Histoire des enfants abandonnés depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours - Ligaran - E-Book

Histoire des enfants abandonnés depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours E-Book

Ligaran

0,0

Beschreibung

Extrait : "Dans l'antiquité, la question se posait d'une manière différente. La société païenne ne donnait de soins aux enfants qu'en vue de l'utilité dont ils pouvaient être soit à la famille, soit à l'Etat ; elle attribuait au père le droit de sacrifier son enfant, de le tuer ou de l'exposer. Souvent l'Etat l'obligeait à le supprimer, quand on jugeait que l'enfant était un être inutile ou une charge incommode."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 285

Veröffentlichungsjahr: 2016

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Avant-propos

Dans le monde moderne, on s’est préoccupé d’une question grave entre toutes : le sort des enfants. Cette question a été discutée et résolue en sens contraire depuis le commencement de ce siècle dans la presse de toutes les opinions ; notre devoir est de venir à notre tour dire quelques mots sur les enfants abandonnés, une des grandes misères de tous les temps, une des plus graves et des plus tristes pages de l’histoire sociale, une actualité enfin trop poignante aujourd’hui en présence des innombrables et innocentes victimes de l’immoralité et de la législation.

Mais avant d’aborder le sujet même du Tour, il importe de jeter un coup d’œil en arrière et de voir ce qu’ont pensé et fait les siècles antérieurs à l’égard de l’enfance. Nous en tirerons d’utiles enseignements pour les temps présents, et, là comme dans toutes les grandes questions sociales, nous verrons quels ont été le rôle et l’action du christianisme face à face avec les mœurs corrompues des peuples et de la nature humaine livrée à ses seules inspirations.

L’enfant abandonné et la mère vont donc être l’objet rapide de notre premier examen dans les siècles passés ; étudions-les d’abord dans l’antiquité, puis au Moyen Âge ; nous les étudierons ensuite dans le monde moderne et dans l’époque contemporaine.

De la fille-mère nous ne dirons qu’un mot. Victime de la séduction, le plus souvent la famille l’abandonne, le monde la rejette. Mais à côté d’elle il y a un coupable, plus coupable qu’elle encore, car c’est lui qui a provoqué sa chute et causé son déshonneur. Et néanmoins, entre ce crime et la faute commise par la femme, quelle différence de situation pour les coupables ! Le séducteur s’éloigne insouciant, abandonne celle qu’il a séduite, et le monde l’accueille, quelquefois même il l’applaudit ; et pourtant cet homme, qui continue de marcher le front haut, a manqué à sa parole ! Quant à la femme, quel est son sort ? Flétrie, repoussée, elle porte le poids de sa faute, elle en rougit. Une lutte cruelle s’établit dans son cœur entre son honneur et son amour maternel ; au moment fatal, elle doit choisir, elle doit prendre un parti : produire le fruit de sa faute et vivre déshonorée, ou fouler aux pieds, pour la dissimuler, et le devoir de la mère et le cri de la conscience. Mais le plus souvent, pour conserver ce fruit, témoignage de son déshonneur, son amour de mère, sa conscience de femme et de chrétienne ne viennent-ils pas se heurter encore à l’indigence ? ne sera-t-elle pas forcée de l’abandonner ? La question est aujourd’hui ce qu’elle était hier, ce qu’elle a été dans tous les siècles. Examinons brièvement comment elle a été résolue.

CHAPITRE PREMIERL’enfant abandonné dans l’antiquité

Dans l’antiquité, la question se posait d’une manière différente. La société païenne ne donnait de soins aux enfants qu’en vue de l’utilité dont ils pouvaient être soit à la famille, soit à l’État ; elle attribuait au père le droit de sacrifier son enfant, de le tuer ou de l’exposer. Souvent l’État l’obligeait à le supprimer, quand on jugeait que l’enfant était un être inutile ou une charge incommode. Le monde ancien ne se préoccupait guère du cœur des mères et des sacrifices que sa législation barbare lui imposait.

Jusqu’ici, malgré l’amour des classiques et la naïve admiration qu’inspire à beaucoup l’antiquité païenne, on n’en connaissait guère que les institutions politiques, les arts et la littérature ; mais, de nos jours, des savants studieux et des écrivains consciencieux ont pénétré plus avant dans les mœurs du paganisme, et nous savons maintenant ce que cette civilisation antique pensait et faisait de l’enfance. Nous allons voir ce qui se passait dans les siècles de Périclès et d’Auguste, qu’on se plaît, dans certaine école, à comparer aux siècles chrétiens, et nous découvrirons ce qu’étaient, dans ces époques de la civilisation païenne à son apogée, les doctrines philosophiques et sociales en ce qui concerne la vie de l’enfant.

