Vents maudits - Tony Dinand - E-Book

Vents maudits E-Book

Tony Dinand

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Beschreibung

Antoine vit une relation particulière avec sa nature provençale. À l'occasion d'un événement climatique exceptionnel, il se voit confronté à son passé, et retrouve des traces de sa famille. Il se prend d'affection pour un oiseau, en dévient presque un ami, avant de le libérer pour rester en conformité avec ses idéaux. Au cours de ses promenades en montagne, il redécouvre sa passion pour l'environnement, et tente de familiariser sa famille avec les concepts de nature, d'amitié, de liberté, et de bonheur.

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Seitenzahl: 267

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Du même auteur :

— “ Voyages intérieurs“ 2018

— “Chroniques Provençales“ 2020, vol. 1, Photographies et textes

— “Chroniques Provençales“ 2020, vol. 2, Photographies et textes

— “Il aimait tant ses collines“, roman Févier 2020

— “Le pouvoir des cinq terres “, roman Mai 2021

Saint Maximin la Sainte Baume

Nouvelle rédigée de novembre 2021 à Janvier 2022

A propos du bonheur :

“ … Pour l’atteindre, rien n’est nécessaire que soi-même“.

Jean Giono

Sommaire

Avant-propos

Tout aurait pu commencer ailleurs !

Le grand virage

Funeste destin

Vents maudits

Le garage encombré

Décision

Une boîte étrange

Retrouvailles familiales …

Le frère …

L’album magique …

Orient …

Les heures sombres

La vieille malle …

Comment s’apprivoiser mutuellement …

Liberté quand tu nous tiens …

Avant-propos

Tout aurait pu commencer ailleurs !

Certaines nuits, puis certains jours, vous laissent dans le désarroi, d’autres vous mènent aux bonheurs les plus extraordinaires.

Les souvenirs, les rêves, les espoirs et les envies vous portent, et un jour, certains d’entre eux se réalisent en éclaboussant la vie de beauté, d’amour parfois et d’amitié aussi. De belles surprises surgissent au coin d’une rue, lors d’une rencontre, d’une journée ordinaire, ou même dans les méandres des sommeils les plus agités…

Sans pouvoir imaginer de parcours plus complexes, la vie fait des tours et des détours qui surprennent et dessinent des chemins, colorient des tableaux, envoient des messages, et elle laisse aussi chacun libre de choisir le prochain virage.

Antoine, Pierre son père, et Marie sa mère ont usé de ce pouvoir de décision. Ils ont choisi leur vie, ils en ont accepté les contraintes, ils ont ri, ils ont pleuré, et toutes les douleurs et les peurs se sont évanouies chaque fois qu’ils ont pris leur destin en main, pour les mener à cette vie faite de pleins et de déliés comme une belle écriture à l’encre violette, qui vient doucement remplir des pages entières d’un cahier à la calligraphie soignée. Les uns et les autres n’avaient pas toujours voulu pleinement aller vers des chemins convenus, mais ils avaient fait des choix, ils avaient un peu réfléchi aux conséquences, et parfois ils avaient agi sur des coups de tête sans regarder plus loin.

Alors le monde s’était ouvert à eux, ils avaient voyagé, ils avaient bien vécu, parfois même ils avaient dû survivre, et maintenant, ceux-là mêmes qui avaient fait leur vie, reposaient en paix, loin des contingences de ce monde farfelu.

Antoine était resté seul à l’âge de cinquante-deux ans, il n’avait pas de vue sur le monde de demain, il avait accepté de se retrouver là, sans se rebiffer contre les événements, sans vraiment y penser, sans vraiment y croire.

Au décès de son père, son univers s’était tout à coup refermé, il devait se prendre en main, dépasser ses peurs, oublier les aventures immédiates et faire face aux obligations, afin de libérer son esprit et regarder son avenir sans regrets, et sans peurs.

Il devait se regarder en face et évaluer tout ce qui pouvait l’attendre dans les temps à venir, pour construire un nouveau monde, fait de promesses différentes.

