L'Almanach des voyageurs - Collectif - E-Book

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Beschreibung

Oui, l’écrivain-voyageur français existe ! Et il a des choses à dire sur l’état du monde. Une idée simple est toujours une bonne idée. Par-delà le temps et l’espace, douze écrivains-voyageurs d’aujourd’hui, et de grand talent, ont envoyé une lettre à un personnage du passé à la fois pour lui rendre hommage et pour lui faire part de leurs sentiments. Sont ainsi conviés à ce banquet : Joachim du Bellay, le petit dieu des carrefours, Nicolas Bouvier, Ernest Hemingway, Joshua Slocum, Henry Morton Stanley, le marquis de Custine, Louis-Ferdinand Céline, Isabelle Eberhardt, Ewart Grogan, le maître Rûmî, Yakov Sannikov, et un voyageur du futur… De quoi faire le tour du monde, tel qu’il tourne, tel qu’il est ou tel qu’il devrait être.
Par POUSSIN, Alexandre; POTOSKI, Antonin; WENDLANDT, Astrid; POITEVIN, Charles; GARCIN, Christian; FAUQUEMBERG, David; BERNARD, Elodie; FAYE, Eric; NOLLET, Estelle; JAN, Guillaume; BLANC-GRAS, Julien; COATALEM, Jean-Luc; PERRIER, Jean-Claude

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Couverture

Page de titre

En guise d’avant-propos

Jean-Claude Perrier

Mon cher Joachim,

Pardonnez cette familiarité, mais je vous lis depuis si longtemps et avec tant de ferveur que j’ai un peu l’impression de vous connaître.

Ma lettre va vous surprendre, où que vous vous trouviez, quelque part sur le mont Olympe aux côtés des Immortels, au paradis des Poètes, dans les prairies du Grand Manitou, ou même chez vous, en Anjou. Qui sait ? Elle va surprendre aussi, peut-être, ses autres lecteurs.

Car enfin, vous n’êtes pas exactement un « écrivain voyageur ». Plutôt le symbole du voyageur malgré lui, poussé par les circonstances à abandonner foyer et patrie, son fameux « petit Liré » avec sa « douceur angevine », pour courir l’aventure, en quête de réussite sociale, matérielle. Grandes espérances et autant de désillusions. Des siècles après vous, et toutes proportions gardées, un certain Rimbaud suivra un peu le même parcours. Si ce n’est que lui, semble-t-il, et sous réserve de la découverte fracassante, quelque part au Harrar, d’une malle d’inédits qui révolutionneraient toute l’histoire de la littérature, avait, dès le pays natal quitté, renoncé à l’écriture. Tandis que vous, Joachim, tout au rebours, avez sublimé votre déception, exprimé votre colère, magnifié votre taedium vitae dans Les Regrets, puis dans Les Antiquités de Rome. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les voyageurs sont souvent de grands mélancoliques, des âmes en peine, à la manière d’un Loti, par exemple, ou d’un Chatwin, méditant sur la vanité des entreprises humaines, regrettant des paradis perdus et que les civilisations, si brillantes fussent-elles, soient, elles aussi, mortelles.

Tout voyageur, on le sait bien, et malgré qu’il en ait parfois, s’emmène avec lui dans ses bagages, et c’est cela le cœur même, la raison d’être de son œuvre. Ce qui nous requiert, dans la littérature de voyage, c’est bien sûr la contrée, le paysage ou le monument décrits, les autochtones et leurs mœurs, surtout quand elles sont « exotiques », mais c’est surtout l’écrivain, sa façon de voir et de dire, son style. Le récit de voyage, genre littéraire noble s’il en est et aujourd’hui, grâce à quelques illustres, considéré à sa juste place, est avant tout un exercice de style.

