Histoire de la constitution de la ville de Dinant au Moyen Âge - Henri Pirenne - E-Book

Histoire de la constitution de la ville de Dinant au Moyen Âge E-Book

Henri Pirenne

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Beschreibung

Dinant ne doit son origine ni à un monastère, comme Saint-Trond et Stavelot, ni à un burgus, comme la plupart des villes hollandaises ou flamandes, ni à une situation géographique particulièrement favorable au commerce. Adossée comme ses voisines Huy et Namur à de hautes roches calcaires, excellentes pour la défense, elle semble avoir été habitée dès une époque antérieure à la romanisation de la Belgique. On en a pour preuve, outre la physionomie celtique de son nom, la découverte dans son sol d’antiquités préhistoriques.

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HISTOIRE DE LA CONSTITUTION

DE LA

VILLE DE DINANT

au Moyen-Âge

PAR

H. PIRENNE

Professeur extra-ordinaire à l’Université de Gand

© 2024 Librorium Editions

ISBN : 9782385745738

 

 

 

 

 

 

HISTOIRE DE LA CONSTITUTION DE LA VILLE DE DINANT au Moyen-Âge

I.

II.

III.

IV.

V.

APPENDICE.

 

J’ai cherché à faire, pour une ville belge, ce qui a été fait, pendant les dernières années, pour tant de villes allemandes et françaises.

Le type constitutionnel des communes liégeoises, qui est celui de Dinant, n’a encore formé, jusqu’aujourd’hui, le sujet d’aucune étude spéciale. L’intérêt qu’il présente est pourtant considérable, par suite de la netteté avec laquelle les différentes institutions s’y laissent dégager. On se demandera sans doute, dans ces conditions, pourquoi, au lieu d’écrire directement une histoire de la constitution liégeoise, je me suis attaché à celle d’une ville secondaire. Mais, outre que mes occupations professionnelles ne me permettaient pas d’entreprendre actuellement le travail très étendu qu’aurait demandé une étude approfondie sur Liège, je me suis trouvé, pour aborder Dinant, dans des conditions particulièrement favorables. M. St. Bormans, qui a publié le cartulaire de cette commune[1], a bien voulu mettre, en effet, à ma disposition, avec la plus généreuse bienveillance, une grande quantité de notes prises par lui aux archives. Je ne puis mieux exprimer toute la reconnaissance que je lui dois qu’en déclarant que, sans le secours de ces notes, je n’aurais certainement pas entrepris le présent travail.

L’Inventaire des archives communales de la ville de Dinant[2], publié par M. Remacle, m’a encore été d’un grand secours. L’obligeance de son auteur, ainsi que celle de M. L. Lahaye, conservateur des archives de l’État à Namur ont d’ailleurs singulièrement facilité mes recherches et je leur en adresse ici mes plus vifs remercîments[3].

Malgré tout, je ne me dissimule pas que les sources de l’histoire constitutionnelle de Dînant sont bien incomplètes. Le sac et l’incendie de la ville en 1466 n’ont épargné qu’une faible partie de ses archives. Ce qui en reste suffit cependant à reconstituer, au moins dans ses traits essentiels, ce qu’a été l’organisation de la commune au moyen-âge.

Cartulaire de la commune de Dinant recueilli et annoté par Stanislas Dormans

Namur 1880-1882. 3 vol. 8°.

Cet inventaire a été publié en appendice au Bulletin communal de la ville de Dinant, de 1880 à 1883.

Bien que les notes de M. Bormans et mes propres recherches aux archives m’aient mis à même de pouvoir utiliser un grand nombre de documents inédits, je ne cite cependant dans mon travail que des textes imprimés. Ce qui reste des archives de Dinant est en effet trop fragmentaire pour que les citations que j’aurais fait aient pu avoir quelqu’utilité pour le lecteur.

 

HISTOIREDE LACONSTITUTION DE LA VILLE DE DINANTau Moyen-Âge

I.