Il avait quelques amis, il leur parlait souvent, et leur confiait parfois ses désarrois. Mais il avait aussi et surtout, un frère à qui il pouvait encore dire ses souvenirs, ses espoirs, et qui partageait avec lui les mêmes passions et les souvenirs profonds et joyeux venus de la lointaine petite enfance.

Il n’avait pas oublié les autres frères et sœur, mais dans leurs parcours de vie, certains s’étaient éloignés et l’avaient oublié, et lui-même n’avait pas cherché à resserrer les liens, il ne voulait pas forcer le destin !

Arrivé à un âge où les grands choix de vie sont faits, il se demandait s’il devait continuer ainsi, ou tout chambouler, et tout recommencer pour espérer encore trouver réconfort et envie de vivre longtemps, mais il n’avait toujours pas trouvé de réponse. Son bonheur d’exister en dépendait, et il savait qu’il se devait d’agir ne serait-ce que pour honorer la mémoire de ses parents qui s’étaient toujours battus.

Le grand virage

Il y avait longtemps que sa vie n’avait pris un tel tournant !

Antoine regardait le ciel avec méfiance aujourd’hui. Il ne savait pas ce qui allait se passer, et comme d’habitude, il laissait son vague à l’âme le prendre sans surprise, sans arrière-pensée.

Il avait beau s’y attendre, il se faisait tout de même happer par le vide, et devant tant d’inconnu il passait de secondes en minutes trop longues, de l’optimisme raisonnable au plus profond pessimisme dévastateur.

Pourtant il n’avait pas envie de se laisser faire et se retournant, il laissait son regard contempler le paysage qui se décomposait dans les brumes lointaines, grises et tristes à mourir d’un matin bien ordinaire.

Il ne s’était pas encore habillé, encore en pyjama, le cheveu hirsute, la barbe mal rasée et l’œil encore engourdi par les tourbillons de la nuit, il trainait. Passant devant le miroir du couloir qui mène à la chambre, il se disait qu’il avait une bien triste allure alors qu’il se décochait un regard meurtrier à la simple vue de son reflet fuyant.

Il avançait rapidement d’un pas sur le côté, jetant encore un deuxième regard furtif, comme pour tenter de fuir cette image qui ne lui correspondait pas, et se demandait de qui il pouvait tenir tous ces défauts, ces marques, ces traces de vie.

Pourtant il avait eu un beau visage, il se rappelait avoir eu une chevelure abondante, et il se souvenait qu’à l’époque de cette jeunesse lointaine, il se faisait faire des ondulations à ses cheveux noir de jais, pour ne pas les avoir raides sur le crâne, et cela le faisait encore rire maintenant, à l’évocation de ce souvenir d’une époque révolue pleine de petits bonheurs.

Il n’était pas dupe de qui il était, ni de qui il tenait tout cela. Il s’amusait pourtant souvent à renier ce qu’il voyait, son miroir était un traître. “Saloperie de miroir” disait-il à chaque fois qu’il se regardait.

L’image qu’il apercevait, en osant à peine se regarder de côté, maintenant qu’il avait fait un pas de plus, était exactement la même, sa tentative d’évitement n’avait pas fonctionné. Déçu, ou seulement indifférent, il n’arrivait pas à analyser le fond de sa pensée, il voulait seulement éviter de se voir sous le même angle, voir si cela pouvait changer quelque chose.

— Adolescent, il me semble que j’étais mieux que ça ! se disait-il en maugréant.

Quand je reverrai Maman là-haut, je lui dirai ce que j’en pense, pourquoi ai-je hérité de sa peau à ce point ? Celui que je vois n’est plus celui qui me rendait un peu fier, quand dans ma vanité d’adolescent je laissais les filles me conter leurs histoires, et me dire qu’elles me trouvaient beau !

Il avait vieilli un peu, beaucoup, et depuis toutes ces années passées, il ne savait plus. Signe des heures et des années qui passent, il avait le cheveux raide et blanchi aux tempes, désormais.

Désormais, dans sa vie, il n’avait plus besoin de toutes ces transformations qui vous rendent agréable aux yeux des autres. Il n’en avait cure, et tout cela l’agaçait d’ailleurs depuis qu’il avait quitté le confort de la ville. Les boutiques de fringues, les salles de spectacles où on s’affiche, les bars et restaurants bondés où on vient montrer sa panoplie vestimentaire et le poids de son porte-monnaie, tout cela était déjà d’un autre âge pour lui, et pourtant il y pensait encore, il aimait profiter des rares petits moments de fête.

