L'Épopée de Verdun - Ligaran - E-Book

L'Épopée de Verdun E-Book

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Extrait : "Le 21 février 1916, l'héritier de la couronne impériale d'Allemagne, commandant devant Verdun, adressait à ses troupes l'ordre du jour suivant : « Ich, Wilhelm, sehe das deutsche Vaterland gezwungen zur Offensive überzugehen » (« Moi, Guillaume, Je vois la patrie allemande forcée de passer à l'offensive »)."

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Veröffentlichungsjahr: 2015

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Préface

Mon vieil ami Gaston Jollivet m’a demandé de présenter au public, qui veut bien m’accorder quelque crédit en matière militaire, son Épopée de Verdun.

Je me rends à ce désir avec d’autant plus de plaisir et de liberté que je connais de longue date ses scrupules de conscience. Il n’ignorait pas, en abordant un pareil sujet, que, pour écrire sur la guerre, comme d’ailleurs pour la faire, il faut – les souvenirs de 1914 nous le rappelleraient à l’occasion – une préparation qui peut-être lui manquait un peu. Du moins pouvait-il se documenter en puisant aux meilleures sources. Or, je sais que, dans ces recherches toujours assez ingrates, il n’a ménagé ni sa peine, ni son temps.

Je sais également qu’il n’a jamais eu la pensée d’établir une histoire définitive des évènements dont il parle, ni voulu entreprendre une œuvre dont le recul du temps permet seul de construire solidement les assises. Il faut de longues et patientes recherches pour percer les ténèbres qui planent sur la genèse d’une opération militaire quelconque, pour connaître exactement ses causes, ses origines, son développement et ses conséquences. J’ai mis quinze ans, pour ma part, à rassembler les documents qui devaient me servir à raconter la guerre de 1870-71. Il en faudra tout autant, sinon davantage, pour débrouiller le chaos de celle d’aujourd’hui.

Qui donc, en effet, pourrait, à l’heure actuelle, dire exactement quelle a été la conception intégrale de l’état-major allemand, dans l’affaire de Verdun, quelles raisons lui ont fait choisir ce point principal d’attaque, et si, encore, l’assaut simultané qui fut livré certain jour sur les deux rives de la Meuse est arrivé à son heure, c’est-à-dire s’il correspondait exactement au moment psychologique dont parlait feu Bismarck, comme de celui qu’il faut savoir reconnaître et choisir ? Sur toutes ces questions qui demeurent pour longtemps obscures, chacun, évidemment, peut avoir une idée personnelle, mais une idée uniquement basée sur des déductions ou, qui pis est, sur de simples inductions.

L’auteur s’est tenu fort sagement à l’écart des unes et des autres. Il s’est borné à soulever, là où c’était possible, quelques coins du voile, ce qui est déjà beaucoup. Surtout, il a préparé la tâche des historiens de l’avenir en leur présentant une documentation très touffue, puisée aux sources allemandes et françaises, et assez sûre pour permettre à chacun de pratiquer plus tard des recoupements utiles, en la comparant aux pièces officielles, ou autres, qui seront mises au jour dans les années qui suivront.

Ce qui nous intéresse dès maintenant, c’est de trouver ici, exposées presque jour par jour, les diverses scènes du drame. Voici d’abord la formidable ruée du 21 février 1916, avec ses débuts terrifiants et l’arrêt magnifique qui lui fut imposé le 24. Puis, c’est la bataille engagée sur les ailes, et les interruptions que l’ennemi, dont on a pu dire qu’il était « vaincu par sa conquête », a été contraint d’y apporter. C’est encore toute la série de ces coups de bélier spasmodiques, qui ne cessaient pas, même, après le début de l’offensive de la Somme, et dont, pour grandir le succès mal assuré, le Kronprinz, cravaté prématurément de feuilles de chêne, ne craignait pas de dire, avec une présomption bientôt punie, « qu’ils avaient supprimé une pierre angulaire de la défense française ».

Et ce sont enfin les deux coups de foudre du 24 octobre et du 2 novembre, qui frappèrent si rudement les occupants de Douaumont et de Vaux, chassés de deux points d’appui de première importance, dont la conquête, surtout en ce qui concerne le premier, avait soulevé en Allemagne des enthousiasmes débordants et d’infinies espérances. Le fracas de la catastrophe retentit jusque dans la profondeur de l’Empire, et la couronne de chêne qui pendait au cou de l’héritier de Hohenzollern se changea en une couronne d’épines. Il venait de perdre son bâton de feld-maréchal.

L’échec subi par lui avait encore une autre conséquence. Il montrait clairement qu’en escomptant notre affaiblissement, l’ennemi s’était trompé grossièrement. Nous nous montrions non seulement capables de le refouler, mais aussi de combiner deux opérations offensives, l’une devant Verdun, l’autre sur la Somme. L’armée du général Nivelle rendait à celle du général Fayolle le même service qu’elle en avait reçu. Effet très heureux de la solidarité du champ de bataille, et premier essai de cette extension des fronts de combat qui, seule, peut donner des résultats essentiels.

Autre chose encore. Au cours de cette douloureuse secousse, l’Allemagne a senti qu’elle était maintenant exposée à périr par où elle avait cru vaincre. Depuis de longues années, elle forgeait dans le mystère les instruments de guerre dont elle attendait miracle : « Honneur au général de Schlieffen qui nous a donné l’artillerie lourde ! » écrivait il y a quelques temps je ne sais plus quel officier prussien. Oui, c’est vrai ! L’artillerie lourde nous a surpris, d’abord. Mais aujourd’hui elle ne nous effraye plus, ni ne nous étonne. Nous lui en opposons une autre, qui la vaut. À Verdun, nos canons de 400 ont pris une belle revanche de Liège, d’Anvers et de Maubeuge, et les engins monstrueux, qui font du sol ravagé une sorte de chaos lunaire, ne sont plus tous du même côté.

