L'Héritage ou les Mœurs du temps - Ligaran - E-Book

L'Héritage ou les Mœurs du temps E-Book

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Extrait : "LA BARONNE : Quoi ! c'est vous, monsieur ? PRÉVAL : Oui, très aimable baronne ; Si matin ma rencontre en ces lieux vous étonne ? Et je vous l'avouerai tout aussi franchement ; Je ne vous cherchais pas. LA BARONNE : Je le crois aisément. Sans doute on vous a dit qu'à certain mariage ; Je ne me pressais pas de donner mon suffrage ; Eh bien ! rien n'est plus vrai : dans cette occasion, Ma franchise vous doit une explication."

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Seitenzahl: 107

Veröffentlichungsjahr: 2015

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EAN : 9782335091847

©Ligaran 2015

À M. LE COMTE

DE PONTÉCOULANT,

PAIR DE FRANCE

J’aurais voulu placer votre nom à la tête d’une comédie qui eût subi l’épreuve du théâtre ; la censure ne l’a point permis : c’est donc un ouvrage dramatique, privé de cette illusion de la scène, qui en fait le plus grand charme, dont je viens vous offrir l’hommage.

L’extrême difficulté du genre, l’importance du sujet, le temps et les soins que j’y ai consacrés, me portent à croire que cette production littéraire est la moins faible qui soit sortie de ma plume, et par cela même la plus digne de vous être dédiée.

Je ne profiterai pas de l’occasion qui m’est offerte, et que vous m’avez interdite, de faire ici l’éloge des grands talents et des hautes vertus dont vous avez multiplié les preuves dans la carrière orageuse et brillante que vous avez si noblement parcourue ; mais vous me permettrez de me prévaloir d’une circonstance qui m’autorise à me vanter moi-même de l’amitié dont vous m’honorez depuis trente ans. Elle a commencé dans l’exil ou les malheurs nous ont réunis ; elle est devenue mon asile dans les persécutions auxquelles je me suis trouvé en butte à une autre époque, et m’a constamment encouragé dans la carrière des armes, de l’administration, et des lettres, ou m’ont successivement jeté les évènements de ma vie.

Si cet ouvrage doit me survivre, j’aime à penser qu’il perpétuera le souvenir de mon tendre attachement et de ma reconnaissance.

JOUY.

Préambule

Trois fois repoussé de la scène par ce géant, ou plutôt par ce nain aveugle qu’on appelle censure, j’éprouvai plus de peine que de surprise, en voyant que le même sort avait été réservé à une comédie qui m’avait coûté plus d’une année de travail. On jugera des motifs de cette nouvelle persécution par la lecture de cette pièce, et on appréciera de nouveau la justice de l’inquisition littéraire, à laquelle les auteurs dramatiques sont aujourd’hui soumis en France.

Une jeune fille immensément riche est placée au centre d’une société brillante, et attire les hommages intéressés de tout ce qui l’environne. Autour d’elle, l’intrigue, l’ambition, la ruse, l’orgueil, et la bassesse, se groupent de mille manières. Tout à coup la jeune héritière, par une de ces péripéties dont la fortune est prodigue, voit passer entre des mains plus dignes de les posséder, ces richesses dont elle était si fière. Ce sujet, qui me parut éminemment dramatique, est celui que j’ai traité dans ma comédie de l’Héritage.

J’y trouvais à la fois l’intérêt du drame, et l’occasion de reproduire, avec toute la fidélité dont j’étais capable, le tableau de nos mœurs actuelles, le ton, le langage, les manières de ce qu’on est convenu d’appeler la bonne compagnie ; en un mot, j’espérais, comme l’a si bien dit Shakespeare, présenter un miroir à mon époque :

Taking the form and pressure of the times ;

et j’intitulai ma pièce : Les Mœurs du temps.

Déjà un général étranger, connu par ses revers dans la guerre d’Amérique, et qui se consolait à Londres, par de petits succès de théâtre, de sa terrible défaite à Saratoga, le général Burgoyne avait conçu l’idée de présenter sur la scène une héritière entourée de soupirants avides. Je ne me serais fait, je l’avoue, aucun scrupule de lui emprunter un mot piquant, un caractère neuf, une scène, ou même une situation intéressante, si je les eusse trouvés dans son ouvrage : les emprunts à l’étranger n’ont jamais été regardés comme un plagiat ; mais en suivant l’exemple qu’ont donné si souvent les auteurs anglais, j’aurais tâché du moins de me souvenir de ce qu’ils ont si souvent oublié, et j’aurais eu soin de signaler mes emprunts, et de reconnaître mes dettes.

Malheureusement pour moi, telle est la complication d’intrigue de la pièce anglaise ; telle est la nuance exagérée des caractères qu’elle renferme, que, tout en travaillant sur la même idée première, je me suis vu forcé de m’écarter avec plus de soin de l’ouvrage de Burgoyne, que je n’en eusse mis à le suivre, si j’avais voulu l’imiter.

Personnages

SOLIVARD, riche parvenu.

