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Extrait : "C'est à l'Orient qu'est due l'invention des appareils névro-balistiques dérivés de l'arc ; l'origine de cette découverte se perd dans la nuit des âges. Pline nous apprend que les Crétois inventèrent le scorpion ; les Syriens, la catapulte ; les Phéniciens, la baliste – mais sans assigner de date à l'apparition de ces engins."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Veröffentlichungsjahr: 2015

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PREMIÈRE PARTIETemps antérieurs à l’invention de la poudre
CHAPITRE IArtillerie névrotone

SOMMAIRE. Historique. – Principes de construction du matériel d’artillerie névrotone. – Nomenclature des engins. – Vitesses initiales et portées. – Projectiles. – Batteries. – Restitution de pièces névrotones.

C’est à l’Orient qu’est due l’invention des appareils névro-balistiques dérivés de l’arc ; l’origine de cette découverte se perd dans la nuit des âges. Pline nous apprend que les Crétois inventèrent le scorpion ; les Syriens, la catapulte ; les Phéniciens, la baliste – mais sans assigner de date à l’apparition de ces engins. Certain texte de la Bible est plus précis à cet égard ; un passage des Paralipomènes nous fait connaître que, vers l’an 810 avant notre ère. Ozias arma les remparts de Jérusalem de « machines construites par un ingénieur, pour lancer des traits et de grosses pierres ». Deux siècles plus tard, Ézéchiel menace la ville sainte des balistes de Nabuchodonosor, et Jérémie prophétise que le grand roi dressera contre elle des « machines de cordes ». Diodore de Sicile commet donc une erreur quand il rapporte l’invention des armes de jet à l’époque du concours ouvert par Denys l’Ancien (399 av. J.-C.), entre les ingénieurs de Sicile et ceux de l’étranger, en vue de la construction d’un nouveau matériel de guerre. C’est également à tort qu’Élien attribue à Denys le Jeune l’invention de la catapulte. Les ingénieurs du quatrième siècle ne firent vraisemblablement que perfectionner des appareils déjà connus et de création sans doute bien antérieure au temps d’Ozias, c’est-à-dire au neuvième siècle (av. J.-C.).

La renaissance des appareils orientaux sous la main des ingénieurs de Denys frappa la Grèce d’admiration, mais aussi de terreur. Ωλετο άρετύ ! « Adieu, bravoure ! » s’écriait Archidamus, fils d’Agésilas, à la vue d’un trait de catapulte apporté de Syracuse. On avait beau gémir, l’élan était donné ; toutes les puissances voulurent avoir de l’artillerie sicilienne. La Macédoine ne fut pas la dernière à entrer dans cette voie nouvelle, car, durant ses campagnes d’Asie, l’armée d’Alexandre était accompagnée d’un parc d’appareils névrotones. Ultérieurement, à la bataille de Mantinée, on voit Machanidas appuyer le front de ses troupes d’une rangée de machines de jet. Depuis lors, l’artillerie de campagne et de siège ne cesse de figurer dans l’histoire des armées de terre ; elle trouve aussi son emploi dans la marine, témoin les huit « pierriers » dont Archimède arme son grand navire la Ville de Syracuse.

Jusque vers le milieu du deuxième siècle avant notre ère, la puissance des gros engins balistiques, spécialement affectés au service de l’attaque et de la défense des places, provient exclusivement de la force de torsion d’un système de faisceaux de fibres élastiques, telles que tendons ou nerfs, cheveux, crins, chanvre, etc. Ces fibres tordues actionnent des leviers propulseurs, à la manière d’une corde de scie agissant sur son taquet de serrage. De là la détermination générique de tormenta donnée par les Latins aux appareils névrotones, et ce nom se retrouve encore dans nos écrivains du seizième siècle sous la forme de tormens bellicques.

Considérés au point de vue de la nature du projectile, les pièces névrotones de l’antiquité se distinguent en oxybèles, lithoboleset polyboles – celles-ci lançant à volonté des pierres ou des traits. En ce qui touche aux différences essentielles de leurs dispositions organiques, elles se classent en monancones et ditones. Les machines à deux « tons » étaient le plus en usage ; le matériel antique en comprenait deux variétés : les euthytones et les palintones.

Onagre lithobole monancone

Cette dernière classification n’est pas, comme l’ont voulu quelques commentateurs, issue de la diversité de forme des trajectoires, mais bien du fait de deux modes d’action de la corde archère. Les euthytones sont à tension directe ; la tension se fait à revers dans les palintones.

La nomenclature du matériel d’artillerie névrotone peut, jusqu’à certain point, se restituer. On distinguait parmi les tormenta : le gastraphète, espèce d’arbalète primitive ; l’arcubaliste, la toxobaliste, la manubaliste, armes de jet portatives ; le scorpion et la chirobaliste, sa similaire ; la carrobaliste ou baliste sur roues, pièce de campagne ; l’onagre ; la baliste et la catapulte, pièces de siège. Faite pour percer les boucliers de l’ennemi, la catapulte était un grand scorpion oxybèle euthytone ; affectée au service des bombardements, la baliste était lithobole palintone.

Théoriquement, les projectiles des machines de jet de gros calibre avaient des vitesses initiales variant de 60 à 65 mètres, et environ 375 mètres de portée. Les pierriers d’Archimède lançaient, à 185 mètres de distance, des blocs du poids de 80 kilogrammes ; des poutres à armatures de fer, de 6m,50 de longueur. La flèche de la chirobaliste avait une vitesse initiale d’environ 50 mètres et une portée maxima de 275 mètres ; on la tirait ordinairement à 90 mètres du but à atteindre.

Les engins névrotones lançaient aussi des projectiles incendiaires tels que barils emplis de poix enflammée, barres de fer rouge et falariques. La falarique était, suivant Tite-Live, un javelot garni d’étoupes enduites de poix.

Les pièces d’artillerie névrotone ne s’employaient pas isolément ; on en formait des batteries (βελοστάσεις). L’usage des batteries de siège et des batteries de place remonte à la plus haute antiquité ; les opérations de la défense de Syracuse et de l’attaque de Jérusalem sont demeurées célèbres, à raison du rôle dévolu au matériel d’artillerie de place et de siège.