Il riait bien maintenant en repensant à ce qu’il considérait maintenant comme des erreurs de jeunesse, des broutilles et des enfantillages, et ne pensait plus à sortir de sa coquille. Il s’était installé en Provence, son rêve vieux de dizaines d’années s’était enfin réalisé !

Le cerveau en ébullition, il fonçait vers la salle de bain, se douchait, se rasait et s’habillait d’un jean délavé et d’une chemisette à manches courtes à la blancheur légèrement passée, suite aux nombreux lavages.

Il faisait bon ce matin, le soleil s’était levé de bonne humeur, et apportait une douce sensation d’air tiède.

Dans cette tenue hors de la mode du moment, il allait vaquer à ses occupations quotidiennes en commençant par un grand tour de jardin pour prendre un peu d’air, et chasser les idées incongrues des derniers rêves de cette nuit. Il n’avait pas de programme à venir, et il ferait ce qui lui viendrait à l’idée, ne serait-ce que pour s’occuper.

Il n’osait pas se l’avouer, mais il craignait les journées d’ennui, tellement longues avec ce temps qui égrenait ses secondes, le prenant parfois aux tripes, le mettant dans des états de tension inutile, qui le rendait malheureux malgré lui.

Il avait un peu plu cette nuit, l’herbe mouillée et la terre boueuse en attestaient, il ne ferait rien dans le jardin aujourd’hui. Il regardait en bas les planches bien ordonnées de son potager, il voyait les premières pousses des laitues pointer leur vert clair vers le ciel, et se mettait à maudire les limaces qui ne manqueraient pas non plus de les remarquer pour aller les croquer la nuit prochaine.

Dépité, il se retournait et rentrait dans le salon, fermait la baie vitrée et pressant le pas vers le canapé, s’interrompit d’un seul coup, son téléphone venait de sonner. Il se précipitait vers la table de la cuisine, où il l’avait posé depuis le petit déjeuner, il était là tout vibrant, sonnant à tue-tête sur le coin de la paillasse près de l’évier, il l’avait oublié là.

— Allô … Allô ! dit-il sur un ton peu amène, comme s’il avait été dérangé.

— Allô Antoine ! c’est moi, ton frère, Jacques ! tu m’entends ? J’espère que je ne te dérange pas ?

— Salut frangin ! tu m’appelles de bonne heure ! tu t’ennuies ?

— Non je venais seulement aux nouvelles, comme je ne t’ai pas appelé depuis trois semaines, je me disais que ça te ferait plaisir de discuter un peu. Je pensais à de vieux souvenirs ce matin, et je voulais savoir si tu te rappelles des mêmes endroits que moi, tu sais quand tu me tenais la main sur la photo avec les amis des parents en Algérie.

— Tu es remonté loin dans le temps, lui dis-je.

— Oui, j’ai fait un peu de classement et j’ai retrouvé quelques vieilles photos que Papa avait faites avec cet appareil qu’il aimait tant, tu sais le Foca. J’ai encore les négatifs en noir et blanc si ça t’intéresse ! …

— Bien sûr que je me rappelle de ce moment-là, je dois avoir un double de la photo dans le vieil album aux souvenirs que les parents nous ont laissé, tu sais celui qui a la grosse couverture cartonnée qui ressemble à du cuir vieilli. Je l’ai récupéré et j’ai trouvé plein de souvenirs dedans, il faudrait que je te fasse des doublons des photos que tu n’as pas !

Il y a beaucoup de photos que Papa a faites de toi, tu étais à cette époque le dernier de la maison, avant notre dernier frère, qui est né quand on est revenu en France. Jacques se rappelait aussi avoir vu ces photos, mais il y avait longtemps qu’il n’avait pas vu le fameux livre aux souvenirs magiques comme disait Maman, qu’Antoine avait récupéré au décès de ses parents.

Dans cet album si souvent ouvert, si souvent consulté, les traces des doigts sur la couverture avaient laissé quelques taches un peu grasses.