Dinant ne doit son origine ni à un monastère, comme Saint-Trond et Stavelot, ni à un burgus, comme la plupart des villes hollandaises ou flamandes, ni à une situation géographique particulièrement favorable au commerce. Adossée comme ses voisines Huy et Namur à de hautes roches calcaires, excellentes pour la défense, elle semble avoir été habitée dès une époque antérieure à la romanisation de la Belgique. On en a pour preuve, outre la physionomie celtique de son nom, la découverte dans son sol d’antiquités préhistoriques.

Dès le début de la période mérovingienne, Dinant apparait comme siège d’un atelier monétaire[1]. En 744[2], une charte d’immunité pour Stavelot mentionne les hommes et les terres que cette abbaye possédait in Dionante castro. Un autre document de 824[3], pour le même monastère, donne à notre localité le nom de vicus. En 870, le traité de Meersen nous fait connaître à Dinant l’abbatia Sancte Marie, la future collégiale de Sainte-Marie. Une autre église d’ailleurs devait depuis longtemps déjà exister dans la ville à cette époque. Un des premiers évêques de Tongres-Maestricht historiquement connus, Saint-Perpète (604 ? — 619 ?), aurait été en effet enterré à Dinant dans l’église de Saint-Vincent[4].

Au IXe siècle, Dinant semble être devenue une place de quelqu’importance, puisqu’elle est citée par l’anonyme de Ravenne parmi les civitates de la Francia Rinensis[5]. Des chartes de 862 et de 874 la mentionnent comme portus[6] et à la fin du Xe siècle, la vie de Saint-Hadelin, comme emporium[7].

Un texte précieux nous a conservé la nomenclature très complète des droits que le comte de Namur exerçait à Dinant au XIe siècle. Peu utilisé jusqu’aujourd’hui, bien que Waitz l’ait jugé assez important pour le faire figurer dans son recueil d’Urkunden, ce document est certainement l’une des plus intéressantes de ces sources si rares, qui permettent de se faire une idée de l’administration urbaine avant la période communale[8].

Comme son premier éditeur, M. A. Wauters, l’a déjà fait remarquer, ce texte ne peut être postérieur à 1070[9]. Pour ma part, je serais tenté d’en placer la rédaction antérieurement à 1047. Nous savons en effet que le comte de Namur donna cette année là au chapitre de Saint-Aubain la chapelle de Saint-Menge[10] ; or notre texte met encore très nettement cette chapelle au nombre des propriétés comtales. En tous cas, la date de 1047 serait pour notre document un terme extrême. Il est impossible de lui supposer une origine beaucoup plus ancienne. Il nous montre en effet la ville arrivée à un degré de développement économique que l’on peut difficilement croire antérieur au XIe siècle. Il cite en outre le camerarius du comte de Namur et il me parait peu probable que celui-ci ait eu un tel officier, revêtu de fonctions publiques, avant cette époque.

Ce que notre document nous permet tout d’abord d’appercevoir, c’est la division de Dinant entre deux seigneurs : le comte de Namur d’une part, l’évêque de Liège de l’autre. C’est même probablement à l’occasion de conflits de juridiction entre eux qu’il a été rédigé. Bien qu’il se borne mentionner l’advocatus et la familia de l’évêque, le texte laisse cependant voir indirectement en quoi consistaient les domaines de ce dernier. La liste des églises du comte ne contenant en effet ni celle de Sainte-Marie, ni celle de Saint-Vincent, on peut en conclure que ce sont précisément celles-ci, de loin les plus importantes de la ville, qui, avec leurs terres et leurs hommes, appartenaient à l’évêque. C’est donc seulement à la partie de Dinant qu’elles occupaient et non à toute la ville que se rapportent deux diplômes impériaux, l’un de 985[11], l’autre de 1006[12], ratifiant à Notger la juridication sur les biens de son église parmi lesquels est cité le vicus Dionantum.

