J’écouterai leur cri - Collectif - E-Book

J’écouterai leur cri E-Book

Collectif

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Beschreibung

Un an après la Ciase, cinq femmes engagées prennent la parole

Cinq réflexions originales, bousculantes et complémentaires. Une puissante invitation au changement

Le 5 octobre 2021, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) présentait un rapport qui dévoilait l’ampleur et la profondeur de la crise des abus dans l’Église. À partir de leur expertise, mais aussi comme femmes, croyantes engagées dans l’Église, les autrices de ce livre nous partagent leur réflexion née de ce séisme. Thérèse de Villette, criminologue spécialiste de la justice restaurative, nous invite à comprendre le vécu des victimes et celui des agresseurs pour offrir une démarche de transformation. Geneviève Comeau, théologienne, nous propose un retournement théologique en posant la question du mal non plus seulement du point de vue du pécheur, mais aussi de la victime. Joëlle Ferry, exégète, nous entraîne dans un parcours biblique sur le thème des abus. Agata Zielinski, philosophe, montre comment le travail de vérité effectué par la Ciase nous convoque à sortir de l’entre-soi. Enfin Monique Baujard, ancienne directrice du service famille et société de la CEF, met en lumière les impensés de l’Église institutionnelle révélés par la crise.

Une lecture passionnante et salutaire.

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Conception couverture : © Christophe Roger

Composition : Soft Office (38)

Relecture : Le Champ rond

 

© Éditions de l’Emmanuel, 2022

89, bd Auguste-Blanqui – 75013 Paris

www.editions-emmanuel.com

 

ISBN : 978-2-38433-036-2

 

Dépôt légal : 3e trimestre 2022

Monique Baujard

Geneviève Comeau

Joëlle Ferry

Thérèse de Villette

Agata Zielinski

J’écouterai leur cri

Cinq regards de femmes sur la crise des abus

Préface

« Écoutez mes paroles et vous me consolerez1 ! »

Patrick C. Goujon, jésuite

Auteur de Prière de ne pas abuser (Seuil, 2021)

Ce livre m’a consolé… J’y étais entré pourtant sur la pointe des pieds. Les cinq autrices s’étaient mises à l’écoute de personnes victimes d’agressions sexuelles commises en Église pour nous en livrer des échos. Ces paroles-là sont toujours bouleversantes, mais ce livre fait œuvre de consolation. Il accueille la réalité, si éprouvante soit-elle, et cherche à la penser pour que nous vivions dans une Église qui ne soit plus un des principaux lieux d’agressions sexuelles sur les mineurs (le second, après les familles). Quand le silence s’est imposé comme règle, seule la parole est d’or.

La parole, c’est la performance des prophètes, leur action publique. Écoutons, un peu longuement, Ézéchiel. Le Seigneur l’a poussé à invectiver Israël.

