Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Suite du tome 1 "Il aimait tant ses collines". Retrouvez l'histoire d'Émilio et des siens, au travers des paysages provençaux, avec des retours sur son existence, celles de ses amis, son enfance, sa passion de la vie, ses valeurs, ses plaisirs à marcher dans la garrigue, où la nature prend figure humaine et sublime les valeurs d'une vie saine. Émilio retrouve les marqueurs de son enfance au cours d'un voyage en Piémont italien, et renoue ses liens avec le passé et ses enfants.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 275
Veröffentlichungsjahr: 2021
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
“Vis comme si tu devais mourir demain,
Apprend comme si tu devais vivre toujours”
Mohandas Karamchand Gandhi
Avant-propos
Une promenade confortable au-dessus de la ferme d’Émilio ...
Des retrouvailles aux allures de confidences ...
Olivier, l’ami d’enfance du fils …
L’appel de la montagne ...
Les souvenirs de la terre …
Doumé …
Exaspérante solitude …
Olivier, sa ville, sa vie …
Un début du jour, comme une renaissance …
Doumé, l’ami incontournable …
Une vraie partie de pêche …
Souvenirs de Valensole ...
Une surprise ...
Retour aux sources …
Du temps qui passe …
Départ vers l’Italie, sur les traces du passé …
Luciano et la discussion avec son grand-père ...
Retrouver ses souvenirs ...
La dernière photo ...
Le retour vers la Provence ...
Il y a des lieux qui vous collent à la peau, ils dégagent des effluves profondes et intenses qui remontent depuis la nuit des temps, et lors de petits événements font resurgir des souvenirs intenses et vous promènent dans ce monde plein de fracas.
Lors de mes promenades dans la belle et douce Provence, j’ai toujours ressenti des bonheurs immenses, la nature se chargeait à chaque fois de me rappeler à ses bons souvenirs, il faut dire que toute mon éducation avait été guidée par un père qui ne se souciait pas toujours du bien-être de chacun, mais qui enseignait assez facilement tout ce qu’il avait observé de cette nature généreuse et protectrice. Il la pratiquait quotidiennement au travers de ses obligations nourricières, où le jardin était son refuge, ainsi qu’au travers de ses passions inassouvies, voyages, pêche en rivière ou exceptionnellement au bord de la mer. Quant à ma chère maman, elle suivait cette vie difficile et harmonieuse, et m’enseignait à son tour d’innombrables petites choses, avec beaucoup de bon sens écologique et pratique. Sans le savoir, elle faisait partie de ce grand mouvement protecteur d’une nature essentielle, qu’elle ne soupçonnait pas encore.
Ce sont tous ces souvenirs agrémentés de mes propres passions et de ma vision du monde que je vais vous conter ici avec ces personnages attachants que j’ai rencontrés dans les méandres de mon imagination au cours de mes pérégrinations solitaires, entre collines de l’arrière-pays Aixois, montagne Sainte Victoire, côte méditerranéenne, et grand pays de Provence jusqu’aux contreforts des Alpes de Haute Provence.
C’est toujours en quête de hauteur que mes pas m’ont emmenés joyeusement, que ce soit en campagne autour de Pourrières et de Puyloubier, que ce soit aussi au pied de la Sainte Baume, ou dans le pays au-dessus de Riez, ou encore plus loin vers la Palud-sur-Verdon, ou de l’autre côté dans le pays des Alpilles. Je prenais toujours le temps de consulter les cartes avant de partir, avec pour but de grimper quelque part, avec pour choix visuel ces hauteurs qui me faisaient dominer le monde d’en bas. J’avais trop longtemps habité le pays plat et monotone de l’Anjou, j’avais besoin de m’évader, de prendre de la hauteur comme je le faisais dans ma jeunesse en allant dans les Pyrénées, sur les grands sites de montagne comme le cirque de Gavarnie, ou le Pic du Midi d’Ossau, qui m’émerveillaient et me laissaient chaque fois sans voix.
J’avais retrouvé en plus confidentiel, le même plaisir en venant vivre dans cette merveilleuse Provence, le soleil y est généreux, les buts de promenades innombrables, et les paysages si variés, que j’y trouvais chaque jour du plaisir à vivre.
