Gastronomie et droit - Alexandre Quiquerez - E-Book

Gastronomie et droit E-Book

Alexandre Quiquerez

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Beschreibung

Notion fuyante et difficile à appréhender pour le juriste, la gastronomie désigne, au sens étymologique, «l’art de régler l’estomac» (du grec gastèr, «ventre», «estomac», et de nomos, «loi»). Au-delà de la simple alimentation, elle suggère une idée de qualité du plat ou du repas et repose sur la maîtrise d’un art et d’un savoir-faire culinaires.

Comme pour toute autre pratique sociale, le droit n’ignore pas les créations et entreprises gastronomiques. En réalité, les rapports entre la gastronomie et le droit sont nombreux et divers, compte tenu des différents intérêts à protéger: intérêts des acteurs économiques comme des consommateurs, intérêt général lié à la sauvegarde de la culture. Le droit de la propriété intellectuelle, le droit fiscal, le droit international public, par exemple, s’invitent à la table du restaurateur et du gourmet. La réception de la gastronomie par le droit tergiverse entre une approche très matérielle et économique et une autre, de nature culturelle et artistique. Ce que l’on peut appeler par simple commodité pratique «le droit de la gastronomie», champ au confluent du droit économique et du droit de la culture, n’est pas réductible au droit «de» ou «à» l’alimentation, ce qui justifie d’en faire l’objet d’une réflexion à part entière.

Le présent ouvrage contient les actes du colloque qui s’est déroulé au sein de l’Université Lumière Lyon2 en proposant une approche juridique globale de la gastronomie. «Capitale mondiale de la gastronomie» (dixit Curnonsky, le prince élu des gastronomes), la ville de Lyon est apparue comme la terre d’accueil naturelle pour analyser la protection juridique des intérêts économiques et culturels liés aux plats et repas gastronomiques. Ce colloque a été organisé dans le cadre des XXIIIe Rencontres juridiques par la Faculté de droit Julie-Victoire Daubié, avec le soutien de Transversales – Unité de recherche en droit (ex-DCT) de l’Université Lumière Lyon 2.

Ce livre s’adresse principalement aux juristes de droit privé ou de droit public, enseignants-chercheurs ou praticiens, comme aux acteurs économiques (restaurateur, entreprise agroalimentaire,etc.) souhaitant connaître les questions juridiques variées suscitées par la gastronomie.

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entertainment & law

DROIT • MÉDIAS • ART • CULTURE | LAW • MEDIA • ART • CULTURE

La collection est dirigée par Monsieur Eric Canal Forgues Alter et Madame Maïa-Oumeïma Hamrouni.

Les ouvrages de la collection Entertainment & Law analysent juridiquement les dernières tendances en matière de médias et d’industries créatives.

L’objectif de la collection est de réunir en son sein nombre d’ouvrages approfondissant les principales thématiques suivantes :

• médias ;

• Internet et nouvelles technologies ;

• musique ;

• jeux vidéo ;

• cultures visuelles ;

• marché de l’art ;

• radio ;

• presse ;

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• publicité ;

• mode.

Déjà paru dans la collection

Intelligence artificielle, Défis et perspectives, Eric Canal Forgues Alter, Maïa-Oumeïma Hamrouni, 2021

Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larcier.com.

© Lefebvre Sarrut Belgium SA, 2022Éditions BruylantRue Haute, 139/6 - 1000 Bruxelles

EAN 978-2-802-77197-5

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour Lefebvre Sarrut Belgium. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

Liste des contributeurs

Florence Arnaud, MCF-HC droit privé, Université Paris Saclay, Laboratoire CERDI

Jean-Paul Branlard, Chercheur-associé au Centre d’études et de recherche en droit de l’immatériel, Université Paris-Saclay, Membre de l’association professionnelle des Chroniqueurs et Informateurs de la Gastronomie et du Vin

Julia Csergo, Professeure au DEUT-ESG de l’Université du Québec à Montréal, Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain

Julien Denormandie, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Président du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux

Aurore Duchez, Étudiante en Master 1 mention droit des affaires (Université Lumière Lyon 2)

Thimothée Fringans-Ozanne, Docteure en droit, Avocate au barreau de Lyon

Jérôme Fromageau, Président de la Société internationale pour la recherche en droit du patrimoine culturel et droit de l’art (ISCHAL)

Anne-Emmanuelle Kahn, Maître de conférences – HDR, Université Lumière Lyon 2, Équipe de recherche Droits, Contrats, Territoires

Mylène Le Roux, Professeure de droit public, Faculté de droit et sciences politiques, Université de Nantes, DCS, UMR CNRS 6297

