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Extrait : "À la fin du IIe siècle avant l'ère chrétienne, les Romains entamèrent la conquête de notre pays. On commençait, en ce temps-là, à donner le nom de Gaule, Gallia, à la vaste contrée qui s'étendait des Alpes aux Pyrénées et de la mer Méditerranée jusqu'aux rives lointaines de l'Océan..."
À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN
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Seitenzahl: 373
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Ce petit livre n’a d’autre prétention que de chercher à n’être pas inutile. Il s’adresse d’abord et surtout aux étudiants des Lycées et des Facultés : peut-être leur servira-t-il à compléter leurs manuels et leurs livres de lectures historiques. – On a aussi pensé, en le faisant, aux archéologues de la province : on voudrait qu’il pût les encourager à explorer notre sol et à accroître les richesses de nos musées et les documents de notre histoire. – Enfin il a été souvent écrit en vue des gens du monde, de ceux qui aiment le passé de notre chère France.
On ne nous en voudra pas d’ajouter qu’il a été fait avec amour : on ne s’est pas défendu, toutes les fois que la vérité historique n’en souffrait pas, de parler avec sympathie de nos ancêtres et des fondateurs de notre patrie ; en racontant les destinées de la Gaule, on s’est attaché à montrer en quoi elles annonçaient celles de la France.
On a ajouté au texte un très grand nombre de figures : toutes, sauf trois ou quatre, reproduisent des monuments gallo-romains ; on a pu faire ainsi de ce livre un album d’antiquités nationales.
Nous avons indiqué avec soin, dans ce volume, tout ce qui pouvait intéresser les grandes villes de la France, en particulier Lyon, la capitale romaine, et Paris, la capitale française.
Les citations empruntées à des auteurs modernes sont assez nombreuses. Quand nous étions d’accord avec eux, il nous a paru inutile de chercher à dire autrement ce qu’ils avaient déjà parfaitement dit.
Peut-être quelques-uns des maîtres qui ont inspiré et souhaité ce petit livre lui feront-ils l’honneur de le parcourir. Qu’ils veuillent bien l’accueillir avec beaucoup d’indulgence et un peu de confiance. Tout appareil scientifique en a été soigneusement exclu : qu’ils croient cependant que les textes ont été lus, les inscriptions et les monuments consultés, et qu’il y a dans ces pages le résultat de quelques recherches personnelles.
Camille JULLIAN.
Bordeaux, 1er juillet 1892.
Comment nous connaissons La Gaule
Ce n’est pas par les Gaulois que nous connaissons le passé de notre pays : il n’est rien resté ni de leurs poésies populaires, ni de leurs annales politiques. C’est par leurs vainqueurs les Romains ou par les Grecs, que nous savons leur plus ancienne histoire.
L’ouvrage fondamental sur les origines gauloises est précisément le livre des Commentaires écrits par l’homme qui a conquis notre pays, Jules César : il y raconte ses guerres, il y décrit les mœurs politiques, sociales et religieuses de la Gaule en termes sobres, nets, précis. On peut lui reprocher cependant d’avoir souvent parlé plus en politique et en orateur qu’en érudit et en historien. Il a interprété à la manière romaine les institutions gauloises plutôt qu’il n’a fourni sur elles des renseignements sûrs et authentiques ; il a volontiers arrangé les choses pour leur donner un tour littéraire ou pour les plier à ses idées philosophiques.
Le géographe Strabon, qui écrivait en grec dans les premières années du règne de Tibère, est moins complet que César, mais plus sûr et peut-être aussi précieux. C’est un homme fort consciencieux ; sans doute, il n’a point visité la Gaule, mais il a recouru pour la décrire à des documents officiels ou à des historiens de tout repos. Il est probable que, comme tant d’écrivains de son temps, il a beaucoup emprunté à Posidonius, le philosophe grec du Ier siècle avant l’ère chrétienne. Posidonius était intelligent, instruit, d’une véritable valeur scientifique : on doit se fier aux renseignements qui viennent de lui. Grâce à Strabon, nous pouvons ainsi jeter parfois un coup d’œil assez net sur la Gaule d’avant la conquête romaine.
Les autres écrivains du Ier et du IIe siècle ne donneront plus sur la Gaule romaine que des notions assez vagues ou des détails trop arides. Tacite a raconté les insurrections du Ier siècle, mais d’une façon trop oratoire : on chercherait en vain à se faire, d’après lui, une idée nette du caractère de ces évènements. Pline l’Ancien nous donne des documents statistiques de premier ordre. Plutarque, Lucain, Méla, Josèphe, Suétone, d’autres encore, ajoutent de précieux détails ou d’instructives anecdotes à la connaissance de la Gaule depuis César jusqu’à Domitien.
L’histoire de la Gaule au IIe siècle va nous échapper complètement. Il faudra se contenter, pour cette époque, des récits épars chez Dion Cassius et chez Hérodien, et des sèches nomenclatures géographiques du Grec Ptolémée.
C’est, en effet, la littérature géographique qui offre le moins de lacunes pour la connaissance de la Gaule romaine. Elle nous fournit, au commencement du IIIe siècle, deux documents d’une importance capitale : l’Itinéraire Antonin et la Table de Peutinger nous donnent le tableau des principales routes de la Gaule, le nom de tous les relais et le chiffre des distances qui les séparent ; le premier sous la forme de guide, la seconde sous la forme de carte. Grâce à tous ces travaux géographiques, nous saurons toujours mieux la topographie que l’histoire de la Gaule. – Les évènements du IIIe siècle ne nous sont connus que par quelques pages insignifiantes des compilateurs de l’Histoire Auguste.
