L'Avant-guerre allemande en Europe - André Soulange-Bodin - E-Book

L'Avant-guerre allemande en Europe E-Book

André Soulange-Bodin

0,0

Beschreibung

Extrait : "Mais ce qui restait ignoré dans notre pays, c'est dans quelles conditions la pénétration allemande s'est manifestée chez les nations voisines, comment elles en ont souffert autant et même plus que nous."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 328

Veröffentlichungsjahr: 2016

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



À

MON FILS ROGER

LIEUTENANT D’ARTILLERIE

CROIX DE GUERRE

CHAPITRE PREMIEREn Orient

On a parlé des méthodes d’expansion de l’Allemagne et personne n’a plus complètement ni plus clairement exposé ces procédés que M. Hauser, le distingué professeur de la Faculté de Dijon. Comment ces méthodes ont été appliquées spécialement en France par nos ennemis, M. Bruneau, dans son « Allemagne et France » et M. Léon Daudet, dans l’« Avant-Guerre », l’ont expliqué de la manière la plus saisissante. Le succès de ces ouvrages se trouve justifié, aussi bien par ce que le sujet présentait pour nous de palpitant intérêt que par la manière heureuse dont il a été traité.

Mais ce qui restait ignoré dans notre pays, c’est dans quelles conditions la pénétration allemande s’est manifestée chez les nations voisines, comment elles en ont souffert autant et même plus que nous. Et c’est cette lacune qu’il nous a paru intéressant de chercher à combler dans la mesure du possible, en étudiant les données du problème successivement en Angleterre, où les Allemands, renouvelant leurs exploits du temps de la Hanse, se sont donné libre carrière, mais où aucune revue, aucun livre ne s’est préoccupé de noter leurs hauts faits ; en Italie où, au contraire, une abondante littérature, née de la constatation d’une série d’incidents extraordinaires, de la main mise presque complète de l’Allemagne sur la vie économique du pays, a jeté une pleine lumière sur une situation qui certainement ne se reproduira pas ; en Belgique, où la conquête d’Anvers par le commis-voyageur allemand était chose faite avant que l’occupation par les uhlans et les artilleurs de Guillaume Il vînt compléter la conquête financière et commerciale ; enfin en Suisse, où les données géographiques, les conditions du commerce et de l’industrie, la similitude de langue pour une grande partie du territoire, ont singulièrement facilité à l’Allemagne son œuvre de pénétration. Il convenait enfin de chercher à démêler les vraies raisons de la persistance des influences germaniques dans l’Empire allié : les quelques données recueillies à ce propos sont de nature à ruiner la légende que nos ennemis essayent d’établir et d’après laquelle c’est à la Russie qu’il faut attribuer la responsabilité de la guerre.

 

Un chapitre consacré à trois siècles d’une guerre commerciale entre Allemands et Anglais au cours de laquelle le sang coula à plusieurs reprises, montrera que dès le Moyen Âge la concurrence économique se manifestait de la manière la plus vive : on y verra comment les mêmes causes ont produit les mêmes effets.

Cette première série aura une suite : n’est-il pas intéressant, en effet, de suivre l’action germanique dans les Balkans, et de constater, par exemple, qu’à Sofia les principaux établissements financiers ne sont que les succursales des grandes banques de Berlin, Vienne ou Buda-Pesth ? Ce fut la Disconto-Gesellschaft et la maison Bleichrœder qui, en 1905, fondèrent la « Banque de Crédit », destinée à faciliter le développement de la Bulgarie et ses relations avec l’Allemagne. Quant à la « Banque générale de Bulgarie », elle fut créée par la Banque commerciale de Buda-Pesth, établissement quasi-officiel chargé de défendre la politique autrichienne dans la péninsule et qui, dans la circonstance, rencontra l’aide inattendue d’un gros établissement parisien. À ces entreprises, les Allemands trouvèrent aisément le moyen d’intéresser des hommes politiques du pays, qui devinrent d’ardents germanophiles et qui, par sympathie comme par intérêt, orientèrent de toutes leurs forces leur pays vers les Empires du Centre.

Et à côté de la Bulgarie qui a trahi, la Roumanie qui s’est si longtemps réservée.

Gouvernée par un Hohenzollern, d’ailleurs, pourvu d’un trône par la grâce de Napoléon III, la Roumanie depuis quarante ans vit sous la domination financière de Berlin. Elle possède des institutions économiques importantes, mais la « Banque générale roumaine », fondée en 1895, et qui a des succursales à Braïla, Constanza, Craiova, n’est-elle pas une création allemande ? La vieille Banque Marmoresch Bank n’a-t-elle pas été transformée en société anonyme par la « Berliner Handelsgesellschaft » et par la « Bank für Handel und Industrie » ? Les neuf dixièmes des affaires de pétrole sont gérées par des Allemands. Entre les mains des Allemands, toutes les affaires de bois. Comment s’étonner dans ces conditions si les créanciers hypothécaires de la Roumanie, qui vivent à Berlin et à Vienne, ont pu dire leur mot, et on devine dans quel sens, à propos des crédits militaires, de la mobilisation, des commandes de vivres et de munitions ? Comment être surpris des obstacles qui se dressaient à chaque pas devant les vaillants lutteurs qui ont nom Take Jonesco et Philipesco ? Que pesaient leurs généreuses campagnes en faveur de la réalisation de l’idéal roumain, c’est-à-dire de la libération des frères opprimés de Bukovine et de Transylvanie, en présence de la lourde action des Banques locales, obéissant toutes au moteur allemand ?