 

§ ANTIQUITÉ GRECQUE.– La Grèce nous attire ; sa littérature, ses arts, sa philosophie nous ont toujours entraînés et séduits ; souvent la France a voulu l’imiter et l’a proposée pour modèle dans le dix-septième siècle par le plus aimé de nos auteurs. La civilisation athénienne n’est-elle pas souvent citée comme un type inimitable ? En la scrutant, néanmoins, nous reconnaîtrons qu’il faut un peu rabattre de cette admiration pour le génie hellénique.

Les historiens nous disent que, dans toute la Grèce, sauf à Thèbes, l’enfant, au moment de sa naissance, était déposé aux pieds de son père, qui décidait immédiatement la question de vie ou de mort ; à défaut du père, c’était le Sénat « À Sparte, dit Plutarque, dès que l’enfant était né, le père n’en était plus le maître ; pour le pouvoir faire nourrir à sa volonté, il le portait lui-même en un certain lieu à ce destiné, qui s’appelait Lesche, là où les plus anciens de sa lignée étant assis visitaient l’enfant ; et s’ils le trouvaient beau, bien formé de tous ses membres et robuste, ils ordonnaient qu’il fût nourri en lui destinant une des neuf mille parts des héritages pour sa nourriture. Mais s’il leur semblait laid, contrefait ou fluet, ils l’envoyaient jeter dans une fondrière, que l’on appelait vulgairement les apothètes, comme qui dirait les dépositoires, jugeant qu’il n’était expédient ni pour l’enfant, ni pour la chose publique, qu’il vécût… » Telle était la législation qui, à partir de 840 avant Jésus-Christ, réglait à Lacédémone le sort des nouveau-nés.

À Athènes, la législation établie en 640 par Solon n’était que la triste continuation de celle instituée par Dracon. Elle donnait au père le droit de vie et de mort sur les enfants ; on pouvait les exposer. Les enfants nés des citoyens étaient seuls légitimes ; tous les autres étaient appelés bâtards. L’esclavage attendait les enfants abandonnés, mais le plus souvent on les laissait mourir. Le droit de vendre ses enfants existait même à l’égard des filles légitimes. (Appendice A.)

Plus douce à Thèbes, la loi défendait la mort ou l’exposition des enfants ; si un père commettait ce crime, il devait être condamné à mort ; mais, en cas d’indigence, il était autorisé à livrer son enfant moyennant un faible prix ; l’acquéreur l’élevait et le conservait comme esclave.

Nous verrons dans le Moyen Âge des usages à peu près de la même nature s’établir et durer pendant longtemps, sauf l’esclavage, bien entendu. Nous savons que l’exposition d’Œdipe lui avait fait ignorer sa naissance, et l’avait conduit à l’inceste et au parricide ; ce sont probablement ces résultats affreux qui ont dû engager la nation thébaïne à promulguer des lois nouvelles, afin de protéger les enfants et de maintenir la société dans des conditions plus humaines et plus morales que celles de ses voisines.

 

§ ANTIQUITÉ ROMAINE.– La cruauté des Romains envers l’enfance est manifeste ; quelques faits suffiront à le prouver.

Romulus avait réservé la décision du sort des enfants aux anciens de chaque tribu ; on conservait les enfants mâles bien constitués ; quant aux débiles et aux filles, on les faisait facilement périr. « Denys d’Halicarnasse, dit Montesquieu, déclare que Romulus imposa à tous ses concitoyens l’obligation d’élever tous les enfants mâles et les aînées des filles. Si les enfants étaient difformes, il permettait de les exposer après les avoir montrés à cinq des plus proches voisins. Romulus ne permit de tuer aucun enfant qui eût moins de trois ans. » C’est là ce que Montesquieu appelle une heureuse réglementation en faveur de l’enfance.

Après Romulus, Tarquin le Superbe ordonna d’immoler des enfants à la déesse Marcia au jour des compitales. Brutus abolit cette loi ; mais vient ensuite la loi des Douze Tables. On y lit : Pater insignem ob deformitatem puerum cito necato. Que le père tue immédiatement l’enfant qui est difforme.

