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Cet essai décrypte le monde à travers l’histoire et les grands auteurs, soulignant la violence engendrée par la croyance en des absolus. L’auteur analyse les diverses manifestations de l’absolu, qu’il s’agisse des religions, des idéologies dominantes ou des expressions contemporaines, et met en lumière les raisons qui attirent et fascinent les hommes à son égard. Il invite le lecteur à suivre les philosophes qui ont embrassé le doute et combattu l’absolutisme. En développant une vision relative, en refusant l’évidence et en remettant en question ses certitudes, il pourra penser librement. Abandonner l’absolu pour le relatif est non seulement un moyen de se préserver de l’aveuglement, mais aussi d’encourager la créativité et d’enrichir nos vies.
À PROPOS DE L’AUTEUR
Claude Dequick, ingénieur féru de sciences humaines et de philosophie, a mené une carrière professionnelle dans l’industrie avant de se consacrer au coaching et à la formation en management et gestion des conflits. À sa retraite, il s’adonne à l’écriture sur des sujets qui invitent à porter un regard neuf sur le monde.
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Seitenzahl: 625
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Claude Dequick
L’absolu et le relatif
L’absolu tue, le relatif crée
Essai
© Lys Bleu Éditions – Claude Dequick
ISBN : 979-10-422-0176-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Dominique, mon amour.
À mes enfants et petits-enfants.
En hommage aux victimes des violences commises
au nom d’un Absolu, en particulier à Samuel Paty,
assassiné en 2020, pour avoir enseigné la liberté d’expression.
Peux-tu croire en effet que des hommes dans leur situation, d’abord, aient eu d’eux-mêmes et les uns des autres aucune vision, hormis celle des ombres que le feu fait se projeter sur la paroi de la caverne qui leur fait face ?
Dès lors, repris-je, les hommes dont telle est la condition se tiendraient, pour être le vrai, absolument rien d’autre que les ombres projetées par les objets fabriqués.
Platon, La République VII (l’allégorie de la caverne)
Préambule
Nous sommes loin de la Grèce antique, de ces agoras, de son ciel azur et de sa mer turquoise.
Nous sommes aujourd’hui en Auvergne, sous un ciel nuageux, loin de l’agitation des villes, au cœur de la nature où il est encore possible de contempler, d’écouter et de prendre le temps de la réflexion.
Si je dis nous c’est que je ne suis pas seul.
Je me présente, Claude, je tiens la plume de ce recueil. Je me pose des questions, je fais les observations, je m’interroge sur le sens des choses, bref je cherche à comprendre plus à l’aise dans la connaissance des faits que dans leur analyse.
En moi se tient mon maître, il m’a toujours accompagné dans mes réflexions, dans mon développement, il est mon guide et ma conscience. C’est un vieux sage qui connaît mieux que moi les lois du monde, les dessous de l’âme humaine, les relations ténues entre causes et effets.
C’est à travers notre dialogue que je comprends mieux le monde qui m’entoure, les ressorts qui génèrent les comportements humains, et que je peux approcher sensiblement la complexité de l’humanité.
Dans ce qui suit, bien que nous soyons loin de l’agora d’Athènes où Socrate et Glaucon échangeaient, la discussion avec mon maître, cet entretien avec moi-même, va nourrir notre réflexion sur les conséquences de croire qu’il existe un absolu ou de croire à la relativité des choses.
L’assassinat de Samuel Paty m’a profondément choqué, il a été le déclencheur du questionnement qui m’a conduit à écrire cet essai.
— On a du mal à croire qu’autant de gens soient morts pour si peu au cours des siècles, hein ? a lancé Stiles.
— Bah, la plupart des trucs pour lesquels les hommes sont prêts à tuer ne valent pas grand-chose…
— Sauf à leurs yeux, hélas.
Denis Lehane, Moonlight Mile
Claude : Il y a quelques jours, le 16 octobre 2020, Samuel Paty, un professeur d’histoire-géographie du collège Le Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, a été assassiné, décapité en pleine rue à trois cents mètres du collège, après être sorti de son dernier cours avant les vacances. Il venait de souhaiter à ses élèves de sixième « bonnes vacances ». Son agresseur est un jeune homme de dix-huit ans d’origine tchétchène. Il s’est fait tuer par la police dans l’heure qui a suivi avec des armes à la main en criant en arabe « Dieu est grand ».
Le 5 octobre, lors d’un cours d’éducation civique et morale, le professeur avait montré deux caricatures du prophète Mahomet, publiées en 2015 à la une de Charly hebdo, pour illustrer le thème abordé ce jour-là de la liberté de la presse. Avant de montrer ses caricatures, il aurait prévenu les élèves musulmans pour qu’ils puissent, s’ils le désiraient, ne pas regarder ces documents. Ce cours avait déclenché une polémique avec un parent d’élève qui considérait cette intervention comme une atteinte à l’islam ; alors que sa fille n’avait pas assisté à ce cours, car elle avait été exclue quelques jours pour son comportement et ses retards à la demande de ce professeur. Il raconte sur sa page Facebook que le professeur a montré les caricatures du prophète Mahomet et demande la révocation du professeur. Le lendemain, le 8 octobre, le proviseur du collège reçoit le parent d’élève accompagné d’un imam islamiste afin de concilier les points de vue et de clarifier la situation. Le calme semblait revenu dans le collège. Cependant, le parent portait plainte contre le professeur et, après s’être expliqué, le professeur, à son tour, portait plainte pour diffamation publique.
Mais la polémique avait pris une tournure médiatique sur les réseaux sociaux à la suite de la publication par le parent d’élève de plusieurs vidéos vindicatives relatant son point de vue, incitant « à dire stop », donnant l’identité du professeur et du collège et accusant le président de la République Emmanuel Macron « d’avoir attisé la haine contre les musulmans ».
Le jeune homme A.A Anzorov, qui a assassiné Samuel Paty, est venu d’Évreux à une heure et demie de route ; avant de commettre son crime, il rédige un texte de revendication qu’il publiera sur Twitter, et il paie un élève pour lui indiquer le professeur. L’intention de tuer est évidente.1
Maître, je ne comprends pas ce qui amène un homme à tuer une personne qu’il ne connaît pas et avec qui il n’a aucune relation. Qu’est-ce qui l’amène à passer à l’acte ?
Le Maître : Donc, pour toi, qu’un humain en tue un autre est compréhensible dans un certain nombre de situation. Dans quelle mesure comprendre génère l’acceptation et la légitimation du passage à l’acte ? Peux-tu m’expliquer les cas qui sont pour toi compréhensibles ?
Claude : Le premier type de situation est la mort d’une personne à la suite d’une erreur, une maladresse, une imprudence. La personne est certes responsable, mais n’avait aucune intention de nuire à autrui. C’est par exemple le décès d’un malade à la suite d’une erreur médicale, ou le décès de passagers lors d’un accident routier.
Le second cas est la légitime défense si l’intensité de la défense est proportionnée à la violence de l’agression. L’intention de la personne est de se protéger et sa réaction va dépendre de ses compétences et de ses moyens physiques, des dispositifs et des stratégies disponibles. Le degré de légitimité n’est pas validé par la personne, mais l’est par la communauté ou l’État.
Le troisième cas correspond à la mort d’une personne à la suite de la violence d’un conflit. Dans ce type de situation, les personnes se connaissent ; ils peuvent même, dans un certain nombre de cas, s’apprécier, voire s’aimer, mais l’enchaînement de leurs reproches et de la violence verbale s’accompagne d’une montée de l’intensité des émotions – le plus souvent la colère et la peur – et l’intensité émotionnelle est le plus souvent proportionnelle à l’intensité de la relation. Il peut arriver alors que le contrôle de la raison ne soit plus suffisant pour endiguer la bouffée émotionnelle ; cette submersion émotionnelle favorise le passage à l’acte. Il n’y a pas dans ce cas d’intention raisonnée, cependant cela n’enlève en rien la responsabilité et la culpabilité de l’auteur de l’acte.
