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Jim l'Indien est paru sous la double signature de Gustave Aimard et Jules Berlioz d'Auriac Par une brûlante journée du mois daoût 1862 un petit steamer sillonnait paisiblement les eaux brunes du Minnesota. On pouvait voir entassés pêle-mêle sur le pont, hommes, femmes, enfants, caisses, malles, paquets, et les mille inutilités indispensables à lémigrant, au voyageur.
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Seitenzahl: 178
Veröffentlichungsjahr: 2019
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(1867)
Table des matières
Présentation de l’œuvre........................................................... 3
CHAPITRE PREMIERSUR L’EAU......................................... 6
CHAPITRE IILÉGENDES DU FOYER.................................. 17
CHAPITRE IIIUNE VISITE.................................................. 30
CHAPITRE IVCROQUIS, BOULEVERSEMENTS,
AVENTURES.......................................................................... 44
CHAPITRE VUN AMI PROPICE.......................................... 56
CHAPITRE VIINDÉCISION..................................................72
CHAPITRE VIIL’ŒUVRE INFERNALE............................... 83
CHAPITRE VIIIQUESTION DE VIE OU DE MORT............ 96
CHAPITRE IXJIM L’INDIEN EN MISSION.......................107
CHAPITRE XUNE NUIT DANS LES BOIS.........................120
CHAPITRE XIPÉRIPÉTIES.................................................129
CHAPITRE XIIAMIS ET ENNEMIS....................................138
ÉPILOGUE ............................................................................ 152
Jim l’Indienest paru sous la double signature de Gustave
Aimard et Jules Berlioz d’Auriac. Il n’est pas le seul. Douze
romans en tout, publiés chez Degorce-Cadot, ont eu droit à cette
double signature. En 1866 et 1867, ils sont pourtant parus une
première fois chez Brunet, sous la seule signature de Jules
Berlioz d’Auriac : ce sont d’abord, en 1866L’Esprit blanc, L’Aigle
noir des Dacotahs, Les Pieds Fourchus, Le Mangeur de poudre,
Rayon de Soleil et Les Scalpeurs des Ottawas ;en 1867, ce sont
Les Forestiers du Michigan, Œil de Feu, Cœur de Panthère, Les
Terres d’or, Jim l’Indien et La Caravane des sombreros.Ce n’est
qu’en 1878 et 1879 que ces œuvres reparaissent sous la double
signature d’Aimard et de Jules Berlioz d’Auriac. Il y aurait donc
eu accaparement des œuvres par Aimard, offrant en échange sa
célébrité à un Jules Berlioz d’Auriac qui n’avait pas la sienne.
Une telle interprétation paraît convaincante si l’on observe la
lettre même des œuvres. Le style, plus descriptif que celui de
Gustave Aimard, la description d’une Amérique plus réaliste que
la prairie abstraite d’Aimard, la vision des Indiens et de leurs
oppositions assez éloignée de celle que l’on retrouve
généralement, le choix même d’une région qui n’est pas celle que
préfère l’écrivain, bien des traits semblent confirmer qu’il n’est
pas l’auteur véritable de ces œuvres.
Les choses se compliquent lorsqu’on découvre, avec Simon
Jeune (Les types américains dans le roman et le théâtre français),
que les romans de Jules Berlioz d’Auriac sont sans doute dus en
réalité à la plume d’auteurs américains que Simon Jeune ne
nomme pas. Nous n’avons pu le vérifier, mais le cadre et le titre
laissent à penser que Jim l’Indien soit en réalité la traduction –
ou l’adaptation – d’undime novelde Edward Stewart Ellis,
Indian Jim. A Tale of the Minnesota Massacre, publié chez Beadle
and Adams en 1864 dans la revueBeadle’s Dime Novel, puis
dans diversdime novels, la texte ayant connu un succès certain
aux États-unis (il a même été publié en Grande-Bretagne dans
un penny dreadful). Nous n’avons pu vérifier la relation, mais il
y a de fortes chances qu’il s’agisse de l’œuvre originale.