En dehors du domaine épiscopal, tout le reste de Dinant était soumis au pouvoir du comte de Namur. Ce pouvoir avait d’ailleurs, suivant les endroits, une nature différente : c’était celui d’un propriétaire sur les églises de Sainte-Marie de Leffe, de Saint-Hilaire, de Saint-Georges, de Saint-Pierre, de Saint-André et de Saint-Menge[13] ; c’était celui d’un avoué lige sur les terres des abbayes de Saint-Remacle de Stavelot, de Saint-Pierre de Lobbes, de Sainte-Marie de Waulsort-Hastière, de Saint-Aubain de Namur[14] ; c’était enfin, pour la plus grande partie de la ville et de son territoire, celui d’un fonctionnaire public. Ce n’est en effet essentiellement ni comme propriétaire foncier, ni comme avoué que le comte intervenait à Dinant. Dans ses traits principaux, la nature publique de l’autorité qu’il y exerçait, est clairement reconnaissable. C’est du roi (empereur) qu’il tenait sur bannum, c’est au nom du roi qu’il agissait[15]. Notre texte du XIe siècle ne contient pas trace de droit domanial, de Hofrecht. On n’y trouve mention ni de cens personnel, ni de morte-main, ni de tailles, ni de corvées. Ce

n’est pas à dire cependant, que tout cela n’ait pas existé pour une partie de la population. Les hommes établis dans les avouries comtales sont qualifiés en effet de familia[16] : c’étaient sans doute des censuales soumis à une condition juridique particulière, mais sur laquelle nous n’avons malheureusement aucun renseignement. En dehors de là, les habitants du territoire comtal étaient libres[17]. Ils ne l’étaient pas tous d’ailleurs originairement. Plusieurs d’entre eux avaient acquis la liberté en venant s’établir dans la ville. Notre texte nous apprend en effet que les nouveaux arrivants, quelle qu’eût été leur condition juridique antérieure, n’avaient plus à répondre, dès leur établissement à Dinant, à nul autre pouvoir qu’à celui du comte[18].

Le territoire de Dinant au XIe siècle constituait une centène. Les habitants en étaient tenus, à part naturellement ceux des terres de l’évêque soustraits à la juridiction du comte, à assister annuellement aux trois plaids généraux (tria per annum centenarie complacita)[19]. Toutefois, la centène de Dinant au XIe siècle n’avait plus guère que le nom de commun avec l’ancienne centène de l’époque franque. Son étendue était fort restreinte. Bornée à l’Ouest par la Meuse, au Sud par la centène d’Anseremme, au Nord et à l’Est par les territoires namurois qui constituèrent plus tard la prévôté de Poilvache, elle ne comprenait que la villa et les terres environnantes [20]. Elle coïncidait, selon toute apparence, avec la paroisse de Dinant. Les terres dont elle se composait étaient, soit des terrains communaux (wariscapia)[21], soit des courtils dont on peut voir, par les actes échevinaux du XIIIe siècle, qu’ils appartenaient aux habitants de la ville. Sans vouloir affirmer que la centène de Dinant au XIe siècle provienne d’une marche, on peut donc supposer au moins, que la circonscription juridique y coïncidait alors avec une circonscription agraire[22].

Il importe d’ailleurs de faire remarquer ici que l’on ne trouve au XIe siècle aucune intervention des habitants dans l’administration. Les terrains communaux sont placés en termes formels sous la surveillance du comte : ad suam justiciampertinent et omnes sui sunt[23]. S’il a jamais existé à Dinant quelque chose d’analogue au selfgovernment des commarcani d’Allemagne, cela, à notre époque, a disparu sans laisser de traces et n’a pu exercer aucune influence sur le développement postérieur de la constitution urbaine[24].