Au IVe siècle, l’histoire de la Gaule nous est enfin racontée d’une façon large et vivante : de tous les âges de la Gaule romaine, c’est évidemment celui que nous ignorons le moins. Nous avons, en particulier, l’œuvre si sincère et si solide d’Ammien Marcellin, les écrits de l’empereur Julien, sans parler des Notices officielles des Dignités et des Villes, des historiens grecs et des chroniqueurs chrétiens du Ve siècle. En ce temps-là aussi, ce sont enfin des Gaulois qui nous parlent de la Gaule et qui la font revivre à nos yeux : les panégyriques d’Autun, les poésies et les lettres d’Ausone, nous font pénétrer fort avant dans la vie politique, littéraire et privée de la Gaule sous les derniers empereurs ; Rutilius Namatianus, Paulin de Pella, d’autres encore, nous feront admirablement connaître l’état d’esprit des Gaulois à la veille de l’invasion. Or c’est précisément cette vie intérieure que les historiens romains ou grecs des premiers siècles nous avaient laissé le plus ignorer.
On peut suppléer en partie à cette lacune à l’aide des inscriptions. Extrêmement nombreuses dans les trois premiers siècles, elles deviennent fort clairsemées au IVe, précisément à l’époque où abondent en Gaule les écrits de toute sorte. Plus de douze mille peut-être nous sont parvenues de tous les points de la Gaule, mais surtout des villes et du Midi ; les villes de Narbonne, de Nîmes, de Lyon, de Bordeaux, d’Arles et de Vienne sont les plus riches en inscriptions. On dira plus loin quels services elles nous ont rendus : c’est grâce à elles que nous connaissons les croyances de la Gaule romaine, les noms de ses dieux et les titres de ses magistrats, son organisation provinciale et militaire, ses coutumes privées et le culte qu’elle rendait à ses morts.
Les inscriptions de la Gaule ont même sur les historiens un incomparable avantage. L’historien le plus sincère, comme Ammien, nous donne le fait tel qu’il le comprend ou tel qu’il le sait, non pas tel qu’il est ; l’inscription ne raconte pas : elle est un document, ou plutôt elle est le fait lui-même. Elle nous apprend parfois fort peu de chose, sans doute, mais ce peu de chose a une valeur irréductible. – On trouve dans une vallée reculée de la Provence une inscription du temps d’Auguste consacrée au Jupiter du Capitole, Jovi Optimo Maximo ; l’autel qui la porte a été sculpté et gravé à l’endroit même : il est en pierre du pays. Ne doit-on pas conclure de là que, dès le temps d’Auguste, le culte du grand dieu de Rome avait pénétré jusque dans ce coin perdu de terre gauloise ? Voilà un fait, contre lequel rien ne prévaudra. Assurément, ce fait est d’importance minime et n’intéresse que la Provence. Mais, si l’on trouve des inscriptions semblables un peu partout dans la Gaule, à Bordeaux, à Paris, ailleurs encore, le fait s’étend, s’élargit, et tout de suite nous sommes en présence d’un chapitre capital de l’histoire de la Gaule, la diffusion, dès le début de l’empire, des cultes romains par tout le pays.
L’épigraphie, ou la science des inscriptions, permet ainsi de faire l’histoire comme on établit les lois physiques et naturelles, par une série d’observations et d’hypothèses, et parfois même d’expériences. Deux exemples pourront le montrer. – En publiant les inscriptions de la colonie de Narbonne, M. Hirschfeld a remarqué un très grand nombre de noms propres terminés en enus ou enius, comme Usulenus, Lafrenus, Servenius ; or ces noms, rares dans le reste de l’empire, sont très fréquents dans l’Italie centrale, en Ombrie, en Étrurie, dans le Picénum. On peut expliquer cette coïncidence, dit M. Hirschfeld, en supposant que les premiers colons de Narbonne, envoyés par César ou Auguste, étaient originaires de ces pays. – Voici une autre hypothèse qui a pu se vérifier plus complètement. Le même M. Hirschfeld a relevé, dans les inscriptions nîmoises, des traces de souvenirs égyptiens : culte d’Isis, noms propres d’aspect singulier, institutions municipales analogues à celles d’Alexandrie. Ces observations l’ont amené à supposer qu’Auguste établit à Nîmes des colons venus d’Égypte. À ces faits et à cette supposition, il a pu joindre une sorte d’expérience : en examinant les monnaies de la colonie nîmoise, il a constaté la présence, comme symbole ou armoirie de la ville, d’un crocodile enchaîné, souvenir de l’Égypte vaincue. Voilà l’hypothèse vérifiée et fortifiée.
Enfin, pour connaître la civilisation matérielle de la Gaule, ses progrès dans les arts, la richesse de son industrie, la beauté de ses villes et de ses villas, nous avons les monuments restés debout sur notre pays, ou les fragments et les bijoux retrouvés dans les ruines.
