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Extrait : "Il en est des associations comme des cités : les unes deviennent grandes et prospères, jusqu'à sembler éternelles ; les autres disparaissent après quelques années d'une existence éphémère, comme le sillon dans une mer calme. Tel ne peut être le sort de la Société des gens de lettres qui, malgré la modestie de ses débuts, se trouve aujourd'hui l'une des plus florissantes, l'une des plus riches, en attendant qu'elle s'impose comme la plus influente dans le temps..."
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Seitenzahl: 507
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335038347
©Ligaran 2015
Voici l’histoire au jour le jour et comme le procès-verbal des travaux d’une association de gens de lettres pendant cinquante ans.
Il y a plusieurs années déjà qu’elle devait être écrite et, dans une assemblée générale de notre Société, une commission spéciale fut, un jour, nommée pour publier l’Histoire de la Société des Gens de Lettres. Cette histoire devait dire ce qu’a fait notre association pour la dignité matérielle et morale des écrivains. Les littérateurs qui composaient la commission, MM. Michel Masson, Altaroche, Gonzalès, de La Landelle et de Lyden, avaient pris pour tâche de saluer la mémoire de ceux qui ont formé, en 1837, ce grand faisceau d’intelligences et d’efforts, aujourd’hui fraternellement unis.
Ils s’étaient chargés de faire savoir tout ce que la Société a secouru, sauvé de gens de lettres, tout ce qu’il y a de bienveillant et de solide dans une association où, comme des frères aînés, les plus glorieux et les plus anciens travaillent pour les nouveaux venus, où l’on peut avoir toutes les opinions en gardant cependant la vertu suprême de la tolérance où, depuis cinquante ans, si l’on heurte au dehors des rivaux ou même des ennemis, on ne trouve au-dedans que des confrères, et où chacun peut dire : « Nous avons fait notre devoir et, depuis le premier de nos Comités jusqu’au dernier, tous, depuis un demi-siècle, ont travaillé à une chose unique, et, par d’incessants efforts, poursuivi un but commun : la grandeur de la Société ! Tous sont demeurés opiniâtres et généreusement fidèles à notre mot d’ordre : Nous affranchir et nous entraider ! »
Mais il en fut de la commission nommée en 1877 comme de tant d’autres commissions et sous-commissions. Elle se sépara en laissant sa tâche inachevée. La mort, d’ailleurs, emporta presque tous ceux qui la composaient et, en dépit d’un excellent chapitre publié sur la fondation de la Société des gens de lettres, par un des ouvriers de la première heure, notre ami M. Élie Berthet, en dépit de documents amassés et partiellement mis au jour par l’érudit M. Charles Joliet, l’Histoire de la Société des Gens de Lettres eût risqué de n’être jamais écrite, si M. Édouard Montagne, notre nouveau Délégué, n’avait compulsé nos archives et mis en œuvre la chronique au jour le jour de notre association.
C’est moins une Histoire sans doute que des Mémoires familiers que nous donne aujourd’hui M. Montagne ; mais combien de faits intéressants, combien de noms illustres ne rencontre-t-on point dans ces pages, échos des séances de nos Comités ! Ce livre valait la peine d’être publié : il ajoute un chapitre à l’histoire littéraire de ce temps. Chapitre documentaire, où les faits sont classés à leur date et sans phrases par un analyste scrupuleux. Travail considérable dont il faut remercier le successeur de notre vieil ami et de notre représentant pendant un quart de siècle, Emmanuel Gonzalès.
La Société des gens de lettres, dont M. Montagne s’est fait le chroniqueur, a rendu aux écrivains du livre le même service que la Société des auteurs dramatiques aux écrivains du théâtre.
« Le plus grand malheur d’un homme de lettres, a dit Voltaire en son Dictionnaire Philosophique, n’est peut-être pas d’être l’objet de la jalousie de ses confrères, la victime de la cabale, du mépris des puissants du monde, c’est d’être jugé par les sots… Son grand malheur encore est ordinairement de ne tenir à rien. Un bourgeois achète un petit office et le voilà soutenu par ses confrères. Si on lui fait une injustice, il trouve aussitôt des défenseurs. L’homme de lettres est sans secours ; il ressemble aux poissons volants ; s’il s’élève un peu, les oiseaux le dévorent ; s’il plonge, les poissons le mangent. » Et Voltaire ajoute vivement : « L’homme de lettres est descendu pour son plaisir dans l’arène ; il s’est lui-même condamné aux bêtes. »
C’est en 1765 que l’auteur de Candide publiait ces lignes ; soixante-quatorze ans après, Balzac demandait que les individualités fissent un groupe et devinssent une force. Cent ans après, combien de gens la Société des gens de lettres avait-elle déjà secourus, aidés, défendus, arrachés à la maladie, disputés à la misère ?
Longtemps avant la fondation de notre Société par Louis Desnoyers et ses amis, Beaumarchais avait eu l’idée de grouper entre eux les auteurs dramatiques, de former le carré, en quelque sorte, lorsqu’en l’an XI, François (de Neufchâteau), membre du Sénat conservateur et de l’institut national, ce François (de Neufchâteau) qui devait, plus tard, protéger Victor Hugo et signer même de son nom une notice sur Gil Blas, rédigée par le jeune poète ; – François (de Neufchâteau) donc eut le dessein de former un fonds de souscriptions annuelles, « destiné, disait-il, à encourager ou récompenser au besoin les savants et les gens de lettres aux « prises avec l’infortune. » Je cite là les termes mêmes d’un de ses discours.
Cette Société, qui dura peu, prenait pour titre Société en faveur des Savants et des Hommes de Lettres. Toute personne, de l’un ou l’autre sexe, en pouvait faire partie moyennant un versement annuel de vingt-quatre francs. La Société se réunissait quatre fois par an et, une fois par an, elle nommait un comité de vingt et un membres. Le règlement de cette Société de l’an XI ressemble un peu à nos statuts actuels. Il contient pourtant des articles qui portent la marque du temps où François (de Neufchâteau), Président, les rédigea. Par exemple, les articles 18 et 19 :
« ART.18. – Les auteurs qui auraient souillé leur plume par des écrits tendant à corrompre la morale publique ou privée ne pourront participer aux avantages offerts par la Société.
« ART.19. – Les personnes qui seraient tombées dans l’indigence par inconduite ne recevront de secours que dans le cas où elles auraient donné subséquemment des preuves d’une conduite mieux réglée. »
Encouragement à la vertu – idéal du dix-huitième siècle – projets de mise au concours d’ouvrages utiles aux progrès des sciences, de traductions de bons écrits, la Société de l’an XI faisait entrer en ligne de compte tous ces généreux desiderata. Avec François (de Neufchâteau), Frochot était élu Président, et je trouve, parmi les noms des premiers fondateurs, Grégoire, Lasteyrie, Lacépède, Lecoutheux-Canteleu et Lucien Bonaparte. En réalité, la Société formée par François (de Neufchâteau) fut l’aïeule de notre Société des gens de lettres.
Lorsqu’elle fut fondée, notre Société, on l’accusa tout d’abord de s’inquiéter de l’argent plus que de l’honneur. Le vert laurier de Ronsard m’agrée, mais encore, pour en jouir, faut-il vivre, et Balzac, se faisant le porte-voix, l’avocat de la Société des gens de lettres, allait, dès la première heure, plaider, à défaut de Berryer, contre un journal de Rouen. C’est encore Balzac qui défendait la Société dans la préface du livre collectif intitulé Babel.