Cicéron, qui cite cette loi, ne l’a pas contredite ; il a gardé le silence ! il l’a donc approuvée. (Appendice B.) Quant à Denys d’Halicarnasse, il dit : « La législation des Romains a donné au père un pouvoir illimité sur son fils en tout temps, soit de le mettre en prison, soit de le frapper, soit de le contraindre à travailler, soit de le tuer, s’il le veut ; il a aussi la faculté de l’exposer. »

Que dire maintenant de la science de Voltaire, qui prétend dans son Dictionnaire philosophique (Charité) que personne à Rome n’exposait les enfants ? Mais que croire aussi de ce fanatique partisan de la Renaissance païenne, Jean Bodin, notre jurisconsulte de 1530, voulant faire revivre en France les lois barbares de Rome, et approuvant entre autres que le père eût permission de vendre trois fois un enfant ? Il rappelait ainsi l’autorité paternelle des Romains qui, selon lui, était la cause de leur grandeur.

Voilà pour la législation chez les Grecs et les Romains.

Que si nous voulons connaître comment les jurisconsultes, les philosophes et les rhéteurs, l’élite intellectuelle en un mot du paganisme antique, appréciaient cette législation sur l’enfance, il nous suffira de citer entre mille quelques passages de leurs ouvrages ou de leurs discours. Nous choisissons parmi les noms les plus illustres.

Il est curieux de lire sur le même sujet les poètes les plus populaires, par exemple Aristophane et Térence. (Appendice C.)

Parmi les philosophes, nous commençons par Platon, celui que l’on nomme encore le divin Platon. Dans sa République, il veut « qu’on obtienne des citoyens bien constitués, de même qu’on se procure de belles races de chiens et de chevaux. Les femmes doivent avoir vingt ans pour se marier, les hommes trente ans. Quand la femme a quarante ans et l’homme cinquante, ils ne doivent plus avoir d’enfants. Il condamne à mort tous les enfants débiles, tous ceux qui viendraient à naître avant ou après l’âge légal, ou même ceux qui, nés dans la période légale, se trouveraient de trop, à moins qu’ils ne soient adoptés par des citoyens sans famille. » Voilà pour le disciple du grand Socrate !

Le système d’Aristote est le même ; seulement, dans sa Politique, il préfère l’avortement à l’infanticide. « Pour ce qui est de l’exposition ou de la nourriture des nouveau-nés, dit-il , la loi devra défendre d’élever aucun enfant qui apporterait en naissant quelque difformité ou imperfection corporelle. Mais si les lois et les usages établis empêchent qu’on expose les enfants, il faudra, pour obéir à l’inconvénient d’une population trop nombreuse, que la faculté d’avoir des enfants soit soumise à certaines restrictions, et que, si quelques femmes, malgré cela, se trouvent enceintes, on fasse avorter leur fruit ; car c’est sur la condition d’avoir le sentiment et la vie qu’est fondée la distinction entre ce qui est criminel et ce qui ne l’est pas. » On n’est vraiment pas plus ingénieux et plus large que l’illustre pédagogue du grand Alexandre !

Telle était, du reste, la doctrine de toute la philosophie antique en matière d’infanticide ; les stoïciens étaient hautement partisans soit de l’avortement, soit de l’infanticide.

Mucius Scævola, important jurisconsulte et maître de Cicéron, en parle, ainsi que de l’abandon des enfants, comme d’un fait usuel et quotidien. Suivant ces philosophes, l’enfant n’était pas un homme, et les lois sur l’homicide ne lui étaient pas applicables. Strabon rappelle qu’en Espagne on jetait les enfants enveloppés de langes dans les fleuves, qu’en Italie on tuait souvent une partie des enfants et même des femmes enceintes.

Sénèque le père, dont les Controverses contiennent la substance des opinions des grands avocats et jurisconsultes de son siècle (58 ans avant Jésus-Christ), dit que « n’ayant aucune espérance d’avoir un enfant de force suffisante, il vaut mieux le faire mourir que l’exposer ».

Mais ce qui est le plus odieusement instructif, c’est sa controverse sur l’homme mutilant les enfants exposés. Il met en regard les plaidoiries des avocats qui accusent ces hommes d’avoir « pris les enfants, de les avoir mutilés, contraints d’aller mendier en exigeant d’eux des bénéfices », et les plaidoiries de leurs défenseurs. Les premiers énumèrent par centaines les malheureux mendiants, victimes de ces infâmes spéculateurs, « qui leur ont coupé les bras, disjoint les pieds, retourné les talons, rompu et disloqué les jambes, rompu les os », etc… Quant aux plaidoiries de leurs défenseurs, elles sont curieuses et peignent bien les mœurs du temps : « N’est-il pas vrai que les pères avaient traité leurs enfants avec bien plus de cruauté que ceux qui les ont adoptés ?… Il est vrai qu’on les a mutilés ; mais auparavant n’étaient-ils pas déjà au moins aussi malheureux ?… On ne peut pas condamner une action quand elle est appuyée de l’autorité de la loi… Ne peut-on pas démolir sa propre maison si l’on veut, couper des arbres qui sont dans notre fonds ? Eh bien, il nous a été permis de maltraiter ces exposés, parce qu’ils n’étaient plus au nombre des vivants. Ils sont nos esclaves, et les citoyens qui ont composé nos lois nous ont donné sur eux une puissance absolue de vie et de mort… » Un de ces rhéteurs va jusqu’à s’écrier : « Mon client a été miséricordieux, car il a voulu assurer la vie à ces malheureux pour les nourrir ; il a été contraint de faire contribuer à chacun d’eux une partie de son corps pour conserver l’autre ! » Les rhéteurs, on le voit, ne sont pas moins ingénieux que les philosophes. (Appendice D.)

