officier, grande et colorée, était aménagée avec goût.
Tout y était : des tables rondes à hauteur d’enfant et leurs chaises assorties, des petits fauteuils en mousse, quelques meubles pour ranger les pots de peinture, gobelets, pinceaux, crayons, gommes, règles. Dans une grosse corbeille en osier, les poupées côtoyaient les animaux en peluche.
L’odeur du neuf, cette odeur particulière des rentrées scolaires, planait dans l’air.
Entre la découverte de la capitale et l’ardeur qu’elle mettait dans la pratique de son métier qui la passionnait, Isa ne vit pas le temps passer jusqu’aux vacances d’hiver où, brusquement, la mélancolie s’invita à sa table.
Elle songea à rendre visite à sa mère mais l’idée ne fit que l’effleurer. Par contre, elle aurait aimé revoir Judith mais sa vie était devenue aux antipodes de la sienne.
Judith lui envoyait régulièrement des photos de ses enfants.
Isa l’enviait. Certes, elle s’épanouissait au milieu de ses élèves mais aucun n’était son propre enfant et son désir de maternité grandissait de jour en jour.
Un matin, dans les rues de la ville, elle croisa Adeline, une collègue de travail, aux bras d’un homme. Le lendemain, la jeune femme lui confia qu’elle avait connu son amoureux sur un site de rencontres.
— C’est une nouvelle façon de trouver notre âme sœur, lui affirma Adeline. Je parie que tu n’as pas vu le film Vous avez un message, avec Tom Hanks et Meg Ryan (1).
— J’en ai entendu parler mais je ne l’ai pas vu.
— Je vais louer le DVD au vidéoclub (2). Viens samedi soir à la maison ! On le regardera ensemble sur mon lecteur. Le film est génial, je suis sûre qu’après l’avoir vu, tu voudras aussi t’inscrire sur un site de rencontres.
Adeline ne s’était pas trompée car, le jour qui suivit leur soirée cinéma, Isa tapa en mot clé sur son ordinateur « site de rencontres amoureuses ».
(1)
Vous avez un message
film de 1998 réalisé par Nora Ephron.
(2) Au début des années 2000, la France comptait 5000 vidéoclubs de location de DVD.
****
Elle choisit un pseudo : « Lamour ».
On lui demandait quel était son sexe et celui de sa recherche.
Elle cocha dans l’ordre, les cases « Femme » et « Homme » puis nota son âge (trente six ans). Elle communiqua son e-mail « garanti sécurisé et secret », son code postal et finalisa son inscription avec un mot de passe.
Pour la suite, il s’agissait de définir quelques critères la concernant. Elle mit une croix dans le petit rectangle « cheveux roux, yeux bruns » et afficha sa taille (un mètre soixante) ainsi que son poids (soixante-dix kilogrammes).
Elle spécifia son métier (enseignante en école maternelle) et précisa son statut (célibataire sans enfant). Elle mentionna les renseignements nécessaires à son inscription jusqu’à ce qu’on lui demande de joindre une photo. À cet instant, les mots de sa mère surgirent : « Pas la peine de te mentir. Tu n’es pas belle… Tu ne seras jamais belle ! ».
Isa allait tout annuler quand en écho, les paroles de Judith enfant résonnèrent en elle. À l’époque, son amie lui avait dit qu’elle ne la trouvait pas laide. Elle eut envie d’y croire. Néanmoins, elle posta une photo floue.
Elle remplit la deuxième partie du document en définissant ses choix par rapport à la personne qu’elle souhaitait rencontrer : entre quarante et quarante cinq ans, plus ou moins un mètre soixante quinze, corpulence normale, célibataire.
Finalement, c’était plus simple qu’elle ne l’avait imaginé.
Il restait un détail pour valider son adhésion : rédiger une annonce d’appel qui « soulignerait sa personnalité et mettrait en avant ses aspirations ».
Ce qu’elle recherchait, c’était l’extraordinaire.
Elle hésita.
« Suis-je en droit de demander l’impossible, moi qui n’ai rien d’exceptionnel ? se demandaitelle. »
Elle réfléchit encore.
« Je suis une fille banale, conclut-elle, donc je vais écrire une annonce banale. »
Et son texte lui apparut comme une évidence : « Je cherche un compagnon de vie pour un bonheur simple et authentique. »
Elle enregistra son annonce et attendit.
L’attente fut brève car déjà plusieurs propositions de dialogue s’affichaient sur son écran. Ils se faisaient appeler : Alain 14, Marc 23, Christianrêve, Philparis2, Colorado, Homme BCBG.
C’est ainsi qu’elle fit la connaissance virtuellement de quelques hommes. Certains souhaitaient aller plus loin et lui proposèrent un rendez-vous dans un café devant un verre ou parfois dans une brasserie, ou même dans un hôtel pour un dîner et « plus si affinités », comme ils avaient coutume de dire.
Aucune rencontre dans la vraie vie ne déboucha sur une relation sérieuse.
Elle était donc toujours en quête de l’homme de sa vie quand un abonné la contacta avec une annonce qui retint son attention.