Olivier Négrin, Professeur de droit public à l’Université d’Aix-Marseille

Louis Perdrix, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2, Équipe d’accueil Droit, contrat, territoires (EA 4573)

Anmar Lucia Pinto, Avocate aux barreaux de Paris et Caracas (Aston Avocats)

Alexandre Quiquerez, Maître de conférences en droit privé, Vice-doyen en charge des études, Laboratoire de recherches Droits, Contrats, Territoires (EA 4573)

Diane Roche, Étudiante en Master 1 mention droit des affaires (Université Lumière Lyon 2)

Olivier Sanviti, Docteur en droit, Avocat aux barreaux de Paris et Madrid et fondateur d’Aston Avocats

Brigitte Schirmann-Soulier, Avocate au barreau de Lyon – directeur, Taj avocats

Nous remercions Marcos Beccari qui nous a aimablement autorisés à utiliser son aquarelle, The craft of flavor, en guise d’illustration pour la couverture de cet ouvrage.

Préface

Julien DENORMANDIEMinistre de l’Agriculture et de l’Alimentation,Président du Conseil général de l’alimentation,de l’agriculture et des espaces ruraux

La gastronomie et le goût des bonnes choses sont indissociables de notre identité. C’est une part constitutive de notre culture, de notre art de vivre, comme en témoigne l’inscription en 2010 du « repas gastronomique des Français » au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO.

Posséder l’une des meilleures cuisines au monde est une chance immense. Or, cela ne serait pas possible sans les nombreux chefs ingénieux et créatifs qui la font vivre. Malgré la crise sanitaire, ils ont su continuer d’innover pour créer des plats d’exception et pour faire rayonner notre savoir-faire. J’en veux pour preuve la récente victoire de notre pays et de Davy Tissot au Bocuse d’Or en septembre dernier, qui témoigne une nouvelle fois de cette excellence. Et pour que cela perdure, le président de la République a annoncé la création d’un centre d’entrainement et d’excellence pour la gastronomie française. Détecter les talents de demain, les former aux métiers de bouche, mais aussi préparer les talents confirmés à représenter notre pays au plus haut niveau lors de concours internationaux est absolument essentiel pour conserver notre place de leader. Il s’agira donc d’une formation de grande qualité, fondée sur la transmission de nos savoir-faire gastronomiques et sur la mise en réseau des futurs grands chefs de la cuisine française.

Et au-delà de notre patrimoine, la gastronomie est aussi un enjeu d’avenir, comme le soulignent les travaux menés au sein de ce colloque consacré à l’importance du droit dans la gastronomie.

L’alimentation mais aussi la qualité nutritionnelle et la durabilité de celle-ci reviennent au cœur des préoccupations des Français. C’est pourquoi la gastronomie de demain doit continuer de valoriser les produits de nos terroirs. Agriculture et gastronomie ne vont, en effet, pas l’une sans l’autre. Car si notre pays est le champion de la gastronomie, c’est aussi parce que, grâce à notre agriculture, les chefs français subliment des produits d’excellence. Joël Robuchon le disait d’ailleurs : « Quand vous avez un produit local qui est de qualité, et que vous le traitez en cuisine française, le résultat est bon ».

Cette qualité, elle est au cœur de notre modèle agricole. Elle est même l’ADN de notre agriculture française. Restaurateurs, traiteurs et acteurs de la gastronomie française ont donc un rôle majeur à jouer pour valoriser ces produits agricoles de qualité, issus de nos territoires. De nombreuses initiatives existent, en lien notamment avec les fournisseurs, pour garantir une meilleure valorisation des produits français de qualité dans la restauration, et elles doivent continuer à se multiplier.

De son côté, le Gouvernement s’engage pour préserver cette qualité de notre alimentation. Afin que notre gastronomie puisse continuer de s’appuyer sur une alimentation de qualité et de s’approvisionner avec de bons produits frais et locaux, il nous faut impérativement continuer à relocaliser notre alimentation. C’est une demande de nos concitoyens, mais c’est aussi une manière de leur faire connaître notre agriculture. Cela passe par l’éducation à l’alimentation, notamment des plus jeunes, avec un enjeu fort sur la restauration collective, et singulièrement sur les cantines scolaires. Il faut une meilleure qualité dans les assiettes de nos enfants. Sans tomber dans l’écueil souvent dénoncé d’une inflation législative inutile, la loi doit être l’un des instruments ou leviers pour encadrer et favoriser une alimentation de qualité. Pour cela, la loi EGalim a fixé des objectifs ambitieux, renforcés ensuite par la loi Climat et Résilience. Et pour les atteindre, nous investissons massivement en faveur de l’approvisionnement local de la restauration collective, avec un renforcement des projets alimentaires territoriaux (PAT), mais aussi avec un soutien aux cantines scolaires des petites communes, afin qu’elles puissent s’équiper et servir davantage de produits frais et locaux aux enfants.