« On lui a reproché, disait-il, on a reproché à notre Société, avec plus d’aigreur que de raison, de ne s’être pas assez défendue contre une tendance à la fiscalité littéraire, d’avoir plaidé, en faveur des travaux de l’esprit, la thèse de l’ubiquité du salaire, et d’avoir ainsi exposé les ouvriers de la pensée de fâcheuses assimilations. Le reproche serait juste, et les gens de lettres ne seraient pas exposés à l’encourir dans une société autrement organisée que ne l’est la nôtre, dans une société qui se fonderait sur le désintéressement. Mais au milieu d’un monde où il n’y a de grâce pour personne, où tout se base sur le calcul, où tout se meut dans le cercle d’un droit étroit et rigoureux, trancher du grand seigneur, se donner des airs de libéralité, de dévouement, de détachement, d’abnégation héroïque, ce ne serait pas seulement une folie, mais encore un ridicule. Le stoïcisme ne doit pas tourner en mystification. »
Qui ne reconnaît là Balzac, ce théoricien de la force ? Mais il ajoute bien vite, Dieu merci, des arguments moraux à ces arguments matériels, et, après avoir déclaré que la Société entend faire la « police de la contrefaçon intérieure », il ajoute que « cette police ne doit être regardée que comme un incident fugitif dans la vie de la Société des gens de lettrés ». « La pensée fondamentale qui a, dit-il, réuni un si grand nombre d’écrivains a une tout autre élévation, une tout autre dignité ! Notre famille littéraire s’en allait éparse dans les mille sentiers de la publicité ; on a voulu la grouper, la constituer fortement, sagement, dans des conditions d’unité imposante. On a entendu créer un centre, où les forts tendissent la main aux faibles, où les ressources de l’association vinssent en aide aux misères de l’isolement. »
– Il est temps, concluait enfin Balzac, de compter avec l’intelligence qui n’a jamais su compter avec personne.
Eh bien ! c’est l’histoire de cette lutte de l’intelligence qui veut que l’on compte avec elle, lutte de cinquante ans contre les intérêts et les mauvais vouloirs que raconte ou plutôt que note, jour par jour, M. Édouard Montagne. Ce livre est, on peut le dire, la collection des Bulletins de notre grande armée littéraire. Avec un profond scrupule et une conscience rare, M. Montagne les a réunis depuis longtemps et les publie aujourd’hui. C’est le don d’avènement qu’il offre, pour le Cinquantenaire, à la Société maintenant solide et respectée.
Il n’a pas tout dit. Il n’a pas dit les luttes stériles, les désespoirs amers, les drames, sanglants parfois, qui ont marqué chacune de ces pages. À quoi bon ? Ce qui console, c’est la grande idée de dévouement et de sacrifice aux nobles causes qui se dégage de ces tristesses et de ces agonies qui sont notre Histoire !
Tous, les plus pauvres et les plus éprouvés, ceux que la vie a le plus cruellement déçus ou fustigés, comme ceux à qui le sort plus clément a donné la réputation et fait la place large au soleil, tous ceux qui tombent, meurent chez nous avec le culte et le respect des lettres, de ces lettres consolatrices qui nous font vivre autant que le sang de nos veines. Ah ! si M. Montagne l’avait voulu, que d’exemples à opposer à ceux qui dénigrent et notre profession et nos caractères ! Quels spectacles à montrer à ceux qui nous méconnaissent, c’est-à-dire qui ne nous connaissent pas ou ne veulent pas nous connaître ! Que de misères noblement supportées, que d’existences vouées à l’accomplissement d’un devoir, que d’infortunes imméritées, que de labeurs mal récompensés, que d’efforts trahis et de dénouements sinistres ! Mais aussi quelle fermeté, quelle décision, quelle résolution et quelle vaillance dans cette vie et pénible fière, qui est la vie littéraire !
Nous nous habituons à donner en spectacle au public nos défauts, nos ridicules et nos plaies. Le public s’en amuse. Mais il ne rirait pas, et il nous estimerait davantage si nous nous montrions à lui tels que nous sommes, avec nos grandeurs sans pose, et nos misères sans défaillance.
C’est ce que doit faire, c’est ce que fera, mieux encore, notre Société des gens de lettres, toujours vieillissante, toujours rajeunie et toujours fidèle à ce qui est sa force : – la dignité des lettres, – et à ce qui est son but : la Fraternité littéraire.
JULES CLARETIE.
En 1824, le journal était encore un objet de luxe dont la lecture restait la distraction de quelques privilégiés.
Le taux des abonnements, alors fort élevé, restreignait nécessairement le nombre des lecteurs.
Les journaux d’opposition, plus en faveur auprès de l’opinion, comptaient 42 000 abonnés, alors que les journaux favorables au Gouvernement en additionnaient à peine 30 000.
55 000 abonnés pour douze journaux, tel était le bilan de la presse parisienne en 1824.
Le livre lui-même était rare, inabordable pour beaucoup de lecteurs, à cause de son haut prix.
Mais voici qu’en 1828, le 5 avril, – une date mémorable, – Émile de Girardin fait paraître le Voleur, et ce fut toute une révélation.
Au bout de quelques mois, ce journal compte 25 000 abonnés ; après un an, il additionne 50 000 francs de bénéfices.
Le journalisme venait d’entrer dans une voie nouvelle, l’attrait de la lecture s’ajoutait, comme correctif, à l’aridité des inépuisables discussions dont la politique était l’objet.
Les journaux mouraient de langueur : le roman feuilleton vint à propos les galvaniser : Émile de Girardin, avec ce flair audacieux qui le fit rayonner parmi les plus illustres journalistes de son époque, avait judicieusement compris le rôle de la presse au XIXe siècle.
Aussi le journal la Mode, publié le 1er octobre 1829, obtint près du public une faveur plus grande encore ; Balzac, Eugène Süe, George Sand, Gavarni contribuèrent à ce succès jusque-là sans précédent.
Le 31 décembre 1831, apparaît le Journal des Connaissances utiles, et, le 31 décembre 1832, il compta 230 000 abonnés. – Un million trois cent mille exemplaires de l’Almanach de France sont vendus en quelques mois.
Et cette double démonstration se trouve ainsi formulée : la soif de lecture n’est plus spéciale à la seule classe aisée : le besoin de s’instruire et d’apprendre, le besoin de lire entre aussi dans le sang du peuple.
On croirait assister à un véritable réveil de l’intelligence, à un épanouissement de la nation, peu soupçonné jusqu’à cette époque, peut-être même considéré comme impossible.
Nous retrouverons plus tard la brillante phalange d’écrivains qui contribuèrent à cette révolution intellectuelle.
En 1836, le 1er juillet, M. Dutaq, le créateur du Droit, fonde encore le journal le Siècle, dont l’influence allait devenir si considérable.
La Presse est publiée le même jour par Émile de Girardin, déjà nommé.
À ce propos, notre ami Élie Berthet, qui peut prendre la parole en qualité de témoin, nous raconte : « Qu’un des faits qui contribuèrent le plus à la vulgarisation du roman en France fut précisément la fondation du journal le Siècle, vers 1836.
« Pour la première fois, on considérait le roman comme un élément principal de succès. Deux rédacteurs en chef, parfaitement indépendants l’un de l’autre, étaient chargés, l’un de la partie littéraire, l’autre de la partie politique du journal, et cette dualité produisit les meilleurs résultats.
« Beaucoup de personnes qui ne partageaient pas les idées politiques du Siècle le lisaient pourtant à cause de ses feuilletons, et il obtint ainsi une popularité immense. »
La lutte qui s’engagea entre la Presse et le Siècle ne contribua pas peu au succès. Le lecteur, témoin de cette fiévreuse passe d’armes entre écrivains distingués, tous brillants, quelques-uns déjà célèbres, recueillit avidement les trésors littéraires qui lui étaient prodigués.
N’est-elle pas toujours une exacte peinture, cette page délicieuse de Paul Féval ?
« Le roman est la légende de nos temps, l’élément passionné de notre littérature… Sa faculté de s’insinuer tient du prodige. Depuis que la presse périodique lui a donné l’hospitalité, il est devenu le favori de la famille. Ceux qui aiment la politique le parcourent, ceux que la politique effraye le dévorent et, dans ce partage de sympathies, son lot n’est pas certes à dédaigner.
« Voici même une chose singulière, il survit au journal son seigneur. Les cahiers de feuilletons circulent dans Paris, débarrassés de cette bourre savante qui est le corps même du Moniteur universel, des Débats, du Constitutionnel, de tous les organes parlant haut et bien à un public d’élite.
