Tu aurais pu être mon frère ! - Tony Dinand - E-Book

Tu aurais pu être mon frère ! E-Book

Tony Dinand

0,0

Beschreibung

Autour de la montagne Sainte Victoire, Antoine et son ami Giacomo se sont rencontrés, et partagent leurs ressentis intimes sur la montagne, ses beautés, la sérénité qu'ils y trouvent. Mais ce partage les emmène dans le tourbillon de la vie, et dans leurs recherches respectives sur leurs origines, se rendent compte que le monde si vaste ,est à Syracuse le point d'émergence de leurs liens familiaux. Antoine part en voyage et concrétise enfin tout ce qu'il pensait exister dans les temps de ses familles proches et éloignées et revient vers Giacomo pour lui révéler les liens qui les unissent plus fort qu'ils ne le pensaient tous les deux.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 198

Veröffentlichungsjahr: 2023

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Du même auteur :

— “Voyages intérieur” 2018

— “Chroniques Provençale” 2020, vol. 1 Photographies et textes

— “Chroniques Provençale” 2020, vol. 2, Photographies et textes

— “Il aimait tant ses collines” roman février 2020

— “Le pouvoir des cinq terres” roman mai 2021

— “Vents maudits” roman Janvier 2022

— “Les étranges clés de Monsieur Juliano” roman juin 2022

— “ Montagne Sainte Victoire” chroniques 2022

Danse la vie dans l’incertitude des mondes mouvants …

Sommaire

Giacomo …

Il y a tant à dire sur la vie d’un homme …

Solitude et sérénité

La vie comme un pas de danse

Le ruban

Voyage

Quand passé et présent se conjuguent

Les chemins de rencontre

Un ami ça ne s’oublie pas …

Syracuse

Retour sur les collines

Les liens du sang

Giacomo …

Loin de la foule, loin des turbulences du monde qui parfois s’en allait à vau-l’eau, Giacomo se retrouvait une fois de plus sur les pentes de la montagne. Il arrivait au bord de la route de Saint Antonin, et passait sous le grand chêne centenaire qui faisait une ombre si agréable quand il faisait chaud en été, ou protégeait de la pluie fine quand le temps était au gris.

Ce matin, jour d’automne bien froid après les vents de la nuit, le gel avait pris place sur toutes les herbes et les plantes, et recouvrait la terre d’un somptueux tapis blanc. Les branches presque dénudées de cet arbre vénérable paraissaient colorées sous la couverture protectrice brune des dernières feuilles accrochées, qui protégeaient les premiers bourgeons de la saison suivante. Il était tellement majestueux avec toutes ces branches tortueuses qui finissaient par créer un grand parasol au bord du chemin, qu’il s’arrêtait dessous comme à chaque fois et regardait sa montagne au travers des grandes branches.

Finalement il n’avait pas eu envie de prendre ce côté de la montagne encore trop dans les ombres froides et avait décidé de retourner du côté de l’Aurigon pour trouver plus de lumières lointaines sur les hauteurs accessibles. Il avait besoin de calme, de distances avec le monde, de retrouver les impressions de lever du jour, et pour cela, il retournait sur ce chemin qu’il avait maintes et maintes fois parcouru, par tous les temps et en toutes saisons.

Prenant lentement le chemin au travers des jeunes pins, il regardait les sentiers accentués par le blanc des glaces du matin, il imaginait les courbes dessinées harmonieusement par les tracés en zigzag qui montaient à l’assaut des hauteurs vers la lumière. Scrutant le ciel plus qu’à l’habitude, il fermait de temps en temps les yeux, prenait de grandes respirations et se gonflant les poumons à en éclater, ressentait le froid de cet air qui glace l’intérieur mais qui purifie l’esprit, et imaginait alors tous ces trésors à ses pieds que la montagne voulait bien lui laisser entrevoir.

Il n’avait pas besoin d’îles baignées de bleu, il ne ressentait pas le besoin de pays ou de montagnes extraordinaires, il ne voulait pas imaginer des forêts magiques peuplées d’êtres tous aussi beaux les uns que les autres, il était simplement en admiration devant cette vue à la simplicité absolue, pourtant il la connaissait par coeur tant il y venait souvent.

