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Dans son pays de Provence, proche de la montagne Sainte Victoire, Antoine rencontre Emilio, qui va lui faire cadeau de deux clés qui ouvrent l'esprit ,de ceux qui les reçoivent, à la joie de l'existence, au bonheur des souvenirs et permet de retrouver des valeurs d'antan. Antoine en fera à son tour, une expérience curieuse qu'il voudra poursuivre avec ses enfants plus tard, mais aussi avec d'autres personnages et découvrira les valeurs liées aux objets et aux vies.C'est dans ces valeurs de transmission d'un patrimoine affectif qu'il poursuivra cette vieille histoire familiale initiée par Juliano, le grand-père d'Emilio.
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Seitenzahl: 244
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Du même auteur :
— “ Voyages intérieurs“ 2018
— “Chroniques Provençales“ 2020, vol. 1, Photographies et textes
— “Chroniques Provençales“ 2020, vol. 2, Photographies et textes
— “Il aimait tant ses collines“, roman Févier 2020
— “Le pouvoir des cinq terres “, roman Mai 2021
— “Vents maudits“, roman Janvier 2022
Le vrai bonheur ne dépend d'aucun être, d'aucun objet extérieur. Il ne dépend que de nous...
Dalaï Lama Tenzin Gyatso
L’inévitable recherche du bonheur …
Le sang de la terre …
Éveil mental …
Rencontre
Le goût de la vie …
La jeune bergère
L’appel de la terre
Deux clés étranges
Remonter dans les temps anciens
Le piège du temps
Elle avait jeté ses habits de la ville
Tuer le monstre dans sa tête
“Monsieur Juliano“
L’homme, dans son éternelle volonté de créer et de modifier son monde, ne cherche pouvoir et possession, que parce qu’il pense qu’il pourra y trouver le bonheur. Tout ce qu’il fait n’a qu’un seul but, poursuivre cette idée ou cette croyance qu’il pourra vivre dans un bonheur éternel.
Mais cela ne se peut, même si des efforts ou des sacrifices sont consentis, et à moins de n’avoir aucune connaissance, et vivre dans l’ignorance et le déni de tout, il poursuivra cette folle intention sans autre perspective que d’y parvenir.
En cela Antoine, simple humain doué de bon sens, ne peut que poursuivre à son niveau l’œuvre des dieux sur cette terre qu’il vénère comme le bien le plus absolu. Une planète unique, colorée de mille teintes magiques, sur laquelle il vit, où il devient à son tour celui qui pourvoie au bonheur des siens, et qui fait tout pour que cela soit.
Il est un être aimant, il sait qu’il doit aller dans ce sens, et vivre ainsi, heureux chaque jour qui passe, en procurant autant de fois qu’il le peut, de la joie, de la félicité, par des actes bienveillants, aussi petits soientils.
L’ignorance ne faisant pas partie intrinsèque de son existence, il ne peut qu’abonder dans ce qu’il pense être son bonheur, pour lui et pour les siens bien sûr. Il sait que cette envie d’une existence heureuse, cette sensation diffuse de joie qui naît chaque jour avec le soleil ou chaque soir avec la lune, et aussi ce refus des mauvais jours, ne peuvent être gagnés que dans l’action, la passion pour la nature et les êtres qui la composent.
Une vie tout à fait normale en soi, pourvu qu’elle ne soit pas simplement égoïste.
C’est dans sa terre choisie de Provence, près de la montagne Sainte Victoire où il a élu domicile qu’il retrouve toute cette harmonie, cette joie de vivre, ce sens du partage des beautés, même les plus infimes, et les plus simples.
C'est ici qu’il a rencontré ces forces telluriques qui l’émeuvent tant, ces hauteurs vertigineuses des grandes gorges du Verdon, ces immenses beautés éphémères des floraisons de lavandes des grands plateaux des Alpes de Haute Provence, ou encore les somptueuses falaises de sa montagne, où il se retrouve dans de grandes solitudes bienfaisantes.
Il aime cette terre, il avoue humblement s’y sentir petit, et en même temps, il en ressort à chaque fois grandi de plus de savoir, de plus de joies rencontrées à chaque fois dans ces moments intimes et merveilleux.