Tu diras : Ainsi parle le Seigneur Dieu à Jérusalem : Par tes origines et ta naissance, tu es du pays de Canaan. Ton père était un Amorite, et ta mère, une Hittite. À ta naissance, le jour où tu es née, on ne t’a pas coupé le cordon, on ne t’a pas plongée dans l’eau pour te nettoyer, on ne t’a pas frottée de sel, ni enveloppée de langes. Aucun regard de pitié pour toi, personne pour te donner le moindre de ces soins, par compassion. On t’a jetée en plein champ, avec dégoût, le jour de ta naissance. Je suis passé près de toi, et je t’ai vue te débattre dans ton sang. Quand tu étais dans ton sang, je t’ai dit : « Je veux que tu vives ! » Je t’ai fait croître comme l’herbe des champs. Tu as poussé, tu as grandi, tu es devenue femme, ta poitrine s’est formée, ta chevelure s’est développée. Mais tu étais complètement nue. Je suis passé près de toi, et je t’ai vue : tu avais atteint l’âge des amours. J’étendis sur toi le pan de mon manteau et je couvris ta nudité. Je me suis engagé envers toi par serment, je suis entré en alliance avec toi – oracle du Seigneur Dieu – et tu as été à moi. Je t’ai plongée dans l’eau, je t’ai nettoyée de ton sang, je t’ai parfumée avec de l’huile. Je t’ai revêtue d’habits chamarrés, je t’ai chaussée de souliers en cuir fin, je t’ai donné une ceinture de lin précieux, je t’ai couverte de soie. Je t’ai parée de joyaux : des bracelets à tes poignets, un collier à ton cou, un anneau à ton nez, des boucles à tes oreilles, et sur ta tête un diadème magnifique. Tu étais parée d’or et d’argent, vêtue de lin précieux, de soie et d’étoffes chamarrées. La fleur de farine, le miel et l’huile étaient ta nourriture. Tu devins de plus en plus belle et digne de la royauté. Ta renommée se répandit parmi les nations, à cause de ta beauté, car elle était parfaite, grâce à ma splendeur dont je t’avais revêtue – oracle du Seigneur Dieu. Mais tu t’es fiée à ta beauté, tu t’es prostituée en usant de ta renommée, tu as prodigué tes faveurs à tout passant : tu as été à n’importe qui. Tu as pris de tes vêtements, tu as fait des lieux sacrés aux riches couleurs, et tu t’y es prostituée – cela ne s’était jamais fait et ne sera plus. Tu as pris tes bijoux d’or et d’argent que je t’avais donnés ; tu t’es fabriqué des idoles masculines, tu t’es prostituée avec elles. Tu as pris tes vêtements chamarrés et tu les en as recouvertes. Mon huile et mon encens, tu les as déposés devant elles. Mon pain que je t’avais donné, la fleur de farine, l’huile et le miel dont je te nourrissais, tu les as déposés devant elles, en parfum d’apaisement. Il en fut ainsi – oracle du Seigneur Dieu. Tu as pris tes fils et tes filles que tu m’avais enfantés, et tu les as sacrifiés pour qu’elles s’en nourrissent. Était-ce donc trop peu que ta prostitution ? Tu as égorgé mes fils et tu les as livrés en les faisant passer par le feu pour elles (Ez 16, 3-21).

Le mal est exécrable, déplore le prophète, pire que celui dont sont capables ceux que d’ordinaire Israël méprise. « De Sodome, ta sœur, n’as-tu pas fait des gorges chaudes, au jour de ton orgueil, avant que soit découverte ta méchanceté ? », poursuit Ézéchiel (16, 56-57). Le mal est venu se loger dans le cœur de ceux dont Dieu s’est montré proche. La prophétie révèle le mal commis pour que, saisi d’horreur, le peuple s’écarte de l’abomination. Le prophète joue un coup. Il donne toute sa vie dans sa parole : il exhibe le mal pour un bien. C’est un risque. Il annonce que Dieu promet de renouveler son alliance.

Énumérer le mal, sans en atténuer l’horreur, en montrer les multiples figures et les masques (les faux prophètes et les mauvais pasteurs), c’est aussi la manière de l’Apocalypse. Jamais pour désespérer les foules, mais pour promettre la victoire et son prix. Il faudrait maintenant que nous relisions l’Apocalypse, ensemble et d’un trait, pour en saisir la portée. Nous ne sommes pas appelés à survoler notre histoire tragique, à vivre comme si le mal était déjà vaincu (la victoire n’est pas advenue : elle est proche, nuance d’importance !). Les artistes de la tapisserie d’Angers avaient compris que le livre saint les aidait à traverser, soutenus par l’espérance, les malheurs de leur temps. Les ennemis, identifiés, peuvent être combattus. C’est la leçon de tous les spirituels, depuis les Pères du désert. Monique Baujard le voit bien dans les pages qui suivent : l’Église se pensait exempte de mal, incapable de nuire. Ignorer le mal parce qu’on croit à la puissance du bien n’est qu’une caricature de l’attitude chrétienne. Le Christ mène au combat – il est lui-même conduit par l’Esprit pour le livrer – et nous prions son Père de venir à notre aide : délivre-nous du mal. Le mal n’est pas une réalité abstraite, extérieure, des idées à combattre. Il va jusqu’à se nicher dans ce qui aurait dû se présenter comme amour de Dieu. Précieux Ézéchiel : il rappelle que le mal se cache dans le cœur qui dévie l’amour reçu gratuitement pour se payer de plaisirs asservis : prostitution. Je crois que l’on va là plus loin que la dénonciation des abus du cléricalisme. Le mal peut vriller l’âme plus qu’on ne le prêche aujourd’hui.