– 3 –
L’attention aux settlers et aux colons, la référence implicite aux
massacres de 1862, la haine pour les Indiens et la volonté de
mettre en cause la vision angélique des « sauvages » (à travers
l’expérience de Halleck) telle qu’elle avait prévalu à l’époque de
Fenimore Cooper renvoie nettement aux œuvres du second
roman de l’Ouest écrit par les Américains, celui qui a fait les
beaux jours desdime novels. Le rythme de la colonisation
américaine a exacerbé les affrontements entre les Blancs et les
autochtones : à force de voir leurs terres progressivement
confisquées par les nouveaux colons, les Indiens se sont révoltés
de plus en plus fréquemment ; les incidents se sont multipliés, et
les Indiens apparaissent désormais comme une menace
permanente. En parallèle, la pression constante des nouveaux
immigrés américains impose une politique de dévalorisation du
« sauvage » afin de justifier la politique d’annexion des terres
indiennes. Edward S. Ellis a été l’un des principaux auteurs de
cette seconde vague, et il a en particulier écrit une série
d’ouvrages consacrés aux massacres opérés par les Indiens dans
les années 1860.
Edward Sylvester Ellis (1840-1916) fut l’un des plus fameux
auteurs dedime novels, ces fascicules bon marchés qui firent les
beaux jours des lecteurs américains avant d’être remplacés par
lespulps. Il est l’auteur du premierdimepublié par la maison
Beadle,Seth Jones, or The Captives of the Frontier, qui a sans
doute connu le plus gros succès de l’histoire dudimepuisqu’il
s’est vendu à près de 600 000 exemplaires. Ses autres œuvres
fameuses sontThe Life of Colonel David Crockett, qui contribua
fortement à la légende du pionnier,Bill Biddon,Trapper(1860),
ou encoreThe Lost Trail(1864). Outre ces récits de l’Ouest
américain, Ellis a également écrit de nombreux romans
d’aventures géographiques, à cette époque où le western ne
s’était pas encore bien différencié du roman d’aventures
géographiques. Ellis était enseignant, et avait en partie construit
sa fortune littéraire en disant utiliser, pour écrire ses récits, ses
souvenirs des exploits d’un oncle coureur des bois. En réalité, il
s’inspirait largement de l’œuvre de Fenimore Cooper, qu’il
adaptait à la jeunesse et aux goûts du public populaire. Son
– 4 –
personnage le plus fameux, l’Indien Deerfoot (Hunters of the
Ozark,The Camp in the MountainsetThe last War Trail,
republiés avec les titresDeerfoot in the Forest,Deerfoot in the
Prairie,Deerfoot in the Mountains) rappelle d’ailleursLes
compagnons de Deerslayerde Cooper. À partir des années 1890,
Ellis s’est mis à écrire des ouvrages historiques, parmi lesquels
une fameuse biographie de Jefferson.
QueJim l’Indienappartienne aux œuvres d’Aimard, de Jules
Berlioz d’Auriac, à celles d’Edward Sylvester Ellis ou d’un
mystérieux quatrième écrivain, il s’agit d’un exemple intéressant
de la vision populaire de l’Amérique qui prévalait avant
l’avènement du western cinématographique.
Ces informations sont en partie tirées de l’excellent numéro
13 du Rocambole consacré à Gustave Aimard.
– 5 –
Par une brûlante journée du mois d’août 1862 un petit
steamer sillonnait paisiblement les eaux brunes du Minnesota.
On pouvait voir entassés pêle-mêle sur le pont, hommes, femmes,
enfants, caisses, malles, paquets, et les mille inutilités
indispensables à l’émigrant, au voyageur.
Les bordages du paquebot étaient couronnés d’une galerie
mouvante de têtes agitées, qui toutes se penchaient curieusement
pour mieux voir la contrée nouvelle qu’on allait traverser.
Dans cette foule aventureuse il y avait les types les plus
variées : le spéculateur froid et calculateur dont les yeux brillaient
d’admiration lorsqu’ils rencontraient la grasse prairie au riche
aspect, et les splendides forêts bordant le fleuve ; le Français vif et
animé ; l’Anglais au visage solennel ; le pensif et flegmatique
Allemand ; l’écossais à la mine résolue, aux vêtements bariolés de
jaune ; l’Africain à peau d’ébène. – Une marchandise de
contrebande, comme on dit maintenant. – Tous les éléments d’un
monde miniature s’agitaient dans l’étroit navire, et avec eux,
passions, projets, haines, amours, vice, vertus.
Sur l’avant se tenaient deux individus paraissant tout
particulièrement sensibles aux beautés du glorieux paysage
déployé sous leurs yeux.