Antoine se souvenait que souvent sa mère l’avait ouvert sur la petite table de la cuisine, et tout en préparant le repas, il lui arrivait de feuilleter les premières pages, celles où les photos étaient les plus jaunies, ou parfois écornées et mal recollées.

Cette photo dont lui parlait Jacques, c’était en Algérie en 1958, Pierre, leur père, gendarme depuis peu, venait d’y être muté en fin d’année.

Il était rentré en France chez ses parents après une mission en Tunisie, et avait choisi de repartir en Algérie au gré d’un contrat pour cinq ans. Dans l’urgence, c’est le seul travail qu’il avait trouvé pour s’éloigner du domicile de ses parents.

Les seuls souvenirs tangibles étaient là sur la table, dans toutes ces photos que Marie, leur mère, avait gardées avec soin, et qu’elle avait rangées par date, depuis sa rencontre amoureuse, là-bas en Indochine.

Sur la couverture, elle avait inscrit au porte-plume son prénom et celui de son mari.

Bien que ce soit son album, elle avait respecté la bienséance masculine de l’époque en écrivant leurs prénoms, “Pierre et Marie 1948 “ en laissant la date de fin, en petits points violets, posés délicatement avec son porte-plume qu’elle utilisait chaque fois qu’il fallait écrire de jolies lettres.

Déjà elle s’était effacée derrière celui qu’elle avait aimé de tout son être. Elle n’avait pas pu inscrire de dernière date, et il restait encore quelques pages en fin de l’album, où elle gardait quelques lettres que Pierre lui avait envoyées au début de leur rencontre.

Il avait en mémoire ces moments de quiétude et de joie qui se voyaient sur le visage de celle qu’il adorait, ce sourire qu’elle laissait s’inscrire au coin de sa bouche aux lèvres fines et bien dessinées, quand elle tournait les pages.

Ce grand album était tout ce qui restait d’une longue vie passée, une vie d’aventures, de voyages, de bout du monde, de confrontations à l’inconnu. Elle avait collecté toutes les images qu’elle avait pu garder précieusement, les avait collées, décollées et recollées à une autre place, elle avait inscrit les dates et les noms de chacun en dessous.

Ce travail de fourmi laborieuse était tout son plaisir, comme si elle savait que tout cela aurait une fin, comme si elle voulait conserver une vie entière entre toutes ces pages cartonnées, elle emprisonnait les temps heureux dans ces petits bouts de papier argentiques brillants qui la ramenaient à sa vie d’avant.

Il s’était avéré qu’elle avait eu raison de le faire ainsi, tout s’efface au gré du temps, et les souvenirs s’appuient sur ce qui reste, des photos, des lettres, des traces de ces moments de bonheur qui disparaissent à tout jamais lorsque la mémoire fait défaut, et qu’on n’a pas pris le temps de sauvegarder l’essentiel.

Aujourd’hui, tous les deux n’étaient plus là, ils laissaient un vide irréparable, un vide immense qu’Antoine ne savait plus comment combler. Il n’avait plus que ces dizaines de pages aux photos jaunies pour reconstruire un passé, redécouvrir une grande et belle vie, il ne voulait pas oublier et s’était attelé à reconstruire ce passé en parlant avec son frère, et en collectant le plus possible d’informations.

— C’est une longue histoire que la vie de nos parents, répondait Antoine à son frère, il y a tellement d’endroits où nous sommes passés que des fois je me perds dans les souvenirs ! et je ne te parle pas des histoires d’avant nos naissances quand ils se sont rencontrés tous les deux à l’autre bout du monde !

Jacques reprenait …

— Heureusement que Maman a bien classé les photos de son album ! Mais est-ce que tu te rappelles pourquoi et quand exactement a été faite cette photo ?

J’étais trop jeune pour me souvenir de quoique ce soit. Je sais que c’est la seule photo après ma naissance où on est tous ensemble les trois frères et notre sœur, le petit dernier André n’était pas encore né.