« C’est le monde renversé, j’en conviens ; mais qu’y faire ?
« On a supprimé tout ce qui est excellent et précieux : l’éloquence du rédacteur en chef, la science de l’économiste, l’esprit du chroniqueur, le discernement du critique ; on n’a gardé que la pauvre bande de papier racontant les amours de doux marionnettes. »
La presse moderne était donc définitivement créée et le journalisme semblait avoir trouvé sa véritable voie.
Mais quelle était alors la situation de l’écrivain ?
Disons vite qu’elle était loin d’être enviable, bien que ce fut alors, selon l’expression de Paul Féval, le Siècle d’Auguste du roman.
Pour beaucoup, le talent n’avait pas encore reçu la consécration du succès, et cette consécration, qu’elle tarde à venir, lorsqu’on l’attend dans la privation solitaire et le travail anxieux !
Dans la loi même, il n’était pas de garantie pour l’écrivain.
La propriété littéraire est à peine soupçonnée, il faudra bien encore trente années de luttes pour qu’elle soit nettement définie par la loi, et encore avec des réserves et des restrictions choquantes.
La contrefaçon semble chose licite et avouable ; « on prend son bien où on le trouve » est un axiome littéraire qui a cours sur la place des détrousseurs.
Le plagiat semble général ; parfois même, on ne fait pas à l’auteur la politesse de publier son nom, s’il n’est pas un des célèbres du jour.
On le pille, on le vote, mais on lui fait l’honneur de ne pas le nommer !
Écoutez plutôt cette histoire d’Élie Berthet :
« J’étais fort jeune, et j’avais publié dans le journal Paris élégant une nouvelle intitulée : la Mésange bleue. Cette nouvelle était très courte et sans importance ; mais j’avais la faiblesse d’y tenir comme on tient à une première œuvre, et je l’avais bravement signée de mon nom.
« J’allais alors chaque semaine chez de vieux parents que j’aimais beaucoup. C’étaient de bonnes gens, vivant à l’écart de toutes choses et ne connaissant guère les évènements extérieurs que par un journal l’Estafette, qu’ils recevaient chaque matin.
« Un jour, j’arrivai à l’heure ordinaire, et ma parente me dit avec empressement :
« Je vous ai réservé le journal d’hier, il y a une petite histoire qui m’a fait pleurer. Vous qui avez l’intention de composer des romans, vous devriez imiter ces choses-là… Tenez, voici le journal… Lisez haut, si vous le voulez bien, car j’entendrai avec plaisir cette histoire une seconde fois.
« J’étais un peu jaloux du succès de cet auteur inconnu qui avait fait pleurer la bonne vieille dame ; néanmoins, je pris le numéro de l’Estafette et je me mis en devoir de lire. Que l’on juge de mon étonnement et de ma joie !
« L’histoire » en question était intitulée la Mésange bleue, et un coup d’œil me suffit pour reconnaître mon ouvrage.
« – Mais, madame, m’écriai-je, cette nouvelle est de moi !
« Je m’attendais à des félicitations, à des éloges ; loin de là, on me répondit, en pinçant les lèvres et avec une certaine aigreur, que c’était mal de m’attribuer ainsi le travail d’un autre ; que j’étais jeune et que j’avais le temps d’obtenir des succès par moi-même, sans revendiquer ceux qui ne m’appartenaient pas. Piqué à mon tour, je retournai précipitamment le journal pour chercher ma signature ; mais, mon nom n’étant pas connu encore, on l’avait supprimé ; bien plus, le rédacteur de l’Estafette avait jugé à propos de signer la nouvelle de certaines initiales qui ne ressemblaient en rien aux miennes.
« Je protestai avec énergie ; je pris à témoin les dieux et les hommes contre les indignes procédés de l’Estafette ; j’eus la douleur de voir que la digne dame et son mari ne croyaient pas un mot de mes chaleureuses affirmations. On ne répondait plus, on détournait la tête. Poussé à bout, je m’écriai :
« – Eh bien ! je vous prie de retarder un peu l’heure du dîner ; je cours chez moi, et, dans quelques instants, je vous apporterai la preuve de ce que j’avance.
« On me laissa faire, mais les deux vieux époux échangèrent un regard malin qui voulait dire :
« – Voyons comment il se tirera de là !
« Je sautai dans une voiture et je promis un bon pourboire au cocher. Au bout d’une demi-heure, je revenais chez mes incrédules parents, et je leur présentais le numéro du Paris élégant qui contenait la Mésange bleue avec ma signature en toutes lettres.
« Cette fois, on me fit des excuses, on me complimenta, on me choya et l’on finit par crier plus fort que moi-même contre les agissements de l’Estafette. »
Toute l’époque est là, dans ce modeste récit, et cette page en raconte plus long que les études prolongées sur la jurisprudence en matière de lettres, vers 1838.
Nous pouvons donc en croire Élie Berthet, lorsqu’il nous dit : « Non seulement les journalistes et certains libraires reproduisaient les romans à leur convenance et sans payer aucune rétribution à l’auteur, mais, le plus souvent, ils supprimaient son nom et signaient son ouvrage d’un nom nouveau. »
L’auteur de la Mésange bleue savait à quoi s’en tenir sur ce point :
« L’œuvre du talent et du génie, d’après une théorie alors en faveur, ne devait servir qu’à enrichir des intermédiaires et l’auteur devait se contenter d’avoir travaillé pour la gloire ; s’il n’avait, pas de fortune personnelle, il était en droit de mourir glorieusement de faim.
« Les œuvres littéraires étaient mises au pillage sans que les victimes de cette piraterie pussent trouver dans l’interprétation de la loi la protection de leurs intérêts.
« L’idée, disait-on, comme l’air, l’idée est à tout le monde et, ajoute Léo Lespès, « c’étaient surtout ceux qui n’avaient jamais eu d’idées qui prônaient cette singulière jurisprudence. »
La Société des gens de lettres se fonda pour remédier à cet abus.
Il en est des associations comme des cités : les unes deviennent grandes et prospères, jusqu’à sembler éternelles ; les autres disparaissent après quelques années d’une existence éphémère, comme le sillon dans une mer calme.
Tel ne peut être le sort de la Société des gens de lettres qui, malgré la modestie de ses débuts, se trouve aujourd’hui l’une des plus florissantes, l’une des plus riches, en attendant qu’elle s’impose comme la plus influente dans un temps relativement prochain.
Ce fut le 10 décembre 1837 que M. Louis Desnoyers, directeur du Siècle, désireux de constituer en association les hommes de lettres, pour la défense de leurs droits incessamment menacés, réunit en son domicile, rue de Navarin, n° 14, un certain nombre de rédacteurs littéraires des différents journaux de Paris.
Son projet fut approuvé à l’unanimité des membres présents ; on en adopta les bases séance tenaille, et une commission fut nommée à l’effet d’en discuter la rédaction
Elle s’assembla tous les deux jours au domicile de M. Louis Desnoyers et, après avoir longuement discuté le projet en question, après en avoir adopté les articles à l’unanimité, elle convoqua en assemblée générale provisoire ceux des hommes de lettres qui avaient adhéré aux bases de l’Association.
L’assemblée générale dont il s’agit se tint le 31 décembre 1837, rue de la Michaudière, n° 14, chez M. Pommier, ancien avoué, qui, se chargeant à forfait de toutes les dépenses, reçut de ce fait le titre d’Agent central de la Société des gens de lettres. Cinquante-quatre membres y prirent part ; l’acte de société préparé par la commission fut lu, discuté, adopté définitivement dans sa teneur et signé immédiatement par tous les présents.
Cette même assemblée décida que la Société des gens de lettres était provisoirement fondée à partir de ce jour ; elle choisit et institua un comité, provisoire comme elle, qui fut ainsi composé : M. Villemain, président ; M. Louis Desnoyers, vice-président ; MM. Jules-A. David et André Delrieu, secrétaires ; MM. François Arago, Alexandre Dumas, Léon Gozlan, Grauier de Cassagnac, Eugène Guinot, Victor Hugo, Lamenais, Hippolyte Lucas, Désiré Nisard, Louis Reybaud, Alphonse Royer, Frédéric Soulié et Louis Viardot, membres.
