L'envie d'aimer - Licora L - E-Book

L'envie d'aimer E-Book

Licora L.

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Beschreibung

Entrez dans la tête de Sven, dans son âme torturée par la passion et son passé...

Afin de fuir ses blessures, Sven décide de s’exiler aux États-Unis. Un nouveau départ pour une nouvelle vie. Là-bas, il va faire la rencontre d’une pétillante jeune femme. La passion qui va naître entre eux est intense. Pourtant, Sven sombre de plus en plus.
Quand les affres du passé se mêlent au présent, quel avenir lui reste-t-il ? Est-ce que quelqu’un entendra son SOS ?

Ce spin off fait suite à la trilogie L’envie de vivre du même auteur !

À PROPOS DE L'AUTEURE

Licora L. - 30 ans, mariée et maman de deux petites filles, mais aussi infirmière dans un centre hospitalier de Saône et Loire, conseillère municipale et cogérante d'une association d'animation avec mon mari.
Passionnée de lecture depuis mon plus jeune âge, j'ai d’abord été happée par tout ce qui touchait au domaine du surnaturel. Les histoires réelles en particulier. Puis en grandissant, mes centres d’intérêt ont évolué. Romantique dans l’âme, les belles histoires d'amour m'ont toujours fait rêver. C’est un plaisir d’ouvrir un nouveau livre, de découvrir comment un sentiment aussi beau et aussi fort peut l’emporter sur tous les obstacles.

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L’envie d’aimer

Souffrir ou survivre

Licora L

Romance dramatique

Images : Adobe Stock

Illustration graphique : Graph’L

Art en Mots éditions

Prologue

« Le jour », Emmanuel Moire

Après toutes ces années d’errance, mon meilleur ami a enfin trouvé la femme qui lui convenait. Malgré ses conneries, elle a su l’écouter, lui pardonner. L'aimer. Comme dans un putain de conte de fées, tout est bien qui finit bien. Pour tout le monde. Sauf pour moi.

Une bouteille à la main, un joint dans l’autre, avachi dans mon fauteuil, je crache une fumée blanche, en espérant qu’elle m’engourdisse le cerveau quelques minutes ou quelques heures. L’oubli, l’ivresse, le répit, voilà ce que je veux, putain ! Faire le tri, garder en mémoire uniquement ces instants qui gonflent le cœur, vomir ceux qui font mal. C’est comme ça que je veux vivre ma dernière soirée. Ce sont mes ultimes instants ici, dans mon petit deux-pièces, en France. Je pars sans regret en laissant derrière moi une existence pourrie, où Dieu semble m’avoir rayé de sa liste. Qu’il aille se faire foutre, tiens !

Quand j'ai tenu Tristan dans mes bras, j’ai eu ce pincement au cœur, celui qui vous laisse un goût à la fois doux et amer. Le doute s’est insinué dans ma tête quant à ma décision de m’exiler loin d’ici. J’ai eu envie de hurler ma rage, mais face à leurs sourires d’heureux parents, à ce petit être fragile installé contre moi, j’ai littéralement fondu et lutté contre l’envie de tout lâcher, mordant mes joues pour ne pas craquer. Ouais, j’ai failli chialer comme un gosse devant cette innocence à l’état pur. C’est quand même avec une immense fierté que j’ai accepté de devenir le parrain de cet ange. Sauf qu’avant de pouvoir me consacrer à ce petit bonhomme, j’ai besoin de me retrouver moi-même.

Souvent considéré comme le mec qui était le plus sage de la bande, je me rends compte que je ne suis pas foutu de suivre les conseils que j’ai pu donner à mes potes. J’ai remis mon meilleur ami sur le droit chemin quand il partait en vrille, manquant de passer à côté de la chance qu’il lui a été donné. Aujourd’hui, je n’en montre rien, mais je suis crevé de tout ça. Ce bonheur qui m’éclate à la gueule, j’en rêve autant que j’en souffre. Qui aurait pu croire qu'un jour, il me ferait partir ? Tant de gens le cherchent, tandis que moi, je le fuis, désireux surtout d’échapper à cette descente aux enfers qu’il entraine quand on le perd. Cette douleur atroce qui vous lacère et ne vous laisse jamais en paix. La vie s’acharne contre moi, ne me laissant que peu de répit, semant sur mon chemin les doutes, les blessures, voire la mort.

Avec lassitude, je rejoins mon lit dans l’espoir de me voir accorder quelques heures de repos dans le tourbillon de mes pensées. Sauf que, comme toutes les nuits d’avant, je ne dors pas. L’insomnie me tient compagnie, me laissant ruminer sans cesse, pendant que j’envoie valser mes draps imbibés de sueurs. J’ai chaud, j’ai froid, je ne suis plus sûr de rien.

Je suis tiré de mon sommeil par les premières lueurs de l’aube. Paresseusement, le cerveau encore embrumé par les joints que je me suis enfilés la veille, je me lève tant bien que mal, me passant une main fébrile dans mes cheveux. Posté devant ma fenêtre qui donne sur les toits de Paris, je contemple une dernière fois cette vue qui a été la mienne durant des années. Aujourd’hui, c’est le grand jour.

Je pars.

Loin, très loin d’ici.