Enfin, la dernière situation que je comprends est l’euthanasie, quand un proche abrège par empathie la souffrance d’un malade incurable qui le demande.
Dans ces différents cas, je comprends la dynamique du fonctionnement humain qui amène à la mort d’autrui.Par contre, les autres situations comme les crimes crapuleux, les meurtres gratuits et l’assassinat de Samuel Paty me paraissent des actes inhumains que je peine à comprendre.
Le Maître : Je te rappelle que tuer est, dans tous les cas, illégitime, excepté le cas de légitime défense proportionné. Et cela s’applique tant aux individus qu’aux communautés et aux États. Ce qui rend, d’ailleurs, la peine de mort illégitime.
Comment une société peut-elle justifier que tuer une personne coupable de meurtre, même du plus abominable, est légitime ? Pour punir et tendre à éradiquer un acte, la société reproduit le même acte. Ce choix n’a aucune cohérence, ni éducative, ni de développement des personnes, ni d’enseignement des valeurs que prône la société. Ce choix de maintenir la peine de mort est l’application de la loi du talion qui ne fait qu’entretenir la spirale infernale de la violence-vengeance2.
D’ailleurs, dans ces sociétés, pour les autres délits et crimes dont la peine de mort n’est pas requise, la société par son institution de justice n’applique pas la loi du talion et prononce des peines qui n’ont aucun rapport avec les délits et crimes : des amendes, des peines d’intérêt général ou des privations de liberté…
Il est important de rappeler que l’institution de justice s’est créée, dans l’évolution historique, pour se substituer à la vengeance de la victime ou de la famille de la victime sur son agresseur ou la famille de son agresseur. C’est donc un tiers reconnu par tous qui punit à la place de la victime ou de sa famille, rompant le cercle infernal de la violence-vengeance. On peut voir la subsistance de cette pratique de violence-vengeance dans les guerres de gangs dans les cités ou en Corse, par exemple. S’excluant par leurs activités illégales du corps social, ils ne peuvent demander réparation à l’institution de la justice et donc « se font justice » eux-mêmes. Cependant, dans certaines mafias constituées en groupement, pour éviter cet enchaînement des vengeances, l’autorité du groupement assure la punition du fautif à la place du sous-groupe victime.
Dans le cas de Samuel Paty, son assassin s’est entretenu à plusieurs reprises par messages et appels téléphoniques avec le père qui menait la campagne médiatique de haine contre le professeur, mais il était aussi en contact avec un djihadiste en Syrie. On peut se poser la question de ce qui a déclenché le passage à l’acte.
La première hypothèse est que le père a commandité le meurtre ; or le jeune homme, A.A Anzorov n’a pas reçu d’argent et n’est pas un tueur à gages. Comme il est passé à l’acte, il l’a décidé de lui-même en fonction des arguments du père.
La seconde hypothèse est qu’alerté par les réseaux sociaux, il décide d’organiser cet assassinat. Pour qu’il prenne cette décision, les arguments du père, les conseils du djihadiste et les éléments disponibles sur les réseaux sociaux – comme les opinions haineuses, les commentaires, les condamnations ou les appels à la vengeance – n’ont une influence réelle qu’à partir du moment où ils correspondent et activent ses propres convictions. Il considère alors que ce qu’il croit est légitime.
Tant que les poussées émotionnelles n’obscurcissent pas la raison, chacun de nous analyse les situations et décide de ce qu’il doit faire en fonction d’un principe de réalité, qui compare et hiérarchise nos opinions selon nos croyances et valeurs personnelles, selon les droits et les valeurs des communautés dont nous sommes membres ainsi que des conséquences prévisibles de notre décision. Anzorov a considéré qu’il était légitime de tuer au nom de ses principes religieux.
Claude : Si j’ai bien compris, il impose à autrui sa vision du monde : ceux qui ne pensent pas comme lui, qui n’ont pas les mêmes règles et mêmes lois, et qui n’ont pas les mêmes croyances que lui doivent être punis. Il pense détenir la vérité et que les autres sont dans l’erreur.
Le Maître : En effet, en analysant les motivations, on peut déterminer le cheminement psychique qui permet le passage à l’acte. Donc tu peux regarder si les autres attentats terroristes de ces dernières années procèdent de la même dynamique et identifier les ressorts qui les ont conduits.
Claude : Les premiers faits marquants dont on parle encore et qui peuvent représenter un indicateur fort de la présence du terrorisme islamiste en France sont les attentats de mars 2012.
Le 11 mars 2012 à Toulouse, le Maréchal des logis, chef Imad Ibn Ziaten, un parachutiste français d’origine marocaine, à la suite de l’annonce pour la vente de sa moto, a rendez-vous avec Mohammed Merah, un Franco-Tunisien de vingt-trois ans, pour effectuer la transaction. Sur la vidéo réalisée par Merah, ce dernier demande : « T’es à l’armée ? T’es militaire ? Mets-toi à plat ventre. Allonge-toi. » Merah arme son pistolet, mais Ibn Ziaten reste calme et lui répond « tu ranges ton arme. Je ne me mettrai pas à plat ventre. Tu dégages. » Merah insiste, mais Ibn Ziaten ne bouge pas : « Tu vas tirer ? ben vas-y tire. » Alors Merah indique sa motivation « Tu tues mes frères, je te tue. », puis il abat le militaire.3
Le 15 mars 2012, trois militaires retirent de l’argent à un guichet automatique proche de leur caserne à Montauban. Mohammed Merah, arrivé en scooter, écarte une personne, leur tire dessus et achève l’un deux à terre. Treize étuis de balle seront retrouvés. Il a tué Abel Chennouf, français catholique d’origine maghrébine, puis Mohamed Legouad, français musulman d’origine algérienne, et a blessé grièvement à la tête et aux jambes Loïc Liber, sous-officier français, antillais, qui restera paraplégique. Merah quitte la scène en scooter en criant « Allahu akbar ».4
Le 19 mars 2012, dans le quartier de la Roseraie à Toulouse, Mohammed Merah, qui porte une caméra sur la poitrine, arrive en scooter devant l’établissement scolaire juif Ozar Hatorah et ouvre immédiatement le feu vers la cour de l’école. Il abat devant l’école Jonathan Sandler, rabbin et professeur, qui tente de protéger ses deux enfants de trois et six ans ; le tueur assassine un des enfants qui rampe à terre près de son père et de son frère tués. Dans l’attaque, il a blessé grièvement Aron Bijaoui, un enfant de quinze ans. Il pénètre ensuite dans la cour de l’école et poursuit la fille du directeur, âgée de huit ans, la prend par les cheveux et presse son arme contre la tête de l’enfant. Son arme s’étant enrayée, il prend alors une autre arme et tire dans la tempe de l’enfant. Puis Merah s’enfuit. Cette attaque a fait cinq victimes, quatre personnes tuées, dont trois jeunes enfants et un adolescent blessé.5
Après enquête des services de Police, le 21 mars 2012, le domicile de Mohammed Merah à Toulouse est assailli par le RAID. La porte ayant résisté au bélier, Merah réveillé tire à travers la porte et blesse deux policiers. Il indique aux policiers qui lui demandaient de se rendre qu’il regrettait de n’avoir pas tué plus d’enfants juifs. Plusieurs heures après, quand le RAID commence à donner l’assaut et à progresser dans l’appartement du tueur, il sort de sa cachette, voulant mourir les armes à la main, et attaque les policiers ; il tire sur eux, en blesse deux puis est abattu par les policiers lorsqu’il tente de s’échapper par le balcon.6
Les tueries sont revendiquées par l’organisation Jund al-Kilafah affiliée à Al-Qaïda ; le communiqué précise que Merah s’est entraîné en Afghanistan et est considéré comme un martyr par les combattants d’Al-Qaïda.7
À travers les faits, les dires du terroriste et les revendications, on peut en déduire que les intentions de Mohammed Merah étaient, au nom d’un mouvement islamiste, de s’attaquer, en tuant, à des symboles occidentaux considérés comme ennemis. Cependant, le choix des victimes, personnes juives, d’origine maghrébine ou des Antilles pourrait faire penser à l’action d’une milice fasciste.
