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Après le décès de son père, l’auteur découvre son livret militaire, accompagné de photos et de documents témoignant de son passé en Algérie en tant que soldat. Parmi ceux-ci, une carte militaire et des annotations rédigées en encre bleue éveillent en lui le désir de redonner la parole à son père, de lui permettre de raconter enfin son expérience de la guerre d’Algérie. Ce récit, loin des clichés, dévoile les réalités vécues au cœur des montagnes des Aurès et du Sahara, offrant une voix à ceux qui, trop longtemps, ont gardé le silence. Un témoignage poignant, pour que cette mémoire souvent occultée trouve enfin sa place dans l’Histoire.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Hervé Pierret Vigneron découvre la puissance des mots à travers la littérature et l’Histoire, notamment avec un ouvrage sur Napoléon. Très tôt, il se rend compte que l’Histoire est souvent racontée par les vainqueurs et que la vérité est parfois occultée. Dans son récit, il livre sans parti pris des aventures vécues pendant la guerre d’Algérie, racontées à travers les yeux de son père. Il y dénonce les méthodes colonialistes et l’imposture du conflit, rendant hommage à cette jeunesse sacrifiée. Ces écrits visent à redonner à ces hommes leur véritable place dans l’Histoire.
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Seitenzahl: 326
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Hervé Pierret Vigneron
J’avais 20 ans en 58
Contingent Algérie
Au cœur du massif des Aurès
dans le Sud constantinois
Roman
© Lys Bleu Éditions – Hervé Pierret Vigneron
ISBN : 979-10-422-7997-4
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À mon père
Qui par ces années de silence enfin délivrées
Recouvre à travers ces mots la liberté de s’exprimer
Je viens de tuer mon premier homme. La nuit commence à tomber dans le fond de ce ravin où depuis ce matin, avec mes camarades, je crapahute à travers un thalweg au sud de l’oued Bouzina dans le secteur de Tagoust. Je suis transmetteur radio à la 21e Division d’Infanterie stationnée à Batna, une petite ville au nord du massif des Aurès. En cette journée du 15 juin 1958, armé de mon fusil d’assaut MAS 36, je viens d’abattre mon premier homme. C’est la première fois, depuis que je suis arrivé sur le sol algérien, que je fais usage de mon arme. Là, quelque part dans les taillis gît un fellagha. Quelques minutes plus tôt, lui ou un de ses compatriotes venait d’abattre d’une balle en pleine tête mon lieutenant de compagnie alors qu’il utilisait le poste radio TRPP 8 que je portais sur mes épaules pour demander un appui aérien. J’avais la haine au cœur, et sans réfléchir, je me levai et tirai au hasard vers l’ennemi qui avançait. Je vidai mon chargeur, le doigt figé sur la gâchette. Il fallait qu’en face quelqu’un paie pour ce qu’ils avaient fait. Nous étions accompagnés par la 2e section du 3e corps de Bataillon de Parachutistes. L’un deux me fit un signe et m’indiqua que je devais recharger mon arme. La tête me tournait, j’avais le cœur à cent à l’heure et les tripes en ébullition. Depuis plus d’une demi-heure, une bande de djounoud nous canardait depuis leur position : des hauteurs du djebel. Leurs tirs nourris avaient déjà eu raison de plusieurs d’entre nous et, bloqués derrière une barre de rochers, nous ne pouvions plus progresser. Nous étions à la merci de leurs balles, mais sous la mitraille, la section de parachutistes, elle, continuait à arroser l’ennemi qui nous fonçait droit dessus. La hardiesse de ces hommes m’impressionnait et je savais qu’ils ne lâcheraient pas le morceau. Mon camarade de gauche cria horriblement : une balle venait de lui transpercer la jambe. Le sang gicla abondamment mettant les chairs à vif. Ne pouvant opérer les premiers soin sur place, nous n’avions pas d’autre choix que de le transporter d’urgence en dernière ligne. Après avoir improvisé un garrot, un des pars le prit sur ses épaules et tout en restant à couvert le long de la paroi qui nous surplombait le ramena le plus loin possible vers l’arrière. Il se passa près d’une demi-heure avant qu’un Mystère IV basé à Oran ne survole la position ennemie. Le message di lieutenant avait été reçu. Après avoir mitraillé copieusement les hauteurs du ravin, les parachutistes engagèrent le combat en poursuivant la katiba qui nous faisait face. Quelque peu désordonnés, profitant de la pénombre qui s’installait, les fells commençaient à prendre la fuite en direction de l’extrémité Nord du thalweg. Après de rudes affrontements, les fusils se turent enfin. J’esquissai un mouvement de tête au-dessus du rocher qui m’avait protégé pendant l’assaut. Plus personne n’était autour de moi. Il ne régnait que désolation. Là, gisaient sept de nos camarades : le lieutenant, un sergent, deux paras et trois gars de ma section. Ils n’étaient là que depuis quinze jours, tout comme moi, et déjà leurs corps rentreraient en métropole auprès de leur famille dans un cercueil couvert d’un linceul bleu blanc rouge. Voulant signaler au groupement de commandement que nous avions sept morts et que nous ne pouvions les prendre en charge, je remarquai que le poste radio avait lui aussi reçu un projectile et qu’il avait rendu l’âme. Peut-être m’avait-il épargné d’être au nombre de ces malheureux pensais-je ? Avec quatre de mes compagnons, pétris de peur, nous commencions à rassembler leurs corps quand une estafette de six brancardiers accourut à notre rencontre. Le sergent qui