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Comment Emilio, personnage attachant, doué d'un bon sens naturel et contagieux, va retrouver sa famille perdue. Au cours de promenades et randonnées dans le pays de Sainte Victoire, il se laisse découvrir et retrouve les joies de sa famille recomposée, tout en décrivant son univers de vie quotidienne dans les paysages de Provence. Découverte des plus beaux endroits de la montagne Sainte Victoire, au fil des saisons, et selon les humeurs des protagonistes ...
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Seitenzahl: 231
Veröffentlichungsjahr: 2021
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Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers, Picotés par les blés, fouler l'herbe menue : Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds, Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien : Mais l'amour infini me montera dans l'âme, Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien, Par la nature, heureux comme avec une femme.
Arthur Rimbaud Mars 1870
Avant-propos
Le solitaire attachant ...
Présentations impromptues …
Les sangliers du matin ...
Paysages …
Près du Garagaï …
Lorsque s’en va le temps …
Le mistral avait enfin chassé les nuages …
Un matin d’exception ...
Le vieux genévrier ...
Le petit vallon ...
Reconnaître son monde ...
Se nourrir de légendes ...
L’harmonie des choses ...
Vivre son temps ...
Respirer les effluves des démons souterrains ...
Prendre la vie à bras le corps ...
Repousser les mauvais souvenirs, le fils perdu ...
Le monde comme il tourne ...
Sentir la terre bouger ...
Accepter et regarder vers l’avenir ...
Les violences du temps ...
Accepter les saisons ...
Une sagesse ancestrale quasi animale ...
Quand remontent les souvenirs ...
S’envoler avec les oiseaux ...
Respecter les chemins de chacun ...
Regarder le ciel plein d’étoiles ...
Ne jamais abandonner ...
Partager la vision d’un monde ...
Être auprès de la nature ...
La lettre surprise, se retrouver ...
Un bonheur simple mais éclatant ...
Être en accord avec soi-même ...
Une attente longue et chargée d’espoirs …
La vie reprend le dessus …
Début de printemps ...
Une dernière fois ...
Comme un au revoir ...
De beaux moments ...
Symphonie ...
Le temps des vacances…
Le jour d’avant ...
Le goût des joies d’antan ...
Comme à l’accoutumée j’étais dans mes rêves lorsque je cheminais le long de la grande masse rocheuse de la montagne, je ressentais les humeurs du temps et je profitais de mes instants de solitude. Tout à mes pensées je voyais au loin s’avancer une ombre humaine, un "Quelqu’un" qui semblait avoir coutume de voyager au sein de la garrigue, qui marchait certainement souvent au milieu des cailloux. Le dos légèrement courbé il semblait avancer sous le poids des ans, son pas lourd accompagné du bruit de la canne qui l’aidait, n’avait que faire du bruit qu’il dispensait autour de lui, pourtant il semblait attentif, posant un pied sûr dans ces chemins rabotés par les pluies et les vents. Le croisant dans une pente un peu raide, nous nous sommes arrêtés, échangeant un salut chaleureux un peu comme une poignée de main amicale. Nous avons pris langue pour d’abord échanger sur le temps, la saison, la beauté de l’instant, comme si nous nous étions toujours rencontrés ici. Il était grand, plus grand que moi, il avait le verbe haut et le mot rieur. Reprenant nos esprits après cette hasardeuse rencontre, nous décidâmes de faire un bout de chemin ensemble, sur un de ces sentiers qui montaient au Garagaï. Je crois que c’est depuis ce jour que nous nous sommes liés d’une amitié au milieu de cette nature qui nous rapprochait. Je lui contais mes découvertes, il me parlait de sa vie des collines et des monts, je lui disais mon amour de la nature, il me chantait ses peines et ses joies dans des mots aux accents du sud, plein d’une sagesse ancestrale, plein d’un bon sens réconfortant. Fort de cette rencontre, nous nous sommes promis de revenir sur ces chemins pour partager quelques instants d’un bonheur intime et inattendu, et prendre des nouvelles du monde. C’est cette histoire que je veux vous conter au fil des pages à venir, celle d’une amitié sincère et durable, celle qui nous fait aimer ce monde, et je vous présenterai un peu chaque fois qui il est, ses coups de cœur, sa truculence et sa joie de vivre, ses cheminements dans la nature et son respect pour la vie. Je vous parlerai de nos échanges et de nos impressions communes, et je vous dirai surtout qu’il est un personnage haut en couleur, même si cela n’a aucune importance à ses yeux.