Le Maître : Nous discuterons plus loin de ce qui caractérise le fascisme et pourrons nous poser la question du caractère fasciste des mouvements islamistes. Et pour revenir aux choix des victimes et aux motivations de Merah, les militaires visés ne l’ont pas été à cause de leur propre participation à une opération visant les mouvements islamistes, ni à cause de leur origine, religion ou opinion, mais parce qu’ils étaient des soldats. De même, l’adulte et les enfants tués devant et dans l’école juive ne l’ont pas été du fait de leur personnalité (le tueur ne savait pas que l’adulte était un rabbin), ils ont été tués parce qu’ils fréquentaient une école juive.
Les personnes, ce qui en faisait des personnes uniques, leur humanité, n’existent pas aux yeux du terroriste ; il procède à une simplification extrême, il met une étiquette. Il réduit l’autre à ce qu’il veut voir à travers le prisme de ses croyances. Tous les militaires occidentaux, les juifs, sont ses ennemis, qu’importe que ce soient des enfants, ou qu’ils aient la même religion que lui. De plus, il croit que mourir en combattant au nom de l’islamisme lui ouvre l’accès au paradis et qu’il meurt en martyr. Là aussi, il procède à une simplification. En effet, personne ne l’a persécuté, mais il s’est mis lui-même dans une situation dans laquelle la société protège ses citoyens : il n’est pas tué pour ses croyances, il est tué par l’exercice de la violence légitime de l’État.
Claude : Le terroriste et les mouvements islamistes qui revendiquent ces assassinats considèrent donc qu’il est, à leurs yeux, légitime de tuer n’importe quel soldat occidental et toute personne juive.
Je vais maintenant étudier les motivations des attentats de 2015 en évoquant les faits, sans entrer dans les détails qui sont connus et ont fait l’objet de nombreuses publications. Les attentats terroristes islamiques de 2015 commencent le 7 janvier 2015, par l’attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo.
Cet attentat, perpétré par les frères Cherif et Saïd Kouachi, trente-deux et trente-quatre ans, a lieu dans les locaux du journal même et fait douze morts assassinés par armes de guerre, dont huit membres de la rédaction et onze blessés, dont quatre grièvement. Sont assassinés Fréderic Boisseau, responsable des opérations de la société Sodexo en charge de la maintenance du bâtiment, les dessinateurs Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski, la psychanalyste Elsa Cayat, l’économiste Bernard Maris, Mustapha Ourrad correcteur, Michel Renaud invité à la conférence de rédaction, Franck Brinsolaro, policier en charge de la protection de Charb, et un autre policier, Ahmed Merabet, tué dans la rue lors de la fuite des terroristes.8
Deux jours plus tard, les deux terroristes islamistes, se réclamant d’Al-Qaïda, sont tués par le GIGN qui répliquait à leur attaque armée en sortant de l’imprimerie où ils avaient pris des otages et s’étaient retranchés.
Le Maître : On peut en premier lieu examiner les raisons contextuelles qui ont pu désigner Charlie Hebdo comme cible. En effet, ce journal utilise la satire, qui est une critique basée sur la moquerie ; elle utilise des effets d’exagération, de diminution, de comparaison pour montrer le ridicule des personnes, et des situations. Cette critique peut être littéraire comme le pamphlet ou dessinée comme la caricature. La satire est un genre qui est né dans la Grèce antique, s’est épanouie dans la Rome antique et a traversé les siècles jusqu’à nous en restant un genre efficace de critique. Cela a été le plus souvent une critique du peuple ou de ses représentants contre les dépositaires du pouvoir, les puissants et leurs excès, mais aussi contre les travers de la société. Ses représentants les plus connus sont Juvénal, qui s’attaque aux vices de la société latine, Boccace avec le Décaméron, Rabelais dans Pantagruel, Boileau, Voltaire, les caricaturistes dans la presse comme Daumier au XIXe siècle.
Charlie Hebdo s’inscrit dans cette tradition, avec une ligne éditoriale athée, anticléricale, antifasciste et de tendance de la gauche anarchiste, critiquant et se moquant des religions, des politiques, du monde de l’argent et des affaires, en épinglant leurs vices, leurs incohérences (notamment entre le discours et les actes) et leur angélisme. Ce positionnement a valu à Charlie Hebdo de faire l’objet de menaces et de procès de la part des politiques, des associations chrétiennes et musulmanes.
Claude : Les motivations sont d’abord indiquées par les propos des tueurs durant l’attentat ; quand ils pénètrent dans les locaux du journal, ils crient « Allahu akbar » puis demandent où est Charb avant de l’abattre et disent « Vous allez payer, car vous avez insulté le Prophète ! » avant de tirer sur les autres victimes. En quittant les lieux, dans la rue, ils crient plusieurs fois « Nous avons vengé le Prophète Mohammed ! » puis « On a tué Charlie Hebdo ! ».9
Ensuite, le 9 janvier 2015, une revendication d’AQPA – Al-Qaïda Péninsule Arabique – paraît dans The Intercept, journal américain :
« Le commandement d’AQPA a dirigé l’opération et ils ont choisi leur cible pour venger l’honneur du Prophète. La cible était en France en particulier à cause de son rôle évident dans la guerre contre l’Islam et les nations opprimées. L’opération est le résultat de la menace de Cheikh Oussama, qui avait averti l’Occident des conséquences de la persistance du blasphème contre les valeurs sacrées des musulmans. »10
Le lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, le 8 janvier 2015 vers huit heures, à Montrouge, près de l’école-synagogue Yagel Yaacov, Amedy Coulibaly, trente-deux ans, abat en pleine rue Clarissa Jean-Philippe, une policière municipale stagiaire d’origine martiniquaise, et blesse grièvement un agent de la voirie à Montrouge. Coulibaly avait été emprisonné dans les années 2000 pour des délits de droit commun et était devenu, à cette occasion, proche de Cherif Kouachi et Djamel Beghal qui aurait été mandaté par le réseau Ben Laden pour créer une cellule terroriste en France.11
Le vendredi 9 janvier 2015, Amedy Coulibaly, recherché par la police pour le meurtre de la jeune policière, entre dans une supérette de Vincennes et tue trois personnes puis prend en otage dix-sept autres clients dans le magasin Hyper Casher fréquenté par de nombreuses personnes juives en cette veille de Shabbat.
La prise d’otage dure quatre heures. Quelques clients parviendront à se cacher ; deux personnes, dont le directeur du magasin, s’échapperont pouvant communiquer ainsi des éléments capitaux pour les forces de l’ordre et une personne sera tuée durant cette prise d’otages, portant le bilan à quatre assassinats.12 Amedy Coulibaly se réclame de l’État islamique et exige la libération des frères Kouachi (qui sont au même moment assiégés par le GIGN dans l’imprimerie de Dammartin-en-Goële) sinon il exécutera tous les otages.13 Le RAID et la BRI mettent fin à la prise d’otages, en même temps qu’a lieu l’assaut contre les frères Kouachi, sans qu’aucun otage ne soit tué ; durant l’assaut les forces de l’ordre ripostent à l’ouverture du feu par Coulibaly et l’abattent.14
Au cours de la prise d’otages, Amedy Coulibaly va s’exprimer et donner des indications sur ses motivations. Un des otages indique que Coulibaly « pérorait sur les juifs et la Palestine ».15 Coulibaly appelle la chaîne d’information continue BFM TV pour revendiquer son action en se réclamant de l’État islamique et en indiquant qu’il a synchronisé son action contre les policiers à Montrouge avec celle des frères Kouachi contre Charlie Hebdo et qu’il cible les juifs dans l’attaque de l’Hyper Casher.16
Une vidéo d’Al-Qaïda est diffusée le 14 janvier dans laquelle Nasser Ben Ali al-Anassi revendique les attentats de Charlie Hebdo et déclare :
« Des héros ont été recrutés et ont agi, ils ont promis et sont passés à l’acte à la grande satisfaction des musulmans… »
Il rend hommage à Amedy Coulibaly.17
L’État islamique revendique pour sa part les actes de Coulibaly.18
Le Maître : Dans les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, on peut noter, d’une part, que les revendications dépassent la simple injure faite au Prophète et que les terroristes se réclament des musulmans dans leur ensemble ; et d’autre part, que des organisations terroristes à visée politique et hégémonique les soutiennent, voire les arment, pour combattre ce qu’il leur semble être les ennemis des musulmans : les journalistes qui critiquent, les policiers qui représentent l’état laïque et démocratique, les juifs qui accaparent leur terre.