Pendant plusieurs années de découverte, de semaines en mois, je traversais la région en tous sens, sans but, pour la curiosité, l’envie de connaître, puis peu à peu je restreignais mes sorties vers des lieux favorables à la méditation, au retour sur soi, à l’approche d’une nature plus sauvage, pleine de poésie et de couleurs parfois. Chaque promenade devenait un but en soi, une recherche, soit avec une soif de découverte pour des lieux inconnus de moi, soit pour me ressourcer en revenant maintes et maintes fois dans les paysages que je connaissais par cœur, et qui me remplissaient pleinement d’un bonheur presque extatique parfois. J’avais toujours gardé en moi cette notion de chaleur météorologique, liée à l’accueil enthousiasmant des habitants de ces régions du sud. C’est là que je voulais être, c’est de là que je voulais partir pour explorer. C’est au travers de mes découvertes d’autres pays lointains, d’autres gens, d’autres coutumes, d’autres façons d’exister, que j’en avais conclu que la Provence, celle des vacances serait celle de ma dernière vie. C’était un choix ! … celui de moments qui me permettraient de me retrouver.
Il m’avait fallu quelques temps pour m’y installer, m’y habituer, et les longues promenades solitaires ou à deux, mais jamais plus, m’avaient fait découvrir un patrimoine exceptionnel, des curiosités géographiques, des paysages que seul le contemplatif peut trouver beau et à son goût, au point de s’y laisser entraîner sans regret, pour y découvrir d’autres secrets encore plus profonds.
C’était au cours de trois années tumultueuses et mouvementées que je rencontrais ces amis imaginaires, qui aujourd’hui m’accompagnent encore dans certaines de mes sorties. Ils survenaient dans mes paysages comme si par magie ils venaient spécialement m’accompagner, comme si leur présence, aujourd’hui rare mais si forte, était le lien nécessaire que j’avais toujours voulu avoir avec ce pays, avec cette terre. Ils m’avaient appris tant de choses, ils avaient éveillé ma curiosité et m’avaient vraiment donné le goût de ce Sud si attachant quand on veut bien s’y intéresser.
Il y avait d’abord Émilio, l’ancien comme on l’appelait maintenant, l’homme de la terre profonde, celui qui ne voulait pas quitter son plateau du Cengle et qui vivait sa montagne comme si le monde ailleurs n’était pas à sa portée, le sang de la montagne Sainte Victoire coulait dans ses veines.
Puis Olivier le boute-en-train, on l’appelait couramment Olive. La quarantaine bien tassée, dynamique et insolente, il vivait à Aix-en-Provence et ne jurait que par sa ville, tout juste acceptait-il de descendre à Marseille et un peu sur la côte autour de Cassis, ne jurant que par ses amis et sa vie citadine.
Il était un ami proche de Fausto le fils d’Emilio, qui nous l’avait présenté autour d’un apéritif à la ferme, et en quelques sortes il faisait pour nous, le lien entre deux générations, ce qui nous a valu de nombreuses discussions agitées.
Et encore Dominique qui voulait absolument se faire appeler Doumé, par ceux qui ne le connaissaient bien. Fils d’expatrié Corse, il ne rêvait qu’au retour sur "son île", où il n’avait jamais vécu, et qui aimait plus l’arrière-pays qui lui redonnait l’espoir de retourner dans les montagnes de Corse près de Corte. À l’approche de la cinquantaine, il ne rêvait que de partir, sa générosité et son amitié sans faille m’avait été d’un grand secours parfois. Il nous avait rencontré, Emilio et moi, sur le marché de Rousset alors que nous étions en recherche de quelques plants pour nos jardins respectifs, et le contact rapidement établi, se transformait en relation de plus en plus suivie autour de la vie dans les collines, la campagne, et un peu les montagnes, ou plutôt les monts, autour de l’arrière-pays, puisque sa profession itinérante - il était dans la rénovation- l’emmenait jusqu’aux confins des petites villes de haute Provence. Lui aussi avait beaucoup roulé sa bosse, il aimait la terre et les gens généreux et vrais. Il m’emmenait parfois dans ses pérégrinations, me faisait découvrir cette région qu’il aimait avec passion, et surtout partageait avec moi la passion de la pêche à la truite sauvage dans les rivières de la grande région du Verdon autour de Castellane.
