Jim l'indien - Aimard Gustave - E-Book

Jim l'indien E-Book

Aimard Gustave

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Beschreibung

Jim l'Indien est paru sous la double signature de Gustave Aimard et Jules Berlioz d'Auriac Par une brûlante journée du mois daoût 1862 un petit steamer sillonnait paisiblement les eaux brunes du Minnesota. On pouvait voir entassés pêle-mêle sur le pont, hommes, femmes, enfants, caisses, malles, paquets, et les mille inutilités indispensables à lémigrant, au voyageur.

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Veröffentlichungsjahr: 2019

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JIM L'INDIEN

Pages de titrePrésentation de l’œuvre.CHAPITRE PREMIERSUR L’EAU.CHAPITRE IILÉGENDES DU FOYER.CHAPITRE IIIUNE VISITE.CHAPITRE IVCHAPITRE VUN AMI PROPICE.CHAPITRE VIINDÉCISION.CHAPITRE VIIL’ŒUVRE INFERNALE.CHAPITRE VIIIQUESTION DE VIE OU DE MORT.CHAPITRE IXJIM L’INDIEN EN MISSION.CHAPITRE XUNE NUIT DANS LES BOIS.CHAPITRE XIPÉRIPÉTIES.CHAPITRE XIIAMIS ET ENNEMIS.ÉPILOGUEPage de copyright

Gustave Aimard – Jules Berlioz d'Auriac

JIM L’INDIEN

(1867)

Table des matières

Présentation de l’œuvre........................................................... 3

CHAPITRE PREMIERSUR L’EAU......................................... 6

CHAPITRE IILÉGENDES DU FOYER.................................. 17

CHAPITRE IIIUNE VISITE.................................................. 30

CHAPITRE IVCROQUIS, BOULEVERSEMENTS,

AVENTURES.......................................................................... 44

CHAPITRE VUN AMI PROPICE.......................................... 56

CHAPITRE VIINDÉCISION..................................................72

CHAPITRE VIIL’ŒUVRE INFERNALE............................... 83

CHAPITRE VIIIQUESTION DE VIE OU DE MORT............ 96

CHAPITRE IXJIM L’INDIEN EN MISSION.......................107

CHAPITRE XUNE NUIT DANS LES BOIS.........................120

CHAPITRE XIPÉRIPÉTIES.................................................129

CHAPITRE XIIAMIS ET ENNEMIS....................................138

ÉPILOGUE ............................................................................ 152

Présentation de l’œuvre.

Jim l’Indienest paru sous la double signature de Gustave

Aimard et Jules Berlioz d’Auriac. Il n’est pas le seul. Douze

romans en tout, publiés chez Degorce-Cadot, ont eu droit à cette

double signature. En 1866 et 1867, ils sont pourtant parus une

première fois chez Brunet, sous la seule signature de Jules

Berlioz d’Auriac : ce sont d’abord, en 1866L’Esprit blanc, L’Aigle

noir des Dacotahs, Les Pieds Fourchus, Le Mangeur de poudre,

Rayon de Soleil et Les Scalpeurs des Ottawas ;en 1867, ce sont

Les Forestiers du Michigan, Œil de Feu, Cœur de Panthère, Les

Terres d’or, Jim l’Indien et La Caravane des sombreros.Ce n’est

qu’en 1878 et 1879 que ces œuvres reparaissent sous la double

signature d’Aimard et de Jules Berlioz d’Auriac. Il y aurait donc

eu accaparement des œuvres par Aimard, offrant en échange sa

célébrité à un Jules Berlioz d’Auriac qui n’avait pas la sienne.

Une telle interprétation paraît convaincante si l’on observe la

lettre même des œuvres. Le style, plus descriptif que celui de

Gustave Aimard, la description d’une Amérique plus réaliste que

la prairie abstraite d’Aimard, la vision des Indiens et de leurs

oppositions assez éloignée de celle que l’on retrouve

généralement, le choix même d’une région qui n’est pas celle que

préfère l’écrivain, bien des traits semblent confirmer qu’il n’est

pas l’auteur véritable de ces œuvres.

