L'honneur perdu de Benjamin Ullmo - Charles Bottarelli - E-Book

L'honneur perdu de Benjamin Ullmo E-Book

Charles Bottarelli

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Beschreibung

Benjamin Ullmo est l’héritier d’une riche famille lyonnaise investie dans la soierie. On le croyait destiné à prendre en mains l’entreprise familiale mais il préfère choisir le service de la Marine et va sortir officier de l’Ecole Navale. A Toulon, il fait la connaissance de Marie-Louise Welsch, dite Lison, une chanteuse alsacienne de second ordre, très belle, qui partage avec lui la fréquentation des fumeries d’opium. Outre la passion pour la drogue, le couple aime le luxe et dépense inconsidérément, pendant que l’héritage du père de Benjamin fond à grande vitesse. Fou d’amour, Benjamin craint de voir sa belle s’éloigner de lui et cherche le moyen de maintenir son train de vie. Comme il est commandant en second d’un bateau dont le coffre contient des documents secrets de défense nationale, il conçoit naïvement le plan d’exercer un chantage auprès du ministre de la Marine en menaçant de livrer les documents à l’Allemagne, sauf si on lui verse 150000 francs.(Nous sommes à peine sortis du conflit de 1870, et chacun se méfie de supposés espions d’outre-Rhin. En tant qu’Alsacienne, Lison est soupçonnée par certains d’être une espionne allemande potentielle.)
Ullmo se trouve embarqué dans une affaire qui le dépasse ; il est arrêté au moment de procéder à l’opération d’échange avec un représentant du ministère.
Il est jugé, dégradé en place publique en février 1908 et déporté en Guyane.
Ce qui est fascinant dans cette histoire, c’est de voir comment un homme normal peut être emporté par la passion amoureuse au point de commettre un acte totalement insensé dont il ne mesure pas les conséquences. C’est aussi le contexte historique, son procès intervenant peu après la grâce de Dreyfus conduit au sursaut des anti-dreyfusards qui espèrent prendre leur revanche.



À PROPOS DE L'AUTEUR 

Charles Bottarelli est né en novembre 1941 à Toulon, de parents ouvriers horticoles. Il a vécu toute son enfance et son adolescence dans sa ville natale. Il en conserve un goût marqué pour l’histoire de sa région. Le choix d’une carrière dans la fonction publique l’amènera successivement à Lyon, Paris et Marseille, avec retour à Toulon en 1970. Entre 1995 et 2006 il s’investit dans le mensuel satirique « Cuverville » qui combat l’extrême-droite installée à la mairie. Le temps de la retraite professionnelle venu, il décide de se consacrer à l’écriture. Un premier livre, à caractère documentaire, est publié en 2004 : Toulon 40, chronique d’une ville sous l’Occupation . Puis, en 2006, c’est un roman, Alice l’Italienne (prochainement disponible chez Phénix d'Azur), qui est la biographie imaginaire d’une jeune fille sous Mussolini. Il reçoit ensuite une commande des Editions de Borée pour une série de six ouvrages portant sur les Grandes Affaires Criminelles dans le Var et dans les Bouches-du-Rhône. Il revient au roman avec un ouvrage qu’il définit comme « satirico-policier », Corde raide et sac de noeuds publié chez Transbordeurs. Vont suivre divers titres lui permettant de puiser son inspiration dans l’histoire du Sud-Est avec La colère des rusquiers (Editions du Mot passant , 2011) ou Les moutons de Jean-Baptiste (Ed. Lucien Souny, 2013) qui lui vaut d’obtenir le prix 2014 de l’Académie Littéraire de Provence. D’une façon générale, il veille à situer précisément ses personnages dans le lieu et dans le temps, n’hésitant pas à mêler la fiction pure à des situations réelles. En 2014, il a obtenu le prix de l’Académie de Provence pour Les Moutons de Jean-Baptiste. L’auteur vit aujourd’hui à côté de Toulon. Il rejoint en toute logique, les Editions Sudarenes, maison varoise

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L'honneur perdu

de

Benjamin Ullmo

 

 

 

 

 

 

Charles Bottarelli

 

Chapitre 1

 

 

Benjamin finit par détacher son regard du spectacle qui le fascinait depuis un moment : le soleil qui frappait le fort Saint-Louis dessinait dans la mer le reflet de l’édifice, seulement troublé par quelques modestes ridules. La symétrie parfaite entre le sujet et son image, lui rappela les cours d’initiation à la photographie dont il avait bénéficié durant ses études.