Par contre, les simplifications réductrices des schémas de pensée restent les mêmes, et continuent à servir le renforcement de leurs croyances.
Les analyses des attentats qui ont suivi, ont-elles permis de fournir des éléments complémentaires pour comprendre la complexité des motivations et approfondir les bases des croyances qui amènent les terroristes à agir ?
Claude : Le 13 novembre 2015 en soirée, un premier groupe de trois terroristes – deux Irakiens, entrés depuis peu sur le territoire français, Ammar Ramadan Mansour Mohamad al Sabaawiun (25 ans) et Mohammad al-Mahmod, et un français Bilal Hadfi (20 ans) – tentent de pénétrer dans le Stade de France à Saint-Denis au début du match de football France-Allemagne auquel assistent, en plus d’un nombreux public, le Président de la République François Hollande, le ministre de l’Intérieur et le ministre allemand des Affaires étrangères. Ayant échoué dans leurs tentatives d’entrer dans le stade, peu après le début du match, le premier terroriste active sa ceinture d’explosifs tuant Manuel Dias, chauffeur de car, puis le second kamikaze se fait exploser. Une demi-heure plus tard, le troisième active sa ceinture d’explosifs à quelques centaines de mètres du stade, rue de la Cokerie. Ces trois explosions font, en plus des terroristes, un mort et une dizaine de blessés ; l’attaque aurait pu être beaucoup plus meurtrière si les explosions avaient eu lieu dans les gradins du stade.19
Quelques minutes plus tard, un second groupe de trois terroristes, Brahim Abdeslam, français de 31 ans, Chakib Akrouh, belgo-marocain de 25 ans, et Abdelhamid Abaaoud, djihadiste belgo-marocain de 28 ans (ayant perpétré des actes terroristes en Syrie et supposé être l’organisateur de l’ensemble des attaques), se déplacent en voiture dans le 10e et 11e arrondissement de Paris et tirent à la kalachnikov plusieurs centaines de balles sur cinq terrasses de bars et de restaurants aux cris de « Allahu akbar » et « C’est pour la Syrie ! ». Puis ils entrent à pied dans le bistrot-restaurant « Comptoir Voltaire » où Brahim Abdeslam fait sauter sa ceinture d’explosifs qui blesse grièvement deux personnes outre la mort du terroriste. Les deux autres terroristes s’échappent. L’attaque de ce groupe aura causé la mort de trente-neuf personnes et en aura blessé trente-quatre.20
Une quinzaine de minutes après le début de la seconde attaque, un troisième groupe de terroristes français – composé de Foued Mohamed-Aggad âgé de 23 ans, Ismaël Omar Mostefaï 29 ans et Samy Amimour 28 ans – arrive au théâtre du Bataclan dans lequel joue le groupe américain de rock Eagle of Death Metal ; les assaillants tirent sur des personnes se trouvant devant le théâtre puis pénètrent et tirent des rafales d’armes automatiques sur les spectateurs en criant « Allahu akbar ». Pendant une vingtaine de minutes, les terroristes abattent les uns après les autres les spectateurs et cherchent aussi à s’en prendre aux membres du groupe de rock. Ils utilisent des otages comme bouclier devant les portes et les fenêtres ; puis les forces de police, BRI et RAID, commencent à entrer dans le Bataclan en tuant Samy Amimour qui a le temps de faire exploser sa ceinture. Les deux autres terroristes se replient à l’étage, protégés par une vingtaine d’otages. Après environ une heure de tractations sans succès entre les forces de l’ordre et les terroristes, l’ordre est donné à la BRI d’effectuer l’assaut final pour neutraliser les deux terroristes. Ceux-ci sont tués sans faire de nouvelles victimes chez les spectateurs pris en otage ; puis commence l’évacuation des blessés.
L’attaque dans le Bataclan fait 90 morts et des dizaines de blessés.
Des témoins de l’attaque ont précisé qu’ils avaient entendu les terroristes dire en parlant des musiciens « Ils sont où les Ricains ? C’est un groupe américain, avec les Américains vous bombardez, donc on s’en prend aux Américains et à vous. » Et en justifiant leurs actes : « C’est pour tout le mal fait par Hollande aux musulmans partout dans le monde. »21
L’État islamique, Daesh, revendique les attentats :
« Communiqué sur l’attaque bénie de Paris contre la France croisée »
« 2 Safar 1437. Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. Allah le Très-Haut a dit : et ils pensaient qu’en vérité leurs forteresses les défendraient contre Allah. Mais Allah est venu à eux par où ils ne s’attendaient point, et a lancé la terreur dans leurs cœurs. Ils démolissaient leurs maisons de leurs propres mains, autant que des mains des croyants. Tirez-en une leçon, ô vous qui êtes doués de clairvoyance. Sourate 59 verset 2
Dans une attaque bénie dont Allah a facilité les causes, un groupe de croyants des soldats du Califat, qu’Allah lui donne puissance et victoire, a pris pour cible la capitale des abominations et de la perversion, celle qui porte la bannière de la croix en Europe, Paris.
Un groupe ayant divorcé la vie d’ici-bas s’est avancé vers leur ennemi, cherchant la mort dans le sentier d’Allah, secourant sa religion, son Prophète et ses alliés, et voulant humilier ses ennemis. Ils ont été véridiques avec Allah, nous les considérons comme tels. Allah a conquis par leur main et a jeté la crainte dans le cœur des croisés sur leur propre terre.
Huit frères portant des ceintures d’explosifs et des fusils d’assaut ont pris pour cibles des endroits choisis minutieusement à l’avance au cœur de la capitale française, le stade de France lors du match des deux pays croisés la France et l’Allemagne auquel assistait l’imbécile de France François Hollande, le bataclan où étaient rassemblés des centaines d’idolâtres dans une fête de perversité ainsi que d’autres cibles dans le dixième, le onzième et le dix-huitième arrondissement, et ce, simultanément. Paris a tremblé sous leurs pieds et ses rues sont devenues étroites pour eux. Le bilan de ces attaques est de minimum 200 croisés tués et encore plus de blessés, la louange et le mérite appartiennent à Allah.
Allah a facilité à nos frères et leur a accordé ce qu’ils espéraient (le martyr), ils ont déclenché leurs ceintures d’explosifs au milieu de ces mécréants après avoir épuisé leurs munitions. Qu’Allah les accepte parmi les martyrs et nous permette de les rejoindre. Et la France et ceux qui suivent sa voie doivent savoir qu’ils restent les principales cibles de l’État islamique et qu’ils continueront à sentir l’odeur de la mort pour avoir pris la tête de la croisade, avoir osé insulter notre Prophète, s’être vantés de combattre l’Islâm en France et frapper les musulmans en terre du Califat avec leurs avions qui ne leur ont profité en rien dans les rues malodorantes de Paris. Cette attaque n’est que le début de la tempête et un avertissement pour ceux qui veulent méditer et tirer des leçons.