Dans ce massif calcaire, blanc, gris, ou bleuté selon les heures, qui barrait le paysage de Provence, il y trouvait ses chemins de bonheur, il y escaladait mille plaisirs en contemplant chaque plante, en observant les insectes et les oiseaux, en scrutant les formes des nuages pour deviner le temps à venir.

La blancheur virginale du gel avait caché toute empreinte de vie, rien ne bougeait, les vents s’étaient calmés et il se trouvait comme dans un tableau d’un maître de la peinture du XIXe siècle, où l’on aimait à sublimer la nature. Cette simplicité picturale lui convenait, l’air froid lui gelait les mains, ses yeux remplissaient son esprit de lignes pures, de lumières douces et blanches, et il vivait l’instant comme dans une sorte d’extase visuelle, où le monde lui apparaissait si beau qu’il en oubliait le temps, celui qui passe si vite, celui qui vous ennuie aussi quand rien ne va, celui que l’on vit à mille à l’heure sans trop se rendre compte de ce qui se passe vraiment.

Ce matin il était parti de bonne heure, le froid l’avait tiré de son lit depuis les premières minutes de l’aube. Giacomo avait senti les pieds froids de Dihya et n’avait pu se rendormir, alors il avait choisi de sortir en silence sans la réveiller. Il avait doucement écarté les draps chauds, s’était levé en silence, il avait fait attention à ne pas la bousculer en se retournant délicatement sur le côté droit du grand lit, et avait mis ses pantoufles chaudes qui lui permettraient de ne pas faire grincer les lames du parquet.

Il était un homme sensible et attentif, il n’aimait pas déranger, et savait se faire discret quand c’était nécessaire. Surtout il ne voulait pas que sa femme lui dise qu’il l’avait réveillée trop tôt, il savait ce que c’était que de ne plus pouvoir se rendormir.

Le jour se levait, les couleurs n’étaient pas encore sorties des draps de la nuit, les ombres couraient encore sur les collines et seul les sommets des monts prenaient un peu plus de cette lumière venue de l’orient.

En regardant par la baie vitrée de son appartement, il voyait sa montagne sur la face nord, celle qui ne lui laissait voir qu’une découpe en dentelle des sommets tournés vers le sud et la lumière du levant.

Les lointains encore entourés de nuit sur les monts, lui semblaient plus noirs que le ciel au-dessus du village, et se dépêchant, il pensait qu’il serait à l’heure pour voir le jour poindre à l’horizon. Il avait depuis quelques temps cette envie de retourner sur une des crêtes de Roques-Hautes qui lui permettrait de voir tout l’infini du ciel s’embraser.

Au plus vite, il avait pris sa route en direction d’Aix-en-Provence, traversé les quartiers Est de la ville encore éclairée par les lueurs jaunes des lampadaires, et après une demie-heure de route tranquille et silencieuse, il était parvenu à son point de chute.

Il s’était hâté, personne sur cette petite route ne savait où il allait exactement, et seule une laie affamée et ses marcassins avaient croisé son chemin. Il avait freiné brutalement, les avait laissé passer avant de reprendre vers sa destination, et s’était dit que la prochaine fois il prendrait plus de temps pour les observer dans les champs en contre-bas de la route de beaurecueil.

Le noir de la nuit, moins dense, avaient commencé son cheminement vers les douces lumières de l’aube, la fenêtre de la voiture entrouverte, il respirait le froid aux senteurs de gel, et imaginait déjà les pentes blanchies et les scintillements des premiers rayons sur les formes gracieuses des feuilles ourlées de glace.

Une sorte de quiétude l’avait envahi, il roulait maintenant sans réfléchir, il savait que d’ici quelques minutes il sortirait des ombres sous la voûte des grands pins, pour voir sa montagne se détacher sur le fond de ciel sombre. Ce qu’il apercevait trop rapidement de sa montagne, le mettait en émoi, et comme à chaque fois, il lui adressait un petit signe de la main, il la saluait comme si elle était une personne. C’était un rituel, mais il n’y dérogeait jamais tant il avait l’impression de faire partie intégrante de cette nature qu’il respectait.