Des monuments s’élèvent encore dans les anciennes villes romaines, surtout dans les colonies du Midi, à Nîmes, Arles, Orange, Vienne, Fréjus ; dans le Nord, Trêves, dans l’Ouest, Saintes, sont presque aussi riches à cet égard. Les monuments sont moins nombreux et moins bien conservés dans les autres villes ; mais il est rare qu’une grande cité française n’ait pas une ruine importante de l’époque romaine. Dans les campagnes mêmes, et quelquefois dans des pays perdus, on est émerveillé de rencontrer des édifices encore superbes, mausolées, aqueducs, théâtres, villas. Ce qui s’est construit sur notre sol du Ier au IIIe siècle est incroyable. Seul, peut-être, le Moyen Âge gothique, du XIIIe au XVe siècle, a pu rivaliser d’activité et de richesse avec l’ère romaine. Encore s’est-il relativement peu perdu de cette partie du Moyen Âge : et depuis quinze siècles les édifices romains ont été pillés et détruits sans relâche. Les barbares du siècle ont commencé leur ruine ; mais les générations modernes l’ont achevée. On accuse volontiers les Germains du Ve siècle et les chrétiens du Moyen Âge de cette œuvre de dévastation. On pourrait aisément disculper les uns et les autres. Les vrais coupables, après les Francs et les Alamans de la première invasion, ont été les gouvernements modernes. Un des plus beaux édifices de la Gaule, le temple de Tutelle de Bordeaux, a été détruit par ordre de Louis XIV ; la Révolution a laissé éventrer l’amphithéâtre de cette ville. Le phare romain de Boulogne, appelé la Tour d’Ordre, fut complètement démoli vers 1645. Le mausolée et les tours d’Aix en Provence ont disparu sous Louis XVI. Le Moyen Âge a pu dégrader : les derniers siècles ont rasé.
Les fragments ou les objets de moindre importance peuvent être groupés en deux catégories, suivant la manière dont ils nous sont parvenus. – Les uns ont été trouvés dans le sol, au milieu des débris du monument auquel ils appartenaient : les bijoux et les poteries, par exemple, dans les décombres des villas et des maisons ; les statues et les ex-voto, sur l’emplacement des temples ; les tombeaux, le long des anciennes routes ou dans les vieilles nécropoles. – Les autres nous ont été conservés par un singulier hasard. Au IIIe siècle, la première invasion germanique détruisit la presque totalité des villes des Trois Gaules : la Gaule Narbonnaise fut seule à l’abri de cette gigantesque dévastation. Vers l’an 300, les villes détruites furent reconstruites et entourées de murailles ; or le gros œuvre de ces murailles fut précisément bâti avec les débris des édifices renversés par les barbares, fûts et tambours de colonnes, chapiteaux, sculptures, tombeaux, autels, statues même. Et de nos jours, quand on démolit ces murailles romaines, tous ces débris réapparaissent, véritables témoins de la vie des cités gallo-romaines aux deux premiers siècles.
Beaucoup de pans de ces murailles sont encore intacts : le jour où on le voudra, de nouvelles richesses en inscriptions et en sculptures viendront orner nos musées. À Saintes, à Dax, à Bordeaux, à Nantes, à Bourges, dans cinquante autres villes de ce qui fut la Gaule propre, il y aura longtemps encore, dans ces fragments de murs romains, une abondante carrière de matériaux pour l’histoire de notre passé.
Ajoutons à cela qu’il reste à fouiller les ruines de nombreuses villas, d’oppida gaulois abandonnés au Ier siècle, et même de villes qui lurent grandes et florissantes. Que de choses à trouver encore sur les plateaux de Gergovie et de Bibracte, dans ce merveilleux Fréjus, qui est presque notre Pompéi, dans ces villes créées par la Gaule romaine et réduites depuis quinze siècles au rang de bourgades, Jublains, Bavai, Vieux, Corseul, Javols, Lillebonne et, par-dessus tout, Vaison ! Avec un peu d’énergie et de patience, et sans trop de dépenses, de belles découvertes seraient réservées à nos archéologues, de grandes conquêtes à notre histoire nationale.
À la fin du IIe siècle avant l’ère chrétienne, les Romains entamèrent la conquête de notre pays. On commençait, en ce temps-là, à donner le nom de Gaule, Gallia, à la vaste contrée qui s’étendait des Alpes aux Pyrénées et de la mer Méditerranée jusqu’aux rives lointaines de l’Océan. Ce nom lui venait de la principale nation qui l’habitait, celle des Gaulois ou Celtes, Galli, Celtœ. Celte ou Gaulois étaient d’ailleurs à ce moment deux termes synonymes. Les Celtes s’appelaient ainsi dans leur langue ; les Romains leur donnaient volontiers le nom de Gaulois, comme ils donnaient aux Hellènes celui de Grecs, comme nous donnons aux Deutschen celui d’Allemands.
La Gaule ne formait pas à cette époque un seul État ; elle n’était même pas habitée tout entière par des peuples appartenant à la même race. À côté des Gaulois, qui lui donnaient son nom, d’autres populations moins importantes y étaient établies. – Au Sud-Ouest, entre la Garonne et les Pyrénées, étaient les Aquitains, Aquitani : ils passaient pour ressembler aux Ibères, leurs voisins, qui peuplaient une grande partie de l’Espagne, et qui avaient valu à la presqu’île son nom d’Ibérie. – Au Sud-Est, le long de la Méditerranée, on rencontrait les Ligures, qui s’étendaient aussi sur les côtes italiennes jusqu’à l’embouchure de l’Arno. Ibères et Ligures avaient autrefois possédé une bien plus grande partie de la Gaule ; mais les Celtes les avaient refoulés au Midi, il y avait deux ou trois siècles à peine. – Du côté du Rhin, les Gaulois avaient jadis débordé dans les grandes plaines de l’Allemagne du Nord. En ce moment ils se trouvaient rejetés en deçà du fleuve par les Germains, leurs voisins immédiats et souvent leurs ennemis : le pays que nous appelons l’Alsace avait été conquis par ces derniers, sans doute depuis peu de temps. Le Rhin n’avait jamais servi de barrière entre les deux races. Toutefois, la nature avait fait de ce fleuve la frontière véritable de la Gaule, et dès que les géographes grecs ou romains s’occuperont de cette contrée, c’est le Rhin qu’ils lui assigneront comme limite orientale.