Les choses se compliquent lorsqu’on découvre, avec Simon

Jeune (Les types américains dans le roman et le théâtre français),

que les romans de Jules Berlioz d’Auriac sont sans doute dus en

réalité à la plume d’auteurs américains que Simon Jeune ne

nomme pas. Nous n’avons pu le vérifier, mais le cadre et le titre

laissent à penser que Jim l’Indien soit en réalité la traduction –

ou l’adaptation – d’undime novelde Edward Stewart Ellis,

Indian Jim. A Tale of the Minnesota Massacre, publié chez Beadle

and Adams en 1864 dans la revueBeadle’s Dime Novel, puis

dans diversdime novels, la texte ayant connu un succès certain

aux États-unis (il a même été publié en Grande-Bretagne dans

un penny dreadful). Nous n’avons pu vérifier la relation, mais il

y a de fortes chances qu’il s’agisse de l’œuvre originale.

– 3 –

L’attention aux settlers et aux colons, la référence implicite aux

massacres de 1862, la haine pour les Indiens et la volonté de

mettre en cause la vision angélique des « sauvages » (à travers

l’expérience de Halleck) telle qu’elle avait prévalu à l’époque de

Fenimore Cooper renvoie nettement aux œuvres du second

roman de l’Ouest écrit par les Américains, celui qui a fait les

beaux jours desdime novels. Le rythme de la colonisation

américaine a exacerbé les affrontements entre les Blancs et les

autochtones : à force de voir leurs terres progressivement

confisquées par les nouveaux colons, les Indiens se sont révoltés

de plus en plus fréquemment ; les incidents se sont multipliés, et

les Indiens apparaissent désormais comme une menace

permanente. En parallèle, la pression constante des nouveaux

immigrés américains impose une politique de dévalorisation du

« sauvage » afin de justifier la politique d’annexion des terres

indiennes. Edward S. Ellis a été l’un des principaux auteurs de

cette seconde vague, et il a en particulier écrit une série

d’ouvrages consacrés aux massacres opérés par les Indiens dans

les années 1860.

Edward Sylvester Ellis (1840-1916) fut l’un des plus fameux

auteurs dedime novels, ces fascicules bon marchés qui firent les

beaux jours des lecteurs américains avant d’être remplacés par

lespulps. Il est l’auteur du premierdimepublié par la maison

Beadle,Seth Jones, or The Captives of the Frontier, qui a sans

doute connu le plus gros succès de l’histoire dudimepuisqu’il

s’est vendu à près de 600 000 exemplaires. Ses autres œuvres

fameuses sontThe Life of Colonel David Crockett, qui contribua

fortement à la légende du pionnier,Bill Biddon,Trapper(1860),

ou encoreThe Lost Trail(1864). Outre ces récits de l’Ouest

américain, Ellis a également écrit de nombreux romans

d’aventures géographiques, à cette époque où le western ne

s’était pas encore bien différencié du roman d’aventures

géographiques. Ellis était enseignant, et avait en partie construit

sa fortune littéraire en disant utiliser, pour écrire ses récits, ses

souvenirs des exploits d’un oncle coureur des bois. En réalité, il

s’inspirait largement de l’œuvre de Fenimore Cooper, qu’il

adaptait à la jeunesse et aux goûts du public populaire. Son

– 4 –

personnage le plus fameux, l’Indien Deerfoot (Hunters of the

Ozark,The Camp in the MountainsetThe last War Trail,

republiés avec les titresDeerfoot in the Forest,Deerfoot in the

Prairie,Deerfoot in the Mountains) rappelle d’ailleursLes

compagnons de Deerslayerde Cooper. À partir des années 1890,

Ellis s’est mis à écrire des ouvrages historiques, parmi lesquels

une fameuse biographie de Jefferson.