Pour un nouveau départ, un nouveau souffle. Il me faut à tout prix m’éloigner de cette toile d’araignée qui se tisse autour de moi, me prenant à la gorge pour mieux m’étouffer. L’avenir n’est qu’un brouillard immense pour l’instant, une notion que j’ai du mal à envisager.

Qu’est-ce que je vais foutre de ma vie ? Voilà la putain de question que je me pose tous les jours. Celle qui, pour l’instant, ne trouve pas de réponse.

Après un dernier regard sur ce qui fut mon refuge, je claque la porte de mon appartement, le cœur serré, la gorge nouée. Mes poings se crispent sur mes bagages, tandis que des larmes bordent mes yeux, sans jamais en franchir la barrière. Il y a bien longtemps qu’elles ne coulent plus. Elles me noient petit à petit. Jusqu’à présent, j’ai toujours réussi à maintenir la tête hors de l’eau. Mais aujourd’hui ? Demain ?

Le paysage urbain défile sous mes yeux, sans que je n’y prête attention. Même les klaxons de la capitale ne réussissent pas à me sortir de ma tourmente. Seule résonne la voix criarde du conducteur de taxi, qui m’engueule parce que je fume dans sa caisse flambant neuve. Rien à foutre, j’en ai besoin.

Sur le terminal, je déambule au milieu de la foule pressée, tel un automate, un pantin qu’on manipulerait avec des fils. Les gens se bousculent, tandis que j’avance, seul avec mes peines sur mes épaules et mes espoirs aux pieds. J’ai arrêté de penser, pour simplement m’empêcher de faire marche arrière.

En montant dans l’avion qui me mènera vers d’autres horizons, j’observe une ultime fois cette ville, ce pays qui m’a vu naître et mourir de l’intérieur. Avec au fond, une seule prière : j’espère que là où je vais, la vie me sourira à moi aussi…

CHAPITRE 1

Tout recommencer

« La vie ailleurs », Emmanuel Moire.

Après plusieurs heures de vol, je suis littéralement déchiré. J’arrive dans cette fourmilière aux dimensions surhumaines, les yeux explosés par une douleur contenue. L’impatience des gens qui marchent tous tête baissée d’un pas pressé, les klaxons des voitures prises en embouteillage… En écoutant tout ce bruit, j’ai l’impression de ne pas avoir changé de pays. J’ai pourtant traversé un océan, mais la sensation d’être toujours au même endroit me glace le sang. J’ai fui ma terre natale pour oublier mon passé, faire table rase de toutes ces souffrances pour tout recommencer, me reconstruire, même si ça me semble un défi difficile à relever.

J’erre plus que je ne marche dans les rues de la grande pomme, accompagné de ma guitare et de trois valises. Toute ma vie tient vraiment en peu de choses. Mes pas sont lourds, portant avec chacun d’eux le poids de ma lassitude, qui se bat contre ma rage de continuer. Je lève de temps en temps les yeux au ciel, à la recherche de l’adresse que j’ai gribouillée vite fait sur un bout de papier avant de partir.

C’est bien là ! L’immeuble qui se dresse face à moi n’a rien d’engageant, c’est pourtant la seule piaule que j’ai pu dénicher rapidement, avec mes maigres économies de chanteur de bar.

J’entre puis me dirige vers le concierge pour lui signaler ma présence. Un vieil homme aux cheveux gris sales est planqué derrière son accueil minuscule. À en croire la poussière et l’état du comptoir, on ne peut pas dire que le ménage soit sa priorité. Je reste un moment posté debout devant lui, sans qu’il ne daigne s’occuper de moi.

— Bon, ça vient ? grogné-je en tapotant nerveusement le meuble qui lui sert de bureau.

Il relève le regard dans ma direction, creusant ses rides, plissant les yeux pour m’observer avec un air curieux, comme si je venais d’une autre planète. Il est vraiment bizarre ce type ! Puis, au bout d’un interminable moment, il attrape les clés correspondantes à ma chambre, me les balance sans même m’adresser la parole.

Le reste de l’établissement n’est guère plus avenant que l’entrée. Les couloirs sont poussiéreux, le papier peint tombe en lambeau sous les moisissures et l’humidité. Charmant ! Je ne parle pas de ma piaule, dont le mobilier est vraiment sommaire. Un lit, un bureau, une lampe de chevet, une télé des années passées. Heureusement, j’ai un WC individuel, ainsi qu’une douche dans une pièce attenante. Le summum du luxe ici, je suppose !

Une fois seul dans ce… taudis, je m’avachis sur le matelas, mort de fatigue avec le décalage horaire, mais sans aucune envie de dormir. Je sors mon téléphone de ma poche, le rallume. Sans surprise, aucun message, aucun appel. Je ne manque à personne. C’est le lot des gens seuls. Car oui, je suis seul, mais l’esprit et le cœur libres ! La liberté d’aller où je veux, de faire ce que j’ai envie, quand bon me semble ! Pas d’attache, pas de regrets.

La musique, voilà l’unique passion qui anime toujours mes tripes. Ça avec un bon joint, accompagné d’un peu de boisson, et c’est le paradis… MON paradis !

Je me redresse avant d’attraper ma guitare, ma fidèle compagne, puis la sors de son étui noir pour la contempler.

Mon objet précieux.