Il nous est arrivé de temps à autre, de tous nous réunir, le plus souvent chez Emilio, mais c’est souvent avec chacun d’eux en solo, que j’apprenais le plus, que je me familiarisais avec ce beau pays.
Tous étaient arrivés ici par accident, la vie avait décidé pour eux, l’emplacement de leur existence pouvait n’être que temporaire s’ils décidaient de partir ailleurs, ils y avaient parfois pensé, mais ils avaient fait leur vie ici avant tout, et connaissaient la région depuis tellement longtemps qu’ils en étaient des enfants légitimes.
J’avais pris le temps de les connaître, de respecter chacune de leurs paroles, j’avais aimé leurs expressions savoureuses, leurs modes de vie et je comprenais certaines de leurs douleurs …
Ma toute première rencontre fut celle d’Emilio, parce qu’il courait les collines et les chemins de la Sainte victoire comme moi, aux mêmes périodes et pour les mêmes raisons. Nous avions conclu une sorte de pacte d’amitié implicite, fait de nombreux partages de vie, de découvertes et de discussions autour de la famille, de la nature, de nos raisons d’aimer cette nature et cette vie.
Il était sûrement celui qui m’en avait le plus appris, sur les lieux que nous fréquentions assidûment, il avait conforté mes connaissances sur la nature autour de la montagne Sainte Victoire, et m’avait réconcilié avec la vieillesse prochaine qui ne me faisait plus peur, et que je trouvais supportable en sa compagnie pleine de sagesse. Il est vrai que j’avais quelques années de moins, et c’était pour moi un réel avantage quand il fallait arpenter les pentes caillouteuses. Néanmoins au cours de toutes nos promenades nous avions apprécié tous ces bons moments, et partagé beaucoup de petits bonheurs.
Aujourd’hui Emilio avait retrouvé sa famille au complet, il avait refait sa vie autour de cette famille lointaine aux États Unis, ce qui étaient encore loin et inconnu pour lui, il devrait s’y rendre dans le courant de l’année qui vient. Il gardait le contact le plus qu’il pouvait grâce à tous ces moyens modernes de communication, et nos rencontres étaient apaisées et sereines, il me parlait toujours de ses enfants comme s’ils étaient tout près. Ses pensées étaient toujours pleines de projets immédiats et à long terme, mais il avait des rêves plus que des buts, il savait que la vie ne pouvait pas tout lui donner parce qu’il le désirait.
Depuis la fin des vacances mouvementées d’Émilio, nous avions pris comme règle de ne sortir ensemble qu’en semaine, pour éviter les innombrables allées et venues de touristes qui envahissaient de plus en plus les chemins. Il voyait ces cohortes de visiteurs du week-end comme une invasion, comme une privation aussi.
Il acceptait que d’autres viennent voir ce qu’il aimait le plus, mais avait beaucoup de mal à supporter les impolitesses des uns, les susceptibilités des autres, qui ne se gênaient pas parfois pour s’arrêter devant son portail et le bloquer. C’était encore plus l’absence de respect pour cette nature qui le faisait bouillir, il la protégeait à sa façon, en allant parfois jusqu’à ramasser les déchets et papiers jetés dans les buissons. Il était alors impossible de lui parler, la colère montait en lui, c’était un feu qui couvait depuis trop longtemps, et quand il n’en pouvait plus il se laissait aller à quelques éclats de voix envers ceux qu’il surprenait sur le vif, leur faisant comprendre que la montagne n’était pas leur poubelle, parce qu’elle était fragile, qu’elle apportait du bonheur à tous, et qu’il fallait alors avoir un minimum de respect, il ne voulait pas qu'elle devienne un produit de consommation.
Mardi matin, le numéro de téléphone d’Emilio avait fait résonner le mien plusieurs fois. Il avait envie de faire une promenade vers quelques hauteurs et insistait pour que je vienne l’accompagner.