Bien des passages des prophètes ont été expulsés de nos liturgies, note Joëlle Ferry. Ne pas vouloir entendre la violence dont nous sommes capables n’ouvre jamais la voie de la conversion. Il est vrai aussi, comme le souligne Geneviève Comeau, que notre théologie catholique souffre du défaut de voir avant tout dans le mal le péché dont nous sommes responsables. Les Écritures pourtant sont riches de ce qui fend les entrailles de Dieu, du mal que subissent hommes et femmes sous le coup d’autres hommes et d’autres femmes. Nous avons éclipsé notre malheur que vient pourtant endurer le Christ. Son corps rompu est la figure première de l’annonce évangélique : sans lui, pas de résurrection. Sans Eucharistie, qui est bris du corps, pas d’Église : ceci est mon corps, livré pour vous. La gloire que le Christ promet ne peut se passer de la détresse qu’il partage avec nous et que nous pouvons supporter avec lui, dans des épreuves où nous tient un rien d’espérance. La foi se tient dans ce rien qui fait tout et qui donne à saint Paul d’écrire : « En toute circonstance, nous sommes dans la détresse, mais sans être angoissés ; nous sommes déconcertés, mais non désemparés ; nous sommes pourchassés, mais non pas abandonnés ; terrassés, mais non pas anéantis » (2 Co 4, 8-9). Nous sommes souvent trop prompts en Église à filer vers l’au-delà au lieu d’apprendre à demeurer sur la terre que visite Celui qui a choisi d’habiter parmi nous. Il nous faut redécouvrir les œuvres de miséricorde pour, simplement, donner aux uns et aux autres cette attention qui compte et donne à la foi tout son poids : nourrir l’affamé, visiter les prisonniers, accueillir l’étranger, consoler les affligés.

L’Église pense unilatéralement qu’elle incarne les prophètes, que son propre verbe est la lumière. Mais, dans les Écritures, les prophètes sont aussi (d’abord ?) pour Israël ! Alors je frémis en lisant Ézéchiel, ou Jérémie (le chapitre 6 est confondant d’actualité). Oui, comme le risque Agata Zielinski, le rapport de la Ciase résonne comme la voix des prophètes. Je n’entends pas sacraliser les travaux de la commission. Ils ne proviennent d’aucune vision, mais d’un travail rigoureux, méthodique, qui reste ouvert à la discussion sur des bases raisonnées. Comme le soulignent plusieurs dans ce livre, le rapport de la Ciase concourt à chercher la vérité ensemble. Nous n’allons jamais seuls vers le vrai, ni vers le bien.

Chacun de nous peut être bienfaisant, voilà ce que nous invite à croire ce livre. Ce n’est pas rien que de lire ce que peut la justice transformatrice, selon la juste expression que préfère Thérèse de Villette à celle de justice réparatrice. On ne cherche pas à repartir de zéro, ou à revenir à un illusoire « comme si de rien n’était ». Voies de reconstruction pour les victimes et pour les coupables, voilà un chemin de conversion sur lequel s’engager de part et d’autre, librement, avec le soutien de tiers gagnés par la sollicitude, ce qui ne minimise en rien la gravité des responsabilités et le malheur des accablés. Imagine-t-on un Dieu qui, voyant la misère de son peuple en Égypte, lui aurait d’abord dit : « Ce n’est pas grave. Pense à Pharaon et pardonne à tes bourreaux ! » ? Ce n’est pas la route que l’Exode fait prendre, n’en déplaise aux chantres de l’injonction au pardon ! Mais il y a un chemin, pour tous, patient, laborieux, quotidien. Il s’inaugure ici dans la sollicitude, dont Agata Zielinski éclaire la signification : ni pitié, ni commisération, mais reconnaissance de ce dont chacun est capable, au cœur même de sa souffrance, victime ou coupable.