Force nous est d’abréger ces citations ; celles que nous avons données suffisent, ce nous semble, à démontrer ce qu’étaient les législations grecque et romaine, aussi bien que les doctrines des sages et des philosophes à l’égard de l’enfance. En résumé, les enfants, comme les esclaves, étaient la propriété des maîtres pour la vie et pour la mort. Les Solon, les Lycurgue, les rois, les législateurs, les grands hommes de Rome et de la Grèce, n’avaient rien trouvé de mieux pour régler le sort de l’homme à sa naissance ! Telle est la sagesse humaine livrée à elle-même !

 

§ ANTIQUITÉ ÉGYPTIENNE, INDIENNE ET PERSANE.– Il ne sera pas nécessaire de nous étendre longuement sur la législation de ces peuples à l’égard des enfants. Tout le monde sait qu’elle était barbare. Les Égyptiens les plaçaient dans des berceaux formés d’écorce d’arbre et enduits de bitume ; on les exposait ensuite au courant des rivières ; l’histoire de Moïse est présente à tous les esprits. De plus, ils pratiquaient l’infanticide. La seule punition infligée au père meurtrier d’un enfant adulte consistait à le tenir embrassé pendant trois jours et trois nuits. (D’après M. Gouroff.)

Chez les Sarmates, même législation, mêmes mœurs.

Quand aux Indiens, Quinte-Curce loue la sagesse de leur coutume de laisser non pas au caprice des parents, mais à l’ordre des magistrats, de décider si les enfants faibles ou difformes seraient conservés ou détruits à leur naissance.

Quoique désireux d’accroître la population, les Perses pratiquaient l’exposition des enfants. Justin le prouve dans la vie de Cyrus. Sémiramis, dit-on, exposée fut nourrie par des colombes. Hérodote, de son côté, dit que, dans l’Édonite, on enterrait des garçons et des filles pour obtenir des dieux souterrains des avantages et des grâces. Enfin, Montaigne, qui a approfondi la question de l’éducation de l’enfance, cite de nombreux faits analogues chez les Indiens et les Carthaginois :

« Amestris, mère de Xerxès, feit, pour une succession, ensevelir tout vifs quatorze jouvenceaux des meilleures maisons de Perse, suivant la religion du païs, pour gratifier à quelque dieu soulsterrain. Encores aujourd’hui les idoles de Thémixtitan le cimentent du sang des petits enfants et n’aiment sacrifier que de ces puériles et pures âmes, justice affamée du sang de l’innocence.

Tantum relligio potuit suadere malorum !

Les Carthaginois immoloyent leurs propres enfants à Saturne, et qui n’en avoit point en achetoit, estant cependant le père et la mère tenus d’assister à cet office avec contenance gaye et contente.

C’étoit une estrange fantaisie de vouloir payer la bonté divine de nostre affliction ; comme les Lacédémoniens qui mignardoyent leur Diane par le bourrellement des jeunes garçons, qu’ils faisoyent fouetter en sa faveur, souvent jusqu’à la mort. »

Somme toute, chez les peuples païens, il n’en est pas un seul qui fasse exception à la coutume barbare de supprimer l’enfant soit par un procédé, soit par un autre ; nulle part nous ne voyons cette pratique contre nature encourir le moindre blâme de la part de leurs sages ou de leurs grands hommes. Sur ce point, la philosophie antique est à la hauteur des législations du monde païen.