Antoine avait cette image dans la tête. Quand il était beaucoup plus jeune, il se rappelait l’avoir demandé à sa mère, et comme à chaque fois, elle lui racontait toute une histoire autour des photos, avec ses petites anecdotes. C’est comme ça qu’il avait à son tour gardé en mémoire tous ces souvenirs si importants qu’il pouvait maintenant faire ressurgir du plus loin qu’il en avait conscience.

Antoine, racontait cette journée de repas de fête des mères avec les seuls voisins européens et amis, prise en fin de repas comme à chaque fois, lorsque Pierre sortait son appareil photo et immortalisait l’instant avec ses enfants.

C’était en Algérie, à Aïn-Fekan un endroit perdu, un petit bout de village entre djebel et montagnes arides. Il voyait encore ce jardin plein d’orangers, de mandariniers et surtout ce néflier géant plein d’oiseaux toute l’année, et ces fruits jaunes gorgés de soleil dont il avait gardé le goût exquis encore aujourd’hui.

Ils étaient tous arrivés là par nécessité ou par choix de vie, lié par un même destin militaire. Les amis de la famille, Éloi et Yetou, devenus respectivement parrain et marraine des enfants de Pierre et Marie, étaient assis sur le pas de leur porte. Ils s’étaient faits beaux aussi, même si ce jour de fête avait un gout d’amertume, pour eux qui avaient aussi quitté leurs familles pour cette mission en terre inconnue, où ils s’étaient retrouvés seuls.

Chacun avait revêtu une tenue du dimanche, les enfants étaient habillés et chaussés comme pour sortir, c’était un jour, pas comme les autres, ou chacun faisait en sorte de partager un moment de bonheur autour d’une bonne table.

Maman était superbe, elle rayonnait entourée de ses enfants qu’elle couvait. Vêtue d’un chemisier bien blanc avec un gilet sans manche, et très coloré, elle n’avait pas attaché ses beaux cheveux noirs comme dans un élan de liberté.

— Tu ne peux pas te rappeler, tu étais trop jeune, tu étais le bébé dans les bras de Yetou, et tous nous avions pris soin de poser pour la photo.

— Oui je sais, dit Jacques, mais je me souviens que maman m’avait un peu raconté cette journée et j’aimerai bien avoir plus de détails, et les tiens ne sont pas les mêmes que les miens !

Il voulait simplement qu’Antoine lui confirme ce que leur mère avait raconté, il voulait lui aussi comprendre cet instant qui avait figé ce petit événement et se remettre en place dans cette photo.

— Je suis né là-bas, et pour moi ça a beaucoup d’importance, pour que je puisse le raconter aussi à mes enfants, ils sauront d’où je viens, c’est quand même une drôle d’histoire que la nôtre !

Jacques avait tout dit en quelques mots, chacun avait sa place dans les souvenirs, et il était important de ne pas oublier pour pouvoir transmettre aux enfants ce que l’on a été.

Ce simple appel téléphonique avait suffi pour remettre Antoine en ébullition, il allait trouver un but à cette journée et à celles qui suivraient. À la recherche des images et des situations qu’il avait vécues comme toute cette petite famille déracinée, il feuilletait à nouveau le vieil album et replongeait dans la vie d’avant avec délectation.

Le plaisir de retrouver des visages disparus, des moments de rire et de partage lui faisaient du bien, il renouait avec ses sentiments un peu oubliés.

En feuilletant les pages une à une, il revivait par procuration les beaux moments que ses parents avaient vécus dans des pays lointains, il voyageait avec eux aux sources de ses origines, et il se perdait aussi dans les méandres de leurs vies aventureuses, plongeant avec délice dans cette pléiade de souvenirs classés pour se retrouver aussi lui-même, tel que la vie l’avait construit. C’est ainsi qu’il pouvait rétablir une part de son existence grâce à toutes ces photos, et aux souvenirs et histoires que leur mère leur avait racontées.

Sans le savoir, il allait explorer le temps, effectuer un retour sur plusieurs générations et accepter enfin tout ce qui s’était passé avant lui, pour comprendre qui il était devenu aujourd’hui.

Il allait faire un grand virage sur sa propre route en naviguant dans les chemins de traverse que ses parents avaient pris pour se rencontrer à l’autre bout du monde. Pourtant il lui semblait bizarre que son frère l’ait appelé, une coïncidence, ou peut-être encore une farce du destin qui conjugue les événements à sa façon.