Après cette première rencontre, je rentrais sans réfléchir, sous le coup de la surprise de cette promenade accompagnée, sans savoir qui il était. J’étais pourtant subjugué par la présence du personnage, son parlé franc et son désir de dire. Il était communicatif, il partageait volontiers son monde et semblait n’être pas le dernier à engager une conversation sur n’importe quel thème, pourvu que ce ne soit offensant pour personne. On sentait qu’il avait l’habitude du contact et du partage, pour autant il ne s’étendait pas encore trop sur sa vie personnelle, et je devrais très certainement patienter pour qu’il accepte de m’en dire plus. Aujourd’hui, il avait comme les derniers jours sans doute, gardé la même tenue campagnarde avec son gros pantalon de velours côtelé vert kaki foncé, il laissait sa veste chaude légèrement ouverte sur un pull marron plein de bouloches. Il se fichait de tout ce qu’on aurait pu lui dire, il était là pour savourer quelques instants de paix. Nous nous étions retrouvés à mi-chemin sur le sentier bas en face de la marbrière et nous regardions le soleil se lever au-dessus des cimes du côté du Pic des Mouches. Dans le silence du matin, il me disait qu’il y était monté souvent par le passé avec ses amis aujourd’hui disparus, et il ne regrettait plus de ne plus y aller. Cette promenade était devenue pour lui trop harassante et il n’aspirait plus à vaincre les pentes raides et les hauteurs du haut desquelles on ne voit rien d’autre qu’un pays d’Aix tout en surfaces aplaties. Je sentais dans ses paroles comme un regret, mais aussi une vérité. Il avait au fil des ans acquis une sagesse tranquille et savait, comme je l’avais constaté maintes fois, que la montagne était beaucoup plus impressionnante et belle vue de sa face Sud. Ceux qui aiment la Sainte Victoire ne pourront me contredire, la beauté du site se voyait d’en bas, parfois de loin, mais tout se passait de ce côté-là, face Sud. Il me dévisageait tranquillement de son regard gris, l’air de me dire que c’était comme une évidence, que sur les sommets des roches grises, il n’y avait plus rien à découvrir, les oiseaux volaient en dessous, sauf les aigles de Bonnelli qui tournoyaient au-dessus à la belle saison. Et puis les plantes avaient laissé la place à la roche délavée, les odeurs avaient disparu, il n’y restait plus que le vent ...
Nous n’avions convenu d’aucun rendez-vous sur les chemins de traverse, mais nous savions intuitivement que nous retrouverions des endroits pour nous y rencontrer et faire un brin de conversation. La nature vivait à son rythme et je pensais que j’avais peu de temps pour vraiment la voir changer, donc j’y retournais le plus souvent possible, et je ne devais pas être le seul à penser la même chose.
Dans l’après-midi, j’étais assis sur le bord d’une pierre renversée, et je sentais sous mes mains sa surface rugueuse et fraîche. Plus bas sous la couverture des buissons des chênes verts, un bruit insolite attirait mon attention, j’entendais le tac-tac d’une canne qui frappe le sol à un rythme régulier. Je me levais tranquillement, j’attendais que le bruit se rapproche, et comme je pouvais un peu m’y attendre je reconnaissais les cheveux gris cendré de ce promeneur, qui devenait pour moi déjà un peu familier. Je descendais quelques centaines de mètres dans sa direction, il clopinait lentement mais sûrement tout en regardant autour de lui, observant tout ce qui pouvait bouger ou frémir. M’étant rapproché assez rapidement de lui, je le surprenais et le sortais de son état méditatif, avec un sourire malicieux il me tendait la main pour un salut chaleureux.