les encadrait nous demanda de récupérer les armes laissées par les fellaghas tombés pendant l’accrochage. Le Haut Commandement exigeait que l’on compte, au titre de statistiques, le nombre de tués ennemis, le nombre d’armes et le type d’armes récupérées après chaque affrontement. Pour parfaire les chiffres, ce jour-là, nous dénombrions vingt-deux djounoud abattus. Quinze fusils, un poste radio et un fusil-mitrailleur seraient enregistrés comme des prises de guerre. Belle affaire ! Je regardais ces sept pauvres types qui n’avaient rien demandé à personne. Pour une simple histoire de maintien de l’ordre au sein d’une de nos dernières colonies, ils venaient de donner leur vie pour leur pays. La couleur ocre si chatoyante qui habillait encore cette terre quelques heures auparavant faisait place dorénavant à un rouge sang venu des entrailles de ces valeureux combattants. Ordre nous fut donné de transporter les corps de nos camarades tombés au combat au plus vite. À la lumière des lampes torches, les brancardiers les ramenèrent deux par deux aux véhicules stationnés un peu plus haut en amont du thalweg. Pendant ce temps nous montions la garde auprès de leurs dépouilles. Il n’était pas rare de retrouver au lendemain d’une altercation, alors que les morts n’avaient pu être évacués, les corps complètement dénudés, mutilés même par la sauvagerie et l’acharnement des populations autochtones proches. La barbarie avait, en dépit de toute morale, encore cours dans ces contrées. La nuit était déjà bien avancée quand j’embarquai avec le reste de ma section à l’arrière d’un vieux GMC brinquebalant en partance pour notre garnison. En mode black-out, tous feux éteints, nous suivions à la file le bahut qui nous précédait à bonne distance.
Tel un reptile à l’affût, notre convoi disparaissait dans la nuit. Le bruit assourdissant du moteur et l’inconfort de la banquette centrale en bois nous obligeaient à rester en éveil. Parmi les techniques de guérilla utilisées par le FLN, les embuscades et les tirs d’individus esseulés étaient monnaie courante : jamais nous n’étions à l’abri d’une balle perdue. Après près de deux heures de piste, notre convoi s’arrêta. Des rixes avec des fellaghas avaient été identifiées un peu plus vers le nord sur la D 54 près de Tietz et les autorités décidèrent que nous camperions pour cette nuit dans l’un des nombreux vergers d’orangers qui jalonnaient la route. La journée avait été éprouvante et pour beaucoup d’entre nous ce baptême du feu nous laissait un goût amer dans la gorge. Le capitaine commanda la mise en place du camp. Les tentes furent dressées en cercle en contrebas de la D 54 au cœur même des arbres fruitiers. Une odeur agréable de zeste d’orange parfumait l’air et je me revis un instant à la maison quand ma mère préparait ses confitures de mirabelles : un semblant de vie reprenait enfin. Les ordres vociféraient de tous les côtés, mais chacun savait très bien ce qu’il avait à faire. Les paras décidèrent, eux, de bivouaquer un peu plus haut sur la crête et, barda sur le dos, ils prirent leur position. Je ne fus pas de garde cette nuit-là, mais le sommeil ne voulut pas de moi. Je revoyais en boucle la jambe arrachée de mon camarade et le lieutenant chuter lourdement au sol. Ce n’est que vers 2 h du matin que la fatigue eut raison de mon esprit et de mon corps. Je fus arraché à mes songes par le sergent qui, en gueulant comme un sourd, annonçait le réveil. Le soleil était déjà bien haut dans le ciel, pourtant l’aube venait à peine de se lever. À peine avais-je pris le temps d’avaler un café que sonnait déjà le rassemblement. Nous avions quinze minutes, pas une de plus, pour rembarquer dans les camions. Les paras étaient déjà à pied d’œuvre et, sans attendre notre compagnie, ils reprenaient déjà la route. Ces mecs en avaient pour sûr dans le calbut, certains d’entre eux étaient des vétérans d’Indochine. Ils n’avaient pas hésité à rempiler, pour venir ici en terre algérienne, espérant sauver le peu qui restait de notre ancien empire colonial. Le jour de l’opération, ils étaient arrivés par les airs. De drôles d’hélicoptères en forme de banane les avaient par groupe de dix, débarqués sur le site que nous devions inspecter. Nous avions patrouillé toute la journée à travers ce paysage rocailleux, à scruter chaque buisson, à visiter chaque grotte. Bien que sur nos gardes, nous n’avions rencontré personne, pas même un gardien de chèvres. Ce n’est qu’en toute fin d’après-midi que nous avions été accrochés par les fellouzes au fond de ce foutu ravin. Avec le recul, je pense qu’ils nous observaient et attendaient l’endroit idéal pour nous tendre une embuscade. Sans l’accompagnement de ces paras, je ne sais pas ce qu’il serait advenu de moi. Aurais-je été à la hauteur ? Je ne suis pas certain que du haut de mes vingt et un ans et avec mon inexpérience du combat, j’aurais trouvé les ressources nécessaires pour faire front à la hargne des fellaghas que nous avions devant nous. Jamais je ne les remercierai assez. Pour l’État-Major, ils n’avaient fait que leur job, pour moi, ces paras représentaient des anges gardiens auprès desquels j’avais réussi à passer cette première épreuve du feu. Le retour sur Batna se passa sans encombre. Après plus de trois heures de route, nous arrivâmes tous à bon port : le dos en vrac et le cul en compote. Je rejoignis, avec mes camarades de chambrée, mon quartier et m’attelai au nettoyage en règle de mon arme de service : lui aussi m’avait sauvé la vie.