Mes doigts glissent sur son corps doré, le long de son manche, avant de s’attarder sur ses cordes. J’en fais vibrer une, puis deux. Elle réagit à ma demande, gronde selon mon souhait, s’accorde à mon humeur. Assis en tailleur, je prends mon instrument en main, le caresse comme une amante, puis lance la mélodie. Les notes envahissent l’espace réduit, elles me libèrent. Alors, je laisse tout aller. Les doutes, les peurs, les remords. La joie, l’espoir, la passion. Ma voix se superpose timidement sur les notes, dissimulant les émotions qui tentent de se frayer un chemin, pour ne sortir que celles qui sont nécessaires.

Je perds toute notion du temps, jusqu’à ce que mon téléphone se mette à jouer lui aussi sa musique. Le nom de Davis s’affiche à l’écran. À contrecœur, je renvoie l’appel vers ma messagerie. Je ne suis pas encore prêt à lui parler. Il va sûrement me demander pourquoi je suis parti comme un voleur, au moment où lui et sa nouvelle famille nageaient dans les eaux du bonheur. Le problème est que je n’ai pas encore de réponse correcte à lui apporter. J’en ai eu besoin, c’est tout !

La sonnerie s’arrête. Le silence prend place dans ma piaule. Insupportable ! Alors, je joue de la guitare, encore et encore. Il faut me concentrer plus sérieusement pour composer de nouvelles chansons, si je veux espérer un contrat avec un label de musique. Mon producteur en France m’ayant laissé tomber, je ne me voyais pas en démarcher d’autres dans ce pays. Quitte à tout recommencer, autant le faire, ici, aux États-Unis, là où personne ne me connait. Repartir de zéro, en espérant que ces démons qui me pourchassent me foutront enfin la paix.

***

Après trois jours à être resté enfermé, à tourner en rond, à tenter en vain de poser des mots sur des sons, je me décide enfin à prendre un peu l’air. Je me rends dans un premier temps au jardin de Central Park, respirer une bouffée de verdure au milieu de tout cet amas de béton. Assis sur un banc dans un coin reculé à l’ombre, stylo et bloc-notes en main, je cherche l’inspiration pour créer de nouveaux morceaux. Ceux qui me correspondent le plus, non ceux qu’on voudrait que je joue. Fini les contrats marketing, les musiques imposées juste pour faire du fric. Je ne suis pas un objet de publicité, encore moins un jouet qui est censé rapporter un max de blé aux producteurs. Je veux avant tout faire ce que j’aime, vivre de ma passion, la partager. Mais pas à n’importe quel prix !

Autour de moi, la vie suit son cours. J’entends des enfants qui s’amusent, vois des amants cachés s’embrasser comme s’ils étaient seuls au monde, d’autres qui profitent du soleil sur les pelouses fraîchement tondues. Je souris quand j’aperçois ce couple de personnes âgées se promenant main dans la main, amoureux comme au premier jour.

Je pourrais écrire des chansons sur l’amour. C’est censé être un sentiment aux inspirations infinies. Ouais, tu parles ! Sur ce plan-là, je sèche totalement ! La guimauve, ce n’est bon qu’avec un gros feu de camp.

J’essaye de concentrer mon attention sur autre chose. Cet oiseau qui vole par exemple. Sa seule préoccupation est de nourrir sa famille, trouver tout ce qu’il lui faut pour vivre au jour le jour. Un peu comme moi, en fait.

J’arrache la page gribouillée de mon carnet. Rien ne me convient, rien n’est parfait, putain ! Je me lève brusquement avant de tracer ma route, droit devant. D’un pas décidé, je marche à travers les rues de cette ville géante, où j’ai l’impression de n’être qu’une fourmi parmi tant d’autres.

Après avoir passé le reste de la journée à déambuler dans les allées et avenues de mon nouveau lieu de vie, je suis retourné dans ma piteuse chambre d’hôtel. Les mots à l’encre noire défilent sous mes doigts, tachent le papier blanc, avant que celui-ci ne rejoigne les dizaines d’autres dans la poubelle.

L’inspiration me fuit depuis des jours. J’ai passé des heures entières à essayer de composer. Sauf que rien de bon ne sort. Il va falloir pourtant que je me bouge le cul, si je veux survivre. Mes économies sont déjà bien entamées par le voyage. Je ne peux pas continuer comme ça. C’est la rue qui m’attend si je ne trouve pas un moyen de me faire du fric rapidement. Il est hors de question que j’y retourne ! Plutôt vendre mon cul que de retourner en enfer ! J’ai déjà assez galéré comme ça pour m’en sortir. Même si je saurais y faire face, cette possibilité m’écœure au plus haut point, jusqu’à me pousser à me remettre au travail pour ne pas en arriver là.

Le monde est loin de ressembler à ce que j’imaginais. En même temps, à seize ans, peut-on prétendre connaître ce qui nous entoure ? La vie ne m’a pas fait de cadeaux jusqu’ici. Elle me traîne comme bon lui semble, de colère en chagrin. Avec une mère alcoolique et un père toxico, j’aurais pu avoir un meilleur départ dans mon existence. Mais non, c’est mon quotidien. Enfin, c’était ! Depuis leur mort, il y a huit ans, je vogue de foyer en foyer, avec des personnes plus que douteuses qui, elles aussi, luttent probablement pour s’en sortir. Voir la misère des autres me renvoie ma propre merde en pleine face. Je n’arrive plus à en faire abstraction. Alors, je me suis enfui de mon dernier lieu d’accueil, pour me construire, seul.