- Bonjour ! quel temps agréable aujourd’hui, dit-il sur un ton enjoué.
- Ah oui, bonjour ... j’étais un peu sur l’attente n’osant encore trop en dire, ne connaissant pas ses réactions, je préférais rester en mode évasif mais plein d’empathie, comme si je n’avais pas été surpris.
Il avait l’air heureux, comme transcendé dans cette lumière presque blanche qui venait à contre-jour. Il posait tranquillement par terre sa canne, déboutonnait sa veste épaisse, et prenant une longue respiration me dit sans autre forme …
- J’avais oublié de vous dire je m’appelle Emilio, il vaut mieux que vous le sachiez, on va sûrement se rencontrer à nouveau ... non !!!
- Avec plaisir, et moi c’est Tony, content de faire votre connaissance …
Et c’est ainsi, de mémoire, qu’après de très courtes présentations, nous entamions une longue période de partages de nos passions respectives sur les chemins de la montagne, marchant de temps en temps ensemble, parfois nous croisant sur le même sentier, nous donnant rendez-vous d’autres fois pour un autre jour, si le temps devait nous le permettre. Nous savions de toutes les façons que la montagne nous appelait tous les deux, et que nous y trouvions de grandes satisfactions et des moments de liberté intense. Nous avions chacun à notre façon le sentiment de refaire un peu le monde, en nous disant ce qui nous avait le plus impressionné ces derniers jours, en regardant la nature évoluer lentement, tout en nous laissant vieillir toujours trop rapidement, à notre goût, nous étions alors mentalement deux jeunes hommes prêts à galoper comme des gamins pour retrouver les sensations de nos endroits merveilleux. J’admirais sa façon de percevoir ce que la nature lui apportait et ce qu’il pouvait me transmettre, j’étais comme un enfant intéressé qui écoutait son « Papé » lui dire ses collines, l’odeur du temps, la vie dans les monts et tout le bonheur qui pouvait en ressortir, qu’il fallait regarder comme un vrai trésor parce que demain il ne serait peut-être plus là pour le raconter. Et des histoires nous en avions plein à nous partager tant les collines et les monts pouvaient nous donner à observer, aimer, tout au long des saisons et suivant les caprices du temps.
À peine nous étions nous retrouvés, je le sentais débordant d’envie de raconter sa dernière aventure. Les yeux pleins de mille étoiles, il ouvrait à peine la bouche et marmonnait en hâte, avec un léger accent de ce sud qui chante, pour me raconter sa rencontre fortuite avec un gros sanglier, sa laie et six marcassins. Il me disait s’être longtemps arrêté, attendant que toute la petite troupe traverse son chemin qu’il avait pris par le bas de la Sainte Victoire depuis la ferme de Saint Ser. Avec force geste, il me montrait comment il s’était immobilisé derrière le tronc d’un grand pin, mimant ses propres silences et sa totale immobilité, regardant le passage de la troupe, tel un petit régiment de fantassins tout de noir vêtu, et combien il avait craint d’être surpris tant il savait les dangers encourus lorsque ces animaux se sentaient menacés. J’en riais tout haut, tellement il avait une allure d’acteur maladroit mais convaincant, il se déhanchait, reprenait une position d’affût derrière un tronc, comme s’il y était encore. Tout à sa conversation imagée, il venait de faire tomber sa canne en bois de vieux noisetier, sculptée à la va-vite par une main non-experte, mais adoucie par toutes ces années passées qui usent et polissent les formes. Était-ce lui qui l’avait sculptée, lui avait-on donnée, cela faisait-il longtemps, je lui demanderai un jour par simple curiosité car elle faisait intimement partie du personnage. C’était une canne paysanne, torse, faite pour durer, légère et rigide, usée, fabriquée