Toujours mieux nourrir la population est un objectif majeur de ce Gouvernement. C’est pourquoi il ne faut jamais perdre de vue la vocation nourricière de notre agriculture. Nos agriculteurs remplissent la plus noble des missions : nourrir. Je connais leur engagement pour continuer de la remplir avec brio, en faisant de la qualité un critère essentiel.

Des bouchons aux mères lyonnaises, en passant par Paul Bocuse, Lyon respire au rythme des bonnes tables. Il paraissait dès lors naturel d’y organiser, sous la supervision d’Alexandre Quiquerez et avec la contribution de spécialistes de la matière juridique conviée ou du sujet gastronomique, un colloque universitaire dédié aux rapports entre le droit et la gastronomie, qui s’est tenu le jeudi 21 novembre 2019, dans le cadre des 23es Rencontres juridiques de l’Université Lumière Lyon 2. On ne peut que souhaiter que ces travaux soient prolongés et écoutés auprès des acteurs économiques mais aussi politiques.

Quelle(s) définition(s) possible(s) de la gastronomie ?Le point de vue juridique

Jean-Paul BRANLARD Chercheur-associé au Centre d’études et de recherche en droit de l’immatériel, Université Paris-Saclay, Membre de l’association professionnelle des Chroniqueurs et Informateurs de la Gastronomie et du Vin

À l’orée de l’humanité se tient le mangeur de chair crue.

« L’alimentation est une nécessité vitale, commune à l’homme et à tout animal ».

Puis, il a rendu sa marmite plus appétissante, passant de la racine au légume, du grain à la farine et, par la maîtrise du feu-cuisson, du cru au cuit.

« La cuisine est un perfectionnement de l’alimentation ».

Puis, « Homo gastronomicus » instaure une ritualisation de la consommation.

Le plaisir recherché en tant que tel l’emporte sur le souci nutritionnel. La cuisine sort du registre de la nécessité.

« La gastronomie est un perfectionnement de la cuisine elle-même »1.

Mais pas que.

Ajoutant à l’artification du culinaire, des éléments secondaires, mais essentiels – les arts de la table et du service et les manières de table –, contribuent à l’esthétisation caractéristique de la gastronomie appréhendée dans sa globalité.

Plus tard, bien plus tard, en France2…

I. Déficience de définition(s) juridique(s) de la gastronomie

Du mutisme des pères fondateurs juristes… à l’utilité de définition(s) au point de vue juridique.

A. MUTISME DES PÈRES FONDATEURS JURISTES

Si la gastronomie a existé avant le mot3, tout, ou presque, s’esquisse au temps de la Révolution. La veille (1786), un arrêt du Parlement de Paris officialise l’existence des restaurants, au grand dam des traiteurs qui font fureur dans la capitale. Cette victoire judiciaire, bientôt renforcée (1791) par le principe de la liberté d’entreprendre sur tout le territoire de la République (décret d’Allarde) et l’abolition des corporations (loi Le Chapelier), crée des émules. Les restaurants ouvrent les battants d’un dix-neuvième siècle gastronomique. Jetés sur le pavé par la tourmente révolutionnaire, contrecoup de la chute de leurs maîtres, les grands cuisiniers (mais pas que) s’affairent dans les quartiers huppés de la capitale, comme celui du Palais-Royal. Paris, puis la France, sont en marche. L’Univers suivra.

“ La gastronomie est difficile à mettre en mots. Composante de la culture, de l’art, des savoir-faire et des traditions tant populaires qu’élitaires, porteuse des identités… Tout le monde n’entend pas la même chose. ”

Dans la foulée, trois juristes reverdissent la gastronomie. Berchoux, juge de paix4, Grimod de la Reynière5, diplômé avocat, Brillat-Savarin, juge au tribunal civil de l’Ain, puis conseiller à la Cour de cassation6. Cependant, c’est comme auteurs littéraires, et non en leur qualité de juriste, que ces pionniers de la gastronomie élaborent un discours nouveau sur les plaisirs de la table et l’art du bien manger. Ils n’ont donc avancé aucune « définition juridique de la gastronomie ». En atteste, la première définition de la gastronomie attribuée à Brillat-Savarin (1826) véritable « inventeur » du mot7, après que Berchoux lui ait donné (1801) son sens actuel8. Par ailleurs, si pour l’auteur de la Physiologie du goût, la gastronomie, pluridisciplinaire, convoque la cuisine, l’histoire naturelle, la physique, la chimie, le commerce et l’économie politique, il ne mentionne pas le droit !