Un gars rentré de permission, rencontré sur le quai de Bône alors que je débarquais du paquebot « Ville d’Alger » après deux jours de traversée en mer, m’avait mis en garde sur la poussière qui régnait dans la région. Il m’avait fortement conseillé de protéger la culasse et le percuteur de mon MAS 36 avec un petit chiffon. Il avait vu trop de jeunes appelés comme moi tomber faute de ne pouvoir répondre aux tirs des fells à cause de leur fusil enraillé. « Ici le sable » m’avait-il dit, « est le premier de tes ennemis », et sur ses bons conseils, je m’appliquai à entretenir mon arme toujours en parfait état. Après avoir passé seize mois en qualité de transmetteur, soldat première classe au sein du 71eBataillon de Transmission du 14eRégiment d’Infanterie stationné à Épinal, je fus appelé, comme tous les camarades de ma classe, à poursuivre mon service militaire en Algérie. Il me restait onze mois à tirer pour enfin espérer la quille. Les seize mois que j’avais passés à Épinal s’étaient organisés autour de multiples missions de surveillance et d’opérations d’entraînement sur le territoire allemand à la frontière de l’Alsace. La 20e région militaire à laquelle appartenait le 14e RI, à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale, alors que la guerre froide entre les deux blocs était à son paroxysme, représentait un barrage d’une importance hautement stratégique. Bon nombre de jeunes appelés sous les drapeaux y stationnaient. Nous étions prompts à répondre à une quelconque pénétration en territoire national d’un ennemi potentiel venant de l’Est. Nous avions subi un entraînement intensif au tir. La plupart de nos journées avaient été rythmées par la pratique du sport, la gymnastique et la course à pied en tête. Une fois par semaine, nous partions sur les sentiers vosgiens pour des marches interminables avec fusil, barda sur les épaules et, à notre retour, il n’était pas rare de terminer ces journées de galère par l’enchaînement des obstacles du fameux parcours du combattant. Pour parfaire notre formation, histoire de nous préparer au mieux, les margis nous enseignaient des cours de close-combats censés nous sauver la vie dans un corps à corps avec l’ennemi. « Vous devez être prêt à répondre à toutes les situations de combats » n’arrêtaient-ils pas de nous rabâcher dans les oreilles, « il en va de vos fesses ». « Vous avez subi un entraînement à la hauteur », disaient-ils. De quelle hauteur pouvaient-ils bien parler ? Du haut de nos vingt ans, nous ne connaissions que les corvées répétitives liées à l’entretien des équipements de transmission, des locaux, des chiottes et du matériel roulant, sans oublier les gardes de nuit qui nous semblaient revenir un peu trop souvent. Nous étions à cent lieues de penser que nous arriverions un jour en Afrique du Nord, et pourtant ! Au retour de cette première mission à l’extérieur, le souvenir de cet homme tombant sous les balles que j’avais tirées me tourmentait encore et encore. Je revoyais son visage grimaçant par la douleur quand les projectiles avaient déchiré ses chairs. Les cartons sur lesquels je m’étais exercé à tirer pendant ces longs mois d’entraînement ne m’avaient finalement pas préparé à viser une cible humaine en mouvement. J’avais fait feu de tout bois par peur d’être tué, poussé par la haine que j’avais éprouvée envers l’autre, quand une balle avait percuté le devant de la tête du lieutenant à mes côtés. Comme me le rappelait le Belge, un de mes camarades gros buveur de bière, « c’était toi ou lui ! » Il avait amplement raison. Après la revue d’armement, histoire de s’assurer que chacun ait bien nettoyé son fusil, les cadres nous laissèrent tranquilles. Conscient du traumatisme que nous avions subi dans le djebel la veille au soir, ils nous autorisèrent à rester le reste de la journée en chambre. Nous la passions à jouer aux cartes tout en écoutant radio Alger. Après l’ordinaire, nous nous retrouvions au foyer de casernement. La bière et le whisky coulaient à flots et emportaient nos âmes pour oublier ces heures des plus sombres. Les journées se suivaient et se ressemblaient. Nous étions cantonnés dans nos baraquements et la monotonie liée à l’immobilisme commençait à agacer certains d’entre nous. Pour la bleusaille que nous étions, nous avions interdiction de sortir de la caserne, pas même pour une séance de cinéma. Dehors, les rebelles refaisaient parler la poudre.