juste à la bonne longueur pour qu’il puisse bien se tenir debout, et garder le bon équilibre. Dans la main, le pommeau sculpté maladroitement d’une tête d’oiseau servait admirablement la tenue de l’objet. Elle en avait vu des sentiers, elle avait griffé tant de terres et de cailloux qu’elle était polie et lisse comme la paume de ses mains tordues par les ans. De couleur foncée elle avait traversé les ans, se rayant et se tâchant à toutes les boues rouges venues de là-haut et aux gouttes de sueurs des longs étés chauds, comme des temps plus humides et froids d’octobre à Mars. Elle était son unique emblème, et il y tenait comme à la prunelle de ses yeux, disait-il souvent, elle l’accompagnait partout, elle lui servait de guide dans ses promenades en solitaire. Il la ramassait dans un mouvement d’une grande douceur, ample avec une lenteur qui trahissait celui qui a vécu, ses gestes mesurés faisaient penser aux douleurs qui ralentissent le corps, aux peines et aux joies cumulées, je sentais qu’il continuait à espérer en économisant ses forces et son temps. Sous ses cheveux longs légèrement ondulés, mal coiffés par une main peu soucieuse de l’aspect physique, le gris de l’âge avait pris place, et composait sur son visage tanné par les vents, une marque de respect. Le nez aquilin portait une vieille paire de lunettes cerclées aux branches fines et argentées, penchées sur la gauche, il me regardait avec un sourire de bienveillance et nous continuions notre chemin de concert.
Vous venez souvent ici ? me disait-il tout d’un coup ... il arrêtait sa question aussi brutalement qu’elle lui était venue, attendant ma réponse …
- Oui presque deux fois par semaine, quel que soit le temps, je lui répondais aussitôt presque gêné de sentir que j’étais un peu chez lui, dans son univers personnel …
- Ah, je comprends mieux pourquoi … il s’arrêtait quelques secondes pour reprendre son souffle … maintenant que je vous vois avec votre boîte à chasser les images.
Je restais un peu suspendu dans l’air du moment, sans répondre du tac-au-tac, tellement sa réponse était curieuse dans cette forme à laquelle je ne m’attendais pas, pleine de bon sens et d’humour. Tellement drôle à la fois dans cette façon un peu moqueuse, de me dire qu’il se doutait de ce que je faisais si souvent ici, comme s’il m’observait faire depuis très longtemps. Il reprenait ...
- Vous savez, j’aime bien les gens qui regardent et qui apprécient, si vous le voulez je vous expliquerai mes petits endroits préférés et comment je la vois ma montagne, où je vis tous les jours, et tous les changements qui apparaissent au gré des saisons, c’est presque magique ... j’habite juste en dessous à la ferme Suberoque sur le Cengle, et depuis longtemps je passe mon bon temps à courir les chemins, pour éviter l’ennui, depuis que je ne travaille plus, en plus j’aime bien regarder les oiseaux, ils sont beaux et si fragiles …
- Eh bien, merci pour cette bonne surprise, lui répondis-je, ça me fait vraiment plaisir de vous accompagner, et découvrir tout ce que je ne connais pas encore …
- Oh, maintenant ce n’est plus comme avant, je ne cours plus comme un jeune lapin, et les hauteurs me fatiguent même si elles m’attirent. Alors je reste sur les sentiers bas, le long des chemins où je croise tant de monde, des touristes comme on dit ici et parfois d’autres qui semblent s’intéresser un peu plus … Le disait-il pour moi, je ne saurais le dire, je ne relevais pas et continuais un peu de cette promenade avec lui. Sans le savoir j’étais accidentellement entré dans sa vie, un peu, mais avec tant de plaisirs pour les années à venir. L’homme était agréable à écouter, je sentais qu’il aimait partager son vécu, il avait besoin de transmettre sa passion.