B. SATURATION DE DÉFINITIONS NON JURIDIQUES

Au fil du temps, sans discontinuité, historiens, sociologues, écrivains, dictionnaires généraux ou spécialisés, nous saturent de définitions non juridiques de ce que serait la gastronomie. Si des auteurs éclairés ont œuvré de belle manière, l’art du « copié-collé-signé » règne en maître. Des formules trop longues pour être convaincantes côtoient des descriptions trop courtes, comme « Art de faire bonne chère »9, qui ne nous renseignent en rien.

La gastronomie est difficile à mettre en mots. Composante de la culture, de l’art, des savoir-faire et des traditions tant populaires qu’élitaires, porteuse des identités… Tout le monde n’entend pas la même chose. Sa définition générale – donc non juridique – varie selon les nations, les régions, les époques, les classes sociales, les modes… Galvaudé, « mis à toutes les sauces », le mot autorise toutes les interprétations et confusions. Qu’est-ce que la gastronomie ? Tout le monde a un avis sur la question. « Chacun y met globalement ce qu’il veut. Et, finalement, personne n’a tort », vous dira Julia Csergo10.

Les juristes n’ont pas fait mieux.

C. DÉDAIN DE LA DOCTRINE JURIDIQUE

Pour les juristes, la cuisine, naguère art « féminin », a été longtemps un sujet d’étude futile. Hier encore, l’évoquer dans les facultés de droit était une faute… de goût. Tout au plus, s’agissait-il de quelque chose qui piquait la curiosité et subissait alors une sérieuse décote à la bourse des valeurs intellectuelles11. Pour avoir trop longtemps ignoré, pour ne pas dire méprisé, ce sujet de bouche, banni du droit noble, la doctrine juridique n’a rendu aucun travail de définition de la gastronomie que nos pères auraient qualifié de bénédictin.

“ Définissez en droit la « gastronomie », elle vous échappe au galop. La gastronomie n’a pas de définition juridique officielle. Et elle est loin d’en avoir une consensuelle. ”

Ce n’est que récemment, que des facultés de droit ont permis des soutenances de thèses (une des toutes premières : Université Paris-Sud, 2000 : « La protection des œuvres gastronomiques, en droit d’auteur français », par Valfrido-Roland Piredda) et consacré des colloques au regard croisé : droit et gastronomie (Université Paris-Sud, une des toutes premières, 1998, 2012, 2018 ; Poitiers, 2016 ; Rouen, 2017 ; Paris XIII et Orléans à la BnF, 2017). Grosso modo, les contributions, dérapant maintes fois sur le droit alimentaire, voire agroalimentaire, repassent les mêmes plats, dont « l’incontournable » Gastronomie appréhendée par le droit de la propriété intellectuelle. Tous les sujets ont été, peu ou prou, abordés. Mais de définition juridique, point ! C’est que l’exercice à des allures de funambulisme. Ici, il n’y a pas de chemin pré-tracé. Définissez en droit la « gastronomie », elle vous échappe au galop. La gastronomie n’a pas de définition juridique officielle. Et elle est loin d’en avoir une consensuelle.

Pourtant…

D. UTILITÉ DE DÉFINITION(S) AU POINT DE VUE JURIDIQUE

Une définition de la gastronomie présenterait de nombreux intérêts. Le premier est précisément juridique. Si la gastronomie apparaît objet juridique non identifié, elle donne néanmoins naissance à des rapports de droit public et de droit privé générateurs d’effets juridiques. Ainsi : 1 – la spécificité de la clientèle des restaurants gastronomiques implantés dans l’enceinte d’établissements publics ou privés12 ; 2 – la « gastro-diplomatie » pilotée par l’État qui, par exemple, explique la qualité d’agent de droit public du chef cuisinier d’une ambassade de France13 ; 3 – la répartition des pourboires selon le barème dit par points essentiellement usitée dans les restaurants de haute gastronomie14 ; 4 – l’attente du consommateur moyen dans un restaurant gastronomique qui, par exemple, « peut – selon la Cour de cassation – normalement croire qu’il va déguster des truffes du Périgord, plus recherchées aux plans gustatif et olfactif »15 ; 5 – la « perte des plaisirs de la gastronomie » constitutive d’un préjudice d’agrément lorsque par « accident » la dégustation hédoniste est perdue16, ou bien lorsque la victime « adepte de la gastronomie » souffre d’un isolement social du fait d’une gêne salivaire17 posant un problème relationnel la privant de fréquenter les restaurants gastronomiques. On ne bave pas à table !