C’était un mardi matin, bien ordinaire, un mardi de fin août avec du grand beau temps. La nature avait revêtu tous ses plus beaux atours sur la montagne, elle avait subi les sécheresses répétées et les coups de vents de Sud qui grillent les plantes fragiles, les privant du peu d’eau qui tombe du ciel à cette époque.
Pourtant en arrivant chez lui, je sentais qu’elle dégageait des forces incroyables, toute sa beauté resplendissait sur le ciel bleu uni, et nous promettait une belle journée pleine de sensations. Je n’étais pas encore arrivé à la ferme, que j’étais déjà étourdi par cet éternel ressenti intense qui n’appartient qu’à ce lieu, les couleurs du matin, la douce température avant les chaleurs, le léger voile atmosphérique au-dessus des cimes à l’Ouest qui baignait encore les pointes calcaires.
Emilio avait mis sa tenue de tous les jours, un vieux pantalon de velours râpé, qu’il mettait quand il faisait des travaux de jardinage, ou quand il allait aux champignons, et qu’il fallait s’agenouiller ou ramper dans les buissons pour ramasser le précieux butin offert par la nature.
— J’espère que la chaleur ne va pas trop monter me dit-il, j’ai mis une bouteille d’eau dans mon sac et hop on y va ! … il prit son chapeau de paille, de sa main gauche peignait ses cheveux vers l’arrière de la tête, et le vissait sur sa tête. Partant vers la voiture d’un pas décidé, il me dit que la chaleur n’attendrait pas, il fallait y aller maintenant, après dix heures tout serait blanc de lumière.
—Tu veux aller dans un endroit précis ? Lui demandais-je
— Oui aujourd’hui je voudrais retourner là où j’ai perdu mes vieilles lunettes, sur la colline au-dessus du Tholonet, tu sais là où poussent tous les iris jaunes. J’ai voulu y aller tout seul la semaine dernière et je suis tombé en butant mon pied sur une roche saillante. J’ai fait un pas trop long et je n’ai pas pu me rattraper, alors “bing bang”, je me suis retrouvé les quatre fers en l’air, je n’avais pas l’air malin. Je ne me suis pas fait mal heureusement, mais en revenant ici, je me suis aperçu que mon sac était entrebâillé et les lunettes n’y étaient plus. Si tu pouvais m’aider à les retrouver, j’en serais vraiment heureux.
—Bon … on y va maintenant, chercher dans la nature ce n’est pas facile et là-haut c’est grand !
Nous sommes partis, le jour s’était levé depuis déjà longtemps, la lumière devenait vive et blanche et la promenade ne serait sûrement pas aussi belle que je l’avais prévue. Longeant la montagne par le chemin qui mène à Beaurecueil, nous avons continué jusqu’au Tholonet, Emilio restait presque silencieux, perdu dans ses pensées, très certainement à la recherche de l’endroit où il avait chuté. La 2CV ronronnait, il avait allumé son vieil autoradio à cassette, et l’air malicieux avait mis presque trop fort la symphonie n°40 de Mozart, il chantonnait en dodelinant de la tête au rythme des violons. Les fenêtres ouvertes nous laissaient percevoir les premières bouffées de chaleur. J’entendais plus que je n’écoutais les notes mêlées au bruit du moteur et aux faussetés mélodiques des vocalises d’Emilio qui n’y connaissait rien à la musique, mais qui la savourait même sans la comprendre. Je découvrais alors qu’il connaissait certains morceaux classiques, et qu’il avait retenu jusqu’à certains phrasés qui l’emportaient dans des joies insoupçonnées, le faisant parfois chanter à tue-tête, même si c’était faux. Peu importe, il avait ce jour décidé d’être heureux, les petits malheurs de la vie quotidienne n’étaient rien alors, il se laissait porter par sa musique intérieure. J’imaginais parfaitement la scène pour ceux que nous aurions pu croiser sur la route, cette vieille guimbarde toutes fenêtres ouvertes et deux vieux fous écoutant du classique en dehors de toute raison. Je riais en même temps qu’il chantait, tous les bruits étaient devenus harmonieux, pour nous c’était le concert du bonheur qui résonnait et nous avions envie de le partager.