La faune et la flore le réjouissent, les tempêtes et les excès des ciels impétueux forcent son admiration par tous leurs mouvements colériques, de même que les grands espaces calmes aux couleurs si picturales. Depuis les ciels bariolés ou translucides, jusqu’au plus profond de cette terre, tout stimule son goût pour ces vallons et ces monts si changeants, sous des ciels bleus si purs et parfois si blancs, lorsque la lumière devient trop pointue.
Sa montagne le protège quand il y est, seul face à lui-même, il s’y redécouvre, il plonge dans ses univers profonds, sondant son âme, mesurant ses peines, et toujours en recherche de petits bonheurs, il ressent tout ce que les forces naturelles peuvent lui montrer pour comprendre et analyser ce monde qui l’entoure et le fascine.
C’est aussi le lieu dans lequel il se frotte aux merveilles d’une nature telle qu’elle est, vivante, changeante, profonde, et toujours en pleine mutation pour résister aux aléas. Dans tous ces mouvements il perçoit et prend en compte à chaque promenade, les bruits de la vie, il prend le temps de comprendre son environnement, les gens qu’il rencontre, leurs vies secrètes, leurs désirs et parfois leurs problèmes, lorsqu’ils veulent bien se dévoiler.
Sa terre lui permet de s’accrocher à l’existence comme les racines du genévrier à la terre rouge, elle lui permet d’être aujourd’hui ce qu’il est devenu, de regarder les autres avec compassion, et son regard aiguisé au fil du temps lui permet maintenant de se tourner facilement vers les autres, et de les aimer pour ce qu’ils sont.
Dernièrement, il se disait qu’il n’avait plus de temps à perdre en moments futiles, et c’est pour cela qu’il prenait tant de plaisir aux rencontres lors de ses promenades solitaires, il aimait découvrir l’altérité, il aimait laisser une trace joyeuse dans la vie de ceux qu’il croisait, et prendre ce qu’ils voulaient bien laisser transparaître.
Il se chargeait à chaque fois de toutes ces bonnes ondes partagées dans des moments de vrai partage, sans fausseté, sans peur de dire ce que l’on est et ce que l’on aime, il voyait sa vie ainsi.
Le soleil venait d’arracher à la nuit les derniers lambeaux de son voile sombre. Ne sachant plus qui était le maître du monde, un bouquet d’argelas aux feuilles vert foncé, dures et pointues, perdu sur le haut monticule de terre rouge, offrait alors audacieusement ses premières fleurs jaunes de janvier aux lumières froides du matin.
Il avait gelé fort dans la nuit, les fonds des vallons encore blancs du givre nocturne, tardaient à s’éveiller, restant timidement cachés dans l’ombre pesante des profondeurs. Dans le froid glacial, les vents s’étaient dissipés, ils avaient cessé leurs danses folles dans les branches des pins, et dans les buissons sous les chênes encore couverts de leurs feuillages ocres qui bordent le chemin, un jeune chevreuil traversait lentement ce dernier passage qu’Antoine venait d’emprunter. Il humait l’air, les naseaux fumant dans le sens du vent froid, il tentait de comprendre ce qui avait modifié son environnement, il semblait presque inquiet et sondait l’espace autour de lui, cherchant de tous ses sens s’il pouvait continuer de s’aventurer dans l’air libre du matin.
Sans crainte d’une présence dangereuse, rassuré par le silence, de ses pattes fines et élégantes, il traçait son chemin sur la poussière comme dans une danse au rythme léger et saccadé, saluant à son tour la venue des lumières bienfaisantes. À bonne distance, méfiant et joyeux, il regardait vers l’homme qu’il avait reniflé de loin, mais qu’il ne voyait pas, et une dernière fois, comme dans un élan de folie passagère, il se laissait aller à un pas de deux élégant et léger, dans le rayon de lumière qui inondait maintenant le chemin, pour s’élancer finalement sous le couvert végétal d’une pirouette gracile, ignorant alors tout ce que ce jour allait apporter.
Chassant d’un dernier revers de main les bleus envahissants de la nuit, Antoine insouciant comme à son habitude, curieux comme toujours, et peut-être d’une humeur légère, comme ce chevreuil entrevu, scrutait les lueurs jaunes qui éclataient au-dessus des collines. Elles plongeaient entre les branches des arbres endormis et réveillaient le monde en fanfare, créant des ombres mouvantes et fantasmagoriques, agitant tout ce petit monde encore sous les draps de la nuit froide, alors que s’envolaient les premiers voiles évanescents de brumes légères et indisciplinées.