La gastronomie est une notion que l’on trouve de façon éparse dans les textes juridiques et les décisions de justice. Mais ni la loi ni la jurisprudence ne la définissent à proprement parler, même s’il existe quelques dispositions qui la visent de façon partielle et spécifique.

Du point de vue strictement textuel, le législateur mène discrètement le jeu.

II. La teneur des textes : l’émergence de définition(s)

Quels textes pour une gastronomie par définition juridique… « étoilée », de « renommée nationale » ou « internationale » ?

A. QUELS TEXTES ?

Le droit de l’Union européenne, si prolixe en matière alimentaire, ne mentionne guère la « gastronomie », et sans jamais la définir18.

En France, le mot ne figure dans aucun des cinq codes établis sous Napoléon, lequel était tout, sauf gastronome. Ce n’est que beaucoup plus tard, dans d’autres codes, qu’apparaîtra, non pas le mot « gastronomie », mais son dérivé le plus usuel « gastronomique ». Mais, sans que ce terme (créé en 1807) ne reçoive une définition. Ainsi, en est-il :

des « produits gastronomiques » du Code monétaire et financier dont le paiement en espèces déclenche les mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (art. L. 561-2 C. mon. fin.) ;

du « patrimoine culturel et gastronomique protégé en France » du Code rural et de la pêche maritime visant la production de « foie gras » (art. L. 654-27-1), « vin, cidres et poirés, boissons spiritueuses et bières issus des traditions locales » (art. L. 665-6) ;

du « patrimoine gastronomique lié à certaines boissons alcooliques » du Code de la santé publique qui légalise la propagande journalistique ou touristique (art. L. 3323-3-1) ;

du tourisme encore, avec le Code des transports qui refuse aux « chefs gastronomiques » la qualité de « gens de mer » bien qu’ils cuisinent à bord des navires, voire des paquebots de croisières (art. L. 5511-1, 4°, et R. 5511-5, 2°, i) ;

enfin, l’arrêté du 13 novembre 2013 relatif au titre professionnel précise qu’à l’occasion de la prise en charge de touristes, « l’accompagnateur de tourisme » met en valeur la gastronomie des endroits visités. Ce qui, parfois, est le motif même des déplacements « gastrotouristiques »19, voire « oenogastrotouristiques ». Ce qui enrichit la gastronomie de deux définitions20. Qui s’en étonnera ? La gastronomie constitue une vitrine essentielle du succès de nos attraits touristiques.

Le droit du tourisme parle à la gastronomie. Non pas à la gastronomie populaire, domestique, festive, réalisée dans le foyer, limitée à des occasions et des périodes de temps définies, mais à celle professionnelle, hors foyer, des bonnes tables de la restauration commerciale – vision réductrice, élitiste et mercantile. Dans trois secteurs, des éléments juridiques balisent quelques pistes de définition. Soit : B, C et D.

B. ÉLÉMENTS ISSUS DE L’ANCIENNE RÉGLEMENTATION « RESTAURANTS DE TOURISME » : UNE GASTRONOMIE PAR DÉFINITION JURIDIQUE « ÉTOILÉE »

Nous parlons d’un temps (1963-1999) où, sur démarches volontaires des intéressés, l’État gérait une classification des restaurants, à la clientèle principalement touristique, par attribution d’étoiles21.

Le gastronome cherche des repères. Les pouvoirs publics lui répondent par signes. Le droit des signes officiels informatifs, droit instantanément perçu, glisse dans l’esprit la garantie de qualités différenciées. En l’espèce, l’objet est de faire apparaître, dans sa diversité, le segment « gastronomie ». Partant d’une qualité basique pour atteindre un niveau suprême, cinq segments sont réglementairement isolés. Les trois derniers tutoient la gastronomie selon une construction hiérarchisée : 3 étoiles : restaurants réputés pour leur très bonne cuisine ; 4 étoiles : renommés pour la haute qualité de leur cuisine : et, à la pointe de la pyramide, 4 étoiles luxe : restaurants jouissant d’une renommée internationale par la qualité exceptionnelle de leur cuisine…

En appeler à l’État pour établir des standards de qualité, pour gérer la production et la diffusion de l’information sur la qualité en gastronomie, n’était pas, a priori, dénué de sens. Déjà à l’époque, l’action de l’État (ou d’organismes agréés par lui) n’était pas exempte de certification et d’attestation de la qualité alimentaire et d’information des consommateurs. L’AOC (création 1935), le Label rouge (1960)…