Un simple regard sur l’infortunée Serbie : sous le règne de Milan, elle vit son souverain favoriser la naissance de la « Banque de Crédit serbe », appuyer les intrigues de la Banque Andrevich, encourager les audaces du Musée austro-oriental. Lorsqu’après une suspension de relations commerciales qui dura de 1903 à 1906, des pourparlers intervinrent en vue d’une reprise de rapports entre le petit royaume et le vaste Empire, celui-ci indiqua que pour négocier utilement, il suffirait que la Serbie prît l’engagement d’acquérir du Trust sidérurgique autrichien son matériel de chemins de fer et qu’elle prit ses canons chez Skoda : la Serbie répondit en s’adressant au Creusot. Plus tard, des négociations ayant été entamées entre l’Italie et la Serbie pour la constitution d’un crédit italo-serbe, la Consulta renvoya les négociateurs à la Banque commerciale italienne : « Tant qu’à traiter avec cet établissement », répliqua le ministre, M. Michaïlovitch, « je préférerais aller tout droit à Berlin », indiquant ainsi ce qu’il pensait de l’établissement qui, au nom de l’Allemagne, tenait l’Italie, ligotée.

Faire une simple allusion au chemin de fer de Bagdad, c’est à la fois résumer d’un mot toute l’histoire de la mainmise de l’Allemagne sur l’Empire ottoman, évoquer la vision du vieil édifice se penchant sur l’abîme, poussé à la ruine définitive par de prétendues protections.

Pour ce qui est de la Grèce, citer le nom de Schenck, c’est rappeler la plus effrénée campagne de corruption qui ait jamais sévi dans aucun pays. C’est évoquer le souvenir d’une étroite union entre la Cour, l’état-major, et les ennemis de l’Entente, c’est-à-dire des adversaires des Puissances mêmes à qui la Grèce doit l’existence ; c’est la plus outrageante violation de la neutralité à laquelle jamais gouvernement se soit laissé aller ; c’est, pour le jour du règlement définitif, prévoir une stricte apuration de comptes longtemps laissés en suspens et la sévère répression des délits internationaux dont la liste est longue.

Et ici, une remarque générale sur les rapports entre les peuples d’Orient libérés du joug ottoman par l’Europe et les souverains, tous d’origine ou de tendance germaniques, dont celle-ci les a pourvus. Point de communauté d’origine, de race, de langue, d’habitudes entre gouvernants et gouvernés ; entre eux l’histoire n’a créé aucun lien : les uns sont considérés par les autres comme des fonctionnaires imposés par ce qu’on appelait jadis le concert européen et dans le fait, n’ont-ils pas des allures de fonctionnaires, encaissant régulièrement leurs mensualités et, régulièrement aussi, s’appliquant à en mettre la plus grosse part à l’abri des accidents possibles dans quelque banque d’Europe ? Les souverains improvisés qui, investis d’un pouvoir exagéré, se sont laissés aller à en mésuser doivent être purement et simplement révoqués tout comme jadis les pachas turcs qui avaient abusé de leurs fonctions. Le roi Othon, Alexandre de Battenberg, le prince de Wied n’ont-ils pas été remerciés chacun dans des circonstances variées ? Que les vainqueurs de la grande guerre se souviennent de la manière dont se sont produits ces accidents et l’on peut être certain que leur décision sera accueillie philosophiquement, tout comme le serait chez, nous la révocation d’un préfet ou le remplacement d’un ministre.

La morale y trouvera son compte, et la situation des peuples pour la seconde fois libérés n’y perdra rien.

Noter la manière dont les Allemands se sont comportés dans chacun des pays où ils cherchaient à exercer leur influence, c’est-à-dire partout, c’est reconnaître l’art avec lequel ils savaient varier leurs moyens et la persévérance avec laquelle ils s’obstinaient dans leur action, même si elle était tout d’abord inopérante ; c’est en somme reconnaître loyalement les mérites indéniables de l’adversaire, mais, en même temps, proposer des exemples à nos compatriotes, sans toutefois souhaiter qu’ils les suivent tous, en désirant même qu’ils ne cherchent à imiter que les procédés conformes à leur génie, tout de droiture et de loyauté.

CHAPITRE IIAnglais et Allemands au Moyen Âge

Lorsqu’éclata la guerre mondiale, on crut pouvoir, en Allemagne comme en Angleterre, constater que pour la première fois dans l’histoire un différend surgissait entre cousins du Nord. Le souvenir des guerres poursuivies au cours des derniers siècles, pendant lesquelles ils avaient lutté contre des ennemis communs, France, Autriche, excusait jusqu’à un certain point ces appréciations erronées, mais si l’on remonte dans l’échelle des temps, on trouvera sans peine la trace de ce que l’élément germanique fut pour l’Angleterre ; on constatera comment, trop longtemps, il s’appliqua à pénétrer la politique anglaise pour y trouver son compte, comment il réussit à corrompre un chancelier, à financer une invasion, à soutenir ou renverser une dynastie, à former une union de cités dont les représentants à Londres possédaient une maison désignée dans les chartes du temps sous le nom de « Gildhalla Teutonicorum » ; comment enfin, ces représentants, connus sous le nom de « Gens de l’Empereur » ou de « Easterlings », suivant qu’ils étaient originaires de l’Allemagne rhénane ou de l’Est, de la Baltique, profilèrent de l’anarchie qui régna en Angleterre et ne luttèrent pas seulement pour obtenir l’égalité commerciale, mais prétendirent ravir aux Anglais le droit de faire le commerce sur leur propre territoire. Ce qu’il y eut de singulier, c’est qu’ils y réussirent.