Parler du malheur, ce n’est pas s’y complaire. Le dénoncer n’est pas dire du mal, mais s’engager à faire le bien.

Ce livre fera du bien, je l’espère. C’est un livre de femmes dans l’univers ecclésial où la parole publique est d’abord régie par celle des hommes. Je ne suis pas enclin à croire qu’il y ait une manière propre aux femmes de penser ou d’écrire. Mais il est absolument certain que l’Église perd toujours à ne pas se nourrir de ce que chacune et chacun de nous porte, de la manière dont elle et il reçoit la parole de Dieu et accueille son prochain. J’ai de la peine à caractériser ce qui serait féminin ; mais je n’en ai aucune à reconnaître le mal que nous faisons, et que nous nous faisons, à priver de parole les femmes, à les priver de pouvoir, à nous priver d’elles.

Enfin, c’est un livre d’amies. L’amitié, dans ses formes diverses, est salutaire. Personne d’autre que Dieu ne sauve, mais qu’il fasse alliance avec des femmes pour le salut, il ne saurait être question, dans la plus pure tradition, d’en douter.

Le 15 août 2022

1. Jb 21, 2.

Introduction

Christine Danel

Supérieure générale de La Xavière

D’une crise à l’autre… L’an dernier, un autre livre était publié aux mêmes éditions, Voici le temps favorable : cinq xavières y avaient partagé leur réflexion sur la crise du Covid de leur point de vue de théologienne, de philosophe, d’anthropologue… Une manière de donner à réfléchir, à méditer, pour chercher à comprendre cette crise, mais aussi à interpréter les signes des temps ; à quelles attitudes, quelles décisions étions-nous convoqués ?

Depuis, nous avons tous été interpellés par une autre crise : la crise des abus dans l’Église, en France et ailleurs2. Dans ce nouveau livre, le sujet est donc encore plus douloureux. Il vient toucher l’être profond de personnes atteintes dans leur intimité, brisées à un moment de leur histoire par des agressions sexuelles rendues possibles par des abus de pouvoir ou de conscience, et faites par des personnes supposées les conduire vers un Dieu de vie.

 

En octobre 2021 était publié le rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église). Une commission composée de personnes de différentes appartenances et convictions religieuses a produit un rapport de grande qualité scientifique, extrêmement bien documenté. Riche d’approches variées (sociologique, historique, enquête en population générale), il met au centre de son étude les personnes victimes. L’écoute de ces personnes a d’ailleurs fait approcher « l’enfer » à tous ceux et celles qui se sont mis résolument à leur écoute, mais a surtout permis de transmettre un savoir expérientiel, qui a grandement aidé les membres de la commission.

Comme dans tous les pays qui ont eu le courage de faire des enquêtes et d’affronter le réel, la proportion de clercs ou religieux parmi les agresseurs est loin d’être négligeable, et même si elle l’était, toute agression est déjà de trop… Bien souvent, les personnes victimes ont subi la double peine : celle de l’agression et celle du silence ou de la non-reconnaissance, par les proches ou par l’Église, de leur souffrance.

 

Comme beaucoup, nous avons été profondément choquées – et plusieurs le relateront dans cet ouvrage –, non seulement face aux crimes perpétrés par ceux qui ont donné la mort alors qu’ils avaient professé d’être témoin de façon toute particulière d’un Dieu de vie, mais surtout face à l’ampleur quantitative des faits, au silence et au système qui a couvert ces crimes. Le pape François nomme le cléricalisme comme la racine source de tous les abus en Église, et a invité tous les chrétiens à prendre leur part dans le nécessaire travail ecclésial de lutte contre le cléricalisme3.