Ils appuient, du nôtre, une infanterie inébranlable dans la résistance et fougueuse à souhait dans l’attaque. Quand ces deux éléments primordiaux de la bataille sont actionnés par des hommes qui s’appellent Pétain, Nivelle, Mangin – il faudrait les nommer tous – ils produisent des effets irrésistibles que le Kronprinz et, avec lui, la coalition germanique ont connus à leurs dépens. Si le coup qui les a frappés sur la Meuse n’est pas tout à fait mortel, il est de ceux, du moins, dont on ne se relève jamais complètement rétabli.

Et voilà quel fut le piteux dénouement d’une des plus formidables entreprises de l’Histoire, d’une entreprise montée avec un luxe de moyens inconnus jusqu’ici ; qui exigea huit mois de combats épiques et coûte à l’ennemi un demi-million d’hommes pour le moins. Après avoir suscité tant d’hosannas hâtifs, elle s’est effondrée tout d’une pièce, au grand dépit de ceux qui s’y étaient beaucoup trop obstinés. Devant le bastion inviolable de Verdun, la horde germanique a dû s’arrêter et même reculer de façon sensible. Un amas de pierres croulantes, défendu par des soldats indomptables, a constitué la barrière sur laquelle elle est venue se briser. Le monde civilisé a respiré enfin, et en face du drapeau dont les trois couleurs victorieuses flottaient au-dessus des champs de carnage, l’aigle prussienne, repliant ses serres, s’est mise à sonder du regard l’espace, pour chercher quelque part une proie moins difficile à dévorer.

*
**

Mais revenons à notre livre. À travers l’énoncé des faits de guerre, dont la nomenclature est forcément un peu sèche, l’auteur a placé des récits plus détaillés, dus à des plumes quasi-officielles et à des correspondants de guerre qualifiés. Pages pittoresques et souvent savoureuses où sont peints, en grandeur naturelle, les metteurs en scène et les acteurs de cette puissante tragédie ; je veux dire les chefs et les soldats.

Les premiers furent admirables, on le sait, et à la tête, Primus inter pares, l’homme à la tête solide, au jugement sûr et à la volonté ferme que j’ai connu autrefois dans cette École de guerre, un peu calomniée aujourd’hui, dont il fut un des professeurs les plus justement distingués : j’ai nommé le général Pétain. Mais ses lieutenants et ses aides, à la plupart desquels me lie une vieille camaraderie, trop tôt brisée par des vicissitudes que je veux oublier, qu’en dirais-je pour bien exprimer ce qu’ils valent et ce qu’ils ont donné ?

C’est d’eux qu’un écrivain suédois, M. Erik Sjœstadt, disait en 1914, avec un sentiment d’admiration jaillissante : « Ils ont travaillé en silence pendant quarante ans, le plus souvent sans aucun des privilèges conférés par une situation sociale brillante, et quelquefois même en étant à demi suspects. » Maintenant, ils donnent sans compter leur intelligence, leurs forces, leur sang et leur vie, pour faire germer la moisson de gloire qui doit payer nos sacrifices. Ah ! les braves gens !

Quant aux soldats, ce sont tout simplement des héros, qui font l’admiration du monde ; mais des héros à physionomie distincte et à allures tranchées suivant l’arme à laquelle ils appartiennent. Ils ne sont pas tous, tant s’en faut, taillés dans le même marbre, bien qu’ils aient tous la même passion patriotique au cœur, et quiconque les voit à l’œuvre apprend tout de suite à les classer.

Aussi faut-il savoir grand gré à Jollivet de nous avoir peint d’après nature ces fantassins robustes, ardents, délurés, qui jamais ne rechignent à la besogne, si rude soit-elle – et nul ne peut plus ignorer qu’à la guerre, aucune autre ne peut y suppléer – ; ces artilleurs qui semblent amoureux de leurs canons, petits et gros, et les servent, sans souci des marmites, avec tant de précision et de sang-froid ; ces sapeurs rampant sous terre dans de véritables taupinières, et toujours exposés à la terrible surprise de quelque camouflet sournois ; enfin ces aviateurs audacieux qui, fendant l’air à une vitesse folle, reconnaissent, renseignent, guident d’en haut le feu de l’artillerie et, souvent transformés en combattants, donnent la chasse à quelque adversaire trop curieux, ou rasent hardiment le sol pour semer la mort à travers les tranchées ennemies.

Dans des occupations moins éclatantes, mais également utiles et souvent tout aussi dangereuses, – car shrapnells, grenades et mitrailleuses ne respectent personne, – nous voyons défiler le porteur d’ordres, qui court d’excavation en excavation, le vaguemestre détenteur de la lettre paternelle ou des envois de la « marraine », qui traverse affairé la zone dangereuse ; voire même le « cuistot » qui risque pour le moins de s’enliser dans la boue gluante, quand il va porter aux camarades en ligne leur portion de « singe » ou de « rata ».

Et enfin, il nous faut saluer à leur rang de bataille ces camionneurs automobiles, dont les services à Verdun furent si précieux ; ces médecins, ces infirmiers et infirmières, dont le dévouement inlassable et le courage magnifique ont triomphé de difficultés qui, au début, semblaient insurmontables, tant l’organisation – nous pouvons bien le dire aujourd’hui que le mal est réparé – laissait à désirer. Il n’est pas jusqu’aux modestes territoriaux, travailleurs de l’arrière, qui n’aient leur mention dans cette liste de braves. Et c’est justice. Tous ceux qui sont au péril à un titre quelconque, méritent d’être mis également à l’honneur.