 

§ ANTIQUITÉ JUIVE.– Nous sortons du paganisme et nous trouvons tout de suite une différence considérable entre la société païenne et le peuple hébreu. Les livres sacrés sont pleins de sollicitude et de tendresse pour les petits. Les Psaumes de David contiennent à cet égard de nombreux passages que nous omettons parce qu’ils sont assez connus. Mais, en dehors de ces admirables cantiques, on connaît trop peu, faute de ne pas les avoir étudiées, les lois du peuple hébreu sur l’enfance. Voici le texte même de la loi hébraïque sur le pouvoir paternel : « Si un homme a un fils rebelle et insolent, qui ne se rend pas au commandement de son père et de sa mère, et qui, ayant été repris, refuse avec mépris de leur obéir, ils le prendront et le mèneront aux Anciens de la ville, et à la porte où se rendent les jugements ; et ils leur diront : Voici notre fils qui est un rebelle et un insolent, qui méprise et refuse d’exécuter nos remontrances et passe sa vie dans les débauches, dans la dissolution et dans la bonne chère. Alors le peuple de la ville le lapidera et il sera puni de mort, afin que vous ôtiez le mal au milieu de vous, et que tout Israël entendant cet exemple soit saisi de crainte. » – « Châtiez votre fils, disent les Proverbes (chap. XIX, verset 18), tant qu’il y a espérance, mais ne vous laissez pas emporter jusqu’à lui donner la mort. »

On voit l’abîme qui sépare la législation juive de la législation païenne.

Pour ce qui est des nouveau-nés et des enfants du premier âge, il est certain que les familles juives les élevaient et les conservaient avec un grand soin ; de là cet accroissement prodigieux, à toutes les époques et partout, de la population juive, au Moyen Âge même, au milieu des misères et des persécutions de toute sorte. L’infanticide était défendu au même titre que l’homicide. Selon Philon, qui écrivait quarante ans après Jésus-Christ, « l’homme qui frappe une femme enceinte dans les premiers jours de sa grossesse et la fait avorter, est puni pour avoir empêché le développement d’un être raisonnable ; que si les membres de l’enfant étaient déjà tout formés, le coupable est puni du dernier supplice… Notre loi, ajoute-t-il, défend en outre l’exposition des enfants qui est un crime encore plus grand, etc… » Josèphe ajoute que la loi juive regardait comme coupable d’infanticide la femme qui détruisait son fruit par artifice. C’est ce que Tacite confirme en remarquant combien cette législation était favorable au développement de la population, puisqu’elle allait jusqu’à flétrir le célibat et la stérilité. Ajoutons enfin que les Hébreux ne distinguaient pas entre les enfants nés difformes et ceux qui naissaient bien conformés.

 

§ ANTIQUITÉ CELTIQUE, GAULOISE ET GERMAINE.– Julien assure que les Celtes jetaient leurs enfants dans le Rhin.

Sur les institutions des Gaulois, nous ne savons guère que ce que nous apprennent les Commentaires de César. Les druides tenaient leurs lois, leurs coutumes et leurs mystères soigneusement cachés aux étrangers. Il paraît cependant certain que leur dogme principal était l’immortalité de l’âme ; que les hommes avaient droit de vie et de mort sur leurs femmes et leurs enfants ; mais rien ne prouve qu’ils pouvaient disposer de l’enfant nouveau-né débile ou difforme ; César en aurait assurément parlé si cette loi eût existé chez les Gaulois. Seulement la misère les obligeait quelquefois à les vendre sur les places du marché.

En ce qui concerne les Germains, nous sommes certains que leurs mœurs étaient bien plus humaines que celles des Grecs et des Romains. Chez eux, l’exposition des enfants nouveau-nés devait être une bien rare exception, car voici ce qu’en dit Tacite : « Les Germains n’exposent pas leurs enfants ; on ne les voit point limiter le nombre de leurs enfants ou tuer ceux qui leur naissent en trop. Ils regardent ces coutumes comme une infamie, et chez eux les bonnes mœurs ont plus de force que n’en ont ailleurs les bonnes lois. »

Chose remarquable ! Une différence importante existait donc, tout à l’honneur des barbares, entre les nations antiques civilisées et ces nations dont le monde païen proclamait la barbarie. N’est-il pas permis de penser que nos ancêtres gaulois et germains avaient peut-être, grâce à leur barbarie même, mieux conservé les traditions primitives de la race humaine, que les Grecs et les Romains avaient oubliées au milieu des vices et de la corruption de leur civilisation toute matérielle ?

Nous croyons devoir arrêter ici nos observations et nos citations sur l’antiquité ; sauf les Juifs qui, par leur qualité de peuple de Dieu conservateur de la tradition divine, font et devaient faire exception, nous pouvons hardiment conclure que, dans l’ère païenne, le mépris des petits et des faibles était un fait certain, un principe universel et légalement établi. Le sort de l’enfant nouveau-né surtout était celui d’un animal, et il a fallu pour l’entourer de sollicitude et d’amour, que le christianisme vînt imposer au monde, qui avait rangé la force et le hasard parmi ses divinités, une loi nouvelle ordonnant avant tout la conservation de la vie du prochain et le respect des faibles : la femme, l’enfant et l’esclave.