— Je me gare sous les platanes me dit-il en éteignant l’autoradio ...
Nous étions arrivés sur la grande place du Tholonet, les platanes majestueux débordaient de tous côtés, leurs feuillages denses laissaient à peine passer le soleil, et l’air qui descendait le long des rives de la Cause, apportait une fraîcheur agréable pour cette chaude journée.
— J’espère que personne ne nous a vu dans tous nos états, on va se faire traiter de fous ! …
— Pas grave dit-il, la joie et la bonne humeur ça se transmet et c’est une bonne contagion ! …
Nous avions pris le bord de la route pour rejoindre le chemin qui grimpe au-dessus du vallon où coule la rivière, Emilio marchait doucement, mais son rythme laissait penser qu’il allait bien dans son corps comme dans sa tête.
— Je suppose que tu as passé de bonnes vacances … lui demandais-je
— Géniales ! Répondit-il du tac au tac, j’ai vraiment bien profité des enfants, ils ont été adorables avec moi, si bien que je ne savais pas où me mettre parfois. Tu sais, mon fils à fait un bon bout de chemin là-bas aux États Unis, et il a grandi en homme, je suis fier de lui. Il est loin, mais maintenant je le sens plus près de moi, heureusement que je peux lui parler facilement. Chaque semaine, chacun à notre tour, on s’appelle pour faire un simple brin de causette, juste pour se rappeler qu’on est bien ensemble. Il s’en veut d’être parti si longtemps sans donner de nouvelles, mais à l’époque il n’avait pas tout compris, désormais il rattrape le temps perdu et c’est tant mieux pour moi. Tu sais quand j’étais plus jeune, je ne sais pas si j’aurais eu le temps de l’écouter et avec autant plaisir !
Je regardais Emilio marcher à côté de moi, il n’avait plus la mine des mauvais jours, l’espoir de retrouver sa famille s’était mué en certitude, et il acceptait très bien cet éloignement. De sa main gauche croisée devant sa poitrine, il tenait la sangle de son sac qui passait sur son épaule droite, fermement, comme pour s’y retenir, il ne le lâchait jamais, on ne lui aurait pas volé.
— Que caches-tu dans ton sac lui demandais-je, trop curieux de savoir pourquoi il le tenait ainsi …
— Depuis que les enfants sont repartis, j’ai mis un petit portefeuille dedans, avec mes papiers, mais surtout avec une photo que m’a donnée Jenna, ils sont tous les trois dessus et je ne voudrais absolument pas la perdre comme mes lunettes, donc je serre le sac contre moi, c'est plus prudent ! …
Nous arrivions en haut du chemin avant le grand faux-plat qui monte longtemps entre les grands pins, j’étais assez loin devant Emilio, j’entendis qu’il soufflait un peu malgré tout, et je devinais qu’il avait besoin de s’arrêter. Le semblant de prairie rocailleuse qui montait était couvert d’une herbe rase et jaunie par l’excès de soleil, les arbres tout autour faisaient comme une clairière en pente, laissant entrevoir du coté Est, le sommet de la Sainte Victoire. Je m’allongeais, et attendant qu’il arrive, les bras grands ouverts au contact de l’herbe, je me laissais fondre dans cette atmosphère tiède. Les pins audessus de moi se balançaient doucement accompagnant un léger brin d'air qui remontait du cours d’eau au fond du vallon. Je fermais les paupières pour me laisser bercer par l’ambiance de cette fin de matinée chaude. J’étais si bien, que je n’avais pas envie d’ouvrir les yeux. Il y avait comme une douce musique dans cette nature intense, qui prenait toute mon attention, m’emportait comme dans un rêve éveillé sur un nuage de coton et de douceur. J’entendais les pas lents de mon ami, son souffle court, et son silence me disait qu’il avait besoin de se reposer. Derrière moi, dans la trouée du ciel, un vol d’hirondelles des murailles et quelques martinets, traversaient le ciel en criant, je regardais leurs arabesques dans l’air blanc et sec, sans y attacher d’importance particulière, attendant qu’Emilio vienne s’asseoir juste à côté de moi.