- Vous voyez me dit-il, me montrant avec sa canne dans un grand mouvement circulaire, toute la chaîne au-dessus de nous qui va de La Croix au pic des mouches, j’ai fait tous les chemins par presque tous les temps et jamais je n’ai été déçu, elle est belle ma montagne. Tous les paysages y sont sublimes, il suffit d’y venir à la bonne heure et de regarder, simplement regarder ce qui pousse, ce qui y vit, les oiseaux du ciel, les lézards verts si beaux, les petits animaux qui courent vite et ces fleurs rares et subtiles qui sentent si bon, que seules les abeilles noires savent trouver au lever du jour au printemps. Mais pour tout cela il faut aimer prendre son temps, il faut s’armer de patience et ne pas courir les chemins, il faut venir et revenir encore au fil des jours …
Je sentais de l’émotion dans ses mots, il revivait ses promenades, il m’indiquait des passages difficiles dans la falaise qu’il avait fait quand il était plus jeune. Maintenant ses vieux os, comme il aimait à le dire, ne supporteraient plus la grimpette. J’acquiesçais d’autant plus facilement que je connaissais les difficultés, il les avait faites toutes, ces sorties, bien longtemps avant moi, et j’étais bien loin d’en connaître tous les recoins. Nous regardions les sommets s’éclairer dans les lumières de fin d’après-midi, les roches prenaient des teintes douces, les gris avaient laissé place aux tons beiges et le calcaire était alors devenu plus chaud, plus coloré, perdant son aspect glacial des roches de montagne. Nous redescendions tranquillement le chemin, j’écoutais ses petites histoires avec avidité, j’avais l’impression de vivre un rêve.
- La prochaine fois je vous montrerai un coin que j’aime bien, parce qu’il n’est pas trop difficile et encore beau avant l’hiver, on se retrouvera ici, ce caillou fera parfaitement l’affaire pour un lieu de rendez-vous … Allez salut et à la prochaine ! Comme il aimait si bien dire. Je quittais Emilio des yeux pour reprendre mon chemin en sens inverse, j’entendais déjà un peu plus loin la petite musique de sa canne qui tapait rapidement la surface du sol durci par la sécheresse, et sans doute marchait-il d’un pas joyeux et allègre pour rejoindre le chemin qui le ramenait chez lui.
J'attendais déjà impatiemment, ce prochain rendez-vous qui nous emmènerait vers un autre point de vue, je me doutais un peu de l'endroit où il voulait m'emmener, je savais qu'il fréquentait avec assiduité certains coins plus tranquilles et moins parcourus par les hordes de promeneurs ...
Voilà un des endroits que je fréquente souvent pour sa beauté photographique, d’en bas la chaîne rocheuse en impose, elle est ici un des points de départ et un objectif pour beaucoup de grimpeurs. J’aimais y passer du temps car peu s’y attarde, tous cherchant à vite grimper plus haut pour attaquer la roche à main nue, ou pour tenter un envol en parapente depuis les plats au-dessus des deux Aiguilles, harnachés d’un énorme sac sur le dos, comme de gros insectes gras qui partent loin pour un grand voyage. Ce jour-là, le temps de faire tout ce long chemin, je n’avais de pensée que pour le mouvement lancinant des pieds qui avancent l’un devant l’autre, dans un mouvement de balancier que seul le corps sait composer pour assurer son avancée vers l’éternité d’une grande promenade. Les yeux au sol pour éviter les mauvais cailloux, les pensées perdues dans un vague éther d’idées brumeuses et confuses, à la limite de ne plus réfléchir, je m’arrêtais et je prenais quelques instants pour une respiration profonde afin m’oxygéner le cerveau mais aussi les poumons avec l’air froid. C’est lorsque l’on parcourt la montagne que l’on s'aperçoit qu’on a vraiment besoin d’évasion et de respiration. Je m’appuyais sur un énorme bloc de poudingue qui faisait face à la montagne. Il était descendu certainement de là-haut aux époques où la terre secouait son dos endolori par tous