C’est pourquoi nous avons souhaité à nouveau comme femmes, chrétiennes, aimant l’Église, donner notre point de vue sur cette crise que nous traversons.

Les xavières qui écrivent, ainsi que Monique Baujard, une amie laïque, ne cherchent pas à expliquer mais à donner un éclairage. Elles partent de leur expérience, de leur compétence particulière, de leur approche basée aussi sur une histoire personnelle, et livrent chacune des pistes qui peuvent être inspirantes pour tous.

Ces cinq regards cherchent à analyser mais d’abord à entendre, avec l’intelligence et le cœur… « J’écouterai leur cri », dit Dieu lui-même à Moïse (Ex 22, 22). Se laisser toucher, ouvrir les oreilles ! Dans le recueil de témoignages De victimes à témoins qui accompagne le rapport de la Ciase, une personne écrit : « Nous sommes des muets qui parlent à des sourds » (p. 162). Cette phrase résonne comme une interpellation. Comment arrêter de se boucher les yeux ou de fermer les oreilles devant le scandale, l’horreur ?

Ouvrir les oreilles et le cœur aux cris étouffés, à ce qui s’exprime à bas bruit, est un enjeu de vie pour les personnes victimes. L’enjeu est également important pour tous ceux et celles qui sont découragés et qui ont mal à l’Église après la découverte de l’ampleur des crimes et d’un système qui a couvert le mal et nié la souffrance de tant d’innocents.

Nous avons souhaité apporter notre part à la réflexion, pour nous laisser interpeller et pour prendre la mesure de la conversion ecclésiale à laquelle ces drames nous invitent.

Cinq regards : celui de Thérèse de Villette, criminologue, qui nous partage comment, victime secondaire d’un meurtre, elle a été conduite à travailler à la justice réparatrice. Elle nous livre les fruits de sa longue expérience au Canada et en Afrique et témoigne du chemin de libération que parcourent les personnes, victimes et agresseurs, qui, après une longue préparation, acceptent de se rencontrer, accompagnées par des tiers.

Geneviève Comeau, théologienne, nous fait réfléchir à un renouvellement de la théologie du mal : que se passe-t-il quand on met au centre les victimes, et en premier le Christ, et pas seulement les pécheurs ?

Joëlle Ferry, exégète, nous invite à un parcours biblique, nous rappelant que le salut de Dieu vient nous rejoindre dans notre humanité avec ses côtés les plus violents et sombres que l’Écriture ne masque pas ! Notre histoire sainte, personnelle et communautaire, traverse cette violence, que Jésus, par sa croix, prend sur lui pour nous en libérer.

Agata Zielinski, philosophe, réfléchit à partir de la phrase de l’Évangile de Jean « La vérité vous rendra libres » : de quelle vérité parle-t-on ? Le rapport de la Ciase montre que la recherche de la vérité ne peut faire l’économie de relations qui font quitter l’entre-soi. Elle nous invite à des relations où chacun apporte à l’autre en s’appuyant sur les ressources de l’amitié.

Monique Baujard, qui a exercé des responsabilités à la Conférence des évêques de France, nous fait comprendre pourquoi la dimension systémique des abus a pu rester méconnue jusqu’au rapport de la Ciase. Elle met en lumière quelques impensés du fonctionnement ecclésial, analyse les causes structurelles et nous propose des chemins concrets pour faire Église dans une société pluraliste.

Les lignes qui suivent donnent à entendre des voix pleines d’espérance et de foi, car un chemin de vie, de réparation est possible.

Mettre au centre les personnes victimes, comme l’a fait lui-même le Christ, lui aussi victime, donner la parole pour rendre acteurs, actrices de sa vie, reviendra comme un refrain dans ces lignes ; tout comme l’invitation à sortir de l’entre-soi, remède à la suffisance. Un chemin de libération est possible par la rencontre de l’autre, une relation vivifiante où chacun donne et reçoit !