QueJim l’Indienappartienne aux œuvres d’Aimard, de Jules

Berlioz d’Auriac, à celles d’Edward Sylvester Ellis ou d’un

mystérieux quatrième écrivain, il s’agit d’un exemple intéressant

de la vision populaire de l’Amérique qui prévalait avant

l’avènement du western cinématographique.

Ces informations sont en partie tirées de l’excellent numéro

13 du Rocambole consacré à Gustave Aimard.

– 5 –

CHAPITRE PREMIER

SUR L’EAU.

Par une brûlante journée du mois d’août 1862 un petit

steamer sillonnait paisiblement les eaux brunes du Minnesota.

On pouvait voir entassés pêle-mêle sur le pont, hommes, femmes,

enfants, caisses, malles, paquets, et les mille inutilités

indispensables à l’émigrant, au voyageur.

Les bordages du paquebot étaient couronnés d’une galerie

mouvante de têtes agitées, qui toutes se penchaient curieusement

pour mieux voir la contrée nouvelle qu’on allait traverser.

Dans cette foule aventureuse il y avait les types les plus

variées : le spéculateur froid et calculateur dont les yeux brillaient

d’admiration lorsqu’ils rencontraient la grasse prairie au riche

aspect, et les splendides forêts bordant le fleuve ; le Français vif et

animé ; l’Anglais au visage solennel ; le pensif et flegmatique

Allemand ; l’écossais à la mine résolue, aux vêtements bariolés de

jaune ; l’Africain à peau d’ébène. – Une marchandise de

contrebande, comme on dit maintenant. – Tous les éléments d’un

monde miniature s’agitaient dans l’étroit navire, et avec eux,

passions, projets, haines, amours, vice, vertus.

Sur l’avant se tenaient deux individus paraissant tout

particulièrement sensibles aux beautés du glorieux paysage

déployé sous leurs yeux.

Le premier était un jeune homme de haute taille dont les

regards exprimaient une incommensurable confiance en lui-

même. Un large Panama ombrageait coquettement sa tête ; un

foulard blanc, suspendu avec une savante négligence derrière le

chapeau pour abriter le cou contre les ardeurs du soleil, ondulait

moelleusement au gré du zéphyr ; une orgueilleuse chaîne d’or

chargée de breloques s’étalait, fulgurante, sur son gilet ; ses

mains, gantées finement, étaient plongées dans les poches d’un

léger et adorable paletot en coutil blanc comme la neige.

– 6 –

Il portait sous le bras droit un assez gros portefeuille rempli

d’esquisses artistiques et Croquis exécutés d’après nature, au vol

de la vapeur.

Ce beau jeune homme, si aristocratique, se nommait

M. Adolphus Halleck, dessinateur paysagiste, qui remontait le

Minnesota dans le but d’enrichir sa collection de vues

pittoresques.

Les glorieux travaux de Bierstadt sur les paysages et les

mœurs des Montagnes Rocheuses avait rempli d’émulation le

jeune peintre ; il brillait du désir de visiter, d’observer avec soin

les hautes terres de l’Ouest, et de recueillir une ample moisson

d’études sur les nobles montagnes, les plaines majestueuses, les

lacs, les cataractes, les fleuves, les chasses, les tribus sauvages de

ces territoires fantastiques.

Il était beau garçon ; son visage un peu pâle, coloré sur les

joues, d’un ovale distingué annonçait une complexion délicate

mais aristocratique, On n’aurait pu le considérer com m e un

gandin, cependant il affichait de grandes prétentions à l’élégance,

et possédait au grand complet les qualités sterling d’un

gentleman.

La jeune lady qui était proche de sir Halleck était une

charmante créature, aux yeux animés, aux traits réguliers et

gracieux, mais pétillant d’une expression malicieuse.

Évidemment, c’était un de ces esprits actifs, piquants, dont la

saveur bizarre et originale les destine à servir d’épices dans

l’immense ragoût de la société.

Miss Maria Allondale était cousine de sir Adolphus Halleck.