Le premier était un jeune homme de haute taille dont les
regards exprimaient une incommensurable confiance en lui-
même. Un large Panama ombrageait coquettement sa tête ; un
foulard blanc, suspendu avec une savante négligence derrière le
chapeau pour abriter le cou contre les ardeurs du soleil, ondulait
moelleusement au gré du zéphyr ; une orgueilleuse chaîne d’or
chargée de breloques s’étalait, fulgurante, sur son gilet ; ses
mains, gantées finement, étaient plongées dans les poches d’un
léger et adorable paletot en coutil blanc comme la neige.
– 6 –
Il portait sous le bras droit un assez gros portefeuille rempli
d’esquisses artistiques et Croquis exécutés d’après nature, au vol
de la vapeur.
Ce beau jeune homme, si aristocratique, se nommait
M. Adolphus Halleck, dessinateur paysagiste, qui remontait le
Minnesota dans le but d’enrichir sa collection de vues
pittoresques.
Les glorieux travaux de Bierstadt sur les paysages et les
mœurs des Montagnes Rocheuses avait rempli d’émulation le
jeune peintre ; il brillait du désir de visiter, d’observer avec soin
les hautes terres de l’Ouest, et de recueillir une ample moisson
d’études sur les nobles montagnes, les plaines majestueuses, les
lacs, les cataractes, les fleuves, les chasses, les tribus sauvages de
ces territoires fantastiques.
Il était beau garçon ; son visage un peu pâle, coloré sur les
joues, d’un ovale distingué annonçait une complexion délicate
mais aristocratique, On n’aurait pu le considérer com m e un
gandin, cependant il affichait de grandes prétentions à l’élégance,
et possédait au grand complet les qualités sterling d’un
gentleman.
La jeune lady qui était proche de sir Halleck était une
charmante créature, aux yeux animés, aux traits réguliers et
gracieux, mais pétillant d’une expression malicieuse.
Évidemment, c’était un de ces esprits actifs, piquants, dont la
saveur bizarre et originale les destine à servir d’épices dans
l’immense ragoût de la société.
Miss Maria Allondale était cousine de sir Adolphus Halleck.
– Oui, Maria, disait ce dernier, en regardant par dessus la tête
de la jeune fille, les rivages fuyant à toute vapeur ; oui, lorsque je
reviendrai à la fin de l’automne, j’aurai collectionné assez de
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croquis et d’études pour m’occuper ensuite pendant une demi-
douzaine d’années.
– Je suppose que les paysages environnants vous paraissent
indignes des efforts de votre pinceau, répliqua la jeune fille en
clignant les yeux.
– Je ne dis pas précisément cela… tenez, voici un effet de
rivage assez correct ; j’en ai vu de semblables à l’Académie. Si
seulement il y avait un groupe convenable d’Indiens pour garnir
le second plan, ça ferait un tableau, oui.
– Vous avez donc conservé vos vieilles amours pour les
sauvages ?
– Parfaitement. Ils ont toujours fait mon admiration, depuis
le premier jour où, dans mon enfance, j’ai dévoré les intéressantes
légendes de Bas-de-Cuir, j’ai toujours eu soif de les voir face à
face, dans leur solitude native, au milieu de calmes montagnes où
la nature est sereine, dans leur pureté de race primitive, exempte
du contact des Blancs !
– Oh ciel ! quel enthousiasme ! vous ne manquerez pas
d’occasions, soyez-en sûr ; vous pourrez rassasier votre « soif »
d’hommes rouges ! seulement, permettez-moi de vous dire que
ces poétiques visions s’évanouiront plus promptement que
l’écume de ces eaux bouillonnantes.
L’artiste secoua la tête avec un sourire :
– Ce sont des sentiments trop profondément enracinés pour
disparaître aussi soudainement. Je vous accorde que, parmi ces
gens-là, il peut y avoir des gredins et des vagabonds ; mais n’en
trouve-t-on pas chez les peuples civilisés ? Je maintiens et je
maintiendrai que, comme race, les Indiens ont l’âme haute,
noble, chevaleresque ; ils nous sont même supérieurs à ce point
de vue.
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– Et moi, je maintiens et je maintiendrai qu’ils sont perfides,
traîtres, féroces !…c’est une repoussante population, qui
m’inspire plus d’antipathie que des tigres, des bêtes fauves, que
sais-je ! vos sauvages du Minnesota ne valent pas mieux que les
autres !
Halleck regarda pendant quelques instants avec un sourire
malicieux, sa charmante interlocutrice qui s’était
extraordinairement animée en finissant.