CHAPITRE IIL’enfant pendant les trois premiers siècles de l’ère chrétienne

CONTINUATION DE LA SOCIÉTÉ PAÏENNE.– Nous sommes arrivés au siècle d’Auguste ; le christianisme apparaît, et, dans le monde entier, d’importantes réformes s’accomplissent immédiatement parmi les chrétiens, au sein même du paganisme. Cependant, les lois païennes subsistent, et, pendant trois siècles au moins, on voit se perpétuer l’exposition et la suppression légale des enfants difformes ; la philosophie continue d’approuver cette barbare coutume. Mais, à partir de Jésus-Christ, deux sociétés vivent ensemble dans le monde romain ; et, à côté de la société païenne, conservant des usages inhumains, la société chrétienne naissante entoure l’enfance de respect et d’amour.

Ainsi, nous voyons Auguste défendre à sa petite-fille Livie de reconnaître et de nourrir son enfant, et Claude jeter à la porte de l’impératrice la fille qu’il avait eue d’une affranchie. À la mort de Germanicus, tous ses enfants sont exposés en témoignage de deuil public.

Quintilien (40 à 120 après Jésus-Christ) déclare que tuer ses enfants est quelquefois une sage mesure. Josèphe, l’historien juif du premier siècle, reproche aux païens leur inhumanité pour les nouveau-nés. Nulle part, sauf dans Ovide (Appendice F.), qui déplore le sort d’une jeune mère condamnée par ses parents à exposer son enfant, fruit d’une faute, nulle part, on ne voit poindre dans la société païenne, même la plus civilisée, un sentiment de sollicitude ou de respect pour l’enfance ; et on peut lire cette phrase dans le célèbre philosophe moraliste Sénèque le fils, mort en 65 : « C’est par raison, non par colère, que nous retranchons un criminel de la société, de même que nous assommons des chiens enragés, et que nous noyons les enfants s’ils naissent difformes et débiles. » (De ira, liv. I, ch. XV.) Il oublie aussi la charité pour les pauvres et les esclaves.

Quant à l’épouvantable coutume de l’avortement, il faut lire la sixième satire de Juvénal pour savoir à quel degré cet art était poussé et cette pratique répandue dans la haute société romaine de son siècle. (Appendice G.) Et sur ce point, l’honnête Plutarque, qui suivait les doctrines de Platon, tout en célébrant les vertus et les gloires de ses héros, n’hésitait pas à attribuer à l’amour paternel l’infanticide commis par les indigents afin de ne pas transmettre à leurs enfants le triste héritage de la pauvreté ; il déclarait néanmoins sa préférence pour le système de l’avortement, « parce que, disait-il, l’enfant au sein de sa mère n’est pas encore un être animé, ainsi que l’enfant nouveau-né, tant qu’il n’a pas reçu le soin d’une nourrice, n’est pas un homme ». Plutarque trace encore un tableau déplorable de la société d’alors : « Presque toutes les grandes familles présentent de nombreux exemples de meurtres d’enfants, ainsi que de femmes ; et quant aux meurtres des frères, ils sont commis sans aucun scrupule ; car c’est une maxime de gouvernement regardée comme aussi certaine qu’un principe de géométrie qu’un roi, pour sa propre sûreté, ne peut se dispenser de tuer son frère. » Suétone, l’auteur des Douze Césars, n’est pas moins affirmatif pour présenter l’infanticide et l’exposition des enfants comme un fait naturel et légal.

Pour rester dans la stricte vérité, il faut citer une ère, courte, il est vrai, mais plus favorable aux enfants des pauvres, celle des Antonins ; il ne fut pas question, il est vrai, des nouveau-nés ; mais pour les adolescents comme pour les pauvres, la législation ressentit fortement dans cette période l’influence chrétienne. Avant eux, Nerva fut le premier qui, dans sa sollicitude pour les enfants de parents pauvres, ordonna de les faire nourrir, dans toutes les villes de l’Italie, aux frais du trésor public. Trajan ordonna à Pline le Jeune de faire mettre en liberté sans indemnité aucune tous les enfants trouvés qui, d’après les anciennes lois, devenaient les esclaves de ceux qui les avaient élevés. Pline lui-même dota sa ville natale d’un bien considérable, dont le revenu devait être réparti entre les enfants pauvres. De plus, pour arrêter la dépopulation de l’Italie, Nerva, Trajan et Adrien, ainsi que le constatent plusieurs inscriptions contemporaines, effectuèrent des placements hypothécaires destinés à l’entretien des enfants, et ce, sous la tutelle même des empereurs.