Le froid, les mauvaises odeurs, la solitude sont mes nouveaux compagnons. Coriaces, ils me font tourner la tête, perdre la raison. À moins que ça ne soit la fumée de cigarette qui m’étourdit ? Je me suis toujours refusé à fumer autre chose, ou sniffer quelque substance que ce soit. La tentation est grande pourtant. Plus forte à chaque moment qui passe. On me promet quelques instants d’oubli, voire même quelques heures de bonheur. Mais tout ça n’est qu’illusion. La réalité, elle, est tout autre. Il va me falloir toutes mes forces pour l’affronter.

Deux ans que je traîne de squat en squat. Deux ans que j’observe sans broncher la descente aux enfers des autres, avec la trouille au bide. Des bagarres, du sang, des bad trips, des overdoses, des courses poursuites avec les flics dans les rues de Paris. Puis ma première fois avec une femme, trouvée dans le quartier de Pigalle. Poussé par mes compagnons d’infortune, je me suis jeté dans ses bras pour une nuit de débauche et de plaisir. Elle savait que j’étais puceau, elle a pris son temps pour tout m’expliquer. À la levée du jour, j’en suis ressorti… différent. Changé. Plus grand. Avec cette envie de connaitre de nouveau ces sensations charnelles.

Une sonnerie me tire de mon sommeil. Affalé sur le matelas, il me faut un moment pour me rendre compte qu’elle provient de mon téléphone. Je tâtonne parmi les milliers de feuilles éparses avant de le trouver. Sans vérifier l’identité de l’appelant, je décroche.

— Ouais, grogné-je d’une voix éraillée.

— Mec, qu’est-ce que tu fous ? Ça fait des jours que tu ne donnes plus de nouvelles. Qu’est-ce qui se passe ? T’es devenu une rock star et tu snobes tes amis ?

Merde ! Davis ! Je me redresse péniblement dans un bruissement de paperasse, tout en passant ma main dans mes cheveux longs, histoire de mettre mes idées au clair. Autour de moi, c’est sombre, tout est calme si on fait abstraction de l’agitation extérieure.

— Putain mec, tu fais chier ! T’as vu l’heure qu’il est ? Quatre heures du mat’. T’es sérieux d’appeler si tôt ?

Un réveil aussi brutal ne me met forcément pas de bonne humeur.

— Quatre heures du mat’ ? Bon sang, t’es où ? Je croyais que…

— Je suis parti, Davis. Tu le sais, je te l’ai dit !

— Mais…

— Je suis à New York !

— Putain, mais qu’est-ce que tu fous de l’autre côté de l’océan ?

— Je suis venu tenter ma chance aux States.

J’essaye de rester jovial pour ne pas éveiller son inquiétude, mais même moi, je n‘arrive pas à me convaincre que j’ai pris la bonne décision.

— Dis-moi au moins si tu vas bien ? Ce que tu fais, ton prochain concert, tout ça quoi ! Tu dois être content de réaliser ton rêve. Même si je t’en veux de t’être sauvé comme un voleur. Lucie aussi grogne après ton cul.

— Quoi, mon cul lui manque tant que ça ? Tu n’arrives pas à la satisfaire ?

— Ferme ta gueule, mec ! T’inquiètes, elle a tout ce qu’il lui faut, grogne Davis.

Je ris en silence, profitant de cet instant comme si rien n’avait changé. Voilà, ça, c’est mon pote !

Derrière lui, j’entends les pleurs d’un nourrisson. Je me radoucis en pensant à Tristan, ce petit bonhomme, ce petit bout de vie, le fruit de leur amour.

— Comment va mon filleul ? demandé-je pour changer de sujet.

— Il est en pleine forme, et nous on rêve de plusieurs heures de sommeil.

Je souris en imaginant Davis se lever en plein milieu de la nuit, la gueule enfarinée, pour aller consoler un bébé. C’est tellement pas lui, tellement loin du mec que j’ai connu.

Après avoir échangé de brèves banalités, je mets fin à la conversation. Mais avant de raccrocher, mon pote me lance, tel un avertissement :

— Sven… Prends soin de toi, mec ! Tu sais à quel point tu comptes pour moi.

— Et pour nous aussi, rajoute une voix féminine derrière.

— Alors tâche de ne pas faire le con, sinon je viens te botter le derche, compris ?

Un long soupir m’échappe, tandis que mon regard se perd dans l’obscurité. Comment prendre soin de soi, quand on se sent si seul, si… perdu ?

— Ah, et trouve-toi une nana, ajoute mon meilleur ami, rompant ainsi l’étrange silence qui régnait.

— Davis, tu sais très bien que…

— Je ne te demande pas de l’aimer, mais de t’envoyer en l’air. Je te jure que ça te ferait du bien. Rien qu’à ta voix, je sais que t’as pas baisé depuis des lustres.