Les oiseaux qui s’étaient endormis la veille au couchant, se jetaient à corps perdu dans une chorale joyeuse, annonçant au monde leur éveil par tous leurs piaillements chaotiques. Antoine avait beau chercher à distinguer leurs langages, mais aucun n’était clair pour lui, il distinguait assez mal le cri des mésanges hardies du chant des pinsons des arbres qui s’ébrouaient avant de s’envoler en bande de trois ou quatre, sortant de l’ombre des bois tièdes et protégés des vents.
Du silence insolent de cette fin de nuit, il ne restait rien qu’un brouhaha de lever du jour. Partout les feuilles bruissaient, les oiseaux s’égosillaient pour indiquer leurs territoires, les genévriers crissaient sous le vent léger, les pins sifflaient, et au loin, très loin vers le sud, un chien aboyait tout près de la ferme d’Emilio.
Ah oui ! j’avais oublié de vous dire qu’Antoine avait rencontré Emilio le mois dernier, quand les temps sombres sur la montagne cachaient toutes les hauteurs, et que l’eau ruisselait partout depuis ce ciel gris qui n’en finissait pas de pleurer.
Ils s’étaient rencontrés et mis à l’abri tous les deux sous la voûte de pierres sèches encore debout au-dessus du refuge Cézanne, au Trou du hameau. Ils avaient attendu longtemps que cesse la pluie et avaient fini par se raconter leur vie, et partager ensemble quelques bonnes blagues.
Tous les deux étaient bons vivants et s’étaient reconnus dans l’autre, partageant les mêmes goûts, promenant chacun à sa façon leur esprit au milieu de cette sauvage nature, remerciant les nuages d’avoir mené leurs pas vers le même endroit.
Emilio, dans sa gentillesse excessive parfois, avait raconté sa vie et ses amis, ses dernières rencontres dans la montagne, et même les belles histoires avec son fils et sa belle-fille (*1). Il disait même que jamais sa vie n’avait pris un tel sens, au regard de tant d’années d’insouciance et d’irrévérence face à ce monde moderne, tout ce monde qui finissait par l’agacer et l’épuiser.
Antoine, plus jeune, qui n’avait pas le même vécu, lui contait aussi ses dernières aventures, les orages, ses randonnées, ses rencontres, et son histoire invraisemblable du jeune choucas (*2) qu’il avait temporairement adopté.
Tous les deux s’étaient rencontrés sous un ciel de pluie, et les gouttes du ciel avaient ensemencé leurs histoires communes de beaux moments pleins de promesses pour les promenades communes à venir.
En se séparant, ils s’étaient mutuellement promis de se revoir et de partager de bons moments dans ce bout de Provence qui leur tenait tant à cœur l’un et l’autre.
Antoine se souvenait qu’il devait revenir cette semaine sur le plateau du Cengle, et qu’il avait promis à son nouvel ami, qu’ils feraient ensemble cette sortie.
Mais ce matin, il en avait décidé autrement, il était parti très vite, sans réveiller personne à la maison, pour venir admirer un lever de soleil. C’était devenu une habitude pour lui, il aimait les aurores et les crépuscules, mais avait une nette préférence pour les heures bleues des levers du jour, juste avant que les couleurs dorées n’atteignent le haut des monts et traversent les collines pour répandre la vie comme une rivière étincelante.
Il savait depuis toujours que Mariette, son épouse, ne voulait pas grimper les collines de bonne heure le matin, elle préférait ses petits déjeuners lents, bien au chaud, à se régaler de ce premier bol de café qui met tous les sens en éveil. Il respectait sans mot dire, cet instant après le réveil qu’il aimait lui aussi, quand la montagne et la nature ne l’appelaient pas.
Parfois, après avoir pris le temps de savourer son propre petit déjeuner en solitaire, il se mettait un peu à l’écart, après quelques mots d’un bonjour discret et tendre dans cette nouvelle journée, il la regardait se délecter de son propre réveil, dans les brumes vaporeuses du café bouillant sorties de son bol bleu, qu’elle utilisait chaque matin.
Il aimait son cérémonial, il la regardait se réveiller doucement, ne la brusquait pas, elle avait le cheveu à peine coiffé d’un geste de la main, les yeux bleus humides perdus dans le vague des derniers songes de la nuit, il aimait ce moment de tendresse lente et d’intimité profonde, qui n’appartenait qu’à lui, parce qu’il n’osait jamais lui en parler.