Transgressant la règle de n’aller que là où il l’avait décidé en première intention, il continuait son chemin vers Saint Antonin, en écoutant la radio, et se dirigeait vers son vallon préféré sous les Deux Aiguilles, mais déçu des lumières trop sombres, il s’était décidé à revenir sur les premières hauteurs près de Beaurecueil. Arrivé sur l’emplacement habituel où il aimait se garer, il avait grimpé le premier chemin de Roques-Hautes, rapidement, presque à s’en époumoner, et avait fait cette halte pour respirer au troisième virage dans la grande courbe montante près du pin tordu solitaire, qui résistait bien à toutes les intempéries, sans changer d’aspect au fil du temps, sans grandir vraiment, se penchant un peu plus d’année en année vers les monts gris.

Giacomo était un homme de fer, la quarantaine bien établie, un corps musclé par le sport et les activités physiques, une peau légèrement hâlée par les nombreuses sorties en plein soleil, il était de ceux que l’on regarde dans la rue, un bel homme aurait dit les jeunes femmes de la ville.

D’ailleurs, il le savait, surtout quand il était au bras de sa belle bien-aimée, et qu’il croisait des regards un peu jaloux, mais ça il ne le disait pas à Dihya, il ne voulait pas attiser ses craintes et jalousies féminines qu’il considérait légitimes.

Ce matin il avait pris le parti d’être lui-même, hors de cette journée à venir, sans les soucis du travail, sans les caprices de qui que ce soit, il n’aurait de compte à rendre à personne. Réveillé trop tôt, il n’avait pas pris son petit déjeuner comme d’habitude et avait emporté avec lui de quoi grignoter devant la montagne, quand l’envie s’en ferait sentir.

Il s’était habillé rapidement d’un tee-shirt blanc avec au-dessus un simple pull vert foncé, celui qu’il aimait prendre pour aller dans la nature. Il savait qu’en n’étant pas trop visible au milieu des branchages, il surprendrait des animaux dans leur milieu naturel sans les effrayer. Un bon jean troué, une paire de basket usées, et il était parti juste avec son petit sac à dos avec une bouteille d’eau gazeuse, quelques biscuits secs et une barre de céréales, qu’il aimait dévorer en étant assis sur cette grande pierre au sommet du monticule qui dominait le pin tordu, quand il sentait qu’il avait besoin de reprendre des forces.

Il n’avait rien prévu de cette météo du jour, et le froid lui parcourait le dos, il tremblait presque en arrivant sur son lieu préféré. Heureusement il avait aussi dans son sac un coupe-vent plié dans un petit pochon qu’il sortait en hâte pour se couvrir et se mettre à l’abri de la bise.

Il était bien maintenant, il s’armait de patience pour attendre ces secondes d’émerveillement qu’il venait chercher à chaque fois, il attendait juste que les lumières bleues de la nuit laissent place aux premières lueurs douces et lentes de l’aurore qui allaient éclater sous le ciel ennuagé.

Il avait calmé tous ses sens, il avait pris le temps d’une longue respiration, regardait l’horizon et attendait. Une grande quiétude l’avait pris dans ses bras, il s’était plongé dans un infini fait de silence ponctué d’une multitude de bruits insignifiants, il se faisait petit dans le vaste espace, les yeux mi-clos il observait les changements lents des lumières et ne pensait plus à rien. Il y avait en lui comme la personnification d’une sérénité intense, tout son être était en attente, ses gestes étaient mesurés, il ne faisait aucun bruit, il voulait assister au réveil de sa montagne, y entendre tous les craquements dans les buissons, tous les cris des oiseaux à peine réveillés, ou encore le glapissement de la renarde qui attirait ses petits vers le fond de sa tanière.

Il vivait la nature comme un homme sauvage, pas comme ceux de la ville qui parlent de nature et qui n’y vont jamais ou que très rarement, pour au bout du compte, ne pas s’extasier tant ils sont blasés. Il se voulait authentique et vrai envers ce qu’il considérait de plus beau, après sa femme bien sûr, qu’il adorait.