Il se souvint que son programme pour cet après-midi était d’aller se faire connaître chez « Madame Butterfly », enseigne de renom pour qui voulait s’adonner à Toulon à l’opiomanie de bonne facture, celle des notables, des commerçants, des gens de robe, des militaires gradés, et non celle des va-nu-pieds. La ville comptait, disait-on, environ soixante-dix établissements voués à l’opium, et celui-là était des mieux fréquentés.

Il vida son verre de mandarin-citron, glissa les billets en dessous, se leva en signalant au garçon qu’il partait. Celui-ci lui répondit d’un geste bref et discret de la main, comme ceux qu’on réserve aux familiers qui comptent.

Il dépassa la porte de l’Arsenal qui, en raison de l’heure, ne déversait pas encore des flots d’ouvriers et de marins s’apprêtant à investir les cafés du Chicago, quartier ainsi surnommé en raison des multiples bagarres qui, chaque nuit, ponctuaient la lutte pour la domination du territoire par des bandes hétéroclites maniant l’arme blanche, voire le revolver pour les plus riches.            

En remontant le long de la place d’Armes, il se laissa ravir par une musique d’Offenbach qu’un orchestre faisait jaillir sous le kiosque devant lequel les bons bourgeois venaient le dimanche après-midi applaudir la fanfare des Équipages de la Flotte. En ce jour de semaine, il s’agissait probablement d’une répétition.

Il traversa le boulevard de Strasbourg alors que des fiacres , attelés à des chevaux piaffants, attendaient déjà devant le Casino. Il eut alors l’impression de changer de ville. Au-dessus du boulevard, on pénétrait dans un quartier neuf, qualifié de nos jours de haussmannien, parce qu’élaboré sous Napoléon III, alors que le baron Haussman , préfet du département, semblait avoir esquissé ici les bouleversements qu’il impulserait à Paris plus tard. On passait ainsi , d’un coup, de la ville ouvrière, besogneuse et pauvre, à la ville moderne et arrogante, accessible seulement aux nantis ou à ceux qui voulaient le paraître.

Il tourna dans la première rue parallèle au boulevard. De part et d’autre s’alignaient de hautes fenêtres dominant des balcons de fer forgé. On devinait la réussite immobilière, le sol couvert de marbre, les escaliers à double volée entourés de boiseries. Rien d’étonnant à ce que madame Butterfly , de son vrai nom Huguette Carlin comme nul ne l’ignorait, ait choisi de s’installer là, plutôt que dans la basse-ville qui évoquait trop le labeur ouvrier, les comptoirs de zinc maculés de restes de vin, et les débordements bruyants de matelots en goguette.

Parvenu au deuxième étage, il se dirigea vers la porte de droite sur laquelle une plaque de cuivre indiquait : « Madame Butterfly, à votre service ». Il pensa que c’était bien un service qu’on venait chercher là, et que l’imprécision sur la fonction de l’occupante n’était pas due au hasard.

Il tira sur le cordon à l’ancienne, qui lui parut être une marque de bon goût, et une clochette tinta à l’intérieur.

Une jeune femme menue, trottinant comme une souris, lui ouvrit. Elle portait un déshabillé de satin coupé au-dessus du genou comme une soubrette de théâtre, et qui laissait deviner des formes harmonieuses. Lui, qui n’avait pas touché une femme depuis des mois, se sentit porté par une ardeur nouvelle.

Après l’avoir invité à prendre place dans le vestibule où flottait une odeur caractéristique, elle le questionna :

— Quelqu’un vous a-t-il recommandé notre maison ?

Il avoua que non, mais qu’il avait déjà entendu beaucoup d’opinions favorables sur celle-ci. Il s’apprêtait à développer quand la réceptionniste l’interrompit :

— Pardonnez-moi, je vois à votre uniforme que vous n’avez pas besoin de parrainage. Soyez le bienvenu , j ’espère que nous saurons vous satisfaire.

Elle l’invita à la suivre dans la salle. Dans le couloir, ils croisèrent madame Butterfly, et la jeune Annette -c’est ainsi qu’il avait entendu quelqu’un l’appeler, - fit les présentations.

La tenancière lui dit sa satisfaction d’accueillir, encore une fois, un officier de Marine :

 

— Nous comptons beaucoup de vos collègues dans nos rangs, ce qui entretient une bonne ambiance, vous verrez.

 

Annette fit entrer Benjamin dans une vaste salle où plusieurs fumeurs s’appliquaient déjà, certains étendus sur des nattes, d’autres lovés dans des fauteuils en rotin.Il se laissa aller sur le premier fauteuil à sa portée .