– Oui, Maria, disait ce dernier, en regardant par dessus la tête

de la jeune fille, les rivages fuyant à toute vapeur ; oui, lorsque je

reviendrai à la fin de l’automne, j’aurai collectionné assez de

– 7 –

croquis et d’études pour m’occuper ensuite pendant une demi-

douzaine d’années.

– Je suppose que les paysages environnants vous paraissent

indignes des efforts de votre pinceau, répliqua la jeune fille en

clignant les yeux.

– Je ne dis pas précisément cela… tenez, voici un effet de

rivage assez correct ; j’en ai vu de semblables à l’Académie. Si

seulement il y avait un groupe convenable d’Indiens pour garnir

le second plan, ça ferait un tableau, oui.

– Vous avez donc conservé vos vieilles amours pour les

sauvages ?

– Parfaitement. Ils ont toujours fait mon admiration, depuis

le premier jour où, dans mon enfance, j’ai dévoré les intéressantes

légendes de Bas-de-Cuir, j’ai toujours eu soif de les voir face à

face, dans leur solitude native, au milieu de calmes montagnes où

la nature est sereine, dans leur pureté de race primitive, exempte

du contact des Blancs !

– Oh ciel ! quel enthousiasme ! vous ne manquerez pas

d’occasions, soyez-en sûr ; vous pourrez rassasier votre « soif »

d’hommes rouges ! seulement, permettez-moi de vous dire que

ces poétiques visions s’évanouiront plus promptement que

l’écume de ces eaux bouillonnantes.

L’artiste secoua la tête avec un sourire :

– Ce sont des sentiments trop profondément enracinés pour

disparaître aussi soudainement. Je vous accorde que, parmi ces

gens-là, il peut y avoir des gredins et des vagabonds ; mais n’en

trouve-t-on pas chez les peuples civilisés ? Je maintiens et je

maintiendrai que, comme race, les Indiens ont l’âme haute,

noble, chevaleresque ; ils nous sont même supérieurs à ce point

de vue.

– 8 –

– Et moi, je maintiens et je maintiendrai qu’ils sont perfides,

traîtres, féroces !…c’est une repoussante population, qui

m’inspire plus d’antipathie que des tigres, des bêtes fauves, que

sais-je ! vos sauvages du Minnesota ne valent pas mieux que les

autres !

Halleck regarda pendant quelques instants avec un sourire

malicieux, sa charmante interlocutrice qui s’était

extraordinairement animée en finissant.

– très bien ! Maria, vous connaissez mieux que moi les

Indigènes du Minnesota. Par exemple, j’ose dire que la source où

vous avez puisé vos renseignements laisse quelque chose à désirer

sur le chapitre des informations ; vous n’avez entendu que les

gens des frontières, lesBorders, qui eux aussi, sont sujets à

caution. Si vous vouliez pénétrer dans les bois, de quelques

centaines de milles, vous changeriez bien d’avis.

– Ah vraiment ! moi, changer d’avis ! faire quelques centaines

de milles dans les bois ! n’y comptez pas, mon beau cousin ! Une

seule chose m’étonne, c’est qu’il y ait des hommes blancs, assez

fous pour se condamner à vivre en de tels pays. Oh ! je devine ce

qui vous fait rire, continua la jeune fille en souriant malgré elle ;

vous vous moquez de ce que j’ai fait, tout l’été, précisément ce que

je condamne. Eh bien ! je vous promets, lorsque je serai revenue

chez nous à Cincinnati, cet automne, que vous ne me reverrez

plus traverser le Mississipi. Je ne serais point sur cette route, si je

n’avais promis à l’oncle John de lui rendre une visite ; il est si bon

que j’aurais été désolée de le chagriner par un refus.

« L’oncle John Brainerd » n’était pas, en réalité, parent aux

deux jeunes gens. C’était un ami d’enfance du père de Maria

Allondale ; et toute la famille le désignait sous le nom d’oncle.