C’est bien là ce que Jollivet a voulu faire et il y a réussi. Il a montré que l’armée était le lieu d’éclosion des plus beaux sentiments et des abnégations les plus généreuses. Officiers et soldats sont mêlés, sans distinction de rang ni d’état social, dans ces pages toutes vibrantes de leurs hauts faits. Je plains celui qui les lirait avec la prétention de rester « au-dessus de la mêlée » et qui, en suivant de celle-ci les phases sanglantes mais superbes, ne sentirait pas son cœur battre plus fort, ou ses yeux se mouiller.

*
**

Pourquoi maintenant le livre porte-t-il ce titre. L’Épopée de Verdun ? Eh ! Mon Dieu ! parce que les choses dont il traite sont absolument d’ordre épique. L’épopée, quoi qu’en ait dit Renan, ne sort pas forcément d’une mythologie, et elle garde son caractère spécial, même lorsqu’elle n’est pas chantée par un Virgile. Les neuf mois de la bataille de Verdun lui appartiennent en propre, comme les campagnes des grognards, cette Iliade que, suivant le mot de Théophile Gautier, Homère n’inventerait pas.

Oui, parfaitement. Il s’agit ici d’une épopée plus émouvante cent fois que les combats fameux d’Achille ou d’Hector, fils de Priam, et qui a sur eux l’avantage de n’être point légendaire. Elle a été consacrée dans sa possession d’état, le jour où la ville si éprouvée qui symbolisera à travers les siècles la résistance française a reçu, avec la croix de la Légion d’honneur, l’hommage de tous les pays alliés ; le jour où M. Lloyd George a crié au monde son amour et sa reconnaissance pour notre patrie ; le jour enfin où le chancelier allemand a dû reconnaître avec amertume que notre esprit de sacrifice confondait l’univers par sa grandeur et par sa majesté.

Oui, c’est ici une épopée surhumaine, écrite avec du sang, toute resplendissante de gloire, mais c’est en même temps de l’histoire, celle des vivants et des morts, de ceux de l’avant, qui combattent, et de ceux de l’arrière, qui « tiennent ». De son dernier chant, nous entendrons bientôt, j’espère, résonner la fanfare. Il sera l’apothéose de la constance française, de l’héroïsme de notre race, en un mot du génie national.

Lieut. -Colonel Rousset.

PREMIÈRE PARTIELa bataille de Verdun
PREMIÈRE PHASELa ruée
I

Le 21 février 1916, l’héritier de la couronne impériale d’Allemagne, commandant devant Verdun, adressait à ses troupes l’ordre du jour suivant :

« Ich, Wilhelm, sehe das deutsche Vaterland gezwungen zur Offensive überzugehen » (« Moi, Guillaume, Je vois la patrie allemande forcée de passer à l’offensive »).

C’était, en effet, une obligation. Dès le lendemain de la bataille de l’Yser, du fait de notre résistance, nous devenions l’adversaire principal. Était-il admissible que cet adversaire constamment renforcé par l’afflux des divisions anglaises fût négligé par l’état-major ennemi ?

De plus, les Empires centraux avaient un intérêt puissant à devancer l’action collective des Alliés, à faire, comme on l’a dit, une grande sortie.

Pourquoi Verdun a-t-il été choisi plutôt que tout autre point du front ? Les Allemands ont varié dans leurs explications : « Verdun est le cœur de la France… Nous avons voulu rectifier notre frontière… Nous avons attaqué Verdun pour empêcher les Français d’attaquer Metz… ».

Quoi qu’il en soit, c’était une grande partie à jouer.

Verdun, protégé par les défenses naturelles d’une succession de collines, de ravins, de forêts, par des fortifications jugées formidables, avant la connaissance des canons monstres de l’ennemi, passait pour imprenable au début de la campagne. Ses lignes de défense avaient arrêté les Allemands pendant la bataille de la Marne. La troisième armée commandée par le général Sarrail force l’ennemi à la retraite, le 13 septembre 1914, se porte en avant, occupe Montfaucon, mais, le 24, après un violent bombardement du Camp des Romains, les Allemands s’emparent de ce fort et entrent à Saint-Mihiel. La route leur est barrée le lendemain.

 

Du mois d’octobre 1914 au mois de juin 1915, série d’opérations autour de Verdun sur les deux rives de la Meuse et sur les Hauts-de-Meuse.

À cette même date, une offensive énergique nous permet d’occuper la crête des Éparges, point important qui menace les ouvrages allemands de la plaine et que les Allemands essayent en vain de nous reprendre.

En résumé, du mois d’octobre 1914 à la fin du mois de mai 1915, c’est une lutte acharnée qui, d’une manière générale, tourne plutôt à notre avantage. Depuis cette date jusqu’au 21 février c’est presque le calme.

C’est cette période que l’Allemagne utilisa pour s’outiller. Elle avait un gros effort à fournir et le souvenir des déconvenues de 1914 dictait à sa méthode la marche à suivre. On n’attaquerait les Français que le jour où l’on serait sûr du succès.

II

LA PRÉPARATION.– Elle dura quinze mois.

« Elle comporta cette organisation minutieuse du champ de bataille que nous ne soupçonnions guère, il y a deux ans, où le fantassin se terre, protégé par du fil de fer, des mitrailleuses et des canons, desservi par un réseau serré de boyaux et de chemins de fer.

À l’arrière, elle s’est manifestée par une intensité de vie industrielle qu’on semble n’avoir pas soupçonnée. D’énormes usines – d’explosifs notamment – sont sorties du sol et c’est à la fin de l’automne seulement qu’elles ont commencé à produire. »

Vers le milieu de janvier la mise en œuvre commença.