Et justement, c’est à un exercice de style, avec motif imposé mais dont chacun a su à sa façon aménager la contrainte, que se sont livré les douze écrivains voyageurs du présent recueil. Jean-Luc Coatalem, s’adressant au petit Hermès qui protégeait les carrefours, se concilie d’abord les bonnes grâces des dieux, indispensables pour ce genre d’entreprise ; Christian Garcin célèbre Nicolas Bouvier et son humour ; Estelle Nollet nous révèle quelques extraits de sa correspondance avec « Papa » Hemingway ; David Fauquemberg nous fait (re)découvrir le très méconnu Joshua Slocum ; Guillaume Jan hasarde ses tongs dans les traces de Stanley au Congo ; Astrid Wendlandt polémique avec le marquis de Custine sur sa vision de leur chère Russie ; Charles Poitevin se met dans la peau d’un frère de Céline ; Antonin Potoski s’attache à Isabelle Eberhardt, seule voyageuse de notre caravane ; Alexandre Poussin suit minutieusement la piste d’Ewart Grogan, son prédécesseur en Afrique ; Élodie Bernard nous initie au maître soufi Rûmî, le « Sultan des savants » ; Éric Faye revisite l’âpre Sibérie en compagnie du pionnier Yakov Sannikov ; Julien Blanc-Gras, enfin, imagine ce que pourrait être le voyage dans les temps futurs, tout en espérant que cela n’arrive jamais !

Nos écrivains sont de génération, de formation, d’idées dissemblables. Ils ont en revanche bien des points communs : le talent, le plus précieux. Mais aussi l’ouverture à l’autre et au monde, la générosité, l’humour, l’enthousiasme. Ne serait-ce que celui de participer à cette belle aventure, destinée, outre la qualité intrinsèque de chacun des textes, écrits spécialement pour le recueil, et leur variété, à montrer urbi et orbi que les grands travel-writers ne sont pas tous morts et anglo-saxons !

Que les auteurs soient remerciés, ainsi que Marc Wiltz, l’éditeur de Magellan & Cie, qui a bien voulu nous accueillir dans son caravansérail. Le déroulé de leurs textes est à la fois aléatoire et alchimique. Au lecteur sagace d’y déceler d’éventuelles correspondances.

Quant au titre Almanach, volontairement « rétro », il souhaite à la fois se situer dans une tradition, et suggérer d’autres livraisons possibles. C’est un vocable ancien que vous avez pu connaître, mon cher Joachim, puisqu’il remonte à 1391. Le mot français est dérivé du latin médiéval almanachus, lui-même emprunté à l’arabe al-manakh, et dont l’étymon probable est à chercher du côté de l’ancien syriaque. Les mots ne sont-ils pas la plus belle façon de voyager et de faire partager le voyage ?

Permettez-moi, cher Joachim, de vous adresser, en signe d’admiration et de gratitude, un exemplaire de notre Almanach des voyageurs à Liré, riante commune du Maine-et-Loire près d’où vous êtes né, au château de la Turmelière dont demeurent, semble-t-il, encore quelques vestiges. Rien à voir avec les « fronts audacieux » de ces « palais romains » qui vous impressionnaient, ni ces ruines antiques qui vous flanquaient le bourdon. Si votre corps, après votre mort subite et prématurée, à trente-sept ans, à Paris, fut enseveli dans le chœur de la cathédrale Notre-Dame (mazette !), votre âme vagabonde, elle, doit toujours pérégriner au-dessus de cet Anjou que vous aimiez tant.

Puissiez-vous prendre plaisir à nous accompagner dans ce voyage de papier.

Éloge du petit dieu des carrefours

Jean-Luc Coatalem

S’il y a bien un dieu auquel je pourrais croire, ce serait celui des carrefours. Il peut prendre l’apparence d’un arbre, d’un taillis, d’un oiseau perché, d’une limace au verso d’une pierre humide. Il est à la fois dans le vent tombé là comme un voltigeur blessé au milieu des herbes embrouillées et le gargouillement de la rivière serpentant sous les joncs. Ce petit dieu se tient au croisement des routes et des chemins, et il veille – en Inde, il n’est pas rare qu’un autel, lui servant d’abri, soit garni de fleurs, de bougies et d’aumônes. Quelle est la question ? Où aller ? À droite, à gauche, tout droit ou, au contraire, en arrière. À chaque fois, quelle que soit sa réponse, ce facétieux murmure son : « Va ! » Et il a toujours raison car, au fond, tous les chemins se valent. Après mille détours, ils mènent au même endroit. À cet « ici » vers lequel il nous faut revenir pour chanter ce que furent nos « ailleurs ».