La grande nation qui occupait le centre de la Gaule avait autrefois étendu son empire bien au-delà des bornes de ce pays. Elle avait été, quelques siècles auparavant, la principale nation conquérante de l’occident et du nord de l’Europe. Sous la suprématie de sa peuplade la plus centrale, les Bituriges (qui habitaient le pays de Bourges), elle avait vu sa domination rayonner au loin par le monde : de grandes migrations d’hommes étaient parties de la Gaule, portant la terreur du nom celtique aux Grecs et aux Romains et aux autres barbares. En Espagne s’était formée la population mixte des Celtibères ; les îles Britanniques étaient devenues à peu près gauloises ; en Italie, une seconde Gaule, Gallia Cisalpina, s’était créée dans la vallée du Pô, et les Celles, vainqueurs des Romains à la bataille de l’Allia (390 av. J.-C.), ne s’étaient arrêtés qu’au pied du Capitole. D’autres avaient occupé la vallée du Danube ; on en avait vu piller la Grèce, et, plus loin encore, les Gaulois avaient fondé en Asie un petit État que les Grecs appelaient la Galatie. Au-delà du Rhin, ils s’étaient répandus jusqu’aux bords de la Vistule. Rien des grandes villes européennes doivent leur origine aux Celtes : Cracovie en Pologne, Vienne en Autriche, Coïmbre en Portugal, York en Angleterre, Milan en Italie ont des noms qui viennent du gaulois : ce sont des fondations d’hommes de notre pays et de notre race.
Cette immense étendue de terres s’était jadis appelée « la Celtique ». Mais peu à peu les Gaulois avaient vu leur empire se démembrer et leur nom se limiter à la Galatie asiatique, à la Gaule Cisalpine et à la Gaule Transalpine. Puis, sur tous ces points, ils durent reculer, et toujours devant les Romains. Au IIe siècle, les Romains achevèrent la conquête de la Cisalpine, écrasèrent les Galates et, vers l’an 125, pénétrèrent en conquérants dans la Gaule Transalpine.
Les Celtes de la Gaule n’étaient pas encore arrivés à l’unité politique. On distinguait chez eux deux groupes de peuples qui ne parlaient pas le même dialecte et n’avaient ni les mêmes mœurs, ni les mêmes usages : les Gaulois proprement dits, entre la Garonne, la Seine et la Marne ; et les Belges, Belgœ, entre la Marne elle Rhin. Ces derniers, arrivés sans doute plus récemment en Gaule, étaient plus guerriers et plus sauvages que les autres Celtes.
Gaulois et Belges comprenaient environ quatre-vingts peuplades, gentes. Chacune d’elles, établie à demeure sur un territoire bien délimité, avait ses villes, sa constitution, ses magistrats et son indépendance ; elle formait un véritable État politique, une nation autonome. C’est à ces petites nations gauloises que la France doit ses premières cités et ses plus anciennes divisions géographiques : elles sont l’origine de nos provinces, de nos pays et de nos grandes villes, qui pour la plupart conservent encore le nom de ces peuplades.
Les principales étaient les Bituriges, Bituriges (Bourges et le Berry), les Éduens, Ædui (Autun), les Arvernes, Arverni (Auvergne), les Séquanes, Sequani (Besançon), les Helvètes, Helvetii (Suisse), au centre de la Gaule ; au Nord-Est, les Rèmes, Remi (Reims), les Trévires, Treveri (Trèves), les Nerviens, Nervii (Hainaut); au Sud-Ouest, les Santons, Santones (Saintes et Saintonge), les Pictous, Pictones (Poitiers et Poitou). La petite peuplade des Parisiens, Parisii, fort peu importante en ce temps-là, avait pour principale ville Lutèce, Lutetia, dans une île de la Seine : plus tard, Lutèce prendra le nom du peuple qui l’a habitée. Au Sud, les Volques, Volcœ, s’étendaient des Pyrénées au Rhône ; les Allobroges, Allobroges, du Rhône aux Alpes. Au Nord-Ouest, les nations comprises entre la Loire et la Seine formaient, sous le nom d’Armorique, Armorica, une confédération particulière. Les autres peuplades se groupaient d’ordinaire autour des États les plus forts, comme les Arvernes, les Éduens ou les Séquanes, et ces ligues étaient en lutte incessante l’une contre l’autre. Comme il n’y avait aucune nation assez puissante pour imposer longtemps sa suprématie à ses voisines et à ses rivales, la Gaule était, au IIe siècle, en pleine anarchie.
L’anarchie se retrouvait à l’intérieur de chacun de ces petits États. Les querelles politiques y maintenaient la discorde dans les villes, dans les campagnes, dans les familles même. Le gouvernement était à peu près partout aristocratique ; le pouvoir appartenait à un sénat nombreux, composé sans doute des hommes les plus riches et les plus influents. Il élisait un chef suprême, annuel ou viager, qui s’appelait assez souvent, semble-t-il, « le juge », vergobret en gaulois. Ce magistral avait à peu près les mêmes droits que les premiers consuls de Rome, qui, eux aussi, s’étaient nommés des juges, judices.