Pour aller aux Croisades, ou simplement pour se rendre en Italie, il fallait remonter le cours du Rhin : les Allemands, toujours pratiques, se gardaient bien d’accorder le libre usage des routes traversant leur territoire. D’autre part, n’était-ce pas, à l’Est, du côté de la Baltique, que s’assemblaient, à destination de l’Angleterre, le chanvre pour les cordages, le lin pour les voiles, la poix pour le calfatage, les bois pour les mâts, et le blé, et le poisson séché, et enfin la cire destinée à l’éclairage domestique comme à l’illumination des cathédrales ? De cette situation, des relations commerciales naquirent qui donnèrent lieu à une paradoxale manière de comprendre les choses, à une lutte à laquelle les Gouvernements affectaient de ne pas s’associer officiellement, qu’ils prétendaient même arrêter par des palliatifs tels que conférences, congrès, mais qui n’en dura pas moins trois siècles, depuis Henri III jusqu’à Élisabeth.

Dans les récits qu’ils ont donnés des évènements qui ont pendant cette longue période agité l’Angleterre, les historiens de ce pays n’ont vu, par exemple, dans la guerre des Deux Roses ou dans les faits gestes de Warwick, que matière à narrations détaillées, à développements sur les mobiles auxquels obéissaient souverains ou grands seigneurs, et ces mobiles, d’après eux, c’étaient toujours ou le sentiment religieux ou l’intérêt : ils n’ont pas senti l’influence qu’ont exercée sur les passions le sentiment patriotique, le sentiment anti-allemand. Les historiens allemands, eux, ne s’y sont pas trompés : ils ont saisi à quel point cet état d’esprit avait agi sur la marche des évènements ; ils n’ont pas cherché à dissimuler l’objet positif que se proposèrent leurs ancêtres et leurs travaux permettent de retracer les épisodes de la lutte en leur donnant leur véritable caractère. Il n’y a qu’à les suivre, si l’on veut essayer de faire revivre un temps qui n’est pas sans analogie avec le nôtre.

*
**

Lorsqu’au Moyen Âge, l’anarchie, de proche en proche, gagna toute l’Europe, on put tout craindre pour la civilisation : par bonheur, autour des châteaux forts, auprès des seigneurs héréditaires ou électifs, laïques ou religieux, autour des municipes, des villes qui avaient conquis leur liberté, se groupèrent des hommes industrieux qui se donnèrent comme tâche de satisfaire aux besoins de leurs semblables, bien mieux, de fournir au luxe des « Princes ». Puis, devant les exigences de ces derniers, désireux de se faire payer aussi cher que possible leur protection contre le brigandage, l’union se fit entre ceux à qui l’on demandait de payer contre ceux qui réclamaient un paiement. Se procurer d’abord quelque indépendance, puis acquérir la faculté d’atteindre tout d’abord l’aisance, puis, si possible la richesse, les honneurs, le pouvoir, tel était le processus que suivirent tout d’abord les habitants des villes maritimes du nord de l’Italie. Et l’exemple ne tarda pas à gagner les bords du Danube, le Haut-Rhin, la Souabe, la Saxe, puis, vers l’Occident, la Flandre, le Brabant, la Hollande, et à l’Orient, la Basse-Allemagne, c’est-à-dire les rivages de la mer du Nord et ceux de la Baltique.

L’histoire du Moyen Âge n’est que celle des luttes des bourgeois contre les seigneurs, et celle des mesures auxquelles les vainqueurs avaient recours pour donner à leur succès un caractère permanent : ils entouraient leurs cités de hautes murailles ; pour les défendre, ils engageaient des milices souvent commandées par ceux-là même qui dominaient la veille. Ils achetaient des terres, des forêts, des salines, creusaient des ports, puis cherchaient à leur tour à assujettir des villes de minime importance en leur faisant payer péage, en battant monnaie pour elles. Parfois pour se défendre, ils formaient des ligues tantôt offensives, tantôt défensives, mais le plus souvent n’ayant d’autre objet que de pratiquer le commerce. C’est à une association de ce caractère qu’est due la naissance de la Ligue hanséatique ; des promesses générales d’entente, visant l’octroi de secours réciproque, prenaient consistance au fur et à mesure que se précisaient les premiers résultats de l’entente, soit qu’il fallût se défendre contre les pirates, soit qu’il fût question de rompre les obstacles mis à la navigation, soit qu’il y eût lieu d’obtenir des faveurs pour ladite navigation, ou même des monopoles à son bénéfice. Et ce furent les marins de Lubeck et de Brème qui, les premiers, par leur action sur les côtes du Danemark ou de la Scandinavie, par la part qu’ils prirent à la colonisation de la Livonie, par leurs liaisons avec cette naissante institution militaire qui allait être l’ordre teutonique, par l’entente qu’ils établirent avec ses adhérents, fortifièrent l’organisme économique qui devait être connu sous le nom de « Ligue hanséatique ». Ce mouvement fut contemporain de celui qui vit la naissance des corporations ; mais il on diffère essentiellement. Les compagnies commerciales embrassaient bien tous les intérêts sociaux de leurs membres et formaient des sociétés solidement établies ; leurs vues morales et religieuses les devoirs de mutuel appui obligeaient tous les associés exactement comme dans les corporations ; de même, elles avaient des privilèges particuliers, un appareil spécial de justice, un tribunal ayant le droit de punir, des revenus mobiliers et un capital inamovible consistant principalement en maisons de réunion, entrepôts, magasins ; mais leur premier objectif était de procurer à leurs membres le plus d’avantages commerciaux possibles et d’obtenir, soit le droit exclusif d’exercer le commerce dans tel ou tel pays, soit le monopole de la vente d’un produit.

