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Extrait : "MADAME HERBINE, marquant avec des jetons : Je marque de soixante-quinze, c'est comme quatre-vingt. Je suis heureuse aujourd'hui. ORPHILE, battant les cartes : Vous l'êtes toujours, ma tante ; mais à Dieu ne plaise que je m'en plaigne jamais. (Il se lève.) MADAME HERBINE : Où allez-vous donc ? ORPHILE : Chercher un coussin pour mettre sous vos pieds."
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Seitenzahl: 62
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335087499
©Ligaran 2015
En politique, les exceptions sont injustes ; dans le monde, les exceptions sont ridicules ou sublimes ; les exceptions, dans l’art dramatique, sont rarement heureuses.
J’entends par exception ces caractères qui sortent de la règle commune, et qui sont en opposition avec les mœurs habituelles de leur âge, de leur position sociale ou de leur pays. Le poète dramatique doit donner à son siècle des leçons utiles, en lui offrant des portraits ressemblants. Avec quelque talent qu’il fasse l’éloge ou la satire d’un individu perdu dans la foule, il a manqué le but.
C’est ainsi que Destouches, dans sa comédie de l’Homme Singulier, a vainement prodigué beaucoup de vers et de situations comiques ; il ne produit aucun effet. Qu’un homme soit bizarre ; qu’il s’éloigne de toutes les coutumes sociales, peu importe à des spectateurs pour qui le théâtre est le miroir de la société, telle qu’ils la voient et dont ils font partie.
Térence, longtemps avant Destouches, était tombé dans la même faute. Un père humoriste, qui châtie son fils, et le force de fuir pour se châtier lui-même ensuite de sa dureté, en se retirant au fond des bois ; ce caractère (l’Héautontimorumenos) n’est pas absolument faux, mais il appartient à cette nature d’exception à laquelle le public s’intéresse très peu.
Je pourrais apporter plusieurs exemples récents à l’appui de cette critique : je me contenterai de citer le précepte d’Horace :
« Conserve à chaque âge ses mœurs, ses habitudes ; que le jeune homme soit bouillant, étourdi, volage ; que l’homme mûr ait de l’ambition, de la sagesse, de la constance ; que le vieillard soit cupide, grondeur. »
J’aurais très mal rendu ma pensée, si l’on pouvait croire que je voulusse m’élever contre ces contrastes de position et de caractère, d’où résultent les plus grands effets comiques, lorsqu’il y a vérité dans ces contrastes, et lorsqu’ils s’adressent à des classes entières, comme dans le Bourgeois Gentilhomme, dans le Bourru bienfaisant, etc. Dufresny a tiré grand parti de ces oppositions naturelles et communes. Doué d’un talent original et d’un esprit fin, il a su habilement choisir, entre les bizarreries humaines, non celles qui étonnent par leur rareté, mais celles qui naissent communément des contrastes si fréquents entre les mœurs, les habitudes, le caractère, et la position.
Je viens de faire le procès à ma comédie. Un avide héritier de vingt-cinq ans est un caractère d’exception ; il est rare de rencontrer des jeunes gens avares, intéressés, avides de recueillir des héritages, et prêts à sacrifier les plaisirs de leur âge à l’ambition des richesses. Ces travers appartiennent à un âge plus avancé. Malgré le défaut capital, que j’ai pris moi-même le soin de signaler, cette pièce a dû au jeu plein de naturel et d’esprit de MM. Closel et Armand un succès qui n’a été interrompu que par celui de la Vieille Tante, comédie de M. Picard, fondée sur un caractère à-peu-près semblable.
ORPHILE.
MADAME HERBINE, tante d’Orphile.
DURFORT, oncle d’Orphile, frère de madame Herbine.
SESANNE, amant de Victorine.
VICTORINE, pupille de madame Herbine et de M. Durfort.
MARGUERITE, femme-de-charge chez M. Durfort.
VALENTIN, valet d’Orphile.
UN NOTAIRE.