Car, derrière l’ivresse des kilomètres et des frontières, le jeu des coïncidences et des rebonds, nous ne cessons de remonter vers ce lieu premier où quelque chose d’intime s’est fondé : un creuset de lectures, d’attractions irrépressibles et de rêveries. Celles-ci ont affleuré dans les albums racontés par une voix aimée, alors que la nuit montait dans la chambre. Elles ont pris leur essor avec les atlas éclairés par le rond de la lampe de poche. Elles sont devenues des mots-silex et des noms-dynamite : Désirade, Bujumbura, Kamtchatka, Orénoque, Yang Tsé Kiang, Saigon. Enfin, elles se sont concrétisées dans ces romans et ces récits qui furent nos premiers appareillages…

Stevenson, Rimbaud, Cendrars et Morand, Loti, Segalen, Kerouac et Gauguin ont été alors autant de combustibles pour alimenter nos machineries somnambules. À des années de distance, ceux-là auront été des éclaireurs et des compagnons de cordée dans l’ascension du mont invisible : cavalant après eux vers Lhassa, brimbalé dans un autre wagon pour Vladivostok, ému à mon tour par les apsaras dansantes d’Angkor que l’aube redessinait… Car comme un écrivain est d’abord un lecteur passionné, qui n’écrit jamais que parce qu’il a lu les autres, ajoutant à la grande chaîne son modeste maillon de papier, le voyageur a besoin de ce cercle d’initiés pour se risquer à son tour sur les pistes de latérite et les chemins de loess – les voyageurs d’avant, d’à côté, comme ceux d’autrefois, eux-mêmes inscrits dans des hommages plus ou moins avoués, des reconnaissances, une quête initiatique réamorcée, servant de « passeurs » magiques. À croire que n’existerait vraiment que ce qui a déjà été reconnu…

Et pour tous, ce fut pareil. Ainsi, entre cent exemples pour les mers du Sud et la Bretagne, Jack London qui navigua dans le Pacifique sur les traces de Stevenson (que Marcel Schwob, ensuite, tenta d’atteindre), lui-même ayant en tête l’aventure de Melville aux Marquises. Ou le Brestois Victor Segalen, encouragé par Saint-Pol Roux, exilé à la pointe du Finistère dans une « Maison du Jouir » bretonne, à pérégriner sur les pas de Gauguin devenu marquisien (son ombre solaire rejointe ensuite par Gerbault et Matisse). Le peintre de Pont-Aven avait fait son butin d’un songe outremer éclos chez Loti, alors que celui-ci traquait le souvenir de son frère, un médecin en poste à Papeete. Et que dire d’André Breton, lecteur enfièvré de Rimbaud et collectionneur de fétiches polynésiens, qui chercha dans la forêt serrée du Huelgoat les « trois points consacrés » où Segalen, revenu de Tahiti et de Chine, trouva la mort parmi des rochers verts et une jungle de ronces, obsédé par la présence fraternelle du poète de Charleville ?

Bref, tous, avec cette quête d’inconnu qui est aussi l’élucidation de sa propre étrangeté, l’énigme de soi, ce « mystère » des choses autres que, justement, exigeait Gauguin pour peindre. L’héritage devient un rébus et un éblouissement. Le blanc des cartes, un échiquier et un miroir. Et son propre visage, un kaléidoscope d’emprunts, de trous et d’imitations que la route offre et dérobe à la fois. Et il ne s’agit plus seulement de circonscrire l’espace qui nous entraîne dans sa boucle, mais bien de chanter ce déplacement ou, mieux, de le « danser » comme on dit des masques d’Afrique utilisés lors des cérémonies. Afin d’atteindre ce « plus rien hors de soi » que réclamait Claudel. Qui voudrait d’un monde qui ne soit pas enceint et démuni de tempo ?