ERNESTINE, fille de Solivard.

MAUREVERS, tuteur de Félicie.

FÉLICIE, demoiselle de compagnie d’Ernestine.

LE COMTE DE SERVIÈRE, homme de qualité.

LA BARONNE DE SAINTE-ALPHÈGE, ami du comte.

LE BAILLI DE MONTJOIE, grand bailli de Malte.

AMÉDÉE DE MONTJOIE, neveu du bailli, amant de Félicie.

PRÉVAL, amant d’Ernestine.

CHAMPELÉ, généalogiste.

LE CHEVALIER D’ORFEUIL.

FORTIN, valet de chambre.

UN NOTAIRE.

 

La scène se passe à Paris dans l’hôtel de Solivard.

Acte premier

La scène est dans le cabinet de Solivard.

Scène I

La baronne, Préval.

LA BARONNE
Quoi ! c’est vous, monsieur ?
PRÉVAL
Oui, très aimable baronne ;
Si matin ma rencontre en ces lieux vous étonne ?
Et je vous l’avouerai tout aussi franchement ;
Je ne vous cherchais pas.
LA BARONNE
Je le crois aisément.
Sans doute on vous a dit qu’à certain mariage
Je ne me pressais pas de donner mon suffrage ;
Eh bien ! rien n’est plus vrai : dans cette occasion
Ma franchise vous doit une explication.
PRÉVAL
M’expliquer vos desseins ! Dans cette circonstance,
C’est douter trop aussi de mon intelligence ;
Pour mieux le lui prouver, si madame permet,
Je vais de point en point lui dire son secret.
LA BARONNE
Eh bien ! monsieur, voyons ; j’aime qu’on me devine.
PRÉVAL
Voici ce que je sais et ce que j’imagine :
Soit calcul, ou raison d’un intérêt plus vif,
Dont je ne prétends pas pénétrer le motif,
Après plus de dix ans d’une amitié bien tendre,
Madame la baronne a cessé de prétendre
À former de l’hymen le dangereux lien
Avec son noble ami :… qu’en dites-vous ?
LA BARONNE
Fort bien.
PRÉVAL
Elle a fait mieux, je crois, et s’est fait rendre compte
Des dettes et des biens du très illustre comte ;
Dès lors elle a senti qu’il lui conviendrait fort
D’étayer un grand nom par un bon coffre-fort,
Et de faire épouser à monsieur de Servière
Une superbe dot dont elle est créancière :
Ce point-là convenu, sur monsieur Solivard
Vous avez dû fixer votre premier regard :
Sa fille (par ce mot tout le reste s’explique)
D’une fortune immense est l’héritière unique ;
Vous la donnez au comte, et par un double hymen
Du père à votre tour vous recevrez la main.
LA BARONNE
À merveille, monsieur, j’accepte vos oracles.
PRÉVAL
Tout en marchant au but, vous voyez les obstacles ;
Quand une fille, en dot, a trois cent mille écus,
Et qu’elle doit un jour en avoir deux fois plus,
L’essaim des soupirants ne se fait pas attendre ;
Ernestine déjà ne sait auquel entendre ;
À quatre, par vos soins, ils se trouvent réduits ;
Mais les plus dangereux ne sont pas éconduits :
Il en est un surtout, dont la persévérance
Prétend mettre en défaut toute votre prudence ;
À ce que j’en dirai l’on peut ajouter foi ;
J’en parle savamment ; ce prétendant, c’est moi.
LA BARONNE
Ah ! rien n’est plus loyal, il faut que j’en convienne,
Et votre confidence appelle aussi la mienne.
Vous êtes jeune, adroit ; vous avez de l’esprit,
Du goût et des talents, tout le monde le dit ;
J’adopte aveuglément cet éloge unanime.
Quelle que soit pourtant ma très profonde estime
Pour tous les dons charmants dont vous dota le ciel,
Comme il s’agit ici d’un acte essentiel,
D’un hymen, d’où dépend le sort de mon amie,
À monsieur de Préval, à mon tour, je confie
Que j’ai l’intention, pour tromper son espoir,
D’employer les moyens qui sont en mon pouvoir.
PRÉVAL
Usez, n’abusez pas ; faites-moi bonne guerre :
Le comte est mon rival, tâchez qu’on le préfère ;
Dites qu’il est plus riche et plus noble que moi ;
Qu’il entre, sans gratter, dans la chambre du roi :
Parlez, si vous l’osez, de sa franchise extrême ;
Dites que c’est l’esprit, l’honneur, la vertu même ;
Et, pour mieux relever cet homme sans égal,
Ne manquez pas surtout de me traiter fort mal ;
Je vous permets d’aller jusqu’à la médisance :
Mais là doit s’arrêter l’attaque et la défense ;
Si vous passez le but, je prends sur vous le pas ;
Et si je vais trop loin, vous ne vous plaindrez pas.
LA BARONNE
Je vous laisse, monsieur, liberté tout entière ;
À votre inimitié donnez toute carrière ;
De monsieur de Préval l’inévitable trait
Guérit heureusement la blessure qu’il fait.
PRÉVAL
Madame la baronne est bien plus inhumaine,
Et ses yeux ne font pas de blessure incertaine ;
Je me garderai bien d’en nier le danger,
Alors que d’un regard elle peut se venger,
LA BARONNE
Ah ! laissez ce jargon ; il n’est pas de votre âge :
Nos mères l’appelaient, je crois du persiflage ;
Et je ne pense pas qu’à leurs fils désormais
Il doive procurer de bien brillants succès.
PRÉVAL
En fait de goût du moins, je vous croirai, madame ;
Et si vous me chargez de votre épithalame,
C’est sans rire, et du ton le plus sentimental,
Que je prétends chanter le lien conjugal
De deux cœurs embrasés d’une ardeur mutuelle,
Dont Solivard et vous offrirez le modèle.
LA BARONNE
Si vous chantez ici le bonheur des époux,
Vous n’aurez, je le crains, rien à dire de vous…
PRÉVAL
Vous m’allez accuser d’orgueil et d’imprudence,
N’importe ; jusqu’au bout poussons la confidence ;
Ernestine est un bien que je me suis promis,
Et j’ai toujours tenu parole à mes amis.
LA BARONNE
De vous désabuser je me ferais scrupule,
Mais il est tel espoir qui touche au ridicule.
PRÉVAL
Je le crois comme vous, et je venais exprès
Pour juger qui de nous y touche de plus près.
LA BARONNE
Monsieur, l’évènement décidera l’affaire.
PRÉVAL
D’Ernestine en ces lieux vous attendez le père,
Je ne vous cache pas que moi-même, aujourd’hui,
J’ai, pour le même objet, rendez-vous avec lui.
Mais après quinze jours d’une pénible absence
Je sens trop qu’il vous doit sa première audience ;
Un tiers est importun dans des moments si doux,
Je m’esquive…
LA BARONNE
On n’est pas plus aimable que vous.
Scène II