Cette assemblée décida encore que l’acte serait imprimé, envoyé à tous les gens de lettres résidant à Paris et remis à tous ceux qui souhaiteraient le posséder, avec invitation d’en prendre connaissance et d’y adhérer, le cas échéant.
Le Comité provisoire s’assembla le dimanche suivant, 6 janvier 1838. Il fut décidé, dans cette première réunion :
1° que l’acte resterait ouvert aux signataires chez le notaire de la Société jusqu’au 31 mars ; 2° qu’aux termes des statuts, des adhésions séparées seraient reçues par l’Agent central ; 3° qu’un résumé de l’acte de société serait publié dans les journaux ; 4° que toutes demandes seraient faites auprès de messieurs les gens de lettres, soit par les membres du Comité, soit par l’Agent central, soit par le notaire de la Société, à l’effet d’activer les adhésions.
La première assemblée générale eut lieu, sous la présidence de M. Villemain, le 16 avril 1838, dans la salle de l’Athénée des Familles, passage Choiseul, à Paris.
Elle avait la double mission de nommer un Comité définitif et d’effectuer, s’il y avait lieu, quelques modifications à l’acte social.
Sur 85 votants, M. Villemain fut élu par 82 voix ; M. Louis Desnoyers par 84, Jules-A. David par 68, A. Delrieu par 66, François Arago par 74, Alexandre Dumas par 71, Léon Gozlan par 69, Granier de Cassagnac par 61, Eugène Guinot par 70, Victor Hugo par 78, Lamenais par 77, Hippolyle Lucas par 70, Désiré Nisard par 65, Louis Reybaud par 74, Alphonse Royer par 69, Frédéric Soulié par 77, Viardol par 80 ; M. Altaroche n’obtint que la majorité relative, confirmée par assis et levé.
La suite de cette assemblée se passa le 29 avril 1838, sous la présidence de M. Villemain, dans les salons Lemardeley, rue de Richelieu, n° 100, c’est-à-dire le lendemain du jour où la Société fut décidément et légalement constituée.
Elle avait été convoquée à l’effet de revoir les articles de l’acte social sur lesquels des réclamations s’étaient élevées et d’adjoindre, sur la proposition du Comité, six nouveaux membres à ceux qui le composaient déjà, afin de porter le nombre total à vingt-quatre et cela pour que la presse y fût généralement représentée de la manière la plus complète possible.
M. Altaroche, déjà démissionnaire, fut réélu par 111 voix sur 126, et M. Félix Pyat par 91 voix.
Les cinq membres qui manquaient encore pour compléter la liste ne passèrent qu’en troisième assemblée générale, le 27 mai suivant. Ce furent, au premier tour de scrutin : MM. Galibert, par 58 voix sur 86 ; M. Auguste Luchet, par 48 ; et au scrutin de ballottage : MM. Théophile Thoré, par 28 voix ; Augustin Thierry, par 26 ; et Charles Merruau, par 24.
Certes, une Société qui se crée ne saurait atteindre tout de suite la perfection dans ses rouages ; mais on reste étonné en voyant apparaître le 28 mai, soit un mois après sa formation, une demande signée de plus de trente membres sollicitant la révision des statuts.
PREMIERS TRAVAUX DU COMITÉ. – La Société, à peine constituée, voit déjà s’élever des légions d’ennemis ou d’envieux qui se liguent contre elle pour essayer de l’étouffer ; afin d’y remédier, le Comité décide, ainsi que Phœbus, de jeter des torrents de lumière sur ses obscurs blasphémateurs ; en conséquence, l’acte de société et la liste des membres seront communiqués aux adversaires de la Société par une commission de publicité instituée à cet effet.
En même temps qu’il essaye d’imposer silence à ses détracteurs, il s’occupe aussi de pourchasser les pirates qui s’emparent des œuvres littéraires de ses membres pour les transporter au théâtre ; mais il se heurte, dans cette campagne, au mauvais vouloir et à l’iniquité de la Commission des ailleurs dramatiques, avec laquelle il s’est abouché. N’ayant à sa disposition que ses propres forces, il décide de poursuivre devant les tribunaux les arrangeurs de M. de Coislin et les pillards de M. de Lauzun, deux vaudevilles l’un joué, l’autre en répétition au théâtre du Palais-Royal, comme étant la contrefaçon de deux nouvelles de M. Paul de Musset, portant aussi les mêmes titres.
Les rapports ne sont point encore si tendus, à la date du 30 novembre 1838, qu’ils ne permettent à la Société des auteurs dramatiques d’engager la Société des gens de lettres à désigner trois commissaires qui, concurremment avec ceux de l’Académie française, ceux du Théâtre-Français et les leurs, procéderont à la translation des restes de La Harpe, du cimetière de Vaugirard au Père-Lachaise. Le Comité s’empresse d’accepter cette invitation si cordiale, et s’affirme ainsi, pour la première fois, dans une cérémonie publique.
D’après son règlement, le Comité, qui devait se réunir au moins une fois le vendredi de chaque quinzaine, à une heure de l’après-midi, s’était, frappé lui-même d’une amende graduée pour les retardataires : soit un franc pour la première demi-heure commencée ; un franc pour la dernière ; cinquante centimes pour chaque demi-heure intermédiaire, sans toutefois que le total puisse s’élever au-delà de cinq francs.
Les amendes pour défaut de présence aux séances extraordinaires s’élevaient de moitié en sus.
Cette mesure fut mise en pratique pendant sept mois consécutifs, jusqu’au 14 décembre 1836, époque à laquelle on décida qu’il y aurait amnistie générale pour les amendes encourues jusqu’à ce jour par les coupables.
La date du 28 décembre 1838 est mémorable dans l’histoire de la Société. Ce jour-là, « M. de Balzac demande à faire partie de la Société ; il est admis. » Tels sont les termes laconiques du procès-verbal, dont le rédacteur ne saurait être accusé d’aristocratie littéraire.
Le 27 janvier 1839 commence une longue et besogneuse série d’assemblées générales, qui se continua les 14, 17 et 24 février, les 3, 10, 17 et 24 mars, et se termine le 1er avril par l’élection des membres sortants du Comité.
On y discute la première révision des statuts, profondément remués, considérablement améliorés, mais non pas encore épurés jusqu’à la perfection, ainsi qu’il nous sera donné l’occasion de le démontrer dans la suite de ce livre.
Dans la séance du 24 mars, M. le Président donne lecture d’une lettre de M. Louis Desnoyers, renfermant les propositions suivantes :
1° Le Comité futur sera formellement chargé par l’assemblée de donner suite aux négociations engagées avec le Ministre de l’Intérieur dans le but de créer un certain nombre de pensions temporaires qui seraient accordées, chaque année, il des lauréats littéraires, à l’instar de ce qui se pratique annuellement pour les lauréats de musique, de peinture et de sculpture ; de hâter l’accomplissement de ce projet et de faire en sorte que cette institution puisse prendre place parmi les travaux législatifs de la session qui va s’ouvrir.
2° La Société décide qu’un appel est fait au zèle et au désintéressement de tous ses membres dans le but de publier une œuvre collective à laquelle chacun de ceux qui se seront volontairement inscrits fournira tel nombre de fouilles convenu. Cette collaboration est gratuite ; elle est provoquée au profit du fonds social.
Ces deux propositions, successivement mises aux voix, sont adoptées sans discussion, à l’unanimité.
En outre, M. Louis Desnoyers fait don à la Société d’une somme de 250 francs. Il offre aussi de mettre à la disposition des sociétaires éprouvant quelque difficulté à produire leurs œuvres un certain nombre de colonnes dans le journal le Siècle, au prix ordinaire de rédaction.
L’assemblée accepte le don et l’offre de M. Louis Desnoyers, et lui vote des remerciements.