Après s’être retiré dans la région de Minnesota en 1856, il

avait exigé la promesse formelle, que tous les membres de la

– 9 –

maison d’Allondale viendraient le voir ensemble ou séparément,

lorsque sonsettlementserait bien établi.

Effectivement, le père, la mère, tous les enfants mariés ou

non, avaient accompli ce gai pèlerinage : seule Maria, la plus

jeune, ne s’était point rendue encore auprès de lui. Or, en juin

1862, M. Allondale l’avait amenée à Saint-Paul, l’avait

embarquée, et avait avisé l’oncle John de l’envoi du gracieux

colis ; ce dernier l’attendait, et se proposait de garder sa gentille

nièce tout le reste de l’été.

Tout s’était passé comme on l’avait convenu ; la jeune fille

avait heureusement fait le voyage, et avait été reçue à bras

ouverts. La saison s’était écoulée pour elle le plus gracieusement

du monde ; et, parmi ses occupations habituelles, une

correspondance régulière avec son cousin Adolphe n’avait pas été

la moins agréable.

En effet, elle s’était accoutumée à l’idée de le voir un jour son

mari, et d’ailleurs, une amitié d’enfance les unissait tous deux.

Leurs parents étaient dans le même négoce ; les positions des

deux familles étaient également belles ; relations, éducation,

fortune, tout concourait à faire présager leur union future,

comme heureuse et bien assortie.

Adolphe Halleck avait pris ses grades à Yale, car il avait été

primitivement destiné à l’étude des lois. Mais, en quittant les

bancs, il se sentit entraîné par un goût passionné pour les beaux-

arts, en même temps qu’il éprouvait un profond dégoût pour les

grimoires judiciaires.

Pendant son séjour au collège, sa grande occupation avait été

de faire des charges, des pochades, des caricatures si drolatiques

que leur envoi dans sa famille avait obtenu un succès de rire

inextinguible ; naturellement son père devint fier d’un tel fils ;

l’orgueil paternel se communiqua au jeune homme ; il fut proposé

– 10 –

par lui, et décrété par toute la parenté qu’il serait artiste ; on ne

lui demanda qu’une chose : de devenir un grand homme.

Lorsque la guerre abolitionniste éclata, le jeune Halleck

bondit de joie, et, à force de diplomatie, parvint à entrer comme

dessinateur expéditionnaire dans la collaboration d’une

importante feuille illustrée. Mais le sort ne le servit pas

précisément comme il l’aurait voulu ; au premier engagement, lui,

ses crayons et ses pinceaux furent faits prisonniers.

Heureusement, il se rencontra, dans les rangs ennemis, avec un

officier qui avait été son camarade de classe, à Yale. Halleck fut

mis en liberté, et revint au logis, bien résolu à chercher désormais

la gloire partout ailleurs que sous les drapeaux.

Les pompeuses descriptions des glorieux paysages du

Minnesota que lui faisait constamment sa cousine, finirent par

décider le jeune artiste à faire une excursion dans l’Ouest. – Mais

il fit tant de stations et chemina à si petites journées, qu’il mit

deux mois à gagner Saint-Paul.

Cependant, comme tout finit, même les flâneries de voyage,

Halleck arriva au moment où sa cousine quittait cette ville, après

y avoir passé quelques jours et il ne trouva rien de mieux que de

s’embarquer avec elle dans le bateau par lequel elle effectuait son

retour chez l’oncle John.

Telles étaient les circonstances dans lesquelles nos jeunes

gens s’étaient réunis, au moment où nous les avons présentés au

lecteur.

– D’après vos lettres, l’oncle John jouit d’une santé

merveilleuse ? reprit l’artiste, après une courte pause.

– Oui ; il est étonnant. Vous savez les craintes que nous

concevions à son égard, lorsque après ses désastres financiers, il

forma le projet d’émigrer, il y a quelques années ? Mon père lui

offrit des fonds pour reprendre les affaires ; mais l’oncle persista

– 11 –

dans ses idées de départ, disant qu’il était trop âgé pour

recommencer cette vie là, et assez jeune pour devenir un

« homme des frontières. » Il a pourtant cinquante ans passés, et

sur sept enfants, il en a cinq de mariés ; deux seulement sont

encore à la maison, Will et Maggie.