Antoine restait quand même dans un temps suspendu plein de questionnements. Pourquoi son frère faisait-il des recherches sur des photos si anciennes ? N’avait-il pas ses travaux à faire sous sa véranda ?

Heureux une fois de plus d’avoir discuté avec lui, il restait quand même dubitatif, n’arrivant pas à éloigner de lui ce doute qui planait encore …

Il avait raccroché, mais savait déjà que très rapidement ils se parleraient bientôt.

Funeste destin

Mai et juin étaient déjà passés, trop vite à son goût. Il s’était réveillé de bonne heure, un temps de presque été s’était vraiment installé, ni trop chaud, ni trop sec. Le ciel bleu clair du matin lui souriait, il se sentait bien dans l’air presque frais de l’aurore. Encore quelques heures avant d’appeler son frère Jacques, aujourd’hui c’était son anniversaire.

Il aimait ce petit frère comme il l’appelait, il n’avait que six ans de moins, mais c’était son petit frère, celui à qui on peut parler de plein de choses. Des événements courants, des partages de bons moments, des souvenirs et quelques nouvelles des autres membres de la famille. Il était le seul vraiment avec qui discuter de tout et de rien, et avoir aussi de bons moments de rigolade.

La chaleur montait doucement et l’air devenait plus lourd, plus épais, de cette épaisseur qui fait fuir les rayons ardents pour se mettre à l’ombre.

Antoine n’oubliait jamais l’anniversaire de ce frère, et la réciprocité était de mise, chaque année ils partageaient ensemble quelques bons mots et plaisanteries sur ce foutu temps qui passe, puis laissaient la vie courir vers d’autres intérêts qu’ils pouvaient avoir en commun. Ils parlaient de jardin, de travaux sur la maison qui n’en finissaient jamais, un peu de la pêche aussi. Mais surtout leurs conversations parfois anodines se terminaient toujours par la prise de nouvelles des enfants, des petits-enfants, et de cette famille qui grandissait d’année en année.

Ils se rappelaient en riant, le temps où ils disaient que leur nom n’arriverait pas à coloniser le pays, c’était une blague, ils ne savaient ni l’un, ni l’autre qu’ils allaient avoir de nombreux enfants et petits-enfants.

Aujourd’hui Antoine allait lui rappeler cette blague une fois de plus, il savait que son frère aimait à en rire, il imaginait ce repas qu’il faisait comme à l’accoutumée avec ses trois enfants et toutes ces plats bien copieux qu’ils allaient partager en buvant un bon coup, et en parlant des bons vieux souvenirs, même de ceux qui fâchent encore.

C’était une journée joyeuse, légère qui démarrait bien. Antoine regardait son jardin, évaluait les quelques travaux à y faire, puis s’asseyait à la table sur la terrasse pour prendre un bon café bien chaud comme il l’aimait. Un vrai café de cafetière traditionnelle, pas de ceux que l’on fait en quelques secondes avec ces machines modernes qui font passer de l’eau bouillante sur de la poudre. Il n’aimait pas cette odeur qui n’avait rien à voir avec l’odeur délicieuse du vrai café.

Il l’avait fait avec attention, avec la bonne dose de mouture et déjà l’odeur flottait dans toute la maison. Cette sensation lui procurait du bien-être, il se rappelait l’Italie et ses cafés somptueux, tous les goûts du sud lui revenaient en mémoire. Il avait l’impression d’être à Florence sur la grande place du Duomo majestueux, admirant les prouesses architecturales des architectes du “Quattrocento”, si prolifique en belles œuvres, avec ce campanile de Giotto, tout en marbre polychrome, qui lui faisait face. Le café y était fort cher, mais il était si goûteux qu’il s’en souvenait encore.

Il pensait alors à son petit frère Jacques qui avait tant de fois sillonné l’Italie du nord lorsqu’il était routier, et qu’il lui racontait ses voyages sur les routes et autoroutes. Il allait d’ailleurs lui demander quelques conseils pour la région de Milan qu’il envisageait prochainement de visiter.