Les prétextes sont, dès lors, nombreux. Tout peut servir d’étoupe, devenir matière dès lors qu’elle concrètise « l’inéluctable impulsion d’errer ». Un livre, un nom, un objet, un autre que soi. Un manque insoupçonné. Une « terrible démangeaison d’inconnu », résumera Gauguin qui courut les océans et cassa son dos dans le canal du Panama. Oui, l’écho d’un appel et, soudain, à travers ces objets du hasard et du désir, ce sentiment géographique, cette faille du monde auquel il faudra céder. Il n’y a plus qu’à se laisser glisser à la rampe des longitudes, vers ce que Segalen appelle le « Divers ». C’est là, dans l’altérité, que tout commence et recommence…

Pour Bruce Chatwin, il s’agit d’un fragment de cuir de brontosaure, ramené par un aïeul, qui déclenche son désir de Patagonie, puis le récit décousu de ses oncles éparpillés à travers le globe, Walter au Caire, Victor au Yukon et Robert en Extrême-Orient… Pour Loti, le cabinet de curiosités de la tante Berthe qui, à l’étage de la maison, serre des papillons épinglés, des cormorans empaillés et des coffres remplis du sable de ses « îles » fantasmées, entendez la Polynésie et Oléron. Pour Segalen, le Jardin botanique de l’hôpital maritime de Brest, empli de palmiers, où il récite son Rimbaud « loin de l’ennui grisaillant qui sourd de la petite Bretagne », à moins que ce ne fussent ces bibelots exotiques, rapportés par les officiers de la Royale, et par une figure mythique, le capitaine Siméon, qui rendaient tout, en comparaison, insupportable d’étroitesse. Pour Larbaud, une rêverie continue de principautés improbables, de drapeaux, de palais et de bolides. Plus près de nous, chez l’écrivain russe Vassili Golovanov, un palimpseste de légendes et de récits d’explorateurs sur l’île polaire de Kolgouev (Éloge des voyages insensés), gros gâteau gelé d’équipées et de récits antérieurs qu’il reprend, puis abandonne. Ou, plus modestement, la cantine de mon grand-père brestois, Camille, lieutenant d’infanterie coloniale, parti barouder en Indochine à la fin des années 1920 et tombé amoureux de la mousson sur le delta et des plantations d’hévéas. Ouvrir sa cantine cabossée, où il avait remisé casque en sureau et étui à pistolet, c’était déjà pousser au-delà de la rade. Il me fallait voyager puis écrire pour le rattraper. Il n’est de réel que n’ait fait germer la levure de l’imaginaire…

Oui, héritiers des livres et des songes, nous restons les fils de nos enfances et de nos appétits mélangés. Avec, au retour, ultime escale, rassasié des rencontres et de l’étonnement des paysages, rincé surtout de ses fantasmes et de ses a priori, le miracle de l’instant reconnu et accueilli. Et le sentiment d’être arrivé au plus près de soi et du vivant, creusé par ce qui vous a empli. Tant pis, alors, si son petit « moi » amenuisé ne ressemble plus qu’à un vieux savon dans un bordel chinois ! La montagne et son vertige tiennent là, ensemble. À l’égal de ce Robinson Crusoé qui, ayant fait le tour de son rocher, découvre une empreinte merveilleuse et terrifiante, qui n’est autre que… la sienne. Mais, libéré de lui-même, le naufragé couronné de fougères peut alors, enfin, nommer le fracas et le silence vibrant de l’île. Il en est la conque, le son, le souffle et la buée. « L’immensité, c’est moi », gueulait London sur le pont de son Snark.

Qui vive ? Qui passe ? Toi, encore, et en deux fois, à l’aller et au retour, répond le petit dieu des routes et des croisements. Puis il ajoute : mais jamais plus tu ne seras le même, tu as éprouvé ce qu’était le « Divers », et les confins t’ont ramené à cette rose des vents sur les cartes, où l’aiguille de la boussole n’a pas cillé. Alors, pose ton sac, mets tes godillots à sécher, ouvre ton carnet de mots et de dessins, et raconte. Ta vie singulière, au tamis de l’Autre, recommence. Tu es multiple. Tu es toi-même carrefour.