Depuis plusieurs jours, des attentats à la bombe dans différents lieux publics créaient un sentiment d’insécurité. Plusieurs victimes civiles et quelques militaires en avaient déjà fait les frais. On dénombrait plusieurs morts et de nombreux blessés. La radio diffusait sur les ondes les informations en continu. Elles revenaient en boucle et il n’y avait aucun doute, le FLN était l’instigateur de ces meurtres et il en porterait l’entière responsabilité. Manifestement, il cherchait à dissuader les quelque vingt-deux mille habitants de Batna à ne plus coopérer avec l’occupant français colonialiste. Seuls les parachutistes du 3e BCP venus en renfort sur ordre du Haut Commandement d’Alger, couverts de leur fameuse casquette léopard se risquaient à patrouiller en ville et assuraient le couvre-feu passé 17:00. çà et là, nous entendions pendant la nuit des rafales sporadiques de pistolet mitrailleur MAT 49. Avec leur bruit très caractéristique, nous savions que les paras avaient sans doute débusqué un ou plusieurs fellaghas dans une des rues de la casbah. Là se réfugiait le renégat après avoir commis son forfait. C’était l’endroit idéal pour se fondre dans la masse. Nous savions que des partisans pro-FLN apportaient leur soutien et leur aide aux auteurs de ces tueries. J’appris quelques jours plus tard que les paras avaient mis la main sur une planque dans laquelle les rebelles confectionnaient des bombes artisanales. La section avait fait exploser la maison après les avoir obligés à s’y retrancher. Les opérations avaient duré plusieurs jours et, un matin, on nous informa que la rébellion avait été circonscrite et que le quartier libre en ville en soirée était de nouveau autorisé. Dans le cadre de la pacification, le Haut Commandement demandait aux soldats de participer étroitement au commerce de la ville et nous invitait à côtoyer au plus près l’habitant afin de consolider nos relations entre nos deux peuples. À les entendre, nous devions assimiler l’autochtone. C’est ainsi qu’avec mes camarades nous investirent les rues du centre et que très vite « le café Des Délices » devint notre quartier général. Visiblement, nous n’étions pas les seuls bidasses ! Le taulier avait bien fait les choses. Je me serais cru dans un bar de la rue des quatre églises à Nancy. Il y avait là un grand comptoir où s’alignaient des tabourets en bois sur lesquels prenaient place sinon des troufions, mais aussi des demoiselles de cœur aux vertus quelque peu douteuses : le non moins célèbre repos du guerrier. À l’extérieur, en terrasse, les chaises et les tables en rotin décrivaient une ambiance à la parisienne, mais mieux valait rester à l’intérieur. Plutôt prévenir que guérir ! On n’était jamais à l’abri d’un attentat au colis piégé.