La puissance physique qui émanait de Giacomo avait quelque chose qui forçait le respect, on sentait qu’il n’en abusait pas, il était tellement rassurant.

Il s’était adossé au tronc d’un grand pin dénudé, repliant ses jambes sous son menton, pour mieux éviter le froid, ses mains s’étaient appuyées sur le sol gelé pendant quelques secondes et étaient vite retournées dans les poches de son sweat, il faisait trop froid. Pour autant, quand il était recroquevillé, discret, perdu dans ses pensées, il émanait une force incroyable de cet être calme dans cette nature grandiose qui se réveillait. On sentait qu’il attendait un événement, qu’il était à l’affût des mouvements du monde.

Il respirait lentement jouant à souffler des nuées blanches de ses narines, la gelée avait recouvert toutes les herbes, la montagne au loin se dévoilait lentement sous les premiers rayons qui atteignaient ses sommets les plus hauts, peignant d’un rose violacé le gris des roches, puis les ombres perdaient de leur épaisseur, et rapidement un grand fleuve de lumière claire venait à couler sur les cimes des pins au-dessus des collines encore plongées dans les draps de la nuit qui glissaient doucement vers les lignes plus basses des grands pins encore noirs.

Giacomo se souvenait de ces promenades qu’il faisait avec son grand-père, quand gamin il acceptait de se lever pour venir voir le soleil se lever. Il se rappelait aussi tous ces contes grecs ou égyptiens qu’il lui racontait, pour lui faire aimer la course du temps, du lever du soleil jusqu’à l’arrivée de la nuit. Il avait toujours été séduit par le côté surnaturel des histoires anciennes, par le plaisir que procurait son imagination quand ils abordaient ensemble ces épopées millénaires qui le dépassaient.

— Dis papy ! … tu crois que c’est vrai toutes ces histoires de dieux qui se disputaient et qui faisaient la guerre pour notre terre ?

— Tu sais Giacomo, il y a toujours du vrai dans les vieilles histoires, elles veulent toutes dire quelque chose, et si elles restent dans la mémoire des peuples pour plein de raisons que j’ignore, c’est parce que ce sera peut-être à toi de les découvrir !

Ce grand-père qui racontait si bien ces merveilleuses histoires, ne voulait pas trop s’aventurer dans des explications qu’il n’aurait jamais pu justifier. Il voulait rester dans le merveilleux et l’innocence, et jamais il ne voulait donner de perspectives trop aventurières à son petit-fils, l’enfance avait pour lui une valeur sacralisée, on ne devait jamais défaire les rêves remplis de bonheur.

Aujourd’hui, en se remémorant tous ces instants qui l’avaient fait tant imaginer, dans cette nature où se mélangeaient tous ses souvenirs, toutes ces envies, tout ce qu’il aimait le plus, il n’y avait rien d’autre qui ne pouvait l’occuper, et le séduire, parce que l’avenir trop improbable ne l’attirait pas, il vivait le présent, et ces histoires merveilleuses contées par son grand-père faisaient partie de ce moment où il pouvait se laisser aller à ses pensées, se déconnecter du monde agité, et penser à ce qui lui suffisait pour vivre heureux.

Il avait le sentiment que le passé sublimé par des héros antiques, hommes ou demi-dieux, avait une répercussion encore aujourd’hui sur le monde dans lequel il vivait, mais malheureusement où il sentait de moins en moins cet amour du beau et du grandiose. Une normalisation abusive, un excessif recours aux informations de tous genres, les inventions mensongères, les manipulations d’informations de plus en plus courantes, tout était fait pour que disparaisse le sublime, le merveilleux.

Le savoir, le vrai et le faux aussi, avait remplacé les croyances et l’innocence, il se sentait maintenant loin du monde de son enfance, mais heureux de s’y retrouver par l’entremise de ces souvenirs agréables.

Cette folle envie de se sentir vivant, ces moments où l’esprit s’égare au moindre bruit, ces instants de joie à écouter les oiseaux ou à regarder un papillon s’envoler, il en avait fait une sorte de garde-fou, il restait dans son monde que peu pouvaient partager avec lui, et seuls les chemins de la montagne le guidaient vers ses paradis de nature, où il se retrouvait comme un enfant heureux, où il pouvait enfin rêver à sa guise.