L’enjeu est d’ouvrir nos intelligences pour comprendre les failles, d’analyser les causes de la crise, et le rapport de la commission Sauvé nous y aide. Il s’agit de s’engager résolument sur un chemin d’écoute, de vérité et de changements, comme l’ont fait avec courage les évêques de l’Église en France à Lourdes, chemin qu’ils ne peuvent faire seuls ! Comme le soulignent plusieurs autrices de notre ouvrage, l’expérience du synode est dans ces circonstances une grâce pour l’Église, et particulièrement pour l’Église de France ! Ce synode nous apprend à nous écouter, à nous parler, à marcher ensemble et apprendre les uns des autres.

 

Ce livre nous tourne vers l’espérance. « J’écouterai leur cri », dit Dieu. Sa sollicitude passe par nos regards, nos mains, nos cœurs, nos intelligences, et notre engagement !

2. L’expression « crise des abus », si elle est devenue courante, demande à être précisée : il s’agit en l’occurrence d’abus de pouvoir, de conscience et d’agressions sexuelles ; car, il faut le rappeler, pour qu’il y ait « abus », il faut que la chose elle-même soit licite. Or, en matière de relations sexuelles entre un adulte et un enfant, il ne s’agit pas au sens strict d’un abus : le terme exact est bien « agression sexuelle ».

3. Voir Pape François, Lettre au Peuple de Dieu, 20 août 2018.

Chapitre 1

À l’écoute des victimes et des agresseurs

Thérèse de Villette

Le rapport de la Ciase est venu éclairer de façon massive les yeux du grand public sur la crise des abus sexuels dans l’Église de France, alors que, depuis plusieurs années déjà, les médias nous alertaient sur la culpabilité de grandes figures ecclésiastiques. Une crise est généralement le fait d’un déséquilibre, une perturbation grave, une épreuve qui brusquement se manifeste et entraîne beaucoup d’émotions. Elle peut alors réveiller ce qui engendrait sourdement une maladie ou une révolution. Elle est donc une alerte qui ouvre sur un changement… si elle est bien gérée. Malgré l’horreur qu’elle soulève, c’est ainsi que cette crise m’apparaît. Tant mieux s’il s’agit d’une crise, clairon pour réveiller l’Église, malgré la douleur qu’elle engendre. On ne perce pas un abcès sans souffrir, à moins d’être anesthésié. Il semblerait justement que l’omerta qui camouflait les faits de pédocriminalité ait anesthésié l’Église dans son ensemble. Dans sa Lettre au Peuple de Dieu, en août 2018, le pape François nous interpellait déjà : « Il est nécessaire que chaque baptisé se sente engagé dans la transformation ecclésiale et sociale dont nous avons besoin » (n° 2). Ce n’est pas par hasard qu’une réflexion sur la synodalité nous est maintenant proposée. Personnellement, je reste marquée par la réflexion du théologien jésuite Henri de Lubac au moment critique où il avait interdiction d’enseigner et de publier. Il disait à peu près ceci (je cite de mémoire) : « L’Église a certes des rides, mais l’Église est ma mère et je l’aime. »

C’est dans cette perspective que je propose d’apporter ma petite pierre à cette œuvre commune du rajeunissement de l’Église. Je voudrais tenter de comprendre le vécu des victimes, mais aussi celui des agresseurs, pour ouvrir un chemin de transformation par une démarche de justice réparatrice, appelée en France « justice restaurative ».

Je fais le pari, en effet, que cette dernière est une voie ouverte à la guérison des victimes et un moyen efficace de lutter contre la récidive des agresseurs. Il est très important de prendre le temps d’écouter les victimes et l’Église en France met en place de nombreuses structures pour cela ; mais il est aussi capital, pour arrêter l’hémorragie de la pédocriminalité, de s’intéresser en même temps aux agresseurs.

 

Un retour rapide sur mon itinéraire apostolique fera comprendre pourquoi et comment je me permets de faire cette proposition aujourd’hui à l’Église. Mon expérience missionnaire s’est exercée surtout dans la pastorale catéchétique et le service des prisonniers, puis en tant que criminologue formée à la justice réparatrice au Québec et en Côte d’Ivoire.