les tremblements, et avait roulé jusqu’ici pour me permettre un repos juste au-dessus d’un petit vallon aux allures de paradis. Assis sur la pierre froide, je restais figé un long moment, happé par un bien-être quasi irréel, le regard un peu perdu et sans objectif sur la lointaine ligne d’horizon barrée par la chaîne montagneuse, l’air froid venu du nord me glaçait le dos alors que le soleil au Sud-Est, encore bas, me réchauffait le visage et les mains posées sur les genoux. En fermant les yeux je contemplais intérieurement des paysages merveilleux sous de douces températures et respirant lentement et profondément, je remplissais mes poumons et mon esprit d’un bonheur inénarrable. La montagne se découpait en vagues de roches sur fond de ciel clair, l’humidité de la veille avait rempli l’air d’une douceur incomparable, que l’œil sait saisir au travers des lumières folles qui inondent depuis l’Est toutes ces collines, ces arêtes de roches grises, ces vagues de terre rouge, et toute cette nature qui pousse pardessus en buissons arrondis ou ployés dans le sens des vents dominants. Dans toutes ces formes si harmonieuses, je ressentais le rythme inhérent aux créations qu’elles soient le fait de l’homme ou des dieux, où peut être des deux. La douceur et la force se ressentaient en même temps dans tous les mouvements des collines et des masses rocheuses décapées par les vents et les pluies. Jaillissant en arêtes pointues sur la montagne, déroulant plus calmement des rondeurs féminines sur les hauteurs des vallons plus bas entourés de nuées de brumes légères, la nature était un rythme en elle-même, elle m’imposait un ordre de marche, des distances à respecter, et pouvait même parfois m’obliger à des repos au travers des fatigues que mon corps retrouvait invariablement, pour des temps de calme, de réflexion, des moments de pensées diffuses et diverses, et de contemplation aussi. Tout dans cette création était rythme et beauté, mouvements de roches, couleurs changeantes, atmosphères irréelles selon les températures et les nuages, et même les bruits du vent coulant dans les branches, et caressant les feuillages séchés aux bourrasques de l’automne, participaient à ces ambiances aux musicalités étonnantes. J’étais moi-même pris dans ce piège du rythme, respirant au gré des sensations de l’air et des doux rayons du soleil matinal. Comme tous les êtres vivants ici-bas je prenais le temps d’exister, c’est la nature tout entière qui rentrait en moi.
Quelques jours plus tard, après le dernier rendez-vous manqué pour cause de mauvais temps, j’étais resté sur les chemins faciles, je n’avais pas envie de prendre les pentes raides. La lumière était très belle en cette fin d’après-midi, et je n’avais qu’une idée dans la tête, retrouver du calme, celui qui vous fait parler avec le vent, et qui vous laisse écouter les oiseaux du ciel cachés dans les arbres. J’arrivais au bord de la route qui mène à Saint Antonin-sur-Bayon, au cœur de la montagne, sans projet véritable, avec la seule envie de promener ma solitude sur la garrigue et de regarder le ciel qui dominait si loin au-dessus de la croix. J’aimais particulièrement cet endroit pour la facilité avec laquelle je vous pouvais me dépayser, marcher sans but. J’allais lentement, les feuilles jaunes des arbres jonchaient le sol, poussées par de petites bourrasques, elles finissaient par s'empiler dans les ornières que les dernières pluies avaient creusées dans les terres ocres. L’automne était bien là, la nature n’était plus aussi resplendissante, les arbres et buissons légèrement dévêtus, laissaient voir les cicatrices des saisons, les outrages des brutalités du temps, les blessures faites par les animaux ou les hommes de passage, et tout cela me laissait rêveur. Je remarquais, j’enregistrais, mais je savais comme toujours que ce n’était qu’une des phases du temps qui court et fait changer le monde.