— Tu vas trop vite en montant me dit-il, j’ai eu un peu de mal à te suivre, mais si on peut rester un peu ici, je vais en profiter pour boire une gorgée d’eau fraîche …
Il s’asseyait doucement en pliant d’abord un genou, puis l’autre, avant de se poser sur son fessier, puis avalait bruyamment une grande gorgée d'eau fraîche. Il fouillait dans son sac, sortait sa précieuse photo pour me la tendre du bout des doigts ...
— Tu vois me dit-il, la vie est un éternel recommencement, cette photo me rappelle celle que je t’ai montrée dans la boite en fer, malgré le temps qui passe, les images se répètent et j’ai comme l’impression d’y être. Parfois quand je vois tout cela, j’ai envie de penser qu’il y a comme une réincarnation des êtres, ils se suivent, se transmettent des valeurs, se ressemblent souvent, et de parents en enfants gardent les mêmes façons d’être. Quand je regarde mon fils, je vois aussi mon père, et dans cette photo faite là-bas au Montana, je vois un peu de mon pays, même si ce n’est pas le même lieu …
Il était pensif, absorbé par une réalité qui le dépassait, mais il percevait la grande histoire de la vie dans sa propre expérience, ses rêves avaient été ceux de son propre père, ses envies il les avait retrouvées chez son fils, et maintenant il voyait son petit-fils comme un chaînon supplémentaire, qui lui rappelait son fils Fausto, prêt à poursuivre leur longue histoire.
Je lui répondais, que nous n’étions pas maîtres des événements, ni des lois de la nature, et que certainement Dieu avait de grands projets pour nous, que dans sa sagesse infinie, il semait des miettes de chacun de nous dans notre descendance afin que rien ne se perde.
— Tu me fais trop rire me répondit-il, je ne crois pas trop à toutes ces balivernes, et puis je ne suis pas capable de comprendre le pourquoi de toutes ces choses. Je vis, j’essaye de ne pas trop me poser de grandes questions, et si possible j’essaye aussi de vivre heureux, sinon la vie ne servirait à rien. Dans tous les cas, ils me ressemblent tous les deux, comme je ressemblais à mon père et à mon grand-père et c’est dans l’ordre normal des choses.
Il reprenait sa photo et la remettait précieusement à sa place, il fermait le sac, le remettait à son cou et se levant m’invitait à aller regarder le paysage.
La pente douce menait quelques centaines de mètres plus haut à une ligne de roches grises qui dominait à gauche le grand creux de la Cause, que j’entendais couler tout en bas au fond du ravin qui rejoignait plus loin le barrage Zola, alimenté lui-même par le lac du barrage de Bimont.
À l’horizon, la face Ouest de la Sainte Victoire se détachait au-dessus des barres rocheuses qui plongeaient profondément en dessous de nous, et plutôt que d’aller plus loin, nous nous sommes assis sur les restes d’un grand pin calciné par la foudre, qui restait couché là, sans espoir d’un autre lendemain. Le ciel bleu, presque blanc parfois selon l’angle de vue inondait de lumière crue les vallons et sommets des collines alentours, il n’y avait finalement pas grand-chose à voir, et nous étions surtout venus dans l’espoir de retrouver peut-être la paire de vieilles lunettes d’Emilio.
Il n’en faisait pas cas, il regardait tout de même partout. Plutôt absorbé dans ses pensées, sans doute à cause de la fatigue, Il me dit :
— Quand les enfants sont venus, on a fait une petite fête avec les amis de Fausto, et j’ai revu Olivier son copain d’enfance …
— Tu as bien de la chance, je l’ai appelé le mois dernier pour faire une sortie de pêche à la truite, mais il n’avait pas le temps lui non plus. Il était en vacances avec ses parents qui étaient venus le voir à Aix, et il avait un programme très chargé. On s’est promis de faire une randonnée ce mois-ci, mais mieux vaut attendre encore, il fait trop chaud et il galope trop vite dans la garrigue, il est plus jeune que nous !
Emilio me regardait sans trop de conviction, je le sentais un peu perdu dans tout le fatras de ses souvenirs, il faisait le tri entre ceux de l’enfance de son fils, puis d'autres moments mémorables qu’il gardait en lui, qu’il avait partagé avec Olivier quand ils sortaient ensemble sur les collines à la recherche de champignons, où pour aller à la chasse aux grives en hiver.