Dans beaucoup de peuplades il s’était formé un parti démocratique autour de quelques chefs plus riches et plus ambitieux : ce parti tenait l’aristocratie en échec et amenait parfois la création d’une royauté populaire. Toutes les nations gauloises se trouvaient dans un état de crise et de transformation politique assez semblable à celui qui précéda, à Rome et à Athènes, l’établissement définitif du régime républicain. La puissance effective était partout entre les mains de quelques nobles, riches en terres et en clients.
Le clergé était, avec la noblesse, la classe dominante. La Gaule possédait un corps de prêtres appelés « druides », qui tenaient la première place dans la vie publique et sociale des nations. Les druides dirigeaient la religion officielle et le culte privé. Ils instruisaient la jeunesse et lui apprenaient, nous dit César, « le cours des astres, la grandeur du monde et des terres, la force et la puissance des dieux. Ils lui enseignaient surtout que l’âme ne meurt point, mais qu’après la mort elle passe d’un corps à un autre ». L’enseignement était donné sous forme de longs poèmes, qu’ils n’écrivaient jamais et que l’on se transmettait par la parole à travers les âges. Les druides étaient aussi une grande puissance politique. Chaque année, ils tenaient, au centre de la Gaule, dans le pays de Chartres, de véritables assises, où ils jugeaient de tous les procès publics et privés. Contre ceux qui ne répondaient pas à leur appel, ils lançaient des sentences d’excommunication, ce qui était, pour les Gaulois, le plus redoutable des châtiments.
Celle domination du clergé a frappé beaucoup tous les écrivains anciens qui se sont occupés de la Gaule. Il n’y avait à ce moment rien de semblable dans le monde grec ou romain. L’Orient seul offrait, en Égypte ou en Chaldée, une caste sacerdotale aussi puissante que celle des druides. Aussi les Romains disaient-ils volontiers que les Gaulois étaient « la plus superstitieuse des nations », ne se rappelant pas que leurs ancêtres avaient également mérité ce reproche.
La religion présentait le même morcellement, la même absence d’unité que la société politique. Comme dans le culte primitif de la Grèce et de l’Italie, les dieux abondaient en Gaule. C’étaient surtout des divinités locales, dont l’adoration était limitée à un canton ou à une bourgade. Chaque cité avait son dieu, qui était d’ordinaire le dieu de la source qui l’arrosait ou de la montagne sur laquelle elle était bâtie. On adorait à Nîmes la fontaine Nemausus, l’Yonne, Icaunis, À Auxerre, la Seine, Sequana, à la source du fleuve, Dumias au Puy de Dôme, la fontaine Divona à Bordeaux, la déesse Arduenna dans les Ardennes, le dieu Vosegus dans les Vosges, le dieu fluvial Vasio à Vaison, et bien d’autres. C’étaient ces divinités des sources et des bois qui étaient l’objet de la plus ardente dévotion : c’est la plus ancienne religion de nos ancêtres, et c’est celle qui a le plus longtemps duré.
Cependant, au-dessus des innombrables divinités locales, quelques grands dieux commençaient à s’élever, représentant les forces éternelles de la nature ou les grands principes de la vie humaine. Les Gaulois les appelaient Teutates, Esus, Taranis : les Romains nous apprennent qu’ils ressemblaient aux plus hautes divinités de leur religion, et la ressemblance paraissait même si grande qu’ils n’appelaient jamais les dieux gaulois que des noms latins de Jupiter, Mercure ou Mars. « Mercure, dit Jules César, est le principal dieu. C’est de lui qu’il y a le plus d’images ; c’est lui, à ce que croient les Gaulois (et remarquons que les Romains et les Grecs ne croyaient pas autre chose), c’est lui qui a inventé les arts, qui préside au commerce, protège les routes, fait gagner de l’argent. Puis viennent Apollon, qui écarte les maladies, Minerve, l’éducatrice des artistes et des travailleurs, Jupiter, le roi du ciel, Mars, le chef de guerre. » Dans la pensée de César, le panthéon gaulois ne différait pas du panthéon classique des Grecs et des Romains.
Mais c’étaient les croyances populaires des Gaulois qui étonnaient le plus les Latins. On racontait mille choses étranges sur les pratiques superstitieuses, les sortilèges, les amulettes, les charmes auxquels les druides, disait-on, habituaient la Gaule : les Romains du temps de César oubliaient un peu que les mêmes dévotions populaires s’étaient rencontrées dans l’ancienne Italie.
Deux surtout excitaient l’étonnement, celle de « l’œuf de serpent » et celle du « gui de chêne ». – « Durant l’été, raconte Pline le Naturaliste, on voit se rassembler dans certaines cavernes de la Gaule des serpents sans nombre qui se mêlent, s’entrelacent et, avec leur salive, jointe à l’écume qui suinte de leur peau, produisent une espèce d’œuf. Lorsqu’il est parfait, ils l’élèvent et le soutiennent en l’air par leurs sifflements ; c’est alors qu’il faut s’en emparer, avant qu’il ait touché la terre. Un homme aposté à cet effet s’élance, reçoit l’œuf dans un linge, saule sur un cheval qui l’attend, et s’éloigne à toute bride, car les serpents le poursuivent jusqu’à ce qu’il ait mis une rivière entre eux et lui. » L’œuf de serpent servait, croyait-on, à faire gagner les procès et à se faire bien voir des rois et des puissants. – Le gui de chêne guérissait de toutes les maladies ; on l’appelait le « guérit-tout », omnia sanans. Mais, pour qu’il fût efficace, il fallait le cueillir suivant les rites : « Le prêtre, dit encore Pline, est vêtu d’une robe blanche, il tient une faucille d’or : c’est ainsi qu’il monte sur l’arbre, coupe le gui, qui doit être reçu dans une saie blanche. Alors ont lieu les prières et les sacrifices. » L’œuf de serpent était un talisman, le gui de chêne une panacée. – Le chêne était au reste l’arbre religieux par excellence aux yeux des druides et des Gaulois, comme il le fut dans les temps les plus anciens de la Grèce et de l’Italie, et la superstition qui s’attachait au gui peut aisément se retrouver dans les religions primitives ou les croyances populaires de beaucoup de nations antiques.