Les principaux types névrotones ont été l’objet d’une restitution opérée de la main habile du général de Reffye. Les salles du musée de Saint-Germain offrent aux regards du visiteur :

Une catapulte oxybèle, ditone et euthytone, dont les tons sont en nerfs filés et tordus. Exécuté dans les proportions indiquées par Héron et Philon, cet engin donne à son projectile une portée de 180 à 200 mètres ; – une catapulte de même genre, mais de plus grand module et ne mesurant pas, sur son affût, moins de 2m, 80 de hauteur ; – une catapulte polybole, exécutée d’après les indications d’un relief de la colonne Trajane. Montée sur chariot, cette pièce de campagne pouvait lancer à 300 mètres une flèche ou carreau du poids d’un kilogramme. Un tel projectile pourrait dans ces conditions traverser de part en part le corps d’un cheval, deux ou trois épaisseurs de clayonnages et autres obstacles de résistance analogue ; – un onagre lithobole monancône, restitué d’après le texte d’Ammien Marcellin et lançant à 250 mètres des pierres de 2 kilogrammes et demi. (Voy. la fig. 1).

Ultérieurement, M. V. Prou, si prématurément enlevé à la science, a publié une excellente restitution du gastraphète et du scorpion.

CHAPITRE IIArtillerie chalcotone

SOMMAIRE. Une invention de l’ingénieur Ctesibius. – Avènement des ressorts en bronze. – Perfectionnement des engins chalcotones. – Travaux de Philon de Byzance.

Quelle qu’en fût la disposition organique, les appareils à tons étaient affectés d’un défaut grave : essentiellement hygrométriques, ils se détraquaient sous l’action de la pluie ou d’un simple brouillard, et les organes en étaient vite paralysés. Un grand perfectionnement se produisit au cours de la célèbre période Alexandrine, laquelle embrasse l’intervalle de temps compris entre le siècle d’Alexandre et le siècle d’Auguste. Vers l’an 120 avant notre ère, apparut Ctesibius, le célèbre ingénieur auquel on attribue l’invention du piston et de la première machine à air comprimé (άερότονον όργανον). Ce novateur eut l’idée de remplacer les faisceaux de fibres élastiques – tendons, chanvre, cheveux ou crins, – par des ressorts en bronze écroui (ελάσματα χαλxά) ; de substituer ainsi à l’organe névrotone, reconnu défectueux, un appareil métallique qui prit le nom de χαλxότονον öργανον et fut immédiatement appliqué aux engins de petit calibre. Si cet appareil chalcotone ne réussit point à se substituer aux faisceaux névrotones dans la construction des machines de jet de gros calibre, ce fut sans doute à raison de l’état de l’industrie, alors impuissante à fabriquer des ressorts de grandes dimensions. D’ailleurs, la réparation d’un engin névrotone était toujours facile en tous lieux ; on pouvait en confier le soin aux premiers ouvriers venus. La rupture d’un ressort prenait, au contraire, les proportions d’un accident irréparable. Quoi qu’il en soit, l’apparition des appareils de jet à ressorts de bronze fut saluée avec enthousiasme par les anciens, notamment par Philon de Byzance qui s’appliqua et réussit à en perfectionner le mécanisme.

CHAPITRE IIIArtillerie sidérotone

SOMMAIRE. Une idée de l’ingénieur Héron d’Alexandrie. Invention des ressorts d’acier.

Suivant la même voie que son maître, un élève de Ctesibius – le non moins célèbre Héron d’Alexandrie – introduisit dans le matériel balistique de nouveaux et importants perfectionnements. Ses relations avec Rome lui avaient permis d’apprécier la valeur des aciers espagnols et, vers l’an 100 avant Jésus-Christ, il créait une pièce à ressorts d’acier (χαμξέστρια). Cette pièce, c’était la fameuse chirobaliste ou manubaliste qui porte son nom. Restituée par M. Prou, l’arquebuse dite chirobaliste a été exécutée en vraie grandeur par M. Albert Piat, constructeur-mécanicien. Elle figurait à l’Exposition de 1878, à Paris.

Les engins balistiques sidérotones étaient, à juste titre, renommés pour la simplicité et la précision de leur manœuvre. Inventés en Égypte, ils furent bien vite adoptés par les Romains qui avaient, comme on sait, coutume de tirer parti de toutes les découvertes de l’étranger. Il est certain que, lors de la guerre des Gaules, le matériel de campagne de Jules César comprenait des pièces d’artillerie sidérotone.

Les légions de l’Empire furent dotées du même armement. Durant cette période impériale, les Romains savaient le fabriquer eux-mêmes ; leurs principaux ateliers de construction étaient établis en Gaule – à Strasbourg, à Soissons et à Trèves. Leurs arsenaux fonctionnaient sous la direction d’un haut personnel dont l’échelle hiérarchique comprenait les grades d’architectus ou ingénieur, de tribunus armaturœ ou armaturarum, tribunus fabricæ ou fabricarum, rector armaturarum, etc. Les travaux y étaient exécutés par des artifices et des fabricenses. À chaque légion était, d’ailleurs, attaché un détachement d’ouvriers chargé de l’entretien du matériel sous les ordres de deux officiers supérieurs : le præfectus castrorum et le præfectus fabrum.

Le Moyen Âge ne fait que continuer la période gallo-romaine. Des déserteurs ou prisonniers romains apprennent aux Franks l’art de la fabrication du matériel d’artillerie gréco-romaine. Les batteries du siège de Saint-Bertrand de Comminges sont établies sur le modèle de celles de Jules César. Ultérieurement, Charlemagne a des engignéours qui lui construisent des machines de jet semblables à celles des empereurs de Byzance. Les Normands, qui assiègent Paris en 885, et Gerbold, qui défend la place sous les ordres d’Eudes et de Gozlin, ont des balistes, des catapultes et des mangonneaux ou appareils « monancônes ». Philippe Auguste, Philippe le Bel ont toujours le même matériel d’artillerie ; ils font usage d’arbalètes à tour. On se servira encore de balistes névrotones au siège de l’Écluse (1587), c’est-à-dire à la fin du seizième siècle.

CHAPITRE IVArtillerie trébuchante

SOMMAIRE. Les trébuchets. – Description d’Egidius Colonna. – Jeu des appareils trébuchants. – Essais de restitution. – Expériences de Vincennes.

En même temps que d’engins névrotones, le Moyen Âge fait usage de machines de jet dont la construction est basée sur le principe de la fronde et du fustibale. Ces machines sont désignées sous la dénomination générique de trébuchets.