— Tu sais c’est un drôle de gaillard me dit-il, il a une force incroyable et une sacrée résistance. Il me raconte ses parties de chasse qu’il faisait avec Fausto quand ils étaient jeunes, et je sais que je ne pourrais jamais marcher le dixième de ce qu’ils parcouraient. Quand je suis allé avec lui aux champignons, c’était l’an dernier, j’ai compris que je ne pourrais plus le suivre, il m’attendait tout le temps, m’encourageant à chercher les pieds de moutons dans les mousses de la forêt qui monte sur les pentes de la Loube. C’était devenu trop difficile pour moi, et après une heure et deux paniers presque remplis, j’ai renoncé et je suis redescendu, lui m’a laissé à la voiture et à continuer pendant une bonne heure de plus, il est revenu avec un grand sourire, il avait rempli son grand panier d’osier avec au moins deux kilos de chanterelles dorées, toutes fraîchement sorties de terre. Il dévalait la pente en courant alors que j’aurais été obligé de poser un pas après l’autre dans l’herbe glissante. Je ne suis pas surpris qu’il ne t’ait pas rappelé rapidement, il vit une autre vie que la nôtre, il n’a pas le même rythme, ou plutôt c’est nous qui avons ralenti.
Souriant de concert, nous faisions le constat que le corps vieillit plus vite que les envies, que la jeunesse et la force s’épuisent aussi, et que notre soi-disant sagesse, n’était en fait qu’une solution d’attente pour savoir se contenter de ce que le temps et la nature nous offraient. Nous étions d’accord sur le fait que la patience et le savoir des anciens étaient surtout la résultante de nos faiblesses et de tout un apprentissage de la vie qui nous mène à faire attention, car tout devient plus difficile.
— Tu vois … j’aime beaucoup ce gamin me dit-il, il est franc, il parle fort, mais il ne ment pas et en plus c’est le plus grand copain de mon fils. Quand il vient me voir, on parle beaucoup de son enfance et de Fausto, lui aussi regrette un peu qu’il soit parti si loin, mais il comprend ses peines, et il admire son courage d’avoir fait ce si long voyage pour se reconstruire. D’ailleurs si j’ai bien compris, aux prochaines vacances il ira lui aussi chez mon fils, pour visiter un peu le Montana. J’aurai ainsi un lien affectif plus grand avec lui, il est un peu comme un deuxième fils !
Emilio était un homme pragmatique, plein de ressources, et toujours il envisageait les meilleures solutions, il trouvait toujours que la vie était belle, il ne ressassait pas de vieux souvenirs par ennui ou par peur, il voulait seulement ne pas oublier, et surtout profiter encore de ce qui lui restait en mémoire comme lorsqu’on regarde un beau film qui vous émeut.
— Tu as raison, c’est un type formidable, j’ai toujours aimé son ouverture d’esprit, il est vif et intelligent, je comprends qu’il soit ami avec ton fils, ils vont bien ensemble. Moi aussi je l’ai rencontré grâce à Fausto, je te raconterai plus tard, pour l’instant il faut retrouver tes lunettes !
Lentement le soleil finissait sa course au zénith et entamait déjà sa course vers l’Ouest, il était plus de midi et la faim commençait à me tenailler. La montagne au loin, devenait blanchâtre, les brumes de chaleur montées depuis quelques heures finissaient de blanchir l’horizon, on ne pouvait plus voir qu’une silhouette bleutée se détacher sur les lointains blancs. Partout autour de nous une chaleur sèche brûlait doucement toutes les plantes fragiles devenues jaune paille, le vent du Sud coulait doucement dans la cime des arbres rabattant sur terre une sensation de chaleur écrasante. Après avoir cherché en vain les lunettes perdues, je disais à Emilio qu’il n’y avait aucune chance de retrouver quoique ce soit dans ce fouillis de branches, de cailloux, d’herbes sèches et de bruyères desséchées.