Non seulement dans les villes allemandes, mais aussi dans les pays étrangers où florissait le commerce, des compagnies, appelées hanses, s’étaient depuis longtemps établies et avaient obtenu des souverains et gouvernements de nombreux privilèges commerciaux ainsi que la liberté d’association.

Ces fédérations de commerçants étendirent tout d’abord leur action sur Cologne, Hambourg, Sœst, Brunswick, avec ramifications vers la Baltique, en tout une douzaine de villes. Puis elles se portèrent à la fois vers l’ouest, c’est-à-dire vers la Zélande et les bouches de l’Escaut, et vers l’est, c’est-à-dire, par la Livonie, jusqu’à Nijni-Novgorod.

Peu à peu, les hanses particulières des villes de l’étranger se fondirent en une seule et même société et formèrent un corps puissant, fermé aux étrangers et leur faisant concurrence.

C’est ainsi qu’à Londres, dès le XIIIe siècle, les diverses corporations marchandes de Cologne, Hambourg, Lubeck, etc., s’unirent et formèrent la « Compagnie des marchands allemands ». Chaque association prise à part garda son indépendance, mais l’union générale devint l’organe autorisé de tous, les droits et devoirs restant communs. En sa qualité de corps librement constitué, elle concluait des contrats avec la ville et se portait garante des privilèges commerciaux des hanses particulières. À la maison centrale, un « Alderman », aidé des membres du conseil, rédigeait les lois, les règlements, et les soumettait à l’approbation des associés le jour de l’assemblée générale.

En 1364, une assemblée générale de toutes les cités intéressées fut tenue à Cologne et c’est à partir de cette époque qu’à la désignai ion de « Marchands de l’Empire » ou de « Navigateurs de l’Allemagne » fut substituée celle de « Ligue hanséatique » ou plus simplement de « Hanse ». Et ce congrès de Cologne, il fut provoqué par les nécessités de la lutte engagée par les villes du nord de l’Allemagne avec Waldemar III de Danemark et Haakon de Norvège ; les villes l’emportèrent sur les monarques qui, l’un et l’autre, durent consentir à de véritables capitulations et souscrire en faveur des vainqueurs à toutes les conditions par eux exigées.

Le Danemark devenait presque une province de la Hanse : seuls, les adhérents de celle-ci pouvaient y vendre et acheter à la fois en gros et en détail. Pour toutes marchandises, mêmes taxes pour les hanséatiques et pour les nationaux ; liberté de navigation sur le Sund et le Belt, et enfin, concession d’énorme importance pour une époque où les prescriptions de carême étaient religieusement observées, droit exclusif de pêche et de sécherie sur les côtes de Scanie pour le hareng, poisson qui dans ces temps lointains – il n’en est plus de même aujourd’hui – pullulait flans la région.

En Norvège, la Hanse obtenait, non d’un seul coup, mais par de longues négociations, un monopole commercial presque absolu.

Quelle était l’existence des adhérents à une Hanse ?

Les documents relatifs à celle de Bergen nous en retracent un fidèle tableau : la Hanse y possédait vingt et un établissements indépendants formant ensemble deux paroisses et séparés les uns des autres par des palissades ou de solides murailles. Ils étaient entourés de longs bâtiments de bois s’étendant au loin. Chaque établissement avait son nom, son enseigne particulière et, sur la rive, son débarcadère, où les bateliers déchargeaient leurs marchandises. L’établissement recevait en général quinze familles ou « compagnies » de table, composées de maîtres, de compagnons et d’apprentis. La famille est gouvernée par celui qu’on appelait le « maître de maison », chargé d’exercer une surveillance générale sur les employés de commerce, les ouvriers, les domestiques, de pourvoir à leur entretien et de maintenir la discipline. Les intérêts communs étaient confiés à un « Alderman » nommé par élection. Dans les bâtiments qui s’étendaient autour de l’enclos se trouvaient les parloirs, les chambres à coucher des facteurs et autres habitants de la maison, la cuisine, le petit « schutting » qui servait aux familles et de salle à manger et de parloir. Au fond de l’enclos, un solide bâtiment de pierre enfermait, dans ses sous-sols, des caves sûres, des celliers pour les marchandises précieuses. En liant était le grand « schutting », salle commune où les familles se tenaient pendant l’hiver et prenaient leurs repas. Contre les murailles de cette salle de nombreux foyers étaient établis, servant de fourneaux de cuisine, et chauffant tout l’emplacement. Le soir chaque famille rentrait dans sa chambre à coucher. Des veilleurs armés et des chiens féroces déchaînés la nuit défendaient contre les voleurs. Tout dans l’enclos était soumis à une discipline stricte et sévère : les heures de travail, les récréations, les repas, les assemblées réglementaires et les plaisirs pris en commun étaient fixés par une loi stricte. Toute tentative pour se soustraire à la discipline était rigoureusement punie. Les autorités élues se chargeaient de toutes les parties de l’administration et rendaient la justice de leur autorité privée. Celui qui voulait entrer dans l’association devait y rester dix ans. Les jeunes gens parcouraient successivement tous les degrés de la science commerciale depuis l’apprentissage, et c’est ainsi qu’au milieu d’une lutte continuelle avec une mer redoutable, dans un pays rude et montagneux, sous des lois rigoureuses, entravée par un climat sévère et soumise à un âpre labeur, fonctionna l’une des meilleures écoles de commerce de l’Allemagne du Nord.