Passant des bois sombres aux pieds des grandes collines, pour arriver sous ce ciel infini, barré par les grandes roches, il avait l’impression, de s’ouvrir à un autre univers.

En apercevant les flancs gris de la montagne, il savait qu’ils n’auraient pas les mêmes couleurs que celles vues depuis les lointaines plaines. Chaque fois, en se rapprochant, il redécouvrait d’autres lumières, brillantes quand un peu des larmes du ciel avaient poli les grandes faces au sud, ou sombres quand les grands draps tristes de la nuit ne parvenaient pas à s’élever, ou encore tellement étincelantes quand le plein soleil donnait de toutes ses forces sur les falaises.

Parfois il ne lui en fallait pas plus, le simple fait de fermer les yeux puis de les rouvrir doucement, l’emportait dans un autre monde, il oubliait la vie trépidante d’en bas et n’entendait plus que les conversations du vent avec les arbres. Il pouvait humer les odeurs denses des terres mouillées et ces parfums si forts de plantes écrasées que les vents portaient au loin, un mélange boisé d’humus, de pin et parfois des romarins que les rafales avaient brassés trop fort. Sa montagne sentait bon, et le seul fait de respirer cet air chargé d’odeurs simples et pures le faisait rêver. Ces senteurs le faisaient voyager, il les imaginait portées au loin dans les bourgs par les rafales du mistral.

Il voyait aussi les vagues lentes de la tramontane embaumer le pays de Provence, frôler la montagne de Lure au-dessus de Forcalquier, et après avoir dépassé le Luberon, glisser dans le lit de la Durance pour remonter jusqu’aux confins des Alpes, traverser les rues chauffées par l’air tiède des belles journées, secouer les cloches des villages, traverser les forêts et les monts, pour arriver dans les maisons sans crier gare.

Il les imaginait entrer par la fenêtre entrouverte d’une cuisine qui laissait partir ses fumets délicieux aux quatre vents, et tous ces parfums de vive nature finissaient par se lover au fond des pièces fraîches, et embaumaient les foyers et leurs habitants surpris.

Il comprenait ces bonheurs faits d’une simple respiration, et se sentait comme ces vieux bergers qui errent si longtemps sur leurs collines, qu’ils en connaissent toutes les senteurs, qui se repèrent au moindre buisson ou rocher, que chacun ignorerait en temps normal.

Giacomo se laissait aller à ces rêveries, il avait envie de parler de ce qu’il trouvait ici dans sa montagne. Il aurait aimé raconter toutes ces choses simples, mais il ne parlait pas à tout le monde de ses désirs, de ses sentiments profonds.

Seule Dihya savait un peu ce qu’il aimait tant dans ses collines, elle le comprenait même si elle ne participait pas, elle était là avec lui, et il la savait en accord avec ses promenades solitaires.

Avec Antoine qu’il avait rencontré depuis plusieurs années maintenant, ce n’était pas pareil. Ils étaient devenus amis, ils partageaient les mêmes points de vue sur la nature, et ils s’étaient toujours respectés, partageant de temps à autre de grandes randonnées à travers ce massif calcaire qu’ils aimaient courir chacun à leur façon.

C’est avec lui qu’il avait appris ces recoins des vallons à l’abri qui lui donnaient du temps pour réfléchir, où il se sentait si bien, surtout quand il ne faisait ni trop chaud, ni trop venteux. Il y pensait souvent, et depuis tous les deux avaient pris acte de leur amitié, et leurs rendez-vous étaient comme des moments salutaires et réconfortants dans leur vie. Ils étaient si différents pourtant.

Il y a tant à dire sur la vie d’un homme …

Les vies de chacun étaient si différentes, qu’ils n’auraient semble-t-il eu aucune raison de se rencontrer, et pourtant en existant chacun à leur manière dans ce même univers de nature où ils respectaient l’environnement du mieux qu’ils le pouvaient, ils avaient fait un vrai bout de chemin ensemble, en se rencontrant de façon hasardeuse sur un des chemins de Roque-Hautes.