Nous croyons devoir entrer dans quelques détails. La gratitude des populations fit graver en l’honneur des empereurs des médailles que nous allons citer. Trajan, adopté par Nerva, n’a pas voulu ou n’a pas osé intervenir dans ses décrets en faveur des enfants nouveau-nés (threpti) ; ses lois sont muettes, mais il accorda des secours considérables aux enfants pauvres ; dans les tables trouvées en 1747, on remarque des pétitions alimentaires.

Trajan avait prêté aux habitants de Veleia des capitaux pour l’exploitation de leurs terres ; ceux-ci s’engagèrent à payer des rentes destinées à l’entretien des enfants pauvres : le total fut fixé à 52 200 sesterces par an. On devait les employer pour deux cent quarante-cinq garçons nés en légitime mariage (16 sesterces par mois) et pour trente-quatre filles légitimes (12 sesterces par mois) ; des secours moindres étaient fixés pour les enfants naturels : 12 sesterces par mois pour les garçons, 10 pour les filles. Le capital de cette donation s’élevait à 1 044 000 sesterces.

Nous voulons citer encore quelques passages des tables, des médailles qui ont traité de ce sujet.

Une seconde table en bronze de l’an 101 a été trouvée en 1832, près de Bénévent ; elle est semblable à celle de Veleia ; c’est une obligation prise à Trajan par les Ligures. (Publiée par Heuzen. Tabula aliment. Bacbianorum Romæ, 1845.)

Une médaille de l’an 103 le représente étendant sa main droite vers une femme avec deux petits enfants. (ECKHEL, p. II, vol. VI, p. 324.) Il y en a beaucoup avec l’inscription : Alimenta Italiœ. Une inscription à Olmeria atteste la reconnaissance envers Trajan des pueri puellœque Ulpiani. (ORELLI, t. II, p. 21, n° 3363.)

Plusieurs faits, tels que la déportation d’un père pour avoir tué son fils coupable d’adultère, montrent, ainsi que le constate le jurisconsulte Marcien à cette occasion, l’influence de l’idée chrétienne : « La puissance paternelle, dit-il, doit consister dans la piété, non pas dans la cruauté. » Quant aux revenus affectés aux enfants pauvres, ils étaient l’objet d’une administration spéciale, et Adrien ordonna que des secours fussent fournis aux garçons jusqu’à l’âge de dix-huit ans, aux filles jusqu’à quatorze ans.

Malheureusement, de toutes ces mesures, nous le répétons, aucune ne s’occupe des nouveau-nés ; la philosophie païenne leur refusait la qualité d’homme ; le grand jurisconsulte Papinien le dit en propres termes : « Partus nondum editus, homo non recte fuisse dicitur. »

Marc-Aurèle continua l’œuvre libérale de ses prédécesseurs : à l’occasion du mariage de sa fille, il créa des pensions alimentaires pour les enfants des deux sexes. Plus tard, Alexandre-Sévère en fit autant en l’honneur de Julia Mammæa, sa mère. Enfin, cet exemple des empereurs fut imité par de nombreux patriciens ; les inscriptions et les médailles ne sauraient laisser aucun doute à cet égard. Marc-Aurèle alla plus loin : il institua, sous le titre de préteurs tutélaires, une magistrature spéciale chargée de veiller sur le sort des enfants sans parents.

Malheureusement cette période de relèvement moral fut courte, et après les Antonins, on voit toutes les fondations dont nous venons de parler disparaître ; les rentes cessent d’être payées, les enfants restent abandonnés ; les empereurs eux-mêmes emploient à leurs débauches et à leurs intrigues politiques les fonds affectés aux enfants pauvres ; qu’on lise, à ce sujet, l’histoire de Caracalla, d’Héliogabale et autres, au milieu du troisième siècle. Et néanmoins, au milieu de ce dévergondage de paganisme sensuel et barbare, l’idée chrétienne se faisait encore sentir sur les institutions déplorables du passé. Ainsi Septime-Sévère condamne à l’exil temporaire les coupables d’avortement ; l’infanticide est considéré comme un meurtre par Julius Paulus, successeur d’Ulpien. Alexandre-Sévère supprime le droit absolu de vie et de mort sur les enfants, et prescrit aux parents de déférer aux tribunaux les enfants qui méconnaissent l’autorité paternelle.

Nous avons examiné les meilleurs ouvrages des païens ; il n’est pas douteux que pendant le deuxième siècle les expositions et les infanticides ont persévéré au milieu d’eux.