– Attendez un peu…, il y a quelque temps que je n’ai vu

Maggie, çà commence à faire une grande fille. Et Will aussi… il y a

deux ans c’était presque un homme.

– Maggie est dans ses dix-huit ans ; son frère à quatre ans de

plus qu’elle.

Sans y songer, Adolphe regarda Maria pendant qu’elle

parlait ; il fut tout surpris de voir qu’elle baissa les yeux et qu’une

rougeur soudaine envahit ses joues. Ces symptômes d’embarras

ne durèrent que quelques secondes ; mais Halleck les avait

surpris au passage ; cela lui avait mis en tête une idée qu’il voulut

éclaircir.

– Il y a un piano chez l’oncle John, je suppose ? demanda-t-il.

– Oh oui ! Maggie n’aurait pu s’en passer. C’est un vrai

bonheur pour elle.

– Naturellement… Ces deux enfants-là n’ont pas à se

plaindre ; ils ont une belle existence en perspective. Will a-t-il

l’intention de rester-là, et de suivre les traces de son père ?

– Je ne le sais pas.

– Il me semble qu’il a dû vous en parler.

Tout en parlant, il regarda Maria en face et la vit rougir, puis

baisser les yeux. L’artiste en savait assez ; il releva les yeux sur le

paysage, d’un air rêveur, et continua la conversation.

– 12 –

– Oui, le petit Brainerd est un beau garçon ; mais, à mon avis,

il ne sera jamais un artiste. A-t-il fini son temps de collège ?

– Dans deux ans seulement.

– Quel beau soldat cela ferait ! notre armée a besoin de

pareils hommes.

– Will a fait ses preuves. Il a passé bien près de la mort à la

bataille de Bullrun. La blessure qu’il a reçue en cette occasion est

à peine guérie.

– Diable ! c’était sérieux ! quel était son commandant ;

Stonewal, Jackson, ou Beauregard ?

– Adolphe Halleck ! !

L’artiste baissa la tète en riant, pour esquiver un coup de

parasol que lui adressait sa cousine furieuse.

– Tenez, Maria, voici ma canne, vous pourriez casser votre

ombrelle.

– Pourquoi m’avez-vous fait cette question ?

– Pour rien, je vous l’assure…

La jeune fille essaya de le regarder bravement, Sans rire et

sans rougir ; mais cette tentative était au-dessus de ses forces, elle

baissa la tête d’un air mutin.

–Allons ! ne vous effarouchez pas, chère ! dit enfin le jeune

homme avec un calme sourire. Ce petit garçon est tout à fait

honorable, et je serais certainement la dernière personne qui

voudrait en médire. Mais revenons à notre vieux thème, les

– 13 –

sauvages. En verrai-je quelque peu, pendant mon séjour chez

l’oncle John ?

– Cela dépend des quantités qu’il vous en faut pour vous

satisfaire. Un seul, pour moi, c’est beaucoup trop. Ils rôdent sans

cesse dans les environs ; vous ne pourrez faire une promenade

sans les rencontrer.

– Alors, je pourrai en portraicturer deux ou trois ?

– Sur ce point, voici un renseignement précis. Prenez un des

plus horribles vagabonds des rues de New York ; passez-lui sur le

visage une teinte de bistre cuivré ; mettez-lui des cheveux blonds

retroussés en plumet et liés par un cordon graisseux ; affublez-le

d’une couverture en guenilles ; vous aurez un Indien Minnesota

pur sang.

– Et les femmes, en est-il de même

– Les femmes !… des squaws, voulez-vous dire ! Leur portrait

est exactement le même.

– Cependant nous sommes dans « la région des Dacotahs, le

pays des Beauté », dont parle le poète Longfellow dans son

ouvrage intitulé Hiawatha.