En septembre 1956, au Milk Bar, rue d’Isly à Alger, deux civils avaient trouvé la mort, auxquels s’étaient ajoutés soixante blessés. En janvier 1957, à « l’Otomatic », au 2 rue Michelet, dans un bar du centre d’Alger, une jeune étudiante sera outrageusement défigurée par une bombe déposée dans les toilettes. Ces deux évènements marquèrent le début d’une vague d’attentats sanglants qui martyrisa plusieurs villes. À ce moment de la guerre, la volonté affichée par le FLN était de transférer la guérilla des campagnes en milieu urbain. « Le café des Délices » ressemblait tant à nos bistrots français, et pour cause son propriétaire était français : il était un de ses fameux colons. Il s’en était porté acquéreur après les évènements de Sétif en mai 1945. Alors que la population fêtait la victoire sur l’Allemagne nazie, le mouvement Radical Communiste Algérien s’invita à ce rassemblement de foule. Sur un coup de feu malheureux, il s’en suivit un mouvement de grande panique collective qui coûta la vie à quelque vingt colons français froidement lynchés et étranglés. Quelques jours plus tard, des émeutes éclatèrent et embrasèrent les campagnes de tout le Constantinois jusqu’au massif des Nementchas. Les massacres d’Européens s’amplifièrent et la région échappa au fil des jours au contrôle de l’État français qui pour toute réponse ne trouva rien de mieux que de réprimander sévèrement les populations. Les représailles militaires firent près de quinze mille morts. Plusieurs milliers de prisonniers furent internés dans des camps et plusieurs villages de montagne furent entièrement rayés de la carte par des bombardements de forte intensité. La poudre avait parlé et dissuadé pour un temps toute rébellion mais, dans les arcanes de la contestation couvait un mouvement politico-militaire qui dix ans plus tard allait mener à l’ouverture des hostilités. Le FLN aux commandes de L’ALN était né. C’est parce que le politique n’entendait rien aux suppliques de ces gens exploités par des colons qui ne voulaient rien concéder, bien trop attachés à leur richesse, que je me retrouvais, moi et mes camarades au milieu de ce foutu bourbier. Nous n’entendions rien à la politique, mais savions pour avoir entendu nos pères, ce qu’était être occupé et asservi par un envahisseur qui vous soustrayait vos biens et vos libertés. Je comprenais leurs revendications mais ne pouvais adhérer et cautionner leurs méthodes de terreur à l’encontre de l’occupant que nous étions et encore moins envers leurs propres compatriotes. En tant qu’êtres humains, nous nous devions de veiller sur cette population. Ces hommes et ces femmes, aspiraient-ils à une autonomie, à une indépendance ? Peut-être ! Toujours est-il qu’ils se retrouvaient entre le marteau et l’enclume et ça, c’était profondément intolérable et injuste.
Plusieurs semaines s’écoulèrent. Nous montions la garde à des croisements de routes et contrôlions des gens de passage en fouillant le chargement de leurs mulets ou de leurs bourricots. Un jour, je suis appelé avec douze de mes camarades à relever pendant une semaine un groupe de chasseurs alpins qui veillait sur des ruines. Elles se situaient à Lambèse, Markouna et Timgad. Nous trouvions cela curieux et un brin insolite mais ne pouvions faire autrement. Nous fûmes convoyés en jeep sur nos lieux respectifs et changions tous les deux jours d’endroit. Jamais je n’aurais imaginé trouver de tels monuments dans la région. À l’école, le père Gardel nous avait bien parlé de ce qu’avait été l’Empire romain, mais je n’en avais pas retenu grand-chose. L’histoire et moi, à l’époque ça faisait deux ! Sur Lambèse se dressait tout un ensemble de ruines. On aurait dit une ville en cours de destruction, les murs n’étaient pas terminés et beaucoup de ces vestiges n’avaient plus de couverture. Ce n’est que bien plus tard que j’appris que j’avais monté la garde auprès d’un très ancien palais, un praetorium datant de la conquête romaine menée par la III légion d’Auguste. Quand j’arrivai sur le village de Markouna au cœur même d’une vaste oasis de palmiers dattiers, un peu plus loin, à une dizaine de bornes sur la Nationale 31, j’avais l’impression d’avoir déjà vu cet endroit. Ce ne pouvait être que dans un manuel d’histoire. Ces deux monuments étaient des anciens arcs de triomphe. Face à leur grandeur, nous apparaissions bien petits. Des envahisseurs, ils en avaient vu passer depuis près de vingt siècles, nous n’étions que deux de plus et peut-être les derniers ! Tous avaient fini par retourner chez eux. Même, le Grand Marc-Aurèle qui, en 160 après Jésus-Christ, en avait décidé leur construction, avait fini par quitter la région. En revenant sur la Départementale 20, et remontant vers le Nord, un autre de ces magnifiques arcs de triomphe avait résisté à l’usure du temps. Il avait été construit à la gloire de l’empereur Trajan, il était même plus vieux que les deux autres. Tant de beautés laissées là au milieu de cette guerre ! Je n’espérais qu’une chose, que cette tragédie sache les épargner : ils avaient connu tant d’épreuves à travers les siècles passés. Encadrés par un capo, nous prîmes nos quartiers. À tour de rôle, toutes les quatre heures, par binôme, nous montions la garde, fusil au poing autour de ces merveilles. Le reste du temps, nous nous reposions à l’abri sous la tente. Pour l’ordinaire, c’était rations. Ces recettes usines, sans goût, sorties d’une boîte métal n’amélioraient en rien nos conditions de vie, alors avec les copains, chaque fin de repas était auréolée d’une pleine corbeille de fruits frais cueillis à même les arbres. La nuit, les rondes continuaient sur le même rythme et jamais elles ne s’interrompaient. Les fells avaient depuis peu décidé de détruire les vestiges du passé pour ne faire place qu’à leur nouvelle idéologie faisant fi de leur grande histoire. Nous étions début juillet et les températures devenaient difficilement supportables en plein soleil. Ces vieilles pierres en indisposaient plus d’un, mais nous prîmes nos responsabilités et notre mal en patience. Plus haut dans le massif des Aurès, plus d’un de nos camarades n’était sans doute pas à la noce. Peut-être étaient-ils dans le viseur d’un fusil ou à la merci d’une mitrailleuse tenue par un djounid ou un fellagha bien disposé à vendre chèrement sa peau ? Nous n’avions nulle raison de nous plaindre. Les quelques visiteurs rencontrés étaient plutôt coopératifs et nous apportaient fruits et eau en abondance.