Publique dans ses traits essentiels, l’autorité du comte à Dinant s’exercait cependant, au XIe siècle, sous une forme seigneuriale. Le comte, dont la résidence se trouvait à Namur, n’intervenait pas directement dans l’administration. Celle-ci était confiée à des ministeriales. Le maire et les échevins étaient en effet recrutés parmi cette classe d’hommes. Le maire portait par excellence le titre de ministerialis comitis[25] ; quant aux échevins, leur caractère ministériel est suffisamment attesté par le fait qu’ils étaient identiques aux monetarii du comte[26]. Ce ne sont là d’ailleurs que des altérations superficielles. Il est évident que la condition juridique des fonctionnaires importe peu, si la nature de leur pouvoir n’est pas influencée par elle[27].

Il suffit de jeter un coup d’œil sur la nomenclature des droits du comte à Dinant, pour constater que les revenus qu’il tirait de la ville n’ont pas une origine domaniale[28]. Nous avons déjà vu qu’il n’y est fait mention ni de tailles, ni de morte-main, ni de corvées etc. Encore une fois, ce n’était pas à titre de propriétaire, c’était à titre de justicier, que le comte exerçait l’administration et, conformément à cela, les produits qu’il en retirait portaient le nom de justiciae[29].

La plupart de ces justiciae provenaient de l’exercice du droit de tonlieu et de la réglementation du commerce local[30]. C’est dans les prestations auxquelles il avait droit de ce chef que consistait le meilleur des revenus du comte dans la ville. De ces prestations, les unes étaient en nature, d’autres en argent[31]. Elles étaient dues soit pour le pesage des métaux, soit pour la mise en perce du vin, etc[32]. Les bateaux étaient astreints à un droit de quai de deux deniers ; le bois de construction flotté par la Meuse payait autant ; du bois à brûler deux branches par fagot étaient acquises au grenier du comte[33]. Le pain exposé en vente aux fenêtres devait un droit d’étalage ; si on le vendait au marché, le ministerialis exigeait, au mois de Mai, trois samedis de suite, un pain de chaque marchand. Par échoppe laissée la nuit sur le marché, le comte percevait une obole. Les brasseurs lui devaient annuellement une redevance de trois sous et demi, plus cinq sous chaque fois qu’ils allumaient leurs fourneaux. Enfin, comme l’évêque de Liège à Huy, il avait le monopole de la vente du ferment (pigmentum) nécessaire à la fabrication de la bière[34].

On doit faire dériver ces prestations diverses des droits régaliens, si souvent mentionnés dans les diplômes du temps, de theloneum et de mercatus[35]. Mais le comte jouissait dans la ville du comitatus complet. À ce titre, il y possédait encore la moneta et la via regia[36].

La monnaie lui est attribuée par notre texte avec une énergie particulière. « Le marteau, l’enclume, la monnaie, le monétaire, la frappe et l’inscription des pièces appartiennent au comte : la fausse monnaie relève de sa justice ; aussi longtemps qu’il le voudra la monnaie restera fixe, quand il le voudra, elle sera changée »[37]. Quant à la surveillance de la route royale, du pyrgus, elle s’exerçait de la manière suivante. Chaque année, un homme à cheval, une lance posée en travers sur la selle, parcourait la ville de bout en bout. Tout ce qui s’opposait à son passage devait être abattu ou racheté au bon plaisir du comte[38]. À la justice des chemins se rapporte encore une prestation de 10 sous et de 5 livres de poivre que les habitants avaient à payer au château de Namur soit au comte, soit, en cas d’absence de celui-ci, à son camérier[39].

La juridiction comtale à Dinant était confiée à un maire auquel notre texte donne le nom de ministerialis. Ce fonctionnaire était, comme le comte, un employé public. De même en effet que le comte tenait du roi son bannum[40], de même le maire tenait le sien du comte. La juridiction qu’il exerçait était donc une délégation de la juridiction royale[41]. Notre texte le prouve à l’évidence quand il stipule que les coupables sont remis au ministerialis « pro reverentia regie dignitatis ».