— Viens Emilio, ce n’est plus l’heure de chercher, il fait trop chaud, tu vas attraper mal en haut, il fait vraiment trop chaud maintenant et au soleil de douze heures ce sera encore pire.
Il m’écoutait en maugréant …
— Il faut croire en sa chance dit-il … j’ai toujours retrouvé mes affaires !
Il continuait ses recherches et finalement nous sommes descendus lentement, le regard vissé au sol, dans l’espoir d’y faire trouvaille.
La colline abrupte laissait place au chemin escarpé et caillouteux, Emilio faisait désormais attention à chaque pas, il évitait les pierres qui roulent sans prévenir, les plus petites, les plus traîtres, celles que l’on ne soupçonne pas. Il posait ses pieds en travers du chemin et non pas en avant comme beaucoup font, et la lente descente aidant nous nous sommes vite retrouvés presque en bas au bord de la route.
— Tu vois aucune chance de retrouver tes lunettes, l’espace de la montagne est trop grand pour une si petite paire de lentilles en verre cerclée d’un fin fil de métal doré, elles passent inaperçue au milieu des herbes sèches !
Il était dépité, mais relevant le regard au loin il défiait encore le temps de cette journée, il cherchait encore, invoquant le ciel de l’aider.
— On ne va pas tout de même pas rentrer sans les retrouver !
Sur le bord du chemin, au croisement de celui d’où l’on venait et avec celui qui monte au barrage Zola, dans le dernier virage de terre, il y avait un gros caillou ocre, il servait de banc à tous les promeneurs en quête de repos et Emilio s’y était assis, prenant quelques instants de répit …
Tout à coup, Il se levait d’un bond et criait …
— Regardes, tu vois j’avais raison, il faut toujours croire en sa chance !
Juste en face de lui, sur le grillage qui entourait la dernière maison, quelqu’un avait eu l’intelligence d’accrocher les lunettes avec un brin de paille pour qu’elles ne tombent pas. Emilio traversait le chemin, descendait doucement dans le petit fossé et prenait avec précaution sa vieille paire de lunettes, il avait un sourire si radieux que jamais je ne lui avais vu un tel plaisir instantané sur le visage, un vrai gamin à vrai dire, qui retrouve un jouet perdu depuis longtemps.
— Je reconnais que tu as de la veine comme on dit ! … bien loin de moi de penser qu’elles pouvaient être là, tu pourras toujours dire merci à celui qui à eu la finesse de les attacher là !
Il riait de bon cœur, il avait ce sentiment que l’on a, quand on sait avoir eu raison, même si la chance fait partie de l’événement.
— Et bien voilà … on n’est pas venu pour rien, je le savais, maintenant on va rentrer, il est temps de déjeuner, je te propose de rester avec moi pour un bon casse-croûte à l’ombre sous la tonnelle avec une bonne bouteille de rosé, tu ne peux pas refuser, j’ai préparé un lapin en gibelotte, tu m’en diras des nouvelles …
Nous étions les derniers à quitter le parking sous les grands platanes, les feuilles bruissaient doucement, la chaleur devenait écrasante et plus personne n’avait envie de traîner au soleil. Le chemin du retour vers la ferme fût plus calme qu’à l’aller, les fenêtres de la 2CV grandes ouvertes, ne suffisaient pas à nous rafraîchir, les arbres le long de la route avaient pris des teintes grises, les feuilles surchauffées au soleil de treize heures baissaient la tête, les oiseaux ne se faisaient plus entendre, l’air chaud avait tout envahi comme une lente rivière épaisse qui insinue ses eaux profondes et sombres dans les moindres interstices entre arbres et rochers, glissant depuis les hauteurs du ciel jusqu’au plus profond des failles de la terre. C’était à se demander, si quelque part on pouvait trouver refuge au frais.
Nous arrivions vers treize heures trente au portail chez Emilio, il faisait crisser les pneus presque lisses de sa voiture sur le gravier en freinant brutalement comme pour me secouer, et criant joyeusement …
— Tiens c’est pour te réveiller, tu ne dis plus rien, aller on va vite fêter tout ça, je suis content aujourd’hui, j’ai accompli ma tâche du jour, et c’est un peu grâce à toi qui est venu avec moi !