Cependant, en dépit de l’affichage à la porte des restaurants de panonceaux officiels millésimés, le principe sélectif par un jeu d’étoiles administratives, mal connu, n’a jamais trouvé sa véritable place. Concurremment aux étoiles officielles, des guides privés délivraient des satisfecit de fantaisie, certes, sans valeur juridique, mais commercialement non négligeables. Pour l’essentiel, on y retrouve les catégories 1, 2 et 3 étoiles du Michelin22. Le pouvoir réglementaire, conscient des limites de son intervention au poste de sélectionneur, abandonne. Ses étoiles s’éteignent en 1999. Cette réglementation du passé instruit sur celle d’aujourd’hui. Tirant la leçon, l’État s’exclut du rôle de pivot de la sélection dans la sphère gastronomie. L’État n’éditera plus d’en haut un segment « gastronomie ». Il renverra aux guides, interfaces entre les offreurs et les demandeurs sur le marché de la gastronomie. À l’image du critique d’art intermédiaire, les guides gastronomiques apparaissent aux pouvoirs publics mieux à même d’évaluer et d’élaborer une qualité légitimée. Deux cas seront, et sont encore réglementés (C et D).

C. ÉLÉMENTS ISSUS DE LA RÉGLEMENTATION « COMMUNES TOURISTIQUES » : UNE GASTRONOMIE PAR DÉFINITION JURIDIQUE DE « RENOMMÉE NATIONALE »

La loi du 14 avril 2006, complétée par l’arrêté interministériel du 2 septembre 2008, rénove le régime juridique des « communes touristiques », en les dotant d’un statut leur reconnaissant cette fonction particulière d’accueil qui, au fil du temps, n’était plus identifiée dans le droit positif. Le Code du tourisme fixe les critères de sélection des communes candidates au classement. Parmi les activités qu’elles peuvent proposer à leurs visiteurs : la « thématique gastronomie ». La circulaire interministérielle du 3 décembre 2009 en fixe le détail (JO, 24 février 2010). Sauf lacune de notre documentation, il s’agit de l’unique texte de nature juridique qui s’aventure aussi loin.

Une commune sollicitant le label « touristique » en s’adossant à la « thématique gastronomie » doit choisir, parmi différentes options, celles auxquelles elle désire se soumettre. L’une d’elles est de justifier de la « présence [sur son territoire] d’au moins un restaurant gastronomique répertorié dans un guide national ». L’État n’édite plus d’en haut. Il délègue. Il renvoie à un « expert-critique », agent connaisseur du marché de la gastronomie. Le guide national est celui dont la diffusion est réalisée dans des points de ventes répartis sur l’ensemble du territoire national y compris les départements d’outre-mer. Ensuite, comme pour guider les guides, en peu de mots, la circulaire exprime l’essentiel. Le restaurant se livrant à la gastronomie est celui qui propose « une cuisine perfectionnée à partir d’une matière première de qualité ». Une définition interministérielle qui trouvera grâce aux yeux des juges.

D. ÉLÉMENTS ISSUS DE LA RÉGLEMENTATION « PALACE » : UNE GASTRONOMIE PAR DÉFINITION JURIDIQUE DE « RENOMMÉE INTERNATIONALE »

L’arrêté du 27 janvier 2016 (JO, 29 janvier 2016, texte 48, Annexe 3, modificatif de l’arrêté du 3 octobre 2014) fixe les « caractéristiques exceptionnelles » pour qu’un hôtel 5 étoiles accède à la « Distinction Palace »23. La fréquentation de l’établissement par des personnalités internationales issues du monde de la politique, des arts et du spectacle, du show-business, du sport… et les événements historiques qui s’y sont déroulés (« signatures d’accords internationaux, rencontre au sommet de personnalités politiques, festivals des arts et de la culture ») permettent d’évaluer, réglementairement, la nature prestigieuse des lieux. Du côté de l’assiette et du verre, « l’excellence de sa restauration » lui impose « un restaurant gastronomique de renommée internationale ». Pour évaluer la nature prestigieuse de cette gastronomie dont le texte fait état, l’État n’édite plus d’en haut. Il recourt à la sous-traitance. La gastronomie « palacière » est désormais celle « reconnue par les principaux guides gastronomiques internationaux ». Cuisine de reproduction, plus que de création, elle reproduit les grandes recettes de la gastronomie française qui, en salle, fait la part belle à la découpe, au flambage, au dressage.