Les apprentis de Bergen étaient formés par des jeux dont les principaux étaient celui du « fouet » et de l’« eau », plus spécialement en honneur aux fêtes de Pentecôte. Après un repas plantureux, les apprentis étaient plongés dans la mer ; on les jetait çà et là dans les vagues encore glacées, on les en relirait à moitié transis et ils étaient frappés de verges par quiconque pouvait les atteindre jusqu’à ce qu’ils eussent pu reprendre leurs vêtements. Le jeu du fouet était plus dur encore : en grande pompe, après toutes sortes de cérémonies les apprentis recevaient de dix compagnons désignés à l’avance de rudes coups de fouet. Puis, venait un repas de fête où ils étaient obligés de servir toute la compagnie et par conséquent leurs bourreaux.

Avant la flagellation, le doyen des maîtres de maison les exhortait dans un discours solennel à la bonne tenue, à la probité, au travail, à l’obéissance ; il les mettait en garde contre l’ivrognerie, l’esprit querelleur ; le jeu qui allait avoir lieu, leur disait-il, était destiné à servir d’épreuve et celui qui ne croyait pas pouvoir s’y soumettre jusqu’au bout avait encore toute liberté de se retirer. Chacun alors acceptait l’épreuve. Pendant qu’elle durait, si quelque apprenti vaincu par la souffrance ou la fatigue s’évanouissait, il était le lendemain replongé dans la mer pour être fortifié…

*
**

La Hanse devait tout naturellement chercher à ouvrir à son action l’accès des riches provinces des Pays-Bas : plusieurs des villes de Hollande, Frise et Overyssel, avaient fourni des vaisseaux pour combattre Waldemar ; leur accession s’était faite tout naturellement au moment du partage du butin ; les marchés de ces pays étaient abondants, sûrs, bien protégés ; on y jouissait de toute liberté. Les produits du midi y arrivaient sans difficulté. Les négociants de la Hanse ne pouvaient avoir la prétention d’y trouver l’octroi de monopoles comme dans les pays du Nord : ils ne devaient compter que sur des encouragements et certaines franchises. Ils ne tardaient pas à posséder des magasins à Anvers, à Bruges, à Gand, à Ypres, et à y acquérir non seulement la liberté absolue de commerce et le droit de réunion, mais aussi des atténuations sérieuses des taxes d’entrée et de sortie.

Ce ne fut pas tout : l’Angleterre devait devenir pour la Ligue hanséatique un marché de la plus haute importance. Ses produits, laine et zinc, attiraient les marchands d’Allemagne qui apportaient en échange une foule d’articles que seuls ils pouvaient fournir.

*
**

Il est dit, dans un conte arabe, qu’un chameau, tandis qu’un homme dormait sous sa tente, passa le nez entre la toile et le sol, et dit : « La nuit est froide, permettez que je pose la tête sous votre toit. » Le dormeur, dans un demi-sommeil, acquiesça, mais le chameau ayant la tête dans la tente, se poussa en avant jusqu’à ce que son cou, ses épaules, son buste, son arrière-train, et même sa queue, fussent à l’abri, si bien que la tente étant trop petite pour l’homme et le chameau, le propriétaire dut aller dormir ailleurs.

Il en alla de même des Allemands en Angleterre.

Cologne fut le nez, que suivit Lubeck, la tête et le corps furent cette association de soixante villes bientôt représentées non seulement dans le Guildhall allemand de Londres, mais dans toute l’Angleterre.

Comment la chose arriva-t-elle ? Henry d’Angleterre, faible roi, entièrement sous la dépendance du Pape et de son frère, élu roi de Germanie, se vit aidé par les Allemands qui, en 1269, obtinrent que fussent reconnus et confirmés les privilèges de Lubeck à l’égal de ceux de Cologne. Et ce fut sous l’action du duc de Brunswick que l’accord intervint, le duc ayant épousé une nièce de la reine d’Angleterre et Henry, qui ne pouvait rien accorder à un de ses sujets, ne sachant rien refuser à un étranger.

Les Allemands en arrivèrent même à détenir une des portes de la ville de Londres dénommée Bishopsgate. Les historiens anglais pensent que les « Easterlings » (c’était le nom que l’on donnait aux étrangers venant de l’Est) étaient les agents secrets du roi Henry et que ce dernier les récompensa par cette concession. Toujours est-il qu’en 1282, c’est-à-dire sous Henri III, ils conseillaient à payer 210 marks pour les réparations de Bishopsgate afin d’en éviter la saisie, puis, pour l’avenir, ils s’engageaient à entretenir la grille à l’année et à prendre à leur charge le tiers des dépenses nécessaires à sa défense.