Un jour alors que le soleil se levait, j’ai été surpris par un attroupement de jeunes femmes qui chantait en portant sur leurs têtes des bassines remplies de linge. Elles ont traversé le site et se sont dérobées comme elles m’étaient apparues. Je savais que des femmes servaient les intérêts de l’Armée de Libération nationale. Certaines avaient été arrêtées alors qu’elles apportaient des munitions et de la nourriture auprès des Katibas de la Wilaya numéro 1. Cette section de combat ennemie était fort bien organisée et avait pris position dans le Constantinois jusqu’aux contreforts des Nementchas. Mais de ces femmes-là, je n’avais rien à craindre. Lorsque je rentrai à la caserne après ces huit jours passés sur le terrain, je constatai que des changements s’étaient opérés. Visiblement pendant notre absence, beaucoup de mes camarades avaient été ventilés et affectés à d’autres bataillons ou sections. Je découvris un courrier émanant du quartier général m’ordonnant de me mettre à disposition, avec arme et paquetage au complet, pour le lendemain matin 7 h dans la cour d’honneur. En interrogeant du regard mes camarades je compris que, eux aussi avaient reçu l’ordre de faire mouvement et que ce premier mois passé au régiment n’était qu’une entrée en matière pour nous permettre de prendre nos marques et que les choses sérieuses allaient manifestement commencer. Après une bonne douche, je retrouvai mes compagnons au foyer et ne sachant si demain nous serions encore ensemble, nous passâmes la journée à boire des bières et à jouer au tarot. Je ne rentrai que tard dans la soirée, un peu guilleret mais encore très lucide. Sur les dix lits que comptait la chambre, deux restaient occupés, le mien et celui de mon ami Le Breton. Je préparai mon sac et mes affaires, je venais de prendre conscience combien ce lit avait été douillet. Qui sait demain où je dormirai ? Le clairon de 5 h 30 me réveilla en fanfare. Après m’être rasé de près, défait mon lit et plié draps et couverture au carré, avec Leguenec, dit le Breton, nous descendîmes vers l’ordinaire prendre un copieux petit-déjeuner. La journée allait être longue et mieux valait l’affronter avec le ventre plein. Nous allions de spéculation en spéculation, espérant nous retrouver dans un endroit agréable, et si possible à l’abri des exactions auxquelles se livraient les moudjahidines. Alignés l’un à côté de l’autre sur deux rangs, un sergent-chef, à l’appel de notre nom, nous demandait de nous mettre à la disposition d’un caporal chargé de nous mener à nos nouveaux quartiers et à notre nouvelle affectation. De la 57/2 arrivé un mois plus tôt, il ne restait que nous, certains étaient encore peut-être sur Batna, mais la plupart avaient été dispersés aux quatre coins du territoire.
Quand j’entendis mon nom, je savais que les cartes étaient jouées. Mon sac de toile sur le dos, mon fusil à l’épaule, je me présentai devant un petit caporal tiré à quatre épingles. Il en imposait avec son visage carré. Ses yeux étaient enfoncés dans ses orbites, et bien que de petite taille, il était bien planté sur ses jambes. Il avait tout d’un baroudeur et il avait dû en casser du fellagha. Je me rangeai derrière lui et attendis les instructions. Lorsque je vis Leguenec se ranger à son tour derrière moi, je fus un tantinet rassuré. Nous avions bien sympathisé lui et moi et je savais que je pourrais m’appuyer sur sa stature. Il faisait près d’un mètre quatre-vingt-dix et quatre-vingts kilos, à côté de lui, je paraissais gringalet avec mes un mètre soixante-huit tout cassé. Il était taillé dans du granit et connaissait la rigueur de l’existence pour avoir, dès ses quatorze ans, travaillé sur le bateau de son père, pêcheur de sardines sur le port de Douarnenez. Après des études d’ébénisterie, à la mort de mon père, je dus très vite trouver un travail : ma mère se retrouvant toute seule à élever sept enfants : cinq filles et deux garçons, dont moi-même. Trois de mes sœurs étaient déjà mariées, mais faute de moyens suffisants, elles et leurs conjoints restaient encore sous son toit. Par la force des choses, je me retrouvai soutien de famille à dix-huit ans et endossai bon gré, mal gré le rôle de chef de famille, rôle qui incommoda quelque peu mes sœurs aînées et leurs maris alors bien plus âgés que moi. Je rentrai donc au service des chemins de fer français en 1954 en qualité d’accrocheur de wagons et reversai la quasi-totalité de ma maigre paie à ma mère pour l’aider à subvenir à toute cette belle et grande famille. Deux ans plus tard, mes trois sœurs avaient irrémédiablement