Une autre proposition de M. Violet, tendant à créer un journal, qui serait publié par la Société, est prise en considération et renvoyée au Comité, qui donnera son avis, à la plus prochaine assemblée générale, sur la possibilité de son exécution.
Il est décidé, en outre, que chaque membre sera soumis, pour l’année 1839, au payement d’une cotisation de 24 francs, avec facilité de se libérer par douzième, de mois en mois.
Une autre particularité de cette assemblée concerne le poète Béranger, qui, sans appartenir à la Société, n’en obtient pas moins 17 voix pour siéger au Comité, chiffre insuffisant sans doute, et pour le mérite du poète et pour son élection, mais parfaitement nul au point de vue statutaire.
Mme George Sand fut élue par 59 voix.
Jusqu’ici, les admissions des sociétaires s’effectuaient par la simple formalité d’une signature apposée sur l’acte social. Le 5 avril 1839, M. Louis Desnoyers propose la mesure générale suivante, qu’on s’empresse d’adopter :
Nul ne peut demander à être admis dans la Société que s’il est présenté par deux membres de la Société ou par un membre du Comité.
BABEL ET LUS ARABESQUES, publication collective de la Société. – La publication collective proposée par M. Louis Desnoyers, acceptée par l’assemblée générale, devait être pendant longtemps le souci du Comité, qui s’empressa de nommer une commission d’étude, avec charge de présenter, à la séance suivante, un travail préparatoire sur les voies et moyens de cette publication.
Le rapport, lu dans la séance du 5 avril 1839, renferme les propositions qui suivent :
L’œuvre collective portera le titre des Mille et un, Recueil de la Société des gens de lettres.
L’œuvre collective pourra comprendre le roman, la nouvelle, le conte, la chronique, le proverbe, l’essai philosophique, – historique, – scientifique, – artistique, – biographique, et la critique.
Les œuvres critiques ne pourront avoir rapport aux auteurs français vivants, membres de la Société, que de leur consentement. En conséquence, tout membre de la Société dont le nom ou les ouvrages seraient cités, même par allusion, dans un article, sera appelé devant la commission et invité à donner son consentement pour l’admission du passage en question.
Une commission définitive est aussitôt nommée après l’approbation de ces propositions, et les noms de Balzac, comme président, d’Henri Martin, comme secrétaire, disent assez le prix qu’on attachait à la réunion des œuvres devant avoir accès dans la collection.
Il fut arrêté plus tard que MM. Jules Renouard et Cie seraient choisis comme éditeurs, et le traité fut passé le 1er mai 1839 entre le Comité et M. de Saint-Julien, l’associé de la maison.
On convint aussi d’écrire à Mme George Sand pour lui demander un article en faveur du livre et de saisir cette occasion pour lui annoncer son élection qui, par un oubli injustifiable, ne lui avait point encore été notifiée. Hâtons-nous d’ajouter que pendant les quatre années où les assemblées générales firent à l’illustre écrivain l’honneur insigne de l’appeler au Comité, il ne daigna jamais s’y rendre, même une seule fois, malgré l’éclat des noms qui rayonnaient autour du sien.
Le premier titre adopté : les Mille et un, ne devait point longtemps subsister. On convint, dans la séance du 17 mai 1839, de l’appeler : Babel, livre de tous, publication de la Société des gens de lettres.
Néanmoins, ce titre des Mille et un servit plus tard, alors que le célèbre éditeur étant, par suite de spéculations malheureuses, tombé dans une misère profonde, les auteurs édités chez lui résolurent de venir à son secours en lui fournissant chacun une nouvelle gratuite ; de cette union cordiale, sympathique, reconnaissante, naquit précisément toute une série de volumes qui furent un des grands succès de tour époque.
Les œuvres collectives offrent ce fâcheux privilège, même quand elles servent à de bonnes œuvres, de demeurer longtemps à l’état embryonnaire.
M. de Balzac présenta, dans la séance du 19 juillet, au nom de la commission de publication, un rapport sur les travaux relatifs aux trois volumes composant la première série, et, tout aussitôt, la commission chargée d’élaborer les trois volumes suivants fut aussitôt nommée ; mais cela n’impliquait pas qu’on dut rapidement arriver à la fin de l’ouvrage, car le titre lui-même fut de nouveau mis en discussion par la maison Renouard, qui ne trouvait ni assez harmonieux, ni assez explicatif, ni assez sonore le mot Babel, et réclamait son changement.
Le Comité, peu soucieux de le conserver, offrit ce nouveau titre : Le Livre des Auteurs, qui parut plaire à M. de Saint-Julien, mais qui ne convint point à son associé ; alors, on entra dans la série des mots barbares, à force d’être savants, et l’on proposa successivement Panergon, puis Panathénées. Aucun d’eux ne prévalut, par bonheur, et les difficultés, les délais surtout se prolongèrent par des incidents d’un ordre plus élevé.
On attendit vainement une introduction de M. de Lamartine qui, malgré sa promesse formelle, refusa de fournir sa part de travail, et un article de Charles Nodier qui, lui aussi, se soucia peu de sa parole.
En conséquence, on décida qu’un avant-propos, au nom du Comité, et signé : Le Comité, serait rédigé par M. Louis Reybaud. Il faut maintenant, se reporter à la séance du 20 janvier 1840 pour y suivre les développements de ce véritable travail de Pénélope, si l’on doit en juger par la lettre des éditeurs dont il y fut donné lecture.
Ces messieurs se plaignaient des retards apportés par la Société dans la livraison des manuscrits, et menaçaient de réclamer les indemnités stipulées au traité.
D’après cette menace assez justifiée, quoique fort désagréable en elle-même, il fut décidé que des démarches actives seraient tentées auprès des membres retardataires, tandis que l’un des membres du Comité, très en relations d’affaires avec M. Renouard, chercherait le moyen de lui donner toute satisfaction.
Cette tentative, dont on paraissait espérer les plus heureux résultats, n’eut pas assez de puissance pour calmer l’irritation du farouche éditeur, qui persista, plus énergiquement encore, à réclamer des dommages et intérêts pour inexécution de traité, et le membre influent qui s’était mis en communication directe avec lui fut prié, devant ses exigences, de présenter un rapport à huitaine.
Ce rapport produit à son heure, avec une régularité plus grande, il faut l’avouer, que la copie de l’œuvre collective, n’empêcha pas la surprise amère qui devait s’en dégager lorsqu’il fut dévoilé qu’une somme de 3 000 francs devait être versée es mains de M. Renouard et Cie, les délais consentis par ces messieurs étant expirés depuis longtemps. À toute situation critique, il convient d’appliquer un remède. M. l’Agent central fut chargé d’offrir, en espèces sonnantes, la moitié du dédit et de solliciter un délai de deux mois pour la livraison complète des manuscrits de la seconde série. L’éditeur refusa d’accepter cette combinaison trop modeste et proposa de substituer de nouvelles conditions à l’ancien traité. On négocia jusqu’au 27 mars 1840, époque il laquelle M. Renouard adressa des réclamations bien autrement pressantes et beaucoup plus cruelles que les premières, si exigeantes d’ailleurs que l’Agent central, M. Pommier, fui investi des pleins pouvoirs du Comité pour traiter et terminer l’affaire au mieux des intérêts sociaux.
Deux mois plus tard, un projet de traité, présenté par les éditeurs eux-mêmes, surgissait tout à coup pour mettre fin à l’éternelle publication de Babel et supprimer en même temps toutes les difficultés pendantes.
Ce projet fut ajourné jusqu’à l’issue de certaines démarches de convenances auprès des auteurs, car il s’agissait d’obtenir de leur complaisance qu’ils renonçassent à se voir imprimer dans un quatrième volume devenu pour ainsi dire fantastique ; il fallut un mois de négociations suivies pour le voir piteusement échouer ; cependant, il permit d’élaborer une transaction plus avantageuse que les précédentes avec la maison Renouard.