En attendant les environs de midi, en sachant que toute la famille de Jacques serait réunie pour fêter cet événement, il finissait lentement son café, prenait le temps de lire quelques nouvelles peu engageantes sur la société d’ici et d’ailleurs, et se laissait aller à soupirer, comme pour évacuer toutes ces bêtises du monde humain, qu’il lisait ici et là, dans les entrefilets de la presse nationale et internationale.

Il ne supportait plus toute cette violence et cette fébrilité inutile autour des exactions de guerres, d’espionnage, de pandémie, de faits remplis de haine et de méchanceté.

Il refermait les pages qu’il lisait sur sa tablette et retournant à la cuisine se préparait à descendre au jardin, juste pour y faire un tour avant d’appeler son frère. Il attendait l’heure de l’apéritif pour lui offrir tous ses vœux et bons souhaits comme à chaque année, cette date était importante à ses yeux.

La chaleur intense de cette dernière journée quasi estivale lui montait au cerveau, il se sentait patraque, il n’avait pas d’envie particulière et regardait le ciel bleu délavé sans conviction, il aurait seulement aimé être auprès de son frère pour lui dire qu’il l’aimait, et que toutes ces années avaient été pleines de manques, et de vides ... ils étaient désormais trop éloignés les uns des autres.

Les cigales s’étaient tout à coup mises à striduler, la chaleur trop intense les mettait encore dans tous leurs états et elles envahissaient l’espace sonore du jardin, alors que dans les secondes précédentes le silence régnait en maître absolu.

Antoine aimait les cigales, mais de loin ! Dans la cime des pins au-dessus de la maison elles devenaient assourdissantes, presque entêtantes, et parfois il se demandait quel plaisir pouvait-on avoir à supporter des heures durant, ces bruits si familiers l’été en Provence. Ce fameux bruit des cigales que les touristes emportent dans leur mémoire, lui il l’avait tout l’été à quelques mètres de ses oreilles, et parfois il n’en voulait plus.

Il remontait à pas lents sur la terrasse en surplomb et prenait son téléphone avant de fermer la baie vitrée derrière lui.

— Allô frangin ! dit-il aussitôt lorsque son frère décrochait à la première sonnerie …

— Oui salut... je sais pourquoi tu m’appelles !

— Joyeux anniversaire mon cher frère, et une de plus, le temps passe si vite !

— Tu ne crois pas si bien dire !

— Tu vas fêter ça comme d’habitude avec tes trois enfants et petits-enfants ?

Un silence de quelques secondes s’était installé. Un silence si pesant qu’il en devenait gênant, lourd, il semblait durer, durer une éternité … Antoine avait ressenti comme une gêne dans le son de la voix de Jacques, il n’avait pas le même timbre joyeux qui était sa marque de fabrique lorsqu’il répondait au téléphone. Il savait bien que parfois son frère devait avoir quelques soucis avec ses enfants, qu’il avait comme tous quelques problèmes d’argent aussi, mais là c’était différent, il y avait comme de la peur dans sa voix.

Des sons discordants entrecoupés de petits râles graves presque inaudibles, qui avaient modifié cette voix forte qu’il avait depuis toujours. C’était un garçon qui aimait la discussion, qui savait se faire entendre, il osait toujours dire la vérité bien en face.

Aujourd’hui ce n’était pas le cas, il y avait une terrible menace dans cette voix, et Antoine l’avait perçue dans tous ces petits changements imperceptibles.

— Tes enfants sont là ?

— Non répondit Jacques avec un temps d’arrêt… je ne fêterai pas cet anniversaire pour la première fois !

— Que se passe-t-il ? Rien de grave j’espère …

Un arrêt plus long dans la conversation, un soupir à peine voilé à l’autre bout du fil. Un court silence si pesant qu’Antoine avait bien compris qu’il y avait réellement un problème, sans doute grave.

— Tu as un souci important à me dire ?

— À te dire non, mais je suis bien obligé de t’en parler maintenant que tu me poses la question, mais ça ne concerne que moi, vraiment, et j’ai beaucoup de mal, (un silence trop long s’était invité entre les mots), beaucoup de mal à te dire que je suis malade, très malade.