Notre imagination se représente volontiers les druides au fond des bois et dans de vastes clairières, immolant des victimes et accomplissant leurs sacrifices sur de grands monuments en pierre brute, isolés, tristes et nus ; il est resté hou nombre de ces monuments par toute la France, en Bretagne surtout : les dolmens, en forme de table ; les menhirs, qui se dressent, isolés, comme des obélisques ; les alignements et les cromlechs, gigantesques rangées de pierres plantées dans le sol. Nous sommes même habitués à appeler ces monuments des « pierres druidiques ». Mais tout cela n’est que légende et poésie. Ces pierres n’ont en réalité aucun rapport avec la religion des druides ; la tradition qui s’est formée à leur propos n’a rien d’historique, et il est fort douteux qu’un druide ail jamais sacrifié sur un dolmen ou prié dans l’enceinte d’un cromlech.
Ce sont, selon toute vraisemblance, des ruines de tombeaux ou des « pierres de souvenir », destinées à recueillir les cendres des morts ou à perpétuer la mémoire des hommes disparus. Il s’en trouve de semblables en Afrique, en Orient, dans le monde entier : ce sont là des formes de sépulcres ou de monuments qui ont été également naturelles à tous les peuples primitifs.
À ces Gaulois dont ils raillaient la superstition, les anciens reconnurent cependant deux grandes qualités : le courage et l’éloquence. On disait couramment à Rome qu’il y avait deux arts où ils étaient passés maîtres, l’art de se battre et celui de bien parler. « Il y a deux choses, disait Caton l’Ancien, qu’ambitionne la Gaule par-dessus tout : le métier de la guerre et l’habileté de la parole », rem militarem et argute loqui. Ils ont conservé, jusqu’à la fin du monde ancien, ce double renom, et leurs descendants, les Français d’aujourd’hui, méritent encore l’éloge que faisait d’eux un géographe grec : « Le caractère commun de toute la race gauloise, dit Strabon d’après le philosophe Posidonius, c’est qu’elle est irritable et folle de guerre, prompte au combat ; du reste, simple et sans malignité. Si on les irrite, ils marchent ensemble droit à l’ennemi, et l’attaquent de front, sans s’informer d’autre chose. Aussi, par la ruse, on en vient aisément à bout ; on les attire au combat quand on veut, où l’on veut, peu importent les motifs ; ils sont toujours prêts, n’eussent-ils d’autre arme que leur force et leur audace. Toutefois, par la persuasion, ils se laissent amener sans peine aux choses utiles ; ils sont susceptibles de culture et d’instruction littéraire. Forts de leur haute taille et de leur nombre, ils s’assemblent aisément en grande foule, simples qu’ils sont et spontanés, et prennent volontiers en main la cause de celui qu’on opprime. »
« Peuples de guerre et de bruit, dit Michelet dans un passage célèbre, ils courent le monde l’épée à la main, moins, ce semble, par avidité que par un vague et vain désir de voir, de savoir, d’agir. De grands corps mous, blancs et blonds ; de l’élan, peu de force et d’haleine ; jovialité féroce, espoir immense ; vains, n’ayant rien encore rencontré qui tint devant eux,… ce sont les enfants du monde naissant. »
Mais ce sont des enfants qui veulent apprendre. Les anciens ont souvent fait ressortir cette éternelle curiosité de la race gauloise, « la plus sympathique et la plus perfectible des races humaines », dit encore Michelet. On citait d’eux un trait singulier : quand un étranger venait chez eux, ils le gardaient, le forçaient à parler, à leur raconter les choses des pays lointains. Dès qu’ils furent mis en contact avec les Grecs, ceux de Macédoine ou les Phocéens établis à Marseille, ils se laissèrent gagner peu à peu par la civilisation méditerranéenne. Ils apprirent la culture de l’olivier et de la vigne ; ils remplacèrent par le vin le lait et la bière, leurs boissons ordinaires. Ils frappèrent des pièces à l’imitation des monnaies de la Grèce et copièrent les statues de ses divinités. Leurs grands dieux se transformèrent sur le type des dieux voisins, plus élégants et plus visibles, et en particulier sur le modèle de cet Hermès ou de ce Mercure, dont les négociants de Marseille devaient leur parler sans cesse et leur montrer les curieuses images.
Aux grands monuments informes de l’âge primitif, aux dolmens, aux menhirs, succédèrent des stèles soigneusement dégrossies et ornées bientôt de naïves sculptures. Les Grecs enseignèrent aux Celtes à écrire : le premier alphabet gaulois fut composé de lettres grecques. Peut-être même la philosophie hellénique s’insinua-t-elle dans les dogmes enseignés par les druides, et il ne serait pas impossible d’y trouver un écho lointain de l’enseignement de Pythagore.