La fin de l’année s’acheva sans amener de solution, à moins qu’on ne veuille considérer comme telle les obstacles nouveaux qui semblaient surgir de chacun des articles du traité ; et le Comité, retournant tout à coup sa situation critique, invita son Agent à actionner la maison Renouard dans le plus bref délai, en réparation de toutes les infractions dont elle s’était rendue coupable :
1° En concédant à un tiers le droit d’éditer l’ouvrage ;
2° En publiant l’ouvrage en deux volumes au lieu d’un ;
3° En omettant dans les annonces l’indication que le livre est une seconde publication de la Société ;
4° En indiquant en caractères inégaux, sur les annonces, les noms des auteurs ; en omettant les noms de quelques-uns ;
5° En refusant de remettre à la Société les trente exemplaires auxquels elle avait droit.
À cette injonction, peut-être imprévue pour la maison Renouard, et même pour la Société, M. de Saint-Julien, l’un des associés, s’émeut, fournit des explications embarrassées, tergiverse et présenté des propositions d’arrangement, qui sont acceptées le 15 janvier 1841.
Ainsi se termine, après deux années perdues, cette affaire absolument nulle au point de vue des résultats, et qui servira de sage leçon au Comité, jusque-là trop confiant.
Ajoutons, en terminant, que cette publication de si longue haleine se compose de quatre volumes, dont les trois premiers sont intitulés : Babel, et le quatrième : Les Arabesques.
MARCHE EN AVANT DE LA SOCIÉTÉ. – Il convient de remonter un peu le cours du temps et de retourner à l’époque où l’Histoire de Babel s’est présentée sous notre plume, soit à la date du 20 avril 1839.
Le Comité, très jaloux de sa dignité, très décidé à la faire prévaloir en toutes circonstances, cite à sa barre M. Albéric Second, rédacteur en chef du Figaro, qui vient de publier divers articles hostiles à la Société.
Le confrère ainsi pris à partie s’explique librement, s’excuse de son mieux et trouve, pour cette fois, une indulgence dont il a su tenir compte en restant absolument dévoué depuis à sa famille littéraire.
À cette époque encore, le Comité, très honoré de posséder à sa tête l’éminent M. Villemain, saisit avec empressement sa nomination de Ministre de l’Instruction publique pour déléguer auprès de lui ses membres les plus influents et les charger de lui demander s’il peut ou veut conserver la présidence effective du Comité, ou bien se contenter du titre de président honoraire ; la réponse était prévue d’avance : M. Villemain, en remerciant avec effusion ses collègues, ne retient de son titre que le souvenir de l’avoir porté si dignement.
Le 5 juillet 1839, MM. Elzéar Pin et Alphonse Karr étaient admis sociétaires sur leur demande. Alphonse Karr démissionnait quelques jours plus tard, M. Elzéar Pin quelques années après. M. Elzéar Pin est devenu sénateur, M. Alphonse Karr s’est intitulé jardinier ; tous deux ont trouvé le bonheur où ils semblaient le chercher, du moins nous aimons à le croire.
Dans la séance du 19 juillet 1839, M. de Balzac signale au Comité un passage de la Quotidienne du 7 juillet 1839, ainsi conçu :
On parlait, ces jours derniers, à l’Opéra, d’une audience particulière à Neuilly, par un très grand personnage à M. Buloz qui, à ses fonctions de directeur de la Revue des Deux-Mondes et de la Revue de Paris, joint le titre de commissaire royal près la Comédie-Française. Il paraît que M. Buloz lient à conserver le protectorat du pouvoir pour ses deux recueils, et qu’on n’est pas fâché à Neuilly de conserver aussi la haute dévotion que M. Molé avait acquise sur la chronique politique des deux revues. Avec des désirs et des intérêts si bien d’accord, l’entrevue de M. Buloz avec l’auguste propriétaire de Neuilly ne pouvait être que très affectueuse et très expansive. Dans les confidences mutuelles que les deux interlocuteurs se sont faites, M. Buloz, en sa double qualité de directeur de journal et de directeur de la Comédie, aurait fait un aveu qui a beaucoup réussi ; il aurait dit : « Sire, ma position est fort difficile à tenir, car j’ai affaire aux gens les plus indisciplinables de votre royaume : les gens de lettres et les comédiens. » Le mot de M. Buloz a fait fortune ; on l’a répété dans tous les salons ; M. Liadières, M. Cuvillier-Fleury, M. Cousin et M. Vatout en ont beaucoup ri ; il y avait même là quelques comédiens de quinze ans, assez bien disciplinés, qui l’ont trouvé très plaisant.
Le Comité décide, après discussion, que les paroles attribuées à M. Buloz sont blessantes pour les gens de lettres ; que le Comité, chargé de veiller à la conservation des intérêts moraux des membres de la Société des gens de lettres, doit demander la rectification ou la dénégation, de ce propos.
Trois membres sont chargés de se présenter dans le plus bref délai chez M. Buloz, pour savoir de lui : 1° s’il a tenu le propos rapporté par la Quotidienne ; 2° s’il consent à en publier une dénégation.
À la séance suivante, un des commissaires délégués rend compte de la visite chez M. Buloz. Celui-ci a nié le propos qui lui était attribué par la Quotidienne ; mais il a refusé d’en autoriser la rétractation.
En conséquence, le Comité décide qu’il sera communiqué aux journaux une note ainsi conçue :
Un journal a publié dans son feuilleton hebdomadaire que, reçu en audience par le Roi, M. Buloz, qui cumule les fonctions de directeur de revues et le titre de Commissaire royal près le Théâtre-Français, aurait dit : « Sire, ma position est fort difficile à tenir, car j’ai affaire aux gens les plus indisciplinés de votre royaume : les gens de lettres et les comédiens.
M. Buloz n’ayant pas démenti spontanément ce propos, le Comité de la Société des gens de lettres, qui ne reconnaît à personne le droit de discipline sur la littérature, a dû s’enquérir de la vérité. Trois de ses membres, envoyés chez M. Buloz, ont reçu de lui la déclaration formelle qu’admis à Neuilly, en sa qualité de Commissaire royal, il n’avait parlé que des affaires du Théâtre-Français.
Il nous semble que la Société des gens de lettres se montrait bien susceptible à cette époque. Ses doctrines aujourd’hui sont autrement libérales ; elle comprend justement qu’une corporation peut et doit être discutée librement, appréciée suivant l’opinion publique, tant qu’il n’est porté préjudice ni à ses intérêts, ni à son honneur.
Si d’ailleurs elle s’éloignait un peu de ses attributions en évoquant cette affaire, M. Léon Gozlan la rappelait dans le courant de ses attributions en proposant au Comité de préparer une nouvelle publication à laquelle pourrait travailler, utilement pour eux-mêmes, la plupart des membres de la Société. Il s’agissait d’écrire un dictionnaire de la langue française donnant l’histoire de chaque mot.
Le Comité désigna, pour examiner les propositions, Hugo, Balzac et Gozlan ; ce fut Balzac en personne qui donna lecture du rapport où, tout en écartant l’idée d’un dictionnaire, se trouvait formulé le plan d’une publication nouvelle, non moins immense.
Mais cet écrivain de génie, le plus grand observateur, le plus profond logicien de son époque, traitait les affaires avec un tel défaut de sens moral que ses collègues effarés ne le discutaient plus depuis longtemps. Ce fut assez qu’il offrit je ne sais quelle combinaison à triple serrure pour qu’elle fût exécutée par la question préalable.
Cet échec du romancier faillit même porter bonheur à la question du Dictionnaire que M. Léon Gozlan parvînt à ressusciter dans la séance du 14 février 1846 ; il obtint même qu’on désignât une commission chargée de l’examiner dans ses moindres détails et, jusqu’au 27 mars 1840, il put espérer voir triompher son idée ; mais un ajournement définitif le fixa sur les destinées de son projet.
Les débuts de la Société sont d’ailleurs marqués par un nombre considérable de propositions plus ou moins utiles, mais la plupart du temps peu réalisables.
Telle est cette de M. Boulé qui témoigne le désir d’éditer les ouvrages qui auront été recueillis et examinés par le Comité.
Prise en considération pour la forme, cette mesure va se perdre au sein d’une commission nommée pour l’étudier.