Sous la présidence du maire, les monétaires du comte fonctionnaient comme échevins[42]. Cette expression, à vrai dire, ne se trouve pas dans notre texte qui emploie le mot de judices. Waitz ne sait s’il faut entendre par là des juges proprement dits (Richter) ou des échevins (Urtheilsfinder)[43]. Il n’y a pas de doute qu’il ne faille choisir la seconde interprétation : on verra plus loin en effet que, jusqu’au XIIIe siècle, les monétaires ont fait partie de l’échevinage à Dinant.

Le ministerialis n’était pas seulement un officier judiciaire, c’était encore un villicus au sens primitif du mot, un exactor. Il administrait la ville au nom du comte ; il percevait les revenus de celui-ci. Le vendredi de chaque semaine était réservé à cet effet[44]. Du chef de ses fonctions, le ministerialis avait droit à une partie des taxes qu’il levait et qui constituait en quelque sorte son traitement[45].

Nous avons déjà vu que les terres des églises de Sainte-Marie et de Saint-Vincent appartenant à l’église de Liège, formaient, au plus tard à la fin du Xe siècle, un territoire soustrait à l’intervention comtale. Les deux diplômes de 985 et de 1006 y avaient accordé à l’évêque une juridiction complètement indépendante, au même titre que dans les autres patrimoines de son église. Il n’y avait donc à Dinant aucun rapport entre la juridiction du comte et celle de l’évêque. Chacune était extérieure à l’autre, elles se touchaient sans se confondre. Le texte du XIe siècle sur lequel nous nous sommes appuyé jusqu’ici, étant manifestement rédigé pour le comte, ne nous donne par malheur presque pas de renseignement sur l’organisation du territoire épiscopal. Il se borne à mentionner l’avoué de l’évêque sans rien dire de ses attributions. Toutefois, il prouve clairement l’indépendance absolue des deux seigneurs de la ville vis à vis l’un de l’autre. Il défend en effets[46], d’une part, à l’avoué de retenir un homme du comte cité en justice (inbannitus) et lui impose l’obligation de le remettre au ministerialis, d’autre part, il exempte de la juridiction comtale dans la villa tous les membres de la familia de l’église de Liège[47].

Un diplôme de l’empereur Henri IV vint, en 1070, changer complètement cette situation au profit de l’évêque. Tandis que les diplômes de 985 et de 1006 s’étaient borné à ratifier la juridiction épiscopale sur les hommes et les terres que l’église de Liège possédait à Dinant, celui de 1070 accorda à l’évêque Theoduin, après un jugement de la cour impériale (judiciario jure et legali deliberatione), le château, la monnaie, le tonlieu et le marché, c’est-à-dire précisément ces droits régaliens constituant le comitatus[48]. Cette concession impériale de possession en y faisant battre monnaie[49]. Désormais, si le riale ? suffit pour mettre fin à toute intervention du comte dans la ville. Ne tenant pas son pouvoir à Dinant d’un titre de propriété mais, comme on l’a vu, exclusivement de la délégation impériale, le comte, du jour où celle-ci fut transférée à l’évêque, ne pût plus invoquer la potestatem et justiciam quam tenet a rege. Du même coup, il se trouva dépouillé complètement à l’avantage de son rival.