Tout concourait donc à développer en Gaule la culture gréco-romaine. Les Gaulois appartenaient d’ailleurs, comme les Hellènes et les Latins, à la grande race indo-européenne ; peut-être même étaient-ils plus proches parents d’eux que les Germains et les autres nations barbares. Leur langue avait quelques affinités avec la langue grecque. Leur religion, leurs dieux et leurs superstitions ne différaient pas sensiblement des vieilles croyances de l’Italie ou de l’Hellade ; leur constitution ressemblait aux constitutions primitives de toutes les cités du monde méditerranéen. Entre Gaulois, Grecs et Romains, il y avait des différences d’âge ; il n’y avait pas des oppositions de nature.
En même temps, la Gaule, malgré son état d’anarchie, tendait à l’unité. Les Gaulois en occupaient les trois quarts, ils en tenaient le massif central et là étaient leurs nations les plus puissantes, les Bituriges, les Arvernes, les Éduens. Ils avaient, en dépit de leurs divisions, la conscience d’une origine commune et les mêmes souvenirs de leurs exploits d’autrefois. Les ligues que les principales peuplades formaient pour établir leur suprématie, montrent au moins un besoin de groupement et le désir de l’union. Peut-être la Gaule possédait-elle déjà de grandes assemblées politiques où se réunissaient les représentants de toutes les nations. Il y avait en tout cas de ces conseils généraux pour les affaires religieuses, conseils présidés par les druides. Le clergé commençait l’unité religieuse : la Gaule avait de grands dieux communs, précurseurs de l’unité politique.
(Musée d’Aix, Ier siècle avant notre ère.)
Certes elle ne formait pas plus un État que l’Italie avant la conquête romaine, que la Grèce de l’indépendance. D’unité semblable nous ne trouverions d’exemple dans aucune contrée du monde ancien. Mais, plus que l’Italie et plus que la Grèce, elle était destinée par la nature à devenir rapidement une nation compacte, à former une seule patrie ; nulle contrée n’avait une structure si harmonieuse, un organisme si parfait ; les anciens admiraient la Gaule comme ils eussent fait d’une œuvre d’art, et l’on ne peut mieux la juger qu’en résumant ce que disait d’elle le géographe Strabon : « Il semble qu’une Providence a élevé ces chaînes de montagnes, rapproché ces mers, tracé et dirigé le cours de tous ces fleuves, pour faire un jour de la Gaule le lieu le plus florissant du monde ».
La civilisation et l’unité allaient être rapidement données à la Gaule par les deux grandes nations du monde antique, les Grecs et les Romains. Nous ne parlons pas des Phéniciens : des légendes les promenaient un peu partout dans le midi et l’orient de la Gaule, et il n’est pas douteux qu’ils n’aient fondé quelques comptoirs isolés sur les rivages de la Méditerranée, par exemple à Marseille et à Monaco. Mais ils n’ont laissé aucune trace durable de leur séjour en Gaule, et ils ont cédé de bonne heure la place aux négociants grecs.
Les Phocéens, venus de l’Asie Mineure, s’établirent à Marseille vers l’an 600 avant notre ère. Marseille, Massilia, donna naissance à son tour à Nice, Antibes, Tauroentum (près de la Ciotat), Agde. Elle étendit ses domaines et multiplia ses comptoirs même dans la vallée du Rhône, et elle sut presque toujours vivre en très bonne intelligence avec les Gaulois, sinon avec les Ligures. De la colonie phocéenne partaient sans cesse des caravanes de marchands et de banquiers pour se rendre dans les trois grandes vallées de la Gaule océanienne. Elles descendaient la Garonne jusqu’à Bordeaux, la Loire jusqu’à Nantes, la Seine jusqu’à Rouen : des Grecs allaient s’embarquer dans ces bourgades, pour commercer avec les îles Britanniques. En même temps, la civilisation grecque, soit par la vallée du Rhône, soit parcelle du Danube, rayonnait sur tout le monde gaulois, lorsque les Romains arrivèrent pour compléter et achever son œuvre.
Ce sont les Grecs qui les ont introduits dans notre pays. Marseille avait été de tout temps l’alliée de Rome. Dès l’année 133, inquiétée par les peuplades ligures qui l’avoisinaient, elle appela les Romains à son secours. Trente ans plus tard, vers 125, elle eut recours à eux une seconde fois ; mais dès lors ils ne quitteront plus le sol gaulois.
Il y eut, de 124 à 118, une série de campagnes contre les Ligures, les Allobroges, les Arvernes surtout ; une grande victoire fut remportée, près du Rhône, sur le roi de ce dernier peuple, Bituit : on dit que cent vingt mille Gaulois périrent dans la bataille.
Ces combats heureux donnèrent aux Romains la suprématie sur tout le pays compris entre les Cévennes et les Alpes, de Toulouse à Genève et à Nice. Ils en firent une province de l’empire sous le nom de Gaule Transalpine. Leur principale ville fut Narbonne, où ils envoyèrent une colonie. Toulouse, Aix (Aquœ Sextœ) étaient les autres places importantes de leur domination. Toutefois les Romains laissèrent aux Marseillais un très grand domaine entre le Rhône, la Durance et les Alpes Maritimes.
En même temps, ils préparèrent la voie à leur influence dans le reste de la Gaule. La plus civilisée des peuplades de la Celtique était celle des Éduens. Ils reçurent le titre glorieux d’alliés et d’« amis du peuple romain » et ils appelèrent les Romains du nom de « frères ».
L’empire de Rome valut bientôt à la Gaule du Midi un premier bienfait. Il la sauva de la terrible invasion des Cimbres et des Teutons. Le consul Marius écrasa les Teutons dans une grande bataille livrée près d’Aix, l’an 102. Ce fut la première des invasions germaniques qui devaient désoler notre pays jusqu’au Ve siècle, et Rome montra, au lendemain même de son arrivée, quel allait être son rôle chez les Gaulois : leur donner un pouvoir assez fort pour les défendre contre les envahisseurs germains.