Après deux cents ans, on pouvait, comme suit, supputer les résultats de l’opération : au début, les Allemands s’étaient engagés à soigner la clôture, ce à quoi ils manquèrent totalement, et à contribuer au coût de sa défense, ce qui, en temps ordinaire, ne pouvait les ruiner ; à l’actif, ils avaient obtenu une exemption de la « taxe du mur », le droit de conserver en magasin leur blé pendant quarante jours, pas d’octroi, et l’autorisation de loger un Allemand dans la maison adjacente à la porte.

Le centrer de l’action germanique à Londres devait être le célèbre Steelyard. Ce n’était nullement, comme l’ont avancé certains historiens, un local où la Hanse aurait eu le droit d’enfermer ses stocks d’acier : c’était tout simplement la chambre où apparaissait le bras d’acier d’une machine à peser. Et en Écosse encore aujourd’hui, comme dans certaines villes d’Angleterre, l’expression s’applique toujours au même objet. La factorerie était située rue de la Tamise et allée de Windgoose et était appelée le Guildhall des Allemands ; elle possédait de vastes docks sur le fleuve et comportait tout un groupe d’importantes constructions puissamment fortifiées : l’établissement fut agrandi au fur et à mesure de l’extension du commerce.

Les affaires du Steelyard étaient gérées, tant au point de vue du trafic que de la discipline, par un alderman allemand assisté d’un conseil allemand. Le gouvernement de la Hanse était autoritaire, ses lois très dures.

Quand les marchands teutons arrivèrent en Angleterre, ils paraissaient obéir à une règle monastique que, vraisemblablement, ils avaient empruntée à leurs aïeux et protecteurs, les chevaliers teutoniques, et qui, nous l’avons vu, était appliquée à Bergen. Ils dormaient dans des cellules, ne se mariaient pas, ou du moins ceux qui épousaient des Anglaises ou vivaient avec des Anglaises « perdaient la Hanse ». On ne tolérait même pas une lingère, ou femme de ménage. L’introduction dans la place d’une femme, même en plein jour, était punie d’une lourde amende, parfois même de la perte des droits hanséatiques.

Par ailleurs, il était interdit aux « Kamaraden » (masters) comme aux « Gesellen » (assistants) de rompre les liens qui les attachaient à la Hanse et d’aller porter les secrets du commerce à ces étrangers sur lesquels on vivait. Le plus profond mystère régnait sur les décisions prises au Guildhall allemand, sur ses délibérations, ou même sur les simples conversations qui s’y tenaient.

L’alderman, l’ancien, à qui la direction appartenait, était assisté de deux assesseurs et de neuf conseillers : cet aréopage se réunissait chaque semaine, pour délibérer sur les opérations du comptoir, pour juger les contestations. Les députés délégués par la Ligue au comptoir de Londres n’entraient pas en fonctions sans avoir juré de « maintenir de tout leur pouvoir les règlements, coutumes, droits, privilèges et libertés de la Ligue en Angleterre, et de rendre justice avec impartialité à tous les ressortissants, aux pauvres comme aux riches, soit à Londres, soit dans les autres villes d’Angleterre ou d’Écosse dont leurs vaisseaux fréquentaient les ports ».

La réunion de toutes les compagnies des villes d’un même pays en un seul et même corps offre un exemple du système d’association commerciale en faveur à cette époque : ce fut ainsi qu’en Angleterre, les Hanses de Lyon, Boston, York, Bristol. Ipswich. Norwich, Yarmouth, Hull et autres, s’unirent à la grande Hanse de Londres ; l’alderman placé à la tête de cette union générale avait donc par suite sous sa direction le commerce allemand de toute l’Angleterre.

Les Allemands avaient en Angleterre, on l’a vu plus haut, le roi pour eux : fut-ce à titre gratuit ? Personne ne le crut. Eurent-ils d’autres appuis dans la place ? En 1282, la Hanse fut confirmée dans le droit d’avoir un alderman qui jugeât les disputes de ses membres avec les citoyens de Londres, sous cette condition que ce juge serait pris parmi les aldermen de la ville, lesquels juraient de sauvegarder les intérêts de la Cité. Mais ce juge, une fois nommé, ne recevait-il des Allemands que des honoraires s’élevant à quinze « nobles d’or », qui lui étaient remis délicatement enveloppés dans une paire de gants et qui, d’après un auteur allemand, paraissent avoir excellemment réussi à gagner un citoyen influent à la défense des intérêts de la Hanse ? En 1344, la situation était occupée par le maire de Londres lui-même. Au siècle suivant, en 1426, on trouve dans les registres du Guildhall la trace d’une entente tout à fait dépourvue d’artifice : il y est dit que « les privilèges antérieurs des Allemands leur sont conservés, mais à la condition que chaque année ils paieront aux sheriffs une somme de 40 shillings, et au maire deux barils de harengs de première qualité, un baril d’esturgeon, cent livres de bonne cire de Pologne, ou leur représentation en argent ». Et dans le même ordre d’idées John Wheeler, secrétaire de cette association des aventuriers marchands qui devait être opposée à la Hanse, accusait, en 1604, les Allemands de corrompre les officiers des douanes dans les petits ports avec une morue ou un baril de vin du Rhin : c’était la manière dont les Allemands de l’époque entendaient la pénétration pacifique.