Ils savaient à leur façon que leurs envies et leurs besoins de nature étaient différents, mais ils avaient eu envie de se parler, de partager quelques impressions, de dire que leur bonheur était là, au milieu des collines et de la garrigue.

Giacomo en avait totalement conscience, il s’en était ouvert à Antoine, lui avait parlé de ses évasions solitaires dans la montagne, ils avaient échangé sur la vie en générale, sur les destins de chacun, sur les raisons qui poussent à se trouver seul au milieu de nulle part.

Pour lui, chaque destinée avait un but, chaque moment aussi petit soit-il, ne pouvait être vécu que dans le cadre plus large de la vie avec un grand V, sans toutefois avoir de solutions à toutes les questions qu’il se posait, et pour cette raison il acceptait toujours de rester en retrait, ne voulant jamais affirmer péremptoirement ce qu’il pensait.

Il avait trouvé dans son ami de maintenant toutes les raisons de partager, de vivre de bons moments de discussions, d’échanger des points de vue, même s’ils n’étaient pas toujours d’accord.

Il ne voulait pas se justifier, il essayait seulement de faire comprendre ce qu’il ressentait devant l’absolu, dans ces moments où l’on peut se confronter au merveilleux.

Il savait aussi que chacun pouvait avoir un degré de perception diffèrent selon la culture dont il était issu. Le lieu de naissance, la façon dont l’existence avait été gérée par la famille, par les ancêtres si importants, et le milieu social dans lequel il avait été élevé, tout cela avait de l’importance pour former un être humain, et forger définitivement son caractère, ce qui permettait de le distinguer dans l’immense foule qui l’entourait.

Il regardait son univers avec un esprit ouvert, mais sondait plus précisément la nature dans laquelle il évoluait lui-même. Il avait un regard curieux et précis sur les gens qu’il aimait, avec leurs différences tant dans la vie de chaque jour que dans leurs comportements particuliers, il s’était vraiment attaché à son monde sans pour autant en faire tout un plat.

Il le faisait avec empathie et passion, d’autant plus qu’il avait la chance de croiser des personnes aux caractères bien trempés qui étaient devenues ses amis. Antoine et Emilio étaient de ceux là, et Olivier le solitaire si rarement rencontré.

Chacun à des degrés différents, l’avait interpellé, intéressé souvent, parfois agacé. Conscient de la chance qu’il avait de vivre dans cet environnement et d’avoir ces relations privilégiées, il ne quitterait pour rien au monde sa Provence, pour une quelconque autre région. Sa famille de coeur et d’esprit se trouvait réunie sous ces cieux chaleureux et près de cette montagne qu’il aimait intensément.

Malgré son âge, jeune encore, puisqu’il n’avait que quarante huit printemps à son actif, ce qui n’était rien devant l’âge vénérable d’Emilio qui avait dépassé les quatre fois vingt, il avait sciemment enfoncé ses racines dans cette terre comme les vieux arbres auxquels il s’était attaché dans ses promenades. L’immensité du monde n’était plus un problème, il n’avait plus besoin de le voir en entier pour le comprendre, il ne voulait plus courir les grands espaces même s’il en rêvait, il s’était recentré sur son existence, proche des siens et de ceux qu’il considérait comme sa famille.

Parfois il avait des doutes, il pouvait se sentir mal, il pouvait aussi avoir envie de pleurer, mais jamais il ne se laissait prendre au dépourvu très longtemps.

Son instinct le guidait, il avait confiance dans sa nature profonde, et il avait foi dans le vaste dessein des dieux de la création, si bien qu’il se sentait en harmonie avec tout ce qui l’entourait, même dans les situations les plus abracadabrantes. Maintenant il avait du temps devant lui, son travail ne l’accaparait plus autant, il se disait qu’il avait la possibilité alors d’approfondir encore ses connaissances du monde, sur lui-même, sa famille et ses proches, en faisant des recherches sur son passé, en parlant avec ses amis, en fouillant l’espace et le temps d’avant pour comprendre.