Sur des étagères murales ou sur des guéridons répartis dans la salle, divers objets évoquaient l’Asie. Un bouddha de bronze reflétait une lumière aux tons soyeux. Sous une cage de verre, un vase Hu avec des anses attestait la prospérité de la maison. Benjamin savait que ce modèle avait été produit par les Chinois au XVIIème siècle, ce qui le mettait hors de prix. Il avait vu le même dans un bordel luxueux de Saïgon et savait que seuls deux moyens permettaient de l’acquérir : une confortable fortune ou des relations inavouables. Il se dit que, lorsqu’il serait devenu un pensionnaire fidèle d’ici, il essaierait d’en savoir un peu plus sur sa provenance car lui-même aurait bien vu pareil trésor chez lui.

Promenant son regard sur les adeptes déjà en place, il tenta de découvrir un visage connu. Il jugea alors combien son métier de marin, le coupant longuement de la terre ferme, l’isolait de tout ce qui s’y passait.

Cherchant à mettre des noms sur les visages qu’il rencontrait, il pensa que cet exercice était vain. Il essaya de deviner qui étaient ceux qui se cachaient sous les apparences.Il remarqua seulement que, parmi les adeptes, les hommes paraissaient bien plus nombreux que les femmes. Cet homme aux allures de commerçant replet qui discutait avec un autre plus élancé, était-il un de ces juges du Tribunal de Commerce, débattant avec un avocat de l’avenir d’une entreprise en difficulté ? Nombreux étaient ceux qui , forts de leur fidélité commune à Mme Butterfly, ou de l’appartenance à la même loge maçonnique, venaient ici régler par la simple camaraderie des conflits qui auraient traîné des années devant la juridiction par le seul usage du droit. Cette pratique faisait partie des traditions de la ville, ainsi qu’on le lui avait souvent enseigné. « Ici, la Justice règle plus d’affaires dans les loges ou les fumeries que dans le prétoire », lui avait appris un vieux loup de mer désabusé.

Il se releva pour examiner un tableau accroché au mur. Une jeune femme, nue, étendue sur un sofa,fumait une pipe d’ivoire  . Manifestement, l’auteur avait voulu imiter La GrandeOdalisque, d’Ingres, telle que lui l’avait vue dans un musée . Celle-ci lui paraissait toutefois mieux réussie. Alors que celle d’Ingres avait la fesse trop lourde , le corps trop gras, et ne laissait voir de son visage que le profil, celle-là, plus élancée, tournait avec audace son beau visage vers le peintre et on pouvait admirer deux grands yeux bleus sous des remous de mèches blondes.

Il poursuivait sa contemplation quand Annette revint avec la provision d’opium, le réchaud et les ustensiles nécessaires.

— Je vois que vous admirez. Si vous voulez la connaître vous pourrez la rencontrer bientôt car elle est de nos fidèles. C’est Louise Welsch, une chanteuse qui se produit actuellement aux Fantaisies Toulonnaises, on l’appelle La Belle Lison. Le tableau est du peintre toulonnais Vogel qui avait une dette envers madame Butterfly. Pour la régler, il lui avait proposé de faire le portrait de sa plus jolie fidèle. Madame a accepté, et elle a bien fait. Le Petit Var a publié un article, de sorte que beaucoup de gens ont voulu voir le modèle et nous y avons gagné de nouveaux habitués. Tout le monde y a gagné : Madame, avec les nouveaux fidèles, et Vogel qui s’est fait mieux connaître.

Benjamin pensa qu’Annette avait dû être sérieusement chapitrée: elle ne parlait pas de clients, mais de fidèles, comme les médecins qui n’ont que des patients. Et elle prononçait « Madame », avec la déférence confite de la bonne sœur disciplinée évoquant la mère supérieure. C’était peut-être une marque de ce qu’on appelait le « bon goût » quand à l’extérieur la bonne société locale évoquait la maison d’Huguette Carlin.

Quand la lumière du jour déclinant à travers les tentures lui indiqua qu’il était temps de penser au repas, il s’arracha avec difficulté à l’agréable torpeur.

Alors qu’il descendait vers le Port, il remarqua à plusieurs reprises que la peinture vue chez Mme Butterfly avait été reproduite sur les affiches fixées sur les portes des boutiques, qui signalaient le tour de chant de Lison aux Fantaisies. Il se trouvait ainsi accompagné de la plus charmante des façons. Il avait maintenant hâte de rencontrer la belle lors de ses prochaines séances chez Mme Butterfly. En cas de besoin, si le moment tardait trop, il demanderait à Annette de le prévenir des prochains rendez-vous de la chanteuse.