« Les machines pierrières, dit Egidius Colonna, se réduisent à quatre genres ; dans toutes ces machines il y a une verge qu’on élève et qu’on abaisse au moyen d’un contrepoids, à l’extrémité de laquelle est une fronde pour jeter la pierre. Quelquefois le contrepoids ne suffit pas, et alors on y attache des cordes pour relever la verge.

Le contrepoids peut être fixe ou mobile, ou tous les deux à la fois. On dit le contrepoids fixe quand une boîte est fixée invariablement à l’extrémité de la verge et remplie de pierres ou de sable ou de tout autre corps pesant. Ces machines, appelées anciennement trabutium, lancent plus régulièrement parce que le contrepoids agit toujours uniformément.

Trébuchet chargé

D’autres machines ont un contrepoids mobile, fixé autour du fléau, ou bien autour de la verge tournant autour d’un axe. C’est cette espèce de machine que les Romains appelaient biffa. Elle diffère en effet du trébuchet ; car, comme le contrepoids est mobile autour de la verge, ce mouvement lui donne plus de force, mais le tir n’est pas aussi régulier.

Le troisième genre, qu’on appelle tripantum, a deux contrepoids : l’un, adhérent à la verge ; et l’autre, mobile autour de la verge ; et, à cause de cela, il lance plus droit que la biffa et plus loin que le trébuchet.

Le quatrième genre est une machine où, au lieu de contrepoids, il y a des cordes qui sont tirées par des hommes. Cette dernière machine ne lance pas d’aussi grandes pierres que les trois précédentes, mais il ne faut pas non plus autant de temps pour la mettre en ordre ; aussi peut-elle lancer plus promptement. »

En somme, le trébuchet consiste en une longue poutre (flèche ou verge) tournant autour d’un axe horizontal porté par des montants ; la verge se met au bandé par le moyen du jeu d’un treuil. Un des bouts de la fronde est fixé à un anneau placé près du bout de la flèche, dont l’extrémité se prolonge en un crochet légèrement courbe ; l’autre bout de la fronde forme une boucle qui entre dans ce crochet. Cette partie de la flèche étant en bas, la fronde est placée horizontalement dans un auget. Le projectile est mis dans la poche de la fronde, dont la boucle entre dans le crochet qui termine la flèche. Le contrepoids se trouve alors en haut et la flèche est maintenue dans cette position par un déclic.

Que ce déclic déclenche… aussitôt le contrepoids tombe, la flèche tourne autour de son axe, entraînant la fronde, et, à raison de l’action exercée par la force centrifuge, la direction de cette fronde se rapproche de celle de la flèche. Un moment arrive où la boucle glisse sur le crochet,… alors l’échappement se produit et le projectile, abandonné à lui-même, continue le mouvement commencé. Ainsi qu’on le voit, la fronde était l’organe essentiel de la machine ; elle donnait une portée double de celle qu’on eût obtenue si la flèche avait été terminée en cuilleron, comme dans l’onagre d’Ammien Marcellin.

Le trébuchet comportait un tir courbe, analogue à celui de nos mortiers ; il avait pour projectiles des sphéroïdes de pierre, des barils emplis de feu grégeois ou de matières en putréfaction, des lingots de fer rougis au feu, des quartiers de chevaux morts et même des hommes vivants.

Il a été fait, en 1850, à Vincennes, une restitution du trébuchet du Moyen Âge. Le modèle qu’on a construit avait une flèche de 10m,30, et un contrepoids de 4 500 kilogrammes ; son propre poids total s’élevait à 17 500 kilogrammes. Cet appareil a permis de lancer à 175 mètres un boulet de 21 ; à 145 mètres, une bombe de 22, emplie de terre ; à 120 mètres, des bombes de 27 et de 32, chargées de même.

Tir du trébuchet
DEUXIÈME PARTIEArtillerie à feuTemps de l’emploi des bouches à feu à âme lisse
CHAPITRE ITreizième siècle

SOMMAIRE. Découverte de la poudre à canon. – Invention des armes à feu. – L’artillerie à feu au siège de Sidjilmessa.

Il est certain que la poudre à canon doit son origine à l’art des compositions incendiaires et des feux d’artifice ; – que l’introduction du salpêtre dans ces compositions est due aux Chinois ; – que les Arabes leur ont emprunté ces connaissances ; – que ceux-ci sont les premiers qui se soient servis de la poudre à l’effet de lancer de petits projectiles ; – que l’emploi de cette force projectrice remonte chez eux à la seconde moitié du treizième siècle. L’inventeur des armes à feu est cet Arabe inconnu qui eut l’idée de mettre de la poudre dans un madfaa (tube) pour projeter une aveline ou une flèche, au lieu d’une pelote de composition incendiaire. Il a suffi de perfectionner le procédé pour arriver, avec le temps, à obtenir de puissants effets.

Ni Albert le Grand (mort en 1280), ni Roger Bacon (mort vers 1294) n’a connu la force projectrice de la poudre à canon ; il est certain que cette poudre n’était pas employée de leur temps dans leurs pays. Ce n’est que dans la première moitié du quatorzième siècle qu’on en constate l’usage, importé en Occident par les Maures. Ceux-ci – le fait est certain – avaient de l’artillerie à feu dès la fin du treizième siècle… « Abou Yousouf, sultan du Maroc, dit Ibn Khaldoun, forma le siège de Sidjilmessa l’an 1273 de notre ère. Il dressa, pour s’en rendre maître, des appareils tels que… dès hendam à naphte qui jettent du gravier de fer, lequel est lancé de la chambre (du hendam) en avant du feu allumé dans du baroud (poudre à canon) par un effet étonnant, et dont les résultats doivent être rapportés à la puissance du Créateur… »

La question de date de la mise en service des premières bouches à feu nous semble ainsi nettement résolue.

CHAPITRE IIQuatorzième siècle

SOMMAIRE. Berthold Schwartz. – Les mortiers. – Bouches à feu de Gênes, de Metz et de Florence. – Vases de Forli. – Bombardes et pots-de-fer. – Pot-de-fer de Rouen. – Matériel d’artillerie des sièges de Thin-l’Évêque, de Puy-Guilhem, de Cambrai, du Quesnoy. – Ateliers de construction de Cahors. – Siège d’Aiguillon. – Artillerie anglaise de campagne. – Journée de Crécy. – Matériel français de campagne. – Canons, espringolles, ribaudequins. – Matériel de montagne. – Ordonnance royale de 1354. – Matériel de siège de Du Guesclin. – Bombardes de gros calibre.