Il enregistrait ses gestes comme si cela avait de l’importance, il détaillait les mouvements de ses mains quand elle prenait son couteau pour enduire ses tartines de beurre, puis lentement d’un peu de confiture, juste un peu, pour donner bon goût. De loin, il sentait l’odeur du café et imaginait sur ses papilles, les odeurs de la confiture d’abricots qu’elle faisait elle-même à la belle saison, et qu’elle réussissait vraiment. Avec elle, il avait cette possibilité de regarder, d’observer chaque geste, de sentir toutes les odeurs et participer à son petit déjeuner.
Il pensait alors, avoir ce pouvoir immense à ses yeux, de créer un moment heureux autour de lui, et de bien commencer sa journée.
Les idées commençaient immédiatement à trotter dans sa tête, il regardait dehors, se déplaçait vers la fenêtre, revenait à sa place, ne tenait plus en place.
Il réfléchissait !
Ils n’étaient plus que tous les deux dans la maison, ils avaient tout leur temps.
Les enfants étaient maintenant dans leurs facultés respectives à la ville, et quoi qu’il en soit n’avaient pas les mêmes envies que leur père, de gambader dans la nature.
C’était bien là le drame de sa vie !
Il croyait depuis toujours que chacun ferait la part des choses, et qu’ils pourraient ainsi, partager avec lui, cette nature dans laquelle il se ressourçait.
Les désirs et les besoins n’étaient pas identiques à chacun, et il s’était fait une raison, même si parfois il avait vraiment envie de leur faire connaître ses petits bonheurs. Il avait décidé que cette année serait une belle année de promenades, qu’il en ferait le plus possible, même seul, il partirait à la découverte de nouveaux chemins, il apprendrait le chant des oiseaux qu’il savait ne pas connaître suffisamment, il regarderait la nature changer à chaque saison, et ferait tous les parcours vers les hauts de cette montagne qu’il vénérait pour la quiétude qu’elle lui donnait.
Mais il avait aussi en tête quelques autres endroits de sa Provence où il irait découvrir d’autres gens, d’autres terres, d’autres monstres enfouis dans les profondeurs des grottes et des crevasses.
Il pensait au Verdon qu’il avait déjà arpenté avec une envie renouvelée d’y plonger ses pas dans ses gorges profondes et sauvages, mais aussi aux plateaux violets sur les autres montagnes que la sienne, où il irait respirer les belles floraisons de lavandes dès la fin du mois de juin.
Ces rendez-vous avec la nature, il ne voulait pas les manquer, chaque année il y pensait et parfois le cours des événements l’en empêchait, il se promettait alors de ne pas les manquer à la prochaine saison. Le temps passait, les années s’entassaient les unes sur les autres, elles ne se ressemblaient pas, il y pensait, se mettait des petits rappels sur des bouts de papier quand il lisait des articles qui concernaient ces régions qui l’attiraient. Mais toujours rattrapé ou dépassé par le temps, il n’y arrivait pas, et s’en voulait de ne pas rester sur des engagements qu’il s’était promis de tenir fermement.
Après quelques minutes de tergiversations, il enfilait sa tenue de randonnée un peu chaude, et se décidait rapidement à s’évader vers ses pentes faciles de la montagne qui lui permettaient de se retrouver tout seul et de tout oublier le temps de la marche.
— Mariette ! Je file à la montagne, je serai de retour en fin de matinée, je vais faire quelques photos, il a plu cette nuit et la terre doit être plus rouge que d’habitude … aussitôt dit, aussitôt prêt, il prenait son sac à dos, ses clefs et sortait de la maison pour aller dans son ailleurs.
La route comme d’habitude défilait sous les roues de sa voiture, il ne regardait pas vraiment, comme absorbé dans ses pensées. Il conduisait lentement, regardant parfois le ciel au loin, évaluant le froid du matin, imaginant l’endroit où il allait s’arrêter et prendre un des chemins qui grimpent doucement.
Ce matin dans le ciel bleuissant, si sombre au loin, si pur au-dessus de lui, quelques longs nuages effilochés se battaient dans les courants d’air d’altitude. Ils dessinaient sur la voûte bleu sombre, de grandes volutes épurées légèrement blanches qui accrochaient la lumière dans les grandes hauteurs, comme dans un tableau fait d’encre et d’aquarelle du peintre japonais Hokusaï.