quitté le nid avec leurs époux respectifs. Une autre de mes sœurs, plus jeune, qui travaillait dans les filatures, participa elle aussi à l’effort de famille et c’est comme ça qu’en 1957, je me retrouvai sous les drapeaux. Il va sans dire qu’une grande partie de ma solde continua à abreuver le portefeuille familial. Après avoir ventilé les douze que nous étions, Le Breton et moi embarquions à l’arrière d’un GMC en direction de notre nouvelle affectation : au 46e Bataillon de Transmission implanté sur T’kout au sein du 24e Régiment d’Infanterie. Un soldat était à la manœuvre sur une mitrailleuse 12.7. Le caporal Desantos, trente-cinq ans au compteur, avait participé au débarquement allié en Italie en 1943, et fort de son expérience, avait signé pour l’Indochine d’où il était revenu bardé de médailles. Il avait une forte expérience du combat et son cuir avait dû beaucoup en voir, des vertes et des pas mûres. Plusieurs fois blessé, il revenait toujours sur les devants de la scène et ne s’avouait jamais vaincu : un vrai dur à cuire. Il émanait de lui une grande présence et on devinait derrière ce visage buriné un très fort caractère, toujours prompt à l’action. Le trajet se passa en silence, seul le TRPP 8, le poste de transmission que je reconnus pour l’avoir manipulé au 71e de Transmission d’Épinal crépitait. Nous remontions la Nationale 31 et j’aperçus les deux monuments sur lesquels nous avions veillé durant la semaine. Ils s’élançaient vers le ciel, fiers au milieu de cette oasis de verdure. Le bahut sautait sur l’asphalte en mauvais état. Çà et là, de petits cratères avaient creusé le sol, sans nul doute des cicatrices d’anciennes échauffourées. Le Génie veillerait à y remédier. Nous progressions toujours vers le Sud. La route serpentait à travers un plateau et était bordée par une enfilade de mechtas, ces petites maisons de torchis tantôt perchées à flanc de collines, tantôt dissimulées dans la campagne verdoyante. Nous suivions agréablement l’oued El-Abiod descendu des plateaux du djebel Ichmoul. La rivière me semblait prisonnière, enclavée par le djebel Mahmet et ses deux mille trois cent vingt et un mètres à l’Ouest et le djebel Chélia avec ses deux mille trois cent vingt-huit mètres à l’Est. J’avais l’impression que ces deux sommets se jugeaient et s’apprêtaient à jouter ensemble comme deux titans. La vallée était luxuriante, elle était recouverte d’un tapis de verdure où pêchers, abricotiers, orangers, amandiers semblaient jaillir de la terre naturellement. À la sortie du plateau, la route s’inclina pour rejoindre les rives de la rivière. Le capo nous demanda d’ouvrir l’œil et d’armer notre MAS 36. Il n’était pas rare d’y entendre des coups de fusil. Sur plusieurs kilomètres, le relief se prêtait à des embuscades, notamment la nuit et plusieurs soldats y avaient déjà trouvé la mort. Nous approchions du bourg de Arris. De jeunes enfants s’agglutinaient au bord de la route et s’amusaient à nous regarder passer. L’axe que nous empruntions était fréquenté par beaucoup de camions revenant de la région de Hassi-Messaoud. On y avait découvert de nouveaux champs pétrolifères, et le pétrole remontait jusqu’au port méditerranéen de Philippeville par des convois de centaines de camions-citernes avant de rejoindre la métropole par la mer. Au fur et à mesure que les faubourgs se dessinaient, des hommes en djellaba nous apparurent. Des vieux, armés de leur canne, palabraient à l’ombre de murs en argile tout en fumant la sebsi : la pipe traditionnelle du pays. Beaucoup d’entre eux avaient combattu dans les rangs de l’armée française pendant la première et la Deuxième Guerre mondiale, et beaucoup y avaient laissé la vie. Aucun des gouvernements qui se succédèrent ne leur manifesta une quelconque reconnaissance et la rancœur commençait à peser lourdement dans leurs cœurs. Des yeux nous déshabillaient. Sinon hostile, l’atmosphère qui régnait était tendue et oppressante. Visiblement nous n’étions pas les bienvenus. Plusieurs pierres furent jetées à notre encontre à mesure que nous traversions le village. Pour la première fois, je percevais l’agressivité que manifestaient, petits et grands, hommes et femmes, à notre égard et je compris très vite pourquoi le camion avait pris de la vitesse. L’opérateur à la 12.7 brandissait, en signe d’avertissement, sa mitrailleuse comme une réponse potentielle à toute menace venue de l’extérieur. Quelques kilomètres après Arris, le relief changea. La route s’inclina fortement et on percevait le bruit des eaux qui roulaient avec force au fond du