C’est en l’an 1313 qu’apparaît en Europe la première bouche à feu. « Pendant cette année, dit Lenz, pour la première fois, fut trouvé en Allemagne l’emploi des canons, par un moine ». L’invention – qui n’en était pas une – paraît due au hasard. Certaine quantité d’un mélange de salpêtre et de matières combustibles ayant été laissée dans le mortier où elle avait été triturée et recouverte d’une pierre, une étincelle pénétra dans ce vase… et la pierre fut violemment projetée en l’air. De là l’idée de se servir de ce moyen pour lancer des masses pesantes ; de là le nom de mortiers donné aux bouches à feu primitives. Le moine Berthold Schwartz était fortuitement entré dans la voie que suivaient résolument les Maures depuis plus d’un demi-siècle.

Les plus anciennes bouches à feu qui aient été régulièrement mises en service paraissent être celles dont les Génois se servaient en 1319. À quelque temps de là (1324), les Chroniques de Metz signalent dans l’armement de la ville l’introduction d’un canon et d’une serpentine. Deux ans après (1326), un acte du gouvernement de Florence porte officiellement « autorisation aux prieurs, au gonfalonier et aux douze bons hommes de déléguer une ou deux personnes pour faire confectionner des balles de fer et des canons de métal (canones de metallo), qui seront employés à la défense des camps et du territoire de la république ». En 1331, il n’est bruit que des vases de Forli ; cette dénomination de vase semble devoir s’appliquer génériquement aux bouches à feu du temps. Plusieurs documents du quatorzième siècle nous font connaître qu’on se servait alors de vases et de pots-de-fer pour lancer de gros projectiles, et que ces pots ou vases étaient aussi dits bombardes. Ce nom de « bombardes », qu’on dit provenir de l’assemblage des mots bombus et ardere, a sans doute, à l’origine, servi à désigner des globes creux, en bois ou métal, emplis de matières incendiaires ; puis vraisemblablement il sera passé du projectile à l’appareil projetant.

Il n’est pas hors de propos de suivre chronologiquement en France les premiers pas de l’enfance de l’art. La plus ancienne bouche à feu dont il y soit fait mention est le pot-de-fer de Rouen, canon de petit calibre dont le « carreau » (grosse flèche à base carrée) ne devait pas être d’un poids supérieur à 200 grammes. On lit, en effet, dans un document de 1338 : « Sachent tous que je, Guillaume du Moulin, de Bouloigne, ai eu et receu de Thomas Fouques, garde du clos des galées du Roy nostre sire, à Rouen, un pot-de-fer à traire garros à feu, quarante-huit garros ferrés et empanés en deux cassez, une livre de salpêtre et demie livre de souffre vif pour fare poudre pour traire les diz garros… »

En 1339, les Français ont de l’artillerie de siège en batterie devant les châteaux de Thin-l’Évêque et de Puy-Guilhem. La même année, le sire de Cardaillac, qui semble avoir présidé à l’organisation de l’artillerie du temps, reçoit un matériel destiné à la défense de Cambrai, alors assiégé par Édouard III d’Angleterre. « Sachent tuit, écrit-il, que nous sires de Cardaillac, et de Bieule, chevaliers, avons eu et receu de monsieur le Galois de la Balmes, maistre des arbalestriers, pour dis canons, chinq de fer et chinq de métal, liquel sont tout fait, dou commandement doudit maistre des arbalestriers, par nostre main et nos gens, et qui sont en la garde et en la deffense de la ville de Cambray, vingt et chinq livres deus sous et sept deniers tournois… » Ces pièces devaient encore être d’assez petit calibre.

L’année suivante (1340), tandis que les Maures d’Afrique, unis aux Maures d’Espagne, assiègent Tarifa « avec des machines et des engins de tonnerre », les Français attaquent le Quesnoy avec canons et bombardes lançant de gros carreaux. Le nom de « tonnerre » commence à s’appliquer aux bouches à feu ; déjà même il est officiel, puisqu’on trouve, dans la comptabilité de la place de Lille (Exercice 1341), cette mention significative :

« À un mestre de tonnoire, pour le dit tonnoire faire, XI livres XII sous VIII deniers. »

La dénomination était appelée à prévaloir en France sous l’influence de la relation des évènements qui s’accomplissaient en Espagne ; le roi Alphonse XI faisait le siège d’Algésiras (1342). Les Français apprenaient alors que « les Maures de la ville tiraient beaucoup de tonnerres vers le camp contre lequel ils lançaient des boulets de fer aussi gros que les plus grosses pommes, et ils les lançaient si loin de la ville que les uns passaient au-delà du camp et que les autres l’atteignaient… » et, à ce moment même. Pétrarque écrivait : « … Je m’étonne que vous n’ayez pas aussi de ces glands d’airain qui sont lancés par un jet de flamme avec un horrible bruit de tonnerre. »

Mais les Français du temps n’avaient pas besoin de prêter l’oreille à des conseils de ce genre ; ils possédaient depuis longtemps des ateliers de construction de matériel d’artillerie. En 1345, par exemple, il se fabrique à Cahors vingt-quatre canons de fer destinés au siège d’Aiguillon.

On se demande dès lors pourquoi nos aïeux se sont laissé devancer par leurs adversaires en fait de mise en service d’un matériel d’artillerie de campagne ; comment il se fait que, à la bataille de Crécy (1346), Philippe de Valois n’ait pas eu de bouches à feu à opposer aux TROIS canons anglais dont le tir eut alors en Europe un retentissement si prolongé. « … Bombarde che facieno si grande tremuoto e romore che parea che iddio tonasse, con grande necisione di gente e sfondamento di cavalli !… » C’est à cette néfaste journée de Crécy qu’on a coutume de rapporter l’origine de l’artillerie à feu, mais on vient de voir que l’emploi des engins de ce genre remonte à une époque bien antérieure.

En résumé, jusque vers le milieu du quatorzième siècle, les armes à feu employées en France lancent le plus souvent des carreaux, tandis que l’artillerie italienne se sert déjà de projectiles métalliques de forme sphéroïdale. Les canons de cette époque sont encore de très petit calibre ; le plus gros projectile lancé ne paraît pas avoir pesé plus de trois livres et eût été, par conséquent, impuissant à renverser un obstacle de quelque valeur.