La hase du système que la Hanse avait adopté pour se créer une situation à part, était l’acquisition de garanties en matière de taxes par rapport non seulement aux autres étrangers, mais aussi aux indigènes.

Dans les chartes primitives on trouve la condition que les taxes qu’ils ont à payer ne devront pas être ultérieurement augmentées, et cette clause leur donnait un bon prétexte pour être exemptés des taxes anciennes quand elles étaient surélevées ou des nouvelles, quand il en était institué. La charte, dite « Parva custuma » par exemple, faisait partie d’un ensemble d’arrangements passés entre Édouard Ier et tous les négociants : d’une part, il leur accordait le droit de vendre sur tous les marchés d’Angleterre sans payer de quayage ; il leur octroyait de plus certains privilèges de naturalisation, plus exemption d’arrestation, prompte justice, etc. Enfin, il leur donnait à Londres un juge spécial pour connaître de leurs causes, instituait un jury composé par moitié de citoyens de la ville où la cause était entendue et, pour l’autre moitié, de négociants étrangers. Et cet ensemble de dispositions constituait la « Parva custuma ». La Hanse mit ces chartes spéciales au-dessus des lois générales et se trouva ainsi placée vis-à-vis des étrangers sur un pied infiniment plus favorable. Bien mieux, elle arriva à primer même les marchands anglais : ainsi la taxe graduée sur l’exportation des draps était comprise sous trois rubriques, l’une, la plus adoucie, s’appliquant aux Allemands, la moyenne aux Anglais, la plus onéreuse aux étrangers autres que les Allemands. La « Antiqua Custuma », qui était une taxe royale sur les laines et les cuirs, mettait sur le même pied Anglais et étrangers : parfois le Parlement, en votant l’impôt, essayait de réagir contre ces dispositions. Mais, ici aussi, l’Allemand trouvait le moyen d’échapper au paiement, en invoquant avec un complet succès l’existence de ses anciens privilèges. Par ailleurs, aussi bien à Londres qu’à Venise, il excellait dans l’art de falsifier les manifestes ; il connaissait ce que « valait » chaque agent des douanes et parvenait à pénétrer frauduleusement dans la guilde aux laines où, sous la haute surveillance du Gouvernement, se traitaient toutes les affaires avec les Flandres.

*
**

Ce ne fut pas seulement avec les municipalités, les douanes et le Roi, que la Hanse avait affaire ; elle avait subordonné à ses intérêts la justice anglaise.

Dans le traité de 1437 les marchands des villes allemandes étaient autorisés à opter « pour le renvoi des causes dans lesquelles ils seraient impliqués pour qu’elles soient jugées, en toute diligence, sans le remue-ménage et les formalités d’un procès, devant deux juges à désigner par le Roi ». Dans le traité d’Utrecht de 1474, même concession : « Les marchands hanséatiques en Angleterre ne seront pas soumis à la juridiction de la Cour du Grand Amiral : ils verront le Roi désigner deux juges pour statuer sur toute affaire maritime ». Comme le roi Édouard IV était fortement endetté vis-à-vis des Allemands, et qu’en fait, il devait sa couronne à leur assistance, il est aisé d’imaginer avec quelle impartialité étaient désignés ces juges.

La force de la position des Allemands vis-à-vis du commerce britannique devait être accrue par d’autres mesures : dans onze villes anglaises et quatre irlandaises furent créés des monopoles en leur faveur pour ce qui concernait la vente des laines, et dans toutes ces villes, il y avait des cours pour juger les différends entre vendeurs et acheteurs ; ces cours comprenaient deux Anglais et deux étrangers, soit Allemands, soit Lombards. Deux marchés s’ouvrant à la laine anglaise, la Lombardie et les Flandres, la mention d’Allemagne dans les statuts montre que les achats de laine se faisaient, au moins en Flandre, par l’entremise de la Ligue hanséatique. Et comme la Ligue déployait en Italie une forte activité, on est en droit de supposer que souvent les étrangers travaillèrent d’accord contre les deux Anglais. Et si l’Allemand était condamné, il avait beau jeu à interjeter appel auprès du Roi, puisqu’il était le banquier du Roi.

En somme, maîtres du marché anglais, puisqu’ils pouvaient en même temps se refuser à lui apporter le blé de la Baltique et à lui acheter la laine, financiers du gouvernement britannique et par là exerçant son influence sur sa politique, favorisés dans l’application des droits de douane, exemptés des taxes municipales, de « grille » ou de route ; parfois appelés à prendre à ferme les impôts et par là même en mesure d’obtenir de nouveaux avantages, ils couvraient l’Angleterre comme l’Europe du réseau de leurs combinaisons, opposant aux efforts individuels la force de l’association et, par là, provoquant l’exaspération du parti de la protection et du patriotisme, du parti anti-allemand, qui, tout naturellement, était né des abus de la situation que l’on a cherché à exposer.