– très bien ! Maria, vous connaissez mieux que moi les
Indigènes du Minnesota. Par exemple, j’ose dire que la source où
vous avez puisé vos renseignements laisse quelque chose à désirer
sur le chapitre des informations ; vous n’avez entendu que les
gens des frontières, lesBorders, qui eux aussi, sont sujets à
caution. Si vous vouliez pénétrer dans les bois, de quelques
centaines de milles, vous changeriez bien d’avis.
– Ah vraiment ! moi, changer d’avis ! faire quelques centaines
de milles dans les bois ! n’y comptez pas, mon beau cousin ! Une
seule chose m’étonne, c’est qu’il y ait des hommes blancs, assez
fous pour se condamner à vivre en de tels pays. Oh ! je devine ce
qui vous fait rire, continua la jeune fille en souriant malgré elle ;
vous vous moquez de ce que j’ai fait, tout l’été, précisément ce que
je condamne. Eh bien ! je vous promets, lorsque je serai revenue
chez nous à Cincinnati, cet automne, que vous ne me reverrez
plus traverser le Mississipi. Je ne serais point sur cette route, si je
n’avais promis à l’oncle John de lui rendre une visite ; il est si bon
que j’aurais été désolée de le chagriner par un refus.
« L’oncle John Brainerd » n’était pas, en réalité, parent aux
deux jeunes gens. C’était un ami d’enfance du père de Maria
Allondale ; et toute la famille le désignait sous le nom d’oncle.
Après s’être retiré dans la région de Minnesota en 1856, il
avait exigé la promesse formelle, que tous les membres de la
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maison d’Allondale viendraient le voir ensemble ou séparément,
lorsque sonsettlementserait bien établi.
Effectivement, le père, la mère, tous les enfants mariés ou
non, avaient accompli ce gai pèlerinage : seule Maria, la plus
jeune, ne s’était point rendue encore auprès de lui. Or, en juin
1862, M. Allondale l’avait amenée à Saint-Paul, l’avait
embarquée, et avait avisé l’oncle John de l’envoi du gracieux
colis ; ce dernier l’attendait, et se proposait de garder sa gentille
nièce tout le reste de l’été.
Tout s’était passé comme on l’avait convenu ; la jeune fille
avait heureusement fait le voyage, et avait été reçue à bras
ouverts. La saison s’était écoulée pour elle le plus gracieusement
du monde ; et, parmi ses occupations habituelles, une
correspondance régulière avec son cousin Adolphe n’avait pas été
la moins agréable.
En effet, elle s’était accoutumée à l’idée de le voir un jour son
mari, et d’ailleurs, une amitié d’enfance les unissait tous deux.
Leurs parents étaient dans le même négoce ; les positions des
deux familles étaient également belles ; relations, éducation,
fortune, tout concourait à faire présager leur union future,
comme heureuse et bien assortie.
Adolphe Halleck avait pris ses grades à Yale, car il avait été
primitivement destiné à l’étude des lois. Mais, en quittant les
bancs, il se sentit entraîné par un goût passionné pour les beaux-
arts, en même temps qu’il éprouvait un profond dégoût pour les
grimoires judiciaires.
Pendant son séjour au collège, sa grande occupation avait été
de faire des charges, des pochades, des caricatures si drolatiques
que leur envoi dans sa famille avait obtenu un succès de rire
inextinguible ; naturellement son père devint fier d’un tel fils ;
l’orgueil paternel se communiqua au jeune homme ; il fut proposé
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par lui, et décrété par toute la parenté qu’il serait artiste ; on ne
lui demanda qu’une chose : de devenir un grand homme.
Lorsque la guerre abolitionniste éclata, le jeune Halleck
bondit de joie, et, à force de diplomatie, parvint à entrer comme
dessinateur expéditionnaire dans la collaboration d’une
importante feuille illustrée. Mais le sort ne le servit pas
précisément comme il l’aurait voulu ; au premier engagement, lui,
ses crayons et ses pinceaux furent faits prisonniers.
Heureusement, il se rencontra, dans les rangs ennemis, avec un
officier qui avait été son camarade de classe, à Yale. Halleck fut
mis en liberté, et revint au logis, bien résolu à chercher désormais
la gloire partout ailleurs que sous les drapeaux.
Les pompeuses descriptions des glorieux paysages du
Minnesota que lui faisait constamment sa cousine, finirent par
décider le jeune artiste à faire une excursion dans l’Ouest. – Mais
il fit tant de stations et chemina à si petites journées, qu’il mit
deux mois à gagner Saint-Paul.