Allah est le plus grand. Or c’est à Allah qu’est la puissance ainsi qu’à Son messager et aux croyants. Mais les hypocrites ne le savent pas. Sourate 63 verset 8
– Communiqué de revendication de l’État islamique, via l’agence Amaq en version française, diffusé le 14 novembre 2015 » 22
Le Maître : Je constate en premier lieu que les revendications utilisent des références au Coran, même si les versets des sourates sont détournés de l’orthodoxie de l’islam, pour justifier les actions terroristes dans une interprétation de leur vision de l’islam.23
En second lieu, Daesh, un état islamique autoproclamé, revendique les attentats et les inscrit, au niveau de l’immédiat, d’une part, dans une guerre contre l’occident qui est en opération de reconquête en Syrie et en Irak sur les territoires sous le contrôle de l’État islamique, et au niveau historique d’autre part, dans une lutte durable de civilisation depuis la naissance de l’islam avec les « croisés » et les infidèles. Ce schéma construit et favorise l’émergence du projet politique de ces groupes pour établir une domination islamique, il permet d’amalgamer les diverses tendances fondamentalistes radicales de l’islam. Les terroristes ont agi comme des soldats en opération et leurs propos font autant référence à l’islam qu’à une vengeance politique.
Enfin, ils se considèrent comme la main de Dieu : en agissant, c’est Dieu qui à travers eux agit. Et ils considèrent que les morts suicidaires des terroristes leur valent le statut de martyrs. Qu’est-ce qu’un martyr ? Le mot vient du terme grec « témoin » et désigne les personnes qui se laissent tuer pour témoigner de leur foi dans leurs croyances religieuses plutôt que d’abjurer. Par extension, le mot est appliqué à des victimes. Dans les religions, dont l’islam, le martyr ouvre les portes du paradis. Il paraît exagéré d’utiliser le terme martyr pour des personnes qui tuent leur prochain et décident elles-mêmes de se suicider ou de se faire tuer par riposte, en semant la mort autour d’eux. Dans ces cas, l’homme décide, à la place de Dieu, d’Allah, ce qui est juste et qui a sa place au paradis. On voit là que l’on quitte la spiritualité pour aborder un moyen puissant de justification et de manipulation des masses.
Les motivations qui amènent au passage à l’action terroriste sont aussi politiques sous couvert de religion.
Que vont nous apprendre les attentats de 2016 ?
Claude : Le 14 juillet 2016, en soirée, après le feu d’artifice tiré sur la Croisette, un camion conduit par un Tunisien de trente et un an, Mohamed Lahouaiej-Bouhiel, pénètre sur le trottoir et la chaussée de la Promenade des Anglais qui était fermée et réservée aux piétons spectateurs ; il roule sur un kilomètre sept cent en percutant la foule des passants qui déambulaient sur les lieux. Cet attentat fait 86 morts et 458 blessés.24 Il est revendiqué par l’État islamique via l’agence Amaq le 16 juillet au matin :
« L’auteur de l’opération (…) menée à Nice en France est un soldat de l’État islamique. Il a exécuté l’opération en réponse aux appels lancés pour prendre pour cible les ressortissants de la coalition qui combat l’E. I. » 25
En ce même mois de juillet, après deux attaques terroristes en Allemagne (le 18 à Wurtsbourg et le 24 à Ansbach), le 26 à Saint-Étienne-du-Rouvray dans la banlieue de Rouen, deux terroristes, Adel Kermiche et Abdel Malik Petitjean – tous deux Français âgés de dix-neuf ans – pénètrent, munis d’armes factices et de couteaux, dans l’église Saint-Étienne dans laquelle la messe vient de se terminer. Ils crient « Allahu akbar », désignent les chrétiens comme des ennemis des musulmans, renversent les objets posés sur l’autel et ordonnent aux paroissiens de se serrer les uns contre les autres.26 L’un des terroristes se précipite sur le père Hamel, le prêtre qui avait officié et qui les interpellait en leur demandant ce qu’ils faisaient là et de se calmer, alors que l’autre terroriste mettait un smartphone dans les mains d’un paroissien de quatre-vingt-sept ans, Guy Coponet, en exigeant qu’il filme la scène. Le prêtre refuse de s’agenouiller, tombe en arrière et repousse avec ses pieds son agresseur en disant « Va-t’en Satan ! » ; il est alors égorgé. Puis c’est au tour de Guy Coponet d’être poignardé à plusieurs reprises devant son épouse. Pressant sa plaie pour stopper le sang qui jaillit, il fera le mort pendant quarante-cinq minutes.27
Semblant attendre une réaction de la police, les terroristes se montrent prévenants vis-à-vis des femmes, leur indiquant qu’elles sont leurs otages ; ils parlent avec elles de religion et, en évoquant la paix, ils préviennent que « tant qu’il y aura des bombardements en Syrie, il y aura des attentats en France ». Entendant l’arrivée de la police, les terroristes poussent devant eux leurs otages et traversent la sacristie pour sortir.Les forces de police de la BRI et de la BAC ont encerclé l’église ; à la sortie des otages et des terroristes, ils reculent devant l’avancée des otages puis les terroristes se jettent sur les forces de l’ordre en criant « Allahu akbar », et sont alors abattus.28
Dans une vidéo29, les terroristes avaient prêté allégeance à Daesh qui a revendiqué l’attentat avec les mêmes mots que pour celui de Nice.30
Le Maître : Les motivations de l’attentat de Nice et de St Etienne du Rouvray sont les mêmes que pour les attentats du 13 novembre 2015. Cependant, en ciblant une église et en tuant un prêtre catholique, même si le message verbal fait état de représailles par rapport aux opérations dans lesquelles la France coopère en Syrie et en Irak contre l’État islamique, le message délivré par l’acte lui-même est tout autre, il traduit une volonté d’imposer une vision religieuse intégriste ; dans ce sens, cet attentat s’apparente à celui perpétré par Mohamed Merah contre des juifs, des musulmans et des soldats en 2012. On peut aussi noter que les moyens utilisés dans ces attentats de 2016 ne sont pas des armes de guerre, mais des moyens propres au terrorisme : armes blanches et armes par destination.
Enfin, les terroristes qui procèdent aux exécutions et qui le plus souvent cherchent à mourir en « martyr » sont de jeunes hommes musulmans de dix-huit ans à la trentaine. On peut y voir le résultat de l’utilisation de la recherche d’un idéal et de la remise en cause du fonctionnement du monde par une jeunesse, en sortie de l’adolescence, éprise d’un monde plus juste, ce comportement, classique à l’adolescence, manipulé par d’autres à des fins politiques de domination. Pour pouvoir comprendre ce phénomène, il y a lieu d’avoir une vue d’ensemble des mouvements religieux de l’islam pour éviter l’amalgame entre les musulmans, pratiquant l’islam, et les mouvements extrémistes terroristes s’en revendiquant. Aussi, parle-moi de l’islam, des mouvements islamistes et du djihad.
Claude : Comme la plupart des religions, l’islam est composé de divers mouvements et tendances, fruits de l’histoire, des cultures des peuples ayant adhéré à cette religion, des remises en question des pratiques et d’écart d’interprétation des textes fondateurs. L’islam n’est donc pas un mouvement homogène comme la plupart des Occidentaux, qui parlent sans nuance des musulmans, semblent le croire.31
L’islam se compose de deux grands mouvements, les sunnites et les chiites, eux-mêmes divisés en courants.32
Le sunnisme, mouvement majoritaire de l’islam, basé sur les actes et paroles de Mahomet, donc considéré comme orthodoxe, est composé de quatre courants correspondant à des différences de doctrines :
Les Hanafites, implantés en Turquie, en Inde et au Pakistan, donnent une grande importance au jugement personnel du croyant sur le choix de ses actes, cela favorise des interprétations généralement plus modérées.
Les Malikites implantés au Maghreb et au Sahel se basent sur le droit musulman en vigueur à Médine à l’époque du prophète Mahomet tout en accordant de l’importance au jugement personnel.
Les Shaféites, implantés dans le Golfe Persique, Afrique de l’Est et en Indonésie se basent essentiellement sur le droit musulman et en cas de doute à l’opinion la plus proche des sources premières.