*
**

Les trois Édouard (1271-1376), observèrent la même attitude vis-à-vis des Allemands : ils eurent besoin d’argent, les Allemands voulaient des privilèges commerciaux ; l’entente se fit d’elle-même. Par exemple, en novembre 1260, Édouard Ier forma une grande armée pour l’invasion du pays de dalles ; il expédia des agents, non seulement par toute l’Angleterre, mais aussi à l’étranger, pour acheter des munitions. Et par une coïncidence qui n’eut rien de fortuit, le 17 du même mois, il confirme aux Allemands leurs privilèges en promettant qu’il ne fera rien ou ne permettra rien qui y porte atteinte. En 1307, le Roi est dans l’impossibilité de payer ses dettes aux marchands de Brahant : il les autorisa à recourir à un règlement d’après lequel ils se payent sur les droits dus par eux en vertu de la « Nova Custuma » et, de l’incident, naît un nouvel arrangement, la « Carta Mercatoria » de 1303. Au cours du rogne d’Édouard III, le procédé se montre encore plus clairement : en 1335, il paye à l’empereur Louis de Bavière un subside de 300 000 florins ; les électeurs de Cologne et du Palatinat sont ses pensionnaires ; au duc de Brabant, il verse £ 60 000 et ce, pour l’aider dans la lutte contre le roi de France. Et, la même année, à York, il passe un acte protégeant les marchands étrangers contre les dommages à eux causés par certaines gens des cités, bourgs, ports de mer ou autres lieux, qui refusent de permettre à ces étrangers de vendre leur vin ou autres marchandises à d’autres qu’à eux-mêmes. Il est, en conséquence, proclamé « que tous marchands étrangers aussi bien qu’indigènes peuvent librement acheter et vendre blé, vins, viande, poisson, et autres victuailles, laines, drap et toutes autres marchandises, d’où qu’elles viennent, aussi bien dans les cités, bourgs, villes, ports, foires, marchés ayant des franchises que dans tous autres lieux ». La seule réserve que le Prince en sa justice se permette de faire, c’est « qu’aucun marchand étranger n’emportera ce vin hors de ce royaume ».

Le Prince signataire d’un pareil acte transporte à Calais 100 000 hommes sur 1 100 navires et c’est vis-à-vis des Allemands qu’il s’engage de singulière façon. En 1339, en effet, il donne en garantie ses joyaux à Cologne et à Trèves, emprunte 54 000 florins aux bourgeois de Malines, conclut une étroite alliance avec les cités de Brabant et passe un Noël royal à Anvers. Quand il donne le signal du départ, ses créanciers lui rappellent que ses dettes s’élèvent à £ 30 000 ; et alors il laisse en gage sa couronne, celle de la Reine, la Reine elle-même, leur enfant, les comtes de Derby et de Salisbury. Un peu plus tard, le terme étant échu, Cologne menace d’exécuter le Roi. Le 14 février 1342, Édouard écrit au Conseil de cette cité pour demander un délai et pour promettre un prompt paiement par l’intermédiaire d’un usurier flamand répondant à l’harmonieux nom de Montefiore : en même temps, il garantit à Cologne la confirmation de tous ses privilèges en Angleterre.

Un nom qui dans l’histoire des rapports de la Hanse avec la royauté revient souvent, c’est celui de Tideman von Lymbergh : c’est entre lui et Johan von Wolde que se partage, en février 1343, la moitié du droit de 40 shillings par sac de laine que les marchands avaient consenti à payer au Roi. En 1344, celui-ci donne sa couronne en garantie à deux marchands appelés Clippint et à deux autres nommés Ativolde. Vers pâques de 1316, il livre sa seconde couronne à Tidemann qui la garde trois ans. En 1346, Tidemann et ses amis reçoivent, en laveur de la guilde allemande, une copie spéciale des privilèges hanséatiques, sans doute parce qu’à ce moment, il n’y avait rien de plus substantiel à mettre en gage. En 1347, le Roi livre à Lymbergh plusieurs coupes et joyaux sertis de pierres précieuses. En août de la même année, il confirme un arrangement entre Lymbergh et le Prince Noir, par lequel les mines de zinc de Cornouailles sont pour trois années livrées aux Allemands. En 1348, le Roi fait de son prêteur patenté un seigneur terrien en lui donnant pour mille années des maisons et des terres en Somerset, Wilks, Southampton, Bucks, Northampton, Cambridge, Suffolk ; un peu plus tard, l’inappréciable Tidemann se voit concéder les revenus de la taxe sur les laines et l’on peut être sûr que là où cet Allemand met le doigt, suit toute une troupe de ses compatriotes.

Tout naturellement, le sentiment public anglais s’élève avec force contre les Allemands : les marchands anglais sont obligés à quitter les Flandres ; un orage anti-germanique gronde devant lequel se courbe le Roi qui, en 1351, lance un édit confisquant les marchandises allemandes en Angleterre, mais bientôt on apprend que sont exemptés les biens non seulement de Tidemann, mais aussi d’un autre Allemand, Oliver von Houle. En novembre de la même année, le Roi renchérissant, déclare prendre sous sa protection Hildebrand Sudermann qui a été non seulement accusé du meurtre d’un certain Richard Curteys, marchand de Bristol, mais aussi d’insultes vis-à-vis de la nation anglaise. Et quelques mois plus tard, la situation s’éclaircit tout à fait : le 20 août 1352, le Roi adresse aux sheriffs un ordre leur enjoignant « de faire une proclamation déclarant que, malgré l’ordre récent du Roi d’arrêter les marchands de la Hanse d’Allemagne et de saisir leurs biens, lesdits marchands seront autorisés à librement commercer en Angleterre, à l’exception de Hildebrand Sudermann ».