Légèreté des couleurs à l’eau pour le ciel, profondeurs des teintes aux ocres sombres pour les terres, et ces masses foncées et denses comme l’encre de chine, pour les buissons profonds et mystérieux.
Légèrement teintées d’or véritable au ras de l’horizon, les lueurs éclaboussaient les cimes des pins vert clair et des yeuses foncées de leurs couleurs jaunes et orangées, comme si le jour avait envoyé une grande vague de beauté sur la terre encore baignée d’encre noire.
Il était heureux de sentir les premières clartés poindre à l’horizon, et cela éveillait en lui les souvenirs de matins heureux. Il avait cette faculté de regarder, de remplir son esprit de belles lumières à la manière des peintres, et de garder en lui toutes ces sensations pour en faire du beau, qui lui donnait plaisir à vivre ses promenades solitaires.
Jamais il n’était rassasié, ses envies de nature l’emportaient toujours sur la morosité de l’instant, sur les incertitudes de la dernière nuit, ou sur les excès météorologiques quand les températures froides ou chaudes, pouvaient en agacer tant d’autres.
Quand il partait ainsi, laissant le monde tourner seul, il ne se posait plus de questions existentielles. Il se contentait de regarder le ciel en se félicitant de pouvoir profiter de ces minutes éternelles. Il marchait à son rythme selon les humeurs de son corps, s’arrêtait souvent, respirait, repartait en ayant de nouvelles sensations ou idées en tête. Il ne savait pas s’arrêter réellement, sauf lorsque ses jambes demandaient du repos, ou parce que son âme avait réagi à la beauté du matin, ou encore à une pensée qui le tracassait, qui pouvait trouver une solution dans un de ces arrêts bénéfiques.
Antoine aimait se promener ainsi, il sortait alors du cadre étroit de la vie quotidienne, et utilisait tout ce temps pour résoudre ses petites affaires courantes mises en attente. C’est comme cela qu’il fonctionnait, ne voulant pas dépendre des solutions d’autrui, il préférait cette solitude intellectuelle qui lui donnait tant de perspicacité dans la résolution des petits tracas de chaque jour.
Bien sûr, la question ne se posait pas de la même façon quand il fallait résoudre des problèmes plus ardus, ou trouver des issues qui n’avaient de réponses que dans le partage familial. Pour cela, il avait Mariette et les enfants, et n’hésitait jamais à leurs faire part de ses soucis, quand ils étaient concernés.
Mais ce matin, il n’avait pas de problème à régler, il était simplement venu pour se reposer, se mettre en harmonie avec cet endroit juste éclairé par les lueurs du levant.
Il respirait à pleins poumons ce vent qui venait de se lever, il regardait les quelques tourbillons de poussières emmenés sur les chemins blancs et restait silencieux, ne bougeant plus, observant le ciel clément de cette fraîche matinée.
(*1) « Il aimait tant ses collines »
(*2) « Vents maudits »
Depuis quelques temps, il passait plus de temps à réfléchir sur tout et rien à la fois, il ne cherchait pas à élucider des problèmes, il ne voulait pas se prendre la tête avec des réflexions trop envahissantes, et plus qu’à l’habitude il voulait s’éloigner de ce monde arbitraire, sans foi ni loi, et la solitude l’aidait parfois à résoudre ses problèmes existentiels.
La beauté du site, l’aidait à oublier le froid, depuis quelques minutes déjà il regardait ce ciel presque vide de nuages, encore trop blanc à son goût et repensait tout à coup à ce choucas qu’il avait relâché à la fin de l’année passée. Comme à chaque fois, il ne pouvait pas s’empêcher de le chercher dans le ciel, et il pensait encore à cet instant quand le vent coulait trop fort le long des falaises, sous ce promontoire où il avait aperçu la première fois, toute une colonie d’oiseaux noirs.
— Arrête d’y penser se disait-il à lui-même, il n’a plus besoin de toi, il est chez lui maintenant !
C’était plus fort que lui, il avait encore quelques pincements au cœur, mais surtout il pensait à son grand fils Ludovic, qui était parti aux études à Marseille, après la dernière balade où ils avaient d’un commun accord fait acte de liberté et de sage décision, en libérant “l’Oiseau”. Maintenant son grand garçon vivait le plus clair de son temps, en résidence universitaire, et venait moins souvent à la maison. Parfois même il restait à la ville pendant les week-ends.