Apulée, philosophe platonicien (né en 114, mort en 190), qui exerçait avec succès la profession d’avocat, raconte, comme bien d’autres, dans le livre de ses Métamorphoses, la coutume suivante : « On ordonnait, en partant pour un voyage, de tuer l’enfant conçu dans le sein de sa femme. »

Tacite, qui vécut à la fin du deuxième siècle et au commencement du troisième, se plaint qu’à son époque on n’avait pas de pitié pour les enfants nouveau-nés. En lisant ses histoires, on voit que, par exception, il partageait à peu près les idées chrétiennes. Trajan et Pline n’avaient pas été aussi loin que lui. À la fin du deuxième siècle, nous allons retrouver la législation impériale, malheureusement pareille à celle du passé.

Le jurisconsulte Julius Paulus, dont nous avons déjà parlé, faisait partie du conseil d’Alexandre-Sévère et de Caracalla ; il avait voué une haine mortelle aux chrétiens, et pourtant il subissait certainement l’influence de leurs doctrines, car il s’exprimait ainsi à la fin du deuxième siècle : « J’appelle meurtrier non seulement celui qui étouffe l’enfant dans le sein qui l’a conçu, mais encore celui qui l’abandonne, celui qui lui refuse des aliments, celui qui l’expose dans un lieu public, comme pour appeler sur sa tête la pitié qu’il lui refuse lui-même. »

Mais les réflexions de ce savant jurisconsulte n’obtenaient pas la condamnation légale de l’exposition des enfants ; c’est un siècle plus tard que nous lirons les lois de Constantin. Dioclétien pourtant en rendit une qui empêchait la vente des enfants par leurs pères.

Malgré la transformation qui se glissait insensiblement, grâce au christianisme, dans la législation et les habitudes païennes, nous voyons pourtant encore, sous ce même Dioclétien, au commencement du quatrième siècle, les enfants nouveau-nés abandonnés sur une place publique au pied de la columna lactaria, ou, mieux encore, jetés dans les égouts, dans le Tibre et dans le Vélabre. Telles étaient les mœurs légales de la Rome païenne jusqu’au quatrième siècle.

 

§ LA SOCIÉTÉ CHRÉTIENNE PENDANT LES TROIS PREMIERS SIÈCLES.– Nous allons voir maintenant en face et à côté de cette vieille société païenne se dresser la jeune société chrétienne avec ses mœurs et sa législation régénérées par l’Évangile. Pour ce qui concerne les enfants, il ne saurait être douteux que le christianisme a provoqué une révolution radicale et immédiate. La charité, l’amour pour les faibles et les pauvres, telle est sa loi primordiale ; et, si l’on veut parcourir les docteurs de l’Église primitive, on verra que, tout d’abord, pendant ces trois premiers siècles, toute espèce d’exposition des enfants était absolument défendue aux chrétiens. Qu’on nous permette de jeter un rapide coup d’œil sur les origines de la société qui est encore la nôtre et qui durera jusqu’à la fin du monde.

L’antiquité, nous l’avons vu, n’a rien de chrétien : doctrines, lois, mœurs, tout concourt à écraser les petits et les faibles, l’enfant, la femme, le pauvre, l’esclave. Aussi le premier effort de l’Église s’est-il tourné tout d’abord contre ce que nous appellerons les crimes du vieux monde, l’avortement, l’infanticide et l’exposition des enfants. Est-il besoin de rappeler tous ces passages de l’Évangile où le Christ se plaît à bénir, à caresser les petits enfants, et à les présenter à ses disciples comme les types auxquels ils doivent ressembler ? « Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » – « Quiconque se rendra petit comme un enfant, sera le plus grand dans le royaume des cieux. » – « Si quelqu’un reçoit en mon nom un enfant, c’est moi-même qu’il reçoit. » Plus loin, saint Matthieu déclare que quelques disciples ont présenté à Notre-Seigneur Jésus-Christ deux petits enfants afin qu’il les touchât et qu’il priât pour eux. Notre-Seigneur dit alors que le royaume du ciel est fait pour ceux qui leur ressemblent. Et bien d’autres passages que tout chrétien sait par cœur et qui témoignent de l’amour, du respect du Fils de Dieu pour l’enfance.

Nous avons vu que les philosophies anciennes ne comprennent ni la femme, ni l’enfant. Il a fallu le flambeau de l’Évangile pour éclairer le monde sur ces points principaux. L’innocent est préféré à tous. Notre-Seigneur apprend aux apôtres à instruire les enfants avec patience et douceur, à se faire comme les enfants eux-mêmes pour les gagner.

Après le Christ, tous les apôtres mettent au premier rang les devoirs des chrétiens pour les pauvres, pour les enfants, pour les veuves. Saint Jacques ordonne aux chrétiens, parmi leurs premiers devoirs, de visiter les enfants (pupillos) et les veuves.