Cette gastronomie « d’élégance à la française » inclut réglementairement « la qualité et l’importance des références de la carte des vins ». L’arrêté du 27 janvier 2016 souligne ainsi que le vin est un élément à part entière, un composant historique, de la gastronomie française. L’accord entre vins et mets en est même le point d’orgue. C’est l’âme même du « Repas gastronomique des Français » inscrit par l’Unesco en 2010 sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité. Mais l’arrêté va encore plus loin. Il exige « l’existence et l’excellence d’un bar ». Ce qui élargit la définition de la gastronomie non seulement au vin, considéré dans le sens commun, mais également aux boissons spiritueuses, déjà placées dans « le patrimoine […] gastronomique protégé en France » par le Code rural. C’est remettre « l’église au centre du village ». Le « repas festif à la française », tel qu’il a été enregistré au patrimoine immatériel par l’Unesco, commence bien par un apéritif et s’achève par un digestif. Or, depuis longtemps, l’univers du vin essaye de diaboliser les spiritueux et de les dissocier du vin24. D’où, dans l’esprit d’un certain public, les spiritueux n’étaient plus rattachés à la gastronomie, ou pas autant qu’ils auraient dû l’être.

In fine, sur la base de ce droit édicté, la gastronomie se définit comme « une cuisine perfectionnée à partir de matières premières de qualité, enrichie d’un savoir-boire incluant les spiritueux et les accords entre vins et mets ».

Réflexions conclusives

La gastronomie fait consensus. Tout le monde a envie de bien manger.

Cependant, le droit de la gastronomie n’est pas encore, à ce jour, un corpus structuré, un champ autonome, mais il se constitue progressivement à travers l’amalgame de contributions disparates.

Cela étant, la définition juridique de la gastronomie française est encore loin d’être fixée.

Mais, peut-être, le fut-elle à l’Université Lumière Lyon 2, le 21 novembre 2019, au soir ?

« Ici, on fait des miracles » ! Ainsi pourra-t-on alors résumer ces XXIIIe Rencontres juridiques.

1. J.-Fr. REVEL, Un festin en paroles. Histoire littéraire de la sensibilité gastronomique de l’Antiquité à nos jours, 2e éd., Paris, Plon, 1995.

2. De même qu’il est impossible d’atteindre une unification culturelle de la gastronomie, il serait vain d’essayer d’universaliser le droit la définissant. On se limite donc à la France.

3. Si, en France, une cuisine savante existe au Moyen Âge, on admet, en général, que c’est à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle que se constitue une gastronomie.

4. J. BERCHOUX, « Gastronomie », in J.-P. BRANLARD, Petit lexique des grandes inventions gastronomiques : hommage d’un juriste gourmet et gourmand, coll. Les beaux livres, Paris, LexisNexis, 2015, pp. 49-50.

5. A.-B. GRIMOD DE LA REYNIÈRE, « Critique gastronomique », in J.-P. BRANLARD, Petit lexique des grandes inventions gastronomiques : hommage d’un juriste gourmet et gourmand, op. cit., pp. 115-117.

6. J. A. BRILLAT-SAVARIN, « Gastronomie », in J.-P. BRANLARD, Petit lexique des grandes inventions gastronomiques : hommage d’un juriste gourmet et gourmand, op. cit., pp. 68-69.

7. « La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l’homme, en tant qu’il se nourrit. Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible. Elle y parvient en dirigeant, par des principes certains, tous ceux qui recherchent, fournissent ou préparent les choses qui peuvent se convertir en alimens » (J. A. BRILLAT-SAVARIN, Physiologie du goût ou Méditations de gastronomie transcendante. Ouvrage théorique, historique, et à l’ordre du jour, dédié aux gastronomes parisiens, Paris, A. Sauteler, 1826, p. 97).

8. Dans La gastronomie ou l’homme des champs à table, recueil de vers ; premier livre à porter le titre de « gastronomie ».

9. Définition reprise par l’INPI le 18 août 2016, RG 2015-5424 (contentieux judiciaire : projet de décision statuant sur une opposition en matière de marques : Spa & Gastronomie – OPP 15-5424 / PCO 11 avril 2015).

10. J. CSERGO, La gastronomie est-elle une marchandise culturelle comme les autres ? La gastronomie française à l’UNESCO : histoire et enjeux, Chartres, Menu Fretin, 2016, p. 40.