Les Hanbalites, implantés en Arabie Saoudite, se basent sur une stricte interprétation du Coran ; ce sont donc les plus conservateurs et les plus rigoureux dans leur pratique de l’islam. Le wahhabisme, mouvement politico-religieux intégriste, qui proclama le djihad contre les sunnites et les chiites jugés trop timorés dans leurs pratiques, est issu de ce courant.
Le chiisme, qui représente environ dix pour cent des musulmans, estime que la succession du prophète Mahomet aurait dû revenir à son gendre Ali et à sa lignée. Les Chiites reconnaissent la direction spirituelle de la communauté à Ali, à ses deux fils martyrs puis aux imams désignés. Ils donnent une importance au clergé très hiérarchisé qui guide la communauté. Le chiisme s’est morcelé en trois courants :
Les Duodécimains ou Imamites, courant majoritaire chiite, implantés en Iran, en Irak et en Lybie, considèrent les douze premiers imams chiites comme infaillibles ; le dernier des douze, Muhammad, mort à douze ans, considéré comme l’actuel imam, le Mahdi, s’est retiré sur ordre de Dieu et réapparaîtra pour instaurer un ordre de justice et de vérité ; cette croyance est semblable au jugement dernier présent dans les religions juive et chrétienne.
Les Zaydites, implantés au Yémen et au Maghreb, ne reconnaissent que cinq imams et leurs croyances sont assez proches des sunnites ; ils rejettent la notion d’imam caché des Duodécimains, leur théologie est basée sur le monothéisme pur, la recherche du bien, la promesse du paradis et la menace du châtiment ; ils croient à la création du Coran, source unique de toute science, et au libre arbitre des croyants.
Les Ismaéliens, implantés au Proche-Orient, en Inde, en Afrique orientale, ne reconnaissent que sept imams. Leur théologie est influencée par les néoplatoniciens et les religions révélées et inclut une vision ésotérique dans la pratique de leur foi. Ils sont divisés en plusieurs sectes, les Nizarites, les Qarmates, les Druzes, les Haschischins, les Alawites.
De plus, comme pour les autres religions monothéistes, d’autres courants minoritaires ont émergé au fil de l’histoire dont certains sont considérés comme apostats ou en marge de l’orthodoxie de l’islam en ayant intégré des croyances et pratiques d’autres religions et des croyances anciennes des régions où ils sont implantés :
Les Ibadites, principalement dominants au Sultanat d’Oman, se concentrent sur la vue islamiste de la vie comme les principes, le travail, l’égalité… dans une pratique puritaine, rigoriste et plutôt tolérante vis-à-vis des autres courants de l’islam ou des autres religions.33
Les Alévis et Alévis Bektâchis sont d’origine turque, turkmène et des Balkans, bien que la religion majoritaire en Turquie soit l’islam sunnite. Ils s’opposent à l’intrusion du pouvoir politique dans le domaine religieux et prônent donc une forme de laïcité ; ils se réfèrent aux livres sacrés du monothéisme, accordent une place privilégiée au savoir, à la science et à l’amour du genre humain.34
Les Ahmadis, considérés comme des hérétiques par la plupart des musulmans, regroupent une dizaine de millions de fidèles répartis essentiellement en Inde et au Pakistan. Ils fondent leur croyance sur une interprétation christologique des textes islamiques relatifs au retour de Jésus.35
Le Mutazilisme, école de pensée, prend du recul par rapport aux dogmes et applique le doute, et l’esprit critique sur les pratiques et les textes de l’islam afin que chaque croyant utilise son libre arbitre36 ; l’Acharisme, école de pensée issue du Mutazilisme, considère que, même si l’homme est libre, c’est Allah qui crée les actes, bons ou mauvais, des hommes et réfute que le Coran soit une création, mais affirme, conformément à l’orthodoxie de l’islam, que le Coran est la parole de Dieu donc incréé37 ; le Coranisme se fonde uniquement sur le Coran et rejette les hadiths, recueils des traditions relatives aux actes et paroles de Mahomet et de ses compagnons.
Le Bahaïsme, issu d’un courant ésotérique chiite, s’est séparé de l’islam ; il est considéré comme une religion abrahamique monothéiste fondée sur un Dieu unique, l’unicité de la religion qui amène à accepter la validité de toutes les religions comme manifestation de Dieu, et l’unicité de l’humanité qui conduit au respect, à la tolérance, à la recherche de l’égalité, à l’abolition des injustices et des discriminations.38
Enfin, des mouvements se sont développés au cœur de l’islam prônant une vision particulière à des fins mystiques ou politiques. Dès le début de l’islam, à l’intérieur des branches sunnites et chiites, une vision mystique et ésotérique de l’islam, le soufisme, a recherché une élévation spirituelle par une initiation en considérant que la réalité comporte un aspect extérieur apparent et un aspect intérieur caché que le soufi doit découvrir pour atteindre la lucidité.39
Des mouvements fondamentalistes se propagent aux dix-neuvième et vingtième siècles dans la plupart des religions en réponse aux dérives, matérialiste et impérialiste, de l’évolution des sociétés. Le fondamentalisme, quelquefois désigné par intégrisme, se caractérise par une vérité intangible, le retour au texte fondateur et le refus de la critique, le strict respect des règles aux dépens de la tolérance, le retour à la tradition et le refus de la modernité, l’exclusion et l’isolement aux dépens du dialogue et de l’échange.40
Au sein de l’Islam, le fondamentalisme, ou islamisme, a donné naissance à la confrérie des frères musulmans dès 1928, au salafisme et à des organisations terroristes comme Al-Qaïda, Boko Haram, Daesh. La confrérie des frères musulmans, organisation transnationale islamiste sunnite intégrant une branche militaire, a pour objectif la renaissance islamique en réaction au modèle occidental ; elle agit au plan politique et social pour implanter sa vision auprès des communautés musulmanes, quel que soit le pays où elles sont situées, et utilise des moyens financiers importants, des associations efficaces, et une pratique de l’influence directe auprès des gouvernements et une influence indirecte par l’intermédiaire de la chaîne de télévision Al Jazeera qui diffuse leurs idées.41
Le salafisme, mouvement fondamentaliste initialement religieux de l’islam sunnite, aspire à un retour aux textes fondateurs de l’islam et aux pratiques en vigueur à l’époque de Mahomet ; à l’intérieur de ce mouvement, trois mouvances coexistent : le salafisme quiétiste qui se consacre à l’éducation et à la doctrine salafiste et ne s’implique pas dans la vie politique et civique, le salafisme politique, dans lequel la confrérie des frères musulmans participe activement et tend à installer des régimes islamistes dans le respect des institutions, et le salafisme djihadiste qui utilise l’action armée et le terrorisme pour l’obtention du pouvoir.42 Les organisations terroristes islamistes appartiennent à cette mouvance et font du djihad le cœur de leurs actions pour établir dans les pays où ils interviennent un état islamique.
Le Maître : Effectivement, l’islam présente de multiples formes, ce qui rend incompréhensible la notion d’islamophobie, d’autant que les divergences sont nombreuses et profondes entre les différents courants et mouvements de l’islam. En effet un chiite qui critique la collusion de l’autorité religieuse et politique d’un pays sunnite est-il islamophobe ? Un certain nombre d’organisations de gauche et d’associations ont crié au racisme, à l’islamophobie dès qu’une critique était émise, empêchant ou disqualifiant toute analyse critique du discours islamiste et de ses liens avec des mouvements se réclamant de l’islam comme les frères musulmans et les salafistes. Lancer cet anathème d’islamophobie a retardé la déconstruction du discours amenant à la radicalisation, et les décisions politiques de lutte contre les mouvements islamistes, ses zélateurs et prédicateurs.
Remontons à l’origine de l’islam pour comprendre les liens qui tendent à unir l’islam et l’action politique dans une grande partie du monde musulman et la justification de l’utilisation de la violence par les plus radicaux.