Un général romain, Cérialis, le dit un jour à des Gaulois mécontents de Rome : « Les mêmes motifs de passer en Gaule subsistent toujours pour les Germains : l’amour du plaisir et celui de l’argent, et le désir de changer de lieu ; on les verra toujours, quittant leurs solitudes et leurs marécages, se jeter sur ces Gaules si fertiles pour asservir vos champs et vos personnes ». Et, faisant allusion aux motifs qui appelèrent Jules César en Gaule, Cérialis disait : « Lorsque les généraux de Rome entrèrent sur votre territoire, ce ne fut point par esprit de cupidité. Ils y vinrent à la prière de vos ancêtres, que fatiguaient de meurtrières dissensions, et parce que les Germains avaient réduit indistinctement à l’esclavage alliés et ennemis. Je ne parlerai point de tous nos combats contre les Cimbres et les Teutons, des grands exploits de nos armées et du succès de nos guerres avec les Germains ; ils sont assez connus. Si nous nous sommes fixés sur le Rhin, ce n’a pas été pour protéger l’Italie, mais c’est pour veiller à ce qu’un nouvel Arioviste ne s’élevât pas sur vos têtes. »
Toutefois, si Rome sut bien défendre sa nouvelle province contre les barbares, elle ne chercha pas tout de suite à faire l’éducation des habitants et à développer la richesse du sol. Narbonne devint sans doute le centre d’un trafic très important ; le pays fut rempli de négociants et de banquiers italiens, qui se répandirent même de là dans la Gaule indépendante ; il y eut un gouverneur, qui avait le titre de « propréteur ».
Mais tout ce monde d’étrangers, plus avides encore qu’ambitieux, traitèrent la Gaule en pays conquis : ils l’exploitèrent, mais pour leur compte, pillant les temples, ruinant les riches, spéculant sur les biens des villes, multipliant les impôts. Un des propréteurs, Fontéius, se rendit par ses déprédations aussi célèbre en Transalpine que Verrès le fut en Sicile. Les peuples de la Gaule envoyèrent à Rome une députation pour accuser leur gouverneur : défendu par Cicéron (en 69 av. J.-C.), Fontéius fut sans doute absous. Un de ses successeurs, Calpuruius Pison, se rendit coupable des mêmes excès : il fut l’objet d’une semblable accusation, mais il trouva le même défenseur et fut également renvoyé absous (en 67). Si la république romaine avait vécu, la Gaule n’aurait peut-être jamais atteint le degré de prospérité auquel elle arrivera sous l’empire ; en tout cas, Rome n’y serait jamais devenue respectée et populaire.
C’est du reste la Gaule qui fut le point de départ de l’empire, car c’est dans la conquête de ce pays que le vrai fondateur du régime impérial, Jules César, trouva la puissance, l’armée et la gloire qui lui permirent de renverser les lois de son pays.
C’est en qualité de proconsul des Gaules Transalpine et Cisalpine qu’il commença, en 58, la conquête de la Gaule propre. Sans doute, il y avait songé depuis longtemps dans ses rêves ambitieux ; car, de toutes les grandes contrées que touchaient au monde romain, la Gaule était la plus célèbre par la gloire de son passé, la bravoure de ses hommes, la richesse de son sol. De plus, l’occasion semblait y appeler César ; le moment était propice pour lui de paraître en Gaule, plutôt comme libérateur que comme conquérant, et d’y affirmer la politique que Rome y avait prise dès le début. Les Suèves, puissante nation germaine, avaient franchi le Rhin et dominaient l’est du pays. Leur roi Arioviste parlait couramment de « sa Gaule ». Les Éduens, alliés de Rome, réclamèrent alors le secours de César, jouant au centre de la Gaule le même rôle que les Marseillais au Sud.
Une première campagne délivra la Gaule des Germains. Il est à croire que c’en était fait d’elle, faute d’unité et d’union, si les Romains n’étaient venus à temps pour la secourir, et qu’elle serait tombée sous l’empire des barbares. « Il arrivera nécessairement, disait un Gaulois en implorant le secours de César, qu’en peu d’années tous les Gaulois seront chassés de la Gaule, et que tous les Germains auront passé le Rhin ; car le sol de la Germanie et celui de la Gaule ne peuvent se comparer non plus que la manière de vivre des habitants. Si le peuple romain ne vient à notre secours, il ne nous restera d’autre parti à prendre que d’émigrer ; d’aller chercher loin des Germains d’autres demeures, une autre patrie, et de tenter les chances d’une meilleure fortune. »
La Gaule divisée n’avait plus que le choix entre les deux dominations. En la débarrassant des Germains, même au prix de sa liberté, Rome l’a préservée de la barbarie et a peut-être sauvé sa race et son existence historique.
Mais, une fois les Germains écartés, Jules César resta et commença la conquête pour son propre compte, plus encore peut-être que pour le compte de Rome. Pendant cinq ans, de 58 à 53, il soumit peu à peu tout le pays entre le Rhin et les Pyrénées ; il ne se heurta guère qu’à des résistances régionales et fut en partie aidé par les dissensions locales et les rivalités entre peuples. Quelques-unes de ces nations se montrèrent dès le début des allées sincères des armés romaines : les Rennes leur ouvrirent Belgique, comme les Éduens les avaient entraînées en Celtique.