Il met fin à l’appel en riant, pendant que mon esprit reste accroché sur un mot : Aimer. Ces quelques lettres restent assimilées à une seule personne. Celle pour qui j’aurais donné ma vie, celle qui me l’a reprise. Aimer, c’est s’offrir corps et âme à quelqu’un. C’est aussi lui donner le droit de vie ou de mort sur notre cœur. J’en ai fait l’amère expérience.

Dans ma piaule froide et humide, j’ai envie de crier ma rage, mon envie d’en finir. D’envoyer l’amour et le temps se faire foutre, leur demander de me laisser tranquille la nuit, le jour, au lieu de m’envoyer des images de bonheur en pleine gueule, partout, à chaque seconde.

Aujourd’hui, je ne vis pas, je survis.

Je survis à ce vide qui manque de m’aspirer chaque seconde qui passe.

Je résiste à cette existence qui ne m’a jamais été facile.

J’affronte ces brûlures qui enflamment mes veines, mon cœur, sans jamais s’éteindre. Juste assez pour me consumer, pas assez pour m’achever.

Aujourd’hui, je ne vis pas, je survis. Mais demain ?

CHAPITRE 2

Vieux Père-Noël

« C’est la musique », Vincent Niclo

En proie aux doutes et à la solitude générés par mon mode de vie, j’essaye de trouver une échappatoire aux dangers qui me guettent à chaque coin de rue. J’ai beau avoir dix-huit ans, je n’étais pas préparé à cette vie de merde. L’envie de continuer dans cette voie me déserte de jour en jour. Si j’en veux à mes parents pour cette existence misérable ? J’en sais foutrement rien. Probablement qu’ils ont une part de responsabilité. Peut-être est-ce ma foutue destinée ?

L’air est glacial, ça pue le rat crevé. Les mains au fond des poches, capuche sur la tête, dos voûté, je trace mon chemin parmi les ruelles sombres de Paris. Je pars à la recherche d’un peu de chaleur, éventuellement d’un abri pour la nuit qui s’annonce plutôt fraîche. J’ignore les cris, les râles, les appels glauques qui proviennent de l’ombre. Les bruits de verres cassés, de bières explosées contre un mur résonnent au loin, tandis que des voix s’élèvent. L’ivresse a atteint ces pauvres gars, mais c’est tout ce qu’il leur reste. La misère entame notre dignité, notre foi, nos rêves. Certains ont renoncé à se battre et ne souhaitent plus rien de la vie. Ils attendent leur dernière heure dans des états parfois lamentables. Sans famille, sans personnes pour penser à eux. Je fais partie de ce monde, de leur monde, même si je n’en suis pas encore au même stade d’abandon qu’eux.

Mes pas me guident jusqu’à une bouche de métro, dans laquelle je m’engouffre. Les odeurs d’urine me montent au nez, ainsi que les courants d’air qui me glacent un peu plus. Il fait nuit, plus aucune ligne n’est en service à cette heure tardive. Je continue de déambuler jusqu’à ce qu’une voix grave m’interpelle.

— Hé, gamin !

Mon premier réflexe est de feindre que je n’ai rien entendu pour continuer ma route. Si c’est un flic, à coup sûr, je vais me faire contrôler. Mais l’intonation me parait être celle d’un gars comme moi. Souvent synonyme d’embrouille pour une clope ou une pièce que je n’aurai pas, c’est hors de question que je m’arrête ! Pourtant, je tique lorsque ce son retentit de nouveau.

— Viens par-là, je ne vais pas te manger !

Mon regard scrute les environs, méfiant. Un peu plus loin, dans un coin reculé, un type est adossé au mur froid et humide. Quand il s’aperçoit que je l’ai capté, il me fait signe de la main de venir le rejoindre. M’assurant qu’il ne s’agisse pas d’un genre de guet-apens, je m’avance dans sa direction, d’un pas lent, les mains glacées bien calées au fond de mes poches, la tête enfouie sous ma capuche.

Arrivé à sa hauteur, je prends quelques secondes pour le dévisager. Sa peau hâlée est plus que marquée par les années de misère. Sa barbe grisonnante est aussi longue que ses cheveux sales qui lui arrivent aux épaules. Chapeau sur la tête, il lève vers moi un regard d’un bleu gris métallisé impressionnant. J’en ai la chair de poule. Malgré son air d’ermite, il se dégage de son visage une expression amusée, comme si tout ce temps à fréquenter la rue n’avait jamais entaché sa joie de vivre.

— Qu’est-ce que tu me veux ? marmonné-je, prêt à fuir en courant.

— Viens avec moi, je connais un endroit tranquille où tu pourras te réchauffer.

— Pourquoi je te suivrais ? Qui me dit que tu n’es pas un vieux fou ?

Au lieu de me répondre, il se retourne pour partir droit devant lui, sans même m’attendre. Sa démarche boiteuse sous son trench-coat kaki ne lui permet pas d’avancer très vite. Je bloque sur lui, ne sachant pas quoi faire. Le rejoindre ? Continuer mon chemin ? Lorsqu’il disparaît de mon champ de vision, je me précipite dans sa direction. Je tombe sur un couloir sombre, à vous foutre une trouille de tous les diables. Le vieil homme est là, avançant à son rythme en me tournant le dos. Sans savoir pourquoi, je me cale à ses côtés, adoptant une allure aussi lente que la sienne. Pas un mot n’est échangé, pas un regard, rien. Nous marchons ensemble comme si on se connaissait depuis toujours. Nos pas résonnent autour de nous, tandis que des odeurs toutes plus nauséabondes les unes que les autres envahissent l’espace.