Elle était rédigée ainsi : « Je ne recherche pas la lune ni le soleil, peu m’importe votre physique, Madame ou Mademoiselle, je vous veux attentionnée, sincère, fidèle et honnête autant que je le serai avec vous. Je suis dynamique et curieux de tout, je vous attends. »
Elle ne répondit pas immédiatement, ce qui la retenait était le pseudo qu’avait choisi l’homme : « Hannibal ».
Ce prénom lui rappelait celui que portait Anthony Hopkins au cinéma dans le rôle d’un cannibale tueur en série (3).
Devait-elle ou non lui répondre ?
La curiosité étant plus forte, elle cliqua sur sa fiche.
(3) Le silence des agneaux : film sorti en 1991, adaptation du roman de Thomas Harris, réalisé par Jonathan Demme.
****
Hannibal avait quarante-trois ans, il portait une barbe trop fournie au goût d’Isa.
« Ça se rase, songea-t-elle. »
Ses yeux se cachaient derrière une paire de lunettes de soleil. Elle le regretta mais elle-même n’avait-elle pas posté une photo dont la netteté laissait à désirer ?
L’homme mesurait un mètre soixante-quinze et pesait quatre-vingt-dix kilogrammes.
« Un peu gros, se dit-elle mais elle-même ne supportait-elle pas quelques kilos de trop ? »
Pour le reste, il était célibataire sans enfant. Il dirigeait une société d’informatique. Sur le plan personnel, il voyageait beaucoup mais toujours seul. La solitude lui pesait.
Qui, mieux qu’elle, pouvait comprendre ce dernier point ? Elle supposa avoir affaire à une personne correcte qui, en somme, lui ressemblait d’autant que les mots qu’il employait avaient quelque chose d’authentique.
Elle allait lui répondre quand il lui demanda son numéro de téléphone.
— Après tout, se dit-elle, pourquoi pas ?
Il l’appela aussitôt.
Sa voix grinçante, aigue par moment, déplut à la jeune femme. Elle s’attendait à des sons plus modulés, profonds et graves.
Il la questionna sur sa vie, il souhaitait surtout savoir si elle vivait seule et si elle avait de la famille sur place.
Elle répondit sans réserve, jugeant naïvement qu’il cherchait, comme elle, une personne disponible pour combler sa solitude.
Il lui proposa un rendez-vous dans Paris.
Isa trouva qu’il allait vite en besogne mais elle se dit que rien ne l’obligerait à revoir cet homme s’il lui déplaisait.
Il semblait déterminé à faire sa connaissance car, sans attendre son approbation, il fixa le rendez-vous au lendemain à la sortie du métro Denfert-Rochereau près des Catacombes de Paris.
— À dix-sept heures. Ça vous va ?
Se rencontrer en fin d’après-midi dans un endroit public avait un côté rassurant.
— Oui, très bien, lui répondit-elle.
Au jour dit, elle revêtit un pantalon noir et un chemisier blanc. Elle s’examina devant la glace. Un brin de coquetterie lui fit regretter ses bourrelets qu’elle cacha sous une veste.
Elle arriva à l’heure convenue.
Hannibal l’attendait. Elle reconnut son visage mangé par une barbe épaisse.
En l’espace d’un instant, elle fut entraînée par un bras vigoureux dans un bar à deux pas de là.
Elle commanda un jus de pamplemousse.
Hannibal s’interposa.
— Vous n’allez pas boire ça ! se récria-t-il. C’est une boisson pour les enfants, pour vos mômes de l’école ! Prenez donc du vin !
— Non, du jus de fruit, ça me va très bien.
— Ne faites pas votre petite fille, voyons !
— Mais... Je… Je n’aime pas vraiment le vin.
— Mais si, mais si, tout le monde aime le vin. Permettez-moi de choisir pour vous parce que, quand on s’appelle « Lamour », on boit du vin.
Sans lui laisser le temps de s’opposer à lui, il passa commande de deux verres du même vin.
Après que le serveur les eut servis, Hannibal plongea une main dans sa poche.
Puis il dit à Isa :
— Voyez-vous, cette femme derrière vous avec les cheveux blonds ? Que remarquez-vous ?
Elle se retourna.
Aussitôt, Hannibal déversa dans son propre verre la poudre qu’il gardait dans sa main.
Brusquement, Isa tourna la tête vers lui.
— Je ne remarque rien. Qu’a-t-elle de particulier ?
— À vous de me le dire, lui répondit-il.
Elle se demandait où il voulait en venir et elle se tourna à nouveau vers la femme.
Il en profita pour échanger les verres. Il eut juste le temps de le faire que déjà les yeux d’Isa se posaient sur lui. Elle n’avait pas vu le geste de l’homme mais un étrange pressentiment l’envahit.
Elle fronça les sourcils.
— Ses ongles, s’empressa-il d’ajouter. Ils sont rongés.
— Ses ongles ! fit Isa. En quoi cela vous choque-t-il ?
— Je déteste les femmes qui se rongent les ongles. C’est très laid. Je vois que les vôtres sont bien entretenus.