La dure leçon de Crécy ne devait pas être perdue pour les Français, car on les vit aussitôt se procurer des bombardes de campagne, analogues à celles du prince de Galles ; des canons et espringolles pareils à ceux que les Anglais « avaient de pourvéance en leur ost et pourvus de longtemps et usagés de mener ». Nos premiers canons de campagne étaient placés, au nombre de trois ou quatre, sur un train à deux roues ; cette espèce de voiture ou brouette s’appelait ribaudequin ou ribaudeau.

À cette époque apparaît aussi le premier matériel d’artillerie de montagne. Enfin, les villes se procurent un matériel de place ; elles instituent à l’envi « … maistres canoniers et bombardiers pour gardeir, aviseir et entretenir iceux engins et artillerie en boin estat, comme pour s’en servir, quand la cité en aura besoing et nécessité ».

C’est en 1554 qu’on commence à construire nombre de pièces de gros calibre, et ce, en exécution d’une ordonnance royale ainsi conçue : « Le XVIIe may mil trois cent cinquante-quatre, ledict seigneur roy estant acertené de l’invention de faire artillerie, trouvée en Allemagne par un moine nommé Berthold Schwartz, ordonne aux généraux des Monnoies faire diligence d’entendre quelles quantités de cuivre estoient audict royaume de France, tant pour adviser des moyens d’iceux faire artillerie que semblablement pour empescher la vente d’iceux à estrangers et transport hors du royaume ».

On a bientôt des pièces de siège de calibre capable d’intimider les gouverneurs de forteresses. C’est moyennant l’emploi d’un matériel de ce nouveau genre que les geteours (artilleurs) de Duguesclin emportent Tarascon (1368).

 
« Et dit aux geteours : Faites et si getez !…
Nous averons la ville, si croire me volez. »

Les premières grosses bombardes pesaient environ 2 000 livres ; mais, l’impulsion française une fois donnée, les puissances européennes ne s’arrêtèrent plus dans la voie qui venait de s’ouvrir. Augsbourg coula des pièces destinées à lancer des boulets de pierre de 50, 70 et 126 livres ; en 1380, les Vénitiens se servaient des calibres de 140 et 195 livres ; au siège d’Audenarde (1382), les Gantois avaient en batterie une bombarde mesurant 50 pieds de longueur.

En somme, durant la seconde moitié du quatorzième siècle, le nombre et la puissance des bouches à feu s’accentuent. Les unes se font en fer forgé ; les autres, en alliage de cuivre et d’étain ou en fonte de fer. Les petits calibres lancent encore des carreaux, mais aussi des balles de plomb ; les gros calibres, des boulets de fer ou de pierre. Certaines bombardes en fer projettent des boulets de pierre de 450 livres. Ces pièces monstres, qui composaient primitivement la totalité de l’armement, sont peu à peu remplacées par des canons en bronze ou en fonte de fer.

CHAPITRE IIIQuinzième siècle

SOMMAIRE– Matériel de place de gros calibre. – Énorme poids des projectiles. – Célèbres bombardes de Constantinople, de Gand, d’Édimbourg et de Bâle. – Matériel français de campagne. – Matériel suisse. – Siège du mont Saint-Michel. – Siège d’Orléans. – Jeanne d’Arc et maître Jehan. – Tristan l’Ermite. – Les frères Bureau. – Maître Giraud. – L’artillerie de Charles VII.– Le premier « Traité » d’artillerie à feu. – L’artillerie de Louis XI.– Galiot de Genouillac. – Emploi des premiers boulets en fonte de fer. – Premières fonderies de canons. – Les Douze Pairs. – Expériences de tir. – L’artillerie de Charles le Téméraire. – Matériel français de campagne. – Les quatre bandes d’artillerie. – L’artillerie de Charles VIII.– Mise en service d’un matériel considérable de bouches à feu de bronze, lançant des boulets en fonte de fer. – Invention du tourillon. – Campagne d’Italie. – Jean Doyac. – Première idée du projectile creux.

Durant la première moitié du quinzième siècle, l’artillerie française va réaliser des progrès remarquables. Christine de Pisan en constate, dès l’an 1410, l’importance au point de vue de l’art de la défense des places. « … Pour garnison de la défense, dit-elle, convient avoir pouldre à foison et plusieurs pierres, tampons… bacines à piez et à queue pour alumer le feu… À brief dire, tous engins propres et convenables à lancer dehors bombardes et grosses pierres doivent être appiliez et, avec ce, très bonne garnison de la pouldre qu’il y convient. Premièrement, à tout le moins, douze canons gettant pierres dont deux plus gros que les autres pour rompre engins… Sy suppose donques une très forte place assise sur mer d’une part, ou sur une grosse rivière, grande, forte, très difficile à prendre.

Item quatre grans canons : l’un appillé Garite, l’autre Rose, l’autre Sénèque et l’autre Marge ; le premier, gettant de quatre à cinq cens pesant ; le second, gettant environ trois cens livres ; et autres deux, gettant deux cens livres au plus. Item ung autre canon appelé Montfort, gettant trois cens livres pesant et, selon les maistres, est cestui le meilleur. Item un canon de cuivre appelé Artigue, gettant 100 livres pesant. Item vingt autres communs canons, gettant plommez et pierres communes de 100 à 120 livres. Item deux autres grans canons et six plus petits. Item encore deux autres gros canons, gettant pesant de trois à quatre cents livres, et quatre petits. Autres trois canons, ung grand et deux petits. Item autres 25 canons grands, gettant de deux à trois cents et quatre cents livres pesant, et 60 autres petits ; et tous doivent estre estoffez de pier de lays et de ce qui y appartient. Lesquels dits canons font en somme 248, qui diversement sont nommés par ce que diversement sont assis selon l’assiette de la forteresse… »