Après l’obtention du diplôme de 1070, l’évêque de Liège, à sa qualité primitive de propriétaire privilégié de biens ecclésiastiques, joint donc celle de détenteur exclusif des droits régaliens à Dinant et Théoduin s’empressa d’assurer sa prise comte à conservé à Dinant ses propriétés particulières et sans doute des revenus dans ses petites avoueries (v. p. 4) que l’empereur ne pouvait lui enlever[50], il a cependant perdu toute intervention dans la constitution urbaine[51]. Il n’est pas, comme tant d’autres comtes de l’empire, devenu burgrave. Le rapprochement entre les attributions du comte de Namur à Dinant au XIe siècle et celles des burgraves de Spire, de Worms, de Mayence, de Metz, de Regensbourg, et surtout de Toul et de Genève prouve en effet à l’évidence que ceux-ci ne sont que

des comtes transformés[52]. Malgré une altération plus ou moins grande, leur situation primitive se laisse encore, éclairée par l’exemple de Dinant, reconstituer dans ses traits essentiels et ce n’est pas le moindre intérêt que présente le texte analysé plus haut, que ce lien qu’il permet d’établir entre le comte et le burgrave. Mais Dinant ne nous montre que le point de départ, non le point d’arrivée. En présence de l’évêque les attributions comtales ne s’y transforment pas, elles disparaissent. Deux causes expliquent ce phénomène. La première est le fait de la résidence du comte non à Dinant, mais à Namur ; la seconde doit être cherchée dans la puissance territoriale et politique des évêques de Liège dès le XIe siècle[53]. Le remplacement du comte de Namur à Dinant par l’évêque de Liège, n’est d’ailleurs qu’une des nombreuses manifestations de la politique impériale qui cherche, dans les Pays-Bas, à diminuer l’influence des princes laïcs en augmentant la force des princes ecclésiastiques.

La substitution à Dinant de l’évêque de Liège au comte de Namur, a du naturellement exercer une influence considérable sur la constitution de la ville. Toute la population, dès 1070, n’eut plus qu’un seigneur. Les deux territoires juridiques dont elle s’était composée jusque là furent agglomérés en un seul. Les anciens homines comitis et la familia episcopi ne relevèrent plus désormais d’une juridiction et de fonctionnaires particuliers. L’avoué succéda aux attributions du comte, le ministerialis devint un villicus épiscopal. Quant aux échevins monétaires, ils continuèrent certainement à exister, puisque, comme nous l’avons déjà dit, ils sont encore mentionnés au XIIIe siècle.

Toutefois, après 1070 comme avant, la population de Dinant continue à nous apparaître divisée en deux groupes nettement distincts. En présence des hommes jadis soumis au comte et qui doivent avoir maintenu sans changements leur condition juridique, la familia episcopi conserva son caractère. Elle était formée de censuales qui, chaque année, le jour de l’assomption, payaient un cens à la domus episcopalis. Ces censuales étaient établis sur des curtilia, astreints à un cens foncier[54]. Au XIIIe et au XIVe siècles nombre de maisons et de terres grevées d’un droit de quelques deniers au profit de la collégiale de Sainte-Marie rappelaient encore évidemment cette situation ancienne[55]. Quant aux censuales, leur souvenir se perpétua jusqu’au XVe siècle dans le nom de gens de desous le moustier, que porta jusqu’alors une partie de la bourgeoisie.

L’évêque ne conserva pas dans ses mains tous les revenu justiciers dont le diplôme de 1070, en le substituant au comte, lui avait donné la jouissance. Certains d’entre eux furent cédés par lui en bénéfice à des vassaux de son église. C’est ainsi que l’amagium appartenait en fief, à la fin du XIe siècle, à un certain Walther[56]. Quant au tonlieu et au droit d’étalage sur le marché, l’évêque s’en dépouilla en 1096 au profit de la collégiale[57]. Il avait d’ailleurs aliéné de même certains de ses revenus domaniaux. Le comte Conon de Montaigu était en effet bénéficiaire des cens de la familia. Ceux-ci passèrent à la collégiale, lors du départ du comte pour Jérusalem[58].

Il importe de constater à ce propos que cette collégiale, l’une des douze abbayes séculières dépendant du chapitre cathédral de Liège, ne posséda jamais dans la ville autre chose que des terres et des revenus utiles et n’y exerça, à aucune époque, des droits quelconques de juridiction[59].