Finalement Antoine s’était fait à cette idée, et avec Mariette, chacun donnait tout son temps à Sébastien pour qu’il suive le même chemin.
Chassant ses idées, il continuait à grimper vers le chemin haut qui borde le Garagaï, juste pour voir s’il avait encore la force d’affronter les vents froids là-haut. Les buissons de buis roussis par les gels de la nuit vibraient doucement, et le frémissement léger des feuilles encore brunes, donnait la force à Antoine de se glisser sous le vent dans cette nature. L’esprit léger, il se sentait comme les petits oiseaux, libre de circuler, heureux d’aller et venir où ses pas l’emmenaient. Plein de bonnes intentions, il continuait jusqu’au col tout en haut à mi-hauteur de la montagne. Il ne savait même plus pourquoi il était venu. Et puis ça n’avait pas d’importance, il était là pour lui-même, pour profiter de ce long chemin. Il avait envie de ce bonheur égoïste et là, rien ni personne, ne l’arrêterait.
La montagne l’avait appelé, il n’avait fait aucun effort pour répondre à cette envie, la nature lui dictait des rythmes, il obéissait avec plaisir sachant qu’il y trouverait l’essentiel de ce que son mental réclamait. Cette solitude dans les hauteurs, ces regards posés sur les étendues désertiques et les grands espaces, ces aperçus des grandes hauteurs des roches qui se découpent sur l’azur, il profitait intellectuellement de tout cet environnement pour se retrouver, et rentrer dans son univers de lumière.
La montagne devenait alors source de détente et de bien-être, d’oubli aussi. Il ne pensait plus alors qu’à tout ce qu’il ressentait, tous ces bienfaits que lui apportait l’air pur, l’immensité du ciel, le calme et la grande sérénité, et aussi la vision de ces paysages éternels et majestueux.
Il avait la sensation de se perdre parfois, il parcourait des heures durant des chemins caillouteux, avançant d’un pas plutôt lent, il ne se précipitait pas, longeant les immenses falaises grises en se penchant contre les vents violents qui parfois parcouraient les creux, ou encore s’arrêtait net pour admirer une plante qui venait de fleurir opportunément au bord du chemin entre les cailloux gris tombés de tout là-haut.
Ce matin, il avait accompagné deux grimpeurs de falaises, pendant quelques minutes, il avait suivi leurs pas légers et rapides, puis s’était vite laissé distancer. Ils avaient échangé quelques mots sur la beauté du site, sur les difficultés de l’escalade qu’ils allaient effectuer, et lui leur disait le plaisir qu’il avait à marcher dans ce milieu exceptionnel.
Il avait vite retrouvé le silence, l’air coulait le long au bas de la falaise, comme un serpent froid qui glisse silencieusement entre les buissons de chênes kermès, frottant lentement ses écailles aux masses rocheuses grises sans faire de bruit, dardant sa langue fourchue de tous les côtés pour inspecter l’environnement.
Les dernières grandes fougères arborescentes qui gardaient encore leurs dernières fleurs gelées devenues marron, pointaient leurs tiges raides vers le ciel, il les trouvait belles, elles habillaient la pente en se mélangeant aux rares buissons de romarins qui restaient à cette hauteur. Continuant son chemin un peu plus haut, il contournait les grands éboulis de pierres grises, il ne voulait pas les traverser pour éviter une entorse.
Plus loin, arrivé sur un promontoire de poudingue, il profitait de cette grande ligne de roche grise renversée dans des temps immémoriaux, pour s’asseoir face au grand piton rocheux qui montait à la grande Croix. Il n’avait pas envie de grimper plus haut, ici le ciel lui caressait les cheveux, le vent apaisé ne coulait plus sa froidure, et il sentait alors la douce chaleur des rayons du soleil pénétrer sa parka. En regardant vers le haut, il trouvait toute la grandeur du lieu dans ce ciel immensément bleu, la roche grise parsemée de grottes, de failles et de quelques pins hardis permettait de mesurer visuellement les dimensions imposantes de la montagne. Il la regardait alors en sachant qu’il ne monterait plus jusqu’en haut par cette face imposante, mais cela lui importait peu désormais. Il avait envie d’autre chose, la quiétude du lieu avait plus d’importance que tout le reste, les efforts physiques ne l’attiraient plus comme avant, il n’avait plus besoin de se prouver qu’il était capable de grimper. Il regardait tout ce paysage comme s’il était dans son jardin préféré, il prenait son temps, respirait longuement, scrutait l’horizon et se laissait emporter par le silence absolu.