La baronne, Solivard.

LA BARONNE,seule.
Ne perdons pas de temps.
SOLIVARD
Ma surprise est extrême :
Madame Saint-Alphège, à Paris…
LA BARONNE
Elle-même.
SOLIVARD
Je ne vous attendais que dans cinq ou six jours.
LA BARONNE
Quand je sers mes amis, je me presse toujours :
Je pars vite ; et ma tâche en est plus tôt remplie ;
Je reviens vite aussi, de peur qu’on ne m’oublie.
SOLIVARD
Vous ne le craignez pas ; eh quoi ! vous oublier !
LA BARONNE
Eh mon dieu ! oui, monsieur, et vous tout le premier…
SOLIVARD
Comment !
LA BARONNE
Ne sais-je pas que pendant mon absence,
Qui méritait de vous quelque reconnaissance,
Et malgré des soupçons trop bien autorisés,
Des inconnus chez vous sont impatronisés ?
Que sans me consulter, Ernestine près d’elle
A cru pouvoir placer certaine demoiselle ?…
SOLIVARD
Mais, baronne, c’est vous, à ce qu’elle prétend,
Qui l’avez engagée…
LA BARONNE
Eh ! mais c’est différent ;
Vous êtes riche et veuf ; je croyais convenable
Qu’Ernestine choisît une compagne aimable,
Dont les soins, les talents, l’esprit et la raison
Augmentassent l’éclat d’une grande maison :
Au contraire, j’apprends que dans votre famille
Vous avez introduit une petite fille,
Sur les garants très sûrs de son air ingénu
Et d’un ancien ami qui vous est inconnu.
SOLIVARD
Ma foi ! prenez-vous-en à monsieur de Servière.
Si j’ai mal fait, la faute est à lui tout entière.
Ce Maurevers par lui fut amené chez moi ;
D’ailleurs c’est un brave homme, ou du moins je le croi.
Il a bien dans l’humeur quelque chose de rude,
On voit que du beau monde il n’a pas l’habitude ;
Il est sincère, brusque, entêté : cependant
Il a pris sur nous tous un certain ascendant.
Pour ce qui me regarde, aisément je l’explique ;
Depuis vingt ans notre homme habite l’Amérique,
Et par lui j’ai besoin de faire constater
Un fait qui m’intéresse et qu’il peut attester :
Tel est, pour le moment, l’intérêt qui nous lie.
Quant à la jeune fille, elle est vraiment jolie ;
C’est le cas devant vous d’en tirer vanité,
Baronne, j’ai du faible encor pour la beauté.
LA BARONNE
Ce faible ne va pas jusques au mariage.
SOLIVARD
Pour un second essai je manque de courage :…
Peut-être avez-vous su qu’une dame de cour
M’a fait offrir sa main.
LA BARONNE
La marquise d’Ercour !…
SOLIVARD
La dame, de noblesse et de titres chargée,
Au physique, au moral, est trop mal partagée ;
Au physique très laide, au moral pas le sou :
Vraiment pour l’épouser il faudrait être fou !
LA BARONNE
L’hymen de votre fille est notre unique affaire.