UN AVOCAT.
La scène est à Paris.
Au premier acte, dans la maison de madame Herbine.
Au deuxième, dans la maison de M. Durfort.
Au troisième, dans celle d’un parent mort depuis peu.
Le théâtre représente un salon fermé d’un côté par un paravent. Madame Herbine, vêtue en vieille femme de l’ancien régime, joue au piquet avec Orphile ; elle est assise dans un grand fauteuil près de la cheminée.
Madame Herbine, Orphile.
Je marque de soixante-quinze, c’est comme quatre-vingt. Je suis heureuse aujourd’hui.
Vous l’êtes toujours, ma tante ; mais à Dieu ne plaise que je m’en plaigne jamais.
Il se lève.
Ou allez-vous donc ?
Chercher un coussin pour mettre sous vos pieds.
Sans reproche, mon neveu, vous pouviez vous en aviser plus tôt.
C’est à vous de jouer, ma tante il bâille.
Vous vous ennuyez, je crois.
Moi, point du tout, au contraire.
Six cartes de point, qui sont bonnes, trois as, trois dames, douze : la quinte au valet ?
Elle est égale.
Ces coups-là n’arrivent qu’à moi : vous étiez repic, si vous eussiez écarté comme il faut elle compte en jouant. ; treize, quatorze, quinze… Je ne sais quel air vient de ce côté elle regarde autour d’elle.
Ce paravent ferme mal ; je vais aller chercher votre pelisse.
C’est inutile.
Les précédents, Valentin.
Madame prendra-t-elle aujourd’hui ses fumigations ?
Oui, sans doute ; et vous auriez dû, mon neveu, m’en faire souvenir.
Mais êtes-vous bien sûre, ma tante, que ces bains de vapeurs ?…
Je suis sûre que je suis rajeunie de vingt ans depuis que j’en fais usage, et je ne désespère plus d’arriver à l’âge de mon père.
On vit longtemps dans votre famille !
Mon père est mort à cent deux ans, d’une chute de cheval.
Jugez donc ! madame qui n’y monte pas.
À propos, vous vous étiez chargé de découvrir l’adresse de ce docteur italien à qui l’on doit l’invention de ces bains balsamiques… Vous l’avez oublié ; vous ne songez à rien.
Je m’en informerai aujourd’hui même.
Je vous ferai prévenir pour notre lecture, si cependant cela ne vous fatigue pas ?
Moi, ma tante, me fatiguer de ce qui vous amuse !
J’ai fait ma provision pour cet hiver : nous avons à lire cinq poèmes descriptifs, la collection complète des drames allemands et anglais traduits par un littérateur flamand, et trente ou quarante volumes de romans historiques : c’est un genre délicieux que le roman historique.
Tout à fait amusant.
Je ne vous ferai pas attendre…
Orphile, Valentin.
Je voudrais bien savoir de quoi vous vous mêlez, de venir ici nous parler de fumigations ; est-ce votre affaire ? ne suis-je pas ici pour veiller à la santé de ma tante ? Vous avez toujours la rage de faire l’officieux à contretemps.
J’ai cru que monsieur s’ennuyait.
Quand cela serait, je suis ici pour cela ; et la vie que je mène depuis cinq ans, est-ce pour mon plaisir ?
Oh non ! c’est pour votre intérêt.
Chacun cherche à s’enrichir ; j’ai choisi la manière la plus innocente et la plus naturelle.
Mais non pas la plus courte ; car enfin vous n’êtes pas plus avancé que le premier jour.
Comment, butor ! ma tante n’a-t-elle pas cinq ans de plus ? ce qui lui en fait soixante-onze ; crois-tu qu’elle soit immortelle ? reprenant le ton cafard. Ce n’est pas que j’arrête un instant ma pensée sur ses derniers moments ; mais enfin chacun doit finir ; c’est une loi générale : et les vœux que je forme pour ma tante ne changeront pas l’ordre de la nature, j’espère.
C’est certain.