Assis, seul face à l’horizon, il pensait un peu à sa vie d’enfance, quand déjà il se promenait seul pour s’immerger dans la nature. Il imaginait encore ces moments de grandes découvertes quand il arrivait à aller si haut dans ses Pyrénées lointaines, et qu’avec son frère ils partaient des journées entières pour faire le tour du Pic du Midi d’Ossau. C’était la liberté absolue, ils avaient la jeunesse avec eux, la peur n’existait pas, seule l’aventure les tentait. Maintenant, il se raisonnait, il mesurait ses forces, il ne prenait plus de risques, car il avait aussi en souvenir ces chutes sans gravité, les entorses et tous les petits bobos ou tracas qui n’ont pas d’importance quand on est jeune.
— Je suis tellement bien ici, que je n’ai plus envie d’aller loin, se disait-il, j’ai trouvé mon équilibre dans ces hauteurs raisonnables, et il fait si bon, que j’y resterai bien quelques heures.
Il est vrai qu’Antoine se trouvait souvent ici, la montagne ne bougeait pas, mais tout l’environnement se modifiait au fil des saisons et des années. Jamais il ne retrouvait les mêmes sensations, les plantes changeaient de couleur, les ciels s’amusaient à peindre la montagne dans des tons de gris et de beige si différents qu’il ne pouvait s’en lasser. Même les bleus au-dessus du sommet jouaient à se métamorphoser, du matin au soir, surtout lorsque les nuages voulaient eux aussi s’en mêler.
Dans cette perception changeante, il avait trouvé tout ce que la nature pouvait offrir, point n’était besoin de courir à l’autre bout du monde pour s’en persuader, il suffisait de venir et de s’asseoir. Le chemin n’était pas long, les fatigues n’étaient pas intenses, les conditions souvent favorables lui permettaient de s’intégrer totalement dans les cycles du vivant, il en tirait toute son énergie.
Le vent venait de la mer lointaine, du bleu au bout de l’horizon, où le ciel se mariait avec l’infini, où chaque seconde qui passait devenait de plus en plus longue, et emportait l’azur dans une blancheur presque livide.
Il ne voyait plus les détails, il était déjà au loin de l’autre côté de la Méditerranée, rêvant des rues aux peintures murales bleu délavé de la vieille ville de Chefchaouen, du vent chaud qui traverse les ombres et vous fait sentir encore plus dans la fournaise. Il gardait le goût des épices qui sentent si bon dans le bazar de la Médina à Marrakech, le cumin trop fort, et ce safran si rouge à côté des tas d’épices en graines.
Le silence, troublé seulement par les échanges entre les deux alpinistes sur la grande falaise grise, lui permettait de distinguer en face sur le côté nord du Cengle, les clochettes de quelques moutons en pâture. Il n’écoutait plus rien, chaque bruit lui devenait plus facile à entendre, il s’immisçait dans cette nature encore grise sous le soleil blanc, comme s’il avait suivi les sangliers sous leur couvert protecteur des chênes verts épais. Ce silence, il ne le trouvait que là, et cet air pur qui balayait les roches emplissait son esprit d’un bien-être qu’il appréciait comme à chaque fois. Il venait ici pour entrer dans ses rêves et le paysage de la montagne lui donnait tout ce qu’il en attendait.
Un merle agacé passait sous les buissons de buis à ses pieds et d’un cri aigu avertissait les autres qu’il avait été dérangé.
Les ombres se faisaient plus courtes à mesure que le soleil grimpait dans le ciel. De tous les côtés il entendait des cris d’oiseaux qui se disputaient le terrain ou qui se chauffaient au soleil du matin, quand le serpent froid de la nuit finissait de couler vers les sombres massifs des pins, laissant place à une douce chaleur dans une lumière acide.
Loin, très loin, il percevait les hennissements d’un âne, et le bruit de fond des voitures qui passaient sur la nationale remontait jusqu’ici, alors qu’il observait ce gros bourdon qui venait se frotter aux dernières fleurs des buissons de globulaires qui n’avaient pas encore fini de se pavaner au soleil dans leur robe violacée.