Après quelques minutes à déambuler dans un véritable labyrinthe, nous arrivons dans un endroit plus spacieux, bien que toujours confiné, éclairé par un feu qui crépite en son centre. La chaleur qu’il dégage m’atteint directement, ça fait un bien fou.

L’homme avance tranquillement, tandis que je reste figé à l’entrée de ce squat bien caché dans les tréfonds du métro.

— Qu’est-ce que tu attends ? Entre, voyons !

Je viens prendre place à ses côtés, sur un vieux banc tout rouillé, les yeux fixés sur les flammes qui dansent devant moi. Pour rompre l’étrange ambiance, l’inconnu se présente :

— Je m’appelle Jimmy, et ici, c’est ma piaule ! Très isolée, mais parfaite pour un vieux loup comme moi.

Il me tend une bière, que j’accepte du bout des doigts. Sans plus attendre, je l’ouvre puis la siffle en moins de deux.

— Si tu les bois toutes aussi vite, tu vas être saoul avant même de t’en rendre compte.

Jimmy ricane pendant que je m’essuie la bouche d’un revers de la main.

— Si ça pouvait m’apporter l’oubli, alors donne-m’en d’autres, marmonné-je.

— Raconte-moi plutôt ce qui te tracasse, mon garçon, demande-t-il en posant ses doigts calleux sur mon épaule.

Ce geste me met aussitôt en alerte. Je me lève brusquement du banc, prêt à déguerpir, à fuir ce monde où l’odeur de la mort devient obsédante. Les muscles tendus, la respiration hachée, j’observe la main du vieux fou. C’est une main, rien de plus ! Pas d’arme, pas d’embrouille. Face à ma réaction, Jimmy n’a pas l’air surpris. Je dirais même que son visage est marqué d’une certaine compassion, qui m’intrigue et apaise mes craintes d’une entourloupe. D’un signe de la tête, il m’encourage à reprendre ma place. Je préfère aller m’assoir de l’autre côté du feu, mettre une distance respectable entre les deux étrangers que nous sommes. À travers les lueurs orangées, nos regards se rivent l’un à l’autre. Le sien, brillant, mais crevant de ce je ne sais quoi, et le mien, méfiant, apeuré. Celui d’un gosse trop longtemps égaré. Pourtant, ce soir, quelque chose se passe. Ses yeux ne me lâchent pas, me perturbent, semblent ausculter mon âme, créant un malaise de plus en plus intense.

— Ça suffit !! craché-je en me passant les mains dans mes cheveux poisseux.

— Très bien, sourit le vieil homme dans sa barbe. Alors, peux-tu sortir d’ici et ne jamais revenir ?

Je tourne la tête vers la seule issue. Dehors, il pleut. Dehors, il fait froid. Dehors, je n’ai nulle part où aller. Il fait noir, le danger rôde partout sur mon chemin.

— Je m’appelle Sven, soupiré-je. Il n’y a rien d’intéressant à raconter sur moi.

Les épaules voutées, je lance quelques cailloux dans le feu. Sans le voir, je sais que Jimmy continue de m’observer. Alors, je l’avertis :

— Putain, arrête de me fixer comme ça, t’es grave flippant, merde !

À ma grande surprise, il part dans un fou rire, me faisant lever les yeux au ciel. Je le savais, il est fou ! La solitude ainsi que son confinement l’ont rendu complètement barge.

— Calme-toi, Steven, arrête d’avoir l’air aussi méfiant, c’est…

— Je m’appelle SVEN pas STEVEN ! vociféré-je, ne sachant toujours pas pourquoi je n’ai pas encore fui cet endroit d’entre deux mondes. Je t’ai déjà dit qu’il n’y avait rien à dire sur moi. Nous deux, nous sommes dans la même merde, alors qu’est-ce qui te plairait que je te raconte, hein ? On s’en bat les couilles de savoir ce qui m’est arrivé, parce qu’au final, ça ne changera en rien le résultat !

Pas impressionné pour autant, ce vieil homme aux traits de père Noël des rues me dévisage, l’air grave. Tandis que j’hésite encore à lui faire avaler sa barbe, sa façon de me scruter comme si j’étais un gosse à qui on fait les gros yeux pour une connerie, commence à me glacer les sangs. Jimmy se lève avec quelques difficultés, son corps semblant peser une tonne pour ses frêles jambes. Il ramasse un bout de bois qui traîne dans un coin sombre, avant de le jeter dans le feu pour attiser la braise.

— Ce que nous sommes aujourd’hui ne nous définit pas pour toujours. Chaque être humain est unique, a un parcours de vie qui lui est propre. Même s’il ressemble à celui de son voisin, ses choix ne sont pas les siens. Steven…

Perdu dans son baratin auquel je ne comprends pas grand-chose, je me rapproche du feu, les mains en avant. L’humidité et le froid ont eu raison de mon envie de partir.