11. Premier ouvrage universitaire du genre : J.-P. BRANLARD, Droit et gastronomie : aspect juridique de l’alimentation et des produits gourmands, Paris, Gualino-LGDJ, 1999. Suivi par (du même auteur) : La gastronomie : une approche juridique…, Paris, Eska, 2009 ; La table & le droit – Décisions de justice gourmandes : 50 commentaires, coll. Les Beaux livres, Paris, LexisNexis, 2014 – Prix 2015 de la littérature culinaire de l’Académie internationale de la Gastronomie ; La marmite du juriste : décisions de justice – 50 commentaires érudits, truculents et gourmands, coll. Les Beaux livres, Paris, LexisNexis, 2017 – Prix de la littérature gastronomique 2018 de l’Académie internationale de la Gastronomie ; Les imbroglios juridico… gastronomiques : embrouilles dans l’assiette et dans le verre, Paris, Eska, 2019 – Prix littéraire du droit de la gastronomie décerné par la Commanderie internationale des Cordons Bleus de France.

12. Si un fast-food implanté dans l’enceinte d’un établissement public ou privé n’a pas de clientèle distincte de celle de cet établissement, un restaurant pratiquant la gastronomie attire, par cette qualité intrinsèque, une clientèle autonome qui lui est personnelle. Cf. « Le Train bleu » gare de Lyon à Paris. Ainsi jugé pour un restaurant gastronomique inclus dans un golf, installation commerciale recevant elle-même une clientèle : Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 21 mars 2011, no 07/00330.

13. En raison de la nature des fonctions qu’il exerce. En quoi la cuisine est-elle indissociable du service public assuré par une ambassade ? Parce qu’on y représente aussi la gastronomie française. CE, 7 juin 1991, arrêt Troquet.

14. Ce qui s’explique par la hiérarchie quasi militaire du personnel de salle et par le montant élevé des pourboires dans ce genre d’établissements. Rappr. Cass., ch. soc., 10 février 1971, pourvoi no 69-40.512.

15. Cass. crim., 23 mai 2000, B.I.D., no 12/2000, p. 63 ; C.A. Pau, 9 juin 1999 (appel sur un jugement TGI Pau du 14 janvier 1999, B.I.D., no 12/1999, p. 59).

16. Versailles, ch. 3, 29 mai 2008, no 06/06923.

17. Imputable à un dentier inapproprié : Toulouse, 17 septembre 2012, no 10/06752. Ce qui incline à considérer le repas gastronomique comme un rendez-vous social ; le partage apparaissant meilleur qu’une consommation esseulée.

18. Bien que le 1er considérant du règlement no 1151/2012 de l’Union mentionne « son patrimoine gastronomique vivant » (règlement UE du Parlement et du Conseil no 1151/2012 du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (AOP, IGP, STG). Application : ex., décision d’exécution du 16 janvier 2019, la Commission reçoit la demande de la Lituanie d’inscrire comme IGP sous la dénomination « Diugas » un fromage qui, « en raison de son goût incomparable, fait désormais partie des produits symboliques de la gastronomie lituanienne ». Cependant, en marge des normes contraignantes, voy. Résolution du Parlement européen du 12 mars 2014 sur le patrimoine gastronomique européen : aspects culturels et éducatifs, 2013/2181 (INI), JOUE, 9 novembre 2017, C 378).

19. Mais constitue un abus de faiblesse le fait de harceler des personnes âgées, que l’on sort de chez elles au prétexte d’excursions gastronomiques, puis que l’on soumet à de fortes pressions jusqu’à ce qu’elles achètent des produits présentés, en l’occurrence des textiles censés soulager des rhumatismes (Cass. crim., 1er février 2000, no 99-84.378).

20. Voyages motivés par des visites de vignobles et d’événements vinicoles, avec comme motif principal la dégustation de vins et le plaisir de la cuisine et des spécialités locales maison.

21. Cette classification résultait des arrêtés du 29 avril 1963 et 8 octobre 1965, ainsi que du décret no 66-371 du 13 juin 1966 relatif au classement et aux prix des hôtels et restaurants.

22. Le Guide « rouge » (né en 1900), dont la rubrique « Restaurants recommandés » n’apparaîtra qu’en 1923, exprimait déjà le segment gastronomie par une formule autour d’un nombre d’étoiles : * (1re attribution en 1926) « très bonne cuisine dans sa catégorie » ; ** (apparition en 1931) « cuisine excellente et table valant le détour » ; *** (création en 1936) « cuisine remarquable et table valant le voyage ».

23. En France (novembre 2019), 31 établissements sont détenteurs de cette Distinction décernée par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères pour cinq ans, de façon renouvelable.

24. En dernier lieu, proposition de loi de R. Courteau « visant à distinguer le vin des autres boissons alcooliques » (Sénat, no 714, 9 septembre 2019). En Espagne, la loi du 10 juillet 2003 sur la vigne et le vin a donné au vin le statut d’« aliment naturel », le distinguant légalement des alcools durs.