Le 6 septembre 1839, M. Léon Gozlan donne lecture d’une lettre que lui a écrite M. de Balzac et par laquelle il se plaint de la publication d’une gravure de la Gazette des Écoles, accompagnée d’un texte qui contient des énonciations outrageantes et diffamatoires. M. de Balzac réclame l’intervention du Comité auprès de M. le Procureur du Roi, à Paris.
Après cette lecture, il est décidé qu’une démarche officieuse sera préalablement tentée auprès du gérant du journal Les Écoles, par deux membres, pour obtenir par les voies amiables les réparations qui sont dues à M. de Balzac ; dans le cas où cette démarche serait infructueuse, il en sera donné avis officiellement par lettre au plaignant, qui suivra alors l’affaire comme bon lui semblera et qui fera de la lettre l’usage qu’il jugera nécessaire.
Le Comité décide, toujours dans la même séance, qu’il sera répondu dans plusieurs journaux à un article publié par M. de Sainte-Beuve, dans la Revue des Deux-Mondes, sous le titre de : La Littérature industrielle.
M. de Balzac est chargé de cette réponse, et, à son défaut, M. Gozlan.
Le 14 octobre 1830, M. de Balzac, toujours à la recherche d’une idée, propose la publication, par la Société, d’un annuaire littéraire contenant tout, ce que comporte un ouvrage de ce genre. La proposition est prise en considération cette fois et, pour en presser l’exécution, le Comité désigne une commission, assistée d’un secrétaire appointé. Sans la nomination de ce secrétaire, la publication eût peut-être été couronnée de succès ; mais, ayant eu l’idée de demander, à la date du 27 mars 1840, s’il devait continuer son travail, le Comité décide le renvoi de l’annuaire à l’année suivante.
Malgré que la Société des gens de lettres ait été instituée pour la perception des droits de reproduction, qu’elle soit ainsi une affaire industrielle et purement commerciale, elle a manifesté à toutes les époques, et plus encore à ses débuts, des tendances littéraires.
C’est ainsi que, le 23 octobre 1839, M. de Balzac propose au Comité de décider s’il doit appuyer par une démarche quelconque les candidats qui se présentent à l’Académie. Cette proposition, déclare son auteur, est motivée sur ce que deux membres de la Société, MM. Victor Hugo et de Balzac, se présentent en ce moment pour remplir les fauteuils vacants à l’Académie. La proposition est renvoyée à la séance suivante et ne reparaît plus.
Il en est de même d’un projet d’établissement de banque au profit des membres de la Société, laquelle escompterait le papier des sociétaires et consentirait des avances sur les manuscrits. Pris en considération, ce projet va s’éteindre dans les bras d’une commission nommée pour la circonstance.
Le 15 novembre 1839, M. Curmer, l’éditeur des merveilleuses éditions typographiques aujourd’hui si rares, et parlant si chères, est admis comme sociétaire.
Son premier acte de confraternité littéraire s’exerce immédiatement par la création d’un concours : Le Français, l’Anglais, un Discours sur l’Histoire universelle sont les sujets qu’il désigne avec un prix de 500 francs pour chacun des lauréats. Il abandonne au Comité le soin d’apprécier le mérite des manuscrits et de procéder à l’attribution des prix.
Le 16 décembre 1839, M. Altaroche expose au Comité qu’il est urgent de procéder à l’exhumation des restes d’Hégésippe Moreau, inhumé provisoirement dans un caveau, après l’embaumement pratiqué par M. Gannal. Il demande qu’il soit sollicité de l’autorité compétente : 1° la concession d’un terrain à perpétuité pour recevoir la dépouille et, au besoin, un monument ; 2° l’apposition sur le lit de l’hôpital de la Charité où est mort Hégésippe Moreau d’une plaque indiquant la date de cette mort, comme cela a été obtenu pour le lit de Gilbert, à l’Hôtel-Dieu. Ces deux demandes seront adressées à l’autorité compétente et l’affaire sorti suivie ainsi que le désire M. Altaroche ; mais il n’existe dans les archives de la Société aucune trace de leur réussite.
Les 25 décembre 1839 et 5 janvier 1840 ont lieu les deux assemblées générales annuelles pour le renouvellement du Comité. Les formalités de l’élection ne donnent lieu à aucun incident mémorable. Cependant, dans la séance du Comité du 9 janvier 1840, M. Berthoud demande par lettre que MM. Emmanuel Gonzalès et Molé-Gentilhomme soient exclus de la Société, pour avoir fait irruption, dans la dernière assemblée générale, vers la tribune occupée alors par M. Colliez, et pour avoir menacé l’orateur.
Il résulte des explications fournies par M. Colliez lui-même, qu’il y a eu réellement irruption et que les membres susnommés, ainsi que beaucoup d’autres, gesticulaient vivement, mais ne menaçaient point.
Néanmoins, comme il convient que la morale reste sauve en toutes circonstances, on convient qu’il sera rédigé, pour être lue dans la prochaine assemblée générale, une verte semonce dans laquelle MM. Molé-Gentilhomme et Emmanuel Gonzalès seront nominativement désignés.
Voici donc à quel cheveu tiennent les destinées d’une société ! Si le fougueux tribun Gonzalès avait payé de sa tôle une incartade aussi grave que celle dénoncée par M. Berthoud, il n’aurait pu, dans la suite, succéder à Michel Masson, comme Délégué, et les romanciers de l’avenir n’eussent plus eu la ressource d’échafauder les raisonnements les plus saugrenus pour justifier ce qu’il serait arrivé dans ces conditions.
La question soulevée incidemment par M. de Balzac, louchant l’Académie, réapparaît sous une autre forme, à l’occasion des élections récentes qui s’y sont produites. M. Janety, membre de la Société, demande si ce n’est pas le cas pour le Comité, au nom de la Société entière, de protester contre les tendances antilittéraires de l’auguste aréopage. Un membre présent formule une proposition dans ce sens ; il pense, lui aussi, qu’il est du devoir du Comité, lequel a pour mission de défendre les intérêts de la littérature, en toutes circonstances, de publier, au nom de la Société, un manifeste dans le but d’improuver la persistance de l’Académie à ne pas consulter dans ses choix les titres littéraires des candidats.
M. Victor Hugo s’oppose à la prise en considération de cette motion, tout en reconnaissant qu’un grave intérêt littéraire commande cette manifestation ; il craint que sa position particulière ne nuise à l’effet qu’elle doit produire dans le public et qu’on ne suppose que le Président de la Société a provoqué une manifestation de la part de cette dernière, qu’enfin cette manifestation est son œuvre à lui et non l’œuvre de la Société. Il déclare donc voter contre la proposition ; il demande qu’il soit fait mention de son opposition et de son vote dans le cas où elle serait adoptée par la majorité.
À cet instant, M. Thoré, qui vient d’entrer dans la salle des délibérations, interrompt brusquement la discussion ; il interpelle M. Granier de Cassagnac sur ce qu’il n’aurait pas répondu à deux lettres qu’il lui aurait adressées à l’occasion de deux articles publiés par la Presse ; il lui demande raison des offenses que, suivant lui, les articles renferment, et prend le Comité à témoin de colle provocation.
M. Granier de Cassagnac veut répondre ; mais M. le Président lui fait observer qu’il n’a pas la parole et qu’il la lui refuse en dehors de la discussion à l’ordre du jour.
La discussion interrompue est reprise ; quelques membres appuient la proposition de leur collègue qui, mise aux voix, est adoptée. La rédaction du manifeste est confiée à deux d’entre eux.
Enfin, une démarche de conciliation sera tentée entre MM. Thoré et Granier de Cassagnac.
13 mars 1840. – M. Arnould Frémy est introduit au sein du Comité ; il développe deux propositions : la première a pour objet la publication d’un journal par la Société ; la seconde, la création de cours publics qui seraient professés par des membres de la Société.