Le Berliner Tageblatt, le plus important journal de Berlin, fournit ces détails :

« De grandes quantités de troupes furent rassemblées dans les villages à droite de la route nationale Spin-court-Étain. Depuis une année déjà on avait amené et monté dans les environs de Verdun des canons de 380. Les artilleurs étaient des soldats de marine, mais, avant le commencement de la bataille, on leur fit revêtir des costumes d’artilleurs. On avait également amené dans les environs de Verdun, une douzaine de 420 qui peuvent lancer un obus toutes les cinq minutes. Les soldats qui devaient entreprendre l’attaque furent soumis à une suralimentation. Chacun des soldats recevait journellement trois livres et demie de viande et six litres de café. »

Chez nous, Le Petit Parisien donne ces indications supplémentaires :

« Les artilleurs avaient pour mission d’effectuer sur les objectifs visés un bombardement d’une violence inouïe, mais relativement court. Aucun pouce de terrain ne devait être épargné. Un sous-officier d’artillerie était chargé de construire hâtivement une ligne téléphonique entre les deux réseaux de fils de fer des adversaires, sur une partie du front repérée et canonnée d’une façon spéciale. Le rôle du sous-officier était de profiter du bombardement général pour s’approcher de notre parallèle de départ sans être aperçu et de relier son fil conducteur à nos fils téléphoniques, afin de surprendre nos communications.

Avant que l’attaque d’infanterie fût déclenchée, le commandement allemand lançait de fortes reconnaissances, constituées d’officiers et d’une cinquantaine d’hommes. Ces patrouilles s’avançaient vers nos lignes pour s’assurer que le bombardement avait donné les résultats espérés. Si les prévisions étaient réalisées, l’attaque était aussitôt ordonnée. L’infanterie se lançait alors à l’assaut en vagues successives, distantes de 80 à 100 mètres les unes des autres. La plupart des régiments étaient échelonnés en profondeur par bataillon, le bataillon de tête ou d’attaque étant lui-même réparti en deux lignes.

Chaque unité avait un objectif limité à l’avance, où elle devait s’arrêter sans jamais le dépasser. La progression ultérieure était laissée à des corps de réserve qui quittaient leurs positions d’attaque dès que les premiers régiments avaient atteint le but visé.

Les régiments d’infanterie avaient l’ordre de ne s’acharner, sous aucun prétexte, contre les positions qui n’étaient pas suffisamment bouleversées par les obus ; ils ne devaient jamais chercher à vaincre les résistances non brisées par l’artillerie. Toute troupe qui se trouvait arrêtée devant des fils de fer intacts devait se replier légèrement pour s’abriter et attendre pour progresser une nouvelle intervention des batteries. »

La préparation de chaque attaque ne se bornait pas à ces ordres invariables. Les Allemands avaient réglé la vie de chaque bataillon avec précision. Les unités étrangères au secteur où l’offensive était ordonnée étaient confiées à des sous-officiers orienteurs qui devaient les guider dans les lignes, leur faire connaître l’orientation des tranchées et des boyaux et leur indiquer les points de repère importants. En outre, chaque officier recevait un ordre de bataille qu’il devait suivre, sans en oublier aucun détail.

III

Ces instructions et le commencement de leur mise en pratique n’avaient pas été une surprise pour notre commandement.

« Dès février 1915, les opérations, le ravitaillement, les évacuations, en un mot toutes les évolutions vitales d’une armée de 250 000 hommes sur la rive droite de la Meuse, avaient été prévues et étudiées dans le détail, en faisant abstraction de tout trafic par voie ferrée. Le développement de nos transports mécaniques par route était si bien organisé que le transport des troupes, des munitions et du matériel du génie a pu mobiliser 300 officiers, 35 000 hommes et plus de 3900 voitures ; le tonnage moyen transporté par vingt-quatre heures atteignait 2000 et, certains jours, 2600 tonnes. Il n’y a donc pas lieu d’être surpris que de si puissants moyens défensifs n’aient pas échappé à l’attention des Allemands, et que, par exemple le zeppelin abattu dans la région de Revigny eut la mission de se mettre à la recherche de nos réserves.

À la veille du 21 février nous étions assez prêts pour n’avoir qu’à amener par camions les troupes, les vivres, les munitions nécessaires à la défense de Verdun. Et c’est ce qui explique que nous ayons pu nourrir méthodiquement nos lignes de défense et amener sans heurts, sans fausse manœuvre, sans anicroches, des milliers et des milliers d’hommes qui ont agi selon les prévisions de notre état-major.

Au moment où l’attaque allemande se produisit dans le secteur de Verdun, notre gauche s’appuyait sur les centres de Brabant, Consenvoye, Haumont, les Caures, formant la première position. Samogneux, la cote 344, la ferme Mormont constituaient la seconde position.

Au centre, nous tenions le bois de Ville, l’Herbe-bois, Ornes, avec comme seconde position Beaumont, la Wavrille, les Fosses, le Chaume et les Caurières.

Notre droite comprenait Maucourt, Mogeville, l’étang de Braux, le bois des Hautes-Charrières et Fromezey, tandis que notre seconde position s’étayait sur Bezonveaux, Grand-Chena, Dieppe.

En arrière de ces secteurs de défense, la ligne des forts était jalonnée par le village de Bras, Douaumont, Hardaumont, le fort de Vaux, la Laurée, Eix. Entre la deuxième position et cette ligne de forts, une organisation intermédiaire à contre-pentes avait été esquissée de Douaumont à Louvemont, sur la côte du Poivre et la côte du Talou. »

L’ATTAQUE.– « À 7 h. 15, le 21 février, les Allemands ouvrent le feu et arrosent notre secteur avec des projectiles de tous calibres, ainsi qu’avec des obus lacrymogènes et suffocants. Au bout d’une heure de cet intense bombardement les communications téléphoniques sont coupées et les liaisons doivent se faire par coureurs. Nos abris commencent à céder. Aux bois des Caures et de la Ville, on signale de graves accidents. Des groupes de soldats sont écrasés et ensevelis sous les décombres.