J’ai un cancer du pancréas avancé et je n’en sais pas beaucoup plus, j’ai été dépisté la semaine dernière et je vois le médecin spécialiste après-demain.

Antoine venait de prendre un grand coup de bâton sur la tête, il avait du mal à respirer, il n’arrivait pas à laisser sa sidération au placard, il était tout à coup envahi par l’incohérence du moment.

Il n’y avait pas plus de deux semaines qu’il avait appelé son frère et tout allait bien. Jacques lui parlait de ses prochaines vacances, de la retraite de sa femme, et aussi de son fils cadet qui allait avoir un quatrième enfant. Tout allait pour le mieux et pourtant aujourd’hui le ciel s’effondrait sur lui, il n’avait pas vu venir quoique ce soit, et ne savait plus que dire. Il s’étranglait entre larmes contenues, peur instinctive et paroles confuses.

— Ne t’inquiète pas comme ça lui dit Jacques, j’ai bon espoir … un long silence s’installait, et les médecins m’ont préparé un protocole ambitieux. J’ai le moral pour le moment, et si je dois partir c’est la vie qui en décidera, pas moi.

Antoine était bouché bée et il ne savait plus quels mots employer pour réconforter son frère, l’espoir il en avait, mais il avait peur comme tout un chacun, et il savait que c’était vraiment grave. De chaudes larmes coulaient le long de ses joues, il déguisait sa voix pour la rendre joyeuse, pour sembler optimiste, mais devant la gravité de l’instant il n’avait plus de force. Toute son attention était prise par le fait de ne pas augmenter la peur de son frère, il le connaissait si bien, qu’il savait qu’il allait braver la maladie, et qu’il ferait tout pour ne pas partager ses craintes absolues.

La peur s’était infiltrée dans les paroles, dans l’échange chacun tentait de garder le calme, chacun espérait cacher ses propres peurs, en voilant ses mots d’un emballage d’optimisme serein. Tout cela n’était qu’apparence. Les mots semblaient si vides dans cet instant, pourtant ils se comprenaient si bien que très vite ils changèrent de conversation.

Jacques lui parlait du déroulement de ses prochaines vacances, essayait de son côté de rassurer qui voulait bien l’entendre, tout en parlant d’un programme absurde de vacances mêlées aux soins déplacés dans un autre hôpital du lieu de ses congés.

Il avait dans sa voix encore de cet optimisme que l’on garde par bravade avant cette première “chimio”. Devant cet inconnu chargé de peur, d’inconscience aussi, il essayait de faire bonne figure. Pourtant dans ses mots quelques secondes auparavant, il avouait qu’il ne savait plus où il en était. Il disait sa crainte du lendemain, mais gardait espoir, il savait seulement qu’il allait falloir se battre très fort contre lui-même pour ne pas s’abandonner aux pires craintes, même si ses nuits ne le laissaient plus tranquille comme avant, ses rêves n’étaient plus joyeux désormais.

— Ne t’inquiète pas répétait-il, le moment n’est pas encore venu d’avoir peur et puis je ne peux rien y faire tant que les traitements n’auront pas fait effet. Et toi que fais-tu ? Tu as pensé à me donner l’album de famille que tu prépares depuis si longtemps ?

— J’avance, lui répondît Antoine.

Il essuyait ses larmes encore une fois en silence, puis reprenait :

— J’avance mais il me manque des souvenirs, et tu vas peut-être pouvoir m’aider, à recomposer ce que nos parents ne nous ont pas dit clairement, tu sais ils aimaient trop leur tranquillité et préféraient ensevelir leurs mauvais moments. Mais ils auraient quand même pu nous parler de leurs belles aventures, leur vie a été si riche en événements

— Tu sais, j’ai quelques souvenirs que maman m’a racontés quand je m’occupais d’elle, dans sa petite maison sur la route à la sortie du village, avant qu’elle n’habite en ville. Mais elle était si seule après le départ de papa, qu’elle avait aussi enfoui sa gentillesse, et j’ai dû me bagarrer avec elle pour qu’elle soit en sécurité. Cette époque a été si difficile que je n’en garde pas que de bons souvenirs.