M. Arnould Frémy développe sa première proposition dans la séance du 18 avril, et la fait adopter en principe dans la forme suivante : « La Société possédera un journal mensuel qui prendra ses frais sur les fonds provenant des cotisations, en ce sens que l’abonnement se confondra avec la cotisation. »
Mais dans la séance du 15 mai, le Comité prononce l’ajournement dans cette grave question, se réservant de la produire dans la prochaine assemblée générale. L’assemblée du 27 décembre 1840 la rejeta à la presque unanimité.
M. de Balzac propose de convoquer les principaux éditeurs de Paris pour conférer avec eux des moyens à prendre afin de mettre un terme aux désastres de la librairie.
27 mars 1840. – M. Auguste Luchet témoigne le désir de voir le Comité protester, au nom de la Société, contre l’interdiction du drame de Vautrin.
Le Comité se dérobe et pusse à la discussion du règlement sur la mise à exécution des dispositions disciplinaires contenues dans quelques articles des statuts.
3 avril 1840. – M. Félix Pyat sollicite une démarche auprès du Ministre de l’intérieur pour le prier de ne disposer de la place de directeur du Théâtre-Français qu’en faveur d’un homme de lettres. La proposition est prise en considération, une demande est rédigée séance tenante et l’Agent central est chargé de la faire parvenir au ministre.
18 avril 1840. – Le Comité décide qu’une commission sera chargée de se mettre en rapport avec la Commission des auteurs dramatiques, pour régler aimablement les intérêts des deux Sociétés.
M. de Balzac donne lecture d’un travail ayant pour titre : Code littéraire, et le propose au Comité pour que chaque membre de la Société en puisse faire usage. L’examen du projet est renvoyé à la commission de propriété littéraire.
8 mai 1840. – Il ne s’agit plus maintenant de diriger le choix du Ministre pour la nomination d’un directeur au Théâtre-Français ; un membre de la Société, plus pratique, écrit au Comité, pour le prier d’intervenir auprès du directeur du Théâtre-Français. Il s’agit d’obtenir de sa complaisance qu’un certain nombre d’entrées soient mises à la disposition des jeunes littérateurs, de ceux qui font un objet d’étude de l’ancien répertoire.
M. Altaroche est chargé de demander à l’auteur du projet de plus amples explications sur sa proposition, et de présenter au Comité un travail sur les moyens de le mettre à exécution.
15 mai 1840. – Les ressources étant encore fort limitées, le Comité s’évertue à en augmenter la quotité ; dans ce but, il décide que le prélèvement de la Société sur les droits de reproduction perçus des journaux de Paris et des départements sera fixé à 50 p. 0/0 à partir du 1er avril dernier.
Il décide également qu’une demande sera adressée au Ministre de l’intérieur pour réclamer l’attribution, au profit de la Société, d’une somme de 3 000 francs sur le fonds de secours et d’encouragement aux lettres, porté actuellement au budget de l’État, afin qu’elle le distribue elle-même aux hommes de lettres.
Cette démarche ne laissant entrevoir aucune solution prochaine, on convient, le 5 juin, d’adresser une pétition aux Chambres, sur le même sujet. La réponse du Ministre de l’intérieur se fait attendre jusqu’au 19 juin ; mais elle confirme les mauvaises dispositions dans lesquelles on l’a laissé ; il explique, en effet, que l’appréciation de la demande du Comité rentre dans les attributions du Ministre de l’instruction publique, et qu’il la lui a renvoyée.
Le Ministre de l’Instruction publique répond à son tour le 3 juillet, en s’excusant de ne pouvoir faire droit aux réclamations du Comité.
19 juin 1840. – M. Baillot de Malpierre, sociétaire, réclame l’appui du Comité pour l’exécution d’un projet qu’il a conçu en faveur et dans l’intérêt des gens de lettres ; il s’agit de fonder une maison de retraite devant abriter toutes les infirmités sous le titre d’Athénéon. Le Comité, sur les conclusions du rapporteur, décide, dans sa séance du 24 juillet, qu’il sera écrit à M. de Malpierre, pour le remercier de ses bonnes intentions et pour lui annoncer, d’autre part, que le Comité interviendra pour le seconder dans la réussite de son projet lorsqu’il sera reconnu qu’un grand nombre de souscripteurs concourent à son exécution, et, qu’au moyen de ce concours, sa réalisation sera possible.
M. de Balzac demande qu’une députation de trois membres soit envoyée à Strasbourg pour y représenter la Société dans les fêtes qui s’y préparent pour l’inauguration de la statue de Guttenberg ; cette satisfaction lui est accordée.
Le Comité ratifie, le 25 septembre, l’autorisation donnée par M. Victor Hugo à M. Berthoud de représenter la Société au jubilé de-Rubens, à Anvers.
6 novembre 1840. – M. Auguste Luchet donne lecture d’un projet de pétition qu’il propose au Comité de présenter aux Chambres. Cette pétition, quelque peu renouvelée du Moyen Âge, – comme forme, – a pour objet de soustraire les droits et les intérêts de la littérature, de la librairie et du théâtre à l’arbitraire de la police et des gens du Roi.
Le Comité décide que la pétition sera présentée, et il nomme une commission pour la rédiger.
Jusqu’ici, les émoluments de l’Agent central se composaient uniquement d’un tantième sur les affaires de la Société, tant pour le remboursement de ses avances que pour la rémunération de son travail. Rien ne laisse pressentir qu’il ait réalisé de gros bénéfices dans cette combinaison par lui consentie.
Le Comité, jugeant équitable de le désintéresser d’une façon plus réelle, s’empresse de lui allouer une somme mensuelle de 500 francs à la date du 13 novembre.
Ayant été informé que M. Bergeron, l’un des membres de la Société, condamné pour voie de faits à trois années d’emprisonnement, se trouvait menacé d’une incarcération dans une maison centrale de détention, le Comité prend, après discussion, les résolutions suivantes : « Une pétition sera, au nom du Comité, préparée par une commission de cinq membres, dans le but d’obtenir que M. Bergeron soit, traité avec égards et ménagements. La pétition sera présentée au Ministre de l’intérieur par la commission. Si le ministre n’y fait pas droit, le Comité avisera. »
Cette demande obtint un plein succès, et M. Bergeron remercia ses protecteurs… un mois après.
Les 27 décembre 1840 et 10 janvier 1841, a lieu l’assemblée générale annuelle. M. Auguste Luchet y donne lecture du projet de pétition à présenter aux Chambres. Elle est rédigée collectivement au nom de la Société des gens de lettres, de la Société des ailleurs dramatiques, des libraires de Paris, des imprimeurs de Paris et des directeurs de théâtre et tend à la révision de la loi du 26 mai 1819 en matière de saisie de livres, à la régularisation par une loi de la censure des pièces de théâtre. La pétition est acceptée à la majorité.
Au scrutin pour le renouvellement des membres du Comité, Mme George Sand se trouve nommée la dernière, au scrutin de ballottage, par 22 voix sur 49 votants.
Le Comité renouvelle, en faveur de M. Théophile Thoré, les démarches qui lui avaient si bien réussi pour M. Bergeron, mais cette fois avec un succès négatif ; aussi décide-t-il que la commission nommée à cet effet, augmentée de M. François Arago, Président, se rendra auprès du Ministre de l’intérieur, pour lui adresser des observations, en général, sur le traitement que subissent les gens de lettres détenus, et, en particulier, sur la situation de M. Thoré dans la prison de Sainte-Pélagie (19 février 1841).
Depuis la fondation de la Société, les Comités successifs n’avaient pas ralenti leur zèle au sujet des plagiats commis incessamment par les auteurs dramatiques au détriment des romanciers, ou des romanciers entre eux.
Le commencement de l’année 1841 fut des plus laborieux au point de vue de la répression.
Le Comité donna l’autorisation de poursuivre M. Bénédict Révoil qui, dans le Monde dramatique, avait imité, sous le titre : Voyage d’une Russe, la nouvelle donnée par M. Eugène Guinot dans la Russe de Paris, sous le titre : Une Reine en Voyage. Après l’examen de l’affaire, le Comité blâma sévèrement M. Bénédict Révoil, arrêta le procès sur sa demande, mais laissa tous les frais à sa charge.