Cependant notre artillerie réplique. Elle prend comme objectifs les batteries ennemies révélées par les avions, canonnant surtout la forêt de Spincourt et les bois voisins, où le nombre des pièces adverses est formidable. Les aviateurs qui survolent les positions ennemies, le 21, s’accordent à dire que cette région est le centre "d’un véritable feu d’artifice ". Le petit bois de Gremilly, au nord de la Jumelle, accuse une telle densité d’ouverture de feu, que les observateurs en avion renoncent à pointer sur leurs cartes les batteries qu’ils voient en action. Il y en a partout. À 16 heures, c’est le grand jeu ! Les tirs allemands atteignent le maximum de leur violence. Six "drachen " planent au-dessus des lignes ennemies.

Sous cette avalanche d’obus, nos premières lignes sont nivelées. Mais les garnisons se cramponnent partout où elles peuvent. Le moral se maintient très ferme. Les Allemands n’arrivent guère qu’à s’infiltrer dans nos éléments avancés. Les contre-attaques sont vivement organisées, et quand l’offensive ne réussit pas, la défense reprend avec méthode et opiniâtreté.

Au bois d’Haumont, le terrain n’est cédé que pied à pied. Au bois des Caures, les chasseurs du lieutenant-colonel Driant reprennent toute la partie méridionale du bois et s’y établissent.

Enfin, dans la région de Soumazannes, du bois de Ville, de l’Herbebois, nous résistons sur la ligne de soutien. Du côté de la Woëvre, l’ennemi n’a pas bougé. Il s’est contenté de bombarder les Hautes-Charrières, Braux, Fromezey et de lancer en plusieurs endroits des obus suffocants et lacrymogènes.

Somme toute, cette première journée n’a pas donné de gains considérables à l’ennemi. Il a seulement pris pied dans les tranchées de première ligne et parfois dans les tranchées de soutien, en payant cette avance assez chèrement.

Mais ce n’est là qu’un début. La pression va s’accentuant d’une manière plus impérieuse et avec une préparation d’artillerie plus formidable encore.

La tactique allemande consiste en effet à écraser avec les canons lourds chacun de nos centres de résistance et à créer autour d’eux une zone de mort par des tirs de barrage. Puis, une fois que la destruction voulue semble opérée, un parti s’avance pour reconnaître les effets du tir.

Chaque groupe d’éclaireurs est composé d’une quinzaine d’hommes. Derrière eux marchent les grenadiers et les pionniers et ensuite la première vague d’infanterie. L’artillerie conquiert la place, l’infanterie n’a plus qu’à l’occuper.

De son côté, notre artillerie s’efforce d’isoler les partis ennemis qui s’infiltrent partout. Nos garnisons de défense luttent jusqu’à la mort et nos contre-attaques enrayent à chaque occasion la marche de l’adversaire.

Le 22, malheureusement, notre retour offensif sur le bois d’Haumont échoue. Au bois des Caures, la lutte reprend. Dans la partie occidentale du secteur, les Allemands attaquent, vers 7 h. 30, le bois de Consenvoye avec des jets de liquide enflammés et, grâce aux services que leur rendent ces "flammenwerfer ", ils se glissent jusqu’au fond du ravin.

Du côté de l’Herbebois, ils tiennent la corne nord-est sans pouvoir pénétrer plus loin. Là, nos troupes, comme au bois de Ville, font des prodiges pour endiguer le flot des assaillants et elles y réussissent.

Les feux de l’artillerie allemande redoublent : Haumout, Anglemont, la ferme de Mormont, la Wavrille subissent des rafales effroyables. Le village d’Haumont est particulièrement éprouvé. Pourtant, les défenseurs groupés autour de leur colonel luttent jusqu’à la dernière minute et ce n’est que vers 18 heures que les ennemis peuvent s’avancer parmi les ruines. La défense d’Haumont restera parmi les pages les plus émouvantes de l’héroïsme militaire.

En fin de journée, nous avons perdu le bois de Ville, mais nous occupons toujours la plus grande partie de l’Herbebois et la Wavrille. Notre ligne passe à la cote 240, la ferme de Mormont, la position intermédiaire de contre-pente Samogneux-Brabant.

Nous travaillons presque partout à découvert, les ouvrages de quelque résistance ayant été broyés par les obus, les boyaux de communication détruits, les tranchées de repli – là où elles existaient – bouleversées.

C’est la guerre en rase campagne. L’artillerie, bien dirigée, sème la mort dans les rangs adverses et brise l’élan de l’infanterie allemande.

Tous les sacrifices sont consentis afin d’organiser à l’arrière de nouvelles lignes de résistance.

Dans la nuit du 22 au 23, nous évacuons Brabant : Samogneux, dans cette matinée du 23, est soumis à un tel bombardement que les contre-attaques que nous préparions de ce côté n’ont pas lieu. Nous demeurons sur la défensive.

Plus à l’Est, au contraire, notre ligne de résistance a été améliorée par notre contre-attaque. Les Allemands se sont déployés dans le ravin du bois d’Haumont, à 800 mètres de la ferme d’Anglemont et ils bombardent avec des 305 et des 380 les fermes d’Anglemont et de Mormont. Il faut toute l’énergie des chefs, la volonté de tous les soldats pour se maintenir là.

Dans le secteur de la Wavrille, le combat reprend acharné dès le matin. Pendant la nuit, nos hommes avaient travaillé à raccorder les lignes pouvant les relier à Herbebois, malgré l’arrosage incessant de l’artillerie ennemie.

Il importait de ne pas laisser les Allemands s’emparer du bois de la Wavrille et de la cote 351, positions qui leur eussent permis de prendre en enfilade la ligne de défense 344-Beaumont.

Une attaque allemande sur la Wavrille est d’abord repoussée à 6 heures. Un autre mouvement offensif sur l’Herbebois, à 11 h. 30, provoque un combat qui dure jusqu’à 16 h. 30.