Les bouches à feu de cette époque assurent à la défense grande supériorité sur l’attaque. Les gros calibres sont, plus que jamais, de mode en Europe ; on voit des bombardes lançant des pierres du poids de 600 à 1500 livres, en Italie (1405 et 1426) ; de 300 livres, à Brunswick (1406) ; de 192 livres, au siège d’Orléans (1428) ; de 600 livres, aux Dardanelles (1452) ; enfin, de 1 800 livres au siège de Constantinople (1453). Vers le même temps (1452), les Gantois se servent d’une bombarde du poids de 33 600 livres, dont le boulet de pierre pèse plus de 600 livres, et dont la chambre peut contenir 140 livres de poudre. Cette bombarde, qu’on voit encore à Gand sur la place du Marché, mesure 5m,025 de longueur et 0m, 638 de calibre. Parmi les grosses pièces de cette époque il faut citer aussi la bombarde d’Édimbourg et la bombarde de Bâle ; celle-ci passe pour avoir appartenu à Louis XI. Valturio (Valturius), qui écrivait son traité de Re militari dans la première moitié du quinzième siècle, nous a laissé les dessins des pièces d’artillerie en usage de son temps. La figure 4 représente une bombarde amenée, par le moyen d’une chèvre, sur le chariot qui doit la transporter. Si l’on considère le nombre de brins qui fonctionnent en cette chèvre, il faut admettre que la pièce devait être d’un poids et d’un calibre considérables.

Bombarde du quinzième siècle, d’après un dessin de Valturio

En même temps que des pièces de siège et place, on apprécie la valeur d’un matériel d’artillerie légère. Nos aïeux, par exemple, ont des bouches à feu de campagne en la trop fameuse journée d’Azincourt (1415). « Là, dit Monstrelet, les François étoient bien cent cinquante mille chevaucheurs et grand nombre de chars et charettes, canons, ribaudequins et autres babillements de guerre. » Ces ribaudequins prirent bientôt le nom d’orgues.

Considérées comme éléments de fortification mobile les premières bouches à feu de campagne se disposaient avec les chariots à l’entour d’un corps d’armée, pour en défendre les approches. Mais, dès les premières années du quinzième siècle, l’artillerie, séparée des voitures à bagages, prend position sur le front ou sur les ailes des troupes d’infanterie. « Les canonniers, dit Christine de Pisan, sont arrangés comme les arbalétriers et les archers. » Ils se forment « en batterie ».

Batterie de canons de campagne du quinzième siècle, d’après une miniature des Vigiles de Charles VII

Dès avant le milieu du quinzième siècle, les Suisses avaient, sur affûts à roues, des canons appelés tarrasbuchse et constituant déjà un progrès des plus remarquables ; ils avaient aussi une pièce dite « canon à grêle » (hagelbuchse).

Cette première moitié du quinzième siècle comprend l’une des plus rudes périodes de la guerre de Cent Ans. Les Anglais attaquent le mont Saint-Michel, le dernier palladium de la France, depuis que l’abbaye de Saint-Denis est tombée en leur pouvoir ; mais, forcés de lever le siège (1423), ils abandonnent devant la place plusieurs bombardes des calibres de 0m,37 et 0m,47, et d’une longueur de cinq calibres.

À quelque temps de là (1428), s’ouvre le siège d’Orléans. L’artillerie de la défense est placée sous la direction d’un canonnier lorrain, très habile en son art. Maître Jehan était secondé par Jeanne d’Arc, dont le duc d’Alençon a dit : « Tous s’émerveillaient que si hautement et si sagement elle se comportât en fait de guerre, comme si c’eût été un capitaine qui eût guerroyé l’espace de vingt ou trente ans, et surtout en l’ordonnance de l’artillerie. » Cette enfant de dix-huit ans savait effectivement tirer bon parti des bouches à feu qu’elle avait à sa disposition ; elle en formait des batteries puissantes, établies en des positions bien choisies ; son coup d’œil était remarquable. Elle n’avait pas dix-neuf ans quand les Anglais l’ont fait assassiner.

Canon de campagne du quinzième siècle, d’après un manuscrit de Froissart

Donc Jeanne d’Arc avait donné grande importance à l’artillerie ; son œuvre fut continuée par Tristan l’Ermite et les frères Bureau qui succédèrent à Tristan. Grâce au zèle intelligent de ces excellents serviteurs, Charles VII put doter son armée d’un matériel magnifique, dont Alain Chartier parle en ces termes : « Quant au fait de la provision que le roy avait mise à son artillerie pour le fait de la guerre, il y a eu plus grant nombre de grosses bombardes, de gros canons, de veuglaires, de serpentines, de crapaudins ou crapaudines, de ribaudequins et de coulevrines qu’il n’est mémoire d’homme que jamais veist à roy chrestien si grant artillerie, ne si bien garnie de pouldre, manteaulx et de toutes autres choses pour approucher et prendre les chasteaux et villes et grant foison de chevaux à la mener… D’icelle artillerie furent gouverneurs et conduiseurs maistre Jean Bureau, trésorier de France, et Jaspar (Gaspard) Bureau son frère, maistre de ladicte artillerie. »

Canon de campagne du quinzième siècle, d’après une miniature des Vigiles de Charles VII

En somme, au cours de la première moitié du quinzième siècle, l’artillerie proportionne la force de la poudre à la résistance des bouches à feu et lance des boulets de pierre assez lourds pour que leur masse produise des effets redoutables. L’Italie coule ses pièces en alliage de cuivre ; la France emploie de préférence le fer forgé pour ses bombardes de gros calibre. Les bouches à feu affectent des formes qui varient avec leur destination ; les unes tirent sous de grands angles ; les autres, sous des inclinaisons voisines de l’horizontale. Les bombardes parviennent à lancer des boulets de pierre de 100 à 900 livres à 1 500 et même 2 000 pas ; elles projettent aussi de la mitraille de pierre ou de fer, des boulets de plomb, des balles à feu, et divers autres projectiles incendiaires ; enfin, les canonniers font usage de boulets de pierre cerclés de fer. Le tir de ces boulets est habilement dirigé, puisqu’on pose, dès lors, la règle du tir en brèche prescrivant de pratiquer une tranchée horizontale dans la muraille à renverser. C’est à cette première moitié du quinzième siècle que se rapporte l’apparition du plus ancien Traité d’artillerie qui nous soit parvenu. Ce manuscrit, intitulé Livre du secret de l’art de l’artillerye et canonnerye, mentionne les « conditions, mœurs et science que doibt avoir ung chascun audict art de canonnerye… Premier, doibt honorer, craindre et aymer Dieu et l’auoir toujours devant les yeulx en crainte de l’offenser plus que autres gens de guerre… car toutes les foys qui tire d’une bombarde, canon ou autre baston de canonnerie, ou qu’il besoigne en faict de pouldre, leur grant force et vertu font aulcunes foys rompre le baston duquel il tire ; et, supposé qu’il ne rompe, jà toutefois est-il en danger d’estre bruslé de la pouldre… desquelles pouldres la vappeur seulement est vray venin contre l’homme… Item sçavoir lire et escripre, car en sa mémoire ne pourroist-il pas retenir toutes les aultres matières, confections et nul très choses appartenant audict art… »

Quand Louis XI devint roi, Gaspard Bureau était encore grand maître de l’artillerie. Il eut pour successeur Galiot de Genouillac – ou Genoilhac, – qui perfectionna son œuvre. C’est ce Genouillac qui fut l’organisateur de la magnifique artillerie du roi Louis XI, qui, dit Commines, « étoit bien garni d’artillerie mieux que jamais roy de France ».