Une première version de ce texte est parue dans le numéro 521 du Magazine littéraire (juillet-août 2012).

« L’Intranquillité heureuse »

Christian Garcin

Mon cher Bouvier,

Autant vous le dire tout de suite : je ne suis pas très amateur de livres de voyage. Me fiant aux destinations qu’ils évoquaient, que je connaissais ou dont je me sentais proche, j’ai plusieurs fois commencé la lecture de beaucoup d’entre eux, qui très vite ne m’ont plus guère intéressé, et souvent je ne les ai pas terminés. Disons que ce genre de littérature ne m’intéresse pas a priori, et ce même si les destinations dont il est question exercent sur moi un quelconque attrait. Pour quelqu’un qui comme moi voyage beaucoup, et écrit parfois sur ses voyages, le fait que j’aie du mal à lire une bonne part de cette littérature-là peut surprendre. Mais c’est ainsi. J’ai l’impression que trop souvent l’auteur se contente de décrire platement son périple : j’ai fait ceci, je suis allé là, et puis ici, et là, j’ai vu ceci – et cela m’assomme. Vous aurez compris que les seuls livres de voyage, ou sur les voyages, qui m’intéressent, sont ceux qui sont d’abord soutenus par une langue, et qui lorgnent autant vers l’extérieur que vers l’intérieur. L’important n’étant pas de savoir s’il s’agit ou pas de littérature de voyage, mais s’il s’agit ou pas de littérature, tout court (si je puis dire). Or, bien souvent, dans les genres trop clairement affichés, le sujet dépasse la forme, et c’est regrettable.

Et puis il y a vous. Vous, c’est différent. Si j’ouvre un livre de vous, au hasard, et lis une page, n’importe laquelle, je me trouve saisi. Je lisais récemment un article sur Fernando Pessoa, dans lequel l’auteur écrivait : « Émotion. Attachement. Et tout de suite une lumière. Un très délicat bonheur d’être là, vivant, à lire ça. (…) Il vous prépare aux heures d’intranquillité heureuse. »

L’intranquillité heureuse : voilà, c’est exactement ça.

Je vous ai découvert un jour par hasard, vers le milieu des années 1980, dans une revue (Caravanes) qui publiait de vous un texte sur la ville chinoise de Xian, où je ne m’étais pas encore rendu – il me faudrait pour cela attendre quelques années encore. Je me souviens que je l’avais lu à haute voix à ma compagne de l’époque, tant je l’avais trouvé ciselé, évocateur et sensible. Oui, cela surtout : sensible, et bienveillant. Il me semble que beaucoup de poètes et prosateurs d’aujourd’hui écrivent avec un petit sourire en coin, adoptant une posture qui pourrait se situer à mi-chemin entre « voyez comme je suis habile » et « à moi on ne me la fait pas ». Disons que ce sont des petits malins talentueux, dont la prose ou la poésie, si intelligentes soient-elles, me tombent généralement des mains. Lorsqu’on vous lit, vous, qui êtes à la fois poète et prosateur, qui habillez votre prose d’une cadence poétique qui vous est propre (« La cadence, disait Caillois : le rythme, plus une idée de la grâce »), on discerne aussi un sourire, certes, mais il n’est pas en coin. Je veux dire qu’il est le signe d’un humour bienveillant et distant, poliment désespéré aussi, et pas d’une ironie égocentrée.

J’avais quelque peu oublié ce petit texte sur Xian, que j’avais pourtant relu au moins une fois lorsque je m’étais procuré le livre dans lequel il figure (Journal d’Aran et autres lieux). Je viens donc de le relire, en me demandant ce qui, dans son traitement, avait pu ainsi me séduire au point qu’il était devenu la rampe de lancement des futures lectures de vos livres. Et j’y vois plusieurs choses, outre le ton lui-même dont je parlais plus haut : « ciselé, évocateur, sensible », etc., catégories abstraites dont il conviendrait de donner au moins un exemple, mais ce serait encombrer cette lettre de trop longues citations.