L’islam naît au VIIe siècle dans la péninsule arabique ; les populations se partageaient entre tribus majoritairement sédentaires dans des oasis et des villes, et des tribus nomades qui opéraient sur une voie commerciale entre l’Asie, l’Afrique et le sud de l’Europe. Depuis les éruptions volcaniques de 535 et 536 qui ont provoqué un mini âge glaciaire43, comme dans les autres contrées du monde, les changements climatiques affectent la prospérité de la région, notamment son agriculture, et favorisent un dépeuplement et l’affaiblissement des royaumes d’Himyar, des Lakmanides, des Ghassanides.
Les tribus arabes adhéraient alors pour la majorité au christianisme et quelques-unes suivaient le judaïsme.44 Cependant, le christianisme, dont les dogmes et l’orthodoxie seront finalisés plus tardivement, est traversé par des courants théologiques contradictoires qui occasionnent de sérieuses controverses sur la nature de la trinité et du Christ. Après l’arianisme qui considère que le Christ n’est pas consubstantiel au Père, mais engendré par lui, en Arabie, les tribus sont confrontées, au moment de la naissance de l’islam, aux diverses controverses entre les Nestoriens, qui considèrent que le Christ est de nature divine, donc parfait, et de nature humaine, donc faillible, les Ébionites, qui considèrent que la nature du Christ est humaine, les Elkasaïtes, qui considèrent que la nature du Christ n’est ni divine, ni humaine, mais angélique, les Monophysites, qui considèrent que la nature humaine du Christ n’est pas distincte de sa nature divine et a donné naissance aux églises orthodoxes orientales et d’Orient, les Nazaréens, qui adhèrent au christianisme et suivent aussi les préceptes judaïques, les chrétiens monothéistes, qui considèrent la dualité de la nature du Christ réunie en une seule volonté et a donné naissance à l’Église orthodoxe lors du schisme de 1054, les chrétiens chalcédoniens, qui considèrent le Christ comme l’union des deux natures, divine et humaine avec chacune sa volonté et son activité, et a donné naissance à l’Église catholique lors du schisme de 1054.45
À cette époque, les questions religieuses se situent au centre de l’existence des individus et des groupes, car elles donnent un sens à leurs actions. Cela explique l’intérêt pour les concepts véhiculés par les différentes religions monothéistes pratiquées par les tribus ; comme l’Arabie est un carrefour proche de la Perse, ses peuples ont aussi connaissance des croyances des zoroastriens qui pratiquent une religion, considérée comme monothéiste, basée sur le combat entre le Bien et le Mal, la Lumière et les Ténèbres. Les Arabes, par les contacts des nomades lors de leurs expéditions commerciales en Asie, ont aussi connaissance du bouddhisme.
Claude : Je ne comprends pas, tu décris, à la naissance de l’islam, une société essentiellement monothéiste, alors que la tradition musulmane décrit la propagation de l’islam en opposition à une société polythéiste. N’est-ce pas contradictoire ?
Le Maître : D’une part, la tradition musulmane a probablement utilisé des arguments favorables à sa propagation ; aussi montrer la victoire de l’islam sur des polythéistes paraissait plus élevé et moral plutôt que montrer la victoire de l’islam sur les autres religions monothéistes abrahamiques, notamment juive et chrétienne, qui prient le même Dieu. D’autre part, le polythéisme, même s’il n’était plus majoritaire, devait encore subsister dans certaines couches de la société, et l’islam, comme les autres religions monothéistes, a intégré et adapté à sa pensée nouvelle des usages, rites, lieux de culte, fêtes d’origine polythéiste, se révélant importants pour la population ce qui a facilité les conversions. Enfin, l’homme n’a pas un fonctionnement cohérent : de la même manière qu’il se veut logique, rationnel, il montre, dans le même temps, sa propension à la superstition, la pensée magique, l’influence de la réaction émotionnelle ; aussi, sur le plan religieux, l’homme – même s’il croit à un Dieu unique de manière consciente – reste imprégné d’une tradition polythéiste millénaire dans son inconscient.
À la naissance de l’islam, le déclin économique et politique se poursuivait et les controverses religieuses favorisaient un certain délitement de la société arabe ; dans ce contexte, plusieurs prophètes, issus de la classe dirigeante des tribus, ont chacun prêché une nouvelle doctrine intégrant plus fortement les rites et usages issus du polythéisme comme le pèlerinage à la Kaaba. Parmi eux, Musaylima al-kadhdhâb chef de la tribu arabe des Banu Hanifa avait commencé à prêcher, un peu avant Mahomet, un Dieu unique miséricordieux et avait reçu, par l’intermédiaire de l’ange Gabriel, une révélation appelée Coran.46 Entre ces prophètes concurrents, Mahomet de la tribu de Quraych à la Mecque, cité carrefour de routes caravanières, petit fils du chef du clan Banu Zuhrah, reçoit, en l’an 610, la révélation, Coran, de l’ange Gabriel et commence à rassembler un groupe de fidèles, appelés musulmans en référence à Abraham. Il est chassé de La Mecque à la mort de son oncle alors chef du clan, car les autorités pensent que ses croyances vont déranger la base de la prospérité de la ville, les foires et les pèlerinages. Il se réfugie à Yatrib, Médine, où vit un groupe de ses disciples et continue l’expansion de son mouvement.
Manquant de moyens, Mahomet et ses disciples montent des expéditions contre des caravanes qui échouent jusqu’à la bataille de Badr où ils remportent la victoire et prennent un butin extrêmement important faisant de Mahomet l’homme le plus riche de Médine et lui permettant d’obtenir le pouvoir politique, religieux et militaire sur Médine composé de tribus arabes et juives. Par la Constitution de Médine, il établit alors un pouvoir supra-tribal qui précise les droits et devoirs de cette communauté, l’Oumma, de nature religieuse, accessible à tous par la conversion. Il crée donc un État théocratique monothéiste qui va surtout s’étendre par la conquête et la force.
Les autorités de la Mecque, persécutant les musulmans et les empêchant d’accéder à la Kaaba pour des pèlerinages traditionnels, Mahomet et les musulmans, voulant stabiliser et étendre leur influence, s’affrontent à plusieurs reprises ; les affrontements ont avant tout un caractère matériel et d’autorité tribale plus que religieux. Après la défaite du Mont Uhud en 625, Mahomet remporte, en 627, une victoire importante devant Médine, la bataille de la Tranchée, à la fin de laquelle il fait exécuter les hommes, une centaine, de la tribu juive Banu Qurayza (l’ayant trahi) et vend comme esclaves femmes et enfants.47
À l’occasion d’un pèlerinage à La Mecque avec mille quatre cents pèlerins musulmans, en 628, une trêve est conclue entre les Mecquois et Mahomet, ce qui ouvre le pèlerinage à la Kaaba aux musulmans. La trêve rompue en 630 par l’attaque d’une tribu alliée de La Mecque, Mahomet marche sur La Mecque qui se rend sans combattre, la plupart de ses habitants se convertissant à l’islam, et débarrasse le site de la Kaaba de ses idoles pour en faire un lieu de culte de l’islam.48
De 630 à sa mort, en 632, Mahomet poursuit la conquête de l’Arabie en ralliant les tribus arabes et en prenant par la force les villes juives d’Arabie ; il unifie l’Arabie sous l’égide de l’islam, impose un impôt annuel, met fin aux razzias et déclare que le musulman est sacré pour le musulman.49 L’État théocratique monothéiste est alors en place en Arabie et devient califat, lors de la succession de Mahomet, avec le premier calife Abu Bakr.
Commence alors une ère d’extension de l’islam extrêmement rapide qui utilise la violence pour la conquête et une certaine tolérance pour se maintenir, notamment la liberté de culte pour ceux qui ne se sont pas convertis. De 632 à 732, année où ils sont arrêtés en Gaule à Poitiers par Charles Martel, les califes de l’islam ont conquis une grande partie du monde méditerranéen (l’Égypte, l’ensemble du Maghreb, l’Espagne, la Syrie), du monde Persique (l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan) et de l’Asie centrale se confrontant avec les Chinois en 751.50. Cet ensemble n’est pas uniforme, car, à l’intérieur de l’Islam, des luttes de pouvoirs liées à la légitimité des califes entraînent des affrontements violents entre musulmans et des séparations entre sunnites et chiites.