Cependant les principes de construction des pièces de gros calibre ne sont pas encore bien arrêtés. « Les bombardes, écrivait Martini en 1465, se font de diverses formes et de plusieurs proportions. On les construit de plusieurs matières, et elles sont encore plus variées de formes que de noms. On les distingue en bombardes, passe-volants, espingardes, mortiers, cerbottanes et escopettes. Toutes ces pièces peuvent varier dans leurs dimensions, tout en conservant leurs formes spéciales. La bombarde doit être en cuivre ou en fer ; celles qui sont en bronze – et c’est le plus grand nombre – éclatent plus souvent ; en cuivre ou en fer, elles ne se brisent que par accident, ou par suite d’un défaut de fabrication… » C’est à Genouillac que l’artillerie française dut ses premiers règlements ; c’est suivant ses instructions qu’elle commença à faire usage de boulets en fonte de fer et de grosses bouches à feu coulées en alliage de cuivre. Le progrès était considérable. Genouillac crut devoir donner grande importance au matériel de place, lequel prit, dès lors, des proportions respectables. En 1477, par exemple, il fit fondre douze gros canons qu’on nomma les Douze pairs. « Au mois de décembre dudit an, écrivait Louis de Valois, le roy, pour toujours accroître son artillerie, voulut et ordonna estre faites douze grosses bombardes en fonte et métail de moult grande longueur et grosseur, et voulut icelles estre faites, c’est assavoir trois à Paris, trois à Orléans, trois à Tours, trois à Amiens. Et, durant ledit temps, fist faire bien grande quantité de boulets de fer ès forges estans ès bois près de Creil… Et pareillement fist faire ès carrières de Péronne grand quantité de pierres à bombardes… »

Le grand maître de l’artillerie ne se bornait pas au soin d’activer la fabrication, il tenait encore à soumettre le matériel fabriqué des expériences méthodiques. « Audit an 1478, poursuit le chroniqueur, le lundy devant les Rois, advint que plusieurs officiers du roy en son artillerie firent assortir une grosse bombarde qui, en ladite année, avoit été faite à Tours pour illec essayer et esprouver, et fut acculée la queue d’icelle aux champs devant la Bastille Saint-Anthoine, et la bouche d’icelle en tirant vers le pont de Charenton. Laquelle fut chargée pour la première fois et tira très bien et porta la pierre d’icelle de voilée jusques à la Justice de Charenton. » La nouvelle pièce de siège et place avait donc une portée d’environ cinq kilomètres.

Louis XI s’attachait à perfectionner en même temps son matériel de campagne, stimulé qu’il était dans l’accomplissement de cette œuvre par l’exemple du duc de Bourgogne. Charles le Téméraire avait alors, en effet, un matériel extrêmement mobile, comprenant des pièces longues et aussi des bombardes fort courtes, dites bombardelles. Ces bouches à feu lançaient des pierres, « les unes grosses comme le tour d’un fond de caque, autres de la rondeur d’une grande escuelle, autres de fer fondu pesant vingt ou trente livres, et les autres de plomb ou de fer, de la grosseur d’un poing et d’un esteuf ». L’attirail d’artillerie du duc se composait de deux mille chariots ; son personnel était de deux cents canonniers, d’où il appert que son artillerie comprenait deux cents pièces, car à cette époque on ne comptait qu’un « canonnier » par bouche à feu.

Ne voulant se laisser dépasser par personne, Louis XI eut bientôt aussi des faucons et fauconneaux de campagne, lançant boulets de fer ou de plomb, pourvus d’avant-trains perfectionnés et d’une mobilité extrême. La mise en mouvement de ce matériel comportait l’emploi de 30 000 chevaux d’attelage. Sentant bien qu’il lui fallait pour ce service un personnel de troupes techniques, le roi créa, sous l’autorité supérieure de Galiot de Genouillac, quatre bandes qui furent commandées chacune par un commissaire ou maître d’artillerie. Ces bandes étaient dites respectivement : du chevalier Galiot ; – de Bertrand de Samand ; – de Perceval de Dreux (ou bande des bastions) ; – de Géraud de Samand (ou de Normandie). Les attelages d’une bande comportaient de 400 à un millier de chevaux.

Les progrès de l’artillerie vont se poursuivre sous le règne suivant. L’avènement de Charles VIII semble même lui ouvrir une ère nouvelle, car les équipages prennent alors une importance considérable. On voit mettre en service quantité de bouches à feu de bronze, lançant des boulets de fonte de fer, et se pointant facilement à l’aide des tourillons dont elles sont munies.

L’invention de l’organe dit tourillon et l’adoption du projectile de fonte, tels sont les deux faits considérables auxquels on va devoir la légèreté des pièces, l’intensité des effets, la rapidité et la justesse du tir. Le matériel prend dès lors les formes générales qu’il affecte encore aujourd’hui et que, à l’exemple de la France, toutes les puissances européennes ont adoptées. Il est permis de dire que la création de l’artillerie française date de 1494, année de la célèbre expédition de Charles VIII en Italie.

C’est Jean Doyac, « conducteur de l’artillerie du roy Charles huictiesme. », qui fut alors chargé de mettre en mouvement le nouveau matériel. Formée de 200 canons de bronze, l’artillerie légère – ou de campagne – franchit le mont Genèvre, moyennant l’emploi de 8 000 chevaux menés par 4 000 charretiers. Les 140 pièces de gros calibre furent embarquées à Marseille et débarquées à la Spezzia. Toutes ces pièces étaient encastrées entre deux flasques maintenus par des chevilles ; suspendues sur leurs tourillons, elles tournaient autour d’un axe placé en leur milieu. Elles ne ressemblaient plus à celles de Charles le Téméraire, lesquelles tournaient autour de l’axe de leur fût.