ravin. Toujours à notre poste, l’œil aux aguets, le véhicule attaqua la descente à travers la montagne par le col de Tighanimine. La route était littéralement accrochée à flanc de parois. Le paysage jusque-là verdoyant fit place à un décor aride où rien ne semblait pousser dans ces rochers, pas même un feuillu. Une roche de couleur rouge orangé tapissait les versants de la montagne, jamais je n’avais vu un tel spectacle. Le soleil qui arrosait de ses rayons le flanc ouest exaltait la beauté de cette nature sauvage. J’en prenais plein les mirettes et ça me ragaillardit en me disant que même si j’y restais, au moins j’aurais eu le privilège d’admirer tout ça. Les gorges s’étendaient sur un peu plus de trois kilomètres et elles étaient gardées en permanence par un groupe de chasseurs alpins. Leur bataillon était stationné sur Tifelfel, un peu plus bas dans la vallée. À chaque extrémité, des hommes bien aguerris au combat en montagne contrôlaient les allées et venues vingt-quatre heures sur vingt-quatre et des patrouilles véhiculées remontaient et descendaient les gorges plusieurs fois par jour. Dans les premiers jours de la rébellion, en novembre 1954, c’est dans ce col que les époux Monnerot avaient été sauvagement agressés par un chaouia dans le bus qui les ramenait de Biskra à Arris. Instituteur de métier, le mari avait été égorgé de sang-froid, quant à sa femme, blessée, elle en réchappa. Ces deux victimes enragèrent le gouvernement d’Alger qui trouva là l’occasion de déclencher de sanglantes représailles. L’autorité de la France avait été bafouée. Blessé dans son orgueil, Paris se devait de rétablir l’ordre quel qu’en fût le prix, et le prix coûta la vie à plusieurs centaines de personnes civiles sans distinction aucune. Passé le col, nous retrouvâmes la vallée et la quiétude de ses paysages. Quelques encablures plus loin, les baraquements du bataillon de chasseurs alpins s’étendaient le long de la route légèrement en contrebas. De hauts murs surplombés par une rangée de barbelés délimitaient le casernement. À chaque coin, on y avait ajouté une tour de garde renforcée d’une mitrailleuse. Un gros phare complétait le dispositif. Les chaouias qui habitaient dans ces contrées reculées n’avaient qu’à bien se tenir. Ce peuple était pourtant connu pour sa bravoure et n’avait jamais été dominé. Pas même les Turcs, après plus de deux cents ans d’occupation, n’avaient réussi à leur tenir tête. Leur territoire s’étendait jusqu’aux montagnes des Nementchas, plus au sud à la lisière du désert. C’était un peuple endurci qui vivait dans des conditions extrêmes et qui subsistait de l’élevage de chèvres. Au carrefour, à la sortie du casernement, nous prîmes une piste qui s’enfonçait sur l’autre versant de la vallée à travers des plantations d’arbres fruitiers. Nous remontions vers le Nord parallèlement aux gorges que nous venions de franchir et au bout d’une quinzaine de kilomètres un petit village nous apparut. Les maisons étaient implantées à même le vallon et donnaient l’impression de s’empiler les unes au-dessus des autres comme un lego. Elles étaient construites en briques de terre cuite, ce qui leur donnait une couleur légèrement rouge. Des piliers en bois consolidaient leur structure. Elles étaient coiffées par une terrasse plate blanchie à la chaux et de petites ouvertures faisaient office de fenêtres. Seule une porte en bois de couleur bleue ou rouge permettait d’y pénétrer. Les rues étaient étroites et au bas du village se trouvait une petite place sur laquelle se dressait un minaret prolongé par un petit bâtiment crépi de blanc. À l’extrémité de cette place, mon regard fut attiré par une échoppe devant laquelle des anciens, coiffés d’un chèche, étaient assis à même le sol, un verre de thé à la main. Leguenec me fit un signe de tête et je savais qu’il avait pensé la même chose que moi : à défaut de l’ordinaire, on pourrait toujours se rabattre sur ce bric à broc. À peine l’idée nous avait-elle traversé l’esprit que le capo nous précisa que le village nous était totalement interdit et que la logistique veillerait à nous fournir le strict nécessaire. Les chaouias qui habitaient le village n’étaient pas du tout coopératifs et mieux valait les éviter si nous ne voulions pas ressembler un jour à un porte-manteau : un couteau planté dans le dos. Nous reçûmes le message cinq sur cinq : jamais nous ne nous risquerions à venir les chatouiller de trop près. Le GMC se lança à l’assaut d’une petite colline et j’aperçus ce qui allait devenir ma résidence pour les dix mois qui me restaient à tirer.