Pendant ce temps, l’ennemi renouvelle son effort contre la Wavrille, et, continuellement soutenu par de nouvelles réserves, finit par déborder.

Cette manœuvre oblige les éléments français qui n’avaient pas lâché pied dans l’Herbebois à battre en retraite au cours de la soirée.

Néanmoins, l’ennemi ne parvient pas à déboucher de la Wavrille. Notre barrage d’artillerie lui interdit tout progrès supplémentaire.

C’est sur la route Vacherauville-Samogneux que les Allemands vont concentrer toutes leurs énergies. Ils cherchent à sortir de Samogneux. Mais, à plusieurs reprises, ils sont écrasés par notre artillerie, par le tir de nos mitrailleuses, par notre fusillade. Ils perdent un monde fou au cours de ces actions. Ils devront revenir plusieurs fois à la charge pour obtenir le résultat souhaité, et ce n’est que dans la nuit du 24 au 25, après l’avoir laissé des quantités de cadavres sur le terrain, qu’ils s’agripperont à la cote 334.

Vers 13 heures, ils arrivent aussi à dépasser un peu la lisière sud du bois des Caures et à s’insinuer du côté d’Anglemont. Ils ne glissent que très lentement dans le pays raviné. Nous tenons la côte du Talou et nous repoussons une attaque sur Champneuville.

Les Allemands sont plus mordants du côté du bois des Fosses. Après avoir, pendant la matinée, bombardé, nos positions avec des obus de gros calibre et des obus lacrymogènes, ils rassemblent des contingents importants à l’est du bois de Rappe et au nord du bois de la Wavrille.

Deux de nos bataillons marchent immédiatement à l’attaque en prenant pour objectif la corne nord-ouest de la Wavrille et en cheminant par le ravin sud-est de Beaumont. Nous enlevons la lisière sud-ouest et une partie du bois, mais le tir des mitrailleuses ennemies limite notre avance.

L’ennemi, alors, redouble le bombardement du bois des Fosses et de Beaumont. Les obus suffocants et les obus lacrymogènes tombent par rafales en même temps que les 280 et les 305.

À 13 heures, les Allemands exécutent un retour offensif, qui les remet en possession de la lisière du sud du bois de la Wavrille, où nos zouaves et nos tirailleurs étaient accrochés. Ils poussent leur avantage, et ils débordent Beaumont par l’Ouest, le bois des Fosses par l’Est.

Malgré l’énergique résistance de nos fantassins et de nos mitrailleuses, le bois des Fosses est enlevé à 13 h. 30. Beaumont est disputé pied à pied avant d’être envahi. Le bois de la Chaume est également pris par l’ennemi.

Dès lors, la situation s’aggrave, à 14 h. 20, des forces ennemies imposantes débouchent entre Louvemont et la cote 347.

Toutes les forces françaises disponibles essayent de refouler l’envahisseur. L’ennemi a les Chambrettes, le bois des Fosses, Beaumont, le bois des Caurières. Il tente un coup de main sur Ornes, qui est attaqué de trois côtés à la fois. La garnison, en état d’infériorité manifeste, bat en retraite et se retire en bon ordre à la faveur de l’obscurité sur Bezonveaux. »

IV

UN DUEL ÉPIQUE.– Récit d’un officier d’artillerie. – « Le 21, lorsque les Allemands commencèrent la préparation de l’attaque, avec la fureur que l’on sait, nous comprîmes qu’un combat décisif allait s’engager.

Notre groupe se trouvait alors en position au sud-est du bois d’Haumont. Une batterie était répartie en pièces de flanquement sur trois positions ; une à l’est du bois d’Haumont, une au sud, et une troisième au nord de Samogneux. Les deux autres batteries se tenaient au sud du col 312 (à l’est de la cote 344) ; nous étions aussi appuyés par une batterie de 6 pièces de 90.

Naturellement, nous répondîmes immédiatement à l’attaque allemande par un tir de barrage pour empêcher autant que possible l’infanterie ennemie de se frayer un chemin dans nos lignes. Une de nos sections se porta même en position avancée dans le ravin des Caures et ouvrit le feu.

Mais les Allemands, malgré d’énormes sacrifices d’hommes, commencèrent à déborder de toutes parts. Ils arrivèrent sur le bois des Caures par les crêtes qui courent entre le bois d’Haumont et le bois des Caures et ils envahirent progressivement ces positions. La section qui essayait de les contenir raccourcissait son tir au fur et à mesure de leur avance, fauchant des rangs entiers ; de nouvelles vagues remplaçaient celles qui mouraient et la section tirait toujours, épuisant ses munitions.

Elle était en plein travail, quand des groupes ennemis, qui avaient tout de même réussi à s’infiltrer dans le bois d’Haumont, arrivèrent jusqu’auprès des artilleurs en arrière des pièces. Quoique tournés, nos artilleurs ne perdirent pas leur sang-froid. Ils firent sauter les pièces et battirent en retraite emportant un maréchal des logis blessé.

Une batterie de 90, établie sur la croupe de Haumont, bien que prise sous un feu infernal, exécute vaillamment sa consigne. Les 305 pleuvaient littéralement en cet endroit. En moins d’une minute, il en tomba treize autour de nos canons. La batterie de 90, après avoir anéanti bon nombre d’ennemis, fut obligée d’interrompre son tir. En ce moment, un adjudant d’une batterie de 58, Pierrard, du…e d’artillerie de campagne, se présenta au commandant du groupe : "Mon commandant, dit-il, ma batterie de 58 n’existe plus ; employez-moi à autre chose ". " Très bien, répondit le commandant ; allez vous mettre à la disposition de la batterie de 90 ".