Au milieu d’une grande tache presque rousse de ces sables descendus des pentes après les pluies, je m’étais arrêté pour regarder une troupe de grimpeurs prendre le chemin vers les sommets gris, ils riaient, étaient heureux de plaisanter et semblaient prendre leur ascension avec tellement de plaisir que j’avais fini par tendre l’oreille. Leurs discussions étaient inaudibles, mais leurs éclats de rire me parvenaient clairement, je ressentais la joie qu’ils avaient à aller vers leurs parois préférées.
Je n’avais pas entendu les pas discrets d’Emilio qui venait juste d’arriver derrière moi.
- Alors, on fait le curieux ! … À peine était-il arrivé qu’il plaisantait avec une telle bonne humeur que c’en était communicatif. Je lui retournais un grand sourire qui trahissait mon plaisir de le retrouver.
- Oui, bonjour ! … j’étais dans mes réflexions et je ne vous avais pas entendu venir …
Il se campait sur ses deux jambes et s'appuyant sa canne tout à côté de moi, me dit ...
- Beau temps encore aujourd’hui ! …
- Oui, lui répondis-je content de le savoir une fois de plus ici.
- J’étais parti pour une longue promenade depuis ce matin, avec le casse-croûte dans la musette et je rentre. J’ai vraiment bien profité de cette journée, il ne fait pas trop froid et la nature bouge encore un peu. J’étais assis en haut de la courbe sous les deux aiguilles, au niveau de l’oppidum, il y a là-haut un petit plateau avec un superbe point de vue. Quelques barres de roches presque rouges me protégeaient des vents d’Est, c’était vraiment agréable. C’est là que j’ai fait un déjeuner de soleil, et aujourd’hui c’est fête, alors j’ai même pris un petit coup de rouge pour accompagner mon saucisson et mon pain. J’étais si bien au soleil, que j’ai fait le lézard, j’ai failli m’endormir. Toute la falaise au-dessus de moi, juste en dessous de la croix resplendissait de la lumière du Sud et il faisait presque chaud à l’abri des roches. Je me suis régalé, j’avais l’impression de rajeunir au soleil, au diable les soucis !
J’aimais sa façon naturelle de me conter ses moments dans la nature. Tous ces instants de vie quand il parcourait ses chemins, à son rythme, arrivant toujours à y trouver du réconfort, de la joie même, et il savait le dire.
- Il reprenait … il va bientôt faire froid, les hirondelles sont parties, il n’y a plus que quelques choucas qui traînent le long de la grande falaise percée et les insectes sont absents dans les touffes d’herbes, ça fait bizarre de ne plus les entendre crisser, ça devient triste et froid, je ne pense pas que j’y retournerai avant la belle saison.
- Je ne suis pas surpris, lui dis-je, en plus les coups de mistral n’arrangent rien, il faut s’y faire, l’hiver arrive.
Il était encore dans son nuage, il prenait son temps, enlevait et remettait ses lunettes, bougeait sans dépenser trop d’énergie, il me donnait l’impression de se reposer. Sa main droite aux longs doigts encore adroits s’était refermée sur le pommeau de sa canne, et observant le ciel qui noircissait à l’Ouest, il me dit :
- Demain on va en prendre une bonne, regardez là-haut on voit les nuages qui glissent de haut en bas sur les pointes, comme l’eau sur les rochers de la rivière, on dirait un courant, avec des remous, c’est beau ...
Il avait ce regard affûté du chasseur qui voit précisément ce qu’il cherche au milieu des arbres et des roches. Les nuées venues du Nord-Ouest accrochaient le sommet et noyaient la croix dans un inextricable bouillon de masses noires et grises, laissant de temps en temps passer un bout de ciel bleu. Ces mouvements, dans leur grande lenteur, avançaient en fait rapidement, emmaillotant les crêtes et leurs détails dans un bain de gris confus et menaçant.
- Les vents de là-haut sont certainement plus froids que ceux que l’on ressent en bas, et la pluie fera du bien aux plantes.