— … Tu dois ouvrir ton regard au monde extérieur si tu veux t’en sortir. Prends ce qu’il t’offre, mais va au-delà des apparences qui sont parfois trompeuses. Ne juge pas, apprends à lire entre les lignes, laisse-toi guider par ton cœur. Lui seul connaît le vrai chemin.

Après un instant de silence, le calme est rompu par quelques notes de musique sorties de nulle part. Machinalement, je lève les yeux vers mon hôte, pour m’apercevoir qu’il tient dans ses mains une guitare. Ses doigts usés et noircis frottent les cordes, les font vibrer, leur faisant jouer une mélodie ni triste ni joyeuse. Simplement quelques notes, rien de plus. Sans ton, mais entraînantes. Sans folie, mais douces et agréables.

J’observe le musicien. Il a l’air envouté, absorbé par ce qu’il fait. Putain, il joue sacrément bien en plus. D’où sort-il un tel instrument ? Comment a-t-il fait pour ne pas se le faire piquer ?

Après avoir fini son solo, le vieil homme barbu me tend sa guitare.

— Que veux-tu que j’en fasse ? ricané-je. Du bois pour le feu ?

Jimmy continue de rester immobile face à moi, jusqu’à ce que je prenne l’instrument à cordes dans les mains.

— Tu peux tout lui confier, à elle. Elle saura écouter tes blessures, t’aider à sortir ta colère. Laisse aller tes doigts, parcours-la comme tu caresserais une femme. Avec délicatesse, tendresse, ne fais plus qu’un avec elle. Sa musique va t’envahir, t’emporter là où tu le souhaites, mais aussi dans des endroits insoupçonnés. Vas-y, joue ! Parce qu’il n’y a que la musique qui te suivra, où que tu ailles. Parce que la musique te rendra la vie plus légère. Alors, vas-y, joue ! Et vis !

Chapitre 3

La vie continue

« Ainsi va la vie » Vincent Niclo

Vivre.

C’est ce que je m’efforce à faire, depuis toujours. À travers les obstacles, au-delà des chemins tortueux où le destin s’amuse à me perdre. Je fonce, profite de chaque instant, de la moindre seconde à m’enivrer de quelques miettes de bonheur, dispersées ici et là.

Vivre, c’est vibrer, crier, jouir, aimer, pleurer. J’ai dû expérimenter tout ce qu’il était possible de ressentir. Bien sûr, j’ai connu des moments de joies, d’amour et d’amitiés qui m’ont porté dans mes plus belles années, sorti des ténèbres auxquels je ne pensais pas réchapper. Mais il y a cette douleur, ancrée tout au fond de mon cœur, qui me rappelle sans cesse que même si la vie est belle, elle peut être tout aussi cruelle, voire sans pitié.

Le vieux Jimmy avait raison sur un point : la musique, elle, ne nous déçoit jamais. Elle nous aide à partir quand le monde devient fou, trop brut. Ses notes nous permettent de nous libérer de ce fardeau devenu trop lourd à porter. Comme si on partait à dos d’oiseau, elle nous fait voyager au-delà des sentiments, jusqu’à les fausser pour nous donner l’amère impression que la vie n’est pas si pourrie que ça. Elle nous trompe, nous rassure, nous cajole en nous enveloppant dans cette bulle irréelle où l’impossible devient possible. Où la réalité n’est pas si dure, où le rêve n’est pas si heureux. La musique, c’est un voyage d’entre-deux mondes, porté entre l’âme et le cœur. Voilà tout ce que j’ai appris avec celui que je surnommais « Vieux père Noël ». Cet homme qui m’a pris sous son aile sans que je ne sache vraiment pourquoi moi plutôt qu’un autre. Il avait l’âge d’être mon père, peut-être m’a-t-il considéré comme son propre fils ? C’est lui qui m’a enseigné comment avoir moins peur de ce qui m’entourait. Lui qui m’a montré l’art de la survie, mais aussi celui de garder la foi en son destin. Celui de rire, quand d’autres ne savent que pleurer. L’envie de vivre, quand certains attendent et ne demandent qu’à crever.

Je me rappelle encore de ses mises en garde contre un certain Darkos. « Ne fréquente surtout pas ce type, il est manipulateur, menteur. Ne te fie pas à ses sourires de jeune premier. Tu cours droit aux tromperies avec lui. Ne t’en approche jamais ! ». C’est bien une des choses que je n’ai pas respectées. Le fric, les femmes, l’art et la manière de séduire, de détruire, je les ai connus, appris avec ce gars infréquentable. C’est aussi à cette époque, peu de temps après, que j’ai rencontré Davis. Très vite, il est devenu plus qu’un ami, mon frère de cœur. Le mec qui m’a tiré d’affaire plus d’une fois, quand j’étais embourbé dans des manigances puantes jusqu’au cou. Celui qui, désormais, vit sa vie avec la femme qu’il aime.