Pierrard recrute des camarades, rejoint la batterie et fait ouvrir le feu à nouveau et avec quelle vigueur ! Il servit ainsi les pièces pendant 48 heures. Il ne cessait de communiquer avec le commandant, réclamant des munitions pour son duel, un duel véritablement épique avec les Boches. Il était par malheur impossible de le ravitailler : "Consommez tout ce que vous avez de munitions, lui prescrivit le commandant, et faites ensuite sauter les pièces ". Les ennemis approchaient ; leur premier rang parvint si près des pièces que Pierrard et ses compagnons durent se défendre avec leurs mousquetons ; puis ils recommencèrent à tirer avec les canons. À la fin, leur situation devint intenable. Ils firent sauter les pièces et se retirèrent ; hélas ! il est probable que durant ce mouvement de repli, le brave Pierrard, brave entre les braves, a été tué. Il a disparu depuis cet instant et il n’est pas le seul à s’être magnifiquement dévoué à la patrie.

Voici une autre preuve de l’audace tranquille qui anime nos artilleurs. Une batterie subissait un effroyable marmitage. Un obus de 305 tue, en éclatant, le capitaine, l’adjudant, un maréchal des logis et cinq canonniers. Croyez-vous que les autres s’arrêtèrent ? Pas du tout. Ils enlèvent leur veste pour mieux travailler et, en bras de chemise, ils redoublent d’efforts pour intensifier le barrage et mieux venger leur chef et leurs camarades.

Au cours de la journée du 22, nous reçûmes un nombre incalculable de 305 sur la ferme de Mormont et les alentours. Notre situation était très difficile en raison des difficultés que nous avions à nourrir nos canons ; c’est tout juste si un caisson de munitions sur trois arrivait. La route de Ville à Vacherauville était balayée par une pluie d’enfer.

La pièce qui était détachée à Samogneux, soumise à un bombardement de tous les calibres, opérait sans relâche son œuvre de destruction contre l’ennemi. Par quatre fois, pour l’empêcher de chauffer et pour prévenir les accidents, les servants la lavèrent soigneusement. Pressés par l’ennemi, ils enlevèrent les clavettes et se replièrent. Cependant, désespérés de n’avoir pu traîner la pièce avec eux, ils revinrent à la nuit pour tenter son enlèvement à bras. Le chef de pièces fut blessé au cours de l’entreprise qui échoua. Les artilleurs alors, décidés à ne pas laisser leur canon aux mains de l’ennemi, revinrent une fois de plus à la charge pour le faire sauter avec des pétards ; ils le trouvèrent détruit, un obus de 210 l’avait frappé dans l’intervalle.

Des scènes semblables se répétèrent le 23. Nos hommes rivalisaient de courage et de dévouement. Au soir, après des bombardements réciproques d’une violence inouïe, nos batteries reçoivent la mission de se porter sur la côte du Poivre, où elles parvinrent miraculeusement sans pertes. Le lendemain 24, ce fut un grand jour. Quel massacre de Boches ! C’est alors que les troupes françaises et allemandes se disputèrent la cote 344. Nous tapions dans les masses allemandes à qui mieux mieux ; l’infanterie ennemie avançait et reculait tour à tour et nous la suivions parfaitement. Nous allongions et raccourcissions le tir suivant ses mouvements. Combien avons-nous fait de victimes ? Je ne saurais préciser : des tas et des tas, voilà ce que je puis affirmer.

Un régiment sortant du bois d’Haumont et un autre sortant de Samogneux, vers les Côtelettes, furent pris sous notre feu et littéralement écharpés. Je vous assure que ceux que nous avons laissés sur le terrain ont été bien vengés.

Nous n’attendons qu’une chose : voir renaître de semblables occasions pour reprendre la marche en avant.

Notre artillerie de campagne, au cours de ces journées de Verdun, a montré qu’elle soutenait admirablement sa réputation dans la guerre de mouvement : elle saura parler comme il convient quand des heures plus décisives encore sonneront. »

V

Le 24 février au soir, nous tenons encore Champneuville, la côte du Talou, les crêtes et le village de Louvemont et, comme seconde position, la côte du Poivre. Le matin du 25, la 37e division est attaquée à la fois par des troupes débouchant de Samogneux sur la côte du Talou et du bois des Fosses sur Louvemont.

L’attaque venant de Samogneux est détruite par nos feux de la rive gauche ; celle qui vient des Fosses parvient dans l’après-midi jusqu’au village de Louvemont, où elle installe des mitrailleuses. La garnison résiste toute la nuit dans le village.

Dans le même temps l’ennemi s’est avancé jusqu’au plateau de Douaumont. On peut croire, vers 17 heures, que le village va être encerclé. Mais une contre-attaque de nos tirailleurs vers le Nord et une vigoureuse manœuvre des zouaves dans le thalweg, à l’est de la ferme d’Haudremont, le dégage. En Fin de journée, nous étions installés dans le village et sur les crêtes à l’Est, entourant plus qu’aux deux tiers la masse dominante du fort.

Cependant au cours de l’après-midi, un parti de Brandebourgeois avait réussi, par surprise, à pénétrer dans le fort à la faveur des combats violents qui se livraient sur les ailes. L’attaque brusquée qui fut tentée par nous le lendemain, pour le reprendre, échoua.