Cependant, comme tout finit, même les flâneries de voyage,
Halleck arriva au moment où sa cousine quittait cette ville, après
y avoir passé quelques jours et il ne trouva rien de mieux que de
s’embarquer avec elle dans le bateau par lequel elle effectuait son
retour chez l’oncle John.
Telles étaient les circonstances dans lesquelles nos jeunes
gens s’étaient réunis, au moment où nous les avons présentés au
lecteur.
– D’après vos lettres, l’oncle John jouit d’une santé
merveilleuse ? reprit l’artiste, après une courte pause.
– Oui ; il est étonnant. Vous savez les craintes que nous
concevions à son égard, lorsque après ses désastres financiers, il
forma le projet d’émigrer, il y a quelques années ? Mon père lui
offrit des fonds pour reprendre les affaires ; mais l’oncle persista
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dans ses idées de départ, disant qu’il était trop âgé pour
recommencer cette vie là, et assez jeune pour devenir un
« homme des frontières. » Il a pourtant cinquante ans passés, et
sur sept enfants, il en a cinq de mariés ; deux seulement sont
encore à la maison, Will et Maggie.
– Attendez un peu…, il y a quelque temps que je n’ai vu
Maggie, çà commence à faire une grande fille. Et Will aussi… il y a
deux ans c’était presque un homme.
– Maggie est dans ses dix-huit ans ; son frère à quatre ans de
plus qu’elle.
Sans y songer, Adolphe regarda Maria pendant qu’elle
parlait ; il fut tout surpris de voir qu’elle baissa les yeux et qu’une
rougeur soudaine envahit ses joues. Ces symptômes d’embarras
ne durèrent que quelques secondes ; mais Halleck les avait
surpris au passage ; cela lui avait mis en tête une idée qu’il voulut
éclaircir.
– Il y a un piano chez l’oncle John, je suppose ? demanda-t-il.
– Oh oui ! Maggie n’aurait pu s’en passer. C’est un vrai
bonheur pour elle.
– Naturellement… Ces deux enfants-là n’ont pas à se
plaindre ; ils ont une belle existence en perspective. Will a-t-il
l’intention de rester-là, et de suivre les traces de son père ?
– Je ne le sais pas.
– Il me semble qu’il a dû vous en parler.
Tout en parlant, il regarda Maria en face et la vit rougir, puis
baisser les yeux. L’artiste en savait assez ; il releva les yeux sur le
paysage, d’un air rêveur, et continua la conversation.
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– Oui, le petit Brainerd est un beau garçon ; mais, à mon avis,
il ne sera jamais un artiste. A-t-il fini son temps de collège ?
– Dans deux ans seulement.
– Quel beau soldat cela ferait ! notre armée a besoin de
pareils hommes.
– Will a fait ses preuves. Il a passé bien près de la mort à la
bataille de Bullrun. La blessure qu’il a reçue en cette occasion est
à peine guérie.
– Diable ! c’était sérieux ! quel était son commandant ;
Stonewal, Jackson, ou Beauregard ?
– Adolphe Halleck ! !
L’artiste baissa la tète en riant, pour esquiver un coup de
parasol que lui adressait sa cousine furieuse.
– Tenez, Maria, voici ma canne, vous pourriez casser votre
ombrelle.
– Pourquoi m’avez-vous fait cette question ?
– Pour rien, je vous l’assure…
La jeune fille essaya de le regarder bravement, Sans rire et
sans rougir ; mais cette tentative était au-dessus de ses forces, elle
baissa la tête d’un air mutin.
–Allons ! ne vous effarouchez pas, chère ! dit enfin le jeune
homme avec un calme sourire. Ce petit garçon est tout à fait
honorable, et je serais certainement la dernière personne qui
voudrait en médire. Mais revenons à notre vieux thème, les
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sauvages. En verrai-je quelque peu, pendant mon séjour chez
l’oncle John ?
– Cela dépend des quantités qu’il vous en faut pour vous
satisfaire. Un seul, pour moi, c’est beaucoup trop. Ils rôdent sans
cesse dans les environs ; vous ne pourrez faire une promenade
sans les rencontrer.
– Alors, je pourrai en portraicturer deux ou trois ?