Le projet initial de l’islam étant théocratique, politique et religieux, amène de ce fait les conséquences de tout projet politique expansionniste : confrontation avec ses voisins, période d’échanges voire de coopération ce qui a permis la diffusion des connaissances et des savoirs faire. Au onzième siècle, l’islam a grignoté peu à peu les territoires asiatiques de Constantinople puis a conquis la ville faisant s’écrouler l’Empire Byzantin en 1453. Les croisades aux onzième et douzième siècles, pour libérer les lieux saints chrétiens, ont stabilisé la pression de l’islam sur l’Europe ; en Espagne, la résistance à l’islam contre le califat de Cordoue a débuté dès l’an 800, organisée par les Francs puis des rois chrétiens au nord du pays et enfin par les rois de Castille et d’Aragon soutenus par les autres états chrétiens. Elle a repris une bonne partie du pays en faisant tomber Cordoue et le califat en 1236, et ce qui reste de la présence musulmane en Espagne ; l’Émirat de Grenade est reconquis en 1491.51
Aux onzième et douzième siècles, l’islam a poursuivi sa conquête de l’Inde en faisant des massacres d’hindous considérés comme mécréants et en rasant des lieux de culte hindous et bouddhistes52 ; l’expansion de l’islam a duré jusqu’à son apogée, au seizième siècle, avec l’Empire Moghol qui se décomposera à partir de 1707.
Claude : Effectivement quand on regarde l’histoire de l’islam, outre la civilisation brillante qui a prospéré grâce à une certaine unité dans le monde musulman allant de la frontière de la Chine à l’Espagne et a permis le partage et la diffusion de connaissances, de technologie et de savoir-faire assurant son rayonnement, l’islam apparaît comme conquérant et violent ; ne dit-on pas que l’islam est la religion de la victoire comme on dit que le judaïsme est la religion de l’errance, et le christianisme la religion de la souffrance et du pardon ? Le Coran, qui est le livre saint des musulmans, alimente-t-il cette vision violente et conquérante de l’islam ?
Le Maître : Le Coran, considéré comme la révélation de Dieu à Mahomet, est un texte d’abord transmis oralement avant d’être écrit. Il n’a ni logique chronologique ni organisation par thèmes ; les sourates les plus longues précèdent les plus courtes, cela est peut-être dû à l’apprentissage oral. Son contenu parle de Dieu, de ce qu’il a créé, qu’il a parlé aux hommes à travers les prophètes de la Bible et Jésus, qu’il a enseigné les lois relatives au culte et aux comportements des humains, et qu’il les ressuscitera, les jugera et les rétribuera dans la vie future.
Ce texte contient des éléments qui peuvent être considérés comme universels et intemporels comme :
« La piété ne consiste pas à tourner votre face vers l’orient ou l’occident » le Coran (II, 177),53
« Célèbre les louanges de ton Seigneur et demande-lui pardon » (CX),
« Une parole convenable et un pardon sont meilleurs qu’une aumône suivie d’un tort » (II, 263),
« Ne tuez personne injustement, Dieu vous l’a interdit » (VI, 151)
Mais il contient aussi des éléments qui dépendent du lieu ou de l’époque et qui ne peuvent s’appliquer universellement comme l’infériorité de la femme :
« Les femmes ont des droits équivalents à leurs obligations, et conformément à l’usage. Les hommes ont cependant une prééminence sur elles. » (II, 228)
Ou comme la limitation à quatre épouses légitimes et le droit de conserver des captives de guerre comme concubines, ou la description d’un Paradis pour des hommes du désert, une oasis fertile avec des vierges. Il contient enfin des éléments, appelant à la violence, qui sont probablement dépendants du contexte situationnel ou relationnel de l’époque, par exemple :
« Telle sera la rétribution de ceux qui font la guerre contre Dieu et contre son prophète, et de ceux qui exercent la violence sur la terre : ils seront tués ou crucifiés, ou bien leur main droite et leur pied gauche seront coupés, ou bien ils seront expulsés du pays. » (V, 33)
« Après que les mois sacrés se seront écoulés, tuez tous les polythéistes, partout où vous les trouverez ; capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades » (IX, 5)
Ce qui amène quelquefois à des contradictions comme la protection des gens du Livre et leur condamnation :
« Tu trouveras que les hommes les plus proches des croyants par l’amitié sont ceux qui disent : oui, nous sommes chrétiens » (V, 82),
« Ô vous qui croyez ne prenez pas pour amis, les juifs et les chrétiens » (V, 41),
« Ceux qui croient : les juifs, les sabéens et les chrétiens – quiconque croit en Dieu et au dernier jour et fait le bien – n’éprouveront plus aucune crainte et ils ne seront pas affligés » (V, 69),
« Ceux qui disent : “Dieu est, en vérité, le Messie, fils de Marie” sont impies » (V, 17),
« Combattez (…) ceux qui, parmi les gens du Livre, ne pratiquent pas la vraie Religion » (IX, 29).
Cela montre aussi que Mahomet s’impliquait dans les controverses christiques de son époque et que lui et ses compagnons s’étaient engagés dans un conflit mimétique avec les autres monothéismes.
Le Coran en lui-même n’est pas violent bien qu’il contienne de nombreux versets pouvant être interprétés comme tel ; comme les autres textes religieux de référence des religions monothéistes, il demande une exégèse et une étude théologique pour être correctement compris par les croyants.54
Claude : L’islam étant composé de nombreux courants, peut-il y avoir des interprétations différentes, voire divergentes, du Coran ?
Le Maître : Une partie des courants de l’islam garde une vision théocratique, le lien entre le politique et le religieux donne alors au contenu du Coran une dimension de référence comme le préambule de la constitution et la Déclaration des droits de l’homme pour l’État laïc français ; et parmi ces théocraties, il peut y avoir des interprétations différentes en fonction des courants issus du sunnisme ou chiisme.
À l’intérieur des courants de l’islam, une vision essentiellement spirituelle centrée sur la relation intime de la personne avec Dieu s’est développée, assez tôt dans l’histoire de l’islam. Cette vision de la pratique religieuse, soufisme ou influencée par le soufisme, permet la tolérance religieuse notamment avec les autres monothéismes, la pleine compatibilité avec des états laïques et avec la démocratie. Les interprétations du Coran, dans cette pratique de l’islam, va dépendre du courant auquel le croyant adhère, de l’imam de la mosquée où il pratique et de son propre jugement. En France, une grande partie des musulmans suivent cette voie.
Claude : D’où vient le djihad dont les islamistes se servent pour accomplir leurs actions terroristes ?
Le Maître : Le djihad dans l’islam orthodoxe est, en premier lieu, dit djihad majeur, une lutte contre soi-même pour se rapprocher de Dieu puis d’agir pour améliorer la société ; en second lieu, dit djihad mineur, c’est une guerre sainte contre les infidèles ou les musulmans apostats ou considérés comme hérétiques, guerre qui épargne les enfants, les femmes, les prêtres et les vieillards sans armes ; cette guerre sainte doit répondre à une agression, l’occupation d’une terre musulmane par exemple. Les raisons pouvant justifier la guerre sont la défense de la communauté musulmane comme dans l’exemple précédent, la protection de l’opprimé, la sauvegarde de la foi, protéger sa propre personne, redresser des torts. Sont considérées comme illégitimes l’agression et la violence qui ne répond pas à une agression.55
Une des sources coraniques du djihad, dans le sens de la guerre sainte, se trouve dans la sourate VIII verset 39 :
« Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition, et que le culte soit rendu à Dieu en sa totalité. S’ils cessent le combat, qu’ils sachent que Dieu voit parfaitement ce qu’ils font. »