***

Des papiers noircis d’encre jonchent le lit ainsi que le sol. Je me renferme dans la composition de chansons pour éviter de penser à ma réalité merdique. Quelques mots me viennent, certaines notes résonnent en moi, mais rien de fort, rien de beau ne sort. Je soupire en me maintenant le crâne, puis me lève jusqu’à ma petite fenêtre pour m’aérer l’esprit. En m’allumant un joint, j’observe ce qui se passe de l’autre côté de la vitre. Les gens courent, aiment, râlent, survivent peut-être eux aussi. Pourquoi l’inspiration me fuit-elle à ce point ? Avant, j’étais capable d’écrire, de composer, d’interpréter. Je jouais régulièrement dans des bars, des karaokés. Aujourd’hui, en plus d’être devenu un semblant d’humain, j’ai l’impression d’avoir le cerveau en vrac, où ne règne que le néant. Seuls quelques souvenirs que je voudrais oublier à jamais persistent encore et encore, me rendant chaque jour qui passe un peu plus dépendant du passé.

La nuit tombe sur la grande ville. Le noir enveloppe ses immeubles, ses rues et avenues. Pourtant, rien ne s’arrête, tout continue, comme si le changement, le temps n’avait aucune emprise sur cette vie. Les lumières artificielles se substituent au soleil tandis que les cris et klaxons poursuivent leurs tumultes. Je décide de prendre un peu l’air, avant de finir cramé sur mon lit miteux.

Le pas léger, je lève la tête pour faire le vide, en prenant une profonde inspiration. Par habitude, je me dirige vers ce coin de verdure perdu au milieu de ce paysage urbain, devenu un peu ma deuxième maison. Si Jimmy me voyait, probablement qu’il me botterait le cul pour me bouger. Il ne supportait pas de voir quelqu’un s’apitoyer sur son sort. Sa croyance en l’existence n’a jamais été altérée par sa vie misérable, ce qui a toujours suscité mon admiration. Je suis persuadé qu’il aurait trouvé les mots qu’il faut pour raviver cette étincelle qui me manque tant, pour me redonner cette inspiration fuyante. Mais Jimmy n’est plus de ce monde. Sa mort a été pour moi un premier coup de massue, creusant un peu plus cette solitude qui m’a sautée à la gueule, encore une fois. Quand j’ai découvert son corps inerte et rigide, un matin d’hiver, c’est comme si j’étais devenu orphelin pour la seconde fois. Cependant, j’ai su que le sourire resté figé sur son visage m’indiquait qu’il fallait que je trace ma route, continue mon chemin. Sans lui. Sans mon mentor. Alors, j’ai pris sa guitare, joué quelques notes de sa mélodie préférée, puis je suis parti affronter le reste de ma vie.

Je me lève de ce banc en bois avant de finir avec le cul gelé. Sur le chemin du retour, je passe devant un bar où je décide de m’arrêter quelques instants. À l’intérieur, la chaleur me saisit, ainsi que les chants parfois faux de ceux qui sont sur une petite scène au fond de la pièce. Tiens donc, sympa comme endroit !

Accoudé au comptoir, je commande une vodka au serveur qui bouge en rythme avec la musique qui résonne. Mon verre dans la main, je scrute le monde qui occupe les lieux. Des hommes qui tentent de draguer, des femmes qui font semblant de ne rien remarquer, de ne pas voir qu’ils s’intéressent à elles. D’autres, plus loin, tentent de noyer leur désespoir, d’oublier un temps ce qui les mine autant. Un sourire se glisse sur mon visage quand j’observe toutes ces personnes. Ça me rappelle mes soirées avec mes potes, Bobby et Davis. L’insouciance de la vie que nous menions coulait dans nos veines. Nous en avons passé des nuits blanches à nous enivrer de tout ce qui était possible. Alcool, drogue, sexe… Oh ouais, on s’est éclaté ! Nous finissions parfois totalement déchirés au petit matin. Mais putain, qu’est-ce que c’était bon !

Je claque mon verre sur le bar en acier, avant d’en réclamer un deuxième. Ou un troisième. Non, le quatrième ? Et puis merde, rien à foutre ! L’ambiance commence à être franchement chiante. La musique devient lourdingue, à croire que ce sont les mêmes notes qui sont jouées sans cesse. Le gars ne sait donc rien faire d’autre que de pincer trois cordes avec toujours ce même tempo ? Comme s’il cherchait à vous hypnotiser, à vous rendre encore plus abruti ?!

Sans réfléchir, mes pas me guident vers la petite scène du fond. D’un geste vif, j’attrape la guitare du type en ignorant ses protestations, le pousse un peu tandis que je m’installe avec l’instrument dans les mains. Je vais lui montrer, moi, ce que c’est du bon son !

Chapitre 4

Révolution

« Our Revolution »,The Fairchilds

Mes doigts glissent frénétiquement sur les cordes. Chaque vibration résonne dans tout mon être. Faisant une totale abstraction de ce qui m’entoure, je me plonge droit dans cette mélodie électrique. Je suis secoué de la tête aux pieds par cette énergie retrouvée, je ne contrôle plus rien, me laisse porter par les notes rythmées qui sortent de l’instrument. En transe, j’attrape le micro face à moi, puis entonne quelques paroles. Un vide s’immisce doucement dans mon crâne, me purge de toutes les merdes qui y sont, pour ne donner place qu’à cette musique. Les cheveux se balançant dans tous les sens, je profite de l’instant comme un poisson dans l’eau. J’envoie chier les emmerdes, les cauchemars, les doutes. Je les tiens éloignées tant que je joue, tant que le tempo claque dans tout le bar, jusqu’à ce que mon souffle s’épuise, que mes doigts me brûlent au point de me faire mal.