– Il est bien possible que ce soit le pays auquel vous faites

allusion. Dans tous les cas, c’est pitoyable qu’il ne l’ait pas visité

avant d’écrire son poème, – Néanmoins, poursuivit la jeune fille,

pour être juste, je dois apporter une restriction à ce que je viens

de vous dire ; les Indiens convertis au christianisme sont tout à

fait différents, ils ont laissé de côté, leurs allures et vêtements

sauvages, pour adopter ceux de la civilisation ; ils sont devenus

des créatures passables. J’en ai vu plusieurs, et, le contraste

frappant qu’ils offrent en regard de leurs frères barbares, m’a

porté à en dire du bien. Je pourrais vous en nommer : Chaskie,

– 14 –

Paul, par exemple, qui seraient dignes de servir de modèles à

beaucoup d’hommes blancs.

– Ainsi, vous admettrez qu’il se trouve parmi eux des êtres

humains ?

– Très certainement. Il y en a un surtout qui vient parfois

rendre visite à l’oncle John. Il est connu sous le nom de Jim

Chrétien ; je peux dire que c’est un noble garçon. Je ne craindrais

point de lui confier ma vie en toute circonstance,

– Mais enfin, Maria, parlant sérieusement, ne pensez-vous

pas que ces mêmes hommes rouges dont vous faites si peu de cas,

ne sont devenus pervers que par la fatale et détestable influence

des Blancs. Ces trafiquants !… Ces agents !…

– Je ne puis vous le refuser. Il est tout-à-fait impossible aux

missionnaires de lutter contre les machinations de ces vils

intrigants. Pauvres, bons missionnaires ! voilà des hommes

dévoués ! Je vous citerai le docteur Williamson qui a fourni une

longue et noble carrière, au milieu de ces peuplades farouches, se

heurtant sans cesse à la mort, à des périls pires que la mort ! tout

cela pour leur ouvrir la voie qui mène au ciel ! Et le Père Riggs,

qui, depuis trente-cinq ans, erre autour du Lac qui parle, ou

Jyedan, comme les Indiens l’appellent. C’est un second apôtre

saint Paul ; dans les bois, dans les eaux, dans le feu, en mille

occasions sa vie a été en péril ; un jour sa misérable hutte brûla

sur sa tête ; il ne pût s’échapper qu’à travers une pluie de

charbons ardents. Eh bien ! il bénissait le ciel d’avoir la vie sauve,

pour la consacrer encore au salut de ses chères ouailles

– Je suppose que ces pauvres missionnaires sont relevés et

secourus de temps en temps, dans ces postes périlleux ?

– Pas ceux-là, du moins ! Ils se croiraient indignes de

l’apostolat s’ils faiblissaient un seul instant ; cette lutte admirable,

ils la continueront jusqu’à la mort. Pour savoir ce que c’est que le

– 15 –

sublime du dévouement, il faut avoir vu de près le missionnaire

Indien !

– Ah ! voici un changement de décor, à vue, dans le paysage ;

regardez-moi çà ! s’écrie le jeune artiste en ouvrant son album et

taillant ses crayons ; je vais croquer ce site enchanté.

– Vous n’aurez pas le temps, mon cousin. Regardez par-

dessus la rive, à environ un quart de mille ; voyez-vous une

voiture qui est proche d’un bouquet de sycomores ; elle est attelée

d’un cheval ; un jeune homme se tient debout à côté.

Adolphe implanta gravement son lorgnon dans l’œil droit, et

inspecta les bords du fleuve pendant assez longtemps avant de

répondre.

– J’ai quelque idée d’avoir aperçu ce dont vous me parlez.

Quel est le propriétaire, est-ce l’oncle John ?… dit-il enfin.

– Oui ; et je pense que c’est Will qui m’attend. Un petit temps

de galop à travers la prairie, et nous serons arrivés au terme de

notre voyage.

– 16 –