Vu au verre grossissant par l’ennemi, ce succès fut annoncé par lui en ces termes :

« Le fort cuirassé de Douaumont, le pilier angulaire nord-est de la ligne principale des fortifications permanentes de la forteresse de Verdun, a été pris d’assaut hier après-midi par le 24e régiment d’infanterie de Brandebourg. Il se trouve solidement entre les mains des Allemands. »

Cette prise d’assaut était une pure hâblerie qu’un autre bulletin du même jour accuse davantage encore :

« Le succès de Douaumont et les progrès importants qui l’ont accompagné ont été obtenus en présence de Sa Majesté l’Empereur et Roi. La localité maintenant la plus proche de la place, prise sur le front Nord, est celle de Louvemont, soit une avance sur la veille d’environ deux kilomètres. »

L’Empereur d’Allemagne reçoit immédiatement une adresse de félicitations de la Chambre des représentants de la province de Brandebourg. Il y répond avec la même hâte :

« Je me réjouis hautement des nouveaux et grands exemples de la vigueur brandebourgeoise et de la fidélité poussée jusqu’à la mort dont les fils de cette province viennent de témoigner en ces derniers jours, au cours de l’irrésistible assaut livré contre la plus puissante forteresse de notre principal ennemi. Que Dieu bénisse le Brandebourg et la patrie allemande tout entière ! »

Si puéril que soit ce cri de jactance, il résonne douloureusement à Paris, où l’on semble redouter une rupture de notre front. On ignore que notre état-major a gardé tout son sang-froid, qu’il a téléphoné de vive voix pendant la nuit l’ordre de résister à tout prix sur la rive droite. L’inquiétude est vive. Les agences de journaux l’augmentent avec des citations de la presse allemande.

Le Lokal Anzeiger, le grand journal populaire de Berlin, raconte, le 26 février au soir, l’accueil fait à l’édition spéciale qu’il avait publiée dans la matinée, pour annoncer la prise du fort de Douaumont :

« Quand la nouvelle se répandit ce matin, toute la population poussa un soupir de soulagement…. "Nous savons, disaient les gens, que la victoire d’aujourd’hui n’apporte pas encore la décision finale, mais elle est une étape importante vers le triomphe. " On lançait les chapeaux en l’air, les yeux étincelaient. Bientôt les drapeaux flottaient aux maisons ; joyeusement, ils palpitaient parmi les rafales de neige, saluant les vainqueurs de Douaumont. »

Toute la journée l’angoisse dura. Les pessimistes eurent beau jeu ; ils évoquaient l’inéluctable figuré par l’artillerie lourde allemande à laquelle nous n’étions en mesure d’opposer que des pièces légères d’insuffisante portée.

Le lendemain seulement une détente se manifeste à la nouvelle qu’à la suite d’une courte inspection de la situation par le général de Castelnau, chef d’état-major général, le généralissime a chargé le général Pétain de la rétablir.

Arrivé le 25 au soir, le général Pétain s’adresse à ses hommes en ces termes :

« Depuis le 21 février, l’armée du Kronprinz attaque nos positions autour de Verdun avec la plus grande énergie. Jamais encore, l’ennemi n’avait mis autant d’artillerie en activité, jamais il n’avait dépensé autant de munitions.

Il a déjà amené sur le champ de bataille tous ses meilleurs corps d’armée, qu’il tenait en réserve depuis plusieurs mois. Il renouvelle constamment ses attaques d’infanterie, sans se préoccuper de ses lourdes pertes. Tout démontre l’importance que l’Allemagne attache à cette offensive, la première de grande envergure que l’ennemi entreprend sur notre front depuis plus d’une année. Il veut se hâter de terminer par un succès une guerre dont le peuple souffre de plus en plus. Les songes d’expansion en Orient se sont évanouis. L’accroissement des armées russe et anglaise provoque de l’inquiétude. L’appel de l’Empereur, que nous a apporté un déserteur, est un aveu des vraies causes de cette attaque désespérée : "Notre patrie, a-t-il dit, est forcée d’attaquer, mais votre volonté de fer anéantira l’ennemi. C’est pourquoi je donne l’ordre d’assaut. " Leur volonté de fer se brisera à notre résistance, comme en Lorraine, comme en Picardie, en Artois, sur l’Yser et en Champagne. Nous les vaincrons finalement et l’échec de cet effort désespéré dans lequel ils auront dépensé en vain les meilleures troupes qui leur restaient sera le signal de leur effondrement. La France nous regarde. Elle attend, une fois de plus, que chacun fasse son devoir. »

VI

Ce fut sur un espace restreint, après la perte du fort de Douaumont et des excellentes positions d’artillerie, autour de Beaumont que le général Pétain eut à organiser la défense. Il lui fallut assembler les hommes et les canons pour répondre à l’attaque allemande, jeter des ponts sur une rivière partiellement débordée, améliorer ses communications, s’assurer amplement approvisionnements et munitions, construire de nouvelles défenses sur beaucoup de points, établir des tranchées de communication sur une large échelle afin d’épargner ses troupes et de permettre le rapide renforcement des points menacés, perfectionner le service téléphonique si nécessaire pour sa méthode d’utiliser l’artillerie ; enfin reprendre la maîtrise de l’air. Toute cette besogne, le général Pétain l’accomplit en face d’une armée supérieure en nombre qui s’efforçait d’élargir ses premiers succès par des attaques réitérées. Il lui fallut un beau sang-froid pour rétablir une position qui n’était en aucune façon à l’avantage des Français.

« Cette immense tâche, écrit le rédacteur militaire du Times, devait être exécutée en face d’un ennemi attaquant sans cesse. Je pus constater, lors de ma visite au front, qu’aucun aéroplane allemand n’osait plus franchir les lignes françaises. J’estime que les Français ont un tir contre avions plus précis et plus scientifique que les Allemands. Bien que le général Pétain appartienne à l’infanterie, il fut un des premiers à comprendre, dès le second mois de campagne, le rôle que l’artillerie allait jouer dans la lutte. Il excella à organiser les tirs de barrage que les admirables 75 français permettent de régler en 40 secondes.

« Un des mérites particuliers du général Pétain fut de savoir se servir de l’artillerie lourde. Elle est devenue entre ses mains un instrument souple, très maniable et extraordinairement efficace, permettant de réduire au silence, avec les 155 et les 210, les batteries allemandes de plus gros calibre et de plus longue portée. »

C’est au général Balfourier, commandant le 20e