– Sur ce point, voici un renseignement précis. Prenez un des
plus horribles vagabonds des rues de New York ; passez-lui sur le
visage une teinte de bistre cuivré ; mettez-lui des cheveux blonds
retroussés en plumet et liés par un cordon graisseux ; affublez-le
d’une couverture en guenilles ; vous aurez un Indien Minnesota
pur sang.
– Et les femmes, en est-il de même
– Les femmes !… des squaws, voulez-vous dire ! Leur portrait
est exactement le même.
– Cependant nous sommes dans « la région des Dacotahs, le
pays des Beauté », dont parle le poète Longfellow dans son
ouvrage intitulé Hiawatha.
– Il est bien possible que ce soit le pays auquel vous faites
allusion. Dans tous les cas, c’est pitoyable qu’il ne l’ait pas visité
avant d’écrire son poème, – Néanmoins, poursuivit la jeune fille,
pour être juste, je dois apporter une restriction à ce que je viens
de vous dire ; les Indiens convertis au christianisme sont tout à
fait différents, ils ont laissé de côté, leurs allures et vêtements
sauvages, pour adopter ceux de la civilisation ; ils sont devenus
des créatures passables. J’en ai vu plusieurs, et, le contraste
frappant qu’ils offrent en regard de leurs frères barbares, m’a
porté à en dire du bien. Je pourrais vous en nommer : Chaskie,
– 14 –
Paul, par exemple, qui seraient dignes de servir de modèles à
beaucoup d’hommes blancs.
– Ainsi, vous admettrez qu’il se trouve parmi eux des êtres
humains ?
– Très certainement. Il y en a un surtout qui vient parfois
rendre visite à l’oncle John. Il est connu sous le nom de Jim
Chrétien ; je peux dire que c’est un noble garçon. Je ne craindrais
point de lui confier ma vie en toute circonstance,
– Mais enfin, Maria, parlant sérieusement, ne pensez-vous
pas que ces mêmes hommes rouges dont vous faites si peu de cas,
ne sont devenus pervers que par la fatale et détestable influence
des Blancs. Ces trafiquants !… Ces agents !…
– Je ne puis vous le refuser. Il est tout-à-fait impossible aux
missionnaires de lutter contre les machinations de ces vils
intrigants. Pauvres, bons missionnaires ! voilà des hommes
dévoués ! Je vous citerai le docteur Williamson qui a fourni une
longue et noble carrière, au milieu de ces peuplades farouches, se
heurtant sans cesse à la mort, à des périls pires que la mort ! tout
cela pour leur ouvrir la voie qui mène au ciel ! Et le Père Riggs,
qui, depuis trente-cinq ans, erre autour du Lac qui parle, ou
Jyedan, comme les Indiens l’appellent. C’est un second apôtre
saint Paul ; dans les bois, dans les eaux, dans le feu, en mille
occasions sa vie a été en péril ; un jour sa misérable hutte brûla
sur sa tête ; il ne pût s’échapper qu’à travers une pluie de
charbons ardents. Eh bien ! il bénissait le ciel d’avoir la vie sauve,
pour la consacrer encore au salut de ses chères ouailles
– Je suppose que ces pauvres missionnaires sont relevés et
secourus de temps en temps, dans ces postes périlleux ?
– Pas ceux-là, du moins ! Ils se croiraient indignes de
l’apostolat s’ils faiblissaient un seul instant ; cette lutte admirable,
ils la continueront jusqu’à la mort. Pour savoir ce que c’est que le
– 15 –
sublime du dévouement, il faut avoir vu de près le missionnaire
Indien !
– Ah ! voici un changement de décor, à vue, dans le paysage ;
regardez-moi çà ! s’écrie le jeune artiste en ouvrant son album et
taillant ses crayons ; je vais croquer ce site enchanté.
– Vous n’aurez pas le temps, mon cousin. Regardez par-
dessus la rive, à environ un quart de mille ; voyez-vous une
voiture qui est proche d’un bouquet de sycomores ; elle est attelée
d’un cheval ; un jeune homme se tient debout à côté.
Adolphe implanta gravement son lorgnon dans l’œil droit, et
inspecta les bords du fleuve pendant assez longtemps avant de
répondre.
– J’ai quelque idée d’avoir aperçu ce dont vous me parlez.
Quel est le propriétaire, est-ce l’oncle John ?… dit-il enfin.
– Oui ; et je pense que c’est Will qui m’attend. Un petit temps
de galop à travers la prairie, et nous serons arrivés au terme de
notre voyage.
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