On sait l’effet qu’elles produisirent. Frappée de terreur aux premiers coups de ces engins, la péninsule italique s’empressa de faire sa soumission.

En résumé, la seconde moitié du quinzième siècle voit se réaliser des progrès rapides. Il se construit alors des bouches à feu de gros calibre, que leurs proportions rationnelles rendent capables d’un tir sûr et puissant ; mais les difficultés de transport, de maniement et de pointage en sont considérables.

L’artillerie de campagne de Charles le Téméraire est montée sur affûts à rouage, mais ces affûts, encore imparfaits, ne sauraient supporter des charges quelque peu fortes. Cependant le bronze commence à se substituer au fer forgé ; on peut donner de plus fortes épaisseurs aux pièces ; on les munit de tourillons assez bien liés à la masse du métal pour supporter toute l’action du recul. Les affûts à rouage sur lesquels sont montés des canons à tourillons se prêtent à l’opération d’un pointage prompt et sûr. On lance à bonne portée des projectiles de fonte de fer. On ne se contente déjà plus des effets du boulet plein, et Valturio attribue à Sigismond Pandolfo Malatesta l’invention d’un projectile creux.

CHAPITRE IVSeizième siècle

SOMMAIRE. Artillerie de campagne de Louis XII.– Vices d’organisation de l’artillerie de Maximilien, – Siège de Padoue. – Les arsenaux de France. – Artillerie de campagne de François Ier. – Journée de Marignan. – Les gros calibres sont toujours en faveur. – Jean d’Estrées. – Simplification du matériel. – Les six calibres de France. – L’édit de 1572. – Le siège d’Amiens. – Le « czar Pushka ».

Un document précieux nous fait connaître quelle était la proportion d’artillerie des armées du temps de Louis XII. Les troupes royales, réunies à Naples en 1502, se composaient de 3 500 hommes d’infanterie et 6 000 hommes de cavalerie. Or, suivant Jean d’Auton, ces forces étaient appuyées de vingt-six pièces de campagne savoir : « quatre canons, deux grosses coulevrines, six moyennes nommées sacres et quatorze faucons. »

L’artillerie française passe toujours pour être la meilleure de l’Europe et meilleure, en tout cas, que celle de l’empereur. « Ung grand défaut estoit quant à l’artillerie (de Maximilien), car il n’y avait équipage que pour la moytié et, quand on marchoit, estoit forcé qu’une partie de l’armée demourât pour la garder, jusques à ce que la première bande fust déchargée au camp où l’on vouloit séjourner, et puis le charroy retournoit quérir l’autre, qui estoit grosse fascherie. » Toujours au grand complet, les attelages de l’artillerie française faisaient, au contraire, l’admiration de tous les gens de guerre.

Antérieurement aux premières années du seizième siècle, la puissance de l’artillerie de siège avait conféré à l’attaque une supériorité marquée sur la défense des places ; mais les fortifications, qui se sont remparées, ont alors reconquis partie de leur ancienne valeur. L’échec de l’empereur Maximilien devant Padoue (1509) peut suffire à démontrer le fait qui vient d’être énoncé.

« L’année de l’Empereur, dit Guicciardini, comprenoit sept cents lances du roy de France, que le sieur de la Palisse gouvernoit… Suyvoit un merveilleux attirail de toute sorte de pièces de batterie et grande quantité de munitions, partie desquelles lui avoit esté envoyée par le roy de France. Mais, pour le regard de ce qui touchoit la deffense de Padoue, l’armée que les Vénitiens envoyèrent en icelle cité, n’estoit moins puissante… Il y avoit d’avantage… un grand nombre d’artillerie… icelle cité, très forte pour la vertu et pour le nombre de si grands défenseurs, avoit esté merveilleusement remparée et fortifiée en tout ce circuit de murailles qui l’environne…

L’armée de l’empereur s’étant approchée des murailles de Padoue… Maximilien commença à faire acomoder les pièces pour la batterie ; dont on ne peut venir à bout qu’avec une longueur de temps et grande difficulté, tant pour la quantité qu’il y en avoit et la desmesurée et presque épouvantable grandeur de quelques-unes, que pour ce que tout le camp et mesmement les lieux où on les vouloit planter estoyent fort battus et endommagés de l’artillerie de dedans… L’artillerie tira furieusement et sans cesse, la plus part de laquelle, pour sa grosseur et pour la grande quantité de poudre qu’on lui donnoit passant outre les remparts, ruinoit les maisons qui estoient près de la muraille, et là en plusieurs endroits il y avoit un très grand espace de mur par terre… pourtant ceux de dedans, qui endommageoyent toute l’armée à force de tirer, ne monstroyent aucun signe de peur…

Bande d’artillerie Allemande, du seizième siècle

Le neufiesme jour, l’artillerie avoit si bien besongné qu’il ne sembloit plus nécessaire de la faire tirer davantage et partant, le jour suivant, toute l’armée se mit en bataille pour s’approcher des murailles, mais… la forteresse du fossé estoit telle et la vertu des deffendans telle, telle l’abondance des instruments pour se défendre non seulement d’artillerie, mais aussi de pierres et feus artificiels qu’ils (les lansquenets) furent contraints d’en descendre à foule, plusieurs d’entre eux y demeurans morts et blecez : au moyen de quoy l’armée, qui s’estoit desjà préparée pour donner l’assaut aussitôt que le bastion seroit pris, se retira et désarma sans avoir essayé autre chose. Maximilien, par cette expérience, perdit entièrement l’espérance de la victoire et, partant ayant délibéré de s’en aller, après qu’il eut fait mener l’artillerie en lieu seur, il se retira avec toute l’armée… le dix-septiesme jour après qu’il s’estoit campé devant Padoue. » L’empereur n’avait point tiré contre la place moins de vingt mille coups de canon. (Voy. la fig. 9.)

En France, Galiot de Genouillac est toujours grand maître de l’artillerie ; il doit conserver ces fonctions jusqu’à sa mort qui surviendra en 1546, soit un an avant celle de François Ier